Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Patricia Schillinger. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la semaine dernière, nous avons achevé tard dans la nuit l’examen de cette proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France, sur laquelle nous sommes invités à nous prononcer cet après-midi.
Du rapport de l’automne dernier à aujourd’hui, le chemin parcouru est positif. Aujourd’hui, nous nous accordons sur la nécessité de ne pas céder à l’opposition stérile entre les différents modèles, à la condamnation en bloc de la stratégie de montée en gamme ou à la caricature d’une agriculture dite « productiviste », car nous en sommes loin en France.
Le défi que doit relever notre modèle agricole n’est pas anodin : il s’agit de restaurer la puissance agricole de la France que plusieurs décennies de déclin ont abîmée, alors que la planète entière subit d’ores et déjà les conséquences du dérèglement climatique. L’adaptation à ce dernier et aux évolutions de la disponibilité de la ressource en eau, le renouvellement des générations et la préservation de notre souveraineté alimentaire sont trois priorités qui se rejoignent et qui sont chacune vitales pour notre agriculture.
Le projet de loi d’orientation et d’avenir agricoles, autour duquel les concertations se déroulent encore, sera une nouvelle occasion d’aborder ces sujets, sur lesquels il nous faudra trouver un consensus.
De nombreux producteurs français ont fait le choix du bio ou d’une production sous signe de qualité, synonyme de valeur ajoutée, de prix plus rémunérateurs et de conquêtes de nouveaux marchés.
Les jeunes agriculteurs, installés ou en devenir, ont souvent la volonté de participer aux changements de paradigme que nous connaissons. Nous devons les accompagner, car leur réussite sera la nôtre.
Tel est le sens de l’annonce, faite par le ministre la semaine dernière, du renforcement du plan de soutien à l’agriculture biologique au travers de la mobilisation de 60 millions d’euros pour résoudre les difficultés urgentes, d’une nouvelle campagne de communication et, surtout, de l’engagement de l’État de respecter, d’ici à la fin de l’année, l’objectif de 50 % de produits sous signe de qualité et durables et d’un minimum de 20 % de produits biologiques servis en restauration collective, dans chaque établissement relevant de sa responsabilité.
Sur ce dernier point, nous saluons la volonté d’exemplarité de l’État.
Pour autant, il n’est pas question de ne traiter et de n’accompagner que l’agriculture biologique. Tous les agriculteurs ont à cœur leur métier et la volonté de nourrir les Français du mieux qu’ils le peuvent.
C’est pour les soutenir que nous souhaitons les accompagner dans leur adaptation et leur anticipation des conséquences du dérèglement climatique.
Notre objectif est clair : poser des bases durables à la puissance agricole et à la souveraineté alimentaire de la France au XXIe siècle.
Tel est le sens de notre engagement aux côtés du Gouvernement depuis six ans et de notre action en faveur d’un engagement rapide des transitions nécessaires, de façon pragmatique et efficace.
Sur le fond de la proposition de loi, nous sommes convaincus que certains de ses articles pourront être intégrés au projet de loi d’orientation et d’avenir agricoles.
Ainsi en est-il de l’article 9, qui permet une meilleure reconnaissance des externalités positives de l’agriculture en matière de stockage du carbone et de réduction des émissions de gaz à effet de serre, ou encore de l’article 16, qui renforce les projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE) et y introduit une concertation, concourant de cette façon à la nécessaire création de consensus en matière de gestion de l’eau.
Par ailleurs, je me réjouis de la version finale de l’article 8 de la proposition de loi, qui concerne l’épandage de produits phytopharmaceutiques par des drones. En effet, je rappelle que le dispositif, proposé par Mme le rapporteur, est très bien cadré. Ainsi, seules les surfaces agricoles présentant une pente supérieure ou égale à 30 % et l’agriculture de précision peuvent profiter de cette expérimentation.
