N° 2703

 

N° 650

ASSEMBLÉE NATIONALE

 

SÉNAT

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

SESSION ORDINAIRE 2023 - 2024

Enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale

 

Enregistré à la présidence du Sénat

le 30 mai 2024

 

le 30 mai 2024

RAPPORT

au nom de

L'OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION

DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

sur

La décarbonation du secteur de l'aéronautique

PAR

M. Jean-François PORTARRIEU, député, et M. Pierre MÉDEVIELLE, sénateur

Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale

par M. Pierre HENRIET,

Premier vice-président de l'Office

 

Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Stéphane PIEDNOIR

Président de l'Office

Composition de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques
et technologiques

Président

M. Stéphane PIEDNOIR, sénateur

Premier vice-président

M. Pierre HENRIET, député

Vice-présidents

M. Jean-Luc FUGIT, député

M. Victor HABERT-DASSAULT, député

M. Gérard LESEUL député

Mme Florence LASSARADE, sénatrice

Mme Anne-Catherine LOISIER, sénatrice

M. David ROS, sénateur

DÉPUTÉS

SÉNATEURS

Mme Christine ARRIGHI

M. Philippe BERTA

M. Philippe BOLO

Mme Maud BREGEON

M. Hendrik DAVI

Mme Olga GIVERNET

M. Maxime LAISNEY

M. Aurélien LOPEZ-LIGUORI

M. Yannick NEUDER

M. Jean-François PORTARRIEU

Mme Mereana REID ARBELOT

M. Alexandre SABATOU

M. Jean-Philippe TANGUY

Mme Huguette TIEGNA

M. Arnaud BAZIN

Mme Martine BERTHET

Mme Alexandra BORCHIO FONTIMP

M. Patrick CHAIZE

M. André GUIOL

M. Ludovic HAYE

M. Olivier HENNO

Mme Sonia de LA PROVÔTÉ

M. Pierre MÉDEVIELLE

Mme Corinne NARASSIGUIN

M. Pierre OUZOULIAS

M. Daniel SALMON

M. Bruno SIDO

M. Michaël WEBER

SAISINE

SYNTHÈSE

Le secteur aéronautique joue un rôle de premier plan dans l'économie mondiale, puisqu'il facilite le commerce international, le tourisme et les échanges culturels. Il est cependant un contributeur significatif aux émissions de gaz à effet de serre, responsables du changement climatique. Faute d'une action résolue, l'impact du secteur aéronautique pourrait augmenter considérablement, tant en termes absolus que relatifs, du fait de la croissance du trafic aérien prévue dans les prochaines décennies. Malgré la baisse concomitante des émissions dans d'autres secteurs, ceci mettrait en péril les efforts de limitation du réchauffement climatique.

Saisi par les commissions des affaires économiques ainsi que du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale, l'Office a évalué les avancées technologiques et les développements industriels et opérationnels susceptibles de faciliter la décarbonation du secteur de l'aéronautique. Le rapport1(*) formule plusieurs recommandations destinées à développer la production des carburants d'aviation décarbonés, à soutenir la recherche et l'innovation et à préparer les infrastructures nécessaires au développement de l'aviation décarbonée.

1. L'impact de l'aviation sur le climat

Le secteur aéronautique a connu un rapide développement depuis le début du XXe siècle. Le trafic aérien mondial devrait continuer à croître à un rythme soutenu, probablement supérieur à 3 % par an, dans les décennies à venir, notamment en Asie-Pacifique et au Moyen-Orient.

Les moteurs d'avions à turbine utilisent des carburants à base de kérosène. Celui-ci émet, tout au long de son cycle de vie, 3,75 kg de CO2 par kilogramme consommé. D'autres produits issus de la combustion du kérosène, comme la vapeur d'eau et les oxydes d'azote (NOx) ont également des impacts sur le climat, qui sont appelés « effets non-CO2 » et dont l'ampleur exacte n'est pas connue précisément.

Soumis à une forte concurrence, le secteur aérien a toujours cherché à baisser sa consommation de carburant. Toutefois, cette réduction a été plus que compensée par la croissance rapide du trafic aérien. Ainsi, depuis 1973, l'intensité énergétique de l'aviation a diminué de 79 % mais le trafic aérien a augmenté de 1 236 %, si bien que les émissions de CO2 se sont accrues globalement de 176 %.

À ce jour, le secteur est directement responsable de 2 % à 3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, ce qui est comparable aux émissions d'un pays comme l'Allemagne. Si rien n'est fait, avec la poursuite de la croissance du trafic et la décarbonation des autres secteurs économiques, cette part devrait augmenter fortement dans les années à venir.

Une prise de conscience des acteurs du secteur

Les acteurs du secteur aéronautique ont engagé des démarches de réduction des émissions de gaz à effet de serre. L'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) a adopté en 2008 un objectif de croissance du trafic « neutre en carbone » à partir de 2020, puis en 2022 un objectif « net zéro » pour 2050. L'Union européenne s'est donné une feuille de route à travers le Pacte vert adopté en 2019 et le paquet climat « Fit for 55 » adopté en 2023.

En France, la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets - dite loi Climat et résilience -a conduit à élaborer une « feuille de route de décarbonation de l'aérien », sous l'égide de la DGAC et du GIFAS, qui présente plusieurs scénarios et formule des recommandations pour la filière et pour l'État.

2. Les technologies et innovations pour la décarbonation

a. L'électrification de l'aviation

L'électrification de l'aviation présente plusieurs atouts : l'absence complète d'émissions en vol, des coûts d'exploitation limités en termes de carburant et de maintenance, la réduction du bruit et la possibilité d'une propulsion distribuée sur la voilure, qui permet de réduire la consommation de 20 % à 30 % et accroît la portance à basse vitesse.

Mais elle se heurte à un obstacle majeur : une densité énergétique massique des batteries trop faible, de 250 Wh/kg pour la technologie Li-ion, soit 48 fois moins que celle du kérosène. D'après une étude récente de la NASA, il faudrait qu'elle atteigne au moins 400 Wh/kg et 750 Wh/kg pour répondre aux besoins respectifs des aviations générale et régionale.

De ce fait, l'avion 100 % électrique sera, dans un premier temps, limité au transport d'un petit nombre de passagers sur de courtes distances. Les premiers avions électriques commercialisés sont d'ailleurs des biplaces destinés à la formation des pilotes.

Les taxis volants électriques (eVTOL ou Electrical Vertical Take-Off and Landing aircraft) sont un autre champ d'application de l'électrification. Mais ces aéronefs à décollage vertical sont surtout destinés à remplacer le transport terrestre et ne contribuent donc pas directement à la décarbonation de l'aviation.

Les avions hybrides associent propulsions électrique et thermique afin de s'affranchir des limites du « tout électrique » et de combiner les avantages des deux modes, par exemple en décollant et en atterrissant en mode électrique et en réservant la motorisation thermique au vol en régime de croisière.

Les avions hybrides en cours de développement par des start-up françaises et étrangères pourront emporter quelques dizaines de passagers sur des distances de plusieurs centaines de kilomètres, à un coût par passager qui devrait être significativement inférieur à celui des avions actuels, ce qui favorisera le développement de l'aviation régionale.

b. Les perspectives de l'hydrogène

L'hydrogène peut être utilisé de deux façons pour propulser un avion. D'une part, il peut alimenter une pile à combustible qui génère de l'électricité pour entraîner un moteur électrique, en n'émettant que de l'eau. D'autre part, il peut être brûlé dans un turboréacteur, à la place du kérosène, auquel cas il émet de la vapeur d'eau mais aussi des oxydes d'azote (NOx).

À l'inverse des batteries, la densité énergétique massique de l'hydrogène est 3 fois supérieure à celle du kérosène. Toutefois, sa densité énergétique volumique est 3 000 fois inférieure. Il doit donc être stocké soit sous forme gazeuse à très haute pression, par exemple 700 bars, soit sous forme liquide à une température inférieure à - 253,6° C ; ceci nécessite des réservoirs lourds et encombrants.

De ce fait, les avions à hydrogène pourront difficilement franchir de très longues distances.

La conception d'un avion à propulsion hydrogène pose de multiples difficultés techniques, notamment sur le plan de la sécurité : intégration des réservoirs, confinement sûr de l'hydrogène, distribution du fluide au sein de l'avion, etc.

De plus, l'exploitation d'une flotte d'avions à hydrogène nécessiterait que celui-ci puisse être disponible non seulement dans quelques grands aéroports, mais aussi dans ceux vers lesquels des avions seraient susceptibles d'être déroutés en cas de difficulté.

Si aucun de ces obstacles n'apparaît a priori insurmontable, les résoudre demandera du temps, tout comme la certification d'un avion à hydrogène. Des entreprises de toutes tailles, du leader mondial Airbus aux start-up, en France comme à l'étranger, travaillent sur la conception d'avions à hydrogène et, pour certaines, font déjà voler des prototypes.

c. L'innovation dans la conception et l'efficacité des avions

Les propulsions électrique, hybride et hydrogène n'étant adaptées qu'aux liaisons court- et moyen-courriers, les technologies actuelles continueront à être utilisées pour les vols long-courriers, qui génèrent plus de la moitié des émissions de CO2 de l'aviation.

Pour décarboner ces liaisons, plusieurs solutions existent. Il est possible de diminuer d'à peu près un quart la consommation des avions, donc leurs émissions de CO2, en améliorant leur efficacité énergétique, notamment en réduisant leur masse, en perfectionnant leur aérodynamique ou en optimisant le rendement thermique et propulsif des moteurs.

Les avions peuvent être sensiblement allégés, tant pour les structures (fabrication additive, substitution de matériaux composites aux matériaux métalliques) que pour le câblage servant à la transmission de données (multiplexage, fibre optique ou technologies sans-fil).

L'aérodynamique peut être améliorée en réduisant la traînée induite par l'ajout de winglets en bout d'ailes ou l'allongement de ces dernières, et en diminuant la traînée de frottement, par la conception de voilures laminaires, améliorant l'écoulement de l'air, ou par l'intégration motrice à la carlingue.

Pour améliorer l'efficacité des moteurs, il est possible d'agir sur leurs rendements thermique et propulsif.

L'augmentation du rendement thermique peut être obtenue en modifiant la conception de la chambre de combustion ou par un accroissement de la température en sortie de celle-ci, qui suppose d'utiliser de nouveaux matériaux comme les composites à matrice céramique.

L'amélioration du rendement propulsif est obtenue principalement par l'augmentation du taux de dilution, notamment en agrandissant la taille de la soufflante. Le taux de dilution des turboréacteurs est ainsi passé de 2:1 dans les années 1970 à 12:1 dans les années 2010 et pourrait atteindre 25:1 à 30:1 pour la prochaine génération de turboréacteurs.

d. L'optimisation des opérations en vol et au sol

Enfin, l'efficacité énergétique globale des aéronefs peut être améliorée d'environ 10 % en optimisant les opérations en vol et au sol.

En vol, les travaux portent sur l'adaptation des trajectoires aux conditions internes et externes à l'avion. De nouveaux systèmes d'aide à la navigation faisant appel à l'intelligence artificielle seront à même de prendre en compte les paramètres pertinents et de proposer aux pilotes une trajectoire optimale.

Au sol, les principales pistes d'amélioration consistent à électrifier certaines fonctions lors du stationnement, comme le chauffage ou la climatisation, et à n'utiliser qu'un seul moteur en phase de roulage (SETI/SETO) ou à électrifier celle-ci.

3. Les carburants d'aviation durables (CAD)

a. Le rôle essentiel des carburants d'aviation durable

La mesure la plus importante pour réduire les émissions des avions à motorisation thermique consiste à substituer tout ou partie du kérosène d'origine fossile par des carburants d'aviation durables (CAD), aussi appelés SAF (pour Sustainable Aviation Fuel).

Il en existe deux grandes catégories, en fonction de l'origine du carbone et de l'hydrogène dont ils sont constitués :

· dans les biocarburants, le carbone et l'hydrogène proviennent de matières organiques, comme les plantes, les huiles ou les résidus forestiers ;

· dans les e-carburants (ou carburants de synthèse), le carbone provient du dioxyde de carbone capturé, directement dans l'air ou dans une installation industrielle ou agricole. L'hydrogène doit être généré, en particulier par électrolyse, à partir d'énergies décarbonées, comme l'éolien, le solaire ou le nucléaire.

b. Les mandats d'incorporation de l'Union européenne et la certification des CAD

Le 13 septembre 2023, l'Union européenne a adopté la réglementation ReFuel EU qui fixe des mandats d'incorporation des CAD pour les vols internes : leur part totale doit passer de 2 % en 2025 à 70 % en 2050, et pour le sous-ensemble des e-carburants, de 1,2 % en 2030 à 35 % en 2050.

ReFuel EU retient une définition restrictive des CAD, qui introduit des limitations sur la provenance des matières premières, afin de prendre en compte des enjeux éthiques et sociétaux.

A contrario, des pays tels que les États-Unis, le Japon ou le Canada n'ont pas fixé de tels mandats, même s'ils partagent un objectif ambitieux d'incorporation de 10 % de carburants d'aviation durables en 2030.

Les carburants d'aviation durables doivent par ailleurs être certifiés par l'ASTM International, qui vérifie qu'ils sont compatibles avec les moteurs d'aviation. À ce jour, sept filières de production de CAD sont certifiées dans le cadre de la norme ASTM D7566, qui impose des contraintes de composition et de propriétés thermo-physiques (point de fusion, ébullition, etc.) et encadre l'origine des hydrocarbures synthétiques et le procédé de raffinage utilisé.

Dans ce cadre, l'incorporation de CAD dans le kérosène est limitée à 50 %, en raison de l'absence de molécules aromatiques, indispensables au maintien de l'étanchéité des joints des moteurs. Les moteurs de nouvelle génération seront conçus pour permettre une incorporation à 100 %.

Les molécules aromatiques étant les principales responsables des traînées de condensation des avions, l'usage des CAD devrait réduire les effets non-CO2. Les e-carburants étant exempts des impuretés présentes dans les biocarburants, cette réduction devrait être encore plus marquée dans leur cas.

c. L'impact sur les compagnies aériennes

Le coût des biocarburants matures sur un plan technique est 3 à 4 fois plus élevé que celui du kérosène d'origine fossile et celui des e-carburants est 4 à 10 fois plus élevé. D'après l'ADEME, à l'horizon 2050, le coût des CAD demeurerait environ 2,5 fois plus élevé que celui du kérosène. Le carburant représentant environ le quart des coûts opérationnels des compagnies aériennes, la substitution complète du kérosène par les CAD conduirait à une hausse du prix des billets des vols long-courriers de l'ordre de 35 %.

d. En France, une production de CAD limitée par les ressources disponibles

Les ressources disponibles en France pour la production de biocarburants devraient permettre de répondre à l'essentiel des besoins de l'aviation jusqu'en 2030-2035.

En effet, le gisement annuel des ressources durables lipidiques est de 0,5 million de tonnes (Mt), dont 0,3 Mt sont collectées, ce qui permettrait de produire 0,25 Mt/an de CAD. Le gisement de biomasse ligno-cellulosique représente quant à lui 67 Mt ; en mobiliser 10 % permettrait de produire 1,8 Mt/an de CAD.

Le complément nécessaire sera fourni par les e-carburants, qui deviendront majoritaires dans l'approvisionnement en CAD à partir de 2040. Dans ce domaine, la France bénéficie de deux atouts.

D'une part, c'est l'un des rares pays en Europe, avec la Norvège et la Suède, à disposer d'une électricité suffisamment décarbonée pour produire utilement des e-carburants : sur leur cycle de vie, les e-carburants français seront 10 fois moins émetteurs de gaz à effet de serre que le kérosène, alors que des e-carburants produits avec le mix énergétique européen moyen seraient plus émetteurs que le kérosène.

D'autre part, plusieurs entreprises françaises sont en pointe dans le domaine des électrolyseurs indispensables à la production d'hydrogène décarboné. Par contre, la France est en retard sur les technologies de capture du carbone, en particulier par rapport aux États-Unis et à l'Allemagne.

L'installation de 6,5 gigawatts d'électrolyseurs d'ici 2030 et de 10 gigawatts d'ici 2035, prévue dans le cadre du Plan hydrogène, devrait permettre de produire par électrolyse 0,8 Mt d'hydrogène dès 2030 et 1,3 Mt dès 2035, ce qui devrait très largement permettre de répondre aux besoins de l'aviation et des autres secteurs consommateurs d'hydrogène jusqu'en 2040.

Globalement, pour satisfaire ses besoins en CAD, la France devra disposer d'environ 2 TWh d'électricité en 2030 et 50 TWh en 2040 si elle peut mobiliser 6,7 Mt de biomasse sèche, ou de 2 TWh d'électricité en 2030 et 71 TWh en 2040 si seulement 4 Mt de biomasse sèche peuvent être mobilisés.

La mise en place de nouveaux moyens de génération d'électricité décarbonée en quantité suffisante sera donc indispensable à la production des carburants d'aviation durables à l'horizon 2040.

INTRODUCTION

Le 7 mars 2023, la commission des affaires économiques et la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale ont saisi l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) « d'une étude visant à évaluer les avancées technologiques et les développements industriels et opérationnels susceptibles de permettre la décarbonation du secteur de l'aéronautique ». L'Office a confié cette étude à M. Jean-François Portarrieu, député, et M. Pierre Médevielle, sénateur, le 23 mars 2023.

Les rapporteurs ont suivi une démarche d'investigation conforme aux pratiques habituelles de l'Office, en procédant à une large consultation des parties prenantes. À l'occasion d'auditions et de plusieurs déplacements en France ainsi que d'un déplacement aux États-Unis, ils ont rencontré plus de 100 chercheurs, universitaires, associations, acteurs institutionnels et industriels français et étrangers.

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Le secteur aéronautique joue un rôle de premier plan dans l'économie mondiale, puisqu'il facilite le commerce international, le tourisme et les échanges culturels. Cependant, ce secteur est également un contributeur significatif aux émissions de gaz à effet de serre responsables du changement climatique. Avec la croissance du trafic aérien prévue dans les prochaines décennies et la baisse concomitante des émissions dans d'autres secteurs, l'impact du secteur aéronautique devrait augmenter considérablement, tant en termes absolus que relatifs, mettant en péril les efforts de limitation du réchauffement climatique.

Les enjeux environnementaux de l'aviation sont multiples. Ses émissions de CO2 contribuent directement à l'effet de serre et au changement climatique. D'autres émissions, telles que les oxydes d'azote (NOx) et les particules fines, ont également un impact sur le climat, tout comme la qualité de l'air, en particulier à proximité des aéroports. Enfin, le bruit généré par les avions est une source de nuisance pour les populations, avec des effets démontrés en termes de santé et de qualité de vie. Lors de leurs entretiens aux États-Unis, les rapporteurs ont relevé l'accent mis par leurs interlocuteurs sur ce dernier inconvénient.

Sur le plan économique, la décarbonation de l'aviation devrait avoir des impacts majeurs. Les investissements nécessaires pour la recherche, le développement et le déploiement de technologies propres sont considérables. Cependant, ces investissements peuvent stimuler l'innovation, créer de nouveaux emplois et ouvrir de nouveaux marchés, permettant aux pionniers d'aujourd'hui de prétendre devenir les leaders de demain.

Pour expliciter l'ampleur du défi, les rapporteurs se sont attachés à dresser un état des lieux précis et actualisé des émissions de gaz à effet de serre générées par le secteur de l'aviation. Cela inclut l'évaluation des tendances actuelles, l'impact environnemental des opérations aériennes et la part de l'aviation dans les émissions globales de CO2.

Ils ont également cherché à identifier les technologies et innovations prometteuses pouvant contribuer à réduire les émissions du secteur : utilisation de carburants alternatifs, tels que les biocarburants et l'hydrogène, avancées dans la conception des avions pour une efficacité énergétique accrue, potentiel des systèmes de propulsion décarbonés, etc.

C'est sur la base de ces analyses que les rapporteurs ont formulé des recommandations destinées à accélérer la décarbonation de l'aviation, tout en préservant les atouts de la France dans ce secteur industriel majeur.

PREMIÈRE PARTIE
ÉTAT DES LIEUX DE L'AVIATION ET DE SON IMPACT ENVIRONNEMENTAL

I. UN SECTEUR INTERNATIONAL ET INNOVANT

A. UNE ÉVOLUTION RAPIDE DEPUIS UN SIÈCLE

1. Les premiers balbutiements de la conquête de l'air

Les débuts de la conquête de l'air remontent à la fin du XVIIIe siècle, avec le développement des ballons à air chaud par les frères Joseph-Michel et Jacques-Étienne Montgolfier. En 1783, le premier vol habité en ballon a lieu à la Folie Titon. Cette première incursion dans le ciel est suivie de progrès dans le domaine des engins plus légers que l'air, notamment avec les dirigeables, qui utilisent des gaz légers tels que l'hydrogène pour s'élever. Bien que prometteurs pour le transport de passagers et de marchandises comme pour les applications militaires, les dirigeables voient leur développement freiné par leurs performances limitées, leur relative fragilité et les risques mis en évidence par des catastrophes telles que l'incendie du Hindenburg en 1937.

2. Les pionniers des engins « plus lourds que l'air »

La véritable genèse de l'aviation moderne commence avec les frères Orville et Wilbur Wright. Le 17 décembre 1903, à Kitty Hawk, en Caroline du Nord, ils effectuent le premier vol contrôlé et prolongé d'un aéronef motorisé plus lourd que l'air sur le Flyer, une machine volante qu'ils ont conçue et réalisée.

Quelques années plus tôt, en 1890, près de Paris, Clément Ader est probablement déjà parvenu à faire décoller sur quelques mètres un engin plus lourd que l'air motorisé : l'avion Éole, dont les ailes sont inspirées de celles des chauves-souris. Mais la conception de l'appareil, en particulier l'absence de gouverne de direction efficace, ne permettait pas un vol stable et contrôlé.

Après l'exploit des frères Wright, les vols et les progrès s'enchaînent aussi bien en France qu'aux États-Unis. Le 25 juillet 1909, Louis Blériot effectue la première traversée de la Manche à bord d'un avion monoplan léger de sa conception : le Blériot Type XI. Cet appareil, produit jusqu'en 1931, fut le premier avion utilisé à des fins militaires, le 23 octobre 1911, durant la guerre italo-turque, pour un vol de reconnaissance au-dessus de Tripoli.

3. L'impact de la Première guerre mondiale sur l'évolution de l'aviation

La Première guerre mondiale accélère le développement des technologies aéronautiques en initiant une compétition intense entre les belligérants, qui permet d'étendre les applications militaires de l'aviation de la reconnaissance à la chasse aérienne, en passant par l'appui rapproché au sol et le bombardement. Les fragiles aéronefs du début du conflit laissent la place à des machines beaucoup plus robustes et plus puissantes, dotées d'un fuselage métallique, capables d'atteindre des vitesses relativement élevées et d'effectuer des manoeuvres complexes.

4. Les années 1920-1930, âge d'or de l'aviation

Après la guerre, ces avancées technologiques sont transposées dans le domaine civil et les pilotes démobilisés sont engagés par les premières compagnies aériennes. En 1927, le vol transatlantique en solitaire de Charles Lindbergh à bord du Spirit of Saint Louis accroît l'intérêt du public pour l'aviation. Au cours de cette période, le développement de moteurs plus efficaces et l'introduction des premiers avions de ligne modernes, tels que le Boeing 247 ou le Douglas DC-3, révolutionnent le transport aérien commercial en permettant des voyages plus sûrs, plus rapides et plus confortables. Ces progrès contribuent à la croissance des compagnies aériennes, en particulier aux États-Unis.

5. La Seconde guerre mondiale, une étape décisive

Durant la Seconde guerre mondiale, des technologies aussi révolutionnaires que les radars ou les turboréacteurs sont développées. Le passage de l'hélice au moteur à réaction permet des vols à haute altitude, à des vitesses proches de 800 kilomètres par heure2(*). Ces nouvelles conditions de vol imposent aux ingénieurs de revoir intégralement la conception des avions : forme, matériaux, manoeuvre de décollage, pressurisation, etc.

6. L'essor de l'aviation commerciale moderne

Après la guerre, les industriels rentabilisent les efforts financiers et technologiques fournis durant le conflit3(*). Face à ces évolutions, la première conférence internationale de l'aviation civile se tient en 1944 à Chicago. Elle voit la création de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) qui assure, encore aujourd'hui, la coordination du secteur aéronautique mondial. Cette conférence permet également de fixer les premières normes de sécurité aérienne, ouvrant la voie à une nouvelle accélération du développement de l'aéronautique.

En effet, les progrès techniques et le nouveau cadre réglementaire international permettent le développement à grande échelle du marché du transport commercial, en particulier de passagers. Les chocs pétroliers de la décennie 1970 incitent les compagnies aériennes à densifier les vols et les routes aériennes, afin de contenir les coûts et améliorer la rentabilité.

À la fin des années 1970, le trafic aérien croît à un rythme annuel moyen de 5 %, porté par une baisse constante des coûts par kilomètre et par passager. Cette évolution permet la démocratisation du voyage aérien, qui constitue la troisième révolution de l'aéronautique.

Évolution du trafic aérien depuis les années 1930

(unité en ordonnées : « T » = « tera » = 1012)

L'indicateur ASK ou « available seat kilometers » correspond à la capacité aérienne disponible (produit du nombre de sièges disponibles et du nombre de kilomètres parcourus).
L'indicateur RPK ou « passenger seat kilometers » désigne le nombre de kilomètres réellement parcourus par les clients.

7. Une baisse drastique de la consommation unitaire de carburant compensée par une hausse plus rapide du trafic aérien

Pour résister à la concurrence et abaisser la consommation de carburant des appareils, les avionneurs innovent constamment. Ils proposent des modèles de plus en plus légers et performants, en modifiant la taille ou la forme des ailes, les matériaux ou encore en améliorant les performances du moteur.

Ainsi, depuis les premiers avions à réaction du début des années 1970, la consommation de carburant par kilomètre et par passager a baissé de 80 %. Avec la mise en service des avions de dernière génération (familles Airbus A320 neo, A330 neo, A350, Boeing B737 MAX et B787), elle est inférieure, par passager, à 3 litres aux 100 kilomètres.

Cependant, sur la même période, le trafic aérien a été multiplié par 13. Les émissions de CO2 du trafic aérien ont donc quasiment triplé depuis les années 1970.

Il est généralement admis que l'aviation commerciale (avions de ligne et avions cargo) représente à ce jour environ 2 % à 3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, soit l'équivalent de celles d'un pays comme l'Allemagne ou de la production industrielle mondiale d'un gaz tel que l'hydrogène.

Émissions mondiales de gaz à effet de serre par secteur en 2016

Source : Hanna Ritchie d'après des données de Climate Watch, de World Ressources Institute

B. L'ÉTAT ACTUEL DU TRAFIC AÉRIEN

1. Usage commercial, militaire et privé

Le transport commercial de passagers représente 71 % de la consommation de carburant de l'aviation. En 2019, en France, l'avion était utilisé pour 9 % de l'ensemble des voyages et 79 % des voyages de 900 kilomètres ou plus4(*).

Le fret aérien consomme 17 % du carburant d'aviation au niveau mondial. Ce mode de transport présente de nombreux avantages : il permet d'éviter certaines frontières, de se rendre dans des endroits inaccessibles autrement ; il est rapide et sûr. Cependant, il reste très onéreux, si bien qu'il est réservé au transport de marchandises à haute valeur ajoutée (équipement électronique, oeuvres d'art, produits de luxe, etc.). Il représente 35 % des échanges de marchandises en valeur mais seulement 1 % en volume.

L'aviation militaire contribue à 8 % de la consommation de kérosène mondiale. En France, les forces armées disposent d'une composante aérienne (armée de l'air), et des avions militaires sont également affectés à la force marine, dotée d'une aéronautique navale.

L'aviation d'affaires, qui consomme 4 % du carburant d'aviation, recouvre l'utilisation d'avions par des entreprises et des individus pour le transport privé, à des fins commerciales ou personnelles, en dehors des services aériens commerciaux réguliers. Sauf exception, ces avions comportent moins de vingt sièges. En 2021, environ 70 % des trajets en jets privés en Europe ont été effectués pour des motifs professionnels5(*).

L'aviation d'affaires permet un accès direct à des destinations multiples et souvent moins accessibles, offrant ainsi un avantage significatif en termes de gain de temps, de flexibilité et d'efficacité pour les affaires. La France est le premier marché d'Europe en termes de mouvements de jets privés. Les États-Unis et l'Europe drainent 90 % de l'activité du marché mondial et exploitent 77 % de la flotte mondiale de jets privés.

Source :S. Gössling et A. Humpe, « The global scale, distribution and growth of aviation : Implications for climate change », Global Environmental Change, novembre 2020

2. Trajets en avion : régional, court, moyen, long-courrier ; domestique ou international

Les compagnies aériennes proposent une gamme variée de services aériens, organisés selon des critères géographiques et de distance. Ces services se déclinent principalement en trois catégories : le transport domestique, caractérisé par des opérations aériennes au sein des frontières nationales, le transport régional, qui vise à connecter des passagers de petites et moyennes agglomérations à des hubs aéroportuaires majeurs dans un rayon de 100 à 400 kilomètres, et le transport international, qui établit des liaisons entre différents pays, voire continents.

La classification des vols en court, moyen et long-courrier est sujette à des variations, en l'absence de critères standardisés. En général, les vols court-courriers couvrent des distances n'excédant pas 500 kilomètres, les vols moyen-courriers s'étendent entre 500 et 5 000 kilomètres et les vols long-courriers excèdent cette distance. La définition précise de ces catégories peut varier selon les compagnies aériennes et les types d'appareils. Le record mondial du plus long vol commercial est détenu depuis le 15 mai 2020 par la compagnie aérienne française French Bee reliant Papeete à Paris sans escale sur 16 129 kilomètres en 16 heures et 45 minutes. La liaison directe envisagée entre Londres et Sydney, couvrant une distance de 18 000 kilomètres en environ 20 heures, illustre la capacité d'extension des opérations aériennes long-courrier.

Au niveau mondial, les vols commerciaux se répartissent entre un tiers de vols domestiques et deux tiers de vols internationaux. En France métropolitaine, les vols internationaux représentent le segment le plus dynamique : 74 % du trafic passager est international, mais seulement 38 % s'effectue en dehors de la zone Schengen.

Source : Union des Aéroports Français (UAF), 2022

Les aéroports de Paris (Paris-Charles de Gaulle et Paris-Orly) accueillent respectivement 57 millions et 29 millions de passagers par an. Ils représentent 53 % du trafic de passagers en France métropolitaine. 34 % de ce trafic s'effectue vers ou depuis des destinations situées en dehors de la zone Schengen.

Les grands aéroports régionaux reçoivent plus de 5 millions de passagers chaque année. Il s'agit des aéroports Bâle-Mulhouse, Bordeaux-Mérignac, Lyon-Saint-Exupéry, Marseille-Provence, Nantes-Atlantique, Nice-Côte d'Azur et Toulouse-Blagnac. D'autres aéroports régionaux accueillent annuellement entre 1 et 5 millions de passagers : Paris-Beauvais, Lille-Lesquin, Montpellier, Ajaccio-Napoléon Bonaparte et Bastia-Poretta. Enfin, des aéroports de proximité accueillent entre 100 000 et 1 million de passagers : Biarritz, Strasbourg, Brest, Rennes, etc.

Plus les aéroports sont petits, plus le trafic domestique est important. Il représente 54,6 % du trafic pour les aéroports de proximité, 51,6 % pour les aéroports régionaux et 35,1 % pour les grands aéroports régionaux. Les lignes domestiques françaises les plus utilisées sont : Paris-Toulouse (3,2 millions de passagers par an), Paris-Nice (idem), Paris-Marseille (1,6 million), Paris-Bordeaux (1,2 million).

3. Les différents types de voyageurs : des inégalités d'usage

Par rapport au transport ferroviaire ou routier, l'avion est un moyen de transport peu démocratisé : 40 % des Français n'ont jamais pris l'avion6(*) (environ 80 % des personnes au niveau mondial), alors que 36 % le prennent au moins une fois par an7(*). En France, en 2017, le secteur aérien représentait seulement 0,1 % des trajets, 1 % du temps de transport et 16 % des kilomètres parcourus, en incluant les voyages à l'étranger 8(*).

Source : Pouvoir voler en 2050, The Shift Project, 2021

Part de la population prenant l'avion au moins une fois par an en fonction du niveau de revenus9(*)

 

Population

Population qui vole au moins une fois dans l'année a

Nombre de passagers b

 

(en millions)

(en millions)

(en % de la population)

(en millions)

(en % de la population)

Très faibles revenus

705

5

0,7 %

23

3%

Faibles revenus

3023

91

3 %

454

15%

Revenus élevés

2656

266

10 %

1313

49%

Revenus très élevés

1210

484

40 %

2442

202%

Ensemble

7594

845

11 %

4233

56%

(a) un individu qui prend 2 fois l'avion dans l'année compte pour 1
(b) un individu qui prend 2 fois l'avion dans l'année compte pour 2

Source : S. Gössling et A. Humpe, « The global scale, distribution and growth of aviation : Implications for climate change », Global Environmental Change, novembre 2020

4. Évolution du trafic de passagers et du fret

En 2019, 180 millions de passagers ont voyagé sur 1,57 million de vols domestiques et internationaux au départ de la France, ce qui représente une multiplication par cinq du nombre de passagers par rapport à 1980, principalement du fait de l'augmentation des vols internationaux.

Cette croissance est similaire au niveau mondial : le nombre de passagers a été multiplié par huit, passant de 310 millions à 4,5 milliards entre 1970 et 2019. L'évolution a été rapide : de 5 à 6 % par an entre 2012 et 2019, avec une croissance plus forte dans les pays émergents (Asie du Sud et du Sud-Est, Émirats Arabes Unis).

Concernant le fret, en 2019, 2,2 millions de tonnes de marchandises ont été transportées en 55 900 mouvements au départ de la France, et 57,6 millions de tonnes au niveau mondial. Le fret a connu un essor important depuis une cinquantaine d'années : le trafic de marchandises (la masse transportée multipliée par la distance parcourue, en tonnes.kilomètres) a été multiplié par 14 entre 1970 et 2019, passant de 15,5 millions de t.km à 221 millions de t.km.

Source : UAF 2022 (unité = tonnes.km ; « M » = « millions »)

La crise de la Covid-19 a conduit à une baisse de 60 % du trafic de passagers entre 2019 et 2020, entraînant des pertes économiques historiques pour les compagnies aériennes et les aéroports ainsi que, dans une moindre mesure, pour les constructeurs aéronautiques. Le niveau de trafic de 2019 n'a été à nouveau atteint que trois ans plus tard, en mai 2023. Ainsi, l'indicateur de redressement du trafic aérien en France atteint le taux de 99,6 % en référence à 2019 et le trafic international représente 101,6 % de celui de mai 2019. En 2022, la demande de fret aérien avait quasiment retrouvé son niveau de 2019, mais l'Association du transport aérien international (IATA)10(*) tablait sur une baisse de volume de 5,6 % à l'échelle mondiale en 2023, principalement liée à la baisse des crédits des transporteurs.

D'après les projections du Groupe d'action du transport aérien (ATAG)11(*), la croissance globale du trafic de passagers devrait se poursuivre à un rythme annuel moyen de 3,1 % sur la période 2021-2025. Elle devrait être plus forte en Asie-Pacifique et au Moyen Orient qu'en Europe et en Amérique du Nord.

Source : ATAG 2021

Source : ATAG 2021

5. Le secteur aéronautique, atout majeur pour la France

À l'échelle mondiale, le transport aérien permet le développement des échanges économiques, le tourisme international et des liaisons entre territoires irréalisables autrement.

La France occupe une place particulière dans l'écosystème aérien. Positionnée comme première destination touristique mondiale, avec environ 90 millions de visiteurs par an, elle abrite l'aéroport Paris-Charles de Gaulle, premier aéroport français et neuvième aéroport mondial en termes de passagers (76 millions par an). Cet aéroport est le hub de deux sociétés internationales de transport de marchandises de premier plan : Fedex et DHL, ainsi que de la compagnie Air France. Dans le secteur de l'industrie, l'avionneur Airbus fournit 50 % des avions de ligne mondiaux et le motoriste Safran produit 70 % des moteurs d'avions court- et moyen-courriers.

En France, le transport aérien a joué un rôle prépondérant dans le désenclavement des territoires ultramarins, avec des vols entre l'Outre-mer et la métropole et des vols internes aux outre-mers comportant des communes insulaires. Dans un rapport du Sénat sur les Outre-Mer publié en 2009, le secteur aérien est qualifié d'essentiel pour le développement économique des territoires12(*). En 2019, un autre rapport du Sénat sur la contribution du transport aérien au désenclavement et à la cohésion des territoires considère l'avion comme un outil pertinent pour rejoindre Paris dès lors que le temps de trajet en train ou en voiture nécessite plus de quatre heures.

Par ailleurs, le secteur aérien représente une source d'emplois très importante ainsi qu'un levier de croissance pour l'économie nationale. Le chiffre d'affaires généré en 2018 par l'ensemble du secteur aérien en France s'élevait à 100 milliards d'euros, équivalent à 4,3 % du produit intérieur brut. En agrégeant emplois directs et indirects, ce secteur emploie 342 000 personnes13(*). Il représente 7 % de l'activité industrielle française14(*) et se place au deuxième rang mondial, juste derrière les États-Unis et devant la Chine, avec un chiffre d'affaires de 58 milliards d'euros en 201815(*).

Le transport aérien et les activités aéroportuaires comptaient 85 000 emplois directs en France en 202216(*). Les aéroports ont de nombreux impacts immédiats sur le développement des territoires, en termes d'emploi, de commande locale de biens et de services ou encore de fiscalité, par leurs activités propres (gestion, maintenance, sécurité, commerces, etc.) et les activités directement liées (maintenance aéronautique, chaînes logistiques, tourisme, etc.).

Enfin, transport aérien et développement économique s'influencent mutuellement de manière positive, le premier permettant le déplacement des salariés, des clients et des touristes et le second l'implantation des infrastructures. En outre, l'accroissement des capacités aéroportuaires rétroagit sur l'emploi : on estime qu'un million de passagers annuels ou cent mille tonnes de fret supplémentaires créent plus de trois mille emplois directs et indirects17(*).

C. UNE FILIÈRE STRUCTURÉE PAR DES ACTEURS À DIFFÉRENTES ÉCHELLES

1. Les acteurs institutionnels nationaux et internationaux

L'aviation possède une forte dimension internationale : les réglementations nationales doivent être homogènes pour éviter les distorsions de concurrence, par exemple pour les taxes sur les carburants. Les aéroports de départ et d'arrivée doivent également pouvoir répondre aux mêmes besoins pour un avion donné : type de carburant, aire de stationnement, etc.

a) L'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI)

L'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) est une institution spécialisée des Nations unies, créée en 1944 pour coordonner les activités diplomatiques des gouvernements dans le domaine du transport aérien international. Depuis sa création, les 193 États-membres ont adopté plus de 12 000 normes et bonnes pratiques qui guident l'harmonisation des réglementations nationales sur la sécurité, la sûreté, l'efficacité et la capacité de l'aviation, ainsi que sur la protection de l'environnement, et aident à établir un réseau de transport véritablement mondial.

L'OACI assure la promotion des progrès techniques et opérationnels pour atteindre les objectifs environnementaux qu'elle se fixe, notamment l'amélioration de l'efficacité énergétique, qui figure parmi ses objectifs depuis 2010. Elle encourage également l'innovation technologique, par exemple pour les propulsions alternatives, ainsi que les carburants d'aviation durables (CAD, en anglais Sustainable Aviation Fiouls ou SAF).

b) L'Agence de l'Union européenne de la sécurité aérienne (EASA)

L'EASA (European Union Aviation Safety Agency), Agence de l'Union européenne de la sécurité aérienne, établie en 2002 et basée à Cologne, est une institution de l'Union européenne chargée de promouvoir les normes de sécurité et de protection de l'environnement dans le secteur de l'aviation civile.

Le mandat de l'EASA recouvre un large champ d'activités, incluant la certification des aéronefs et des équipements, la surveillance de la sécurité des compagnies aériennes, l'élaboration de normes techniques et la promotion de la recherche et du développement dans le domaine de la sécurité aérienne.

L'agence est également responsable de l'harmonisation des réglementations de sécurité aérienne au sein des États membres de l'Union européenne et travaille en étroite collaboration avec les autorités nationales de l'aviation civile. Elle collabore également avec les organisations internationales de l'aviation et des autorités de pays tiers.

c) La Federal Aviation Administration (FAA)

Équivalent américain de l'EASA, la FAA est l'agence gouvernementale américaine responsable de la régulation de tous les aspects de l'aviation civile aux États-Unis. Fondée en 1958 sous le nom d'Agency for Federal Aviation avant d'être rebaptisée en 1967, la FAA fait partie du Département du Transport (United States Department of Transportation ou USDOT). Son siège se situe dans la capitale Washington.

Le mandat principal de la FAA est d'assurer la sécurité du système de transport aérien national, en réglementant l'aviation civile et en gérant le trafic aérien sur le territoire américain et dans les eaux internationales adjacentes. Elle encourage et facilite le développement d'un système de transport aérien sûr, efficace et durable, tout en protégeant l'environnement.

À ce titre, les responsabilités de la FAA englobent plusieurs domaines clés. En particulier, dans le cadre de la régulation de la sécurité aérienne, elle élabore des politiques, des règlements et des normes pour la construction, l'exploitation et l'entretien des aéronefs. Elle délivre également des certifications aux pilotes, aux techniciens de maintenance et aux compagnies aériennes.

De plus, pour assurer la gestion du trafic aérien, l'agence opère le National Airspace System (NAS), qui comprend la navigation aérienne, la gestion du trafic aérien et les infrastructures connexes, pour garantir des vols sûrs et ordonnés. Par ailleurs, la FAA travaille à réduire les impacts environnementaux de l'aviation, notamment en réglementant les émissions sonores et atmosphériques des aéronefs.

À l'occasion de leur déplacement à Washington, les rapporteurs ont pu prendre connaissance des initiatives engagées par la FAA pour décarboner l'aviation, conformément au U.S. Aviation Climate Action Plan en cours de mise à jour. Elles portent sur plusieurs axes : évolution technologique, carburants durables, optimisation opérationnelle, etc. L'objectif de ce plan sur 3 ans est l'atteinte de zéro émissions nettes de gaz à effet de serre en 2050.

