compte rendu intégral
Présidence de Mme Nathalie Delattre
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Corinne Imbert,
M. Dominique Théophile.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu intégral de la séance du mercredi 17 mai 2023 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Hommage à trois policiers, une secrétaire médicale et une infirmière
Mme la présidente. Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons appris avec beaucoup d’émotion le terrible accident qui a eu lieu dimanche matin dans le Nord, près de Villeneuve-d’Ascq. Un choc entre deux véhicules a entraîné la mort d’une policière et de deux policiers du commissariat de Roubaix dans le cadre de leurs fonctions. Ils étaient âgés de 24 ans et 25 ans.
C’est avec la même émotion que nous avons appris la violente agression au couteau d’une secrétaire médicale et d’une infirmière le lundi 22 mai dernier au centre hospitalier universitaire (CHU) de Reims. La première est grièvement blessée ; la seconde est malheureusement décédée la nuit dernière.
Au nom du Sénat tout entier, je souhaite leur rendre hommage et présenter à leurs familles nos condoléances les plus attristées.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous propose d’observer un instant de recueillement. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, se lèvent et observent un moment de recueillement.)
3
Décès d’un ancien sénateur
Mme la présidente. J’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Jean Madelain, qui fut sénateur d’Ille-et-Vilaine de 1980 à 1998.
4
Ferme France
Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France, présentée par MM. Laurent Duplomb, Pierre Louault, Serge Mérillou et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 349, texte de la commission n° 590, rapport n° 589).
Mes chers collègues, je vous rappelle que ce scrutin s’effectuera depuis les terminaux de vote. Je vous invite donc à vous assurer que vous disposez bien de votre carte de vote et à vérifier que celle-ci fonctionne correctement en l’insérant dans votre terminal de vote. En cas de difficulté, vous pourrez vous rapprocher des huissiers.
Avant de passer au vote, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.
J’indique au Sénat que, compte tenu de l’organisation du débat décidée par la conférence des présidents, chacun des groupes dispose de sept minutes pour ces explications de vote, à raison d’un orateur par groupe, l’orateur de la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Duplomb, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Claude Malhuret applaudit également.)
M. Laurent Duplomb. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il va de soi que, sur ces travées, nous ne proposons pas tous les mêmes solutions et n’avons pas tous la même vision de l’agriculture française.
Les débats de la semaine dernière l’ont du reste montré : sur plusieurs articles, les positions défendues étaient clairement antagonistes, au point que certains en ont proposé la suppression.
Toutefois, je crois en la liberté d’opinion et dans les vertus de la confrontation des idées. Il est bon et sain que ces divergences aient pu s’exprimer. C’est peut-être d’ailleurs ce qui nous a manqué ces six dernières années, période au cours de laquelle un pouvoir omniscient a prétendu dépasser tout clivage.
M. François Patriat. Cela commence mal…
M. Laurent Duplomb. Je veux donc saluer ici la courtoisie républicaine avec laquelle ces débats se sont tenus, malgré des désaccords marqués et en dépit d’une offensive médiatique injuste, qui a qualifié ce texte de « profonde régression consumériste et environnementale »,…
M. Bernard Jomier. C’est vrai !
M. Laurent Duplomb. … de « cheval de Troie de l’agro-industrie »,…
M. David Assouline. C’est vrai !
M. Laurent Duplomb. … ou encore de « lettre au père Noël de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) ».
M. Thomas Dossus. C’est vrai !
M. Laurent Duplomb. À rebours de ces caricatures, nous avons su montrer l’exemple.
Le monde agricole et la ruralité nous seront reconnaissants d’avoir discuté jusque tard dans la nuit de leurs problèmes de charges et de normes, ainsi que des impasses techniques auxquelles ils font face, en nous appuyant sur des arguments et des chiffres sérieux, tirés de la réalité et de leur quotidien.
À défaut d’un vote unanime sur les propositions, il est dommage que nous ne nous entendions pas sur le diagnostic, vécu au quotidien par les agriculteurs.
