III. LE RÔLE CENTRAL DE L'HYDROGÈNE

A. ASSURER LA DISPONIBILITÉ DES RESSOURCES NÉCESSAIRES À LA PRODUCTION DE L'HYDROGÈNE À DESTINATION DU SECTEUR AÉRIEN

La production d'hydrogène décarboné revêt une importance centrale pour la réussite de la décarbonation du secteur aéronautique. En effet, elle joue un rôle déterminant non seulement dans le développement futur des avions à hydrogène, mais également dans la production de deux des trois catégories de carburants d'aviation durables : les e-biocarburants et le e-kérosène.

Ainsi que le souligne une note scientifique de l'OPECST consacrée à la production d'hydrogène136(*), la « voie privilégiée pour produire de l'hydrogène bas carbone consiste à utiliser l'énergie électrique pour extraire - par électrolyse - l'hydrogène présent dans l'eau ». Les techniques alternatives sont en effet coûteuses, complexes ou peu matures, à l'exception de la pyrolyse du méthane et de la production d'hydrogène à partir de biomasse, en cours d'industrialisation.

En 2022, 0,1 % seulement des 92 millions de tonnes d'hydrogène produites dans le monde était généré par électrolyse. 62 % étaient produits par vaporeformage du gaz naturel, 21 % à partir de charbon et 16 % en tant que sous-produit de l'industrie pétrochimique137(*). Comme le montre le graphique ci-après, ces proportions ont peu évolué ces dernières années, malgré la croissance de la production.

Source : Agence internationale de l'énergie

Comme l'a relevé Patrick Ledermann lors de l'audition de l'Académie des technologies, la production massive d'hydrogène décarboné dans le monde suppose que soient remplies plusieurs conditions, touchant à la puissance installée en électrolyseurs ainsi qu'aux quantités d'eau et d'électricité décarbonée disponibles : il faut environ 9 litres d'eau et en moyenne 55 kilowattheures pour produire 1 kilogramme d'hydrogène138(*).

De plus, il est préférable que l'électricité ne soit pas intermittente, compte tenu de la nécessité d'amortir un électrolyseur sur une durée annuelle de fonctionnement assez longue, d'au moins 5 000 heures, l'optimum se situant au-delà de 8 000 heures139(*), mais aussi en raison de la sensibilité de certains électrolyseurs aux variations de l'alimentation électrique140(*).

La capacité à produire de nouveaux électrolyseurs ne constitue pas, à l'heure actuelle, un goulet d'étranglement au niveau mondial, car elle excède très largement la demande : fin 2024, elle devrait se situer aux alentours de 54,3 gigawatts sur l'année, alors que la demande serait d'environ 4,3 gigawatts141(*).

Électrolyseurs : capacité de production (bleu) et demande (mauve)

Source : BloombergNEF

Mais ce déséquilibre pourrait mettre en péril les constructeurs nationaux, puisque la France dispose de plusieurs entreprises de pointe dans ce domaine : Mc Phy pour les électrolyseurs alcalins, Elogen pour les électrolyseurs à membranes échangeuses de protons (PEM), Genvia pour les électrolyseurs à oxydes solides (SOEC) fonctionnant à haute température142(*) et Gen-Hy pour les électrolyseurs alcalins à échange d'anions (AEM). Ces quatre constructeurs ont tous des projets de très grandes usines (gigafactories) d'électrolyseurs sur le territoire national.

Cette situation découle tout à la fois d'une demande en hydrogène décarboné en retrait par rapport aux ambitions nationales et européennes, du temps relativement long nécessaire à la mise en service de nouvelles installations industrielles et de conditions économiques moins favorables que par le passé, en particulier avec la hausse des taux d'intérêt.

D'après l'étude Sisyphe publiée en mars 2024 par le CEA143(*), la demande européenne d'hydrogène décarboné ne serait que de 2,5 millions de tonnes en 2030 et de 9 millions de tonnes en 2040, alors que l'objectif du plan REPowerEU la positionnait à 20 millions de tonnes en 2040.

Avec la sidérurgie, le transport aérien serait l'un des deux secteurs les plus demandeurs en hydrogène décarboné sur la période 2030-2040 et représenterait à lui seul plus de la moitié de la demande à partir de 2035. A contrario, les secteurs de la chimie, de la pétrochimie, du raffinage, de la production de chaleur ou des transports maritime et routier seraient moins moteurs en termes de demande.

Les conclusions de cette étude sont plutôt positives pour le secteur aérien, puisqu'elles semblent indiquer que la concurrence d'usage de l'hydrogène décarboné restera relativement mesurée d'ici 2040.

L'Académie des technologies estime le besoin en carburants d'aviation durables de la France à 0,5 million de tonnes en 2030, 3 millions de tonnes en 2040 et 6 millions de tonnes en 2050144(*). Elle évalue la quantité d'hydrogène nécessaire pour la production du e-biocarburant et du e-kérosène correspondant ainsi que pour son usage direct dans l'aviation à environ 130 000 tonnes en 2030, 600 000 tonnes en 2040 et, au maximum, 2 685 000 tonnes en 2050145(*).

En regard de ce besoin, l'Académie des technologie estime que l'installation de 6,5 gigawatts d'électrolyseurs d'ici 2030 et 10 gigawatts d'ici 2035, prévue par le plan Hydrogène français146(*), devrait permettre la production par électrolyse de 0,8 million de tonnes d'hydrogène dès 2030 et 1,3 million de tonnes dès 2035, ce qui permettrait très largement de répondre jusqu'en 2040 aux besoins de l'aviation et des autres secteurs consommateurs d'hydrogène, quitte à compléter par d'autres modes de production décarbonés ou par des importations147(*).

Enfin, pour satisfaire ses besoins en CAD, la France devra disposer d'environ 2 TWh d'électricité en 2030 et 50 TWh en 2040, sous réserve de pouvoir également mobiliser 6,7 millions de tonnes de biomasse sèche, ou de 2 TWh d'électricité en 2030 et 71 TWh en 2040 si seulement 4 millions de tonnes de biomasse sèche peuvent être mobilisés.

L'Académie des technologies considère qu'il sera possible d'utiliser, dans un premier temps, l'électricité excédentaire des générateurs bas-carbone : nucléaire, éolien et solaire, disponible avec un taux de confiance supérieur à 70 %. À partir de 2035, de nouveaux moyens de production d'électricité décarbonée devront être mis en place pour répondre au besoin.


* 136 Longuet G., Les modes de production de l'hydrogène - note scientifique n°25, OPECST, avril 2021.

* 137 Global Hydrogen Review 2023, Agence internationale de l'énergie, décembre 2023.

* 138 Longuet G., Les modes de production de l'hydrogène - note scientifique n°25, OPECST, avril 2021.

* 139 Ibid.

* 140 Wang X., Electrolyser Manufacturing 2024 : Too Many Fish in a Tiny Pond, BloombergNEF, mars 2024.

* 141 Ibid.

* 142 Longuet G., Les modes de production de l'hydrogène - note scientifique n°25, OPECST, avril 2021.

* 143 Étude SISYPHE : dynamique de la demande européenne en hydrogène électrolytique bas carbone d'ici 2040, CEA, mars 2024.

* 144 La décarbonation du secteur aérien par la production de carburants durables, Académie des technologies, février 2023.

* 145 Y aura-t-il trop d'électrolyseurs en 2035 en Farnce pour la demande prévisible ?, Académie des technologies, 31 janvier 2024.

* 146 Stratégie nationale pour le développement de l'hydrogène décarboné en France, 8 septembre 2020.

* 147 Ibidem.

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