Enfin, comme l'a souligné Pierre Farjounel, directeur général Europe d'Universal Hydrogen lors de son audition, la FAA porte une attention particulière à la facilitation de l'innovation, en particulier au travers de son Centre pour les concepts émergents et l'innovation (en anglais, Center for Emerging Concepts and Innovation ou CECI) qui permet aux entreprises innovantes d'engager un dialogue technique sans entrer dans un processus de certification formalisé.

d) L'ASTM International

L'ASTM International, anciennement connue sous le nom d'American Society for Testing and Materials, est une organisation internationale de normalisation qui développe et publie des normes techniques pour une vaste gamme de matériaux, produits, systèmes et services. Fondée en 1898, l'ASTM joue un rôle essentiel dans la définition des standards de qualité, de sécurité, de performance et de conformité environnementale à travers le monde.

Dans le domaine de l'aviation, l'ASTM International élabore des normes qui couvrent différents aspects, allant de la conception et la fabrication des aéronefs jusqu'aux technologies et matériaux innovants utilisés dans l'industrie. Ces normes sont élaborées par des comités d'experts provenant de divers secteurs de l'aviation, y compris les fabricants d'aéronefs, les compagnies aériennes, les organismes de réglementation et les institutions de recherche.

En particulier, l'ASTM International établit des spécifications pour les carburants d'aviation, y compris les biocarburants, pour s'assurer qu'ils sont sûrs, performants et compatibles avec les moteurs d'aéronefs existants ou à venir.

e) Le Conseil consultatif pour la recherche aéronautique en Europe (ACARE)

Le Conseil consultatif pour la recherche aéronautique en Europe (ACARE, de l'anglais Advisory Council for Aeronautics Research in Europe) est un organe consultatif européen qui vise à améliorer la compétitivité et la durabilité du secteur aéronautique au sein de l'Union européenne. Ce partenariat public-privé entre la direction générale des transports et de l'énergie de la Commission européenne et les représentants de l'industrie a été lancé lors du salon de Paris-Le Bourget de 2001. Il compte une quarantaine de membres.

À la suite de la publication de l'Agenda stratégique de recherche de l'ACARE en 2002, la Commission européenne a lancé plusieurs initiatives de recherche aéronautique dans le cadre de ses sixième et septième Programmes-cadres de recherche et de développement technologique (PCRD, en anglais Framework Programmes for Research and Technological Development) ainsi que du programme de recherche et d'innovation Horizon 2020. Par exemple, l'entreprise commune SESAR, créée en 2007, pilote la définition et la mise en oeuvre d'un nouveau plan directeur pour la gestion du trafic aérien en Europe et l'initiative technologique conjointe Clean Sky, initiée en 2008, coordonne et finance des projets de recherche destinés à atténuer l'impact environnemental de l'aviation en développant des technologies plus économes en carburant.

f) La direction générale de l'Aviation civile (DGAC)

La direction générale de l'Aviation civile (DGAC) est l'administration chargée de réguler et de superviser les activités de l'aviation civile en France. Relevant du ministère de la Transition écologique et de la cohésion des territoires, la DGAC joue un rôle essentiel dans la gestion de la sûreté et de la sécurité du transport aérien, la navigation aérienne, la défense des positions françaises dans les instances internationales, la formation du personnel aéronautique, ainsi que dans la régulation du transport aérien et le développement durable du secteur aérien.

La DGAC est organisée en plusieurs directions et services qui reflètent ses diverses missions, dont la direction de la Sécurité de l'aviation civile, la direction des Services de la navigation aérienne et la direction du Transport aérien. Elle dispose également d'établissements publics tels que l'École nationale de l'aviation civile (ENAC), qui forme les professionnels du secteur.

g) Le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS)

Créé en 1908, le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS) est une fédération professionnelle regroupant plus de 400 entreprises, des grands groupes jusqu'aux PME, des secteurs aéronautique et spatial, dans le domaine civil ou militaire.

Le GIFAS représente ses adhérents auprès des autorités françaises, européennes et internationales et défend leurs intérêts. De plus, il assure une coordination entre ses membres et les accompagne sur diverses thématiques : compétitivité économique, numérisation, stratégie d'innovation, etc.

Il dispose également d'un réseau international, avec cinq bureaux situés à Washington, Montréal, New Delhi et Dubaï, qui assurent une coordination régionale pour ses membres présents à l'étranger ou souhaitant s'y implanter.

Enfin, le GIFAS organise tous les deux ans, par l'intermédiaire de sa filiale SIAE, le Salon international de l'aéronautique et de l'espace de Paris-Le Bourget, qui est le salon professionnel le plus important au niveau mondial dans ce secteur.

h) Le Conseil pour la recherche aéronautique civile (CORAC)

Le Conseil pour la recherche aéronautique civile (CORAC), créé en 2008, coordonne la recherche et l'innovation dans l'aéronautique civile française. Il réunit des acteurs clés du secteur, comme les avionneurs, les équipementiers, les compagnies aériennes, les aéroports, les centres de recherche et les ministères, sous l'égide de la DGAC et du GIFAS.

Le CORAC vise à harmoniser les efforts de recherche pour réduire l'impact environnemental de l'aviation, notamment en diminuant de manière significative la consommation de carburant et les émissions de CO2 des aéronefs.

Ainsi que l'a rappelé à l'occasion de son audition Yannick Assouad, directrice générale adjointe chargée des activités avioniques et membre du comité exécutif du groupe Thales, ainsi que présidente du comité de pilotage du CORAC, celui-ci gère le plan de relance de l'aéronautique, doté d'un budget de 2,5 milliards d'euros, et 1,2 milliard d'euros supplémentaires attribués pour le développement de l'avion régional monocouloir ultrasobre, ainsi que les crédits de recherche de la DGAC à hauteur de 135 millions d'euros par an.

i) L'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA)

Créé en 1946, l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA) est un établissement public de recherche placé sous la tutelle du ministère des Armées dont la mission principale est de soutenir l'innovation et le développement dans le domaine de l'aéronautique, de l'espace et de la défense. À ce titre, il a contribué à de nombreux programmes aérospatiaux majeurs en France et en Europe : Concorde, Ariane, Airbus, Rafale, etc.

L'expertise de l'ONERA couvre un large spectre de disciplines : aérodynamique, propulsion, matériaux et structures, physique des hautes altitudes, systèmes embarqués, etc. Cette diversité de compétences lui permet de mener des recherches fondamentales et appliquées, allant des études théoriques aux essais en soufflerie en passant par le développement de technologies avancées et la simulation numérique. L'une des forces de l'ONERA réside dans son infrastructure de recherche, qui comprend des installations uniques en Europe, telles que des souffleries et des supercalculateurs.

L'ONERA collabore étroitement avec de nombreux acteurs du secteur aérospatial en France et à l'étranger : universités, centres de recherche, grandes entreprises, PME, etc. L'organisme joue également un rôle central dans la formation des chercheurs et des ingénieurs, par le biais de programmes doctoraux et de postdoctoraux.

2. Les acteurs du secteur privé
a) Les constructeurs

Le marché de la construction d'avions moyen-courriers et long-courriers est dominé par le français Airbus (gammes A220, A320, A321, A350) et l'américain Boeing (gammes 737, 767, 777 et 787). En 2023, ces deux entreprises ont reçu respectivement 2 094 et 1 314 commandes nettes. Elles ont respectivement livré la même année 735 et 528 appareils. Pour les court-courriers, le segment se répartit entre le canadien Bombardier et le brésilien Embraer, avec une montée en puissance du constructeur franco-italien ATR.

Les avionneurs font appel à un grand nombre de sous-traitants, fournisseurs d'équipements ou de pièces spécifiques, souvent des PME et ETI. Les travaux confiés en sous-traitance représentent entre 30 % et 80 % de la valeur de l'aéronef. Par exemple, Airbus a recours à 12 000 sous-traitants, dépendants de l'avionneur.

De nombreux sous-traitants travaillent pour plusieurs avionneurs et certains pour des entreprises d'autres secteurs de pointe. Lors de son audition, la DGAC a souligné la nécessité de soutenir l'ensemble de l'écosystème de la filière industrielle aéronautique, par un accompagnement financier à toutes les échelles : les avionneurs, les motoristes, mais également leurs sous-traitants, PME et ETI.

Les constructeurs aéronautiques mettent en oeuvre de lourds programmes industriels qui s'étagent dans des intervalles de temps assez longs, environ tous les 50 ans. Par exemple, la conception de l'Airbus A320 remonte aux années 1990 et celle du Boeing 737 aux années 1960. Le programme de sortie d'un nouvel avion, qui présente toujours une part de risque industriel, est préparé très en amont. Ainsi, pour une nouvelle génération d'appareils qui doivent entrer en service vers 2035, l'avionneur doit avoir choisi ses fournisseurs dès 2027-2028, ce qui implique que les technologies nécessaires soient disponibles avant 2027.

L'industrie aéronautique est aussi marquée par un fort impératif de sécurité. Tous les composants techniques, de la carlingue au carburant, en passant par le moteur et les systèmes internes, doivent suivre un processus strict de certification par l'EASA et la FAA, nécessitant généralement plusieurs années.

b) Les motoristes

Dans l'industrie aéronautique, les motoristes jouent un rôle majeur. Ces entreprises sont au coeur de l'innovation technologique, contribuant significativement à l'amélioration de la performance, de l'efficacité énergétique ainsi qu'à la réduction des émissions et du bruit.

Au niveau mondial, les principaux motoristes sont : General Electric Aviation, une branche de General Electric, avec les moteurs GE90, GEnx et GE9X ; Rolls-Royce plc, non lié à la célèbre marque automobile, avec les moteurs Trent 1000, Trent XWB et Trent 7000 ; Pratt & Whitney, une unité de Raytheon Technologies, avec la gamme PurePower Geared Turbofan ; Safran Aircraft Engines, membre du groupe Safran ; CFM International, une coentreprise créée par GE Aviation et Safran Aircraft Engines, avec les moteurs CFM56 et LEAP.

c) Les compagnies aériennes

Le modèle économique des compagnies aériennes est très spécifique, avec de gros volumes mais de faibles marges. Les coûts fixes : salaires, entretien des avions, loyers des avions, représentent 50 % de leurs coûts de fonctionnement. Dans ce secteur d'activité très soumis à la concurrence internationale, les marges bénéficiaires oscillent entre 1 % et 3 % du chiffre d'affaires. D'après l'Association du transport aérien international (IATA), en 2023, les compagnies aériennes ne gagnaient en moyenne que 2,25 dollars américains par passager. Leur rentabilité dépend donc principalement des coûts variables, en particulier du coût du carburant, et du taux de remplissage des avions.

D'après Doganis, 2010
En fonction des fluctuations du prix du baril, la part du kérosène dans les coûts peut atteindre 30 %.

Les compagnies européennes sont moins rentables que leurs homologues américaines18(*). L'écart s'explique par un marché moins concentré. De plus, les compagnies aériennes historiques subissent de plein fouet la forte concurrence des compagnies à bas prix comme Easyjet, Ryan Air, Transavia ou Wizz Air, qui représentent aujourd'hui 40 % du marché européen. Du fait de cette concurrence, les activités court- et moyen-courrier d'Air France et de Lufthansa sont déficitaires depuis plusieurs années19(*).

d) L'Association du transport aérien international (IATA)

Fondée en 1945, l'Association du transport aérien international (IATA, de l'anglais International Air Transport Association), est l'organisation professionnelle mondiale des compagnies aériennes. Elle représente quelque 300 compagnies aériennes qui générent 83 % du trafic aérien mondial20(*). Basée à Montréal, avec un centre exécutif principal à Genève, l'IATA vise à faciliter la coopération entre les compagnies aériennes.

Dans ce cadre, l'IATA représente les intérêts des compagnies aériennes auprès des régulateurs, des autorités gouvernementales et des fournisseurs de services. Elle élabore également des normes internationales pour les procédures et services de l'aviation, telles que la billetterie électronique, le transport de marchandises dangereuses et les procédures de sécurité. De plus, elle propose des programmes de formation pour améliorer les compétences professionnelles dans divers domaines de l'aviation.

e) Le Groupe d'action du transport aérien (ATAG)

Le Groupe d'action du transport aérien (ATAG, de l'anglais Air Transport Action Group) est un groupe d'experts issus de tous les secteurs de l'industrie aéronautique : compagnies aériennes, gestionnaires d'aéroports, constructeurs, organisations de navigation aérienne, etc.

L'ATAG a été fondée en 1990 dans le but de promouvoir le transport aérien durable et, à ce titre, joue un rôle de premier plan dans la coordination des efforts de l'industrie pour réduire son empreinte environnementale et améliorer son efficacité énergétique.

II. L'IMPACT CARBONE DU SECTEUR AÉRIEN

A. LE FONCTIONNEMENT DES AVIONS

1. Aérodynamique d'un avion

Un avion à l'équilibre est soumis à quatre forces : son poids, la poussée des moteurs et la résultante des efforts aérodynamiques, que l'on décompose en une force verticale opposée au poids, la portance, et une force horizontale opposée à la poussée des moteurs, la traînée.

Représentation schématique des 4 forces principales sur un avion

Source : Référentiel Supaéro

L'enjeu principal de la conception d'un avion consiste à maximiser la portance pour pouvoir transporter une plus grande masse, et minimiser la traînée pour réduire la consommation de carburant.

Les avionneurs ont l'habitude de décomposer la traînée en deux postes prédominants : la traînée de frottement, due au frottement de l'air sur les surfaces de l'avion, et la traînée induite, générée par la portance locale qui n'est pas strictement verticale en bout d'aile.

La traînée induite est liée au mouvement vertical descendant induit par le contournement de l'air en bout d'aile. La force de portance locale Leff n'est pas perpendiculaire à la direction de la vitesse de vol et sa projection selon cette direction donne une contribution appelée traînée induite Di.

Source : Référentiel Supaéro

2. Propulsion de l'avion

Les avions commerciaux fonctionnent avec deux types de moteurs : les turbopropulseurs et les turboréacteurs.

Turboréacteur (à gauche) et turbopropulseur (à droite)

Source : Référentiel Supaéro

Les turbopropulseurs combinent les éléments d'une turbine à gaz avec une hélice. L'air entrant est comprimé par un compresseur et mélangé à du carburant dans une chambre de combustion, où le mélange est ensuite enflammé. Les gaz chauds produits passent à travers une turbine, la faisant tourner ainsi que le compresseur et l'hélice connectés à la turbine via un arbre. L'hélice, en tournant, crée l'essentiel de la poussée nécessaire pour propulser l'avion.

Les turbopropulseurs sont bien adaptés à des vitesses basses et à des vols de courte à moyenne distance, en raison d'une meilleure performance dans la conversion du carburant en poussée, surtout à des altitudes basses. Par ailleurs, leurs coûts d'exploitation sont relativement bas, ce qui les rend attrayants pour les opérations aériennes régionales et de fret.

Les turbopropulseurs ne permettent pas d'atteindre des vitesses très élevées. En effet, la vitesse d'écoulement en bout de pale des hélices ne doit pas dépasser la vitesse du son car cela altèrerait l'aérodynamique de l'hélice donc sa performance. Néanmoins, l'avion de ligne doté de turbopropulseurs le plus rapide à ce jour, le Tupolev Tu-114, pouvait atteindre une vitesse de pointe de 870 km/h (Mach 0,88), proche de celle des avions de ligne modernes. Enfin, l'hélice génère beaucoup de bruit, ce qui peut être gênant pour le confort des passagers.

Les turbopropulseurs ont une puissance réduite : les plus puissants délivrent au maximum 10 mégawatts. De ce fait, ils sont en général utilisés sur des avions de ligne de taille limitée, par exemple l'ATR-72.

Les turboréacteurs aspirent l'air à l'avant du moteur, où il est comprimé par un ou plusieurs compresseurs. L'air comprimé entre dans la chambre de combustion, où il est mélangé avec du carburant et enflammé. Les gaz chauds ainsi produits passent à travers la turbine, la faisant tourner ainsi que le compresseur. Les gaz s'échappent ensuite à grande vitesse à travers la tuyère à l'arrière du moteur, créant la poussée qui propulse l'avion vers l'avant.

Les moteurs des avions de ligne actuels utilisent des turboréacteurs double flux : un flux secondaire s'ajoute au flux primaire et passe dans la tuyère d'éjection en contournant la chambre de combustion, générant une poussée additionnelle à celle du flux primaire. Le taux de dilution désigne le rapport des débits de masse entre le flux secondaire et le flux primaire.

Les turboréacteurs permettent d'atteindre des vitesses élevées, ce qui les rend optimaux pour les vols long-courriers et les avions de chasse. Ils sont efficaces à haute altitude, où l'air est moins dense, ce qui permet de voler indépendamment des conditions météorologiques et de réduire la traînée.

Les turboréacteurs sont moins efficaces à basse vitesse et à basse altitude, ce qui se traduit par une consommation de carburant plus élevée dans ces conditions de vol. En outre, les coûts de maintenance et d'exploitation peuvent être plus élevés que pour les turbopropulseurs, en particulier pour les opérations de courte distance.

Le rendement thermopropulsif ou global mesure la performance des moteurs : il désigne le rapport entre l'énergie utile de propulsion de l'aéronef et l'énergie fournie lors de la combustion du kérosène. Le rendement global des turboréacteurs double flux est de 25 %. Les turbopropulseurs ont un meilleur rendement, mais une vitesse et une altitude limitées.

3. Systèmes de l'avion

En plus de propulser l'avion, les moteurs alimentent ses différents systèmes de sécurité, de navigation et de communication. Entre 5 et 10 % de la consommation totale de carburant y sont consacrés. Suivant les applications, cette énergie est transformée en puissance électrique, pour les commandes de vol et les systèmes de cabine, puissance hydraulique, pour les commandes de vol et les atterrisseurs, ainsi que puissance pneumatique, pour la protection contre le givre et le conditionnement d'air.

Le carburant alimente également le groupe auxiliaire de puissance (en anglais Auxiliary Power Unit ou APU). Il s'agit en général d'un turbomoteur à démarrage électrique, d'une puissance pouvant atteindre plusieurs centaines de kilowatts, qui consomme du kérosène pour alimenter les systèmes de bord : conditionnement d'air, tension électrique, pression hydraulique, etc., quand les moteurs sont à l'arrêt, ce qui permet d'économiser le carburant.

L'APU permet de faire démarrer les moteurs. En effet, si en régime de croisière ils s'autoalimentent car la turbine à gaz permet de faire fonctionner les compresseurs, il faut de l'énergie pour les démarrer et initier ce cycle. Hormis certains avions d'affaires, presque tous les avions disposent d'un groupe auxiliaire de puissance.

Les différentes phases d'un vol commercial

Source : Le monde de l'aviation civile, ENAC

B. LES ÉMISSIONS D'UN AVION

1. Combustion du kérosène

Les moteurs d'avion à turbine utilisent des carburants à base de kérosène. Celui-ci a une densité assez élevée, même à température ambiante, et un fort pouvoir calorifique, de l'ordre de 43 mégajoules par kilogramme, rendant son utilisation très intéressante à bord des aéronefs.

En aviation civile, le carburant à base de kérosène le plus répandu est le Jet A1, conforme à la norme internationale des carburants d'aviation Aviation Fuel Quality Requirements for Jointly Operated Systems ou AFQRJOS. Il est composé en majorité d'hydrocarbures saturés, constitués de chaînes d'atomes de carbone et d'hydrogène liés par des liaisons simples, et contient au maximum 25 % d'hydrocarbures insaturés aromatiques, constitués de molécules cycliques présentant des liaisons doubles, particulièrement stables. Il inclut aussi certains composés qui placent sa température de gel à -47°C, appropriée pour l'aviation, car à 11 000 mètres d'altitude la température est proche de -56,5°C.

La formule moyenne du kérosène est C10H22 (la chaîne carbonée pouvant inclure de 9 à 13 atomes de carbone). Dans un turboréacteur d'avion, la combustion du kérosène a lieu par la réaction qui suit :

2 C10H22 (l) + 31 O2 (g) 20 CO2 (g) + 22 H2O (g) (l) : état liquide ; (g) : état gazeux

Cette réaction produit du dioxyde de carbone et de la vapeur d'eau, pour respectivement 72 % et 27,6 % de la composition des produits de combustion. Comme la réaction est imparfaite et qu'elle a lieu dans l'air, d'autres composés sont produits en bien plus faibles quantités : des oxydes d'azote (NOx) à hauteur de 0,3 %, du monoxyde de carbone (CO) à hauteur de 0,04 %, des oxydes de soufre (SOx) à hauteur de 0,02 %, des hydrocarbures imbrûlés à hauteur de 0,01 %, des particules de suie à hauteur de 0,0004 %, et du protoxyde d'azote (N2O) dans une proportion inférieure.

Les oxydes d'azote sont formés par oxydation de l'azote de l'air aux fortes valeurs de température et de pression en sortie de chambre de combustion survenant lors des phases de décollage et de montée.

Le monoxyde de carbone et les hydrocarbures imbrûlés résultent de la combustion incomplète du kérosène lors de certaines phases de vol effectuées à puissance réduite.

Les oxydes de soufre proviennent de l'oxydation du soufre contenu dans le kérosène lors de la combustion.

Les suies sont les résidus solides des gaz d'échappement, formés par la condensation des composés aromatiques non brûlés lors de la combustion : leur production augmente lors des phases à haut régime, le décollage et la montée, et dépend aussi de la teneur du carburant en composés aromatiques.

Le protoxyde d'azote est produit lors de la combustion à basse température, c'est-à-dire à haute altitude.

2. Émissions de gaz à effet de serre

Les gaz à effet de serre absorbent et réémettent le rayonnement infrarouge émis par la surface terrestre réchauffée par le rayonnement solaire. Certains sont présents naturellement dans l'atmosphère (vapeur d'eau, CO2, etc.). Ils rendent possible la vie sur Terre en maintenant la température à 15° C en moyenne. Mais l'augmentation de leur concentration dans l'atmosphère, due aux activités humaines, déséquilibrant le bilan énergétique du système climatique, est le facteur principal du réchauffement climatique. Le CO2, le méthane et le protoxyde d'azote émis lors de la combustion du kérosène sont tous des gaz à effet de serre.

Le kérosène conventionnel génère en fait des gaz à effets de serre tout au long de son cycle de vie : extraction, transport, raffinage, puis combustion. Il est donc important de ne pas considérer seulement les émissions générées par le vol, mais celles associées au cycle de vie du kérosène. L'intérêt de certaines solutions présentées par la suite, par exemple les biocarburants, réside dans le fait que le CO2 émis lors de la combustion a été capté en amont, dans l'air ou par photosynthèse.

De même, pour les avions électriques, qui n'émettent pas de CO2 en vol, l'impact carbone de l'électricité doit être pris en compte dans la mesure des émissions de gaz à effet de serre. L'analyse en cycle de vie permet d'évaluer de la manière la plus exhaustive possible l'impact environnemental d'un avion.

Source : ADEME, « Détail des émissions de CO2eq par kg de kérosène consommé »

Le kérosène émet 3,75 kilogrammes de CO2 par kilogramme consommé, dont 16 % pour sa production et sa distribution et 84 % pour sa combustion. Les autres gaz à effet de serre émis, méthane et protoxyde d'azote, ont un pouvoir réchauffant (PRG) supérieur à celui du CO2 : 28 fois plus élevé pour le méthane et 273 fois plus élevé pour le protoxyde d'azote. Même s'ils sont émis en bien plus faible quantité, le bilan du kérosène est rehaussé à 3,825 kilogrammes de CO2eq par kilogramme consommé lorsqu'ils sont pris en compte.

90 % des émissions liées aux vols commerciaux ont lieu pendant la phase de croisière et 9 % pendant les phases d'atterrissage et de décollage (en anglais, Landing and Take-off cycle ou LTO). Enfin, 1 % des émissions est dû à l'utilisation des groupes auxiliaires de puissance.

Comparaison des émissions par passager.kilomètre selon le mode de transport

Source : Autorité de régulation des transports, d'après la base carbone de l'ADEME

3. Effets non-CO2

D'autres produits issus de la combustion, sans avoir pour impact direct un renforcement de l'effet de serre, ont néanmoins des effets notables, à plus ou moins long terme, sur le climat. Pour décrire leur effet, on utilise la notion de forçage radiatif, qui correspond à la différence entre le flux radiatif reçu et le flux radiatif émis par le système climatique terrestre21(*).

Le CO2 et les autres gaz à effet de serre augmentent le forçage radiatif, ce qui induit un réchauffement de l'atmosphère.

On distingue en pratique cinq effets non-CO2 : la formation de cirrus induits par les traînées de condensation, l'effet des NOx et de la vapeur d'eau sur les concentrations de gaz à effet de serre, les interactions aérosol-radiation et les interactions aérosol-nuage. Ils agissent sur le forçage radiatif de manière positive ou négative. Cependant, au total, l'effet réchauffant est supérieur à l'effet refroidissant.

Source : projet Climaviation

a) La formation des cirrus induits par les traînées de condensation

Les traînées de condensation sont des nuages fins et linéaires de particules de glace visibles derrière les aéronefs en vol, qui se forment par condensation de la vapeur d'eau issue de la combustion du carburant. Dans le cas des carburants à base de kérosène, cette condensation est fortement favorisée par la présence d'aérosols de combustion comme la suie, mais aussi de soufre et d'hydrocarbures imbrûlés. Si l'air est sec, les traînées se dissipent vite et leur effet est négligeable. Principalement en haute altitude (les avions passent 10 à 15 % du temps de leur régime de croisière dans de telles régions), si l'air est sursaturé d'humidité par rapport à la glace, les particules de glace de la traînée grossissent par déposition des molécules de vapeur d'eau ambiante et la traînée peut subsister, voire se développer en cirrus induits persistants, qui ont des effets complexes sur le forçage radiatif.

Les interactions aérosol-nuage sont les processus par lesquels les aérosols entraînent la formation des nuages, notamment lors des traînées de condensation. Les cristaux de glace qui constituent les cirrus se forment alors autour de ces aérosols. Dans une atmosphère avec une forte concentration en aérosols, les nuages se forment sur une plus grande quantité d'aérosols, formant des cristaux plus petits, ce qui retient plus les infrarouges la nuit, augmentant le forçage radiatif. On a cependant une estimation très incertaine des effets quantitatifs de ces interactions sur le forçage radiatif.

b) L'effet des NOx et de la vapeur d'eau sur les concentrations de gaz à effet de serre

Les NOx (NO, NO2) ont un effet à la fois positif et négatif sur le forçage radiatif, dû à une interaction complexe avec les autres gaz à effet de serre. Dans les basses couches de l'atmosphère, ce sont des polluants qui nuisent à la qualité de l'air. En haute atmosphère, ils agissent sur la chimie environnante, dans une interaction complexe avec l'ozone (O3) et le méthane (CH4).

À court terme, les NOx réagissent avec l'oxygène de l'air pour créer de l'ozone (O3), ce qui augmente le forçage radiatif, l'ozone étant un gaz à effet de serre. De manière concomitante, les NOx réduisent la durée de vie et l'abondance du méthane (CH4), ce qui réduit le forçage radiatif induit par le méthane. À long terme, cette réduction du méthane diminue la quantité d'ozone et de vapeur d'eau stratosphériques, ce qui induit un forçage radiatif négatif.

Néanmoins, la contribution des NOx à l'effet de serre constitue un terme de forçage positif, et donc une élévation de la température atmosphérique. Les NOx ont cependant un impact bien inférieur à celui du CO2.

c) Les interactions aérosol-radiation et aérosol-nuage

Les interactions aérosol-radiation sont dues aux particules fines émises lors de la combustion, notamment de la suie (aérosol) et des SOx (précurseurs d'aérosol, formant des aérosols de sulfate SO42- par oxydation dans l'atmosphère ambiante). Les deux types d'aérosols créent du forçage radiatif à partir des interactions aérosol-rayonnement : la suie absorbe le rayonnement à ondes courtes, ce qui entraîne un réchauffement net, et l'aérosol de sulfate diffuse le rayonnement à ondes courtes entrant, ce qui entraîne un refroidissement net.

De nombreuses incertitudes subsistent sur l'impact des différents effets non-CO2. C'est pourquoi des recherches supplémentaires demeurent nécessaires pour les quantifier.

4. Comparaison entre effets CO2 et effets non-CO2

Une différence notable entre les effets CO2 et non-CO2 concerne leurs échelles de temps. Alors que le CO2 demeure pendant des siècles dans l'atmosphère, les cirrus induits par les traînées de condensation subsistent quelques jours dans le pire des cas et les aérosols au plus un an. Ainsi, l'impact des effets CO2 est cumulatif et sur le long terme, alors que l'impact des effets non-CO2 dépend de la variation des émissions annuelles.

Source : Référentiel Supaéro

La variation des effets non-CO2 dépend fortement de la variation du trafic, comme le fait apparaître, sur le graphique précédent, la forte corrélation entre le trafic aérien et le forçage radiatif efficace ou RFE (en anglais, Effective Radiative Forcing ou ERF) lié à l'aviation, en sachant que le forçage radiatif efficace lié au CO2 reste stable dans le temps.

C. ÉTAT DES LIEUX DES ÉMISSIONS ACTUELLES

1. Émissions du secteur aérien en France et dans le monde

En France, les vols aériens domestiques émettent annuellement 5,4 Mt de CO2, soit 4 % des émissions du secteur des transports et 1,2 % des émissions totales du pays (en 2021, le secteur des transports générait 39 % des émissions de CO2eq nationales, 94 % étant issues du transport routier22(*)). En prenant en compte les soutes internationales, les vols au départ de la France émettent annuellement 24,3 Mt de CO2, ce qui représente 14,9 % des émissions du secteur des transports et 5,3 % des émissions françaises de gaz à effet de serre.

Émissions de CO2 - périmètre France

Source : Citepa et DGAC

Au niveau mondial, le secteur aérien a émis environ une gigatonne de CO2 en 2019, ce qui représente 11 % des émissions dues aux transports et 2 à 3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.

D'après le CITEPA, en 2020, avec la baisse du trafic résultant de la crise de la Covid-19, les émissions du trafic aérien international ont baissé de 57% par rapport à 2019. Le trafic ayant repris sa croissance, les émissions ont augmenté en 2023 de 16 % par rapport à 2022, mais restent 15 % plus basses qu'en 201923(*).

L'augmentation des émissions de gaz à effet de serre dues au secteur aérien a été notable au cours des 30 dernières années. En France, ces émissions ont augmenté de 85 % entre 1990 et 2019, du fait des vols internationaux (+105 %) plutôt que des vols domestiques (+37 %). Compte tenu de la baisse des émissions de gaz à effet de serre sur la même période, la part de l'aérien dans les émissions françaises a été plus que doublée, passant de 2,4 % en 1990 à 5,3 % en 2019.

2. Quelles évolutions prévisibles ?

L'OACI estime que si aucune nouvelle mesure n'est prise, les émissions du transport aérien mondial en 2050 pourraient tripler par rapport au niveau de 2010, en lien avec une forte croissance du trafic mondial24(*).

En 2019, l'EASA prévoyait, en l'absence de progrès technologique, une augmentation de 37 % des émissions de CO2 du secteur aérien européen entre 2017 et 2040, dans l'hypothèse d'une poursuite de la croissance tendancielle du trafic aérien constatée avant la crise Covid25(*).

En avril 2024, l'Agence internationale de l'énergie (IEA) observe dans son rapport mensuel26(*) que, malgré une activité aérienne « à peu près équivalente », la demande de carburant pour le transport aérien « a diminué de plus de 6 % au second semestre 2023 par rapport à la même période en 2019 », estimant que « cette tendance devrait se poursuivre avec l'arrivée (...) d'un plus grand nombre de nouveaux avions » plus sobres en kérosène, ce qui contribuera à limiter l'effet de la progression de la demande de transport aérien sur les émissions de CO2 à moyen terme.

D'après l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), sans action complémentaire à celles déjà prises aujourd'hui, les émissions de CO2 liées aux vols au départ de la France pourraient augmenter de 26 % entre 2019 et 2050. Compte tenu de la baisse globale des émissions françaises, leur part dans celles-ci pourrait être multipliée par 4, atteignant 23 %.

3. Quels trajets et quels voyageurs émettent le plus ?

Les trajets les plus longs sont les moins nombreux, mais les plus émetteurs de gaz à effet de serre. Au niveau mondial, les émissions proviennent à 80 % des vols de plus de 1 500 kilomètres, pour lesquels n'existe aucune alternative. 46 % des émissions sont dues aux vols long-courriers de plus de 4 000 kilomètres, alors qu'ils ne représentent que 6 % des vols.

De même, les émissions des vols au départ de la France proviennent à 80 % des vols internationaux moyen- et long-courriers (voir figure ci-dessous).

Source : The Shift Project 2021

Les vols de grande capacité sont les plus émetteurs. Au niveau européen, les avions monocouloirs effectuent la plus grande part des vols (65 %), mais les avions bi-couloirs sont ceux qui émettaient le plus de CO2 en 2019 (48 % des émissions totales).

Le segment des jets privés est celui qui émet le plus de gaz à effet de serre par passager. En effet, par passager, un jet privé émet 5 à 14 fois plus qu'un vol commercial27(*). Cette différence s'explique principalement par le nombre de passagers transportés par trajet : en moyenne 4,7 passagers par vol pour un jet privé, contre plusieurs centaines pour les vols commerciaux. Ce segment connaît également une croissance plus forte que les autres, qui se traduit par une augmentation plus rapide de ses émissions. Entre 2005 et 2019, les émissions de CO2 des jets privés européens ont augmenté de 31 %, contre 25 % pour l'aviation commerciale européenne.

Répartition des vols, émissions et NOx en fonction de la distance parcourue et du type d'aéronef en Europe

Source : EASA

Enfin, le coût carbone du secteur aérien est réparti inégalement dans la population. On estime que 1 % seulement de la population mondiale est responsable de 50 % des émissions de gaz à effet de serre du secteur aéronautique28(*).

4. État des connaissances sur les effets non-CO2

L'estimation la plus récente du forçage du CO2 et des effets non-CO2 et de leurs incertitudes a été réalisé dans un article de Lee et al. (2021)29(*) consistant en une compilation et une analyse statistique des modélisations climatiques publiées dans la littérature scientifique, démarche similaire à celle mise en oeuvre par le GIEC.

Même si beaucoup d'incertitudes subsistent quant à l'impact des effets non-CO2, les auteurs estiment que l'aviation, avec ses effets CO2 et non-CO2, représentait en 2011 3,5 % du forçage radiatif induit au niveau mondial. Le CO2 n'en serait que la plus faible part, deux tiers provenant des effets non-CO2, en majorité des traînées de condensation.

Comme indiqué précédemment, les cirrus induits par les traînées de condensation se forment dans des régions sursaturées en glace. Ainsi, seuls certains vols génèrent des traînées de condensation durables. Une étude réalisée dans l'espace aérien du Japon a montré que 17,8 % des vols génèrent des traînées de condensation et que 2,2 % des vols génèrent 80 % de ces traînées. Cette étude demande des justifications supplémentaires mais suggère d'ores et déjà qu'une minorité de vols génère la majorité du forçage radiatif dû à l'aviation, ce qui était déjà le cas pour les seuls effets CO2.

DEUXIÈME PARTIE
CADRE LÉGAL ET ENGAGEMENTS INTERNATIONAUX

I. L'ÉQUATION DE KAYA

En 1990, le chercheur japonais Yoichi Kaya a proposé une approche permettant de décomposer les émissions de CO2 d'un pays en différents facteurs. Elle a par la suite été adaptée au secteur des transports, afin de mettre en évidence des leviers d'action permettant de le décarboner. Pour l'aviation, la formule proposée est la suivante :

CO2 = (CO2 / énergie) × (énergie / trafic) × trafic

Cette présentation de la quantité de CO2 émise permet d'identifier trois leviers de décarbonation : l'intensité carbone de l'énergie utilisée, l'intensité énergétique du transport et le trafic en nombre de passagers.

Émissions = intensité carbone énergie × intensité énergétique × trafic

L'intensité carbone de l'énergie, mesurée en tonnes de CO2 par joule (tCO2/J), désigne la quantité de CO2 émise par unité d'énergie utilisée. Elle peut être réduite par l'utilisation de vecteurs énergétiques autres que le kérosène, tels que l'électricité, l'hydrogène, les biocarburants, etc.

L'intensité énergétique, exprimée en joules par passager et par kilomètre (J/pass.km) désigne l'énergie utilisée pour transporter un passager sur un kilomètre. Les mesures de réduction de l'intensité énergétique (autrement dit d'amélioration de l'efficacité énergétique) incluent la réduction de la consommation via des améliorations du moteur et de la structure de l'avion, ainsi que des mesures d'économie d'énergie en vol et au sol.

Le trafic, en passager.kilomètre (pass.km) ou passager.kilomètre payant (PKP, en anglais revenue passenger kilometer ou RPK30(*)), correspond au nombre total de passagers multiplié par la distance parcourue. La question de la réduction du trafic ne sera pas examinée dans le présent rapport, puisqu'elle relève de la politique publique de sobriété.

Évolution des termes de l'équation de Kaya entre 1973 et 2018

Source : référentiel Supaéro, à partir de données de l'AIE et l'OACI

Le graphique ci-dessus montre que les émissions de CO2 du secteur ont augmenté de 176 % depuis 50 ans, en raison d'un accroissement de 1 236 % du trafic, alors que l'intensité énergétique a baissé dans le même temps de 79 %. L'intensité carbone est restée stable, illustrant l'utilisation continue du kérosène depuis 50 ans.

II. LES FEUILLES DE ROUTE DE L'OACI ET DE L'ATAG

Les émissions de CO2 du secteur de l'aviation internationale ont vocation à être traitées dans le cadre de l'Organisation de l'aviation civile internationale, qui a pour fonction la régulation mondiale de l'activité de transport aérien ; mais l'ATAG y joue aussi un rôle de premier plan, souvent précurseur.

A. À PARTIR DE 2008, L'AFFIRMATION D'UN OBJECTIF MAJEUR : UNE CROISSANCE DU TRAFIC NEUTRE EN CARBONE À COMPTER DE 2020

1. Les objectifs de l'ATAG (2008)

En 2008, le secteur de l'aviation est devenu l'une des premières industries à élaborer un plan d'action climatique au niveau mondial. Le Groupe d'action du transport aérien (ATAG) a adopté une série d'objectifs pour réduire les émissions de CO2, notamment un plafonnement des émissions nettes de CO2 de l'aviation à partir de 2020, une amélioration moyenne de l'efficacité énergétique de 1,5 % par an de 2009 à 2020 et une réduction des émissions nettes de CO2 de l'aviation de 50 % d'ici à 2050, par rapport aux niveaux de 2005.

2. Des objectifs endossés par l'OACI (37e session, 2010)

En 2010, l'OACI a repris les deux premiers objectifs de l'ATAG. Il s'agit, d'une part, d'un objectif indicatif de stabilisation mondiale des émissions nettes du secteur au niveau de 2020. Depuis, cet objectif indicatif a simplement été réaffirmé en 2013, 2016 et 2019. D'autre part, un objectif indicatif de réduction moyenne annuelle mondiale de la consommation de carburant de 2 % entre 2021 et 2050 a également été retenu.

3. Comment parvenir à une croissance « carbo-neutre » du trafic ? Les premières approches de l'OACI (38e session, 2013)

En 2013, l'OACI a publié une estimation de la façon dont différents leviers - gestion du trafic et infrastructure, technologie des aéronefs ainsi que carburants alternatifs durables et mesures basées sur le marché - devraient contribuer à la réalisation d'une croissance « carbo-neutre » du trafic après 2020.

Tendances en matière d'émissions nettes de CO2 de l'aviation internationale, OACI31(*)

4. L'adoption par l'OACI du dispositif CORSIA (39e session, 2016)

Lors de sa 39e session, l'OACI a adopté un système mondial de compensation et de réduction des émissions de CO2 pour l'aviation mondiale, en anglais Carbon Offsetting and Reduction Scheme for International Aviation (CORSIA).

Le fonctionnement du CORSIA repose sur l'obligation pour les compagnies aériennes de compenser toute émission excédentaire par rapport au niveau de 2020 en acquérant des crédits carbone, ce qui permet d'atteindre l'objectif de croissance neutre en carbone à compter de 2020. Toutefois, en raison des perturbations causées par la pandémie de covid-19, les émissions de 2019 ont été adoptées comme référence.

Mis en oeuvre à partir de 2021, le programme fonctionne sur la base du volontariat jusqu'à fin 2026. À mi-2021, 104 États représentant plus de 80 % de l'activité aérienne internationale se sont portés volontaires pour participer au programme.

Le système CORSIA fait l'objet de critiques sur son efficacité. Les deux principales concernent son périmètre limité aux vols internationaux, qui représentent plus de 60 % des émissions du trafic aérien mondial, et le fait qu'il ne s'applique qu'à la fraction des émissions dépassant le niveau de 2019.

B. À PARTIR DE 2019, L'EXPLORATION D'UN OBJECTIF « NET ZÉRO » DES ÉMISSIONS EN 2050

1. L'OACI vers un « objectif ambitieux à long terme » (40e session, 2019)

Lors de la quarantième session de l'Assemblée de l'OACI qui s'est tenue fin 2019, les États membres de l'organisation ont demandé au Conseil d'explorer la faisabilité d'un « objectif ambitieux à long terme » ou Long Term Aspirational Goal (LTAG) pour l'aviation civile internationale, visant un niveau zéro d'émissions nettes en 2050.

2. Le scénario Waypoint 2050 de l'ATAG (2021)

Une première étude de périmètre mondial, Aviation : Benefits Beyond Borders32(*), a été publiée en septembre 2020 sous l'égide de l'ATAG, afin de comparer différents scénarios de décarbonation de l'aérien visant à limiter les émissions en 2050 à 50 % de leur niveau de 2005.

Une seconde étude intitulée Waypoint 205033(*), publiée en septembre 2021, présente une analyse approfondie des moyens par lesquels le secteur aéronautique pourrait atteindre d'ici 2050 des émissions nettes de CO2 égales à zéro.

Le rapport décrit trois scénarios consolidés, chacun basé sur divers sous-scénarios prenant en compte les prévisions de croissance du trafic, les développements technologiques, les améliorations opérationnelles et d'infrastructure, l'utilisation des carburants d'aviation durables et le rôle des mécanismes de compensations de CO2.

Le premier scénario, intitulé « Priorisation de la technologie et des opérations » (en anglais, Pushing Technologies and Operations), met l'accent sur l'innovation technologique, avec le développement de cellules non conventionnelles et, entre 2025 et 2040, une transition de la flotte court-courrier vers des avions de moins de 100 places hybrides ou entièrement électriques. Ce scénario prévoit également des investissements lourds Enfin, 90 % de l'approvisionnement en carburant serait assuré par des carburants d'aviation durables, à hauteur de 380 millions de tonnes.