En outre, une évaluation par l’Anses est toujours prévue et peut déboucher sur l’accord d’une dérogation pour cinq ans, offrant potentiellement une décennie à la filière pour exploiter les possibilités de cette technologie en matière de réduction d’usage de produits phytosanitaires.
Nous avons trouvé un équilibre qui permet de préserver l’innovation, au service de la transition comme de la compétitivité de notre agriculture.
Cependant, des points de blocage subsistent, par exemple l’article 15. Nous considérons comme primordial d’adapter à la fois nos modes de production et l’aménagement de nos territoires aux conséquences du dérèglement climatique sur la disponibilité de l’eau.
Les ouvrages de stockage de l’eau auront une importance majeure pour remplir ces deux objectifs, tout comme la réutilisation d’eaux non conventionnelles et l’adaptation des systèmes de production.
Toutefois, chaque projet est différent et chaque territoire doit s’organiser. Ainsi, la déclaration d’intérêt général majeur, prévue à l’article 15 de la proposition de loi, nous paraît disproportionnée, de même qu’elle nous semble fermer la porte à la concertation locale.
Sur un autre plan, nous pourrions également évoquer les mesures liées au travail et à la fiscalité, qui, en dépit de leur intérêt et, pour certaines d’entre elles, de leur pertinence, relèvent des lois de finances ou d’une loi Travail.
Je pense, en particulier, à la pérennisation du dispositif des travailleurs occasionnels-demandeurs d’emploi (TO-DE), à laquelle nous sommes attachés, afin d’offrir aux agriculteurs une meilleure visibilité sur un outil qui fonctionne.
Mes chers collègues, si cette proposition de loi ouvre des débats, que nous aurons de nouveau lors de l’examen du projet de loi d’orientation et d’avenir agricoles, ainsi que des projets de loi Travail et de finances, elle pose également des questions qui renvoient à notre rapport à l’agriculture et à la nature.
La compétitivité de l’agriculture n’est pas un gros mot ; la préservation de l’environnement, non plus. La souveraineté alimentaire de demain nécessitera que nous ayons pris, aujourd’hui, les décisions qui préserveront les qualités de nos sols, de nos savoir-faire et de nos produits.
Le groupe RDPI adopte une position de liberté individuelle de vote sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. Jean-Claude Tissot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les huit heures de débat que nous avons consacrées à cette proposition de loi auront clarifié les positions de la droite sénatoriale et de l’ensemble des groupes de gauche, comme leurs divergences.
S’agissant d’enjeux aussi importants que l’agriculture et l’alimentation, il est toutefois regrettable d’avoir dû débattre pendant un temps parlementaire si court, sans disposer d’étude d’impact sur des dispositions majeures et, surtout, avec de nombreuses imprécisions de définition de termes centraux de cette proposition de loi.
Dès la discussion générale, nous avions parfaitement compris la stratégie de la majorité sénatoriale, qui, cherchant à prendre ses marques en vue de l’examen du projet de loi d’orientation et d’avenir agricoles (LOA), a souhaité imposer un certain nombre de concepts dans le débat sur notre politique agricole.
À ce titre, il est malheureux que la grande majorité des dispositions de cette proposition de loi ne soient que des retours en arrière sur des législations ou des rapports adoptés dans cet hémicycle.
Face à cela, monsieur le ministre, vous avez pris le parti, dans un premier temps, de défendre cette proposition de loi de manière vigoureuse lors de la discussion générale, avant d’adopter une approche bien plus modérée au cours des débats.
J’en veux pour preuve les avis favorables que vous avez émis sur de nombreux amendements de suppression défendus par mon groupe et ayant trait aux articles 6, 7, 11, 13, 15, 17 et 22 de cette proposition de loi. Nous saurons nous souvenir de ces positions lors de l’examen du projet de LOA.
Toutefois, lors des débats, monsieur le ministre, vous avez appelé, à de nombreuses reprises, à ne pas tomber dans la caricature au sujet de cette proposition de loi, en vous tournant principalement vers la gauche de cet hémicycle.