Si le constat de la désindustrialisation de la France ou de sa dépendance énergétique est aujourd’hui bien admis, je regrette qu’une forme de déni ait empêché certains d’y voir aussi clair pour notre agriculture. Sur ces travées ou ailleurs, certains pèchent encore par une naïveté trop coupable… D’autres sont peut-être frappés de cécité idéologique. (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Risques de blackout cet hiver, ruptures d’approvisionnement en composants industriels critiques et même en paracétamol… Nous connaissons les mêmes glissements aujourd’hui dans le domaine agricole.
L’histoire pourrait ressembler, comme l’a écrit Géraldine Woessner, à un conte pour enfants dans lequel les habitants d’un pays comblé par la nature, croulant sous ses bienfaits, en seraient curieusement venus à se persuader que les richesses les entourant sont le fruit, non pas de siècles de labeur des générations précédentes, du climat ou de la géographie, mais de leur propre vertu, et qui, à force de s’aveugler sur eux-mêmes, en viendraient à détruire leur trésor.
M. Gérard Longuet. Très bien !
M. Laurent Duplomb. La recommandation faite hier par la Cour des comptes de réduire le cheptel de vaches françaises est la preuve de cet aveuglement. (Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.)
Après une telle injonction contradictoire, cette technocratie abrutissante fera mine de s’étonner de la hausse croissante du déficit de la balance commerciale, sans faire le lien avec notre excédent de produits laitiers…
Le message de la Cour des comptes me rappelle ces phrases de Tocqueville : « Cet État se veut si bienveillant envers ses citoyens qu’il entend se substituer à eux dans l’organisation de leur propre vie.
« Ira-t-il jusqu’à les empêcher de vivre pour mieux les protéger d’eux-mêmes ? Le plus grand soin d’un bon gouvernement devrait être d’habituer peu à peu les peuples à se passer de lui. »
Est-ce vraiment à la Cour des comptes de s’occuper de ce que les Français doivent manger (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.), alors qu’elle est incapable depuis des années d’inverser la spirale de la dette, du déficit public et de l’appauvrissement de la France ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur les travées du groupe SER.)
M. Hussein Bourgi. C’est là le rôle du Gouvernement !
M. Laurent Duplomb. Le diagnostic du déclassement de la ferme France est posé depuis au moins quatre ans et le rapport que j’ai présenté en 2019 sur le sujet.
Le rapport que j’ai écrit en 2022 avec mes collègues Pierre Louault et Serge Mérillou n’est que la démonstration, à une échelle plus fine, sur la base de cinq produits emblématiques, de l’érosion continue de nos parts de marché, notamment au sein de l’Union européenne, ainsi que de la baisse tendancielle de notre taux d’auto-approvisionnement.
À ce stade, permettez-moi de saluer le courage de Serge Mérillou, qui a vu et compris au travers de nos auditions et de nos visites à quel point notre agriculture était mal en point, et qui n’a rien cédé à l’intimidation de l’écologisme dogmatique ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe GEST.)
Par son courage, il démontre que nous ne sommes à la solde de personne, contrairement à ce qu’a écrit le président de l’UFC-Que Choisir, qui d’ailleurs ferait mieux de rester dans le cadre de ses prérogatives en s’occupant du pouvoir d’achat des Français et, tout particulièrement, des 16 % de nos concitoyens qui, aujourd’hui, à cause de l’inflation et du « tout montée en gamme », déclarent ne plus manger à leur faim ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Franck Menonville, Daniel Chasseing et Pierre Louault applaudissent également.)
Oui, cette proposition de loi est le remède que nous voulons appliquer. Je me réjouis de son caractère transpartisan jusqu’au bout.
M. Bernard Jomier. Jusqu’au-boutiste, plutôt !
M. Laurent Duplomb. Venons-en à la suite. En effet, si l’adoption de ce texte aujourd’hui est en soi une très bonne nouvelle pour le monde agricole, il serait bien dommage de s’arrêter en si bon chemin.