Scénario 1 : Priorisation de la technologie et des opérations

Le deuxième scénario, « Déploiement agressif du carburant durable » (en anglais, Aggressive Sustainable Fuel Deployment), prévoit des améliorations techniques substantielles, mais basées sur les groupes motopropulseurs et les solutions techniques actuels, sans passage significatif aux technologies électrique ou hybride. Comme dans le scénario précédent, 90 % de l'approvisionnement en carburant serait assuré par des carburants d'aviation durables, mais cette fois à hauteur de 445 millions de tonnes.

Scénario 2 : Déploiement agressif du carburant durable

Enfin, dans le troisième scénario, appelé « Perspective technologique ambitieuse et agressive » (en anglais, Aspirational and Aggressive Technology Perspective), les progrès techniques sont plus ambitieux que dans les précédents, avec des avions électriques comportant jusqu'à 100 sièges, des avions alimentés par de l'hydrogène décarboné pour le segment des avions de 100 à 200 sièges, ainsi qu'une configuration d'avions non conventionnels à propulsion hybride-électrique pour les plus gros avions à l'horizon 2035-2040. Encore une fois, 90 % de l'approvisionnement en carburant serait assuré par des carburants d'aviation durables, mais à hauteur de 330 millions de tonnes seulement.

Scénario 3 : Perspective technologique ambitieuse et agressive

Dans ces trois scénarios, les investissements dans l'exploitation et l'amélioration des infrastructures se traduiraient par une réduction substantielle des émissions, allant de 7 % (scénario 3) à 10 % (scénario 1). Dans tous les cas, des mécanismes de compensation des émissions demeureraient indispensables pour contrebalancer tout excès d'émissions par rapport à l'objectif fixé.

C. EN 2022, L'ADOPTION D'UN OBJECTIF « NET ZÉRO » DES ÉMISSIONS EN 2050

Lors de la quarante et unième assemblée de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), en octobre 2022, les États membres ont adopté, sur la base d'un rapport évaluant sa faisabilité, l'objectif ambitieux à long terme (en anglais, Long Term Global Aspirational Goal ou LTAG) consistant à atteindre zéro émissions nettes d'ici à 205034(*).

Ce rapport propose trois scénarios sectoriels basés sur plusieurs sous-scénarios liés à la technologie, aux carburants et aux opérations. Les scénarios ont été analysés pour comprendre leurs impacts sur les émissions de CO2, les coûts, les investissements, ainsi que les implications potentielles sur la croissance de l'aviation, le bruit et la qualité de l'air.

Le rapport conclut qu'aucun des scénarios ne permet d'atteindre un niveau zéro d'émissions nettes en 2050 en se limitant à des mesures internes au secteur, ce en raison des émissions survenant tout au long du cycle de vie des carburants, y compris dans l'hypothèse où les carburants fossiles seraient totalement remplacés par des carburants d'aviation durables.

Le rapport souligne également que le taux de croissance du trafic aérien a un impact significatif sur les émissions résiduelles de CO2 d'ici 2050. Par ailleurs, l'hydrogène, bien que ne représentant qu'une petite partie de l'énergie en 2050, pourrait jouer un rôle plus important dans les décennies suivantes si son utilisation devient techniquement et commercialement viable.

Des améliorations dans les performances des aéronefs à travers toutes les phases de vol, y compris par des mesures non conventionnelles telles que les vols en formation, sont envisagées pour réduire davantage les émissions de CO2.

Les coûts et les investissements associés aux différents scénarios sont largement influencés par les carburants, notamment durables, et nécessitent des investissements significatifs de la part des gouvernements et du secteur aérien.

Émissions de CO2 de l'aviation internationale associées aux scénarios LTAG

Source : OACI 2022

III. LA FEUILLE DE ROUTE DE L'UNION EUROPÉENNE

A. LE PACTE VERT EUROPÉEN (2019)

Annoncé en décembre 2019 par la Commission européenne, le Pacte vert européen (en anglais, European Green Deal) présente une stratégie de transformation visant à atteindre, d'ici 2050, la neutralité carbone au sein de l'Union européenne.

Contrairement aux initiatives précédentes de l'Union européenne, souvent sectorielles et principalement axées sur l'énergie, le Pacte vert européen adopte une approche transverse. Il vise à intégrer et à harmoniser les politiques environnementales à travers presque tous les secteurs de l'économie : énergie, industrie, alimentation et agriculture, transports, etc. Le secteur de l'aviation est bien entendu concerné.

Le système d'échange de quotas d'émission au sein de l'Union européenne (EU-ETS, en anglais European Union Emissions Trading System), mis en place à partir de 2005, devait s'appliquer à partir de 2012 à l'ensemble des vols de l'Union européenne. Mais une levée de bouclier des gouvernements étrangers, en particulier des États-Unis et de la Chine, a conduit à limiter son application aux vols intérieurs de l'Espace économique européen (EEE).

En octobre 2023, le Conseil et le Parlement européens ont adopté les dispositions essentielles du paquet climat « Fit For 55 » (en français, « ajustement à l'objectif 55 »), dont le nom fait référence à l'objectif de réduire de 55 % les émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2030 par rapport à 1990. Suite à l'invasion de l'Ukraine par la Russie, cet objectif a été révisé à 57 % à l'occasion de la publication du plan REPowerEU pour renforcer la sécurité énergétique de l'Union européenne.

Dans ce cadre, les émissions des secteurs couverts par le système EU-ETS devront diminuer de 62 % d'ici 2030 par rapport à leurs niveaux de 2005, ce qui passera par la suppression complète, d'ici 2026, des quotas d'émission gratuits alloués au secteur aérien. Jusqu'en 2026, le champ d'application du système restera limité aux vols intérieurs mais pourrait être étendu par la suite.

Par ailleurs, la réglementation RefuelEU adoptée dans le cadre du paquet climat « Fit For 55 » fixe des quotas d'incorporation de carburants d'aviation durables. Les fournisseurs de carburants devront également respecter des quotas de fourniture de carburants d'aviation durable.

Les aéroports de l'Union européenne dont le trafic annuel est supérieur à 800 000 passagers ou le trafic de fret supérieur à 100 000 tonnes doivent permettre le ravitaillement en carburants d'aviation durables. Si possible, ils devront également mettre en place les infrastructures nécessaires à d'autres sources d'énergie, comme l'électricité ou l'hydrogène.

Les compagnies aériennes opérant au départ d'aéroports situés dans l'Union européenne sont tenues d'avitailler au sein de l'Union au moins 90 % du carburant d'aviation dont elles ont besoin chaque année. Cette obligation vise à éviter le tankering, une pratique consistant à emporter plus de carburant que nécessaire à partir de pays tiers.

Jusqu'en 2035, un mécanisme de flexibilité des carburants d'aviation durables permettra de moyenner l'obligation d'incorporation entre les aéroports de l'Union européenne. Ainsi, les objectifs pourront être dépassés dans certains aéroports et ne pas être atteints dans d'autres, par exemple les plus petits.

L'une des mesures du paquet « Fit for 55 » susceptible d'avoir un impact sur le secteur de l'aviation n'a pas encore été adoptée et ne le sera probablement pas avant les prochaines élections européennes. Il s'agit de la refonte de la directive sur la taxation de l'énergie (en anglais, Energy Taxation Directive ou ETD) qui fixe un cadre pour la taxation de l'électricité et des carburants, dont les carburants pour l'aviation, au sein de l'Union européenne.

La proposition initiale de réforme met fin aux exonérations fiscales actuelles sur le kérosène pour les vols intérieurs de transport de passagers. Concrètement, pour ces vols, le taux d'imposition minimal du carburant d'aviation est progressivement augmenté pendant 10 ans, jusqu'à atteindre 10,75 euros par gigajoule. Les carburants d'aviation durables et l'hydrogène renouvelable ne sont pas soumis à cette taxe.

B. LE RAPPORT DESTINATION 2050 - UNE TRAJECTOIRE VERS L'AVIATION EUROPÉENNE À ZÉRO ÉMISSION (2021)

Suite à la « table ronde sur la relance de l'aviation européenne » qui s'est tenue en novembre 2020, cinq associations européennes ont pris, dans le cadre d'un rapport intitulé Destination 2050 - A route to net zero European aviation (en français : « Destination 2050 - Une trajectoire vers l'aviation européenne à zéro émission »), une série d'engagements visant à décarboner l'aviation européenne d'ici 2050.

Il s'agit des associations Airlines for Europe (A4E), qui regroupe des compagnies aériennes européennes, Airports Council International-EUROPE (ACI), qui représente des opérateurs de plateformes aéroportuaires, Aerospace and Defence Industries Association of Europe (ASD), qui défend les intérêts d'industriels du secteur aérospatial et de défense, European Regions Airline Association (ERA), dont les adhérents sont des compagnies aériennes régionales, et Civil Air Navigation Services Organisation (CANSO) qui rassemble des prestataires de services de la navigation aérienne.

Le rapport conclut qu'il est possible de parvenir, d'ici 2050, à des émissions nettes de CO2 nulles pour tous les vols à l'intérieur et au départ de l'Union européenne par des efforts conjoints et coordonnés de l'industrie et des pouvoirs publics. Les associations représentant l'industrie aéronautique européenne se sont engagées à atteindre cet objectif et à contribuer aux objectifs fixés dans le cadre du Pacte vert européen et de l'Accord de Paris.

Les résultats sont présentés pour tous les vols à l'intérieur et au départ de la région Union européenne35(*). L'amélioration de la technologie des avions et des moteurs, de la gestion du trafic aérien et de l'exploitation des avions, ainsi que les carburanst d'aviation durables et les mesures économiques offrent tous un potentiel de décarbonation.
Modélisés pour 2030 et 2050, les impacts sont interpolés de manière linéaire. L'année de référence de cette étude est 2018.

Le rapport identifie un scénario permettant d'atteindre cet objectif, qui combine les nouvelles technologies, des opérations améliorées, des carburants d'aviation durables et des mesures économiques. Les émissions absolues seraient réduites de 92 %, tandis que les 8 % restants seraient éliminés de l'atmosphère par des émissions négatives, obtenues grâce à des puits de carbone naturels ou des technologies spécifiques.

Enfin, le rapport formule plusieurs recommandations pour l'industrie et les gouvernements européens.

Pour l'industrie aéronautique, les recommandations consistent à continuer à investir massivement dans la décarbonation, à développer des avions plus économes en carburant et à les mettre en service grâce à un renouvellement continu de la flotte, à développer des aéronefs à hydrogène et des aéronefs hybrides et électriques ainsi que les infrastructures aéroportuaires associées, à accroître la production et l'adoption des carburants d'aviation durables, à mettre en oeuvre les dernières innovations en matière de gestion du trafic aérien et à compenser les émissions de CO2 restantes par la captation du CO2 dans l'air.

Pour les gouvernements européens, il est recommandé de soutenir les investissements industriels en les stimulant directement ou en réduisant le risque d'investissement grâce à un cadre politique cohérent et à long terme, de stimuler le développement et le déploiement d'innovations en finançant des programmes de recherche et en promouvant les technologies d'élimination du carbone, de collaborer avec le secteur de l'énergie pour garantir une disponibilité suffisante d'énergies renouvelables à un coût abordable, de soutenir le développement de l'industrie des carburants d'aviation durables, enfin de contribuer à l'optimisation de la gestion du trafic aérien, notamment en mettant pleinement en oeuvre le « ciel unique européen ».

IV. LES FEUILLES DE ROUTE NATIONALES

A. LE PLAN DE RELANCE DE L'AÉRONAUTIQUE (2020)

En juin 2020, la Direction générale de l'aviation civile (DGAC), en concertation avec le Conseil pour la recherche aéronautique civile (CORAC), a présenté une nouvelle feuille de route du secteur aéronautique, associée à un soutien financier de 1,5 milliard d'euros décidé dans le cadre du plan de relance de juin 2020.

Ce soutien financier cible la conception, à horizon 2030, de trois modèles d'avion décarbonés : un successeur « ultra sobre » de l'Airbus A320neo, avec une exigence de réduction de la consommation de carburant d'au moins 30 % ; un nouvel avion régional à propulsion électrique ou hybride électrique-hydrogène ; enfin, d'ici 2035, un nouvel avion zéro émission, propulsé à l'hydrogène, avec un premier démonstrateur entre 2026 et 2028.

Par rapport à la précédente feuille de route du CORAC, définie en 2019 avant l'épidémie et avant le Pacte vert européen, cette nouvelle stratégie avance le calendrier prévu de dix ans.

B. LA FEUILLE DE ROUTE DE LA DÉCARBONATION DU TRANSPORT AÉRIEN DU CORAC (2021)

Le CORAC joue un rôle prépondérant dans la définition des orientations stratégiques et des priorités de recherche pour la décarbonation de l'aviation en France. Sa feuille de route, publiée en décembre 2021, vise à aligner les efforts de recherche et développement avec les investissements et les initiatives politiques, afin d'atteindre les objectifs de réduction des émissions de CO2 dans le secteur aérien.

La feuille de route du CORAC identifie plusieurs axes de recherche et d'innovation prioritaires, tels que l'amélioration de l'efficacité aérodynamique des avions, la gestion optimisée du trafic aérien, les carburants d'aviation durables et les propulsions alternatives.

Elle prévoit notamment la mise en service d'un hélicoptère hybride ultra frugal en 2030, d'un avion régional ou court-moyen-courrier de nouvelle génération à zéro émission en 2035 et d'un avion d'affaires « ultra frugal » (30 % d'amélioration de l'efficacité énergétique) à partir de 2030.

Trajectoire de décarbonation de l'aérien - périmètre Monde

Référence de la stratégie CORAC pour le « zéro émission nette » en 2050

C. LA FEUILLE DE ROUTE DE DÉCARBONATION DE L'AÉRIEN DANS LE CADRE DE LA LOI CLIMAT ET RÉSILIENCE (2023)

Présentée en mars 2023, la feuille de route de décarbonation de l'aérien36(*) résulte d'un travail de synthèse des travaux engagés, sous l'égide de la DGAC et du GIFAS, par les acteurs de la filière aérienne, dans le cadre de l'article 301 de la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets - dite loi Climat et résilience - du 22 août 2021.

Elle propose deux scénarios : « Action » et « Accélération », déclinés sur les périmètres « Domestique France » et « Départ international France », pour lesquels la croissance du trafic est donnée à 0,8 % par an sur le premier périmètre et 1,1 % par an sur le second (en passager.kilomètre, PKT).

Sur le premier périmètre, le scénario « Action » prévoit une décarbonation du secteur aérien de près de 80 % à l'horizon 2050, les émissions résiduelles étant compensées. Les mesures permettant d'atteindre ce résultat sont : le renouvellement des flottes, l'utilisation d'avions plus performants, des opérations aériennes optimisées et, surtout, l'incorporation de carburants d'aviation durables à hauteur de 63 % en 2050. Plus ambitieux, le scénario « Accélération » vise une décarbonation du secteur aérien de 92 % à horizon 2050, notamment par une incorporation des carburants d'aviation durables à hauteur de 85 % en 2050 (10 % en 2030) et une accélération de l'innovation.

Scénario « Accélération » vols intérieurs

« renouvellement 2018 » désigne le renouvellement des flottes dotées de technologies datant de 2018

Sur le périmètre « Départ international France », le scénario « Action » prévoit une décarbonation à hauteur de 77% à l'horizon 2050 et le scénario « Accélération » une décarbonation à hauteur de 91%, également grâce à plus d'incorporation de carburants d'aviation durables et à une accélération de l'innovation.

Scénario « Accélération » vols internationaux au départ de la France

« renouvellement 2018 » désigne le renouvellement des flottes dotées de technologies datant de 2018

La réalisation de ces différents scénarios s'accompagne de recommandations d'actions pour la filière : déploiement par les industriels d'avions plus efficaces sur le plan énergétique et acquisition de ces derniers par les compagnies aériennes ; poursuite des recherches sur la nouvelle génération d'aéronefs et sur l'incorporation à 100% des carburants aéronautiques durables dans les flottes ; développement d'une filière nationale de carburants aéronautiques durables et incorporation croissante de ces derniers, au-delà des exigences réglementaires dans le scénario le plus ambitieux ; investissement dans les installations d'électrification au sol et l'achat d'engins de piste bas carbone et déploiement des logiciels d'accompagnement des pilotes et des outils de partage d'information entre aéroports, compagnies aériennes et contrôleurs pour optimiser les opérations en vol et au sol ; adaptation des infrastructures aéroportuaires pour garantir la distribution des énergies et vecteurs énergétiques décarbonés ; enfin adaptation des emplois et des compétences, pour garantir le déploiement des différents leviers de décarbonation.

Par ailleurs, les acteurs de la filière adressent, dans ce même cadre, des demandes à l'État : un financement du CORAC à hauteur de 450 M€ par an ; l'implication des opérateurs (compagnies aériennes et aéroports) et le soutien financier à ces derniers ; la facilitation de l'émergence d'une filière française des carburants d'aviation durables, qui nécessite de structurer une filière de production, de contribuer au financement des investissements initiaux et de subventionner l'incorporation en France ; la mobilisation des énergies décarbonées ou bas carbone (électricité et biomasse), dans les proportions requises pour tenir la trajectoire présentée, notamment dans le cadre des futures planifications énergétiques ; le soutien au renouvellement accéléré des flottes, par des mesures d'aides financières, fiscales et comptables ; l'accompagnement des services de la navigation aérienne et des industriels concernés par l'optimisation des opérations en vol et au sol ; enfin, la garantie de la soutenabilité financière globale de la décarbonation du secteur, en mettant en place des dispositifs de soutien adéquats, en évitant les doubles taxations et les distorsions de concurrence.

D. LA FEUILLE DE ROUTE DU BUREAU FRANÇAIS DES E-FUELS (2023)

La création d'un Bureau français des e-fuels a été annoncée en juillet 2023. Organisme indépendant, il réunit des « experts, professeurs, chercheurs, universitaires, industriels, techniciens et financiers ». Son objectif prioritaire est de promouvoir une « filière française d'e-fuels, vertueuse, compétitive et durable ».

Il assure un suivi du secteur au travers de la publication d'un Observatoire des e-fuels qui se focalise sur trois carburants de synthèse : l'e-méthane, l'e-méthanol et l'e-kérosène. Cet observatoire propose une cartographie de la filière mise a` jour régulièrement : revue des projets et des briques technologiques, besoins en intrants, impacts socio-économiques et environnementaux.

La figure suivante présente les 24 projets d'implantation d'installations de production d'e-fuel, tous stades d'avancement confondus, répartis sur 18 départements métropolitains.

Implantation des projets de production d'e-fuel sur le territoire

Source : Observatoire français des e-fuels, Bureau français des e-fuel / SIA Partners, juillet 2023

La feuille de route publiée par le Bureau français des e-fuels est un document beaucoup plus synthétique que les autres feuilles et ne comporte aucun scénario. Elle présente toutefois l'intérêt de mettre en avant les enjeux et conditions du développement de cette filière, ainsi que les atouts dont dispose la France.

Les enjeux portent sur la capacité de la France à construire pendant la décennie 2020 une filière industrielle des e-fuels pour satisfaire ses besoins et se positionner à l'export. À défaut, la France risquerait d'accentuer sa dépendance industrielle et énergétique.

Étant donné que le coût de production des e-fuels « réside principalement dans l'alimentation électrique des électrolyseurs représentant entre 50% et 75% du coût final », la « compétitivité des projets français dépendra de leur capacité à sécuriser des contrats d'achat d'électricité bas-carbone sur le long terme à un prix suffisamment bas. »

Aussi, la feuille de route préconise deux niveaux d'intervention de l'État : d'une part, « s'assurer qu'une partie de la production d'électricité bas carbone nationale puisse être allouée aux projets d'e-fuels pour permettre l'émergence d'une filière (...) (besoin estimé entre 15 et 20 TWh) », d'autre part « lancer le développement massif de moyens additionnels de production d'électricité bas carbone, nucléaire et renouvelables, afin d'accompagner après 2035 l'accroissement des besoins liés à la décarbonation de l'économie dont l'aviation et le maritime. »

TROISIÈME PARTIE
TECHNOLOGIES ET INNOVATIONS POUR LA DÉCARBONATION

I. L'INNOVATION DANS LA CONCEPTION ET L'EFFICACITÉ DES AVIONS

L'une des voies possibles pour réduire les émissions de gaz à effet de serre du transport aérien consiste à augmenter l'efficacité énergétique des aéronefs, c'est-à-dire diminuer leur consommation de carburant sur une distance donnée, puisque le carburant est la source des émissions de CO2.

Trois leviers principaux peuvent être actionnés à cette fin : réduire la masse de l'avion, améliorer son aérodynamique afin de réduire la traînée, et électrifier certaines fonctions annexes.

A. LA RÉDUCTION DE LA MASSE DES AÉRONEFS

Au fil du temps, la masse et la taille des avions n'ont cessé d'augmenter afin de pouvoir emporter plus de passagers ou plus de fret sur de plus longues distances. Ceci a permis une réduction globale de la consommation par passager.km.

 
 

Évolution de la masse maximum au décollage des avions en fonction de l'année de mise en service

(Source : Bejan et al.37(*))

Évolution de la consommation de carburant par siège pour 100 kilomètres en fonction de la masse de l'avion par siège pour différentes générations d'avion

(Source : Bejan et al.)

Les deux éléments les plus lourds de l'avion sont les moteurs et le train d'atterrissage, suivis par les câbles, les groupes auxiliaires de puissance (APU), les sièges et les commandes de bord.

Les avions peuvent être sensiblement allégés en mettant en oeuvre plusieurs technologies : la substitution de matériaux composites aux matériaux métalliques et la fabrication additive ; le multiplexage, la fibre et le sans-fil pour l'allègement des câbles de transmission de données.

1. Les matériaux composites

Comme leur nom l'indique, les matériaux composites sont constitués de plusieurs éléments, en général une fibre de renforcement, pour l'aéronautique usuellement de la fibre de carbone ou de verre, et une matrice qui permet de solidariser ces fibres, par exemple de la résine Époxy.

Dans le fuselage, les ailes et les freins, on utilise surtout des composites en fibre de carbone en raison de leur résistance élevée. L'emploi de composites à matrice céramique dans les moteurs se développe en raison de leur exceptionnelle résistance aux hautes températures et à la corrosion.

Depuis une trentaine d'années, l'industrie aéronautique a progressivement adopté la substitution de certaines pièces métalliques par des composites. Elle a initialement été mise en oeuvre, au milieu des années 1990, sur les avions régionaux, tels que l'ATR-72, avant de s'étendre progressivement aux avions de ligne. Au cours des deux dernières décennies, l'incorporation de composites dans les structures d'avion a considérablement augmenté, comme l'illustre la figure ci-après. Les avions de génération récente, tels que l'Airbus A380 et le Boeing 787, intègrent désormais près de 50 % de matériaux composites, contre moins de 30 % pour ceux qui ont été mis en service au début des années 2000.

Évolution de l'utilisation de matériaux composites dans l'aviation en pourcentage massique (d'après Benoît Montagne38(*))

Les matériaux composites sont avantageux par leur légèreté, leur grande rigidité, leur résistance physique et la possibilité de réaliser des structures plus intégrées. Même si leur fabrication peut demander plus d'énergie et générer plus de CO2, leur légèreté permet une réduction de 20 % à 25 % des émissions sur le cycle de vie complet d'un avion39(*). Ainsi, le Boeing 787 mis en service en 2009, premier long-courrier à intégrer 50 % de matériaux composites, a permis une réduction de 20 % de la consommation de carburant par rapport à la génération précédente.

La réduction de la masse de certains éléments de la cabine peut également conduire à des gains substantiels. Par exemple, les sièges représentent 10 % de la masse d'un avion au décollage. Or, leur poids peut être réduit de façon significative. Ainsi, une start-up française a conçu un siège en composite de titane et de fibres de carbone permettant une réduction de l'ordre de 30 % du poids par rapport à des sièges usuels en acier et aluminium40(*).

La mise en oeuvre des matériaux composites requiert un savoir-faire technologique de pointe. Des recherches complémentaires demeurent nécessaires pour mieux connaître leur comportement : élasticité, rupture, fatigue, etc., afin d'étendre leur usage à d'autres parties des structures : panneaux à double courbure à la pointe de l'avion, nacelle, train d'atterrissage, etc. et contourner certaines limites techniques, par exemple l'impossibilité d'utiliser les procédés de dégivrage thermique sur des matériaux ne conduisant pas la chaleur, contrairement aux matériaux métalliques.

Enfin, l'utilisation croissante de composites requiert l'usage de plus en plus important de titane, afin de renforcer la structure, ce qui induit des coûts supplémentaires.

2. La fabrication additive

La fabrication additive consiste en la reconstitution en trois dimensions d'un modèle numérique, par dépôts successifs de matière. Cette technique permet de concevoir des composants optimisés, utilisant des quantités de matériaux minimales, qu'il s'agisse de résines, de plastiques ou de métaux, ce qui réduit la masse des pièces. En effet, elle permet d'ajouter exactement la quantité de matière nécessaire, au lieu d'en retirer d'une forme préexistante, ce qui évite également de générer des déchets de chutes. Par exemple, la fabrication additive des pièces en alliage cobalt-chrome dans les moteurs GenX-2B de General Electric permet de les rendre 10 % plus légères, tout en réduisant de 90 % la production de déchets métalliques41(*).

Connue depuis une quarantaine d'années, la fabrication additive était initialement utilisée de façon parcimonieuse dans l'aéronautique, essentiellement pour le prototypage rapide des pièces. Son utilisation par les avionneurs et les motoristes est progressivement devenue plus courante pour les pièces finales42(*). D'après le référentiel Supaéro, la diminution de la masse résultant de la fabrication additive permettrait une réduction de l'ordre de 6 % de la consommation de carburant par passager.km.

3. L'allègement des câbles de transmission

Comme l'ont souligné les interlocuteurs de la société Safran lors de leur audition, les centaines de câbles embarqués pour assurer le transfert de données représentent en moyenne environ 10 % de la masse totale d'un avion.

Ce pourcentage varie en fonction de la catégorie de l'appareil. Par exemple, l'Airbus A380-800, d'un poids à vide de 270 tonnes, compte 470 kilomètres de câbles d'un poids de quelque 7,7 tonnes, poids auquel il convient d'ajouter environ 30 % pour prendre en compte les fixations à la structure43(*).

Plusieurs évolutions techniques permettent de réduire la masse des câbles embarqués d'au moins 30 %.

En permettant la transmission de multiples signaux au travers d'un seul câble, les techniques de multiplexage temporel (signaux envoyés à des moments différents) ou fréquentiel (signaux utilisant des fréquences différentes) permettent de diminuer le nombre de câbles nécessaires à bord d'un avion.

Par ailleurs, les fibres optiques, qui font transiter un signal lumineux, sont de plus en plus utilisées pour la transmission de données dans les avions en raison de leur faible poids, de leur large bande passante et de leur immunité aux interférences électromagnétiques.

Enfin, des capteurs et des systèmes sans fil sont en cours de développement pour surveiller les paramètres de santé de l'aéronef et assurer la communication entre certains composants44(*). Près de 30 % des câbles pourraient être rendus inutiles de ce fait45(*).

B. L'AMÉLIORATION DE L'AÉRODYNAMIQUE

La traînée est la force horizontale qui s'oppose à la poussée des moteurs : la réduire est essentiel pour consommer moins de carburant. Il existe deux traînées principales, chacune participant environ de la moitié de la traînée totale. La traînée induite est due à la différence de pression entre l'intrados (surface inférieure du profil de l'aile) et l'extrados (surface supérieure) générée par la portance ; celle-ci provoque des tourbillons marginaux en bout d'aile et oriente la force de portance locale légèrement vers l'arrière, d'où la création de traînées. La traînée de frottement est due au frottement de l'air (viscosité) contre les surfaces de l'avion en contact avec l'écoulement d'air.

Pour réduire la traînée, il est donc nécessaire de faire évoluer la voilure. Plusieurs pistes d'amélioration sont envisageables.

1. La réduction de la traînée induite

Théoriquement, la traînée induite serait nulle sur une aile infinie. De façon plus réaliste, l'allongement des ailes, c'est-à-dire le rapport de l'envergure sur la corde, est inversement proportionnel à la traînée induite.

Sur la dernière génération d'avions (Airbus A320neo et Boeing B737 Max), des winglets, c'est-à-dire des ailettes recourbées, ont été ajoutés en bout d'aile. Ils permettent de casser les tourbillons générés, ainsi que l'illustre la figure ci-après, ce qui réduit la traînée induite par la portance et conduit à diminuer la consommation d'environ 3 %.

Avec le projet Gulhyver (Gull signifiant goéland et hyver faisant allusion à l'hydrogène liquide) dévoilé au Salon du Bourget 2023, l'ONERA étudie des solutions de rupture pour réduire la traînée à l'horizon 2030-2035. L'institut envisage un nouvel avion monocouloir doté de moteurs de type Open Rotor alimentés en hydrogène, dont les ailes auraient un nouveau facteur de forme : elles seraient 20 fois plus longues que larges, alors qu'elles ne le sont que 11 fois sur un Airbus A320.

Ainsi que l'a expliqué Philippe Beaumier, directeur de l'aviation civile de l'ONERA, ce choix induit plusieurs contraintes. D'abord, des ailes plus allongées sont sujettes à des efforts mécaniques et à des déformations plastiques plus importants. C'est pourquoi l'ONERA envisage l'ajout de haubans pour les soutenir, comme sur la figure ci-après.

La sensibilité aux rafales de vent et la gestion des phénomènes liés aux frottements et aux vibrations restent à étudier. En effet, une aile trop souple peut subir des phénomènes de flottement et devenir difficile à contrôler. Les surfaces mobiles, ailerons, volets et spoilers, devront de ce fait être adaptées, et l'usage de matériaux composites sera sans doute nécessaire pour alléger la structure et la rendre plus manoeuvrable.

La NASA et Boeing ont dévoilé en février 2024 le projet de démonstrateur technologique X-66A qui reprend les grandes lignes du projet Gulhyver, avec un rapport d'allongement de la voilure de 19,55 et un haubanage, mais une motorisation classique, similaire à celle de l'Airbus A320neo. Ce type de voilure avait déjà fait l'objet d'études conjointes par le passé.

Projet Gulhyver

Source : ONERA

Projet X66-A 

Source : Boeing

2. La réduction de la traînée de frottement

• La traînée de frottement peut être réduite en s'efforçant de garder un régime laminaire, c'est-à-dire avec un écoulement restant accroché à la surface de l'aile sur sa plus grande partie, au lieu d'un régime turbulent, comportant des tourbillons. Le régime laminaire permet en effet de diminuer la dépendance entre la vitesse et les frottements, ce qui réduit la traînée. Les ailes à laminarité étendue permettent de conserver le régime laminaire sur une grande partie de la corde : 60 % dans les cas les plus favorables, au lieu de 10 % à 20 % en temps normal.

Ces ailes sont notamment étudiées depuis 2008 au travers du projet BLADE (Breakthrough Laminar Aircraft Demonstration in Europe) piloté par Airbus, dans le cadre de l'initiative technologique européenne Clean Sky (ciel propre). Ce projet explore le comportement en vol des voilures laminaires, en vue d'une exploitation sur des avions de transport civils.

En 2017, un démonstrateur a effectué son premier vol. Il s'agissait d'un Airbus A340 dont les bouts d'aile ont été remplacés par deux tronçons inclinés vers le bas, formant un angle de 20 degrés avec le fuselage, contre 30 degrés pour le reste de la voilure. La partie arrière est plus épaisse que la partie avant et très lisse, afin de retarder au maximum l'arrivée de l'écoulement turbulent. Le projet BLADE a conduit à une réduction de la traînée globale de 8 % et à un gain de consommation de carburant de 5 %46(*).

Cependant, le résultat n'a pu être obtenu que pour une vitesse optimale inférieure à celle de l'Airbus A340 (Mach 0,75 au lieu de 0,82). Le profil laminaire serait donc adapté à des avions un peu moins rapides et au rayon d'action plus faible, de type moyen-courrier. Par ailleurs, il est nécessaire de garantir l'écoulement laminaire en toutes circonstances, même avec de petites déformations, par exemple résultant d'insectes écrasés sur la voilure, ce qui implique de poursuivre les recherches.

L'étude des ailes à laminarité étendue fait partie intégrante du projet européen Large Passenger Aircraft Innovative Aircraft Demonstrator Platform coordonné par Airbus qui s'est déroulé de janvier 2020 à avril 2024 dans le cadre de l'initiative Clean Sky 2.

Démonstrateur d'Airbus A340 à voilure laminaire

Source : Airbus

En termes d'architecture, l'intégration motrice permettrait une réduction de la consommation de carburant. En effet, la configuration plaçant les moteurs sous les ailes, utilisée depuis 50 ans, pourrait évoluer.

Depuis 2015, dans le cadre du projet NOVA, l'ONERA étudie une intégration partielle du moteur à l'arrière du fuselage, comme sur la figure ci-après. Cette intégration permet une ingestion de couche limite (Boundary Layer Ingestion) : la poussée est produite à partir d'un écoulement situé juste à l'arrière de l'avion, à une vitesse plus faible, qui permet un meilleur rendement propulsif et une réduction de consommation de carburant de 3 % à 4 %47(*).

De plus, l'intégration de la motorisation dans l'architecture de l'avion pourrait réduire la formation des traînées de condensation du fait de l'écartement accru des sorties moteurs par rapport aux extrémités des ailes, où naissent les tourbillons de sillage propices à la formation de cirrus de condensation lorsqu'il piégent la vapeur rejetée par les moteurs48(*).

• L'intégration motrice peut également être appliquée à une aile volante à fuselage intégré, configuration radicalement différente de celle des aéronefs actuels. Inventée en Allemagne dans les années 1920, le concept d'aile volante à fuselage intégré a été repris dans les années 1990 par la NASA ainsi que par les avionneurs McDonnell Douglas et Boeing dans le cadre de deux démonstrateurs (BWB-17 et X-48), puis par Airbus, en 2019, pour son démonstrateur MAVERIC (Model Aircraft for Validation and Experimentation of Robust Innovative Controls), avec une perspective de réduction de la consommation de 20 % par rapport aux avions actuels.

Démonstrateur Airbus Maveric

Source : Airbus

Cette architecture améliore la performance aérodynamique, réduit le poids de l'aéronef et est la plus efficace en termes de capacité d'emport. Elle permet de transporter plus de carburant pour une même taille d'avion49(*). Elle permettrait une diminution de masse de 15 %50(*) et une augmentation de l'efficacité énergétique allant jusqu'à 25 %51(*).

Cependant, cette architecture présente plusieurs inconvénients significatifs : une résistance réduite aux efforts de pressurisation par rapport à un fuselage cylindrique, des problèmes de stabilité et de contrôle, une plus faible portance imposant une augmentation de l'envergure, une évacuation d'urgence moins simple des passagers et des emplacements réduits pour les hublots.

Malgré ces inconvénients, les atouts de l'aile volante à fuselage intégré rendent ce concept attractif. Ainsi, en parallèle d'Airbus, la start-up américaine JetZero développe une aile volante à fuselage intégré en trois variantes : un avion de 200 passagers, un avion-cargo et un avion-citerne. La forme de l'avion se prête si bien à cette dernière application que l'armée de l'air américaine a accordé 235 millions de dollars à cette société pour développer un démonstrateur grandeur nature, afin de valider les performances du concept.

Une revue récente de la littérature scientifique sur l'ingestion de couche limite montre que la réduction de consommation de carburant pour une aile volante à fuselage intégré pourrait aller jusqu'à 50 % sur de moyennes distances52(*).

C. L'ÉLECTRIFICATION DES SYSTÈMES NON PROPULSIFS

Il est possible de consommer moins de carburant en le remplaçant par de l'électricité lorsqu'il n'est pas absolument nécessaire.

La source d'énergie des systèmes non propulsifs comme la climatisation, le dégivrage, le démarrage moteur, effectué par les groupes auxiliaires de puissance ou APU53(*), est normalement le kérosène, mais ce pourrait être directement de l'électricité. À ce jour, une électrification partielle des systèmes non propulsifs est déjà réalisée, mais les évolutions techniques tendent vers une électrification plus poussée, ce qui a conduit au concept de « More Electric Aircraft » (MEA).

Le Boeing 787 Dreamliner, mis en service en 2011, illustre cette évolution vers plus d'électrification des principaux systèmes. Le système de prélèvement d'air dans le moteur est remplacé par deux compresseurs électriques, ce qui évite tout risque de contamination par des composés chimiques issus de l'huile moteur ou du fluide de refroidissement. Le démarrage des moteurs, habituellement effectué par les groupes auxiliaires de puissance (APU), est lui aussi électrique. Le système de dégivrage fonctionne avec des éléments chauffants électrothermiques encastrés dans le bord d'attaque de l'aile. Les pompes hydrauliques pour les volets, les becs de bord d'attaque, les aérofreins et autres surfaces de contrôle sont également alimentées électriquement. La puissance électrique totale à bord s'élève à 1,45 mégawatt, soit environ cinq fois la puissance électrique disponible sur les avions conventionnels de taille similaire.

Comparaison des systèmes électriques d'un avion traditionnel (à gauche), doté d'une distribution centralisée, avec des disjoncteurs, relais et contacteurs, et de la distribution décentralisée du 787 (à droite), avec des contrôleurs de puissance à semi-conducteurs et contacteurs

Source : Boeing54(*)

D'après Boeing, ce système permet de réduire de 35 % l'appel à la puissance des moteurs55(*), ce qui se traduit par une augmentation de la poussée et un meilleur rendement énergétique et permet une réduction de 3 % de la consommation de kérosène. En réduisant le nombre de composants, il permettrait également un allégement de l'avion et une simplification de sa maintenance.

Des études prospectives portant sur l'électrification de toutes les fonctions non propulsives concluent à la possibilité de réduire la consommation par passager.kilomètre de 9 % et la masse de 10 %56(*).

Le développement de composants à faible perte et faible masse, comme les supraconducteurs, permettrait une extension de l'électrification des systèmes et une meilleure gestion thermique. Les composants de haute-puissance seront aussi indispensables pour gérer les puissances électriques embarquées de plus en plus élevées, qui nécessitent des systèmes de distribution plus complexes.

D. LES ÉVOLUTIONS DE LA PROPULSION

Turboréacteur double flux et turbopropulseur

Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, il faut entre autres augmenter l'efficacité des moteurs, afin de consommer moins de carburant pour générer la même poussée en vol.

Le rendement thermopropulsif ou global mesure la performance des moteurs. Il est le produit de deux termes, le rendement thermique et le rendement propulsif :

· le rendement thermique désigne le rapport entre l'énergie cinétique fournie au gaz traversant le moteur et l'énergie produite par la combustion du carburant. Pour le maximiser, il faut que la combustion du carburant transfère le plus d'énergie possible au gaz ;

· le rendement propulsif désigne le rapport entre le travail mécanique de la force propulsive (la poussée) et l'énergie cinétique apportée au gaz traversant le moteur. Pour générer une poussée, le fluide doit être accéléré à une vitesse supérieure à celle du vol.

Pour améliorer l'efficacité des moteurs, on peut agir sur les rendements thermique et propulsif, le but étant de maximiser les deux pour atteindre le meilleur rendement thermopropulsif.

1. L'augmentation du rendement thermique

L'augmentation du rendement thermique repose sur l'amélioration de l'efficacité du cycle thermodynamique. Celle-ci peut venir des modifications apportées aux composants de la turbo-machine (compresseur, chambre de combustion et turbine) et à la conception technique générale de la chambre de combustion, ainsi que de l'augmentation de la température en sortie de chambre de combustion.

Cependant, l'augmentation de température est limitée par les composants de la turbine en sortie de chambre de combustion. En effet, les matériaux utilisés pour les aubes de la turbine, en alliages de titane, ont une température de fusion inférieure aux températures en sortie de chambre de combustion (1500-1800°C), ce qui oblige à prélever de l'air « froid » du compresseur afin de refroidir les premiers étages de la turbine, au détriment des performances du cycle thermodynamique.

Afin de lever cet obstacle, de nouveaux matériaux, en particulier des composites à matrice céramique (CMC) légers et capables de résister aux températures élevées en sortie de chambre de combustion, sont étudiés depuis plus d'une dizaine d'années, notamment par l'ONERA. Safran s'y intéresse également depuis les années 1970, à l'origine pour les missiles et les fusées. Il développe à l'heure actuelle l'expertise des CMC pour les turbines de moteurs aéronautiques au sein de sa filiale Safran Ceramics, basée au Haillan, en Gironde. Les CMC sont encore peu utilisés, à l'exception d'une pièce dans le moteur Leap. Safran espère parvenir à les intégrer dans une nouvelle génération de moteurs dans les prochaines années. Ils seront aussi utilisés dans le moteur RISE dont le développement devrait aboutir vers 2035.

2. L'amélioration du rendement propulsif

L'amélioration du rendement propulsif est principalement obtenue par l'augmentation du taux de dilution57(*), qui diminue l'écart entre la vitesse d'éjection des gaz et la vitesse de l'avion. Ainsi, une plus grande part de l'énergie cinétique des gaz éjectés est convertie en force propulsive.

Comparaison des rendements de différentes configurations de moteurs à gaz

Source : Rolls-Royce 199258(*)

Le taux de dilution peut être augmenté principalement de deux façons : en augmentant le débit massique autour de la turbine, ce qui peut être réalisé en accroissant la taille de la soufflante, ou en diminuant le débit massique à travers la turbine, ce qui peut être obtenu en rétrécissant le diamètre de celle-ci. L'application simultanée de ces deux approches permet de maximiser le taux de dilution.

Depuis les années 1970, l'efficacité des turboréacteurs a beaucoup progressé, tout d'abord grâce à l'amélioration de l'efficacité du cycle thermodynamique, ensuite grâce à une continuelle augmentation du taux de dilution. Les turboréacteurs à faible taux de dilution (jusqu'à 2:1) des années 1970 ont laissé la place aux turboréacteurs à taux de dilution médian (jusqu'à 4:1) dans les années 1980, puis aux turboréacteurs à haut taux de dilution (jusqu'à 8:1) à la fin des années 1990. Dans les années 2010, les turboréacteurs à très haut taux de dilution (jusqu'à 12:1) ont significativement amélioré l'efficacité propulsive des avions59(*).