La lecture des comptes rendus de séance prouve que les interventions caricaturales ou simplistes ne se trouvaient pourtant pas de ce côté de l’hémicycle… Les nombreuses interruptions lors de la présentation de la motion tendant à opposer la question préalable en sont de bons exemples.
Mes chers collègues, présenter et défendre une autre vision de l’agriculture ne relève pas d’une caricature ; il s’agit simplement d’un avis émis dans le cadre d’un débat politique, auquel nous contribuons par nos approches techniques et concrètes, qui s’appuient sur nos compétences et nos expériences.
Pour nous non plus, le mot compétitivité n’est pas un gros mot. Nous l’avons clairement mis en avant en démontrant que les exploitations agroécologiques peuvent être parfaitement compétitives et rentables (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.), tout en préservant la santé de l’agriculteur et son environnement immédiat.
Par conséquent, il est totalement anormal qu’un texte, ayant trait à notre modèle agricole au sens large, ne traite pas de toute une part de notre agriculture et que les notions d’agriculture biologique ou d’agroécologie ne soient citées à aucune reprise.
Les maigres ajouts que nous avons obtenus, que ce soit celui de la durabilité au sein des missions du haut-commissaire à la compétitivité ou celui de la demande d’un rapport sur les paiements pour services environnementaux (PSE), sont des premiers pas, mais ils ne contrebalancent pas la teneur générale de ce texte.
Une nouvelle fois, nous rappelons notre opposition aux mesures fiscales proposées, dont ne bénéficieront pas les agriculteurs le plus en difficulté ni ceux qui commencent dans le métier.
Si nous souhaitons favoriser l’installation d’agriculteurs et, ainsi, permettre une inversion de la courbe du nombre d’exploitations, alors réfléchissons davantage au renforcement des mesures ciblées et limitées dans le temps, comme la dotation jeunes agriculteurs (DJA), plutôt qu’à rehausser des plafonds en faveur d’agriculteurs ayant déjà la chance de mettre des sommes importantes de côté.
M. Laurent Duplomb. Cela, on ne l’oubliera pas !
M. Jean-Claude Tissot. En ce qui concerne la question des aides publiques, il est dommage, monsieur le ministre, cher collègue Duplomb, que nous n’ayons pas eu davantage de débats et d’échanges, dans le cadre du Parlement, sur le plan stratégique national (PSN) de la politique agricole commune, qui vient d’entrer en vigueur.
Sortir d’une réflexion uniquement centrée sur des aides à l’hectare pourrait être un axe d’évolution intéressant.
Ensuite, au sein du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, nous nous sommes opposés avec vigueur à l’ensemble des articles visant à réécrire allégrement le droit du travail.
Sans aucune caricature, nous avons parfaitement conscience des besoins spécifiques en main-d’œuvre d’un secteur comme l’agriculture, que ce soit en termes de temporalité ou de compétences. C’est la raison pour laquelle nous avons soutenu, une nouvelle fois, la pérennisation du dispositif TO-DE et proposé son élargissement aux entreprises de travaux et services agricoles, ruraux et forestiers (Etarf).
Toutefois, l’ajout de la notion de « secteurs prioritaires en tension » dans les missions de Pôle emploi, la généralisation du cumul RSA-emploi ou encore la création d’une exonération au sein du dispositif de bonus-malus portant sur les contrats courts nous paraissent aller complètement à contresens des attentes des agriculteurs et des salariés du secteur.
Les agriculteurs souhaitent disposer d’une main-d’œuvre formée et disponible dans les territoires. Pour cette raison, devrait être au cœur de nos débats la question de la formation agricole, et non pas celle d’une nouvelle précarisation du marché du travail, où les travailleurs seraient la variable d’ajustement d’un secteur intensif.
Sur ce point, l’absence d’opposition du Gouvernement à ces articles – il s’est rangé derrière un avis de sagesse – est particulièrement inquiétante. Espérons que le projet de loi Travail, tant annoncé, ne soit pas de cette teneur.