Pourra-t-on considérer, dès lors que la proposition de loi aura été adoptée en première lecture au Sénat, que notre œuvre sera achevée et notre tâche accomplie ? Non ! (M. Rachid Temal feint de s’en étonner.)
Certains journalistes ont vu dans ce texte une simple tentative de la part de la droite sénatoriale de déplacer le débat,…
M. Patrick Kanner. C’est un peu vrai…
M. Laurent Duplomb. … de décaler le champ de ce qui est acceptable ou ne l’est pas, du dicible et de l’indicible. Je leur réponds très clairement : ce n’est pas la fenêtre d’Overton, mais les yeux que nous avons ouverts devant la réalité !
Comme je l’ai rappelé la semaine dernière, il ne faut pas avoir peur. Par vos votes de la semaine dernière, vous avez prouvé, dans votre grande majorité, que vous n’aviez pas peur.
M. Michel Savin. Très bien !
M. Laurent Duplomb. J’appelle les parlementaires de tous bords, notamment à l’Assemblée nationale, à faire de même. Je le dis aussi au ministre de l’agriculture, dont le soutien n’a pas été à toute épreuve la semaine dernière (Marques d’ironie sur les travées du groupe SER. – M. le ministre hausse les épaules.), hormis peut-être sur le livret Agri ou l’épandage de pesticides par drone.
En effet, il va nous falloir trouver une traduction concrète aux propositions que, dans sa grande majorité et dans sa non moins grande sagesse, le Sénat s’apprête à adopter. Cela prendra-t-il la forme d’une inscription du texte à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale ? Ou celle d’une insertion dans une loi d’orientation et d’avenir agricoles attendue pour l’automne ? L’avenir nous le dira.
En tout cas, soyez-en sûrs : je ne lâcherai rien. Nous ne lâcherons rien et ferons en sorte que ce texte poursuive son chemin, celui de l’espoir et de la fierté retrouvés ! (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.) Votons ce texte pour que notre agriculture française reste fière et continue de vivre ! (Vifs applaudissements prolongés sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
Mme la présidente. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à saluer la délégation de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) de Nouvelle-Aquitaine, qui est présente dans nos tribunes cet après-midi. (Applaudissements.)
La parole est à M. Pierre Médevielle, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Pierre Médevielle. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis 2019, la France ne produit plus ce qu’elle consomme. Cette situation inédite, totalement indigne de notre potentiel de production agricole, ne peut que nous interroger. Comment en est-on arrivé à une telle aberration ?
Au pays de Sully, est-il normal de voir nos agriculteurs attaqués et stigmatisés continuellement ?
Est-il normal de subir l’intégrisme écologique, qui nous empêche de profiter des dernières innovations agrotechnologiques ?
Est-il normal de livrer nos agriculteurs en pâture aux agités du bocal incompétents des réseaux sociaux, qui, dans un délire utopiste, nous éloignent des réalités économiques et terriennes de cette noble profession ?
Est-il normal de décider de surtranspositions de directives, qui ne font que pénaliser nos agriculteurs français face à la concurrence européenne ?
Est-il normal, enfin, de devoir toujours batailler pour faire admettre des mesures évidentes et de bon sens ?
Face à la guerre en Ukraine, qui a bouleversé les marchés agricoles mondiaux, au réchauffement climatique et à la diminution des surfaces cultivables dans le monde, et compte tenu des prévisions démographiques, notre agriculture doit absolument prendre un nouveau virage.
Après la révolution de l’après-guerre qu’ont provoqué le remembrement et la mécanisation, nous allons devoir relever un nouveau défi : produire plus et mieux, alors que le stress hydrique, la sécheresse et les catastrophes naturelles ne font que s’accentuer.
Trop souvent, la presse et les médias n’écoutent que les détracteurs de notre modèle agricole et ne relaient que les commentaires des marchands de peur et de sensationnel.
Il est trop facile de s’émouvoir des contrats signés avec les autres continents, comme l’accord économique et commercial global (Ceta) ou l’accord conclu dans le cadre du Mercosur (Marché commun sud-américain), alors que l’on n’en connaît pas le contenu exact.