C'est d'ailleurs un taux de dilution très élevé qui permet aux moteurs turbopropulseurs d'être plus efficaces que les turboréacteurs, car la soufflante carénée, dans les seconds, est remplacée dans les premiers par une hélice, non carénée. Une solution envisagée pour les court-courriers consisterait à remplacer les turboréacteurs par des turbopropulseurs. Les turbopropulseurs consomment moins de carburant que les turboréacteurs mais leur vitesse optimale est plus basse. L'augmentation du temps de trajet reste cependant négligeable pour les courtes distances. Cette modification pourrait induire une baisse des émissions de l'ordre de 40 à 45 %60(*).

Pour l'avionneur ATR, les avions régionaux à turbopropulseurs n'entrent pas en concurrence avec les lignes de trains à grande vitesse qui desservent des liaisons à fort trafic, mais ne sont pas rentables avec le trafic réduit des routes desservies par ces avions.

Lignes grande vitesse (en rouge) et routes de turbopropulseurs (en vert) en Europe

Source : ATR

Sur les moyen- et long-courriers, les soufflantes des moteurs de dernière génération (LEAP et Trent) mesurent environ deux mètres de diamètre, pour un taux de dilution de l'ordre de 10:1. Augmenter encore significativement la taille de la soufflante pose des problèmes de poids, puisque le carénage entourant la soufflante doit être élargi. Cet accroissement poserait aussi des problèmes de place, puisque les moteurs les plus récents touchent presque le sol. De plus, à vitesse de rotation identique, les extrémités de pales plus longues ont une vitesse linéaire plus élevée61(*), ce qui facilite l'atteinte du régime supersonique, avec une détérioration des performances aérodynamiques.

Deux voies sont à l'étude pour augmenter le taux de dilution au-delà du facteur 10:1 : les moteurs à très haut taux de dilution et les moteurs Open Fan.

Les moteurs à très haut taux de dilution, ou UHBPR (Ultra High Bypass Ratio), visent un taux de dilution dépassant 15:1, permettant une réduction de consommation allant jusqu'à 10 %62(*). Pour augmenter significativement le taux de dilution, la technologie utilisée est la turbosoufflante à engrenages. Dans une turbosoufflante à engrenages, une boîte de transmission de puissance entre la soufflante et l'arbre basse pression permet à ce dernier de tourner à des vitesses angulaires supérieures, améliorant l'efficacité générale et réduisant également le poids de l'ensemble.

Le moteur PW1000G de Pratt & Whitney, commercialisé depuis 2008, utilise une turbosoufflante à engrenages de technologie GTF (Geared Turbofan), ce qui lui permet d'atteindre un taux de dilution de 12,5:1, mais il nécessite une maintenance fréquente du mécanisme réducteur. Rolls-Royce devrait commencer la phase de test de l'Ultrafan, doté d'une boîte de transmission puissante (PGB ou Power Gearbox), utilisant des matériaux composites et un système de combustion avancé à faibles émissions63(*). Ce moteur aurait également un taux de dilution de 12:1 à 13:1, qui devrait conduire à une réduction de 10 % de la consommation de carburant par rapport aux dernières générations de moteurs Rolls-Royce équipant l'Airbus A350 ou le Boeing B787.

Selon une étude récente64(*), la technologie de turbosoufflante à engrenages permettrait de réduire la consommation de carburant jusqu'à 14 % par rapport à une turbosoufflante classique.

Il faut noter que l'accroissement du diamètre du système propulsif pourrait obliger à modifier l'emplacement des moteurs, par exemple en les renvoyant à l'arrière du fuselage. Les projets Carnot E2IM (étude de concepts innovants d'intégration motrice) et NOVA de l'ONERA, lancés en 2014, étudient, principalement sous l'angle de l'aérodynamique, les nouvelles possibilités d'intégration de réacteurs à grand taux de dilution65(*).

3. La technologie Open Fan

Pour accroître encore le taux de dilution, au-delà des limites de ces réacteurs UHBPR, il est envisagé de supprimer totalement le carénage aérodynamique qui entoure la soufflante. Cette conception de moteur, connue sous les noms « Open Fan » ou « Open Rotor » permet d'augmenter encore la taille des aubes, éléments de la soufflante en forme de cuillère ou de pale sur lesquels le fluide agit pour générer la propulsion, sans élargir démesurément les nacelles, qui sont les structures supportant le moteur.

Les premières études sur le sujet ont été réalisées dans les années 1980, en raison de la flambée des cours du pétrole. Le moteur GE36 « propfan » développé par General Electric Aircraft Engines, en partenariat avec la SNECMA et la NASA, doté d'une soufflante sans carénage, a été dévoilé en 1986. Malgré des performances satisfaisantes, il n'a jamais été commercialisé, à la fois en raison de la baisse du prix du pétrole et d'un niveau sonore élevé.

GE36 « propfan »

Copyright : By Duch - Own work, CC BY-SA 4.0

En 2017, Safran lance le démonstrateur CROR (Counter-Rotating Open Rotor). Pour pallier la limitation en vitesse de la soufflante liée au diamètre, il comporte deux hélices contrarotatives permettant de générer la même poussée à vitesse de rotation réduite. Les tests du moteur ont montré une réduction de consommation et d'émissions de CO2 supérieure à 10 %, ainsi que des performances sonores similaires aux moteurs actuels les plus silencieux. Ce test a permis de développer des briques technologiques clés, comme le contrôle de puissance ou l'intégration de la boîte de vitesse, réutilisées par la suite.

C'est en 2021 que naît le programme de recherche RISE (Revolutionary Innovation for Sustainable Engines) de CFM (co-entreprise fondée par Safran et General Electric Aircraft Engines), destiné au développement, à l'horizon 2035, du successeur du moteur LEAP de dernière génération. Le programme RISE vise des taux de dilution de l'ordre de 25:1 à 30:1 avec une taille de moteur atteignant deux fois celle du LEAP, soit quatre mètres de diamètre. Les vitesses attendues sont similaires à celles des avions monocouloirs traditionnels, soit Mach 0,8, avec des gains en consommation de carburant de l'ordre de 20 % et une réduction similaire des émissions de CO266(*).

Safran a recours à des aubes plus larges pour la soufflante, avec une aérodynamique et des performances acoustiques améliorées. La fabrication additive est utilisée pour les aubes en fibre de carbone, permettant un meilleur rendement propulsif. Parallèlement, CFM concentre ses efforts sur une plus grande compacité des éléments du moteur, notamment le système basse pression et la chambre de combustion. La boîte de vitesses verra aussi des améliorations et l'efficacité thermique sera renforcée grâce à l'utilisation de matériaux plus résistants à la chaleur et plus légers, tels que des alliages métalliques et des composites à matrice céramique. Enfin, le moteur sera à la fois compatible avec une incorporation à 100 % de carburants d'aviation durables et avec l'hydrogène.

Les problématiques de bruit, d'entretien des surfaces, et surtout les évolutions de l'architecture d'aéronef découlant du diamètre du moteur seront les principaux axes d'étude de l'Open Fan. Des tests en banc d'essai dans la soufflerie de Modane sont attendus vers 2024-2025 et Safran oeuvre pour obtenir la certification de ce moteur auprès de l'EASA et de la FAA. Dans le cadre du projet OFELIA (Open Fan for Environmental Low Impact of Aviation), mené sous l'égide de l'Union européenne, une démonstration au sol et en vol aura lieu vers 2025 sur un Airbus A380 équipé d'un seul de ces moteurs.

À l'occasion de la visite de l'usine de turboréacteurs de Pratt & Whitney située dans le Connecticut, les rapporteurs ont constaté que l'entreprise se focalise sur la montée en cadence de la production des réacteurs, pour répondre à la forte demande actuelle. En parallèle, elle prévoit de rendre ses réacteurs compatibles avec une intégration à 100 % des carburants d'aviation durables et développe également des motorisations hybrides. Mais des innovations de rupture, telles que l'Open Fan, sont considérées comme risquées, d'autant que l'acquis de l'entreprise dans ce domaine (Pratt & Whitney a développé en collaboration avec Allison son propre moteur Open Fan dans les années 1980) lui permettrait probablement de rattraper son retard, le cas échéant.

II. L'ÉLECTRIFICATION DE L'AVIATION

Les progrès de l'électrification dans les transports terrestres ont conduit à une transposition rapide des technologies correspondantes à l'aéronautique. Comme pour un véhicule terrestre, la propulsion électrique d'un avion comprend plusieurs briques technologiques : le moteur, le système de distribution haute tension et les batteries, le moteur électrique faisant tourner une ou plusieurs hélices, carénées ou non. L'avion 100 % électrique présentant à la fois des avantages majeurs, notamment pour la décarbonation, et des limitations techniques, en particulier de rayon d'action, le développement de modèles hybrides vise à tirer bénéfice des avantages respectifs des propulsions électrique et thermique.

A. LES ATOUTS DE L'ÉLECTRIFICATION

L'électrification présente plusieurs avantages majeurs dans le domaine de l'aviation.

Le premier atout est l'absence complète d'émissions en vol, qu'il s'agisse de CO2 ou d'autres émissions à l'origine d'effets non-CO2, comme les NOx, les suies ou la vapeur d'eau. Bien entendu, il faut garder en mémoire que la production d'électricité génère elle-même du CO2, si bien que le bilan carbone complet d'un avion sera fonction de l'intensité CO2 de l'électricité utilisée pour charger ses batteries.

Un deuxième intérêt notable de l'avion électrique porte, comme pour un véhicule terrestre, sur les coûts d'exploitation, à la fois en termes de consommation d'énergie et de maintenance. Ainsi, le rendement de la chaîne propulsive d'un avion électrique étant supérieur à celui d'un appareil doté d'un moteur thermique, le coût de l'électricité consommée durant un vol sera nettement inférieur à celui du kérosène qui serait nécessaire pour réaliser le même vol avec un appareil classique.

Un troisième bénéfice non négligeable de l'électrification porte sur la diminution du bruit, en particulier au décollage et à l'atterrissage, ce qui permet de réduire les nuisances à proximité des aéroports. Ce bénéfice est renforcé par le premier : l'absence d'émissions polluantes à proximité des aéroports dans les phases de décollage, d'atterrissage et au sol.

Enfin, en découplant physiquement la fonction de génération de puissance de la fonction propulsive, l'électrification permet de mettre en oeuvre une propulsion distribuée, constituée d'hélices réparties le long de la voilure de l'avion. Une telle configuration présente plusieurs avantages sur le plan aérodynamique, notamment une diminution des pertes d'énergie liées aux frottements qui pourrait se traduire par une baisse de la consommation d'énergie de 20 % à 30 %. Potentiellement, elle accroît également la portance à basse vitesse, ce qui permet un décollage et un atterrissage sur de courtes distances et par conséquent l'accès à un plus grand nombre d'aéroports.

En 2017, l'ONERA a annoncé le projet AMPERE (avion à motorisation répartie électrique de recherche expérimentale)67(*) portant sur un démonstrateur d'avion à propulsion électrique distribuée permettant de transporter de 4 à 6 passagers sur 500 kilomètres, puis en 2019 le projet DRAGON, qui « vise à évaluer les avantages et les inconvénients de la propulsion électrique distribuée pour un avion de ligne (150 passagers et une vitesse de croisière autour de Mach 0.8) ». L'ONERA estime que par rapport à un avion mis en service en 2014, la propulsion distribuée pourrait réduire la consommation de kérosène de plus de 25 % pour un vol de 1 400 kilomètres.

B. BATTERIES ET CÂBLAGE : UN ENJEU DE POIDS ET DE SÉCURITÉ

Si les moteurs électriques bénéficient d'un très bon rendement par rapport aux moteurs thermiques, la chaîne propulsive électrique présente un défaut majeur : un poids plus élevé que celui d'un chaîne propulsive classique.

Ce problème de poids résulte avant tout de la très faible densité énergétique massique des batteries. En effet, à l'heure actuelle, la densité énergétique massique des batteries lithium-ion se situe aux alentours de 250 Wh/kg, alors que celle du kérosène est d'environ 12 000 Wh/kg. La densité énergétique massique de ce dernier est donc 48 fois supérieure à celle des batteries.

Une étude récente de la NASA conclut que les seuils de densité énergétique des batteries permettant l'usage d'avions électriques pour l'aviation générale et régionale sont respectivement de 400 Wh/kg et de 750 Wh/kg68(*).

Densité énergétique des batteries nécessaires à différentes catégories d'avions

Source : BNEF69(*)

Tirée par l'industrie automobile, la recherche et développement sur les batteries progresse, comme l'a montré l'audition sur les avancées technologiques en matière de batteries organisée par l'Office parlementaire le 4 mai 2023. Plusieurs nouvelles technologies de batteries sont au stade de la recherche et développement ou de l'industrialisation : les batteries lithium-fer-phosphate, les batteries lithium-soufre, les batteries sodium-ion, les batteries « tout solide », les batteries lithium-air, etc.

Malgré ces évolutions, la densité énergétique des futures batteries restera très en-deçà de celle des carburants liquides. La plus prometteuse à moyen terme serait la technologie « tout solide » à anode lithium métallique qui pourrait atteindre une densité énergétique de 400 Wh/kg, ce qui correspondrait à la densité nécessaire à l'aviation générale, comme le montre le graphique ci-dessus. Mais l'audition précitée a mis en évidence l'incertitude qui pèse sur le délai d'industrialisation de cette technologie.

Un autre handicap notable des batteries concerne l'évolution du poids de l'avion durant le vol : alors que celui du kérosène diminue avec la distance parcourue, le poids des batteries reste constant. Cette stabilité a un impact direct sur la consommation d'énergie durant le vol, d'autant qu'elle nécessite aussi un renforcement de l'aéronef, qui doit supporter un poids élevé à l'atterrissage.

Par ailleurs, les batteries destinées à l'aviation doivent répondre à des contraintes spécifiques, en particulier des cycles de charge et de décharge rapide, plus nombreux que dans l'automobile. Pour rentabiliser leur flotte, les compagnies aériennes cherchent en effet à minimiser le temps d'immobilisation au sol entre deux vols, lesquels doivent s'enchaîner rapidement dans une journée.

Enfin, les batteries requièrent la mise en oeuvre de systèmes de protection contre l'emballement thermique, une surcharge pouvant conduire à leur inflammation. Cet inconvénient est un frein à la certification des avions électriques.

Le câblage, autre élément clé dans la chaîne de propulsion électrique, renforce ce problème de poids excessif. La réduction des pertes thermiques le long des câbles nécessite la mise en oeuvre de fortes tensions, de l'ordre de 800 volts. Cette contrainte conduit à utiliser des câbles de fort diamètre, donc lourds, destinés à prévenir les risques de sécurité : arcs électriques, courts-circuits, décharges partielles, etc.

La poursuite de la recherche et développement sur les batteries, la distribution à haute tension et l'électronique de puissance sont de ce fait indispensables pour le développement de la propulsion électrique dans l'aviation.

La supraconductivité ouvre l'une des pistes les plus prometteuses pour répondre aux contraintes de câblage liées à la haute tension dans l'aviation. Elle permettrait d'alléger les câbles destinés à transporter de fortes puissances, supérieures au mégawatt. Les matériaux supraconducteurs présentent en effet une résistance quasi nulle à température cryogénique. Ils permettent ainsi de réduire la tension du réseau pour transmettre la même puissance, donc de diminuer significativement la masse de câble nécessaire. Les circuits se trouveraient allégés et l'utilisation de fortes puissances pour le transport régional serait facilitée.

De fin 2020 à fin 2023, Airbus a développé avec succès, dans le cadre du projet ASCEND (Advanced Superconducting and Cryogenic Experimental powertrain Demonstrator), un démonstrateur de système de propulsion cryogénique de 500 kilowatts, constitué d'un conducteur de courant supraconducteur, d'une unité de commande de moteur cryogénique et d'un système de refroidissement, ainsi que d'un moteur supraconducteur.

Source : Airbus

C. LES LIMITES DES APPLICATIONS DE LA PROPULSION 100 % ÉLECTRIQUE

En raison des contraintes liées à la faible densité énergétique des batteries, il est aujourd'hui difficile d'envisager un avion entièrement électrique capable d'emporter un grand nombre de passagers sur de longues distances.

De plus, les contraintes de sécurité liées à l'électrification et l'absence de recul dans ce domaine ont pour conséquence un processus de certification allongé.

Par ailleurs, un avion vole en général 25 à 30 ans, alors que la durée de vie de batteries au lithium est en moyenne 10 ans et pourrait être plus courte dans l'aviation en raison des contraintes d'utilisation spécifiques précédemment évoquées. Ces batteries devront donc être remplacées à plusieurs reprises durant la vie d'un avion.

Enfin, comme pour l'utilisation d'automobiles sur autoroute, la présence de bornes de recharge rapide dans les aéroports sera indispensable au développement des avions à propulsion électrique.

Trois solutions de recharge sont envisageables70(*) : des chargeurs fixes de puissance variable, de quelques dizaines à quelques centaines de kilowatts, sur les aires de stationnement des avions ou sur des aires dédiées au stationnement de longue durée, qui permettraient de les recharger durant leur temps de rotation ; des chargeurs mobiles, distribuant de l'électricité stockée dans des batteries ou produite par une pile à combustible à partir d'hydrogène ; le remplacement des batteries vides par des batteries rechargées, ou « battery swapping », ce qui pourrait renforcer les problèmes de certification compte tenu des conséquences potentielles d'un tel échange.

D. SAFRAN, ACTEUR MAJEUR DE LA PROPULSION ÉLECTRIQUE

L'avance prise par le motoriste français Safran dans l'aviation électrique se traduit par son omniprésence dans les projets innovants en France comme à l'étranger. Sa filiale Safran Electrical & Power se positionne sur l'ensemble de la chaîne de propulsion avec la gamme de moteurs ENGINeUS, les batteries GENeUSPACK et le système de gestion de puissance GENeUSGRID.

Safran propose trois moteurs de capacités différentes, adaptés à plusieurs segments du marché : un moteur de 50 kilowatts pour les avions de tourisme, un moteur de 100 kilowatts destiné à des avions de quelques places et un moteur de 750 à 1 000 kilowatts qui permettra d'équiper des avions d'une dizaine de places.

Ces moteurs intègrent l'électronique de puissance, ce qui permet de supprimer des câbles et des filtres, donc de réduire la masse de la chaîne de propulsion. En plus d'un système de détection des courts-circuits, un système de gestion de la batterie mesure l'état de charge pour éviter l'emballement thermique, et des protections adaptées sont mises en oeuvre pour les équipements haute tension, de 500 à 800 V.

Safran vise une certification de ses moteurs par l'EASA en 2024 et a déjà signé des accords avec plusieurs constructeurs d'avions électrifiés français et étrangers.

E. LES APPLICATIONS DES AVIONS 100 % ÉLECTRIQUES

En raison des limitations imposées par la technologie, un seul avion entièrement électrique est aujourd'hui certifié dans le monde : le Pipistrel Velis Electro71(*). La certification a été délivrée en juin 2020 par l'AESA. Ce biplace développé en Slovénie est principalement destiné à la formation des pilotes. Doté d'un moteur de moins de 60 kilowatts, il peut voler durant 50 minutes à une vitesse maximale de 170 km/h et à une altitude allant jusqu'à 3 600 mètres.

Plusieurs constructeurs développent également de nouveaux avions d'entraînement entièrement électriques destinés aux écoles de pilotage.

En France, la start-up toulousaine Aura Aero devrait être le premier constructeur à commercialiser un avion de voltige et de formation à motorisation électrique : l'Integral E. Ce biplace 100 % électrique est motorisé par le moteur électrique Safran ENGINeUS de 100 kilowatts. L'Integral E pourrait entrer en service d'ici 2026.

Aura Aero Integral E

Source : Aura Aero

L'entreprise a levé 60 millions d'euros en 2023 et emploie actuellement environ 300 personnes. Sous réserve de rassembler les fonds nécessaires, elle devrait prochainement déposer un permis de construire pour une usine située aux environs de l'aéroport Toulouse-Francazal, qui pourrait employer jusqu'à 1 500 personnes d'ici 2028.

Safran collabore aussi avec la société américaine Bye Aerospace, qui développe un avion destiné aux écoles de pilotage.

Malgré les limitations actuelles de la technologie électrique, certaines start-up envisagent d'ores et déjà d'étendre l'utilisation de l'avion électrique aux liaisons régionales, avec un nombre significatif de passagers.

En France, la start-up Enuee, basée à Saint-Étienne, développe ainsi un avion électrique destiné au segment des avions navettes (en anglais commuters). Capable de transporter jusqu'à 19 passagers sur 500 kilomètres, cet avion pourrait voler d'ici 2030.

Aux États-Unis, la société Eviation Aircraft propose un avion destiné à transporter 9 passagers sur une distance de près de 500 kilomètres. La certification et la commercialisation de cet avion sont prévues pour 2027.

La start-up néerlandaise Elysian Aircraft est encore plus ambitieuse, puisqu'elle conçoit un appareil destiné à transporter 90 passagers sur une distance de 800 kilomètres, sur la base de batteries dont la densité serait de 360 Wh/kg. La démonstration de faisabilité de cet avion se fonde sur deux études publiées avec l'université de Delft72(*) 73(*).

Ces entreprises considèrent que la faible densité massique des batteries est susceptible d'évoluer durant leur phase de développement et qu'elle n'est pas le seul facteur à prendre en compte dans l'évaluation du potentiel de l'aviation électrique. D'autres aspects techniques, comme le rendement des moteurs électriques et l'amélioration des performances aérodynamiques doivent aussi être intégrés.

Le rendement d'un moteur thermique « du réservoir à la roue » est estimé en moyenne à environ 28 %, alors que celui des moteurs électriques est de l'ordre de 90 %. Ce différentiel réduit le rapport entre les batteries et le kérosène de 1 pour 48 à 1 pour 15. Si des batteries avaient une densité énergétique de 600 Wh/kg, le rapport ne serait plus que de 1 pour 6,2. L'optimisation aérodynamique résultant de la propulsion distribuée et de l'injection de couche limite, adaptées à l'aviation électrique, pourraient diviser par un facteur 3 à 5 la consommation d'énergie en vol. En utilisant la valeur moyenne de 4, le rapport des batteries au kérosène se trouverait ramené à 1 pour 1,5, comme illustré ci-après.

Caractéristiques comparatives de la propulsion électrique par rapport aux aéronefs conventionnels74(*)

Les taxis volants électriques ou eVTOL

Parallèlement au développement des premiers avions 100 % électriques, quelque 1 000 projets d'avion électrique à décollage et atterrissage vertical (eVTOL) ont été recensés à travers le monde75(*). Le déploiement de ces aéronefs à grande échelle pourrait aboutir à la création de réseaux de taxis volants dans 60 à 90 villes, pour un total d'environ 50 000 eVTOL, à l'horizon 203576(*).

Les eVTOL étant avant tout destinés à remplacer des transports terrestres, ils ne répondent pas directement à la problématique de décarbonation de l'aviation actuelle, mais sont plutôt un nouveau domaine d'application de l'aéronautique. Toutefois, les innovations techniques développées pour ces appareils bénéficieront à l'électrification de l'aviation en général.

Les eVTOL, qui combinent les avantages de l'électrification avec la capacité de décollage et d'atterrissage vertical, sont généralement classés en trois grandes catégories, en fonction de leur configuration et de leur mode de propulsion.

Les eVTOL dits « multirotor », similaires aux drones quadricoptères, sont dotés de plusieurs rotors assurant le décollage, l'atterrissage et le vol. Chaque rotor est propulsé indépendamment par un moteur électrique. Ces eVTOL sont relativement simples de conception, maniables et la redondance des rotors permet de continuer le vol en cas de panne d'un moteur.

Volocopter Volocity

Source : Volocopter

Les eVTOL dits « tiltrotor » sont dotés de rotors qui peuvent pivoter (en anglais, tilt) pour permettre à l'appareil de décoller et d'atterrir verticalement comme un hélicoptère, puis de poursuivre en vol horizontal, comme un avion classique. Ces appareils sont plus efficaces que les « multirotor » pour les trajets longs mais plus délicats à mettre au point, compte tenu de la gestion du basculement d'un mode à l'autre.

Lillium Jet

Source : Lillium

Les eVTOL dits « lift+cruise » (en français, « ascension+croisière ») disposent de deux systèmes de propulsion distincts : un système dédié au décollage et à l'atterrissage vertical, un autre pour le vol de croisière horizontal, avec des ailes fixes et des moteurs séparés. Ces appareils sont rapides mais relativement lourds puisqu'ils combinent deux systèmes complémentaires.

Airbus NextGen

Source : Airbus

Les eVTOL pourraient prochainement transformer les déplacements autour des centres urbains sur de relativement courtes distances, de l'ordre de quelques dizaines de kilomètres. S'agissant d'aéronefs assez innovants destinés à être déployés dans un environnement densément peuplé, leur certification fait évidemment l'objet de beaucoup d'attention. Mais leur déploiement à grande échelle pourrait se heurter à l'hostilité des populations : elles ne verront pas nécessairement d'un bon oeil la multiplication d'engins volants qui, bien qu'assez silencieux et non polluants, perturberont leur environnement. Il sera aussi nécessaire d'imaginer un mode de gestion adapté de l'espace aérien et de recruter un grand nombre de pilotes, du moins pour les eVTOL non autonomes77(*).

Il n'en reste pas moins que les projets les plus avancés d'eVTOL devraient prochainement obtenir une certification pour leur exploitation commerciale. L'Administration de l'aviation civile de Chine (CAAC) a d'ailleurs certifié, au début du mois de mai 2024, un premier eVTOL sans pilote, l'EHang EH216-S.

En France, le développement des eVTOL est encouragé, sous la supervision de la DGAC. À l'occasion des Jeux olympiques de juillet 2024, le constructeur allemand Volocopter et le groupe ADP espèrent pouvoir réaliser des vols de démonstration entre plusieurs vertiports en région parisienne, afin de démontrer la fiabilité du service et de tester son intégration au trafic aérien.

F. L'HYBRIDATION, NOUVELLE PERSPECTIVE POUR L'AVIATION RÉGIONALE

1. Une réponse aux limites actuelles du 100 % électrique

Les avions électriques étant, en l'état actuel des technologies, bridés à la fois dans leur capacité d'emport et leur rayon d'action, la propulsion hybride électrique cherche à s'affranchir de ces limitations, en associant une motorisation thermique à la motorisation électrique.

L'ajout d'une motorisation thermique permet en particulier de bénéficier de la densité énergétique massique très élevée du carburant d'aviation, mais elle génère des émissions et du bruit. Il est envisageable de minimiser cet inconvénient en faisant appel en priorité à la motorisation électrique dans certaines phases du vol, par exemple lors de l'atterrissage et du décollage.

2. Les architectures propulsives hybrides

En pratique, l'hybridation électrique peut prendre plusieurs formes, suivant les caractéristiques recherchées.

Une configuration hybride en série comprend une turbine qui alimente, via un générateur et un convertisseur de puissance, un pack de batteries et un ou plusieurs moteurs électriques assurant la propulsion. Le principal avantage de cette configuration est qu'elle permet à la turbine d'être en permanence dans des conditions de fonctionnement optimales, ce qui présente un avantage substantiel en termes de consommation de carburant et de maintenance. Son principal inconvénient est que le ou les moteurs électriques assurent seuls la propulsion et doivent donc être spécifiés pour délivrer la puissance maximale nécessaire à l'avion, ce qui se traduit par un supplément de poids78(*).

Configuration hybride en série

Dans une configuration hybride en parallèle, une boîte de transmission permet d'entrainer l'hélice soit avec une turbine, soit avec un moteur électrique, soit avec les deux. La turbine peut aussi assurer la charge de la batterie, le moteur électrique fonctionnant alors comme un générateur. Plus complexe que la précédente, cette configuration génère moins de pertes de conversion, mais oblige la turbine à tourner dans des conditions non optimales.

Configuration hybride en parallèle

Une configuration turboélectrique comprend une ou plusieurs turbines chacune associée à un générateur qui alimente directement un ou plusieurs moteurs électriques. La conversion de l'énergie thermique à l'énergie électrique induit une perte de rendement, mais permet de profiter des avantages d'une propulsion distribuée. Toute l'énergie utilisée provient du carburant alimentant les turbines.

Configuration turboélectrique

Une configuration partiellement turboélectrique est similaire à la précédente, mais la turbine entraine également directement une hélice, en parallèle des moteurs électriques.

Une configuration série-parallèle partiellement hybride reprend le principe de la configuration partiellement turboélectrique en lui adjoignant un pack de batteries qui augmente le poids de l'ensemble, mais permet le vol sans utiliser la turbine.

Chacune de ces configurations est plus complexe qu'une chaîne de propulsion 100 % électrique qui ne comporte qu'un pack de batteries et un ou plusieurs moteurs électriques.

3. Une option adaptée aux vols régionaux

À l'occasion de leur séjour aux États-Unis, les rapporteurs ont pu constater l'absence de remise en cause du transport aérien, qui s'explique facilement par la nécessité de ce mode de transport pour relier des destinations parfois éloignées de plusieurs milliers de kilomètres.

Ils ont été plus surpris de mesurer l'importance du développement de l'aviation régionale dans ce pays, qui résulte probablement de la multiplicité des liaisons possibles entre des villes situées à des distances plus réduites.

Ce maillage représente sans aucun doute un atout non négligeable pour l'économie américaine, en permettant de répartir largement les activités économiques sur le territoire tout en assurant une communication aisée, par exemple entre une usine et un siège social situé à quelques centaines de kilomètres.

Les compagnies qui assurent ces liaisons exploitent à la fois des avions monocouloirs transportant plusieurs dizaines de passagers, comme l'ATR-72, et des avions plus petits, par exemple de 9 passagers seulement. La rentabilité des vols n'est pas toujours assurée, si bien que leur maintien nécessite une aide financière des autorités locales.

Ces compagnies s'intéressent de très près aux avions hybrides électriques - certaines en ont précommandé jusqu'à une centaine - car ils présentent plusieurs caractéristiques qui les rendent particulièrement bien adaptés aux liaisons régionales.

Leur premier atout concerne la consommation de carburant et les émissions de CO2, qui pourraient se trouver significativement diminuées sur des vols courts. L'ampleur de ce gain en consommation et en émissions dépendra évidemment des performances des aéronefs et de leur adaptation aux distances parcourues. Mais le prix des billets pourrait s'en trouver nettement diminué, tout comme l'impact des vols sur l'environnent.

Pour les liaisons les plus courtes, il est même envisageable que les vols puissent s'effectuer entièrement en mode électrique, la propulsion thermique apportant simplement le supplément de rayon d'action exigé par la certification pour faire face à l'attente au-dessus d'un aéroport ou à un déroutement. Pour les liaisons plus longues, l'énergie électrique évite d'utiliser le carburant sur une partie du vol et permet d'exploiter les moteurs thermiques de façon optimale.

Un deuxième avantage concerne le bruit et la pollution qui pourraient être diminués dès lors que le décollage, l'atterrissage et le roulage au sol seraient effectués en mode électrique. Réduire les nuisances pourrait aussi autoriser une utilisation plus flexible des aéroports, notamment en termes de plages horaires d'exploitation, ce qui se traduirait à la fois par plus de souplesse pour les clients et une baisse de tarification pour l'accès aux aéroports.

Un troisième gain pourrait résulter de la capacité des avions hybrides électriques à décoller et à atterrir sur des pistes courtes, multipliant le nombre des aéroports accessibles. En effet, la motorisation électrique distribuée permet de concevoir des avions présentant une telle caractéristique. Accéder à un plus grand nombre d'aéroports peut conduire à réduire le coût d'accès à ceux-ci et permettre une plus grande proximité avec les clients potentiels.

Enfin, une automatisation poussée de ces avions d'avant-garde ayant une capacité en passagers réduite permettrait éventuellement, sous réserve de l'accord des autorités de certification, de réduire l'effectif des équipages, avec un seul pilote au lieu de deux, donc les coûts de personnel.

Ces évolutions pourraient bouleverser les coûts d'exploitation de l'aviation régionale et réduire ses émissions de gaz à effet de serre, incitant au développement de ces liaisons non seulement outre-Atlantique, mais aussi en Europe. L'arrivée de l'avion hybride électrique va très probablement transformer l'image de l'aviation régionale et ses usages.

Compte tenu de leur faible capacité, ces avions ne se substitueront pas au train, mais ils permettront d'effectuer des trajets directs entre des zones aujourd'hui mal interconnectées et de faciliter la mobilité intrarégionale dans des territoires enclavés. Par exemple, le trajet Toulouse-Clermont Ferrand, réalisé aujourd'hui en neuf heures avec le train, pourra être effectué en une heure trente avec un avion hybride.

Le développement de l'aviation régionale représentera un levier important pour accélérer la réindustrialisation du pays sur l'ensemble du territoire, non seulement en métropole mais aussi dans les DOM-TOM.

4. Des projets susceptibles d'aboutir prochainement

À l'horizon 2030, une nouvelle offre en matière d'avions hybrides électriques permettra de donner une nouvelle impulsion au développement de vols régionaux d'une dizaine à une vingtaine de passagers. En France, plusieurs entreprises sont impliquées dans le développement de ces aéronefs.

Fruit d'une collaboration initiée en 2019, avec le soutien du CORAC et de la DGAC, entre Safran, Daher et Airbus, le démonstrateur d'avion à propulsion hybride distribuée EcoPulse a pour objectif d'évaluer les avantages opérationnels de l'intégration de ce mode de propulsion. Présenté pour la première fois en 2023 au salon de Paris - Le Bourget, EcoPulse fonctionne avec six propulseurs électriques de 50 kilowatts. Son premier vol à propulsion hybride électrique a eu lieu le 29 novembre 2023, à Tarbes. En s'appuyant sur les acquis de ce démonstrateur, le groupe français Daher prévoit de commercialiser, à partir de 2027, un avion hybride de 6 places dans sa gamme TBM et un avion hybride de 10 places dans sa gamme Kodiak.

Pour sa part, la start-up française Voltaero développe un avion commercial hybride en trois versions : le Cassio 330 (5 sièges, limité à un rayon d'action de 200 kilomètres), le Cassio 480 (6 sièges) et le Cassio 600 (12 sièges avec un rayon d'action de 1 000 kilomètres).

Prototype du Cassio 330 de Voltaero

Les petites distances seraient effectuées intégralement en mode électrique, l'activation du moteur thermique intervenant après 200 kilomètres. Un premier prototype du Cassio 330 a réalisé un tour de France en juillet 2021. La production en série de ce modèle, équipé d'un moteur Safran, pourrait commencer à Rochefort fin 2025, après l'obtention de la certification.

En plus des avions destinés à la formation, Aura Aero conçoit un avion hybride électrique régional : ERA (Electric Regional Aircraft), qui pourra transporter 19 passagers dans un rayon allant jusqu'à 1 500 kilomètres, dont 300 kilomètres parcourus en tout électrique. Par rapport aux avions thermiques actuels de 19 places, l'avionneur toulousain espère réduire de 80 % les émissions et de 50 % les coûts en carburant et en maintenance.

Le premier vol de cet avion devrait intervenir en 2026 et son entrée en service en 2028. Aura Aero totalise déjà 500 précommandes de ce modèle, en majorité auprès de compagnies aériennes américaines. Safran Electrical & Power et Thales participent également au développement de cet appareil.

Design de l'ERA d'Aura Aero

Enfin, des avions à décollage vertical hybrides électriques permettraient d'exploiter des connexions intrarégionales même en l'absence d'aéroport. Ainsi, la start-up toulousaine Ascendance Flight Technologies développe un appareil hybride électrique à décollage vertical capable de transporter quatre passagers sur 400 kilomètres. En utilisant la batterie en phase de décollage et un carburant d'aviation durable en régime de croisière, les émissions de CO2 seraient réduites de 80 %. Le vol d'un prototype est prévu fin 2024 et la mise en service en 2027.

Design du VTOL d'Ascendance Flight Technologies

III. L'AVION À HYDROGÈNE

Bien que l'idée d'utiliser l'hydrogène comme carburant pour l'aviation remonte aux années 1930, elle ne s'est jamais traduite sur le plan industriel.

En 1937, le premier prototype de turbopropulseur à hydrogène est testé aux États-Unis. Les études sur l'hydrogène se poursuivent dans les années 1950, avec un premier essai en vol en 1958 sur un bombardier. Malgré la capacité opérationnelle du produit, aucune application commerciale n'en découle, en raison de problèmes de coûts logistiques.

Dans les années 1970, la NASA poursuit les études sur le sujet, avec une recherche d'application pour les avions commerciaux à forte capacité d'emport. Du côté soviétique, un prototype d'avion à propulsion hydrogène, le Tupolev Tu-155, une version modifiée de l'avion de ligne Tu-156, effectue son premier vol en 1988. Un seul des trois moteurs utilise de l'hydrogène, les deux autres étant alimentés en kérosène. La dissolution de l'URSS met fin à ce projet.

En Europe, des travaux sont amorcés dans les années 1980 en Allemagne pour des usages de l'hydrogène sur des avions de 25 places, mais les essais en vol, prévus en 2002, n'ont pas lieu faute de financement.

En 2000, le projet Cryoplane - Liquid Hydrogen Fuelled Aircraft System Analysis (en français, Analyse des systèmes d'aéronefs fonctionnant à l'hydrogène liquide), lancé dans le cadre du cinquième programme-cadre européen pour la recherche et l'innovation, étudie la configuration des aéronefs, les systèmes, les composants, la propulsion, la sécurité, la compatibilité environnementale, les sources de carburant, l'infrastructure et les conditions d'une transition79(*). 36 partenaires issus de l'industrie, de la recherche et des universités ont contribué à ce projet sur une durée de 26 mois. Les résultats des études ont confirmé que, d'un point de vue technique, l'hydrogène liquide pourrait devenir un carburant alternatif dans l'avenir.

Par la suite, la disponibilité du pétrole et la certification de biocarburants durables réduisent l'intérêt de la filière aéronautique pour le vecteur hydrogène, malgré quelques prototypes conçus dans les années 2000, comme le premier démonstrateur d'avion à pile à hydrogène conçu par Boeing en 2008, qui effectue un vol de vingt minutes à 100 km/h et à une altitude de 1 000 mètres80(*).

En revanche, la propulsion à hydrogène a significativement contribué à plusieurs avancées techniques dans le secteur spatial en France. Airbus, Safran, et par la suite la coentreprise ArianeGroup sont pionniers dans ce domaine. Les lanceurs de la série Ariane sont dotés d'un système de propulsion cryogénique combinant hydrogène liquide et oxygène liquide, une approche distincte de celle adoptée par les fusées Falcon américaines, qui consomment un mélange d'oxygène et de kérosène.

A. L'HYDROGÈNE : DES PROPRIÉTÉS PHYSIQUES QUI CRÉENT DES CONTRAINTES PARTICULIÈRES

1. Un problème central : la faible densité volumique d'énergie

La première qualité de l'hydrogène est que son utilisation ne s'accompagne pas d'émissions de CO2. Cet avantage environnemental pourrait constituer son principal atout, à la condition que sa production ne soit pas émettrice de gaz à effet de serre.

Par ailleurs, l'hydrogène présente depuis longtemps un attrait pour les constructeurs d'aéronefs en raison de sa densité massique en énergie d'environ 142 mégajoules par kilogramme (MJ/kg), trois fois plus élevée que celle du kérosène, qui est d'environ 42 MJ/kg. Cette densité permet en théorie un allongement du rayon d'action, suivant la formule de Breguet-Leduc :

Formule de Breguet-Leduc : R est la distance accessible à l'avion, Hv est l'énergie spécifique du carburant, ç est l'efficacité combinée propulsive et thermodynamique, g est la constante de gravité, L/D la finesse aérodynamique (où L est la portance et D la trainée), Winit la masse initiale du véhicule incluant le carburant et Wfinal sa masse finale.

Le rayon d'action variant de façon linéaire avec l'énergie spécifique du carburant, l'hydrogène semble donc offrir environ trois fois plus d'autonomie que le kérosène. Par ailleurs, l'hydrogène brûle très facilement, ce qui améliore le fonctionnement du moteur dans les limites extrêmes de l'enveloppe opérationnelle, notamment à haute altitude.

L'avantage théorique de l'hydrogène en termes d'autonomie est en réalité contrebalancé par sa très faible densité volumique d'énergie à pression et température ambiante, de seulement 0,003 kilowattheure par litre, contre 10 kilowattheures par litre pour le kérosène, soit 3 000 fois plus d'énergie dans un même volume.

Pour amener la densité volumique d'énergie de l'hydrogène à un niveau plus acceptable, on peut le compresser tout en lui conservant sa forme gazeuse (CGH2), par exemple à 700 bars, ou le maintenir à une température inférieure à - 253,6° C (20 kelvins) pour lui donner une forme liquide (LH2). L'hydrogène cryo-compressé (CcH2) associe le refroidissement cryogénique, par exemple à 20 K, et la compression, par exemple à 240 bars.

Le tableau suivant compare les densités massique et volumique de l'hydrogène sous ces différentes formes à celle du kérosène.

 

Densité
massique d'énergie

(en kWh/kg)

Densité volumique d'énergie

(en kWh/l)

Hydrogène gazeux à 1 bar et à 20° C

33

0,003

Hydrogène gazeux (CGH2) à 700 bars et à 20° C

33

1,5

Hydrogène liquide (LH2) à 1 bar et à 20 K

33

2,8

Hydrogène cryo-compressé (CcH2) à 240 bars et à 20 K

33

3,5

Kérosène

12

10

Pour obtenir la même quantité d'énergie que celle disponible dans un volume donné de kérosène, il faudrait donc emporter un volume d'hydrogène gazeux 7 fois plus grand, un volume d'hydrogène liquide 4 fois plus grand et un volume d'hydrogène cryo-compressé 3 fois plus grand.

Chacun de ces modes de stockage de l'hydrogène présente des avantages et des inconvénients.

Le stockage sous haute pression pose des problèmes de sécurité et de poids du réservoir : ses parois doivent être suffisamment épaisses pour résister à la pression très élevée. De plus, la petite taille de la molécule d'hydrogène crée un phénomène spécifique de fragilisation des matériaux métalliques du réservoir81(*).

Le stockage sous forme liquide permet de s'affranchir des contraintes de sécurité liées à la haute pression. Mais la liquéfaction de l'hydrogène est très énergivore : elle représente 35 à 40 % de son contenu énergétique82(*), contre 15 % pour sa compression à 700 bars. De plus, la tendance à l'évaporation de l'hydrogène liquide complique son stockage et son transport sur de longues distances.