À ce titre, nous regrettons profondément, monsieur le ministre, la publication en catimini (M. le ministre manifeste son étonnement.), le 13 mai dernier, d’un décret redéfinissant le statut d’agriculteur actif. C’est une porte ouverte, à mon sens comme à notre sens, à la financiarisation sans limites de l’agriculture et à une prise en main de nos exploitations par des investisseurs extérieurs, aux intérêts bien éloignés de ceux des paysans. (M. le ministre proteste.)
Enfin – nous le regrettons très sincèrement –, cette proposition de loi compte de nombreuses dispositions rétrogrades pour la préservation de notre environnement, mais aussi pour la santé humaine, celle des producteurs et des consommateurs.
Nous aurions pu espérer que l’examen du texte en commission, puis en séance publique, permette de revenir sur ces dispositions ou, à tout le moins, de les adoucir. Ce n’est malheureusement pas le cas.
Au contraire, à propos de l’article 8, la pérennisation de l’usage de drones en agriculture…
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. C’est une expérimentation !
M. Jean-Claude Tissot. … à l’issue de l’expérimentation prévue a été adoptée.
Sur ces sujets, monsieur le ministre, vous avez adopté des positions différentes, en soutenant l’article 8 tout en vous opposant aux articles 13 et 18.
Alors que le Gouvernement commence à réfléchir à des solutions pour adapter la France à une température de +4 degrés en 2100, il serait peut-être bon de tenir un discours plus cohérent sur un secteur qui représente 21 % des émissions de gaz à effet de serre, mais qui est aussi la première victime du changement climatique.
En ce qui concerne la question de l’eau, comme je l’avais indiqué lors de la discussion générale, nous considérons que traiter ce sujet de cette manière revient simplement à jeter de l’huile sur le feu, sans apporter de solution concrète au problème du stockage.
Déclarer d’intérêt général majeur un projet de stockage d’eau, par principe, et parallèlement réduire les contentieux ne fait que prouver votre vision idéologique de l’eau, que vous souhaitez privatiser au profit de quelques-uns.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. N’importe quoi !
M. Jean-Claude Tissot. Il s’agit, pourtant, d’un bien commun que nous devrions défendre collectivement. Notre souveraineté alimentaire passera aussi par le partage de l’eau.
En cohérence avec notre position pendant les débats, mes collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain et moi-même nous opposerons à cette proposition de loi.
Nous aussi, nous souhaitons aider les 16 % de Français qui déclarent ne pas manger à leur faim et répondre à leurs attentes. Toutefois, nous ne pouvons nous résoudre à leur fournir des aliments de faible qualité, qui ne sont que des bombes à retardement sanitaire, produits par des agriculteurs étranglés par le marché. (M. Laurent Duplomb s’exclame.)
Au contraire, nous prônons une restructuration de notre modèle agricole, grâce à une véritable répartition de la valeur et à un accompagnement des pouvoirs publics à la hauteur des transitions nécessaires.
La compétitivité de l’agriculture française passera par cela. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. (Applaudissements sur des travées du groupe CRCE. – M. Hussein Bourgi applaudit également.)
M. Fabien Gay. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d’abord, je voudrais remercier les auteurs de cette proposition de loi.
M. Laurent Duplomb. Merci à vous !
M. Fabien Gay. En effet, si nous ne partageons quasiment rien,…
M. Laurent Duplomb. Seulement l’amitié !
M. Fabien Gay. … pour ne pas dire aucune des propositions formulées, ni le projet de société défendu, ce texte a au moins une vertu : offrir l’occasion de parler de cette France rurale, agricole, celle des paysannes et des paysans, si souvent ignorés, méprisés, voire conspués,…
M. Laurent Duplomb. C’est vrai ! Par qui ?
M. Fabien Gay. … et qui se sentent légitimement incompris.
Alors que nos paysans remplissent chaque jour une mission d’intérêt général – nous nourrir –, qu’ils sont en première ligne face au changement climatique et qu’ils sont les seuls ouvriers et artisans du vivant, ils ne décident pourtant pas des prix de vente et sont obligés de survivre pour nous nourrir.