Comme l’a souligné M. le ministre, le danger ne vient pas toujours des autres continents. Si je prends l’exemple des productions bovine ou maraîchère, nos principaux concurrents sont aux portes de notre pays.
L’Europe doit se doter à court terme d’un cadre législatif harmonisé si elle veut peser de tout son poids sur les marchés mondiaux : c’est un préalable indispensable à la survie de nos productions agricoles nationales et européennes.
J’en viens maintenant plus précisément au contenu de la proposition de loi.
Le titre Ier montre clairement que la recherche de compétitivité de la ferme France et les investissements que nous devons lui consacrer sont une priorité absolue. L’un des premiers amendements que nous avons soutenus tend d’ailleurs à consacrer la souveraineté alimentaire comme intérêt fondamental de la Nation.
De même, nous ne pouvons que nous féliciter de la constitution d’un fonds spécial de soutien à la compétitivité des filières agricoles en difficulté.
L’investissement, la modernisation, le « produire local » et la réorganisation des filières doivent nous permettre de relancer la productivité de la ferme France. Notre agriculture pourra ainsi retrouver la place qui était la sienne dans notre balance commerciale extérieure.
Je tiens d’ailleurs à saluer tout particulièrement certaines mesures qui figurent au titre II, notamment la création du livret Agri et la mise en place de crédits d’impôt pour les investissements en agriculture, qui contribueront à réduire les coûts de production et à faire progresser la compétitivité-prix, seul moyen de réussir la modernisation indispensable de nos exploitations.
Nous ne pouvons plus nous en tenir aux discours rétrogrades de certaines organisations, comme la Confédération paysanne, ou des adeptes de l’agriculture de grand-papa !
Cessons de trembler devant des exploitations de dimension plus importante, car seule la rentabilité de ces structures favorisera l’attrait de la profession. Trop d’agriculteurs sont isolés, manquent de soutien et renoncent, hélas, dans de nombreux cas, à leur projet d’installation ou d’évolution.
Permettez-moi également d’évoquer la dérogation à l’interdiction de pulvérisation aérienne de produits phytopharmaceutiques. Elle est encore un bel exemple des effets délétères du refus du progrès et du modernisme.
Ce système permet pourtant d’épandre moins de produits et représente une sécurité indispensable, notamment dans les zones collinaires.
Les instituts comme l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) ou les écoles d’agriculture et d’agronomie ne cessent de démontrer tout le bénéfice des évolutions scientifiques et technologiques, autant de progrès qui semblent être ignorés par beaucoup. La surveillance satellitaire des cultures, par exemple, permet d’épandre beaucoup moins de produits sanitaires, en ne traitant que les zones infestées.
Au cours de nos débats, nous sommes revenus longuement sur le cas de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et sur son rôle.
Les prérogatives et les missions de cette agence, qui nous est enviée par bien des pays, ont fait l’objet de vives discussions. Pour rappel, cette agence d’expertise scientifique évalue tous les risques sanitaires, alimentaires et environnementaux. Elle est notamment à l’origine du concept révolutionnaire à l’époque de phyto-pharmacovigilance.
En tant que rapporteur pour avis du projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Égalim 1), j’avais loué le caractère indispensable de cette agence et demandé qu’aucune interdiction en matière de produits phytopharmaceutiques ne soit décidée sans l’avis de l’Anses.
En cas de litige, qu’il y ait une discussion avec le ministre sur le rapport bénéfice-risque me semble judicieux, mais je suis beaucoup plus partagé sur le droit de veto.
De même, il serait nécessaire d’augmenter les crédits alloués à l’Anses, afin de débloquer plusieurs dossiers d’autorisation de mise sur le marché de nouvelles start-up qui présentent des molécules pourtant très novatrices, notamment dans le domaine des biocontrôles.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Exact !
M. Pierre Médevielle. Nous retombons dans l’éternel débat sur les produits phytopharmaceutiques. Si de graves erreurs ont été commises par le passé, la qualité et l’objectivité des expertises progressent continuellement.