Par ailleurs, le maintien d'une température basse nécessite des réservoirs de forme cylindrique ou sphérique, mieux adaptée au maintien du froid. Pour de grandes quantités d'hydrogène, ces réservoirs spéciaux sont moins lourds que ceux utilisés pour l'hydrogène compressé à haute pression. Cette relative légèreté explique probablement que la forme liquide de l'hydrogène soit la plus souvent envisagée dans l'aviation.

Maintenir l'hydrogène sous forme cryo-compressée (CcH2) nécessite également un réservoir de forme sphérique ou cylindrique a priori plus lourd que pour l'hydrogène liquide. Mais la cryo-compression permet de réduire considérablement les pertes par évaporation liées au stockage de l'hydrogène liquide. De plus, le remplissage d'un réservoir peut s'effectuer sans nécessiter d'équipement de compression coûteux.

Quelle que soit la forme de l'hydrogène utilisé, son stockage dans les ailes d'un avion apparaît impossible, compte tenu des réservoirs nécessaires. De ce fait, ces réservoirs doivent être placés dans le fuselage, ce qui diminue la place disponible pour les passagers ou oblige à modifier la longueur ou le diamètre du fuselage, donc à augmenter le poids total de l'avion.

La taille et le poids des réservoirs détermineront la longueur possible du trajet et le nombre de passagers transportés. Pour les très long-courriers commerciaux, les interlocuteurs rencontrés s'accordent sur le fait que les réservoirs seraient trop lourds et trop volumineux

Ainsi, une étude réalisée pour le compte du Clean Sky Joint Undertaking (CSJU), partenariat public-privé entre la Commission européenne et l'industrie aéronautique européenne, montre qu'en raison du poids croissant des réservoirs, la consommation énergétique d'un avion à hydrogène par rapport à un avion à kérosène serait réduite de 4 % pour les court-courriers, mais augmentée de 22 % pour les moyen-courriers et de 42 % pour les long-courriers83(*).

Les interlocuteurs de Safran rencontrés ont confirmé que l'avion à hydrogène devrait se limiter, au moins dans un premier temps, au transport de 50 à 70 passagers sur des distances d'au plus 1 000 nautiques, soit 1 900 kilomètres.

Par conséquent, l'hydrogène ne pourrait résoudre le problème de la décarbonation des vols long-courriers.

2. De nouvelles exigences de sécurité

L'intégration de l'hydrogène dans les règlements de sécurité et les standards a débuté à l'EUROCAE (Organisation européenne pour l'équipement de l'aviation civile), avec des exigences rigoureuses compte tenu des caractéristiques physiques de l'hydrogène.

L'ONERA souligne que la molécule d'hydrogène étant de très petite taille, elle pourrait facilement s'infiltrer dans les alliages constituant l'avion et les affecter du phénomène de fragilisation précédemment mentionné, ce qui pourrait engendrer des dislocations de structure à long terme. La durée d'exploitation des avions étant au moins d'une trentaine d'années, la question de la résistance des composants est essentielle.

B. DEUX MODALITÉS D'UTILISATION DE L'HYDROGÈNE

1. L'alimentation en hydrogène de turboréacteurs

L'utilisation de l'hydrogène sous forme liquide comme substitut au kérosène dans les turboréacteurs implique des modifications techniques, notamment l'installation d'un échangeur thermique pour réchauffer l'hydrogène liquide et d'un régulateur de flux adapté à sa densité massique plus élevée. Elle présente aussi des difficultés liées à une combustion plus rapide intervenant à température élevée, qui nécessite des composants résistant aux hautes températures ainsi qu'une maîtrise des risques de fuite et d'inflammation.

L'injection d'hydrogène liquide dans les moteurs crée en effet des risques de fuite, d'inflammation ou d'explosion liés au différentiel de température entre l'hydrogène (-253°C) et le moteur (jusqu'à 1 500° C). D'après l'ONERA, la gestion du gradient thermique initial, de -253°C dans le réservoir cryogénique à environ +100°C à l'entrée de la chambre de combustion, est difficile à maîtriser, tout comme la stabilité de la combustion pour toutes les conditions de pression et de température.

Bien qu'il soit similaire à celui du kérosène, le cycle thermodynamique de l'hydrogène nécessiterait une optimisation, notamment en exploitant le potentiel de refroidissement de l'hydrogène liquide, ce qui permettrait de réduire la quantité d'air prélevée à cet effet84(*) et d'améliorer ainsi le rendement.

L'hydrogène liquide n'étant plus stocké dans les ailes, il nécessitera des circuits de distribution pour le transfert jusqu'à la chambre de combustion. Outre un alourdissement évalué entre 4 à 8 fois la masse de l'hydrogène embarqué85(*), les circuits de distribution devront être cryogéniques et s'adapter au comportement particulier de l'hydrogène liquide, en particulier à sa très grande inflammabilité et à sa propension à fuir.

D'un point de vue environnemental, la combustion de l'hydrogène n'émet pas de CO2, de CO, d'hydrocarbures imbrûlés, ni de particules fines, réduisant significativement, de l'ordre de 80 %, les émissions d'oxydes d'azote (NOx), ainsi que l'ONERA l'a confirmé à l'occasion de tests en situation réelle.

La vapeur d'eau est propice à l'apparition de traînées de condensation et de cirrus induits. Cependant, ceux-ci présentent des propriétés physiques et optiques différentes de celles des cirrus générés par les moteurs thermiques à kérosène, ce qui pourrait conduire à une réduction du forçage radiatif de 20 %86(*).

2. L'utilisation de l'hydrogène dans une pile à combustible

L'utilisation de l'hydrogène dans une pile à combustible permet d'alimenter un moteur électrique entraînant une hélice. Utilisant un principe inverse de celui de l'électrolyse, une pile à combustible permet de transformer l'énergie chimique de l'hydrogène en énergie électrique.

Les piles à combustible à hydrogène présentent une densité énergétique supérieure à celle des batteries, réduisant ainsi le poids lié au stockage d'énergie. Un ensemble de piles délivrant 150 kilowatts pèse environ 50 kilogrammes, contre plusieurs centaines pour un pack de batteries lithium-ion de puissance comparable. Ceci rend cette technologie particulièrement adaptée au transport aérien de moyenne capacité, la propulsion électrique à batteries étant à ce jour limitée à des avions de petite taille.

En plus du choix de l'emplacement des réservoirs d'hydrogène, se pose la question de l'emplacement des piles à combustible87(*). Leur installation près des réservoirs, dans le fuselage, pourrait réduire la longueur des conduites d'hydrogène mais nécessiterait des câbles électriques plus épais en raison des contraintes de sécurité thermique, alourdissant l'avion. L'utilisation de câbles supraconducteurs, plus légers, limiterait cet inconvénient mais elle est technologiquement peu mature.

Une alternative consiste à installer les piles à combustible dans la nacelle, près du moteur électrique, ce qui réduit la longueur des câbles et facilite la gestion thermique car il est plus facile de dissiper la chaleur produite par la pile à combustible dans la nacelle que dans le fuselage.

Les performances des piles à combustible restent inférieures à celles des turboréacteurs, la puissance des moteurs qu'elles alimentent étant limitée. Leur utilisation est donc réservée aux avions de taille moyenne ou d'affaires88(*) de quelques dizaines de passagers. L'hydrogène peut être stocké sous forme liquide ou gazeuse, avec un rayon d'action, à volume de réservoir équivalent, respectivement de 1 000 ou 750 kilomètres89(*).

Au regard des émissions, l'emploi d'hydrogène dans des piles à combustible présente plus d'atouts que dans les turboréacteurs : lorsqu'il alimente une pile à combustible, l'hydrogène n'est pas brûlé et ne produit donc ni CO2, ni NOx.

Yannick Assouad a souligné lors de son audition qu'il est encore trop tôt pour déterminer si l'utilisation de l'hydrogène dans les piles à combustible est préférable à son usage dans les moteurs thermiques.

3. Le potentiel d'une configuration mixte

Une dernière option consiste à combiner l'utilisation de l'hydrogène dans les turboréacteurs pour la propulsion et dans une pile à hydrogène pour électrifier les fonctions annexes : entrées d'air, systèmes de l'avion, hybridation lors du décollage et du vol. Cette configuration mixte permettrait d'augmenter significativement l'efficacité énergétique des moteurs actuels, qui est aujourd'hui de l'ordre de 40 % avec du kérosène. Un taux d'efficacité énergétique de 70 % à 90 % pourrait être atteint.

C. DE NOMBREUX PROJETS D'AVIONS À HYDROGÈNE EN COURS DE DÉVELOPPEMENT

Des entreprises de toutes tailles, du leader mondial Airbus aux start-up, en France comme à l'étranger, travaillent sur la conception d'avions à hydrogène et, pour certaines, font déjà voler des prototypes.

En 2020, Airbus a relancé les études sur l'utilisation de l'hydrogène pour la propulsion aéronautique, avec le programme ZEROe qui vise à commercialiser un premier avion à hydrogène en 2035. Soutenu par le plan de soutien à l'aéronautique de 2020, le projet doit explorer plusieurs solutions de motorisation : turboréacteur, turbopropulseur ou pile à combustible, ainsi que différentes architectures de cellule.

Vue d'artiste de l'un des projets ZEROe d'Airbus

Trois concepts sont à l'étude : un moyen-courrier de 120 à 200 passagers propulsé par un turboréacteur spécialement modifié, capable d'effectuer des vols de plus de 3 500 kilomètres ; un avion régional de 100 passagers utilisant un turbopropulseur, capable de parcourir plus de 1 800 kilomètres ; une aile volante à fuselage intégré de 200 passagers propulsée par des turboréacteurs à hydrogène, dont le rayon d'action sera comparable à celui du concept de moyen-courrier. Pour les avions de forme conventionnelle, l'hydrogène à très basse température serait stocké dans des réservoirs situés dans la partie arrière du fuselage. Le choix entre ces trois concepts aura lieu vers 2025, la commercialisation d'un premier appareil étant prévue pour 2035.

Dans le cadre du programme ZEROe, des tests en vol des moteurs à hydrogène sont d'ores et déjà prévus. Airbus a noué un partenariat avec CFM International pour préparer un vol d'essai qui sera effectué fin 2026 par un Airbus A380 équipé d'un turboréacteur fonctionnant à l'hydrogène.

En septembre 2023, le premier vol habité d'un avion à pile à combustible à hydrogène a été réalisé dans le cadre du projet européen Heaven destiné à démontrer la faisabilité de l'utilisation de l'hydrogène cryogénique à bord d'un avion. Le démonstrateur quadriplace HY4 de la société allemande H2Fly, spécialiste des piles à combustible, a effectué plusieurs vols. Cette société envisage d'étendre la technologie à l'aviation régionale, en développant de nouvelles piles à combustible, plus puissantes.

De son côté, la start-up française Blue Spirit Aero, lauréate en 2023 de « France 2030 », développe un avion d'aéroclub de quatre places, capable de voler durant 3 heures sur 700 kilomètres, qui pourra être par la suite décliné en une famille d'avions plus grands. Le concept repose sur une propulsion électrique distribuée, plusieurs groupes propulsifs étant installés tout au long de la voilure. Chacun comporte sa propre chaîne de traction hydrogène, avec un réservoir d'hydrogène gazeux, une pile à combustible et une hélice. Cet avion sera prioritairement destiné aux écoles de pilotage professionnelles.

En effet, Olivier Savin, son fondateur et PDG, a indiqué qu'il sera nécessaire de former dans les vingt prochaines années environ 30 000 pilotes par an dans le monde, contre 10 000 actuellement. De plus, la moyenne d'âge de la flotte des écoles s'établissant à 45 ans, son renouvellement devient inévitable. La France compte à elle seule un millier d'écoles de pilotage et plus de 2 000 avions-écoles en service. Compte tenu des options technologiques prudentes retenues, Blue Spirit Aero espère obtenir une certification de son premier avion dès 2025, pour une commercialisation en 2026.

Vue du projet Dragonfly

Source : Blue Spirit Aero

La startup Beyond Aero, basée à Toulouse, conçoit elle aussi des avions dotés d'un système de propulsion électrique à hydrogène. En février 2024, Beyond Aero a réalisé le premier vol d'un avion français propulsé par une motorisation hybride-électrique à hydrogène : l'ULM G1, baptisé Blériot, est motorisé par une chaîne propulsive prototype, comportant une pile à combustible alimentée en hydrogène gazeux, couplée à une batterie électrique.

Beyond Aero prévoit de mettre sur le marché l'avion d'affaires hybride-électrique à hydrogène « One », doté d'une capacité de 4 à 8 passagers et capable de franchir une distance de près de 1 500 kilomètres à une vitesse maximale de 575 km/h. Son poids de moins de 8,6 tonnes lui permettrait d'entrer dans le cadre de certification simplifié de la norme CS-2390(*) (« Normal, Utility, Aerobatic and Commuter Aeroplanes ») de l'EASA, d'où une commercialisation à partir de 2030.

Prototype du projet One

Source : Beyond Aero

Pour sa part, la société américaine ZeroAvia prévoit de décliner, entre 2025 et 2029, des piles à combustible à hydrogène destinées à une gamme d'avions régionaux, allant d'une vingtaine de places (puissance de 600 kilowatts) à 90 places (5 mégawatts ou plus).

De fait, les moteurs à pile à combustible à hydrogène étant proches sur le plan fonctionnel des turbopropulseurs, ils peuvent se substituer assez facilement à ces derniers. Universal Hydrogen, qui dispose d'une filiale à Toulouse, a présenté un kit de conversion à l'hydrogène permettant d'équiper certains avions régionaux à turbopropulseurs actuels, tels que l'ATR-72 ou le De Havilland Canada Dash-8, de moteurs électriques alimentés par une pile à combustible à hydrogène, ainsi que de réservoirs internes d'hydrogène liquide (LH2). L'installation de ces réservoirs substituables d'une largeur de deux mètres nécessite de supprimer une partie des sièges. Un ATR-72 conserverait ainsi une capacité d'une cinquantaine de passagers. L'un des points forts de cette solution, outre la réutilisation des flottes existantes, est que la certification d'un avion modifié sera plus simple que celle d'un aéronef à hydrogène radicalement nouveau.

Le rayon d'action d'un ATR-72 ainsi converti à l'hydrogène serait d'environ 700 kilomètres, ce qui permettrait de couvrir une grande partie des routes actuelles de cet avion dans le monde. En mars 2023, un avion Dash-8 dont l'un des deux turboréacteurs a été remplacé par un groupe motopropulseur électrique à pile à combustible a effectué un premier vol de 15 minutes. En juin 2023, il a atteint une altitude de 3 000 mètres. L'intégration complète de cette solution est prévue pour la fin de l'année 2024.

ATR-72 en cours de conversion à Blagnac

Source : Universal Hydrogen

D. LES ENJEUX RELATIFS AUX INFRASTRUCTURES AÉROPORTUAIRES

L'hydrogène utilisé dans les avions devra au préalable avoir été acheminé et stocké dans les aéroports, à moins que ces derniers ne disposent d'infrastructures de production d'hydrogène décarboné sur site, ce qui, compte tenu des volumes requis, semble peu envisageable en l'état actuel des technologies.

Le transport de l'hydrogène s'effectue en général par pipeline, sous forme gazeuse, ou par la route, après compression ou liquéfaction. Les aéroports devront donc disposer d'un raccordement à un pipeline ou être approvisionnés par la route. Ils devront également être dotés d'une plateforme de stockage et, le cas échéant, d'une installation de liquéfaction de l'hydrogène pour pouvoir mettre celui-ci à la disposition des avions.

L'infrastructure requise pour chaque aéroport apparaît donc substantielle, à la fois par la surface au sol et l'investissement nécessaires. Or, les contraintes de l'aviation commerciale imposent de déployer ces installations à grande échelle : compte tenu des risques de déroutement d'un avion en cas d'incident technique, elles ne peuvent être limitées à quelques très grands aéroports.

Lors de son audition, Pierre Farjounel a présenté la solution conçue par sa société pour simplifier le transport et la manipulation de l'hydrogène liquide ou gazeux. Elle est basée sur l'utilisation de réservoirs modulaires transportés des sites de production du gaz jusqu'aux aéroports en utilisant le réseau de fret intermodal et les équipements de manutention existants, minimisant ainsi les contraintes logistiques pour les aéroports (voir figure ci-après). Si une telle solution pourrait réduire les investissements nécessaires dans les aéroports pour la distribution de l'hydrogène, elle nécessiterait, pour être généralisée, une standardisation des réservoirs qui devraient pouvoir être utilisés par tous les avions utilisant de l'hydrogène, indépendamment de leur constructeur.

ADP, qui gère notamment les aéroports Paris-Charles-de-Gaulle et Paris-Orly, a indiqué qu'il est actuellement en discussion avec le gestionnaire du port du Havre afin de prévoir le transport d'hydrogène pour ces deux aéroports, qui sont déjà connectés par pipeline pour leur approvisionnement en kérosène. Pour ADP, les infrastructures hydrogène doivent être planifiées dix ans à l'avance : environ 20 hectares sont d'ores et déjà réservés au déploiement de l'hydrogène à l'aéroport Paris-Charles-de-Gaulle et sont aussi prévus dans le cadre du plan d'aménagement « Paris-Orly 2035 », annoncé le 21 février 2024.

À plus long terme, ADP envisage de combiner liquéfaction sur site et livraison d'hydrogène sous forme gazeuse. La société envisage également d'utiliser l'hydrogène pour décarboner certaines opérations au sol nécessitant de forts appels de puissance, qui ne peuvent de ce fait être électrifiées. Les besoins en hydrogène sont évalués par ADP à 700 tonnes par jour pour l'aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle et à 350 tonnes par jour pour l'aéroport de Paris-Orly. À titre de comparaison, 900 000 tonnes d'hydrogène sont actuellement consommées en France chaque année, ce qui représente environ 2 500 tonnes par jour.

Vision projective de l'aéroport du futur

Source : Safran

Par ailleurs, un protocole d'accord a été signé entre Air Liquide, Airbus et ADP en juin 2021 pour préparer l'accueil d'avions à hydrogène dans une trentaine d'aéroports.

L'hydrogène ne pouvant a priori être utilisé pour les long-courriers, Safran a souligné la nécessité de créer des hubs multi-carburants dans les aéroports, regroupant une offre en hydrogène, en kérosène et en carburants d'aviation durables, ce qui pourrait représenter un obstacle significatif pour les aéroports les plus petits.

La mise en oeuvre de systèmes de ravitaillement en hydrogène cryogénique dans les aéroports représente également un enjeu de taille. En 2022, ArianeGroup, maître d'oeuvre des lanceurs Ariane 5 et 6, a été sélectionné par Airbus pour assurer la conception, la production et le support technique des opérations du système de ravitaillement au sol qui sera utilisé pour remplir et vidanger l'hydrogène liquide des réservoirs de l'Airbus A380 MSN 191(*), qui sera testé en 2026 avec un moteur à hydrogène liquide92(*).

IV. L'AMÉLIORATION DES OPÉRATIONS EN VOL ET AU SOL

Les améliorations en gestion du trafic et des opérations aériennes

Source : rapport Destination 205093(*)

A. LES OPÉRATIONS EN VOL, LA NÉCESSITÉ D'UNE GESTION OPTIMALE ET FLEXIBLE

Dans la deuxième moitié du XXe siècle, les routes aériennes se sont structurées et densifiées, en gardant une forte exigence de sécurité. Aujourd'hui, si la sécurité est bien garantie par les réglementations et organismes de contrôle, les routes aériennes quotidiennement empruntées par les avions ne sont pas optimales. Sur les vols européens, on estime que les distances de vol sont en moyenne augmentées de 42 kilomètres et les temps de vol de 8 à 11 %94(*) par rapport aux trajectoires idéales.

La réduction de la consommation de carburant pour un trajet donné peut être réalisée grâce à l'adaptation des trajectoires et des conditions de vol, incluant la vitesse et l'altitude. Plusieurs leviers contribuent à l'optimisation des trajectoires : l'adaptation du pilotage en fonction des conditions météorologiques et de l'état spécifique de l'avion, comme le volume de carburant ou son âge ; l'adoption d'une approche plus fluide des phases de décollage et d'atterrissage ; une gestion aérienne améliorée, par une approche globale plutôt qu'individuelle, notamment par la diminution du fuel tankering95(*).

1. L'adaptation des trajectoires aux conditions internes et externes

À l'heure actuelle, les exigences de sécurité créent des rigidités préjudiciables à l'optimisation en vol, alors qu'un mode de pilotage plus flexible, intégrant dans le plan de vol l'influence de conditions extérieures, comme des perturbations météorologiques ou des informations de trafic, permettrait une meilleure efficacité.

Ce mode de pilotage devrait également prendre en compte les paramètres de l'avion lui-même, par exemple son niveau de carburant. En effet, à une vitesse donnée, il existe une altitude optimale permettant de minimiser la consommation de carburant. Cette altitude dépend de la masse de l'appareil : elle augmente au fur et à mesure de l'allégement de l'avion qui résulte de la consommation du carburant.

En complément de la formation des pilotes à l'éco-pilotage, les aides à la navigation numériques peuvent faciliter cette adaptation à l'environnement de navigation extérieur. À cet égard, l'intelligence artificielle ouvre de nouvelles perspectives, dans une première étape avec des logiciels d'analyse de vol a posteriori. Ainsi, le logiciel SkyBreathe de la société OpenAirlines, basée à Toulouse, réalise l'analyse de milliers de données provenant de boîtes noires et de relevés météorologiques. Sous la forme d'une interface numérique à destination des pilotes, il permet d'évaluer les économies potentielles de carburant à partir des données de vol et d'émettre des recommandations, par exemple sur la quantité de carburant à emporter pour chaque vol. Plus de 55 compagnies aériennes, dont Air France, l'utilisent aujourd'hui. Il aurait déjà permis d'éviter l'émission d'un million de tonnes de CO2, soit une diminution de l'ordre de 4 à 5 % de la consommation. Cette réduction pourrait devenir plus importante si de tels logiciel étaient mis en oeuvre en temps réel à bord des avions.

L'avion connecté

Source : Thales

En effet, les plans de vol adaptés en temps réel représentent une avancée significative, en permettant de prendre en compte des informations évolutives : données des postes de contrôle, météo, autres avions, etc.

Comme l'a souligné Yannick Assouad, le pilote ne pourra plus prendre seul en compte cette masse de données. Le pilotage sera de ce fait de plus en plus automatisé : le logiciel de navigation proposera des trajectoires optimisées, que le pilote devra valider. Ce principe est au coeur du nouveau système de gestion de vol (en anglais, Flight Management System ou FMS) développé par Thales. Intégrant également des techniques d'intelligence artificielle, il permet de calculer en temps réel des trajectoires de vol optimisées, grâce à un échange permanent de données entre l'appareil et son environnement : centres de contrôle, données météorologiques en temps réel, etc.

Dans la même logique d'adaptation, le système d'aide à la navigation développé par Dassault Aviation intègre la base de données mondiale des vents dominants et allie des outils de performance et d'optimisation permettant de recalculer le plan de vol en temps réel. Les vols d'essai ont permis une réduction de la consommation de 7 % sur des vols long-courriers.

Yannick Assouad a indiqué que l'adaptation des trajectoires de vol aux conditions atmosphériques pourrait également réduire l'apparition de traînées de condensation. Thales envisage d'élaborer des modèles permettant de prévoir l'apparition des traînées de condensation selon les conditions météorologiques, mais l'enjeu est d'y avoir accès en temps réel à bord de l'avion, ce qui soulève des questions en matière de cybersécurité.

2. Un décollage et atterrissage continus

D'ordinaire, les profils de montée et de descente comportent des paliers qui accroissent la consommation de carburant. Ces profils pourraient être rendus progressivement plus continus. Pour la phase de descente, une manoeuvre continue réduit notamment la poussée et permet d'économiser le carburant utilisé pour se maintenir à un palier. Yannick Assouad a précisé que la descente devait être initiée à l'optimum de la masse, en fonction des conditions météorologiques, mais aussi aéroportuaires. Des profils de montée et de descente optimisés permettraient d'économiser un peu plus de 10 % du carburant sur des vols court-courriers.

Dans son programme « 2025 Pioneers », le groupe ADP prévoit d'encourager, dans le périmètre de ses aéroports, des pratiques de pilotage plus économes, notamment la descente continue, qui contribueraient à réduire de 10 % les émissions moyennes du périmètre air-sol des aéroports de Paris-Charles-de-Gaulle et Paris-Orly.

3. Une approche globale du trafic aérien

Jusqu'ici, les critères d'optimisation ne prennent en compte qu'un seul vol à la fois, en excluant les interactions entre différents vols. Une approche plus globale serait nécessaire pour optimiser le temps passé en vol.

Cette optimisation passe tout d'abord par l'amélioration des procédures d'approche, afin d'éviter que les avions ne « tournent en rond » en attendant que des places se libèrent sur l'aéroport. La direction des services de la navigation aérienne (DSNA) de la DGAC, conduit des tests pour améliorer cette gestion.

La DSNA intervient également pour l'amélioration du contrôle aérien de manière globale. Gérant le plus grand nombre de vols en Europe, c'est notamment l'un des principaux contributeurs au programme SESAR (en anglais, Single European Sky Air Traffic Management Research). Volet technologique de l'initiative européenne « Ciel unique » lancée en 2004, ce programme a pour objectif de réduire la fragmentation de l'espace aérien européen. En effet, les neuf centres de gestion du trafic actuels auraient besoin de règles communes et d'une meilleure coopération afin de fluidifier le trafic, réduire les temps de parcours et finalement diminuer les consommations de carburant et les émissions.

Le programme SESAR, partenariat public-privé entre l'Union européenne, Eurocontrol et les principaux industriels de l'aéronautique, vise une réduction de 10 % des émissions à l'horizon 2050 par rapport à 2017. Le déploiement progressif de l'espace aérien à route libre (en anglais, Free Route Airspace ou FRA)96(*) dans le cadre de ce programme a déjà permis d'économiser 10 millions de tonnes de CO2 entre 2017 et 2021.

À plus long terme, l'approche globale pourra être poussée plus avant grâce aux vols en formation. Comme l'a expliqué Yannick Assouad, lors de ces vols, un avion entraîne dans les tourbillons de sillage issus de ses ailes un deuxième avion, permettant à ce dernier de profiter du surcroît de portance engendré et de réduire sa consommation. Compte tenu de la proximité entre les appareils, une avionique puissante devra gérer la trajectoire de façon précise. De nouvelles réglementations seront aussi nécessaires afin de permettre à deux avions d'être plus proches tout en conservant une sécurité optimale.

Cinq A350 effectuant un vol en formation en septembre 2014

Actuellement étudiées par Airbus avec le démonstrateur Hello'fly, de telles évolutions pourraient réduire de 5 % à 10 % la consommation de l'avion suiveur. Elles ne seraient toutefois exploitables que sur des itinéraires long-courriers suffisamment fréquentés pour réunir plusieurs avions.

4. La diminution du fuel tankering

Pour réduire le coût du carburant, les compagnies aériennes pratiquent parfois le fuel tankering consistant à embarquer plus de carburant que nécessaire pour un trajet donné. Cette pratique est principalement motivée par les différences de prix du carburant entre les aéroports d'arrivée et de départ. Dans d'autres cas, elle est justifiée par des critères opérationnels : problèmes d'approvisionnement dans l'aéroport d'arrivée, retard, rotation courte, etc.

D'après Eurocontrol97(*), le fuel tankering concernerait un trajet sur six en Europe. Bien qu'il permette d'économiser en moyenne 126 euros par vol, il génère des émissions superflues dues à la surcharge de carburant transportée. En Europe, pour un gain total de 265 millions d'euros, 0,9 million de tonne de CO2 supplémentaires sont ainsi relâchées chaque année dans l'atmosphère, l'équivalent des émissions annuelles d'une ville européenne de 100 000 habitants.

Sans aller jusqu'à une interdiction du fuel tankering, établir un tarif uniforme du kérosène en Europe pourrait limiter cette pratique. De même, une revalorisation économique de l'impact CO2 - le seuil serait de 500 euros par tonne selon The Shift Project98(*) - pourrait équilibrer les coûts environnementaux et les économies financières réalisables.

Dès à présent, le volet RefuelEU Aviation du paquet « Fit for 55 » oblige les compagnies européennes à avitailler dans les aéroports de l'Union européenne au moins 90 % de leurs besoins annuels en carburant. Cette mesure permet de limiter le fuel tankering dans les aéroports situés en dehors de l'Union.

B. LES OPÉRATIONS AU SOL, UNE RÉDUCTION DE LA CONSOMMATION DE CARBURANT HORS PROPULSION

Lorsque l'avion se trouve au sol, une partie du carburant est utilisé durant la phase de roulage et la phase de stationnement, afin d'alimenter les systèmes. Plusieurs améliorations substantielles peuvent intervenir lors de ces deux phases. Le groupe ADP vise ainsi une réduction de 10 % des émissions dans le périmètre air ou sol des aéroports Paris-Charles-de-Gaulle et Paris-Orly à l'horizon 2030-2035.

1. Une alimentation plus électrifiée pendant la phase de stationnement

L'énergie nécessaire à la phase de stationnement est d'ordinaire produite par les groupes auxiliaires de puissance (APU), en général des turbogénérateurs alimentés en kérosène qui sont destinés à fournir de l'énergie lorsque les moteurs de l'avion ne fonctionnent pas.

Le recours à l'APU est la principale source d'émissions de CO2 lorsque l'avion est statique. Ces émissions représentent 0,3 million de tonnes de CO2 pour l'ensemble des vols sur le territoire français, soit 1,2 % de l'ensemble des émissions du transport aérien.

Pour réduire la consommation de carburant, le chauffage et la climatisation pourraient être alimentés en électricité par un équipement présent sur l'aéroport. Dans son plan « Pioneers 2025 », le groupe ADP prévoit d'installer une alimentation électrique sur chaque place de stationnement. Cependant, la généralisation d'une telle mesure dépend du potentiel de décarbonation du mix électrique utilisé et impliquerait des investissements lourds pour équiper toutes les installations aéroportuaires.

2. Une optimisation des trajectoires et de l'utilisation des moteurs pendant la phase de roulage

La phase de roulage est réalisée avec les moteurs principaux de l'avion. Le roulage dure en moyenne 22 minutes dans les grands aéroports. Il peut atteindre 40 minutes dans certains aéroports comme Amsterdam. Cette phase peut représenter jusqu'à 6 % de la consommation totale de carburant sur les vols court-courriers d'avions monocouloirs dans des aéroports congestionnés. En France, elle génère environ un million de tonnes de CO2 par an.

Le trajet des avions jusqu'à la piste de décollage n'est pas optimal. Des systèmes intelligents agissant en temps réel pourraient y remédier. Par exemple, le système Green Apron Management d'Airbus utilise des capteurs et l'intelligence artificielle pour une meilleure gestion des aéronefs lors des escales aéroportuaires. Dans sa feuille de route pour le climat, le groupe ADP prévoit d'installer des systèmes permettant de minimiser le roulage de l'avion. Ces systèmes pourront agir en temps réel dans le futur.

Outre les systèmes intelligents, plusieurs initiatives permettent de réduire l'utilisation de carburant lors du roulage : SETI/SETO (single engine taxi in/out), EGTS (Electric Green Taxiing System) et STAR (système de traction des avions au roulage) ou taxibot.

L'initiative SETI/SETO consiste à éteindre l'un des deux moteurs lors de la phase de roulage, avant décollage (taxi-out) ou après atterrissage (taxi-in), la poussée des moteurs récents étant généralement suffisante pour assurer la propulsion au sol. En 2023, 50 % des compagnies aériennes pratiquaient le SETI et 20 % le SETO, en raison de contraintes de sécurité ou d'opérations, en particulier par crainte de découvrir un problème à l'allumage des moteurs au seuil de la piste et de devoir faire demi-tour. Cependant, le frein majeur à la généralisation serait la difficulté à faire évoluer les habitudes et procédures de pilotage. Le groupe ADP souhaiterait généraliser cette pratique dans le cadre de son plan « Pioneers 2025 ».

Si les pratiques de SETI/SETO imposent d'utiliser au moins l'un des moteurs principaux, les systèmes de roulage électrifiés permettent, en s'en passant complètement, d'augmenter l'efficacité énergétique de la phase de roulage, donc de réduire les émissions. En effet, les moteurs principaux des avions, optimisés pour le vol, ne sont pas conçus pour la propulsion au sol, ce qui entraîne une consommation de carburant disproportionnée lors des phases de roulage. Ce problème est particulièrement marqué pour les vols court et moyen-courriers, qui passent en proportion plus de temps au sol par rapport à la durée totale du vol.

L'électrification du roulage peut être assurée par l'ajout de moteurs au train d'atterrissage, un système dénommé EGTS (Electric Green Taxiing System, en français système de roulage électrique écologique), ou par un système de traction des avions au roulage (STAR).

Système EGTS

Source : Safran

Safran a commencé à concevoir un EGTS au début des années 2010, avant de s'associer avec l'américain Honeywell pour mettre au point un système qui pourrait être ajouté au train d'atterrissage principal des avions après leur construction.

Lors du roulage jusqu'aux pistes ou depuis celles-ci, l'EGTS utilise les groupes auxiliaires de puissance (APU) pour alimenter des moteurs électriques montés sur les roues du train d'atterrissage principal. D'après Safran, sur un Airbus A320 effectuant un vol de 1 000 kilomètres, la réduction de consommation due à l'EGTS pourrait atteindre 4 %99(*).

Cependant, le système EGTS proposé par Safran et Honeywell posait des problèmes de poids et de place pour l'installation des moteurs électriques sur le train d'atterrissage, si bien que les constructeurs ont refusé de l'intégrer par défaut à leurs appareils. Néanmoins, il a été adopté par quelques compagnies aériennes, par exemple Vueling pour ses avions monocouloirs Airbus.

Depuis 2022, Safran développe un EGTS plus intégré et plus léger qui pourrait être pour l'essentiel logé dans les roues des avions.

Le système de traction des avions au roulage (STAR) est une alternative intéressante pour pallier le problème de poids des EGTS. Il consiste en un tracteur électrique qui se fixe sur l'avion au sol et permet un roulage commandé depuis le cockpit. Un seul appareil de ce type est aujourd'hui certifié : le Taxibot, fabriqué par la société française TLD Group.

La mise en oeuvre de tels systèmes nécessite néanmoins des modifications sur l'avion et une formation des pilotes, qui seraient réalisables en moins de 5 ans100(*). Par ailleurs, une gestion efficace des services aéroportuaires impliquerait d'assurer la disponibilité des tracteurs électriques pour l'ensemble de la flotte en demande à un instant donné, contrairement aux systèmes intégrés de type EGTS. Enfin, le temps moyen de rotation d'un avion est plus long qu'avec un EGTS, puisqu'il doit attendre le tracteur.

QUATRIÈME PARTIE
LES CARBURANTS DÉCARBONÉS

I. L'INTÉRÊT DES CARBURANTS D'AVIATION DURABLES

Les carburants d'aviation durables (CAD, en anglais SAF pour Sustainable Aviation Fuels) sont des carburants alternatifs émettant moins de gaz à effet de serre que le kérosène. Ils se divisent en deux catégories principales, en fonction de la source du carbone et de l'hydrogène dont ils sont constitués : les biocarburants et les e-carburants, aussi appelés carburants de synthèse ou électrocarburants.

Dans les biocarburants, le carbone et l'hydrogène proviennent de matières organiques, comme les plantes, les huiles ou les résidus forestiers. Dans les e-carburants, le carbone provient du dioxyde de carbone (CO2) capturé, par exemple dans une installation industrielle ou directement dans l'air, et l'hydrogène doit être généré, en particulier par électrolyse, à partir d'énergies décarbonées, comme l'éolien, le solaire ou le nucléaire.

Lors de l'audition de l'Académie des technologies, Daniel Iracane a expliqué qu'il existe une troisième catégorie de carburants d'aviation durables : les e-biocarburants, produits à partir de matière organique, mais avec un apport d'hydrogène exogène, destiné à rééquilibrer dans les résidus forestiers ou agricoles le rapport entre le carbone et l'hydrogène, ce qui permet de maximiser l'utilisation de la biomasse.

Bien que les carburants d'aviation durables produisent une quantité de CO2 comparable au kérosène lors de leur combustion, ils sont considérés comme durables sur l'ensemble de leur cycle de vie. En effet, le CO2 capturé pendant la croissance des matières organiques dont ils sont issus ou directement dans l'air compense une bonne part du CO2 émis lors de leur production, transport, stockage et combustion. Ainsi, les carburants d'aviation durables permettent de réduire les émissions nettes de CO2 de 50 à 90 %.

A. LA CLASSIFICATION DES BIOCARBURANTS

Il est possible de distinguer trois générations de biocarburants.

Les biocarburants dits de « première génération » sont issus de matières premières spécifiquement cultivées pour leur transformation en carburants d'aviation : huiles végétales, sucre de canne, betterave, etc. De ce fait, leur production entre en concurrence avec l'alimentation humaine ou animale.

Les biocarburants dits de « deuxième génération » sont principalement issus de déchets, tels que des matières premières lipidiques (huiles usagées, graisses animales ou coproduits de raffinage d'huiles) ou ligno-cellulosiques : résidus agricoles (paille, mélasse), résidus forestiers (sciure) ou déchets municipaux. Certains biocarburants peuvent aussi être produits à partir de plantes cultivées en intercultures101(*), comme la cameline ou la carinata, qui n'entrent pas en concurrence avec les cultures destinées à l'alimentation.

Les biocarburants dits de « troisième génération » sont issus d'algues microscopiques. Leurs procédés de production sont encore au stade de la recherche.

B. LA DÉFINITION DES CARBURANTS DURABLES AU SEIN DE L'UNION EUROPÉENNE

Dans la réglementation ReFuel EU Aviation du paquet « Fit for 55 »102(*), la Commission européenne fixe des mandats d'incorporation de carburants d'aviation durables pour les 30 prochaines années, avec pour objectif la neutralité carbone du secteur de l'aviation à l'horizon 2050.

L'essentiel du paquet « Fit for 55 » a été adopté par le Parlement européen le 13 septembre 2023103(*). S'agissant de la réglementation ReFuel EU Aviation, les mandats d'incorporation sont les suivants :

 

2025

2030

2035

2040

2045

2050

Pourcentage de CAD

2 %

6 %

20 %

34 %

42 %

70 %

Dont e-carburants

 

1,2 %
puis 2 %
en 2032

5 %

10 %

15 %

35 %

En complément, la France est, avec la Norvège et la Suède, l'un des rares pays à avoir déjà mis en place des mandats d'incorporation intermédiaires, à hauteur de 1 % en 2023 et 1,5 % en 2024.

A contrario, des pays tels que les États-Unis, le Japon ou le Canada n'ont pas fixé de tels mandats, même s'ils partagent un objectif ambitieux d'incorporation de 10 % de carburants d'aviation durables en 2030. Certains acteurs, en particulier des compagnies aériennes, par exemple Air France-KLM, ou des industriels comme Airbus, se sont eux-mêmes fixés de tels objectifs.

Valérie Goff, directrice carburants et produits chimiques renouvelables de TotalEnergies, a souligné l'utilité de ces mandats, qui permettent de donner aux industriels la visibilité nécessaire à de nouveaux investissements dans la production des carburants d'aviation durables. En particulier, les mandats nationaux permettent d'assurer le développement d'une production locale qui, à défaut, risquerait d'être substituée par des importations massives.

Le texte européen fournit une définition des carburants d'aviation durables qui introduit des limitations sur la provenance des matières premières, afin de prendre en compte des enjeux éthiques et sociétaux, en sus de l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Sur ce plan, il existe une importante disparité avec d'autres pays qui n'ont pas imposé de telles limitations. Par exemple, aux États-Unis, les biocarburants de première génération restent autorisés, y compris pour l'aviation, ce qui pourrait se traduire par un écart, à la fois en termes de prix et de quantité, entre les carburants d'aviation durables produits des deux côtés de l'Atlantique. Il en va de même pour les pays d'Asie, en particulier la Chine.

Au sein de l'Union européenne, pour être considérés comme tels, les carburants d'aviation durables doivent répondre à plusieurs critères : ne pas être produits à partir de cultures destinées à l'alimentation humaine ou animale, ne pas induire de changements indirects dans l'affectation des sols, notamment lorsque des cultures aux fins de production de biocarburants entraînent le déplacement de cultures destinées à l'alimentation humaine ou animale, respecter les critères de durabilité et de réduction des émissions de gaz à effet de serre de l'article 29 de la directive (UE) 2018/2001104(*), c'est-à-dire réduire d'au moins 65 % les émissions de gaz à effet de serre par rapport aux carburants fossiles pour les biocarburants et de 70 % pour les e-carburants, ne pas être produits à partir de matières premières provenant de terres de grande valeur en terme de biodiversité biologique (forêts primaires, zones protégées, prairies naturelles, etc.) et ne pas être produits à partir de matières premières provenant de terres comportant un important stock de carbone (zones humides ou zones forestières continues).

Les carburants d'aviation durables sont classés en plusieurs catégories, reflétant chacune une approche spécifique de réduction des impacts environnementaux. La première catégorie inclut les carburants de synthèse produits à partir d'électricité issue de sources renouvelables, l'hydrogène renouvelable et les carburants non biologiques. La deuxième catégorie comprend certains carburants produits à partir de gaz récupérés lors du traitement des déchets ou, seulement jusqu'à 2041, émis par des installations industrielles. La troisième catégorie regroupe les biocarburants avancés fabriqués à partir de sources telles que les algues, les déchets municipaux et les résidus ligno-cellulosiques. La dernière catégorie comprend les biocarburants dérivés de graisses animales et d'huiles usagées105(*).

C. LA NÉCESSITÉ D'UNE CERTIFICATION TECHNIQUE OPÉRATIONNELLE

En plus de répondre aux obligations d'incorporation au sein de l'Union européenne, les carburants d'aviation durables doivent être certifiés par l'ASTM International (American Society for Testing Materials). En effet, les carburants aéronautiques doivent présenter des propriétés physico-chimiques précises répondant à des exigences techniques strictes.

Pour être certifié, le kérosène Jet A1 conventionnel doit se conformer à la norme ASTM D1655, tandis que les carburants d'aviation durables doivent respecter la norme ASTM D7566, relative aux carburants d'aviation contenant des hydrocarbures synthétiques. À ce jour, sept filières sont certifiées dans ce cadre, d'autres étant en cours de certification. Le processus de certification est basé sur une batterie de tests techniques et un protocole complexe.