Ils sont souvent, pour ne pas dire toujours, les premiers sacrifiés par les gouvernements successifs dans les traités de libre-échange, alors qu’un débat sur le droit à l’alimentation de qualité pour toutes et tous est, au contraire, nécessaire au moment où une alimentation à deux vitesses existe déjà.
Non, il ne faut pas opposer agriculture conventionnelle et biologique.
La première, qui reste d’une grande qualité et qui nourrit la majorité de la Nation, est pourtant sans cesse stigmatisée.
M. Laurent Duplomb. C’est vrai !
M. Fabien Gay. Oui, nos paysans sont soumis à des injonctions contradictoires : produire toujours plus, toujours mieux, toujours moins cher et toujours en concurrence avec des pays qui ne respectent pas nos normes sociales et environnementales.
C’est donc tout le logiciel qu’il faut changer, car on ne soigne pas le libéralisme par l’ultralibéralisme. Au contraire, nous devons accompagner la transition des agriculteurs, pas contre eux, mais avec eux, et les aider à sortir progressivement de l’agrobusiness recourant aux produits phytosanitaires, qui ont d’abord des effets néfastes sur eux et sur elles, puis sur les consommateurs.
À l’inverse, l’agriculture biologique doit être non plus moquée ou raillée, mais aidée et encouragée, pour qu’elle puisse être accessible à toutes et à tous et devienne, demain, la norme.
Oui, il faudra s’attaquer enfin à la puissance des centrales d’achat et des agro-industriels réalisant des marges, pour rémunérer les agriculteurs à des prix dépassant leurs coûts de production. De l’autre côté de la chaîne, il faudra augmenter les salaires des consommateurs, pour qu’ils puissent acheter des produits de meilleure qualité.
Ces grands objectifs, mes chers collègues, nous ne pensons pas les atteindre avec des recettes dont l’inefficacité économique et sociale, tout comme la nocivité écologique, est prouvée.
Non, continuer à appauvrir les sols en utilisant des insecticides et des pesticides n’est pas une vision de long terme.
M. Laurent Duplomb. C’est faux !
M. Fabien Gay. Sur ce point, l’usage de drones, pour aller plus vite, plus loin et plus fort en matière d’épandage, ne réglera rien.
Non, rejeter l’avis de l’Anses n’est pas sérieux, car si cette agence avait existé voilà quarante ans, nous aurions certainement interdit bien avant le chlordécone aux Antilles. (M. Victorin Lurel approuve.)
Non, conditionner le versement du RSA à 15 heures ou à 20 heures de travail agricole ou obliger un travailleur privé d’emploi à accepter un travail saisonnier ne peut être l’horizon de la future entité France Travail. (Mme Laurence Cohen applaudit.)
Pensez-vous véritablement résoudre la question du départ à la retraite de la moitié des exploitants agricoles d’ici à dix ans grâce à ces solutions d’un autre temps, en faisant l’économie d’une réflexion sur les conditions de travail, les salaires, le sens du travail, la formation dans les lycées agricoles,…
M. Laurent Duplomb. Il n’y en a plus !
M. Fabien Gay. … les aides à apporter à l’installation de nouveaux agriculteurs, ou encore sur la lutte contre l’accaparement des terres agricoles par des financiers.
Enfin, au moment où, déjà au mois de mai, quatre villages sont privés d’eau – l’an dernier, ils étaient cent à l’être au cœur de l’été –, et alors que nous avons connu des mégafeux l’été dernier, non, il n’est pas sérieux d’autoriser toutes les bassines, qu’elles soient méga, de retenue ou de pompage. (M. Laurent Duplomb proteste.)
Oui, l’eau doit être reconnue comme un bien commun et sortie du secteur marchand. (Mme Émilienne Poumirol applaudit.)
