N° 78
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2004-2005
Annexe au procès-verbal de la séance du 25 novembre 2004
AVIS
PRÉSENTÉ
au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur le projet de loi de finances pour 2005 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE ,
TOME VII
OUTRE-MER (ASPECTS SOCIAUX)
Par Mme Anne-Marie PAYET,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : M. Nicolas About, président ; MM. Alain Gournac, Louis Souvet, Gérard Dériot, Jean-Pierre Godefroy, Mmes Claire-Lise Campion, Valérie Létard, MM. Roland Muzeau, Bernard Seillier, vice-présidents ; MM. François Autain, Paul Blanc, Jean-Marc Juilhard, Mmes Anne-Marie Payet, Gisèle Printz, secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, MM. Henri d'Attilio, Gilbert Barbier, Daniel Bernardet, Claude Bertaud, Mme Brigitte Bout, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Mmes Isabelle Debré, Christiane Demontes, M. Gérard Dériot, Mme Sylvie Desmarescaux, M. Claude Domeizel, Mme Bernadette Dupont, MM. Michel Esneu, Jean-Claude Étienne, Guy Fischer, Jacques Gillot, Jean-Pierre Godefroy, Mmes Françoise Henneron, Marie-Thérèse Hermange, Christiane Kammermann, M. André Lardeux, Mme Raymonde Le Texier, MM. Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Roger Madec, Jean-Pierre Michel, Alain Milon, Georges Mouly, Jackie Pierre, Mmes Catherine Procaccia, Janine Rozier, Michèle San Vicente, Patricia Schillinger, Esther Sittler, MM. Jean-Marie Vanlerenberghe, Alain Vasselle, Paul Vergès, André Vézinhet.
Voir les numéros :
Assemblée nationale ( 12 ème législ.) : 1800 , 1863 à 1868 et T.A. 345
Sénat : 73 et 74 (annexe n° 28 ) (2004-2005)
Lois de finances . |
SOMMAIRE
AVANT-PROPOS 5
I. L'AMÉLIORATION SENSIBLE DE LA SITUATION SOCIALE DE L'OUTRE-MER RESTE ENCORE À CONFIRMER 9
A. L'ORIGINE DES DIFFICULTÉS SOCIALES DE L'OUTRE-MER 9
1. De lourdes contraintes en matière de logement 10
2. Des tensions fortes sur le marché du travail 10
a) Un environnement géographique particulièrement concurrentiel 10
b) La dépendance au traitement social du chômage 11
3. Le retour de la question sanitaire 13
a) Une situation sanitaire en voie d'amélioration 13
b) Un accès aux soins encore problématique 14
B. LES EFFETS DÉJÀ PERCEPTIBLES DE LA POLITIQUE ÉCONOMIQUE SOCIALE DU GOUVERNEMENT 15
1. Les résultats encourageants de la nouvelle approche du traitement du chômage 15
2. Des situations encore contrastées selon les départements 18
a) Des écarts qui se creusent 18
b) Le cas particulier de Mayotte 20
3. Des initiatives bienvenues en matière de logement 21
4. Une politique sanitaire mieux adaptée 24
II. LES ORIENTATIONS DU PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2005 26
A. UNE BAISSE PRÉOCCUPANTE DES CRÉDITS DE L'EMPLOI EN 2005 26
1. Un contexte favorable 26
a) Les promesses tenues de la loi de programme pour l'outre-mer 28
b) Un cadre budgétaire renouvelé 30
2. L'emploi et la formation professionnelle en 2005 : des priorités à réaffirmer 31
a) Poursuivre les mesures d'encouragement de l'emploi marchand 31
b) Renforcer la formation professionnelle 32
c) Favoriser l'insertion professionnelle des travailleurs ultramarins en métropole 36
B. UNE STABILISATION DES CRÉDITS CONSACRÉS AU LOGEMENT EN 2005 41
1. Les différentes formes d'aides au logement 41
2. Les crédits consacrés au logement 43
a) L'enveloppe disponible 43
b) La consommation des crédits votés en 2004 44
c) La mise en oeuvre des aides fiscales de la loi de programme 44
C. LA SANTÉ ET L'INSERTION EN 2005 : NOUVEAUX CHANTIERS DE LA POLITIQUE SOCIALE OUTRE-MER ? 45
1. Les mesures nouvelles en matière sanitaire : la CMU et le financement du ticket modérateur à Mayotte 45
2. L'immigration, un nouveau défi pour l'outre-mer 46
TRAVAUX DE LA COMMISSION 49
I. AUDITION DU MINISTRE 49
II. EXAMEN DE L'AVIS 53
AMENDEMENT ADOPTÉ PAR LA COMMISSION 54
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Le projet de loi de finances pour 2005 accorde 1,7 milliard d'euros au ministère de l'outre-mer, ce qui représente une progression de 52 % par rapport au budget de 1,12 milliard d'euros voté en 2004.