Il convient de souligner que la norme ASTM D1655 autorise déjà l'incorporation de 5 % de matières premières renouvelables par co-traitement avec le pétrole dans la production du kérosène. À l'initiative des entreprises pétrolières, un groupe de travail de l'ASTM étudie la possibilité d'augmenter cette part à 30 %. En France, l'incorporation de matières premières renouvelables en amont de la production de Jet A1 est mise en oeuvre par Esso dans la raffinerie de Gravanchon.

Une particularité de la norme ASTM D7566 est que, non seulement elle impose des contraintes de composition ou de propriétés thermo-physiques (point de fusion, ébullition, etc.), mais aussi elle encadre l'origine des hydrocarbures synthétiques et le procédé de raffinage utilisé106(*). En effet, sauf lorsqu'elle est transformée en gaz de synthèse, la biomasse conserve des propriétés spécifiques qui dépendent du procédé employé. Par exemple, l'hydrotraitement est mis en oeuvre à la fois dans les procédés HEFA et SIP, mais ils correspondent à deux filières différentes au regard de la qualification par l'ASTM. Cette obligation de certification de chaque procédé, basé sur un type de matière première précis, ralentit substantiellement la prise en compte de nouvelles filières.

Les filières de carburants d'aviation certifiées par l'ASTM

Source : IATA107(*)

D. LES EFFETS DE L'INCORPORATION DES CARBURANTS D'AVIATION DURABLES

Les exigences de l'ASTM visent à répondre aux contraintes d'utilisation des carburants d'aviation durables dans les moteurs existants.

En effet, contrairement au Jet A1, ces carburants ne contiennent pratiquement pas de molécules aromatiques. Or, pour assurer l'étanchéité des joints élastomères des circuits des avions, un carburant doit contenir au minimum 6 % à 8 % de molécules aromatiques. Comme les carburants d'origine fossile en contiennent entre 15 % et 20 %, l'incorporation de carburants d'aviation durables dépourvus de molécules aromatiques est actuellement limitée à 50 % du mélange total.

Comme l'ont confirmé aux rapporteurs les interlocuteurs de Safran et de Pratt & Whitney, les moteurs en cours de développement sont conçus pour ne plus nécessiter de molécules aromatiques. Ainsi, ils deviendront compatibles avec une incorporation à 100 % de carburants d'aviation durables.

Pour résoudre le problème sur les avions actuels, il est possible d'ajouter des molécules aromatiques aux carburants d'aviation durables qui en sont dépourvus. Bien que cette solution soit coûteuse, deux filières comprenant suffisamment de molécules aromatiques ont été récemment certifiées par l'ASTM : ATJ-SPK/A et FT-SPK/A. Leur composition est très proche de celle du Jet A1. Théoriquement, il n'y aurait donc pas lieu de maintenir une limite d'incorporation. Néanmoins, le pafond de 50 % est maintenu par l'ASTM pour permettre une accumulation d'expérience avant d'autoriser l'incorporation à 100 % de carburants durables avec ajout de molécules aromatiques dans les avions actuels108(*).

E. L'ÉTAT DE LA CERTIFICATION DES FILIÈRES DE CARBURANTS D'AVIATION DURABLES

Tous les procédés certifiés par l'ASTM sont uniquement conçus pour la production de biocarburants, à l'exception notable du procédé FT-SPK. Celui-ci est singulier, dans la mesure où il peut être utilisé pour produire soit un e-carburant, soit un biocarburant. La réglementation ASTM distingue ce procédé des autres filières, en ce sens qu'elle ne spécifie pas le type de biomasse utilisable (lipidique, lignocellulosique ou sucres). Pour la filière FT, l'ASTM se limite à préciser que l'intrant doit être du gaz de synthèse, un mélange de monoxyde de carbone et d'hydrogène. Lorsque ce gaz est produit à partir de biomasse, il s'agit de la voie BtL (Biomass-to-Liquid). Lorsqu'il est issu de procédés industriels, il s'agit de la voie PtL (Power-to-Liquid).

Le tableau ci-après présente les sept filières actuellement certifiées par l'ASTM.

Abréviation

Procédé

Matière première

Taux d'incorporation maximal

TRL
(échelle de 1 à 9)*

FT-SPK

Fischer-Tropsch synthesized paraffinic kerosene (BtL)

Lignocellulosique

50 %

7-8

FT-SPK

Fischer-Tropsch synthesized paraffinic kerosene (PtL)

CO2 capté et H2 vert

50 %

5-6109(*)

HEFA-SPK

Synthesized paraffinic kerosene produced from hydroprocessed esters and fatty acids

Lipidique

50 %

8-9

SIP-HFS

Synthesized iso-paraffins produced from hydroprocessed fermented sugars

Lignocellulosique

10 %

5 (avec biomasse lignocellulosique)

FT-SPK/A

Fischer-Tropsch synthesized paraffinic kerosene with aromatics

Lignocellulosique

50 %

6-7

ATJ-SPK

Alcohol-to-jet synthetic paraffinic kerosene

Lignocellulosique

50 %

7-8

HH-SPK ou HC-HEFA

Synthesized paraffinic kerosene from hydroprocessed hydrocarbons

Huiles issues de l'algue Botryococcus Braunii

10 %

5

CHJ

Catalytic hydrothermolysis jet fuel

Lipidique

50 %

6

Sources pour les TRL : German Environment Agency110(*) et EASA111(*)

Sources : ASTM ASTM approves 7th annex to D7566 sustainable jet fuel specification : HC-HEFA - Green Car Congress

*TRL : en anglais Technology Readiness Level, qui peut se traduire par « niveau de maturité technologique »

F. LES DIFFÉRENTES FILIÈRES DE BIOCARBURANTS

Les biocarburants peuvent être classés selon trois grandes catégories de procédés : la voie oléochimique (HEFA, CHJ, HC-HEFA), la voie biochimique (ATJ, SIP) et la voie thermochimique (FT par BtL).

Tous ces procédés peuvent en théorie produire plusieurs types d'hydrocarbures : essence, diesel, naphta, kérosène, etc. ayant chacun un nombre moyen spécifique d'atomes de carbone. Ces hydrocarbures, dont le kérosène, doivent être séparés les uns des autres dans une colonne de distillation, en les chauffant et en les vaporisant, puis en les condensant en fonction de leur température d'ébullition.

1. La voie oléochimique

La voie oléochimique exploite des matières premières lipidiques. Le procédé HEFA-SPK comprend deux étapes principales. D'une part, l'hydrotraitement des huiles permet d'éliminer les atomes d'oxygène présents dans les chaînes lipidiques en ajoutant de l'hydrogène, afin d'obtenir des hydrocarbures. D'autre part, l'hydroisomérisation consiste en un traitement chimique destiné à améliorer les propriétés à froid des produits pour les rendre compatibles avec les contraintes d'utilisation du carburant dans l'aviation.

L'hydrotraitement des huiles bénéficie d'une grande maturité industrielle, puisqu'il est mis en oeuvre pour la production du biodiesel routier, produit depuis plus longtemps et en plus grande quantité que le carburant HEFA d'aviation. Par exemple, en 2018, sur 5 milliards de litres de biocarburants issus d'huiles produits dans le monde, 8 millions de litres seulement ont été commercialisés sous forme de carburants d'aviation durables, soit 0,16 %112(*).

En France, la production industrielle de carburants d'aviation durables est entièrement basée sur le procédé HEFA. Le groupe TotalEnergies l'exploite dans la bioraffinerie de La Mède. Rouverte en 2019, cette installation traite des huiles végétales brutes, des huiles usagées et des graisses animales. TotalEnergies prévoit que les huiles de seconde génération, plus durables, représenteront 75 % des intrants dès 2024. Initialement orientée vers la production de biocarburants pour le transport routier, avec une capacité de production annuelle de 500 000 tonnes, la raffinerie a étendu ses activités aux biocarburants aériens en 2021.

Par ailleurs, à partir de 2025, TotalEnergies va reconvertir la raffinerie de Grandpuits-Gargenville, située en Île-de-France, pour la production de biocarburants, en utilisant également le procédé HEFA. Cette reconversion vise une production annuelle de 285 000 tonnes de CAD113(*). La raffinerie du Havre, la plus importante en France, produira pour sa part 90 000 tonnes de carburants d'aviation durables. Au total, TotalEnergies ambitionne d'atteindre une production de 500 000 tonnes de CAD en France en 2028.

Le procédé CHJ inclut une étape liminaire d'hydrothermolyse catalytique des huiles : les matières lipidiques réagissent avec de l'eau à haute pression et haute température. Ce prétraitement à l'eau permet d'utiliser moins d'hydrogène pour l'étape d'hydrotraitement, ce qui réduit la consommation totale d'énergie. Les carburants CHJ contiennent plus d'aromatiques que les carburants HEFA, ce qui les rapproche des carburants conventionnels. Cependant, ce procédé est encore peu mature.

Le procédé HC-HEFA reproduit les étapes du procédé HEFA à partir d'une algue appelée Botryococcus braunii. Cette micro-algue présente une croissance très rapide et un haut potentiel de production d'hydrocarbures. Cependant, les biocarburants issus des algues sont encore à un stade précoce de développement en termes de maturité technologique. Pionnière dans la production de carburants d'aviation durables à partir de micro-algues, la société japonaise IHI Corporation a commencé ses recherches dans ce domaine en 2011. Après une décennie de développement, IHI a franchi une étape majeure en juin 2021, en réalisant le premier vol d'un avion utilisant un mélange de carburant dérivé de biomasse forestière et de micro-algues.

En France, les recherches sur la production de biocarburants à partir de microalgues sont menées notamment au sein des laboratoires du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et du CNRS. De plus, l'IMT Atlantique pilote le projet européen COCPIT (scalable solutions optimisation and decision tool creation for low impact SAF production chain from a lipid-rich microalgae strain, en français : optimisation de solutions extensibles à large échelle et création d'un outil d'aide à la décision pour concevoir une chaîne de production de biocarburants durables depuis une souche de microalgues oléagineuses) visant à mettre au point un nouveau biocarburant certifié pour l'aviation à base de microalgues.

2. La voie biochimique

La voie biochimique exploite le processus chimique de fermentation des sucres en alcools. Le procédé ATJ-SPK traite habituellement des cultures de sucres, comme la canne, la betterave ou l'amidon de maïs. Toutefois, ces intrants ne répondent pas aux critères fixés par la réglementation ReFuel EU, ce qui impose d'utiliser de la biomasse ligno-cellulosique. Les étapes de traitement sont les suivantes : le prétraitement de la biomasse ligno-cellulosique, qui consiste à casser les polymères de cellulose pour les transformer en molécules de glucose ; la fermentation, qui transforme le glucose en alcool (isobutanol ou éthanol selon les cas) ; la déshydratation ; l'oligomérisation ; enfin, l'hydrogénation, qui transforme les alcools en hydrocarbures.

Schéma fonctionnel de la voie de conversion ATJ-SPK

L'étape de fermentation des sucres en alcools est bien maîtrisée industriellement car elle est déjà utilisée pour la production de bioéthanol routier. De même, la troisième étape de formation d'hydrocarbures est très bien adaptable aux raffineries conventionnelles, au prix de quelques modifications.

Mais le prétraitement de la biomasse ligno-cellulosique est une phase limitante, car la dépolymérisation de la cellulose en glucose est rendue difficile par la résistance de la cellulose aux solvants traditionnels. L'hydrolyse enzymatique est la voie privilégiée aujourd'hui, même si son industrialisation implique d'améliorer les rendements par des catalyseurs et milieux spécifiques ainsi que de minimiser le coût des cultures enzymatiques.

En France, le projet Futurol, associant l'IFP Énergies nouvelles (IFPEN), l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) et l'ARD (Agro-industrie recherches et développements), a été lancé en 2008 pour réaliser le démonstrateur d'un procédé de production de bioéthanol de deuxième génération à partir de biomasse ligno-cellulosique, comme les résidus agricoles et les cultures énergétiques (miscanthus). En 2020, une première industrielle a été annoncée par Axens, chargé de la commercialisation du procédé, avec la société croate INA pour la production de 55 000 tonnes d'éthanol de deuxième génération114(*).

En juin 2023, LanzaJet, entreprise de production de biocarburants aériens et routiers à partir de biomasse de deuxième génération via le procédé ATJ-SPK, a conclu un accord avec Airbus pour accélérer la construction d'installations de carburants d'aviation durables utilisant sa technologie et la certification pour l'incorporation à 100 % de ces CAD.

Spécifique, la voie SIP-HFS exploite le potentiel de la farnésène, un hydrocarbure insaturé de la famille des terpènes. Le processus inclut : le prétraitement de la biomasse ligno-cellulosique pour sa transformation en sucres, la transformation des sucres en farnésène par des micro-organismes puis l'hydrotraitement (ajout d'hydrogène). Une fois hydrogénée, la farnésène devient du farnésane, un hydrocarbure incorporable directement dans les moteurs mais qui ne possède pas les mêmes caractéristiques que le kérosène, d'où un plafond d'incorporation de 10 %.

Le procédé a été inventé par la société américaine Amyris dans les années 2000, mais il n'est pas exploité à l'échelle industrielle pour l'aviation, ni même à l'échelle de démonstrateur. Après avoir investi depuis 2010 dans la farnésène renouvelable d'Amyris, TotalEnergies a formé avec cette dernière une coentreprise en 2013 : Total Amyris Biosolutions, qui détient la propriété intellectuelle du farnésène renouvelable, sans qu'aucun projet industriel ne soit lancé.

3. La voie thermochimique

La voie thermochimique repose sur le procédé FT-SPK par BtL. Elle est basée sur le prétraitement de la biomasse ligno-cellulosique, la gazéification de la biomasse - c'est-à-dire sa transformation à très haute température (entre 600 °C et 900 °C) en gaz de synthèse (mélange de monoxyde de carbone et d'hydrogène) - et le procédé Fischer-Tropsch115(*) qui permet de synthétiser des hydrocarbures par catalyse hétérogène du gaz de synthèse.

Le rendement du procédé est de 30 % pour la voie BtL116(*). Il est possible d'augmenter ce rendement à 60 % par apport d'hydrogène décarboné117(*). En effet, le rapport entre le carbone et l'hydrogène est de « 2:3 » pour la biomasse (de formule moyenne C6H9O4) alors qu'il est de « 1:2 » dans une chaîne d'hydrocarbure. L'hydrogène ajouté permet de rééquilibrer ce rapport et de maximiser le rendement de la réaction de Fischer-Tropsch. Ce mode de production est appelé PBtL (Power-Biomass to Liquid).

En France, le projet BioTJet basé sur la voie PBtL est piloté par Elyse Energy en partenariat avec IFP Énergies nouvelles, Avril et BioNext. Il a pour objectif l'implantation d'un site de production de carburants d'aviation durables à Lacq, à partir de résidus forestiers et d'hydrogène produit par électrolyse. Les partenaires espèrent une mise en service en 2028, avec une production annuelle de 75 000 tonnes de CAD118(*).

La voie FT-SPK/A consiste à ajouter des molécules aromatiques aux carburants d'aviation durables obtenus par la voie FT. Même si, pour le moment, une incorporation jusqu'à 50 % est permise, le but serait à terme de permettre une incorporation à 100 % de ces carburants d'aviation durables, très similaires au Jet A1 d'origine fossile.

G. LES E-CARBURANTS

Les e-carburants reposent sur le procédé FT-SPK par PtL. Les intrants sont, d'une part du CO2 capté, et d'autre part de l'hydrogène décarboné, en général produit par électrolyse de l'eau119(*).

L'électrolyse de l'eau est une brique technologique essentielle, la majeure partie de l'énergie consommée par la voie PtL concernant cette étape120(*). Cette technologie est coûteuse, encore peu développée à l'échelle industrielle (moins de 5 % de l'hydrogène produit dans le monde l'est par électrolyse de l'eau) et nécessite des évolutions sur le plan technique. Le rendement de l'électrolyse est pour le moment d'environ 60 %121(*). À haute température, le rendement de l'électrolyse pourrait dépasser 90 %. La réaction de Fischer-Tropsch étant très exothermique, la possibilité de valoriser cette chaleur fatale en la réintégrant dans le processus pour alimenter l'électrolyseur représente un avantage majeur de ce type d'électrolyse.

Le CO2 peut être capté dans l'atmosphère (concentration de 0,4 %), en sortie de cheminées industrielles (concentration de l'ordre de 10 %) ou dans le biogaz purifié issu de la méthanisation (concentré à 90 %). Plus la concentration est élevée, moins l'extraction nécessite d'énergie. Cependant, afin de ne pas encourager les industries les plus émettrices, la réglementation européenne interdit le captage du CO2 dans les installations industrielles après 2041. Le captage dans l'atmosphère, technique la plus coûteuse en énergie, deviendrait par conséquent la voie technologique prioritaire après cette date.

Actuellement, seule l'extraction de CO2 dans le biogaz est industrialisée, car les technologies de capture dans les fumées industrielles et dans l'air restent au stade de démonstrateurs122(*). Qui plus est, les processus actuels nécessitent de 7 à 10 GJ par tonne de CO2, ce qui représente 10 à 20 fois le coût thermodynamique théorique. Ceci met en lumière un potentiel considérable pour leur optimisation future.

Lors de l'audition de l'Académie des technologies, Daniel Iracane a souligné que la France souffre d'un retard dans le domaine du captage du CO2 par rapport à l'Allemagne et aux États-Unis qu'il est indispensable de combler rapidement, car il s'agit d'une brique essentielle sur le plan industriel.

Le procédé PtL comporte deux briques technologiques successives : l'étape RWGS (Reverse Water Gas Shift)123(*) transforme le CO2 et l'hydrogène en gaz de synthèse, puis le procédé Fischer-Tropsch synthétise les hydrocarbures par catalyse hétérogène du gaz de synthèse.

La réaction RWGS se situe au stade du prototype. En effet, en raison de considérations économiques et techniques, elle n'est pas actuellement mise en oeuvre à l'échelle industrielle124(*). Le procédé s'effectue à haute température en présence d'un catalyseur. En août 2023, Axens, Paul Wurth et IFP Énergies nouvelles ont signé un accord de développement pour optimiser le procédé permettant de mettre en oeuvre la réaction RWGS et son intégration dans des projets de production de carburants de synthèse.

L'amélioration du rendement de la voie PtL repose sur une maîtrise de l'électrolyse haute température, développée en France par la société Genvia issue du CEA, et la réutilisation de la chaleur produite par la réaction de Fischer-Tropsch pour l'électrolyse et la capture du CO2. Ceci suppose une intégration poussée des différentes briques technologiques sur le site de production. D'après l'Académie des technologies, une fois le procédé optimisé, son rendement global, défini comme le rapport entre la valeur énergétique du carburant d'aviation durable et l'énergie électrique utilisée pour le produire, pourrait atteindre 55 % à 60 %.

Daniel Iracane a également indiqué que la production d'un million de tonnes d'e-carburant nécessite 22 térawattheures d'électricité, dont 19 térawattheures pour la seule production d'hydrogène décarboné, alors qu'environ 20 térawattheures d'électricité devraient être disponibles en France à l'horizon 2035 pour cette application.

Le potentiel de décarbonation de la voie PtL est fortement lié à l'intensité carbone du mix électrique utilisé. Ainsi, d'après une estimation de l'ICCT (International Council on Clean Transportation), un e-carburant produit à partir du mix électrique moyen européen émettrait plus de CO2 que le kérosène. En 2021, l'empreinte carbone du mix électrique moyen européen s'établissait à 264 gCO2/kWh125(*).

Daniel Iracane a souligné qu'un e-carburant produit à partir d'un mix électrique dont l'empreinte carbone est de 20 gCO2eq/kWh permet de diviser par 10 les émissions par rapport au kérosène, alors qu'avec un mix électrique dont l'empreinte est de 180 gCO2eq/kWh les émissions du e-carburant et du kérosène sont équivalentes.

De ce fait, en dehors de la France, seuls quelques autres pays européens disposent d'une électricité suffisamment décarbonée pour produire utilement des e-carburants : l'Islande, la Norvège et la Suède.

H. LES PROJETS DE CARBURANTS PTL EN FRANCE

Plusieurs projets basés sur le procédé PtL sont développés en France.

Khimod et Elyse Energy, entreprises spécialisées dans la production d'électrocarburants notamment pour l'aviation, ont lancé le projet pilote industriel Avebio. Le consortium fait partie des lauréats 2023 de l'appel à projet Carb Aero « Développement d'une filière de production française de carburants aéronautiques durables », dans le cadre du quatrième programme d'investissement d'avenir France 2030. L'objectif de ce projet est de « valoriser des gisements de biomasse à travers l'utilisation de molécules de carbone synthétiques et compétitives qui permettront l'émergence d'une véritable industrie des e-fuels ». Une étude coordonnée par Elyse Energy va ainsi être lancée pour la mise en place d'un pilote industriel à Tartas (Landes) sur le site de la société de biochimie Ryam. Cette dernière fournira du CO2 « provenant d'une unité de production de bioéthanol de deuxième génération ». Khimod et Elyse Energy mettront en commun leurs technologies pour les deux étapes de la réaction : la conversion du CO2 en monoxyde de carbone (CO), puis la conversion de ce dernier en hydrocarbure à l'aide de dihydrogène, aboutissant ainsi à un e-carburant, par exemple du kérosène.

Le projet ReUze, situé à Dunkerque, vise la production de carburants de synthèse destinés au transport aérien et maritime. Ce projet sélectionné fin 2021 par l'ADEME dans le cadre de France 2030 est le fruit d'une collaboration entre Engie, Infinium et ArcelorMittal. À partir de 2026, il est prévu de produire annuellement 100 000 tonnes d'e-carburants, incluant des carburants d'aviation durables, du e-diesel et du e-naphta. Ces carburants seront synthétisés à partir de 300 000 tonnes de CO2 capté dans les aciéries d'ArcelorMittal, combiné à de l'hydrogène produit par une installation d'électrolyseurs de 400 mégawatts exploitée par Engie.

Le projet KerEAUzen, piloté par Engie, a également été sélectionné par l'ADEME dans le cadre de France 2030. Il produira, à partir de 2028, dans la zone industrialo-portuaire du Havre, 70 000 tonnes de kérosène par an à partir de 60 000 tonnes de CO2 biogénique, principalement issu du projet Salamandre de production de biométhane par gazéification de la biomasse ligneuse, et d'hydrogène obtenu par électrolyse. Il devrait consommer 2,8 TWh d'électricité. Air France-KLM pourrait être son principal client.

Le projet Take Kair mené par le groupe EDF, le groupe Holcim, l'IFPEN et Axens, vise à développer un pilote industriel pour la production d'e-kérosène. Le procédé combine du CO2 capturé dans la cimenterie Holcim en Mayenne avec de l'hydrogène produit par électrolyse par Hynamics, filiale d'EDF. Situé en région Pays de la Loire, le pilote devrait être opérationnel d'ici 2026, avec une première phase de production prévue pour 2028. Air France-KLM serait le principal acquéreur de ce carburant.

Enfin, le projet Hylann, piloté par le groupe Qair, doit produire, à partir de 2030, 70 000 tonnes de e-kérosène à Lannemezan, dans le Sud-Ouest, à partir de 40 000 tonnes d'hydrogène généré sur site et de CO2 capturé pour l'essentiel dans le cadre du projet Pycasso (Pyrenean Carbon Abolition through Sustainable Sequestration Operation).

I. LES RÉDUCTIONS D'ÉMISSIONS PERMISES PAR LES CARBURANTS D'AVIATION DURABLES

En prenant comme référence les émissions du kérosène Jet A1 conventionnel, qui sont de 87 gCO2eq/MJ sur son cycle de vie, il est possible de quantifier les réductions d'émissions associées à l'utilisation de biocarburants, en distinguant les processus et les matières premières utilisés. Ces réductions vont de 66 % à 95 %.

Les filières SIP, CHJ, et HC-HEFA ne sont pas traitées car elles ne bénéficient pas de retour d'expérience.

Il apparaît que la filière la moins émettrice est la filière FT, principalement grâce à la réutilisation de la chaleur au cours du processus. La filière HEFA pâtit de ses réactions chimiques énergivores et de la production d'hydrogène nécessaire à l'hydrotraitement. La filière ATJ valorise globalement moins de matière organique que la filière FT pour la même quantité de biomasse en entrée (l'Académie des technologies souligne ce problème et écarte de ce fait la filière ATJ). Cependant, elle est moins coûteuse que la filière FT et présente l'avantage de la maturité technologique, acquise grâce à la production de bioéthanol routier.

Processus de conversion

Matière première

Émissions sur l'ACV (gCO2eq/MJ)

Réductions d'émissions par rapport au kérosène

FT

Résidus agricoles

7,7

91 %

Résidus forestiers

8,3

90 %

Déchets municipaux (0 % de carbone non biogénique)126(*)

5,2

94 %

Déchets municipaux (NBC étant le pourcentage de carbone non-biogénique)

5,2 + NBC×170,5

94 % - 95 %×NBC

HEFA

Graisse animale

22,5

74 %

Huiles usagées

13,9

84 %

Distillat acide d'huile de palme

20,7

76 %

Huile de maïs (coproduit de la fermentation de maïs en éthanol)

17,2

80 %

ATJ

Résidus agricoles

29,3

66 %

Résidus forestiers

23,8

73 %

Réductions d'émissions associées aux biocarburants selon le procédé et les matières premières utilisés

Source : OACI

Le graphique suivant présente les émissions des biocarburants et des électrocarburants.

Émissions de gaz à effet de serre selon la voie de conversion et la matière première utilisées

PFAD (palm oil fatty acid) désigne les huiles acides issues du raffinage de l'huile de palme. Les émissions indirectes incluent les déplacements d'émissions dus à des utilisations annexes (par exemple pour chaleur et électricité)

Source : ICCT

J. LES ÉMISSIONS NON-CO2 DES CARBURANTS D'AVIATION DURABLES

Par rapport au kérosène d'origine fossile, les carburants d'aviation durables devraient réduire les effets non-CO2. En effet, ils ne contiennent pas de molécules aromatiques, qui sont des molécules cycliques présentant des liaisons doubles, particulièrement stables. Or, elles sont les principales responsables des traînées de condensation des avions, car elles sont transformées partiellement en suie lors de la combustion. Les carburants d'aviation durables n'en contenant pas, ils devraient en principe améliorer le bilan non-CO2 des avions.

Le référentiel « Aviation et Climat » de Supaéro indique qu'un mix 50 % / 50 % entre du kérosène conventionnel et un carburant durable diminuerait les émissions de suie de 50 % à 70 %, entraînant une baisse du nombre de cristaux de glace de 45 % à 75 %. Or, d'après Burkhadt et al.127(*), une baisse de 50 % à 80 % du nombre de cristaux de glace diminue de 21 % à 50 % le forçage radiatif des cirrus de traînée. Sachant que les traînées de condensation seraient responsables d'environ 60 % de l'impact climatique de l'aviation, l'incorporation à 50 % de carburants d'aviation durables pourrait ramener cet impact entre 10 et 25 %.

Pour les autres effets non-CO2, la feuille de route sur la mise en place d'une filière de biocarburants aéronautiques durables mentionne, pour un mélange à 50 % de carburants d'aviation durables et 50 % de kérosène conventionnel, une réduction des émissions allant jusqu'à 40 % pour les SOx et d'environ 20 % pour le CO et les hydrocarbures imbrûlés, et un impact incertain sur les NOx.

La réduction des effets non-CO2 devrait être encore plus marquée pour l'e-kérosène, ce dernier étant dépourvu des impuretés qui peuvent être présentes dans les biocarburants.

Cependant, tous ces effets restent à quantifier car ils résultent parfois de couplages complexes entre composition chimique du carburant, propriétés physiques, technologies des moteurs et conditions de fonctionnement.

K. LA SITUATION EN FRANCE AUJOURD'HUI

Les carburants durables sont à ce jour très peu utilisés pour les vols aériens. Ils représentent moins de 0,1 % de la consommation aérienne mondiale et seulement 300 000 vols dans le monde ont utilisé ce type de carburants depuis 2016.

TotalEnergies est le seul producteur de carburants d'aviation durables à l'échelle industrielle en France. La production de 0,5 Mt/an dans les trois raffineries citées en page  119 (La Mède, Grandpuits-Gargenville et Le Havre) représentera un peu moins de 10 % des 6 Mt/an128(*) de carburants aéronautiques durables qui seront consommées en France en 2050.

Les projets de production de carburants d'aviation durables identifiés en France à l'horizon 2028-2030 sont exposés dans le tableau suivant.

Projets de production de carburants d'aviation durables en France

Projet

Entreprise

Filière

Lieu

Echéance

Production annuelle
(en tonnes)

Bioraffinerie de Grandpuits

TotalEnergies

HEFA-SPK

Grandpuits

2024

285 000

Bioraffinerie de La Mède

TotalEnergies

HEFA-SPK

Châteauneuf-les-Martigues

2024

125 000

Raffinerie du Havre

TotalEnergies

HEFA-SPK

Le Havre

2026

90 000

BioTJet

Elyse Energy, IFPEN, Avril, Bionext

FT-SPK (PBtL)

Lacq

2028

75 000

Avebio

Elyse Energy, Khimod

FT-SPK (PtL)

Landes

2028-2030

1 200129(*)

ReUze

Engie, Infinium, ArcelorMittal

FT-SPK (PtL)

Dunkerque

2026

100 000

KerEAUzen

Engie

FT-SPK (PtL)

Le Havre

2028

70 000

Take Kair

EDF, Holcim, IFPEN

FT-SPK (PtL)

Pays de la Loire

2028

50 000

Hylann

Qair

FT-SPK (PtL)

Lannemezan

2030

70 000

Total

       

866 200

En France, seuls cinq aéroports proposent des carburants comportant une part de CAD : Clermont Ferrand, géré par Vinci Airports, équipé en avril 2021 (CAD produits par TotalEnergies et Neste130(*)), Paris-Le Bourget, géré par ADP, équipé en août 2021 (CAD fournis par TotalEnergies avec un mélange à 30 % de biocarburant dans le Jet A1), Bordeaux-Mérignac, équipé en juin 2022 (CAD fournis par TotalEnergies avec un mélange à 30 % de biocarburant dans le Jet A1), Toulon-Hyères, dont Vinci Airports est gestionnaire, depuis janvier 2023 (CAD fournis par World Fuel Services, acheminés par camion électrique, avec une incorporation à 30 %), et Saint-Nazaire Montoir, géré par Vinci Airports, équipé depuis novembre 2023 (CAD fournis par TotalEnergies pour certaines opérations d'Airbus et d'Air Corsica).

Pour que l'utilisation des carburants d'aviation durables puisse être généralisée, des efforts des gestionnaires d'aéroports ainsi que des énergéticiens sont nécessaires. Il s'agit de développer des infrastructures de stockage de carburants d'aviation durables dans les aéroports, ainsi que de trouver des voies d'acheminement non polluantes (pipeline, véhicules électriques, etc.).

Avec ses trois bioraffineries de La Mède, du Havre et de Grandpuits, l'énergéticien TotalEnergies bénéficiera, à partir de 2028, d'un maillage permettant d'acheminer par pipeline, train ou camion, des carburants d'aviation durables vers les aéroports internationaux de Paris-Orly et de Paris-Charles-de-Gaulle (par pipeline à partir de la bioraffinerie de Grandpuits) ainsi que vers les aéroports régionaux de Toulouse, Nice, etc. Par ailleurs, ADP prévoit d'installer d'ici 2025 des stations de carburants d'aviation durables et d'hydrogène dans ses principaux aéroports131(*).

L. UNE FILIÈRE QUI PEINE À SE DÉVELOPPER

Les énergéticiens témoignent d'un certain manque de confiance et d'un manque de visibilité pour investir massivement dans la filière.

TotalEnergies souligne les difficultés d'approvisionnement en matières premières de deuxième génération, comme les huiles usagées et les graisses animales, ainsi que la difficulté à passer à l'échelle pour les technologies utilisant la biomasse ligno-cellulosique.

Pour les carburants de synthèse, l'accès à de grands volumes d'électricité décarbonée à bas coût ainsi que la maîtrise des technologies d'électrolyse et de captage de CO2 dans l'atmosphère restent des problèmes à résoudre pour construire une filière à la hauteur des besoins.

De même, le groupe Avril témoigne du manque de visibilité des agriculteurs et énergéticiens sur les années à venir, ce qui ne les incite pas à investir en l'absence de garantie sur les achats réels des compagnies.

Le prix de la tonne de kérosène est de l'ordre de 800 euros, celui des biocarburants technologiquement matures est 3 à 4 fois plus élevé et celui des électrocarburants 4 à 10 fois plus élevé. D'après l'ADEME, à l'horizon 2050, les coûts des carburants d'aviation durables resteraient supérieurs à ceux du kérosène.

Lors de leur déplacement aux États-Unis, les rapporteurs ont relevé un relatif optimisme sur l'évolution des prix des carburants d'aviation durables, la perspective d'un facteur limité à deux par rapport au kérosène ayant été évoquée, par exemple lors des entretiens au Massachusetts Institute of Technology.

Cette différence d'appréciation pourrait s'expliquer par la moindre restriction sur les intrants pour la fabrication des biocarburants. Il est en effet plus facile de produire des biocarburants de première génération à partir de cultures intensives.

II. L'ACCÈS AUX RESSOURCES, UN FREIN AU DÉVELOPPEMENT DES CARBURANTS D'AVIATION DURABLES

A. UN GISEMENT DE BIOMASSE LIMITÉ

La production de biocarburants durables conformes à la réglementation européenne repose sur un gisement de biomasse limité.

Ressources durables lipidiques en France

Ressource

Provenance

Huiles alimentaires usagées (friture, cuisson, etc.)

Industrie agro-alimentaire, restauration, particuliers

Bacs à graisse

Restauration, métiers de bouche

Graisses de réseaux d'assainissement

Stations d'épuration, déshuileurs de réseaux

Graisses animales

Abattoirs

Huiles acides

Raffinage chimique d'huiles végétales

Tall oil fatty acids

Raffinage du crude tall oil (résidu de fabrication de pâte à papier)

Source : Ministère de la transition écologique et solidaire

Ressources durables lignocellulosique en France

Ressource

Provenance

Gisement

Déchets verts

Entretien des espaces verts des particuliers, collectivités, entreprises

10 Mt/an collectés

Bois de classe B

Panneaux, bois d'ameublement, bois de démolition

5 Mt/an collectés

Résidus forestiers

Exploitation forestière

5 Mt/an de gisement

Résidus agricoles

Résidus de culture : paille de blé, résidus de betterave

14,4 Mt/an de gisement

2,2 Mt/an mobilisable à court terme, 5,8 Mt/an à moyen terme

Ressource papier/carton

Particuliers, entreprises, collectivités

7 Mt/an de gisement

4,5 Mt/an collectés

1,4 Mt/an non recyclables mobilisables pour les biocarburants

Source : Ministère de la transition écologique et solidaire

D'après le rapport sur la mise en place d'une filière de biocarburants aéronautiques en France réalisé dans le cadre de l'Engagement pour la croissance verte (ECV)132(*), les ressources durables lipidiques représentent sur une année un gisement de 0,5 million de tonne, dont 0,3 million de tonne sont actuellement collectées. Le gisement de biomasse ligno-cellulosique représenterait 67 millions de tonnes.

Pour ce qui est des matières premières lipidiques, l'Académie des technologies estime, à partir des études de gisements de biomasse disponibles en France effectuées dans le cadre de l'engagement pour la croissance verte (ECV), que les 0,3 Mt/an d'huiles et graisses collectées actuellement permettraient de produire 0,25 Mt/an de carburants d'aviation durables par le procédé HEFA133(*).

Concernant les ressources ligno-cellulosiques134(*), mobiliser 10 % de la biomasse sèche française permettrait de produire 1,8 Mt/an de carburants d'aviation durables en utilisant le procédé FT. Pour respecter le mandat d'incorporation de 70 % de carburants d'aviation durables en 2050, il serait nécessaire de mobiliser 39 % de la biomasse sèche disponible en France.

En réalité, le transport aérien ne pourra pas avoir accès à la totalité des gisements de matières premières durables. En effet, d'autres secteurs auront probablement besoin de cette bioénergie pour leur décarbonation, en particulier celui du transport maritime. Un arbitrage entre les différents secteurs devra donc être réalisé.

B. LE RISQUE D'UN DÉPLACEMENT DES ÉMISSIONS

Dans son rapport sur les implications en termes de durabilité des carburants d'aviation alternatifs135(*), l'ICCT soulève le problème des déplacements d'émissions qui pourraient résulter de la concurrence entre les usages.

En effet, les matières premières organiques utilisées pour produire les carburants d'aviation durables ne pourront pas être mobilisées pour d'autres usages ayant besoin d'être décarbonés : chauffage, électricité, chimie, etc. De ce fait, elles devront être remplacées par des moyens potentiellement plus émissifs en gaz à effet de serre.

Le tableau ci-après illustre l'usage actuel des matières premières utilisables pour produire les carburants d'aviation durables, les produits de remplacement envisageables et les risques de déplacement d'émissions associés.

Il montre que les matières premières les moins susceptibles d'engendrer des déplacements d'émissions sont les résidus de l'agriculture, les résidus forestiers, les déchets municipaux et les huiles de cuisson usagées. Les plus susceptibles d'engendrer des déplacements d'émissions sont les graisses animales, l'huile de maïs et les distillats d'acides gras de palme, trois intrants du procédé HEFA.

Il apparaît donc essentiel d'assurer un contrôle rigoureux des matières premières utilisées dans le procédé HEFA, certaines étant hautement susceptibles de provoquer, indirectement, des émissions de CO2 annulant les gains espérés par l'usage des carburants d'aviation durables.

Risques de déplacement d'émissions pour la production de carburants d'aviation durables

Matière première

Utilisation actuelle

Possible substitution

Risque de déplacement des émissions

Graisses animales

Applications oléochimiques, chauffage et électricité

Fioul lourd, huiles végétales, gaz naturel, biodiesel routier

Haut

Huile de maïs

Alimentation animale

Huiles végétales, maïs, blé, orge

Haut

Distillats d'acides gras de palme

Oléochimie, alimentation animale, électricité et chauffage

Huiles végétales, fioul lourd

Haut

Mélasse

Alimentation animale, levure

Céréales, betterave sucrière

Moyen

Gaz de combustion industrielle

Chauffage et électricité

Gaz naturel, réseau d'électricité

Moyen

Electricité renouvelable

Secteur de l'électricité

Source d'électricité marginale

Moyen

Huiles de cuisson usagées

Aucun

Aucun

Bas

Résidus de l'agriculture

Litière et aliments pour le bétail, culture de champignons, horticulture, chaleur et électricité, santé des sols

Céréales, cultures lignocellulosiques, électricité renouvelable, caoutchouc, sable, gypse et fumier séché

Bas

Résidus forestiers

Chauffage et électricité, santé des sols

Gaz naturel, électricité de réseau

Bas

Déchets municipaux

Chauffage et électricité, récupération des gaz de décharge

Gaz naturel, électricité de réseau

Bas

Marchés existants, produits de substitution et risques de déplacement d'émissions pour les potentiels coproduits, déchets et résidus pour la production de carburants d'aviation durables

Source : ICCT

C. UNE COLLECTE DIFFICILE DE LA BIOMASSE

Le problème de la finitude des ressources en biomasse est accentué par les difficultés d'accès à ces ressources. En effet, la collecte de la biomasse n'est pas effectuée entièrement ou soulève des difficultés.

Par exemple, dans l'étude précitée sur la mise en place d'une filière de biocarburants aéronautiques en France, le gisement d'huiles usagées et graisses est estimé à 0,5 Mt/an, dont 0,3 Mt/an seulement sont effectivement collectées. Ce gisement est diffus et sa collecte consomme beaucoup d'énergie. Ainsi, remplir une citerne de 25 tonnes nécessite de collecter les huiles usagées de 250 restaurants.

Un autre exemple concerne la biomasse forestière : les zones de grande densité en biomasse forestière sont peu nombreuses en France. Seules trois régions françaises abritent une biomasse forestière dont la concentration excède 25 t/km2. Pour en collecter suffisamment dans les régions à plus faible densité, il faudrait mettre en place des zones de collecte de plus de cent kilomètres de rayon. Le coût environnemental et logistique de la collecte deviendrait alors prohibitif.

D. UNE TRAÇABILITÉ DÉLICATE À GARANTIR

Lors de leur audition, les interlocuteurs du groupe Avril ont soulevé le problème de la traçabilité de la biomasse utilisée, qui s'avère difficile à contrôler. Par exemple, la composition chimique ne permet pas de déterminer avec certitude l'origine des huiles. En 2023, des millions de tonnes d'huiles usagées provenant de Chine, suspectées d'être en réalité de l'huile de palme « neuve », ont été ainsi importées en Europe.

Or, une augmentation, même involontaire, des importations d'huile de palme pourrait devenir problématique, car elle risque de se traduire par une extension de la déforestation dans les pays producteurs, qui serait génératrice de gaz à effet de serre et mettrait en péril des espèces menacées, comme l'orang-outan, le tigre de Sumatra ou l'éléphant pygmée de Bornéo.

Les systèmes dits « book and claim » pourraient apporter une réponse à ce problème. L'objectif premier de ces systèmes est de permettre aux compagnies aériennes d'acheter des crédits pour des carburants d'aviation durables qui se trouvent sur une autre plateforme aéroportuaire, permettant ainsi la compensation de leurs émissions sans nécessiter la livraison physique du carburant. De ce fait, elles peuvent revendiquer une réduction de leurs émissions de CO2, même si les carburants d'aviation durables n'alimentent pas directement leurs avions.

Le principal avantage d'un tel système est sa capacité à déconnecter physiquement l'achat des carburants durables de leur utilisation. Cette flexibilité est particulièrement utile dans un contexte où l'infrastructure nécessaire n'est pas uniformément disponible dans tous les aéroports. Faciliter par ce biais l'achat de carburants d'aviation durables peut augmenter la demande globale pour ces carburants, ce qui peut encourager la production et l'investissement dans les technologies de CAD, accélérant ainsi leur développement.

Un système « book & claim » européen devrait être conçu pour s'intégrer aux réglementations et politiques de l'Union européenne en matière d'énergie et de climat, de façon à assurer la conformité avec le cadre juridique tout en simplifiant le travail des compagnies aériennes, des fournisseurs de carburant et du régulateur.

Un tel système permettrait aux entreprises clientes des compagnies aériennes de prendre en compte dans le calcul de leurs propres émissions l'utilisation des carburants d'aviation durables sur les vols empruntés par leurs salariés. Ceci ouvre la voie à un partage du surcoût des CAD entre les compagnies aériennes et les entreprises, sachant que les vols en classe affaires représentent 30 % à 40 % du chiffre d'affaires des compagnies aériennes.