Enfin, nous devrions nous rassembler pour refuser les accords de libre-échange, non pas parce que nous ne voulons plus commercer, monsieur le ministre, mais parce que nous souhaitons nouer des partenariats et des coopérations dans les domaines où ces accords poussent à la concurrence et au moins-disant social et environnemental.
Maintenant, le Gouvernement déclare vouloir être exemplaire grâce aux clauses miroir et refuser l’entrée des produits qui ne respecteraient pas nos normes. Nous en avons eu un bel exemple, très concret, pas plus tard que l’an dernier, avec l’accord de libre-échange conclu avec la Nouvelle-Zélande.
Si le site du ministère de la transition écologique indique que la France s’est dotée d’une stratégie pour mettre un terme aux effets de ses importations sur la déforestation, la réalité est tout autre.
Ainsi, cela ne pose aucun problème de signer des accords avec la Nouvelle-Zélande, premier importateur mondial de tourteaux de palme, qui est une monoculture à l’origine de la déforestation des forêts d’Asie du Sud-Est, et tout cela sous la présidence française de l’Union européenne !
Il s’agit d’un dumping environnemental, dans lequel, concrètement, est toléré ailleurs, ou pire, encouragé, ce qui est interdit chez nous.
En outre, à propos de cet accord avec la Nouvelle-Zélande, sont distribuées des milliers de tonnes de viandes imprégnées d’atrazine et de diflubenzuron, des produits phytosanitaires interdits au sein de l’Union européenne depuis 2003, avant d’être classés cancérigènes et produits nocifs en 2021.
Voilà ce que sont, pour l’instant, les clauses miroirs : un leurre destiné à nous faire avaler ces traités antisociaux et climaticides ! (M. Laurent Duplomb s’exclame.)
Le seul effet de ces accords de libre-échange sur nos territoires, hormis d’organiser le dumping économique, est de pressuriser nos filières agricoles, tenues de respecter les normes, qui sont nécessaires et dont nous pouvons être fiers, mais qui les rendent moins compétitives que l’utilisation de n’importe quel produit cancérigène.
Ce sont là les enjeux structurants de l’agriculture, mais c’est aussi un enjeu démocratique. En effet, il est scandaleux que le Ceta soit appliqué à 90 %, sans ratification du Sénat ni de l’ensemble du Parlement.
M. Laurent Duplomb. Ça, c’est vrai !
M. Fabien Gay. Ces accords de nouvelle génération sont la dernière invention de la Commission européenne et ont des conséquences sur nos services publics, comme sur nos barrières tarifaires et non tarifaires.
Le Parlement est tenu à l’écart de ces négociations, tout comme il est empêché de voter sur le Ceta par ce gouvernement qui refuse toujours de l’inscrire à l’ordre du jour du Sénat.
Alors, dans le calme, je vous fais une dernière proposition : puisque ce projet est sur le bureau du Sénat et que nous y sommes tous opposés, allons au bout : inscrivons-le à l’ordre du jour de l’une de nos niches parlementaires et votons contre !
Cela aura un double effet : premièrement, redonner du pouvoir au Parlement, si souvent piétiné par ce gouvernement ; deuxièmement, rendre un grand service aux agriculteurs en faisant tomber ce traité et en ouvrant une nouvelle ère pour nos relations commerciales.
Mes chers collègues, chiche ! Nous y sommes prêts. Pour le reste, nous voterons contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Louault, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Pierre Louault. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, après avoir remis un rapport d’information sur la compétitivité de la ferme France, j’ai rédigé avec mes collègues Serge Mérillou et Laurent Duplomb une proposition de loi, tout simplement parce que cela m’a semblé nécessaire pour tenter de remédier à la situation alarmante de notre agriculture.
Je tiens à saluer la qualité du travail de Mme le rapporteur, ainsi que celui de la commission, qui a consacré plusieurs heures à l’examen de ce texte.