Cependant, cette hausse est largement artificielle . Elle est liée essentiellement au transfert, vers le budget de l'outre-mer, de 678 millions d'euros de crédits destinés à la compensation des exonérations de cotisations sociales prévues par la loi de programme pour l'outre-mer du 21 juillet 2003, jusque là inscrits au titre du budget du ministère de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, et de 31 millions d'euros en faveur de la continuité territoriale outre-mer, précédemment inscrits au compte d'affectation spéciale « Fonds d'intervention en faveur des aéroports et du transport aérien ».
Ce transfert participe d'un effort de réorganisation des engagements de l'État envers l'outre-mer, afin de regrouper une plus grande part des crédits au sein du budget du ministère et de garantir une meilleure lisibilité des flux financiers en faveur de ces départements et collectivités. Ce faisant, les dotations inscrites au budget du ministère de l'outre-mer ne représentent pas la totalité de l'effort global de la Nation en sa faveur, qui s'élève à près de 10 milliards d'euros , mais grâce à cette nouvelle affectation des crédits, le ministère de l'outre-mer assurera la maîtrise de 19 % de cette enveloppe globale.
Répartition budgétaire des
crédits
en faveur des départements d'outre-mer
(prévisions 2005)
Source : ministère de l'outre-mer
A ces transferts vers le ministère, il faut ajouter d'autres transferts du ministère vers les autres départements ministériels comme celui de l'intérieur (37,7 millions d'euros), celui de la santé (1 million d'euros) et celui de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale (0,9 million d'euros). En définitive et à périmètre constant, le budget de l'outre-mer subit une diminution de ses crédits de 2,5% par rapport à 2004 et s'établit comme suit :
Projet de budget pour l'outre-mer en 2005
Titre |
Intitulé |
Dotations
|
Évolution des dotations 2004/2005 |
III |
Moyens des services
|
148,00 |
- 22,8 % |
IV |
Interventions publiques (subventions aux collectivités, FEDOM, action sociale, culturelle et coopération régionale) |
1.294,90 |
+ 54,5 % |
V |
Investissements exécutés par l'État (financement des équipements administratifs) |
6,75 |
- 1,7 % |
VI |
Subventions d'investissements accordées par
l'État
|
255,90 |
+ 1,27 % |
Total |
PLF 2005 |
1.706,00 |
+ 52 % |
Source : ministère de l'outre-mer
Les quatre départements d'outre-mer sont destinataires de 73,4 % du budget global, soit 1,25 milliard d'euros , auxquels il convient d'ajouter 67,1 millions d'euros consacrés à Mayotte, « collectivité départementale d'outre-mer ».
En 2005, ce projet de loi de finances, construit sur la base d'une meilleure exécution du budget 2004, évoluera dans un contexte particulier, marqué, à la fois par la perspective de la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) du 1 er août 2001 et par la prochaine montée en charge des volets « emploi » et « logement » de la loi de programme pour l'outre-mer du 21 juillet 2003 :
- l'amélioration du taux d'exécution des crédits : A l'heure actuelle, 68 % de ce budget ont été consommés, soit dix points de mieux qu'en 2003 . Les efforts de rationalisation de la gestion des crédits entreprise par le ministère depuis deux exercices, notamment avec le redéploiement des crédits vers les priorités économiques et sociales et une meilleure utilisation des dotations budgétaires annuelles, ont permis de limiter le montant des crédits laissés sans emploi en fin d'exercice. De 201 millions d'euros en 2001, ils ont été ramenés à 96 millions d'euros en 2003 et devraient encore être inférieurs à ce montant en fin d'année 2004.
Toutefois, votre commission regrette que l'amélioration de la gestion des crédits se soit accompagnée en 2004 de 188 millions d'euros d'annulations et de gels de crédits , en particulier en matière de logement où des tensions budgétaires importantes n'ont pas permis d'honorer certaines factures.
C'est la raison pour laquelle le ministre s'est engagé à ce qu' « aucune annulation de crédits n'affecte, d'ici fin 2004, les crédits du budget de l'outre-mer, malgré un contexte budgétaire tendu » .
- l'anticipation de la réforme budgétaire de 2006 : pour répondre à la nécessité de moderniser les politiques publiques posée par la LOLF, le ministère de l'outre-mer poursuivra, en 2005, les expérimentations lancées l'an dernier, destinées à éprouver le dispositif budgétaire. Le projet de budget comporte donc des outils qui permettront de responsabiliser les gestionnaires publics et d'anticiper le passage d'une logique de moyens à une logique d'objectifs et de résultats. Parmi ces outils, figure la poursuite de l'expérimentation qui consiste à globaliser les crédits des différentes mesures en faveur de l'emploi. Ainsi, après le transfert des crédits de personnel et de fonctionnement de la préfecture de la Martinique au ministère de l'intérieur, en 2005, c'est au tour des préfectures de la Guyane, de la Guadeloupe et de la Réunion de rentrer dans ce processus.