Mais un tel système n'est crédible que s'il est capable de tracer de façon fiable les données environnementales relatives aux carburants d'aviation durables, afin de garantir que les contraintes associées à leur usage (niveau de réduction des émissions, absence de concurrence avec l'alimentation, impact environnemental) sont réellement respectées.

Par exemple, le réseau RSB (Roundtable on Sustainable Biomaterials), originellement créé en 2007 par des universitaires pour répondre aux enjeux du développement des biocarburants et qui regroupe plus de 130 acteurs, tels que TotalEnergies, Airbus, Air France ou Amazon, propose depuis fin 2023 un système « book and claim » dont l'un des objectifs est de valider la conformité environnementale des carburants d'aviation durables.

III. LE RÔLE CENTRAL DE L'HYDROGÈNE

A. ASSURER LA DISPONIBILITÉ DES RESSOURCES NÉCESSAIRES À LA PRODUCTION DE L'HYDROGÈNE À DESTINATION DU SECTEUR AÉRIEN

La production d'hydrogène décarboné revêt une importance centrale pour la réussite de la décarbonation du secteur aéronautique. En effet, elle joue un rôle déterminant non seulement dans le développement futur des avions à hydrogène, mais également dans la production de deux des trois catégories de carburants d'aviation durables : les e-biocarburants et le e-kérosène.

Ainsi que le souligne une note scientifique de l'OPECST consacrée à la production d'hydrogène136(*), la « voie privilégiée pour produire de l'hydrogène bas carbone consiste à utiliser l'énergie électrique pour extraire - par électrolyse - l'hydrogène présent dans l'eau ». Les techniques alternatives sont en effet coûteuses, complexes ou peu matures, à l'exception de la pyrolyse du méthane et de la production d'hydrogène à partir de biomasse, en cours d'industrialisation.

En 2022, 0,1 % seulement des 92 millions de tonnes d'hydrogène produites dans le monde était généré par électrolyse. 62 % étaient produits par vaporeformage du gaz naturel, 21 % à partir de charbon et 16 % en tant que sous-produit de l'industrie pétrochimique137(*). Comme le montre le graphique ci-après, ces proportions ont peu évolué ces dernières années, malgré la croissance de la production.

Source : Agence internationale de l'énergie

Comme l'a relevé Patrick Ledermann lors de l'audition de l'Académie des technologies, la production massive d'hydrogène décarboné dans le monde suppose que soient remplies plusieurs conditions, touchant à la puissance installée en électrolyseurs ainsi qu'aux quantités d'eau et d'électricité décarbonée disponibles : il faut environ 9 litres d'eau et en moyenne 55 kilowattheures pour produire 1 kilogramme d'hydrogène138(*).

De plus, il est préférable que l'électricité ne soit pas intermittente, compte tenu de la nécessité d'amortir un électrolyseur sur une durée annuelle de fonctionnement assez longue, d'au moins 5 000 heures, l'optimum se situant au-delà de 8 000 heures139(*), mais aussi en raison de la sensibilité de certains électrolyseurs aux variations de l'alimentation électrique140(*).

La capacité à produire de nouveaux électrolyseurs ne constitue pas, à l'heure actuelle, un goulet d'étranglement au niveau mondial, car elle excède très largement la demande : fin 2024, elle devrait se situer aux alentours de 54,3 gigawatts sur l'année, alors que la demande serait d'environ 4,3 gigawatts141(*).

Électrolyseurs : capacité de production (bleu) et demande (mauve)

Source : BloombergNEF

Mais ce déséquilibre pourrait mettre en péril les constructeurs nationaux, puisque la France dispose de plusieurs entreprises de pointe dans ce domaine : Mc Phy pour les électrolyseurs alcalins, Elogen pour les électrolyseurs à membranes échangeuses de protons (PEM), Genvia pour les électrolyseurs à oxydes solides (SOEC) fonctionnant à haute température142(*) et Gen-Hy pour les électrolyseurs alcalins à échange d'anions (AEM). Ces quatre constructeurs ont tous des projets de très grandes usines (gigafactories) d'électrolyseurs sur le territoire national.

Cette situation découle tout à la fois d'une demande en hydrogène décarboné en retrait par rapport aux ambitions nationales et européennes, du temps relativement long nécessaire à la mise en service de nouvelles installations industrielles et de conditions économiques moins favorables que par le passé, en particulier avec la hausse des taux d'intérêt.

D'après l'étude Sisyphe publiée en mars 2024 par le CEA143(*), la demande européenne d'hydrogène décarboné ne serait que de 2,5 millions de tonnes en 2030 et de 9 millions de tonnes en 2040, alors que l'objectif du plan REPowerEU la positionnait à 20 millions de tonnes en 2040.

Avec la sidérurgie, le transport aérien serait l'un des deux secteurs les plus demandeurs en hydrogène décarboné sur la période 2030-2040 et représenterait à lui seul plus de la moitié de la demande à partir de 2035. A contrario, les secteurs de la chimie, de la pétrochimie, du raffinage, de la production de chaleur ou des transports maritime et routier seraient moins moteurs en termes de demande.

Les conclusions de cette étude sont plutôt positives pour le secteur aérien, puisqu'elles semblent indiquer que la concurrence d'usage de l'hydrogène décarboné restera relativement mesurée d'ici 2040.

L'Académie des technologies estime le besoin en carburants d'aviation durables de la France à 0,5 million de tonnes en 2030, 3 millions de tonnes en 2040 et 6 millions de tonnes en 2050144(*). Elle évalue la quantité d'hydrogène nécessaire pour la production du e-biocarburant et du e-kérosène correspondant ainsi que pour son usage direct dans l'aviation à environ 130 000 tonnes en 2030, 600 000 tonnes en 2040 et, au maximum, 2 685 000 tonnes en 2050145(*).

En regard de ce besoin, l'Académie des technologie estime que l'installation de 6,5 gigawatts d'électrolyseurs d'ici 2030 et 10 gigawatts d'ici 2035, prévue par le plan Hydrogène français146(*), devrait permettre la production par électrolyse de 0,8 million de tonnes d'hydrogène dès 2030 et 1,3 million de tonnes dès 2035, ce qui permettrait très largement de répondre jusqu'en 2040 aux besoins de l'aviation et des autres secteurs consommateurs d'hydrogène, quitte à compléter par d'autres modes de production décarbonés ou par des importations147(*).

Enfin, pour satisfaire ses besoins en CAD, la France devra disposer d'environ 2 TWh d'électricité en 2030 et 50 TWh en 2040, sous réserve de pouvoir également mobiliser 6,7 millions de tonnes de biomasse sèche, ou de 2 TWh d'électricité en 2030 et 71 TWh en 2040 si seulement 4 millions de tonnes de biomasse sèche peuvent être mobilisés.

L'Académie des technologies considère qu'il sera possible d'utiliser, dans un premier temps, l'électricité excédentaire des générateurs bas-carbone : nucléaire, éolien et solaire, disponible avec un taux de confiance supérieur à 70 %. À partir de 2035, de nouveaux moyens de production d'électricité décarbonée devront être mis en place pour répondre au besoin.

B. L'HYDROGÈNE NATUREL : UN ACCÉLÉRATEUR DE LA DÉCARBONATION DE L'AVIATION ?

L'hydrogène a toujours été considéré comme un simple vecteur énergétique qui, au même titre que l'électricité, doit être produit à partir d'autres sources d'énergie. Des recherches récentes ont mis en lumière l'existence à travers le monde, en particulier en France, de réserves d'hydrogène enfouies dans la croûte terrestre, potentiellement importantes. Cet hydrogène est qualifié de naturel, géologique, ou « blanc ».

Le premier gisement d'hydrogène blanc, pur à 98 %, a été découvert par accident au Mali, en 1987, dans le village de Bourakébougou148(*). Il est exploité depuis 2012 et jusqu'à aujourd'hui pour alimenter une petite centrale approvisionnant le village en électricité. 24 autres puits forés à proximité produisent également de l'hydrogène. Une équipe de chercheurs français de l'IFP Énergies nouvelles, venue étudier le réservoir d'hydrogène sur place, a conclu qu'il se recharge tout en produisant149(*).

Fin 2022, une autre équipe de chercheurs français du laboratoire GeoRessources à Nancy, commun à l'Université de Lorraine et au CNRS, a découvert, en étudiant un gisement de gaz naturel, un réservoir d'hydrogène blanc près de Folschviller en Lorraine, estimé pur à 98 % à 3 000 mètres de profondeur150(*) et d'une contenance qui serait, en première approche, de 46 millions de tonnes151(*).

Dans une contribution à la Concertation nationale sur le mix énergétique, Philippe Dubreuilh, hydrogéologue, qui a travaillé pendant 22 ans dans le Nord-Est des États-Unis, note qu'en France « plusieurs universités dont celles de Grenoble, Lorraine, Paris, Pau, Savoie Mont Blanc ainsi que le CNRS, le BRGM et l'IFPEN mènent divers programmes de recherche sur l'hydrogène naturel (...) ces chercheurs nous indiquent que plusieurs régions en France métropolitaine et en outre-mer seraient susceptibles de receler des ressources en hydrogène naturel : l'Alsace, la Bresse, la Bretagne, la Corse, le Cotentin, le Morvan, la Nouvelle-Calédonie et les piedmonts pyrénéen et alpin. »152(*)

L'Institut d'études géologiques des États-Unis (en anglais : United States Geological Survey ou USGS)153(*) a récemment publié une première évaluation des réserves d'hydrogène naturel au niveau mondial154(*) qui pourraient être de l'ordre de plusieurs dizaines de milliards de tonnes. Si une petite fraction de ces réserves étaient accessibles dans des conditions techniques et économiques acceptables, elles permettraient de répondre aux besoins en hydrogène pendant des centaines d'années. L'USGS a élaboré l'infographie ci-après présentant les modes de production de l'hydrogène dans la croute terrestre.

D'après l'USGS, la plaine côtière atlantique et le centre des États-Unis présentent des géologies favorables à l'accumulation d'hydrogène, en relation avec la présence de minéraux riches en fer qui, en réagissant avec l'eau, pourraient générer de l'hydrogène. L'USGS doit publier, d'ici fin 2024, une étude détaillée sur les ressources mondiales potentielles, ainsi qu'une carte préliminaire des zones les plus susceptibles de contenir des ressources géologiques en hydrogène.

L'Agence internationale de l'énergie se montre plus prudente dans une publication récente : « Cependant, l'exploitation potentielle de l'hydrogène naturel présente des défis et reste très incertaine. Des études géologiques détaillées des accumulations d'hydrogène naturel ne sont pas facilement disponibles, ce qui empêche une compréhension globale de sa formation, de sa migration et de son exploitation commerciale. Il est possible que la ressource soit trop dispersée pour être capturée d'une manière économiquement viable. »155(*)

D'autres gisements possibles d'hydrogène naturel ont été identifiés dans différents pays ou régions : en Europe de l'Est, en Australie, en Espagne, à Oman, etc.

Si les estimations de l'USGS venaient à se confirmer, l'hydrogène blanc pourrait transformer radicalement le paysage énergétique mondial, en offrant une nouvelle source d'énergie décarbonée qui pourrait satisfaire, à un coût relativement bas, les besoins en hydrogène de divers secteurs, notamment du transport aérien.

Bien que les estimations ne puissent actuellement s'appuyer que sur l'exemple du gisement de Bourakébougou, un prix de revient de l'hydrogène naturel d'un dollar américain par tonne est souvent mentionné156(*), soit environ six fois moins que le coût actuel de l'hydrogène vert.

Cette évaluation est confirmée par l'Académie des sciences157(*) qui considère que « tout indique que les coûts ne devraient pas dépasser celui de l'hydrogène gris, c'est-à-dire environ 1 € / kg H2. »

Malgré son potentiel, l'exploitation de l'hydrogène naturel reste à concrétiser. La technologie nécessaire pour extraire, purifier et transporter l'hydrogène à partir de dépôts naturels doit encore être développée. Des investissements significatifs en recherche et développement seront nécessaires pour mettre au point des méthodes efficaces et économiques. De plus, l'exploration des gisements potentiels pourrait s'avérer plus coûteuse que prévu.

Certes, l'exploitation de l'hydrogène naturel pourrait avoir des impacts environnementaux moins importants que ceux associés aux méthodes actuelles de production d'hydrogène, y compris par rapport à l'hydrogène vert, notamment en termes d'émissions de CO2, mais aussi parce qu'elle ne consommerait pas de grandes quantités d'eau.

Cependant, des études sont nécessaires pour évaluer les effets potentiels de son extraction sur les écosystèmes. Par exemple, la manipulation de grandes quantités d'hydrogène pourrait avoir un impact sur les cycles des gaz à effet de serre et nécessiter des mesures pour minimiser les fuites158(*). La présence de gisements de gaz naturel adjacents aux gisements d'hydrogène, comme en Lorraine, est une autre source d'inquiétude159(*). Il faut donc non seulement encourager l'investissement dans les technologies nécessaires à l'exploitation de l'hydrogène naturel, mais aussi garantir qu'elle s'effectue de manière responsable.

Pour toutes ces raisons, si la faisabilité de l'exploitation de l'hydrogène blanc se confirme dans les prochaines années, sa mise en oeuvre ne sera probablement pas immédiate : un horizon de 2035 à 2040 est souvent mentionné.

Sous ces conditions, l'hydrogène blanc pourrait, à l'avenir, faciliter de façon notable la décarbonation de l'aviation. Il pourrait être utile à la fois pour alimenter des avions à hydrogène et pour produire des carburants d'aviation durables. Dans ces deux applications, il permettrait d'abaisser drastiquement les coûts, tout en limitant les problèmes de disponibilité des ressources en électricité et en eau.

À cet égard, l'Académie des sciences recommande « de soutenir rapidement et sans hésitation les projets d'exploration du sol français visant à évaluer rigoureusement le potentiel réel en hydrogène naturel. »

IV. LES PERSPECTIVES DE DÉVELOPPEMENT DES CARBURANTS D'AVIATION DURABLES

A. LA POURSUITE DES RECHERCHES, VOIE OBLIGÉE VERS DE NOUVELLES CERTIFICATIONS

Il est nécessaire de poursuivre les recherches visant à caractériser les propriétés spécifiques des carburants d'aviation durables, leur compatibilité avec les moteurs actuels, leurs effets sur les traînées de condensation et les autres effets non-CO2. En effet, une fois que la capacité des avions à être alimenté à 100 % en carburants d'aviation durables aura été établie, les mandats requis au niveau européen pourraient être relevés.

Des recherches sur les propriétés chimiques des carburants d'aviation durables sont actuellement menées par l'ONERA dans le cadre du projet Volcan, auquel participent également Airbus, Safran, Dassault Aviation et la DGAC. Dans ce cadre, des tests en vol avec 100 % de carburants d'aviation durables sont effectués depuis 2021 avec des Airbus A319neo, A321neo et A350. Un groupe de travail est également consacré à ce sujet au sein de l'ASTM.

Plusieurs nouvelles filières de carburants d'aviation durables sont en phase de certification auprès de l'ASTM. Ces filières utilisent des matières premières plus diversifiées et des procédés plus performants. Cette évolution est indispensable, compte tenu des limitations en ressources oléagineuses et ligno-cellulosiques.

B. UN DIALOGUE NÉCESSAIRE ENTRE LES ACTEURS

La nécessité d'assurer une adéquation entre la production de carburants durables et les besoins de l'ensemble des secteurs, en particulier celui de l'aviation, implique d'établir un dialogue étroit entre les différents acteurs concernés.

À cette fin, la Commission européenne, en particulier la DG Move (direction générale de la mobilité et des transports) a initié la création, en avril 2022, d'une alliance pour les carburants durables : la RLCF Alliance (Renewable and Low-Carbon Fuels Value Chains Industrial Alliance).

L'objectif de cette alliance est de faire en sorte que les transports aériens et maritimes aient accès aux carburants durables en volumes suffisants, tout en prenant en compte l'utilisation de ces carburants dans le transport routier, afin de contribuer à réduire les émissions de gaz à effet de serre de l'ensemble du secteur des transports à hauteur de 90 % d'ici à 2050.

Le groupe Safran a été sollicité pour piloter la branche « aviation » de l'alliance. Pour la période 2023-2024, le programme de travail de cette branche comprend notamment : l'entretien d'une base de données commune sur les carburants durables, l'établissement d'une feuille de route pour leur production, le soutien à la création d'un marché dynamique pour leur développement et la facilitation de leur certification.

Ce dernier point doit être souligné, les acteurs européens considérant que le processus de certification par l'ASTM, trop complexe et trop long, risque de freiner les initiatives européennes dans ce domaine.

C. LA RÉGLEMENTATION EUROPÉENNE ET LE SOUTIEN PUBLIC

L'adoption par le Parlement européen, en septembre 2023, du texte ReFuel EU Aviation a permis de donner aux différents acteurs du secteur, en particulier aux énergéticiens, une meilleure visibilité sur les perspectives de consommation des carburants d'aviation durables.

En France, la loi de finances initiale pour 2022 fixe un objectif d'incorporation de 1 % de biocarburants avancés, et la feuille de route nationale160(*) introduit une trajectoire cible pour la substitution à court terme du kérosène par des biocarburants durables : 2 % en 2025 et 5 % en 2030, afin d'assurer la cohérence avec la Stratégie nationale bas-carbone.

À la suite de la déclaration du Président de la République du 16 juin 2023 sur la souveraineté et la planification écologique de la filière aéronautique, un financement de 200 millions d'euros a été alloué aux carburants d'aviation durables pour la période 2023-2030.

Par ailleurs, les moyens alloués pour le plan de décarbonation de l'aviation, initié en mars 2022 dans le cadre de France 2030, ont été significativement renforcés : le financement annuel du CORAC est passé de 100 à 300 millions d'euros, tandis que le soutien aux acteurs émergents a été augmenté de 50 à 200 millions d'euros par an jusqu'à 2030.

Enfin, le développement de l'hydrogène vert est soutenu dans le cadre de France 2030, notamment avec une feuille de route161(*) annonçant un soutien croissant de l'État à sa production.

CINQUIÈME PARTIE
UN ÉCOSYSTÈME AÉRONAUTIQUE FRANÇAIS À RENFORCER

I. LA DÉCARBONATION, TOURNANT MAJEUR POUR LE SECTEUR AÉRONAUTIQUE FRANÇAIS

A. UNE NOUVELLE ÈRE DE L'AVIATION

Pour le secteur aéronautique, la décarbonation représente une évolution majeure, sans doute plus décisive que le passage à l'ère des avions à réaction à l'issue de la Seconde Guerre mondiale. Cette transition nécessitera de redéfinir les technologies, les pratiques, les cadres réglementaires et juridiques ainsi que les stratégies économiques de l'aéronautique mondiale.

Le secteur aéronautique français dispose de nombreux atouts. Il bénéficie d'une longue tradition d'innovation et d'excellence en ingénierie, incarnée par des géants industriels tels qu'Airbus et Dassault, mais aussi par un réseau dense de plusieurs milliers d'ETI, PME et TPE.

De plus, l'existence de clusters aéronautiques dynamiques, notamment autour des villes de Toulouse et Bordeaux, favorise la synergie entre les entreprises, les instituts de recherche et les universités.

En outre, ce secteur est fortement structuré, en lien étroit avec l'État, autour d'organismes qui font référence dans leurs champs respectifs, tels que la DGAC, le GIFAS ou encore le CORAC.

Enfin, la formation de grande qualité offerte par des institutions comme l'Institut Supérieur de l'Aéronautique et de l'Espace et l'École Nationale de l'Aviation Civile assure un renouvellement constant de talents hautement qualifiés. Ces facteurs combinés positionnent la France comme l'un des leaders de l'industrie aéronautique mondiale.

Ainsi que l'a souligné Yannick Assouad, la France est l'un des rares pays disposant du savoir-faire nécessaire pour concevoir et réaliser l'intégralité d'un avion. Cette spécificité résulte en grande partie de la capacité du secteur aéronautique à associer investissements publics et privés.

Toutefois, cette situation enviable ne doit pas masquer le défi que représente la décarbonation. Comme l'ont montré les exemples récents des industries aérospatiale et automobile, une position de premier plan peut rapidement être remise en question par les évolutions technologiques.

B. QUELLE AVIATION DURABLE EN 2050 ?

Il est bien entendu difficile de prévoir à quoi ressemblera l'aviation dans le monde en 2050. Néanmoins, sur la base des informations recueillies par les rapporteurs au cours de leurs entretiens et de leurs déplacements, il est possible de tracer avec une certaine confiance quelques grandes lignes directrices.

À la fois en raison des limitations des alternatives technologiques en cours de développement et du temps nécessaire à leur déploiement à grande échelle, les compagnies aériennes continueront très probablement à exploiter, pour les vols long-courriers et probablement moyen-courriers, qui représentent l'essentiel des émissions de gaz à effet de serre, des avions à réaction similaires à ceux actuellement en service.

De ce fait, les carburants d'aviation durables représenteront, d'ici 2050, le levier principal de décarbonation de l'aérien long-courrier. La capacité à assurer leur production en quantités suffisantes pour répondre à des besoins croissants, à un prix aussi bas que possible, constitue un enjeu majeur. L'industrie aéronautique n'est bien entendu pas seule concernée. Dans ce domaine, elle est fortement dépendante des secteurs agricole et énergétique.

L'accroissement de l'efficacité énergétique des flottes aériennes est le deuxième levier majeur, parce qu'il permettra de limiter les besoins en carburants d'aviation durables ainsi que l'impact de leur prix sur le coût du transport aérien de passagers et de marchandises.

Comme exposé précédemment, l'atteinte de cet objectif passe par un investissement soutenu dans la recherche et développement sur un large éventail de pistes technologiques : amélioration des caractéristiques aérodynamiques des avions, réduction de leur masse, optimisation de leur propulsion, etc. mais aussi par l'optimisation des opérations en vol et au sol.

A contrario, des changements technologiques significatifs devraient intervenir pour les avions court-courriers et régionaux, avec l'entrée en service très prochaine de nouveaux aéronefs d'une à une vingtaine de places à propulsion électrique ou hybride électrique.

Le rendement élevé des moteurs électriques et le prix modéré de l'électricité, ainsi qu'une maintenance simplifiée, devraient permettre d'abaisser notablement les coûts d'exploitation de ces avions, et donc également le prix des billets ou du transport de marchandises sur de courtes distances. Cette évolution pourrait entraîner une augmentation notable des liaisons aériennes directes entre régions et au sein de chaque région.

Les avions à hydrogène pourraient également jouer à terme un rôle dans la réorganisation du transport aérien, d'abord sur de courtes distances avec un nombre de passagers limité, à plus long terme pour des vols moyen-courriers. Le principal frein à leur déploiement à grande échelle pourrait être d'ordre logistique : il nécessitera d'assurer la production, le transport, le stockage et la distribution de l'hydrogène sur un grand nombre d'aéroports.

II. ACCÉLÉRER LA PRODUCTION DES CARBURANTS D'AVIATION DÉCARBONÉS

A. UNE RÉPONSE ADAPTÉE À PLUSIEURS ENJEUX NATIONAUX

Ainsi que l'a souligné Daniel Iracane lors de l'audition de l'Académie des technologies, la capacité à assurer, sur le territoire national, la production des carburants d'aviation décarbonés répond à trois enjeux majeurs.

Le premier enjeu est la capacité à respecter les engagements pris au niveau européen en matière d'incorporation des carburants d'aviation décarbonés, qui implique de sécuriser l'approvisionnement de ces carburants dans un marché mondial où la demande pourrait rester durablement supérieure à l'offre.

Le deuxième enjeu est en lien avec la nécessaire réindustrialisation du pays. La production des carburants d'aviation décarbonés implique la création ex nihilo d'une nouvelle filière industrielle dont les installations seront réparties dans les régions et qui aura de ce fait un impact socioéconomique significatif dans les territoires.

Le dernier enjeu concerne le rééquilibrage de la balance commerciale française, puisqu'il s'agit de remplacer la plus grande partie des importations françaises de kérosène par une production locale de carburants d'aviation décarbonés. À l'inverse, l'importation de carburants d'aviation décarbonés, plus coûteux que le kérosène, aggraverait le déficit commercial.

B. LE NÉCESSAIRE DÉVELOPPEMENT DES CARBURANTS SYNTHÉTIQUES

Les dix prochaines années seront cruciales pour établir un parcours industriel réaliste qui garantisse la disponibilité effective et à grande échelle des carburants d'aviation synthétiques, selon un rythme approprié. La concrétisation de ce parcours au début de la prochaine décennie est essentielle pour atteindre les objectifs de décarbonation fixés au niveau européen.

Compte tenu de la nécessité de coordonner les différents acteurs concernés, il apparaît indispensable de mettre en place une filière complète des carburants d'aviation de synthèse, regroupant l'ensemble des acteurs concernés, du stade de la recherche à celui de l'utilisation en passant par la production.

La production de e-carburant durable nécessite de maîtriser deux briques technologiques essentielles : la génération d'hydrogène décarboné par électrolyse et la capture du dioxyde de carbone (CO2).

En matière d'électrolyse, la France dispose d'une certaine avance technologique, avec des entreprises en pointe sur les principales technologies d'électrolyseurs : alcalins, à échange d'anions (AEM), à membranes échangeuses de protons (PEM) et à haute température.

Néanmoins, la nécessité d'accroître significativement le rendement de l'électrolyse, afin de limiter les besoins en électricité décarbonée et d'améliorer sa compatibilité avec une production électrique variable doit conduire à accélérer les recherches dans ce domaine. Dans le contexte de la production de carburants d'aviation durable, génératrice de chaleur fatale, l'électrolyse à haute température apparaît particulièrement bien adaptée.

Les technologies de capture du dioxyde de carbone permettent d'extraire le CO2 des sources industrielles ou directement de l'air ambiant et peuvent être classées en trois catégories principales : la capture postcombustion, la capture précombustion, et la capture directe dans l'air (DAC).

La réglementation RefuelEU Aviation excluant à partir de 2041 l'utilisation du dioxyde de carbone non biogénique pour la fabrication du e-carburant durable, les technologies de capture directe du CO2 dans l'air vont prendre une importance croissante pour la production de e-carburant d'aviation en grande quantité.

Une étude récente162(*) répertoriant cinquante start-up qui développent des solutions de capture directe du CO2 dans l'air illustre le retard pris par la France dans ce domaine, puisqu'y figurent des sociétés américaines, chinoises, néerlandaise, allemandes, finlandaises, norvégiennes, etc. mais aucune entreprise d'origine française.

La position défavorable de la France dans ce domaine, en particulier par rapport aux États-Unis et à l'Allemagne, a été confirmée aux rapporteurs par leurs interlocuteurs de l'Académie des technologies. Or, la maîtrise de cette technologie apparaît indispensable à la souveraineté énergétique de la France pour la production de e-carburants, qu'ils soient destinés à l'aviation, au transport maritime ou à d'autres usages. Renforcer la recherche et l'innovation sur ces technologies est donc nécessaire pour rattraper le retard pris sur les autres pays dans la course au développement des e-carburants durables.

Par ailleurs, grâce à son mix électrique décarboné, la France se positionne, au côté de la Norvège et de la Suède, comme l'un des rares pays européens capables de déployer rapidement une industrie nationale pour la production de carburants d'aviation durables synthétiques, sans être limitée par la disponibilité de la biomasse. Ce développement peut s'effectuer sans changements majeurs dans la composition du mix énergétique français, qui devrait pouvoir répondre aux besoins nationaux pour la production de carburants d'aviation durables jusqu'en 2040. Après cette date, un accroissement significatif des capacités de production d'électricité sera nécessaire, ce qui implique de confirmer sans délai le développement de nouveaux moyens de génération d'électricité décarbonée, indispensables à la production des carburants d'aviation durables en quantité suffisante.

Les producteurs de CAD, tout comme les autres acteurs de l'innovation, qu'il s'agisse de grands industriels comme Airbus et Safran, ou d'entreprises plus petites, voire de start-up, peuvent se trouver confrontés au mur du dispositif « zéro artificialisation nette » (ZAN) lorsqu'ils cherchent à créer de nouvelles installations. C'est pourquoi il serait souhaitable que tous les projets d'implantation de nouvelles installations qui contribuent à l'objectif de décarbonation du pays puissent être exclus a priori du dispositif ZAN, comme c'est déjà le cas pour d'autres entreprises.

III. SOUTENIR LA RECHERCHE ET L'INNOVATION POUR L'AVIATION DÉCARBONÉE

A. RENFORCER LA COOPÉRATION ENTRE LES ACTEURS DE L'INNOVATION

À l'occasion de leur déplacement à Boston, les rapporteurs ont constaté l'intérêt d'une coopération plus étroite et plus directe entre les différents acteurs de l'écosystème d'innovation : universités, chercheurs, grandes entreprises, start-up et investisseurs. Une collaboration efficace peut accélérer la recherche et le développement, ainsi que la commercialisation des technologies, tout en optimisant les ressources disponibles.

La récente extension à 24 universités, après une phase d'expérimentation de plus d'un an, des pôles universitaires d'innovation constitue une étape importante dans cette direction, puisqu'elle vise à recréer, autour des universités, l'écosystème d'innovation qui existe dans de nombreux pays étrangers.

Néanmoins, dans le domaine de l'aéronautique, cette initiative ne couvre pas l'ensemble de l'écosystème, puisqu'elle laisse de côté certains acteurs essentiels de la recherche comme les écoles d'ingénieurs. Aussi conviendrait-il que le Gouvernement adapte ce dispositif pour le rendre plus inclusif, par exemple en étendant les pôles universitaires d'innovation aux grandes écoles les plus importantes, non encore rattachées à une université.

B. POURSUIVRE LE SOUTIEN À LA R&D AINSI QU'À L'INNOVATION DANS LE DOMAINE DES TECHNOLOGIES D'ÉLECTRIFICATION DE L'AVIATION, Y COMPRIS HYDROGÈNE

Les rapporteurs ont constaté la forte implication des entreprises françaises dans le développement des technologies d'électrification de l'aviation, des grands groupes tels que Airbus et Safran, jusqu'aux start-up présentes sur tous les segments de ce nouveau marché : avions 100 % électriques, hybrides ou à hydrogène.

Ce succès s'explique par le dynamisme de l'écosystème français de l'aéronautique, mais aussi par le soutien apporté par l'État aux jeunes entreprises dans la phase initiale du développement de ces projets, notamment au travers du programme France 2030.

Mais celles-ci manquent encore de visibilité et peinent à attirer des investisseurs privés français, alors même que les financeurs étrangers sont conscients du potentiel considérable du marché de l'aviation décarbonée dans le monde. Il existe donc un réel risque que ces entreprises, fondées sur l'expertise technologique française, soient obligées de partir à l'étranger pour pouvoir passer au stade industriel.

À ce stade, il devient donc indispensable d'assurer une promotion active des opportunités d'investissement dans les technologies d'électrification de l'aviation et de mieux informer les investisseurs sur les avantages et le potentiel de ces technologies.

C. CONSOLIDER LES COOPÉRATIONS ENTRE CONCEPTEURS D'AÉRONEFS ÉLECTRIFIÉS ET FORCES ARMÉES

Lors des entretiens menés par les rapporteurs avec la mission militaire de l'Ambassade de France à Washington, il est apparu qu'une collaboration renforcée entre les forces armées et des entreprises innovantes dans le domaine de l'aéronautique électrifiée pouvait présenter plusieurs avantages. À cet égard, un rapprochement avec la recherche et développement civile a déjà été engagé par l'Agence de l'innovation de défense (AID) depuis sa création en 2018.

D'abord, une telle collaboration pourrait stimuler l'innovation dans des technologies de pointe. En effet, elle pourrait conduire à développer des avancées spécifiques aux besoins militaires. Or, l'innovation dans le domaine militaire peut souvent trouver des applications dans le secteur civil, renforçant ainsi l'industrie aéronautique nationale dans son ensemble.

Les forces armées sont en effet de grandes consommatrices de carburant, alors même que leur approvisionnement peut poser des difficultés logistiques dans certaines régions du monde. Utiliser des aéronefs électrifiés permettrait de réduire cette dépendance, tout en alignant en temps de paix les pratiques militaires avec les objectifs environnementaux.

Les aéronefs électrifiés offrent par ailleurs des avantages en termes d'efficacité opérationnelle, notamment une meilleure réactivité du moteur, un vol plus silencieux, et potentiellement de moindres coûts de maintenance en raison de la simplicité relative des systèmes électriques par rapport aux systèmes mécaniques traditionnels.

En dirigeant une partie des crédits de recherche militaire vers le développement d'aéronefs électrifiés, la France pourrait accélérer le progrès technique dans ce domaine, d'autant que des collaborations entre les secteurs civil et militaire pourraient ouvrir des opportunités de financement supplémentaires, en attirant de nouveaux investisseurs intéressés par les applications militaires.

Cette orientation rejoint l'une des cinq recommandations du rapport de l'Office parlementaire sur les lois de programmation militaire et l'innovation, réalisé par Huguette Tiegna, députée, et Ludovic Haye, sénateur, et adopté par l'Office le 9 mai 2023 :

« Accompagner la dynamique contemporaine de la dualité civil-militaire en approfondissant la logique de détection-captation-adaptation de l'innovation civile, tout en veillant à ne pas enfermer la défense dans une dépendance au civil, notamment par la mobilisation de la recherche académique et des organismes publics impliqués dans la recherche duale. »

D. APPROFONDIR LES RECHERCHES SUR LES EFFETS NON-CO2

Leurs entretiens avec les spécialistes des effets non-CO2, en France et aux États-Unis, ont permis aux rapporteurs de mesurer le chemin restant à parcourir pour parvenir à mesurer précisément l'ampleur de ces phénomènes et trouver des réponses appropriées.

À l'heure actuelle, il existe encore des incertitudes significatives concernant les mécanismes par lesquels les traînées de condensation et les cirrus induits affectent le climat. Aussi, paraît-il nécessaire d'approfondir les recherches dans ce domaine afin de clarifier ces mécanismes et de fournir des estimations plus précises de leur impact climatique.

Une meilleure compréhension des effets non-CO2 permettrait de développer des mesures d'atténuation ciblées, par exemple modifier les altitudes de vol ou les itinéraires pour minimiser la formation de traînées de condensation. Ces recherches pourraient également conduire à des innovations dans la conception des moteurs ou des carburants qui réduiraient la formation de ces nuages.

Les réglementations actuelles se concentrent principalement sur le CO2. Avec des données scientifiques solides sur les impacts des traînées de condensation et des cirrus induits, il pourrait être justifié d'élargir ces réglementations pour inclure des mesures visant à contrôler ou à réduire ces impacts spécifiques.

IV. PRÉPARER LES INFRASTRUCTURES NÉCESSAIRES À L'AVIATION DÉCARBONÉE

A. ENGAGER L'ADAPTATION DU CONTRÔLE AÉRIEN AUX IMPÉRATIFS DE DÉCARBONATION DE L'AVIATION

L'optimisation des opérations en vol sera un levier important de la décarbonation de l'aviation, par exemple pour diminuer la consommation dans les différentes phases de vol, éviter les congestions et réduire les temps d'attente. Elle pourra capitaliser sur les nombreuses évolutions intervenues dans ce domaine depuis plus de dix ans en matière d'informatisation et de transmission de données.

Compte tenu du très grand nombre de paramètres qu'il sera nécessaire de prendre en compte en temps réel, cette optimisation passera par une automatisation toujours plus poussée, aussi bien pour le pilotage des avions que pour le contrôle de la circulation aérienne. En faisant appel à l'intelligence artificielle, les nouveaux systèmes d'assistance à la gestion du contrôle aérien pourront intégrer et traiter en permanence, avec des délais de plus en plus courts, toujours plus de données de provenances diverses : radars, stations météorologiques, satellites, données issues des calculateurs de bord des avions, etc.

De tels systèmes, performants et réactifs, permettront non seulement de mieux adapter les trajectoires ou de rendre l'atterrissage et le décollage plus continus, mais aussi d'anticiper les congestions et de redistribuer le trafic en conséquence pour maintenir un flux aérien fluide et réduire les émissions associées. En permettant une gestion plus globale du trafic aérien, ils ouvriront la porte à des évolutions telles que les vols en formation ou les manoeuvres de réduction des émissions non-CO2.

L'adaptation du contrôle aérien aux impératifs de décarbonation présentera également des avantages économiques et opérationnels pour les compagnies aériennes, en réduisant les coûts en carburant, en diminuant les temps de rotation ou encore en améliorant la ponctualité des vols, donc la satisfaction des passagers.

La mise en oeuvre de ces évolutions ne pourra être que progressive et nécessitera tout à la fois des investissements dans les technologies avancées de communication et de traitement des données, une coordination internationale renforcée, une adaptation des cadres réglementaires et une formation adaptée des contrôleurs aériens.

B. INCITER LES GRANDS AÉROPORTS À PRENDRE EN COMPTE LES ÉMISSIONS DE CO2 DANS LEUR TARIFICATION

Encourager les aéroports à intégrer les émissions de CO2 dans leurs structures tarifaires aiderait à aligner le secteur de l'aviation avec les objectifs de réduction des émissions de CO2 définis par l'Union européenne.

En effet, en ajustant les frais aéroportuaires en fonction des émissions de CO2 des avions, les aéroports pourraient inciter directement les compagnies aériennes à accélérer le renouvellement de leurs flottes, afin de disposer d'appareils plus sobres, ou à opter pour un taux d'incorporation plus important de carburants d'aviation durables.

Cette mesure permettrait également de sensibiliser les passagers aux impacts environnementaux de leurs choix de voyage. En constatant que les vols moins polluants procurent une économie en termes de tarifs aéroportuaires, les consommateurs seraient encouragés à choisir des compagnies aériennes plus engagées dans la décarbonation.

Enfin, intégrer les coûts environnementaux dans les frais aéroportuaires crée un modèle économique qui reflète mieux les coûts externes de l'aviation, notamment en matière de pollution et de changement climatique.

C. ÉTABLIR, AU NIVEAU EUROPÉEN, UN CALENDRIER POUR LA DÉCARBONATION DES OPÉRATIONS AU SOL DANS LES GRANDS AÉROPORTS

Tout comme pour l'incorporation des carburants d'aviation durables, un calendrier commun, à l'échelle européenne, pour la décarbonation des opérations au sol dans les grands aéroports présenterait l'intérêt de donner plus de visibilité aux différents acteurs impliqués : gestionnaires d'aéroports, compagnies aériennes, fournisseurs d'équipements aéroportuaires, etc.

Un tel calendrier pourrait détailler un certain nombre de mesures de décarbonation qui seraient standardisées dans tous les grands aéroports : l'optimisation du roulage, l'utilisation de technologies plus propres pour l'alimentation des aéronefs au sol, le roulage sur un seul moteur ou avec un taxibot, l'introduction de véhicules décarbonés pour le transport des bagages, etc. De telles mesures auraient d'ailleurs un impact très positif sur la qualité de l'air et la santé publique.

Enfin, l'établissement d'un calendrier de décarbonation stimulera la demande pour de nouvelles technologies et de nouveaux services, en laissant le temps aux entreprises d'adapter leur offre.

D. PROGRAMMER L'ADAPTATION DES AÉROPORTS DE VILLES DE TAILLE MOYENNE À L'ESSOR DE L'AVIATION RÉGIONALE

L'aviation régionale est à l'aube d'une transformation majeure avec la mise en service, dans les prochaines années, d'avions de capacité d'emport et de rayon d'action limités, dotés de nouveaux modes de propulsion électrique, hybride et, à terme, possiblement à hydrogène. Ces aéronefs seront, par leur chaîne de propulsion, radicalement différents de ceux que nous connaissons aujourd'hui.

Les avions de cette nouvelle génération bénéficieront d'une efficacité énergétique améliorée et de coûts de maintenance plus faibles, ce qui devrait se traduire par une baisse de prix pour les passagers. Si elle advient, cette évolution des tarifs permettra le développement d'une nouvelle offre de liaisons aériennes régionales à bas coût, ne transitant pas par les grands hubs nationaux. Elle ne concurrencera pas directement le train, puisque les capacités des deux moyens de transport ne sont en rien comparables.

Un autre avantage de ces nouveaux aéronefs résidera dans leurs émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques réduites, voire nulles au décollage, à l'atterrissage et au sol. Ces avions seront également nettement plus silencieux que leurs homologues à moteur à combustion. La diminution de la pollution et du bruit sera particulièrement bénéfique pour les aéroports de villes moyennes, souvent situés dans des zones résidentielles ou à proximité de centres urbains.

Ces perspectives incitent à programmer sans trop tarder l'adaptation des infrastructures aéroportuaires dans les villes de taille moyenne. Il faut y intégrer l'accroissement du nombre de passagers et, dans un premier temps, le déploiement des technologies électrique et hybride, pour tirer pleinement parti des bénéfices environnementaux, économiques et opérationnels qu'elles promettent.

Les premiers avions électriques et hybrides qui seront disponibles avant la fin de cette décennie seront destinés à l'aviation générale, c'est-à-dire à des usages aussi diversifiés que les écoles de pilotage, l'aviation d'affaires ou les vols de loisirs, et aux liaisons courtes. Des aérodromes de taille plus limitée pourraient par conséquent être aussi très vite concernés.

Le développement d'une aviation régionale largement décarbonée donnera une nouvelle impulsion à ces aéroports et pourrait ainsi contribuer à revitaliser le tourisme et le tissu économique local. Il est également susceptible de jouer un rôle important dans l'accompagnement de la réindustrialisation de l'ensemble du territoire, en particulier dans les espaces les plus enclavés où des entreprises pourraient hésiter à s'implanter malgré des conditions, en termes de coût et d'environnement, par ailleurs favorables.

Enfin, comme le note l'économiste Christian Saint-Etienne dans un rapport récent, « à l'heure du retour des conflits militaires sur le continent européen (...) il faut traiter la question centrale de la couverture territoriale aérienne » en assurant le « maintien opérationnel de plateformes aéroportuaires qui furent souvent d'initiative militaire »163(*). Le développement de l'aviation régionale pourra y contribuer.

CONCLUSIONS

Tout au long de leurs travaux, les rapporteurs ont pu constater qu'il existe aujourd'hui un très large consensus de l'ensemble des acteurs de la filière aéronautique sur l'objectif de décarbonation de l'aviation.

L'atteinte de cet objectif représente un véritable changement de paradigme qui transformera en profondeur le paysage de l'aéronautique mondiale, sur les plans technologique, opérationnel et économique.

La transition nécessitera d'adopter des solutions diversifiées, allant des carburants d'aviation durables à de nouvelles architectures d'avions électriques, hybrides et à hydrogène.