Cette proposition de loi, qui avait donc déjà été améliorée et amendée, l’a été de nouveau en séance. Et même si, cher Laurent Duplomb, il est toujours possible de voir le verre à moitié plein ou le verre à moitié vide, je tiens à saluer l’esprit de collaboration de M. le ministre de l’agriculture, qui, en dépit de ses quelques réserves, a permis d’aller dans le bon sens. (M. Laurent Duplomb ironise.)
Je souhaite revenir sur un certain nombre de points qui font l’objet de débats et de critiques.
Tout d’abord, on nous dit que l’on revient sur le cadre normatif et qu’il ne faut pas s’occuper du droit européen. Or l’un des principaux maux de notre agriculture est bien, me semble-t-il, le cadre normatif et les surtranspositions réalisées avec beaucoup d’anticipation.
Un peu comme les entreprises françaises, les agriculteurs n’en peuvent plus de cette réglementation à n’en plus finir. Le Président de la République lui-même est favorable à un débat préalable aux travaux de deux ans, et non pas de trois, quatre, six ou dix ans, lorsqu’il s’agit de construire un bâtiment d’élevage ou de réaliser une retenue collinaire.
Tous les agriculteurs sont atteints par cette surréglementation. Ainsi, les producteurs bio du secteur de l’arboriculture n’en peuvent plus – je le sais, car j’en compte dans ma famille. En effet, lorsqu’il pleut, la production doit être protégée avec des produits bio. Or, comme ils ont été interdits par une loi scélérate – on veut toujours en faire plus dans l’imbécillité –, ces producteurs n’ont plus le droit de traiter et doivent laisser disparaître leur production.
Il me semble que c’est tout le débat. Certains s’imaginent qu’il est possible de nourrir les huit milliards d’habitants de cette planète avec les mêmes méthodes utilisées pour en nourrir un milliard.
Vous avez tous cité le Sri Lanka en exemple voilà quelques années.
M. Laurent Duplomb. C’est vrai !
M. Pierre Louault. Or l’expérience a duré deux ans, au terme desquels la production annuelle avait diminué de moitié et un tiers du pays subissait la famine. Aussi, de grâce, revenons aux réalités ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. Bravo !
M. Pierre Louault. Je suis tout à fait favorable à faire évoluer l’agriculture dans un sens plus respectueux de l’environnement, en employant de nouvelles méthodes. Mais celles-ci ne consistent pas forcément à copier ce qui se faisait au XIXe siècle. (Protestations sur les travées du groupe GEST.)
Les nouvelles méthodes, vous les réfutez ! Or l’évolution de l’agriculture viendra de celle des technologies et de la résistance variétale. (Mme Monique de Marco s’exclame.) Tout cela, vous ne voulez pas en entendre parler ! À mes yeux, c’est véritablement le problème aujourd’hui.
Le second point ayant fait l’objet de critiques est le volet fiscal, qui concerne tous les producteurs, aussi bien bio que les autres, parce que chacun a besoin d’investir pour trouver de nouvelles méthodes de production.
Aujourd’hui, les producteurs perçoivent des recettes tellement insuffisantes qu’ils ne peuvent plus investir, ce qui est un problème essentiel. Disposer d’une épargne consacrée aux agriculteurs permettra, je l’espère, de rapprocher ces derniers de l’ensemble des habitants du pays.
L’innovation doit également être encouragée, tout comme la productivité et la protection de l’environnement. Pourquoi être systématiquement contre la productivité ? Pourquoi être systématiquement contre l’utilisation de l’eau, alors que, depuis vingt ans, les gouvernements s’acharnent à mettre les rivières à sec et à vider les nappes phréatiques par siphonnage ? Et aujourd’hui, après avoir provoqué l’incendie, on crie au feu !
Faire montre d’un peu moins de doctrine et d’un peu plus de réalisme serait utile si nous voulons passer l’été prochain avec suffisamment d’eau pour répondre aux besoins de l’ensemble des citoyens français et des agriculteurs.
Je voudrais dire quelques mots des salariés agricoles. J’entends bien qu’il ne faut surtout pas remettre au travail les salariés… (Exclamations sur les travées des groupes GEST et CRCE.)