Se figurer aujourd’hui, comme certains le font, que l’on peut vider complètement la « trousse à pharmacie » relève de l’idéologie pure et du fantasme. Il existera toujours des attaques bactériennes, fongiques ou d’insectes sur nos cultures. Et quand on voit la taille actuelle des parcelles, ainsi que leur proximité, on imagine aisément les conséquences d’attaques qui ne feraient l’objet d’aucune réaction ciblée de notre part. Les attaques de la pyrale du buis dans le sud-ouest du pays en ont offert, hélas, une triste illustration.
Pour conclure, mes chers collègues, cessons de polémiquer autour de blocages purement idéologiques, dont la profession a trop souffert ces dernières décennies. Ce texte comporte plusieurs mesures de bon sens, nécessaires à la modernisation de notre agriculture.
Nous aurons rapidement des débats sur d’autres sujets primordiaux, tels que celui de l’eau.
Le Sénat, en tant que fin connaisseur des territoires et des sujets agricoles, devra jouer à plein son rôle de créateur de solutions. Seul l’intérêt de l’agriculture française doit guider notre action.
Pour ces raisons, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Joël Labbé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, après avoir écouté les deux premiers orateurs, je ne puis que constater que nos avis sont particulièrement divergents… (Sourires.)
M. Laurent Duplomb. Ça, c’est sûr !
M. Joël Labbé. « Choc de régression », « cheval de Troie de l’agro-industrie », « proposition de loi d’un autre temps » : ces mots sont ceux des associations paysannes, environnementales et de consommateurs,…
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Non, ce sont les vôtres !
M. Joël Labbé. … pour décrire les reculs inacceptables qu’entraînerait ce texte, qui a choqué, à juste titre, l’ensemble des acteurs travaillant depuis des années à construire un modèle agricole et alimentaire plus durable et plus équitable.
De fait, les reculs, que nous continuons de dénoncer, sont nombreux dans ce texte : parmi eux, la remise en cause de l’Anses, ainsi que la proposition de mettre en balance la santé et l’environnement avec les enjeux économiques pour le retrait des pesticides nous semblent particulièrement graves.
L’autorisation d’épandage de pesticides par drone, malgré les risques sanitaires pointés par l’Anses, constitue également un recul majeur.
La séparation entre vente et conseil en matière de pesticides est une régression et un très mauvais signal adressé à tous ceux qui croient en la nécessité de développer un conseil indépendant auprès des agriculteurs, lequel contribuera à la réduction – parce que c’est le but –, puis à la fin du recours à ces produits.
De même, plutôt que de faire appel au volontarisme des acteurs pour appliquer la loi Égalim dans la restauration collective, l’article 11 acte là encore un retour en arrière, en repoussant l’échéance et en abaissant l’exigence de qualité.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Mais non ! Qu’est-ce que vous racontez ?
M. Joël Labbé. S’agissant de l’eau, le texte donne de façon très inquiétante la priorité au stockage pour l’irrigation, en le considérant comme d’intérêt général majeur, sans engager de réflexion sur le partage de cette ressource. Il prévoit aussi de soutenir massivement et sans conditionnalité l’investissement agricole.
Enfin, dans un contexte de tensions sociales, on propose, alors qu’il s’agit d’un texte sur l’agriculture, de réformer Pôle emploi et de mettre en œuvre le cumul RSA-revenus d’activité au détriment des droits sociaux !
Les solutions figurant dans cette proposition de loi ne répondent pas aux questions cruciales touchant au revenu des agriculteurs et à la hausse des importations de produits alimentaires : se lancer dans la course au moins-disant ne permettra pas de construire notre souveraineté alimentaire. Cela accélérera notre dépendance aux intrants issus d’importations, dont les coûts explosent. Cela affaiblira également les écosystèmes, alors que les agriculteurs dépendent des sols, des pollinisateurs, du cycle de l’eau et du climat.