- la réaffirmation de deux politiques prioritaires : l'emploi et le logement qui concentreront 77 % des crédits , soit 1,32 milliard d'euros. Il faut, en plus, ajouter qu'une mesure nouvelle de 600.000 euros a été inscrite au volet « action sociale et culturelle » du projet de budget pour financer le ticket modérateur à Mayotte. L'ensemble de ces crédits est ainsi réparti :
Répartition des crédits en faveur de l'outre-mer
Source : ministère de l'outre-mer
Toutefois, la priorité accordée à ces deux volets s'accompagne d'une réduction importante des crédits de l'emploi par rapport à 2004 - plus de 28 % -, à un moment où la baisse du chômage n'est pas encore stabilisée, et où les modalités d'application outre-mer du projet de loi de programmation de cohésion sociale, adopté le 5 novembre 2004 par le Sénat, en première lecture, restent encore à définir.
I. L'AMÉLIORATION SENSIBLE DE LA SITUATION SOCIALE DE L'OUTRE-MER RESTE ENCORE À CONFIRMER
A. L'ORIGINE DES DIFFICULTÉS SOCIALES DE L'OUTRE-MER
Les départements d'outre-mer sont confrontés à une situation géographique peu favorable au développement de leur activité économique : l'éloignement de la métropole, l'insularité de ces collectivités, hormis la Guyane, les conditions physiques et climatiques parfois extrêmes et l'étroitesse des territoires sont autant d'entraves à la fluidité des marchés.
Ainsi, l'éloignement de la métropole est à l'origine du coût élevé du transport aérien, ce qui a notamment pour effet de réduire la mobilité professionnelle des travailleurs d'outre-mer.
En outre, malgré un ralentissement au cours des dernières années, l'essor démographique de l'outre-mer reste quatre fois supérieur à celui de la métropole.
La population qui compte désormais plus d'1,6 million d'habitants augmente de 1,5 % par an. Les jeunes de moins de 20 ans représentent désormais 56 % de la population .
Cette situation démographique a pour conséquence une densité élevée au km², des problèmes de logement et d'aménagement du territoire et la raréfaction des terres agricoles exploitables. Les projections démographiques réalisées par l'INSEE tablent sur les évolutions suivantes :
Projection de la population des DOM à l'horizon 2030
|
2000 |
2010 |
2020 |
2030 |
Guadeloupe |
428.000 |
490.000 |
546.000 |
600.000 |
Martinique |
385.000 |
415.000 |
438.000 |
455.000 |
Guyane |
163.000 |
248.000 |
383.000 |
590.000 |
La Réunion |
716.000 |
829.000 |
939.000 |
1.035.000 |
La politique du logement devra tenir compte des besoins anticipés à l'horizon 2030 afin d'éviter les pénuries.
1. De lourdes contraintes en matière de logement
La situation des départements d'outre-mer se caractérise encore par une offre insuffisante au regard de besoins croissants . La forte croissance démographique, associée à l'aspiration croissante des plus jeunes à la décohabitation rendent nécessaire un effort permanent en matière de construction.
On estime les besoins minimums en logements à 60.000 constructions 3 ( * ) par an, dont la moitié relève du logement social aidé par l'État, compte tenu de la structure des revenus des habitants.
Parallèlement, la qualité défectueuse de l'habitat impose que des mesures de grande ampleur soient prises en faveur de l'amélioration des logements : à la rapide dégradation des logements due aux caractéristiques climatiques locales, on constate la persistance - et même le développement, compte tenu de l'insuffisance de l'offre - d'un habitat spontané insalubre, évalué, en 2000, à 58.500 logements. L'importance de l'habitat diffus (cases, habitat en dur, habitat fait de matériaux de récupération) construit le plus souvent sans autorisation, sur des terrains domaniaux ou de propriété mal définie, en l'absence parfois de cadastre, pose de graves difficultés juridiques, sociales et environnementales. Cet habitat diffus connaît bien souvent un état de précarité rendant nécessaire la programmation de résorption de l'habitat insalubre.
* 1 FEDOM : fonds pour l'emploi dans les départements d'outre-mer.
* 2 FIDOM : fonds d'investissement des départements d'outre-mer. FIDES : fonds d'investissement pour le développement économique et social.
* 3 Voir rapport de Mme Marie-Claude Tjibaou, rapporteur du conseil économique et social sur le logement outre-mer.