Les solutions se trouvent plutôt dans la régulation des marchés et la sortie des accords de libre-échange, ainsi que dans une répartition équitable de la valeur. Elles résident aussi dans un rééquilibrage des aides de la politique agricole commune (PAC), qui sont inégalement distribuées et dont la répartition se fait souvent au détriment des filières pour lesquelles les importations augmentent.
Il s’agit également de mener avec volontarisme une politique de relocalisation de notre alimentation.
À cette fin, il faut faire en sorte que toutes et tous accèdent à une alimentation de qualité : on ne peut que déplorer l’abandon du chèque alimentation durable, qui devrait être un premier pas vers le droit pour tous à une alimentation de qualité et locale, bénéfique pour les agriculteurs et nos concitoyens, en cette période d’explosion de la précarité.
Nous continuerons de défendre une sécurité sociale de l’alimentation, afin de conjuguer droit à une alimentation durable et rémunération équitable des agriculteurs. En effet, le modèle agroécologique, fondé sur des pratiques agronomiques permettant de se passer d’intrants, conjugué avec des politiques alimentaires fortes, permettra – nous en sommes convaincus – de relever le défi de la transition.
Pour y parvenir, nous avons cependant besoin d’un soutien massif des solutions de rechange, car, aujourd’hui, seul 1 % de la dépense publique agricole contribue à la sortie des pesticides.
Il faut également soutenir l’agriculture biologique, à laquelle cette proposition de loi n’a pas consacré une seule ligne. La transition se doit d’être accompagnée et organisée. Lors de son audition au Sénat, le directeur de l’Inrae a souligné que l’anticipation était préférable à l’attentisme face à l’arrivée de contraintes extérieures. Il a aussi insisté sur la stabilité et la cohérence des politiques publiques.
Selon l’Inrae, après un travail scientifique sérieux, la sortie des produits phytosanitaires à l’horizon de 2050 est possible. Pour cela, la recherche a besoin de moyens importants. Le directeur de l’Inrae nous a ainsi appris que le budget « recherche » de Bayer, l’un des piliers du funeste Phyteis, était quatre fois supérieur à celui de son institut. C’est dire si nous devons encore faire des efforts !
Avec ce texte, qui fait l’impasse sur les enjeux environnementaux et sanitaires à venir et qui revient sur le droit existant, c’est tout le contraire qui est proposé.
Malgré tout, les propositions que nous contribuons à défendre, bien qu’elles aient été caricaturées durant les débats, portent parfois leurs fruits.
Ainsi, alors que nous vous alertions, à l’occasion de l’examen de chaque texte budgétaire, sur l’absence d’application de la loi Égalim dans la restauration collective, les annonces récentes du Gouvernement, monsieur le ministre, semblent enfin aller dans le bon sens.
Idem pour le soutien à l’agriculture biologique au sujet duquel, en lien avec les filières, nous vous avertissons depuis des mois. Les financements annoncés sont nécessaires, même s’ils restent tardifs et encore insuffisants.
Alors que nous assistons avec regret et dépit au vote de ce texte, auquel nous nous opposons fermement, nous resterons vigilants et combatifs, de sorte que les futurs débats sur la loi d’orientation et d’avenir agricoles permettent d’offrir de véritables solutions pour notre agriculture.
Nous voterons farouchement contre ce texte. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je profiterai des quelques minutes qu’il me reste pour évoquer les projets alimentaires territoriaux, obtenus de force dans le cadre de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt de 2014 : partout où ils ont été mis en place, ces projets jouent parfaitement leur rôle.
Permettez-moi, mes chers collègues, de formuler ce qui n’est pour l’instant qu’un vœu pieux : voir l’ensemble du territoire français couvert de projets alimentaires territoriaux, car ils contribuent à la souveraineté alimentaire des territoires (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER et RDPI.), à une rémunération plus juste des agriculteurs et au respect de la biodiversité et du climat.
Vous me direz peut-être – je crois déjà vous entendre – qu’il s’agit là d’une utopie. Eh bien, je vous répondrai que c’est justement l’utopie qui nous sauvera la vie ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE. – M. Frédéric Marchand applaudit également.)