L'aviation moyen- et long-courrier, principale contributrice aux émissions de gaz à effet de serre du secteur, restera largement fondée sur les solutions connues aujourd'hui, tout en devenant plus performante sur le plan environnemental. À cet égard, les carburants d'aviation durables joueront un rôle central dans la décarbonation. La capacité à les produire en quantité suffisante et à prix concurrentiel représente un enjeu industriel de premier plan. Malgré des ressources limitées en biomasse, la France se trouve en position favorable pour répondre à ce défi, grâce à sa production d'électricité décarbonée, sous réserve de poursuivre les efforts de recherche et développement et d'engager les investissements nécessaires. L'innovation visant à développer des avions plus légers et aérodynamiques, améliorer les systèmes de gestion du trafic aérien ou encore optimiser les opérations au sol est tout aussi essentielle.

En parallèle, l'aviation générale et le transport régional s'apprêtent à vivre une révolution avec l'arrivée de nouveaux avions électriques, hybrides et par la suite, probablement, à hydrogène. Ces innovations vont bouleverser ce marché en abaissant les coûts et en permettant des vols à la fois plus propres et plus silencieux.

La décarbonation de l'aviation est bien sûr une nécessité environnementale, mais elle ouvre aussi une véritable opportunité industrielle pour notre pays. Les rapporteurs considèrent que la France dispose de nombreux atouts pour tirer parti de cette évolution majeure grâce à ses compétences scientifiques et industrielles de pointe, ainsi qu'à un écosystème dynamique de start-up, couvrant un large éventail de solutions techniques, et pour s'imposer ainsi comme un acteur incontournable de l'aviation durable.

RECOMMANDATIONS

Le transport aérien est et restera indispensable aux échanges internationaux et régionaux ainsi qu'au développement économique et à la cohésion territoriale.

Pour adapter le secteur aéronautique à l'objectif de décarbonation rendu indispensable pour parvenir à la neutralité carbone, les rapporteurs préconisent trois grands axes de recommandations :

1. Premier axe : Développer la production de carburants d'aviation décarbonés

· Bâtir une filière de carburants d'aviation de synthèse, regroupant l'ensemble des acteurs concernés, du stade de la recherche à celui de l'utilisation en passant par la production.

· Intensifier la R&D et l'innovation sur la capture du CO2, afin de rattraper le retard de la France, et accélérer la R&D sur l'électrolyse, notamment à haute température.

· Confirmer le développement des nouveaux moyens de génération d'électricité décarbonée, indispensables à la production des carburants d'aviation durables en grands volumes dès 2040.

· Exonérer les projets contribuant à la décarbonation des obligations liées au dispositif « zéro artificialisation nette » (ZAN).

2. Deuxième axe : Soutenir la recherche et l'innovation pour l'aviation décarbonée

· Renforcer la coopération sur la décarbonation entre les acteurs de l'innovation dans le secteur aéronautique, en s'appuyant notamment sur l'excellence des filières de formation et de recherche françaises.

· Accroître le soutien à la R&D ainsi qu'à l'innovation dans le domaine des technologies d'électrification de l'aviation, y compris hydrogène.

· Initier des coopérations entre les concepteurs d'aéronefs électrifiés et les forces armées, afin d'explorer les applications militaires de ces technologies.

· Approfondir la recherche sur les effets non-CO2 du trafic aérien, notamment les traînées de condensation et les cirrus induits, afin de réduire les incertitudes scientifiques et de prendre en compte ces effets dans les mesures d'atténuation telles que l'optimisation des trajectoires.

3. Troisième axe : Préparer les infrastructures nécessaires à l'aviation décarbonée

· Engager l'adaptation du contrôle aérien aux nouveaux impératifs de décarbonation de l'aviation, afin d'éviter les congestions, réduire les temps d'attente en vol et optimiser les trajectoires, tout en intégrant en temps réel les données météorologiques.

· Inciter les grands aéroports à prendre en compte dans leur tarification les émissions de CO2 des compagnies aériennes.

· Établir, au niveau européen, un calendrier pour la décarbonation des opérations au sol dans les grands aéroports.

· Programmer l'adaptation des aéroports de villes de taille moyenne à l'essor d'une aviation régionale basée sur les nouvelles technologies électriques et hybrides.

EXAMEN DU RAPPORT PAR L'OFFICE

L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques s'est réuni le 30 mai 2024 pour examiner le rapport sur « La décarbonation du secteur de l'aéronautique » présenté par M. Jean-François Portarrieu, député, et M. Pierre Médevielle, sénateur, rapporteurs.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - L'ordre du jour de la réunion de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) de ce matin comporte l'examen de deux rapports. Le premier est relatif à la décarbonation du secteur aéronautique. Nos collègues Jean-François Portarrieu et Pierre Médevielle se sont fortement investis dans l'élaboration de ce rapport, à travers de nombreuses auditions et des déplacements. Je les remercie pour leur implication.

Le sujet de la décarbonation du secteur aéronautique a de nombreuses dimensions, technologiques, industrielles, économiques, environnementales et de R&D. Les rapporteurs vont nous en présenter les grandes lignes, ainsi que leurs conclusions et leurs recommandations.

M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l'Office. - Les réponses à l'enjeu de la décarbonation du secteur aéronautique sont très attendues, par les acteurs directement concernés - industriels, notamment -, comme par nos concitoyens usagers de l'aérien. Nous attendons votre éclairage sur la trajectoire, les enjeux, mais aussi la faisabilité des perspectives envisagées, au regard des connaissances scientifiques et technologiques actuelles.

M. Pierre Médevielle, sénateur, rapporteur. - La belle aventure aérienne commencée à la fin du 19e siècle continue ; elle a de beaux jours devant elle. Le réchauffement climatique génère néanmoins des questions sociétales. Nous assistons à des campagnes de bashing contre certains transports aériens.

Nous essaierons d'être précis et concis pour vous présenter nos premiers constats sur les avancées technologiques et le développement industriel et opérationnel permettant la décarbonation du secteur aéronautique, avant de vous faire part de nos principales recommandations.

La consommation de kérosène par passager et par kilomètre s'est réduite de 80 % depuis les années 1970. Des efforts sont donc déjà engagés en matière de décarbonation. Des appareils tels que l'A321neo représentent une nouvelle génération d'avions.

Le transport aérien de passagers et de marchandises est indispensable aux échanges mondiaux et régionaux, mais aussi à notre développement économique et à la cohésion territoriale. Ce constat vaut pour la plupart des pays, notamment les plus étendus et les plus peuplés. Nous rentrons des États-Unis où le réseau ferroviaire est pratiquement inexistant ; les gens y prennent l'avion comme nous prenons le bus. Le trafic aérien continuera donc de croître, dans des proportions difficilement imaginables, notamment en Asie et au Moyen-Orient.

Du fait de la concurrence économique, le secteur aérien a toujours cherché à réduire sa consommation de carburant fossile, et donc ses émissions de CO2. Toutefois, cette baisse a été plus que compensée par la croissance du trafic. À ce jour, le secteur aérien est directement responsable de 2 à 3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, soit l'équivalent des émissions d'un pays comme l'Allemagne. Avec la croissance du trafic et la décarbonation d'autres secteurs, cette part risque d'augmenter fortement si rien n'est fait. Tous les acteurs du secteur ont parfaitement conscience de cet enjeu et sont pleinement mobilisés dans ce projet de décarbonation.

M. Jean-François Portarrieu, député, rapporteur. - Une première solution de décarbonation consiste à électrifier le transport aérien, sur le modèle du transport terrestre. Cette électrification se heurte cependant à une difficulté majeure : en masse, la densité énergétique des batteries électriques est 48 fois plus faible que celle du kérosène. Cette densité augmentera à moyen terme, mais restera limitée. À cette échéance, l'avion 100 % électrique se cantonnera donc très vraisemblablement au transport de quelques passagers sur de courtes distances.

Les premiers avions électriques seront des biplaces destinés à la formation des pilotes et à la voltige, à l'image du modèle intégral que développe Aura Aéro à Toulouse.

Les taxis volants constituent un autre exemple d'application. Nous devrions en voir voler à l'occasion des Jeux olympiques. Toutefois, ces appareils devraient surtout remplacer le transport terrestre et ne contribueront donc pas significativement à la décarbonation de l'aéronautique.

Pour s'affranchir de cette limite, une solution consiste à associer propulsions électrique et thermique. Cette hybridation permet de combiner avantageusement les deux modes, par exemple en décollant et en atterrissant en mode électrique et en limitant l'usage de la motorisation thermique au vol en régime de croisière, lorsque l'avion consomme moins.

Les avions hybrides en cours de développement pourront transporter quelques dizaines de passagers sur plusieurs centaines de kilomètres, à un coût par passager probablement nettement inférieur à celui des avions actuels. Il s'agit d'une piste pour développer le transport aérien régional.

M. Pierre Médevielle, sénateur, rapporteur. - Qu'en est-il de l'hydrogène dans l'aviation ? Selon des représentants d'Airbus, les contraintes techniques pour les gros porteurs sont actuellement insurmontables.

En masse, et contrairement aux batteries, la densité énergétique de l'hydrogène est trois fois supérieure à celle du kérosène. Malheureusement, en volume, sa densité énergétique est trois mille fois inférieure. Aussi, l'hydrogène devrait être utilisé sous forme gazeuse, compressé à très haute pression (700 bars) ou sous forme liquide, refroidi à très basse température (en dessous de - 250°C). Quelle que soit sa forme, son stockage nécessite des réservoirs lourds et encombrants.

Compte tenu des contraintes de volume et de poids des réservoirs, les avions à hydrogène pourront difficilement franchir des distances supérieures à 2 000 kilomètres.

L'hydrogène peut être utilisé de deux manières. Il peut d'abord alimenter une pile à combustible générant de l'électricité pour entraîner un moteur électrique ; il n'émet alors que de l'eau. Dans un avion électrique de ce type, les batteries sont remplacées par de l'hydrogène. La capacité d'emport et le rayon d'action s'en trouvent accrus. Ensuite, au prix d'adaptations techniques, l'hydrogène peut être brûlé dans un turboréacteur en remplacement du kérosène. Il émet alors de la vapeur d'eau et, sous certaines conditions, des oxydes d'azote.

La conception d'un avion à propulsion hydrogène pose diverses difficultés techniques. Il impose tout d'abord d'intégrer des réservoirs lourds et encombrants dans l'appareil et de confiner de manière sécurisée une petite molécule très fuyarde. L'enjeu est aussi dans la distribution au sein de l'avion. Enfin, l'exploitation d'une telle flotte nécessiterait que l'hydrogène puisse être distribué dans de grands aéroports, mais aussi dans ceux vers lesquels des avions sont susceptibles d'être déroutés.

A priori, aucun de ces obstacles n'est insurmontable. Mais les résoudre demandera du temps, tout comme la certification des avions à hydrogène.

Plusieurs start-up françaises et étrangères sont engagées dans cette voie. Un prototype vole déjà. Airbus a présenté en 2021 son initiative « Zéro émission », qui prévoit l'étude de trois modèles d'avion à hydrogène.

L'hydrogène se révèle ainsi être une option techniquement complexe mais qui ne doit pas être écartée - surtout pour les avions de petite ou moyenne capacité. Une start-up canadienne a développé un avion à turbo-propulsion de type ATR dans lequel, pour positionner les réservoirs à hydrogène, elle a supprimé dix rangées de sièges. L'enjeu est de vérifier les contraintes en termes de sécurité.

M. Jean-François Portarrieu, député, rapporteur. - En résumé, les technologies électriques hybrides et à base d'hydrogène sont prometteuses pour décarboner une partie de l'aviation, mais pas les vols long-courriers, qui génèrent plus des deux tiers des émissions de CO2 dans le monde. Pour décarboner ces liaisons, plusieurs solutions sont identifiées.

La consommation des gros porteurs pourrait être réduite d'environ un tiers en améliorant leur efficacité (en réduisant leur masse, en perfectionnant leur aérodynamisme, en optimisant le rendement thermique et propulsif des moteurs) et en améliorant les opérations en vol et au sol (optimisation des trajectoires, développement du vol en formation, électrification des fonctions utilisées au sol).

La principale mesure consiste à remplacer le kérosène d'origine fossile par des carburants d'aviation durables (CAD ou SAF, pour « Sustainable Aviation Fuels »). Il en existe deux grandes catégories : les biocarburants et les carburants de synthèse. Les premiers sont essentiellement d'origine végétale tandis que les seconds sont fabriqués à partir d'hydrogène produit par électrolyse et de carbone capturé dans l'air ou en sortie d'installation industrielle.

Fin 2023, l'Union européenne a adopté des mandats d'incorporation de ces CAD. Un premier objectif vise l'incorporation de 6 % de CAD dans le kérosène à horizon 2030 pour tous les vols au départ de l'Europe, puis 20 % en 2035 et 70 % en 2050.

Les ressources françaises en matières premières de biocarburants devraient couvrir l'essentiel des besoins de l'aviation française jusqu'en 2030-2035. Le complément indispensable sera fourni par les électro-carburants.

La France dispose de deux atouts. D'une part, elle est l'un des rares pays d'Europe à disposer d'une électricité suffisamment décarbonée pour produire utilement des électro-carburants. Sur leur cycle de vie, les électro-carburants français seront dix fois moins émetteurs de gaz à effet de serre que le kérosène. D'autre part, plusieurs entreprises françaises sont en pointe dans le domaine des électrolyseurs, indispensables à la production d'hydrogène décarboné.

En revanche, la France reste significativement en retrait sur les technologies de capture de carbone en comparaison des États-Unis ou de l'Allemagne.

M. Pierre Médevielle, sénateur, rapporteur. - J'en viens à nos recommandations.

Nous préconisons tout d'abord de reconnaître l'importance du secteur aéronautique pour le développement économique et industriel du pays.

Il convient également de bâtir une filière de carburants d'aviation de synthèse associant l'ensemble des acteurs concernés, depuis la recherche jusqu'à l'utilisation, en passant par la production.

Pour rattraper notre retard, il est important d'intensifier la R&D et l'innovation sur la capture de CO2, tout en maintenant les efforts sur les technologies d'électrolyse.

Il est essentiel de confirmer rapidement le développement des nouveaux moyens de génération d'électricité décarbonée, impératifs pour produire des CAD en grands volumes d'ici 2040.

Enfin, il apparaît indispensable d'exonérer les installations industrielles de production de CAD, et tous les projets contribuant à la décarbonation, des obligations du zéro artificialisation nette (ZAN).

M. Jean-François Portarrieu, député, rapporteur. - En matière de recherche et d'innovation, nous préconisons de renforcer la coopération entre les acteurs de l'innovation dans le secteur aéronautique sur les sujets de décarbonation, en s'appuyant sur les filières de formation et de recherche françaises. Lors de la visite des laboratoires du MIT, à Boston, nous avons été surpris de constater la porosité entre le monde industriel et le monde de la recherche.

Par ailleurs, si les financements publics sont jugés globalement satisfaisants, les financements privés restent sous-dotés. Il n'existe pas de fonds privé dédié à l'aéronautique, par exemple.

Nous estimons également indispensable de poursuivre le soutien à la recherche et à l'innovation dans le domaine des technologies d'électrification de l'aviation.

Il nous semble souhaitable d'initier des coopérations entre les concepteurs d'avions électriques civils et le secteur de la défense pour explorer les applications militaires de ces technologies. Cette pratique est courante aux États-Unis.

Enfin, nous préconisons de développer la recherche sur les effets « non-CO2 » de l'aviation sur le réchauffement climatique. L'importance de ces effets reste difficile à évaluer. Il nous apparaît opportun par exemple d'approfondir les travaux sur les traînées de condensation pour mieux comprendre le phénomène et en atténuer les effets.

Vous l'aurez compris : il n'existe pas de solution universelle à la décarbonation de l'aviation. À ce stade, aucune solution ne doit être écartée.

M. Pierre Médevielle, sénateur, rapporteur. - S'agissant des infrastructures, j'insiste sur deux de nos quatre préconisations.

Nous estimons que le contrôle aérien doit s'adapter aux impératifs de décarbonation pour éviter les congestions, réduire les temps d'attente en vol et optimiser les trajectoires, tout en intégrant les données météorologiques en temps réel.

Nous pensons également utile d'anticiper le développement de l'aviation régionale décarbonée en prévoyant l'adaptation des aéroports des villes de taille moyenne à l'essor d'une aviation régionale basée sur les nouvelles technologies électriques ou hydrides, sans oublier les aéroports plus petits.

La décarbonation représente un tournant majeur pour l'aéronautique. Nous sommes convaincus que la France peut en profiter pour renforcer sa position dans le secteur, sous réserve de prendre les mesures nécessaires pour accélérer l'innovation, soutenir les investissements et adapter les infrastructures.

Nous vous remercions de votre attention.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Merci pour la présentation de ce rapport sur lequel j'ouvre à présent le débat.

M. Philippe Bolo, député. - Vos recommandations limiteront le CO2 émis par les appareils en vol, mais nécessiteront de construire des infrastructures nouvelles et des avions nouveaux qui généreront des émissions de CO2 nouvelles. La balance globale est-elle positive ?

M. Pierre Médevielle, sénateur, rapporteur. - L'hybridation et l'électrification permettront de développer les transports régionaux avec un bilan positif.

Pour les gros porteurs, un important travail a été conduit pour incorporer les carburants durables. Les SAF coûtent toutefois plus cher que le kérosène. Cette hausse des coûts se répercutera sur le prix des billets.

In fine, les émissions par avion se réduisent mais, compte tenu de l'augmentation du trafic aérien, le bilan global ne pourra pas être positif.

M. Jean-François Portarrieu, député, rapporteur. - La décarbonation de l'aéronautique ne passe pas uniquement par l'avion en vol. Nous nous sommes intéressés aux efforts déployés par le groupe ADP pour décarboner le secteur de l'aéronautique au sol. Nous avons aussi regardé le cycle de vie d'un avion. Airbus s'emploie à verdir sa production. Entre deux programmes de l'A320, les émissions de CO2 ont été réduites de 25 à 30 % sur la totalité du cycle.

À l'échelle mondiale, environ 23 000 avions sont équipés de turboréacteurs, dont 6 500 seulement sont postérieurs à 2017. Les appareils en vol sont donc majoritairement des appareils d'ancienne génération. Les flottes se renouvellent mécaniquement ; les compagnies n'ont pas d'autre choix. Ces changements sont vertueux puisque les avions nouveaux sont beaucoup plus sobres.

M. Daniel Salmon, sénateur. - Nous comprenons bien qu'il n'existe pas de solution miracle. La sagesse doit nous conduire à interroger la croissance du trafic aérien. Après une stabilisation pendant le covid, celui-ci reprend fortement. Les gains réalisés sur les émissions de gaz à effet de serre seront balayés par cette croissance. Selon l'association négaWatt, l'atteinte de la neutralité carbone implique de revenir au trafic aérien des années 1990, ce qui n'est pas la tendance actuelle.

Selon certains, les traînées de condensation multiplient quasiment par trois l'impact du secteur sur le réchauffement climatique. Cette estimation peut être exagérée. Nous avons besoin d'études poussées sur le sujet.

En France, deux millions d'hectares sont déjà consacrés aux biocarburants. À terme, nous devrons choisir entre nous nourrir ou produire davantage de biocarburants pour l'aviation qui, pour une grande part, est une aviation de loisirs. Même si le secteur est nécessaire à l'économie, nous devons nous interroger sur ces faits.

Le tourisme de masse pose de sérieux problèmes. Nombre de villes dans le monde sont saturées. Ce développement ne peut pas perdurer encore plusieurs décennies.

Grâce à la maintenance, la durée de vie des avions est plus longue. L'évolution de l'aviation ne produira donc des effets que dans de nombreuses années. L'unique solution est de limiter la croissance du trafic aérien, voire tendre vers une décroissance du secteur.

M. Pierre Médevielle, sénateur, rapporteur. - L'impact des traînées de condensation sur le changement climatique est difficile à évaluer. Ces traînées ne contiennent pas de CO2, mais des oxydes d'azote et de soufre. Nous avons évoqué le sujet avec Isae-Supaéro et avec le MIT. La portance ou encore l'augmentation de la voilure sont étudiées. Des catalyseurs positionnés à la sortie des réacteurs sont expérimentés. Un système d'open rotor est aussi à l'étude. Quoi qu'il en soit, ce phénomène n'est pas celui qui a le plus d'impact sur le réchauffement climatique.

La croissance du trafic aérien doit être regardée avec humilité. La France est dotée d'un très bon réseau de trains à grande vitesse. Aux États-Unis, l'avion fait partie intégrante des déplacements. La clientèle demandeuse de vols a augmenté en Inde, au Pakistan et dans toute l'Asie du Sud-Est. Cette demande amènera une croissance du trafic aérien. Dès lors que nous aurons du mal à enrayer ce phénomène, nous devons travailler à des solutions de décarbonation.

Selon Total et d'autres producteurs d'énergie, les solutions d'avenir devraient reposer sur la production de carburants à base d'hydrogène et sur la capture de CO2. Nous devons nous tourner vers cette filière.

La production de biocarburants s'accompagne d'un enjeu d'acceptation sociale. Nous avons interrogé les filières qui estiment que la production d'oléo-protéagineux ne couvrira pas les besoins. Nous devons donc nous orienter vers des SAF de synthèse.

Mme Corinne Narassiguin, sénatrice. - Votre recommandation relative à la réorganisation du contrôle du trafic aérien semble rapidement applicable puisqu'elle ne demande pas de grandes transformations technologiques. Savez-vous évaluer son impact sur les émissions de CO2 ? Cette mesure est-elle applicable à l'échelle nationale ou suppose-t-elle une coopération internationale ?

M. Jean-François Portarrieu, député, rapporteur. - La direction générale de l'aviation civile (DGAC) et la Federal Aviation Administration (FAA) américaine considèrent qu'en affinant le calcul des trajectoires, on pourrait réduire les émissions de CO2 d'environ 5 %. Outre le vol en formation, le calcul de l'altitude peut avoir un effet. Cela fait écho à la question des traînées de condensation, qui peuvent très probablement être réduites en modifiant l'altitude de l'avion. D'après les experts, l'intelligence artificielle pourrait permettre des améliorations rapides en la matière. Selon une étude, des variations de quelques dizaines de mètres de l'altitude peuvent influer sur la formation des traînées de condensation, qui sont fonction de l'humidité de l'air et du dégagement thermique de l'avion.

Je crois beaucoup au calcul des trajectoires. Il impliquerait de faire évoluer la conception du contrôle aérien. Une somme de petits efforts peut produire des effets conséquents.

Mme Florence Lassarade, sénatrice, vice-présidente de l'Office. - Vous êtes-vous interrogés sur les alternatives aux avions telles que les dirigeables ? Il existe en Gironde le programme de dirigeable géant « Flying Whales » qui vise le transport de fret dans certaines zones difficiles.

M. Jean-François Portarrieu, député, rapporteur. - Non, nous n'avons pas étudié ce sujet. La portance est certainement la force la moins étudiée, exception faite de réflexions sur l'élargissement des ailes. Le délestage et l'aérodynamique retiennent également peu l'attention des opérateurs. L'essentiel de l'innovation et de la recherche porte sur la propulsion.

M. Pierre Médevielle, sénateur, rapporteur. - Ce n'était pas l'objet du rapport, mais on peut s'interroger sur les émissions du transport maritime... Les dirigeables pourraient être envisagés pour le transport aérien de marchandises.

M. Jean-François Portarrieu, député, rapporteur. - Nous sommes convaincus que nous entrons dans un nouveau paradigme de l'aviation, qui comptera une grande diversité d'aéronefs, une gamme plus étendue d'avions et des modes de propulsion variés. Aujourd'hui, il n'existe pas d'alternative aux turboréacteurs et aux turbopropulseurs. Nous allons certainement vers la sortie d'un aspect très monolithique de l'aviation.

M. Pierre Médevielle, sénateur, rapporteur. - ATR était en difficulté jusqu'à développer des avions à turbopropulseurs consommant 40 % de moins qu'un jet de capacité équivalente. S'ils parviennent à faire voler ces avions avec de l'hydrogène, on pourra envisager un redéveloppement du transport aérien régional avec des appareils beaucoup plus vertueux.

M. Jean-François Portarrieu, député, rapporteur. - J'insiste sur un point : l'hydrogène est trois fois plus léger que le kérosène, mais quatre fois plus volumineux. Un long-courrier à hydrogène ne volera jamais.

M. Gérard Leseul, député, vice-président de l'Office. - Vous proposez l'exonération des exigences du ZAN pour les projets contribuant à la décarbonation. Comment pourrions-nous délimiter ce périmètre ?

Vous envisagez également une fiscalité incitative pour les carburants propres. Que suggérez-vous précisément ?

M. Pierre Médevielle, sénateur, rapporteur. - La plateforme de Toulouse-Blagnac a failli perdre la production de nouvelles chaînes d'Airbus A321 à cause du dispositif ZAN. Des surfaces étaient disponibles à proximité d'anciens bâtiments de production, mais la législation imposait de rendre la même surface dans un périmètre donné, ce qui était impossible. Légitimement, le site de Hambourg s'est proposé pour accueillir la chaîne de production. Nous sommes parvenus à exonérer ce projet des exigences du ZAN, compte tenu de son intérêt local, national et européen. Une problématique similaire se posera pour les projets de construction de plateformes de production d'hydrogène. Au regard de leur intérêt environnemental majeur - ils visent à décarboner l'aviation -, nous proposons de les exonérer du dispositif ZAN.

M. Jean-François Portarrieu, député, rapporteur. - Il nous paraît souhaitable d'encourager les acteurs vertueux qui cherchent à innover pour la décarbonation du secteur, tout comme il nous paraît souhaitable de contraindre ceux qui sont en retard sur ces enjeux.

La société Aura Aéro a été fondée en 2017 ou 2018 par trois anciens salariés d'Airbus, qui ont choisi de créer leur start-up faute de pouvoir convaincre leur direction de l'époque. La société compte déjà 350 salariés. Elle a mis au point un avion de voltige et de formation des pilotes 100 % électrique et travaille désormais sur un avion de transport régional de 19 places. Ces appareils devraient être certifiés dans les prochains jours et mis en production en 2025 ou 2026. Aura Aéro enregistre 800 millions d'euros de précommandes pour cet avion. Elle a toutefois besoin de 40 000 mètres carrés pour installer son usine, ce qui n'est pas possible avec la loi ZAN. Une solution pourrait néanmoins être trouvée dans une zone d'activité de Toulouse Métropole qui n'est pas concernée par cette réglementation. Nous voyons tout de même les difficultés que la législation peut poser.

Le secteur aéronautique contribue pour environ 30 milliards d'euros à notre balance commerciale extérieure. Il nous paraît donc opportun d'être un peu discriminant et d'encourager les opérateurs vertueux tout en contraignant ceux qui ne font pas d'effort.

Mme Martine Berthet, sénatrice. - Nous voyons bien le paradoxe entre l'augmentation du prix des billets du fait de l'incorporation des SAF et l'augmentation du nombre de billets vendus.

Grâce à l'électrification et à l'hydrogène, des mesures semblent envisageables rapidement pour l'aviation régionale. À quel horizon ces transformations pourraient-elles avoir lieu ?

M. Pierre Médevielle, sénateur, rapporteur. - L'électrification de l'aviation régionale est pour demain. Outre Aura Aéro, plusieurs start-up françaises, mais aussi allemandes, sont positionnées sur le sujet. Safran, Airbus ou Thalès suivent de près le développement de ces sociétés, autrefois marginalisées.

L'enjeu est aujourd'hui de produire des e-carburants moins coûteux. Les SAF les mieux-disants se vendent deux à trois fois plus cher que le kérosène. Je pense toutefois que les développements en la matière seront rapides.

Je crois à ces carburants de synthèse. L'enjeu est de produire suffisamment d'électricité verte pour l'hydrolyse et la captation du carbone.

M. Jean-François Portarrieu, député, rapporteur. - La quantité d'électricité décarbonée produite est un enjeu crucial. L'Académie de l'air et de l'espace anticipe que le besoin à horizon 2050 sera colossal et nécessitera un investissement d'environ 40 milliards d'euros par an. Le transport aérien représente 10 à 11 % de ces besoins en électricité, essentiellement pour les moyen- et long-courriers.

Selon moi, l'innovation viendra des petits avions. De petits avions électriques volent déjà. L'aviation régionale me semble promise à un bel avenir grâce à des appareils qui, rapidement, seront moins émetteurs de CO2. Comme pour les vaccins covid, l'innovation ne vient pas des grands acteurs, mais des start-up. L'aéronautique de demain est certainement en train de naître dans les laboratoires et les petites sociétés en France, en Allemagne, aux États-Unis et en Chine.

À compter de 2025, la flotte mondiale renouvellera 2 500 avions par an, dont 400 à 500 seront produits par Comac, l'équivalent chinois d'Airbus. Jusqu'à présent, ses appareils ne sont pas certifiés en dehors de l'Asie du Sud-Est. La situation ne devrait toutefois pas durer. Face à cette menace, il nous paraît indispensable d'encourager les efforts de recherche et d'innovation pour que de petits avions électriques ou hybrides, bien plus vertueux, puissent voler.

À Toulouse, la société Ascendance Flight Technologies a conçu un petit aéronef pouvant transporter jusqu'à six passagers sur 300 à 400 kilomètres. Il n'a besoin que de quatre mètres carrés pour décoller et atterrir à la verticale. Les responsables d'Airbus sont intéressés par ces technologies, mais aussi inquiets face à cette nouvelle concurrence.

Le secteur vit des bouleversements considérables.

M. Pierre Médevielle, sénateur, rapporteur. - Airbus, comme Boeing, est enfermé dans son modèle de carlingue. Imaginez le poids de la batterie d'un gros porteur électrique : l'avion aurait quasiment le même poids au décollage et à l'atterrissage, ce qui suppose de revoir l'ensemble de la structure, sa résistance et de certifier cet appareil nouveau.

Airbus avait créé un concept d'avion ZEROe dans lequel l'hydrogène était réparti dans l'ensemble de la carlingue. Leur approche a depuis évolué. Ils ont récemment présenté un modèle avec deux propulseurs à hélice. Je pense qu'Airbus parviendra à développer un moyen porteur à hydrogène.

M. Jean-François Portarrieu, député, rapporteur. - La priorité d'Airbus est de produire chaque année 800 à 1 000 avions de la gamme A320 pour répondre aux commandes. Il s'agit d'une priorité industrielle de court terme tout à fait légitime.

Nous devons encourager et accompagner les entreprises innovantes. Les acteurs du secteur considèrent que la puissance publique est au rendez-vous, mais les financements privés n'arrivent pas, car les risques sont encore importants. La famille Dassault est actionnaire d'Ascendance Flight Technologies. Pour autant, il n'existe pas de fonds souverain privé.

Nous retrouverons en 2024 le volume de voyageurs de 2019, soit 4,5 milliards de passagers. Selon les projections, le secteur atteindra 10 milliards de passagers en 2050. Les flux devraient rester stables en Europe et croître de 2 à 2,5 % par an en Amérique du Sud et de 3,5 à 4 % dans le Sud-Est asiatique.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Le transport aérien représente moins de 2 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales. L'ampleur du phénomène doit donc être relativisée. Depuis 1973, le trafic a augmenté de 1 236 % tandis que les émissions ont augmenté de 176 %. Des efforts importants ont donc été réalisés. La technologie, la recherche et le développement permettent des progrès notables.

Vous soulevez le sujet des liens entre le monde industriel et le monde de la recherche. Cette piste me paraît intéressante pour faire évoluer l'enseignement supérieur en France.

J'aurai l'occasion, avec Philippe Bolo, d'échanger prochainement avec le ministre compétent sur le dispositif ZAN. Je crains toutefois que la liste des exemptions finisse par être plus longue que la liste des interdictions, car le développement économique s'accompagne d'une consommation foncière.

Comment concevez-vous le vol en formation ?

M. Jean-François Portarrieu, député, rapporteur. - Le vol en formation est facile à modéliser, mais complexe à mettre en oeuvre. L'objectif est de mettre en formation plusieurs avions de provenances différentes mais ayant la même destination. Peu des personnes que nous avons rencontrées s'aventurent sur le sujet. Il semble que l'intelligence artificielle pourrait permettre des avancées rapides. L'un des freins réside dans la réglementation qui, en l'état, interdit la constitution de vols en formation. En la matière, je pense que nous avons tout intérêt à nous inspirer de la nature.

M. Pierre Médevielle, sénateur, rapporteur. - Le vol en formation peut être envisagée avec trois avions se suivant pour bénéficier des effets de l'aérodynamisme. Ce mécanisme est utilisé dans les courses cyclistes ou automobiles. Des enjeux législatifs et sécuritaires se posent néanmoins. En outre, le vol en formation suppose de revoir le contrôle aérien.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Votre rapport nous apprend que 80 % des trajets de plus de 900 kilomètres sont réalisés en avion. J'ai effectué un déplacement en Norvège en 2018. Compte tenu de la topographie du pays, le réseau ferré est quasiment inexistant. Les trajets intérieurs s'effectuent donc en avions électriques, sur de petites distances. Avec une capacité pouvant atteindre 2 000 kilomètres, les avions électriques pourraient couvrir tous les déplacements sur le territoire français.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Je rappelle que ce rapport fait suite à une saisine des commissions des affaires économiques et du développement durable de l'Assemblée nationale. Il est d'usage d'en effectuer une présentation devant lesdites commissions. Je vous laisse définir les modalités de cette intervention.

L'Office adopte le rapport sur « La décarbonation du secteur de l'aéronautique » et autorise sa publication.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURS

Déplacement à Toulouse

Lundi 20 mars 2023

Toulouse métropole

· Mme Agnès Plagneux-Bertrand, vice-présidente chargée de l'industrie et de l'économie productive

Mardi 21 mars 2023

14 heures : Institut supérieur de l'aéronautique et de l'espace (ISAE-SupAero)

· M. Olivier Lesbre, directeur général

· M. Didier Delorme, directeur du développement et de l'innovation

· M. Laurent Joly, directeur adjoint de la recherche et des ressources pédagogiques

· M. Scott Delbecq, professeur associé en conception de systèmes aéronautiques

· M. Thomas Planès, professeur associé en aviation durable et conception d'aéronefs

· M. Jean-Marc Moschetta, professeur d'aérodynamique

· Mme Alexandra Prax-Huart, responsable des relations institutionnelles

· Mme Magali Brunel, cheffe de cabinet

Lundi 15 mai 2023

16 heures : Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS)

· M. Marc Ivaldi, directeur d'études

17 heures : Direction générale de l'aviation civile (DGAC)

· M. Pierre Moschetti, sous-directeur de la construction aéronautique

· Mme Carine Donzel, adjointe au sous-directeur de la construction aéronautique

· Mme Nora Susbielle, cheffe du bureau climat, qualité de l'air et sujets émergents.

16 heures : Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA)

· M. Philippe Beaumier, directeur de l'aéronautique civile

Lundi 17 juillet 2023

17 heures : SAFRAN

· M. Eric Dalbiès, directeur de la stratégie, de la R&T et de l'innovation

· M. Fabien Menant, directeur des affaires publiques

· Mme Eve Roehrig, directrice adjointe des affaires publiques

Lundi 17 juillet 2023

16 heures : Groupe AVRIL

· M. Stéphane Yrles, secrétaire général

· Mme Kristell Guizouarn, directrice des affaires réglementaires

· Mme Isabelle Weber, directrice des affaires réglementaires de Saipol (filiale du Groupe Avril).

Déplacement à Toulouse

Lundi 10 juillet 2023

9 heures : ATR Aircraft

· M. Daniel Cuchet, directeur technique

· M. Rahul Domergue, secrétaire général et directeur juridique

· M. Nicolas Granier, directeur affaires publiques et environnement

· Mme Sylvie Lefebvre, relations institutionnelles

12 heures :

· M. Robert Lafontan, expert du secteur aéronautique, ancien vice-président d'Airbus

16 heures 45 : Ascendance Flight Technologies

· M. Jean Christophe Lambert, PDG

Mardi 11 juillet 2023

10 heures : Airbus

· M. Olivier Criou, vice-président architecte principal de la R&D aviation commerciale

· M. Jérôme Mazet, responsable de l'APiiC - Centre d'intégration et d'innovation en propulsion d'Airbus

· M. Xavier Ta, responsable de la stratégie des produits et services pour le secteur des nacelles

· M. Florent Querol, directeur des relations institutionnelles

· M. Olivier Masseret, directeur des affaires institutionnelles

· M. Julien Feugier, directeur des affaires institutionnelles Europe

· Mme Anne-Sophie de La Bigne, directrice des affaires civiles

15 heures : Aura aero

· M. Wilfried Dufaud, directeur général et directeur des produits

· M. Jacques Rocca, conseiller communication

Lundi 12 septembre 2023

10 heures : Aéroports de Paris (ADP)

· M. Paul Beyou, responsable des affaires publiques nationales

· M. Mathieu Cuip, directeur des affaires publiques

Visite de l'aéroport Paris Charles de Gaulle

Lundi 12 septembre 2023

Lundi 11 décembre 2023

16 heures : Thales

· Mme Yannick Assouad, directrice générale adjointe chargée des activités avioniques et membre du comité exécutif, présidente du comité de pilotage du Conseil pour la recherche aéronautique civile

17 heures : Académie des technologies

· M. Daniel Iracane, membre

· M. Patrick Ledermann, membre

18 heures : TotalEnergies

· Mme Valérie Goff, directrice carburants et produits chimiques renouvelables

· M. Bernard Hoffait, directeur Advocacy SAF

Jeudi 14 décembre 2023

9 heures : CNRS

· M. Oliver Boucher, directeur de recherche au CNRS, Institut Pierre-Simon Laplace (IPSL), Université Pierre-et-Marie-Curie (UPMC)

10 heures : IFP-EN

· Mme Florence Delprat-Jannaud, directrice du centre de résultats produits énergétiques, IFP-EN

Lundi 18 décembre 2023

16 heures : Air France

· M. Vincent Etchebehere, directeur développement durable et nouvelles mobilités

· M. Antoine Laborde, responsable achats carburants et carburants durables

· M. Aurélien Gomez, directeur affaires parlementaires et territoriales

· M. Pierre Albano, directeur projets transverses, affaires publiques

17 heures : Air Liquide

· M. Pierre Hamelin, vice-président partnerships operations H2E WBL

· M. Antoine Latif, responsable affaires publiques

18 heures : Universal Hydrogen

· M. Pierre Farjounel, directeur général Europe

Vendredi 26 janvier 2024

10 heures : Beyond Aero

· Mme Eloa Guillotin, cofondatrice et PDG

Lundi 26 février 2024

17 heures : Réseau Action Climat (RAC)

· M. Pierre Leflaive, responsable transports

18 heures : Blue Spirit Aero

· M. Olivier Savin, fondateur et PDG

Déplacement aux États-Unis

Lundi 11 mars 2024

8h45 : Consulat général de France à Boston

· M. Mustafa Soykurt, consul général

· Mme Juliet Iredale, attachée de presse

10 heures : American Ag Energy

· M. Richard Rosen, CEO

· Mme Marguerite Piret, CFO

· Mme Jillian Shimansky, Chemical Engineer

· Mme Amy Nichols, Biomedical Engineer

· M. Adam Strohm, Chemical Engineer/Project Manager

· M. Daniel Hasegawa, Mechanical Engineer

· Mme Sophie Chase, Chemical Engineer

· Mme Allison Choi, Chemical Engineer

· Mme Emma Driscoll, Chemical Engineer

· M. Lou Dellanno, Operations Manager

· M. Zachary Scott, Founder & CEO of GreenCarbon

12 heures : Massachusetts Institute of Technology

· M. Steven Barrett, chef de département, MIT AeroAstro

· M. Raymond Speth, directeur associé, MIT Laboratory for Aviation and the Environnement (LAE)

· M. Florian Allroggen, directeur exécutif, Zero Impact Aviation Alliance

· M. Niamh Keogh, associé postdoctoral, MIT LAE

· M. Louis Robion, étudiant en doctorat, MIT LAE

· M. Prashanth Prakash, chercheur, MIT LAE

· M. John Hansman, professeur d'aéronautique et d'astronautique

Mardi 12 mars 2024

10h : Pratt & Whitney Engine Center

· M. Joshua Frederickson, directeur aviation durable

· M. Michael G. Foley, développement commercial et partenariats, bureau de la Durabilité

Chambre des représentants

· Rep. Garret Graves (R-Louisiana), président de la sous-commission à l'aviation

Mercredi 13 mars 2024

9h30 : Airlines for America

· Mme Rachel Roberts, directrice des affaires internationales

· M. Kevin Welsh, vice-président des affaires environnementales et directeur de la durabilité

11h00 : Chambre des représentants

· M. Steve Cohen (D-Tennessee), membre principal du sous-comité de l'aviation

15h00 : Mission militaire et de défense

· Colonel Pierre Bouvier, Attaché de coopération de défense

16h00 : Ambassade de France à Washington

· Mme Aurélie Bonal, Ministre conseillère

Jeudi 14 mars 2024

10h00 : Federal Aviation Administration (FAA)

· Mme Anna Oldani, directeur exécutif

· M. Arthur Orton, directeur de la division Technologie et Opérations

· Mme Julie Marks, ingénieur général

14h00 : Aerospace Industries Association (AIA)

· Mme Dorothy Reimold, vice-présidente aviation civile

· M. David C. Hide, directeur principal de la durabilité

Lundi 18 mars 2024

18 heures : Groupe QAIR

· M. Alexandre Mombazet, en charge du développement des marchés structurés

· M. Vincent Rigoli, responsable de la cellule « Législation et règlementation »

· M. Christophe Ginestet, chef du projet industriel « HYLANN »

· M. Romain Prax, chargé de relations territoriales

18h45 : Transport & Environnement

· M. Jérôme du Boucher, responsable aviation France

Lundi 8 avril 2024

18 heures : Aerospace Valley

· M. Alexandre Mombazet, chargé du développement des marchés structurés

ANNEXE
COMPTE RENDU DE LA MISSION DE M. JEAN-FRANÇOIS PORTARRIEU, DÉPUTÉ, ET M. PIERRE MÉDEVIELLE, SÉNATEUR, AUX ÉTATS-UNIS (11 - 14 MARS 2024)

Texte relu par le Service économique régional

Dans une démarche de comparaison internationale, les parlementaires ont souhaité se rendre aux États-Unis pour prendre connaissance des orientations technologiques, économiques et politiques mises en oeuvre. Ce déplacement a été préparé et accompagné par le Service économique régional de l'Ambassade de France à Washington et, à Boston, le Service pour la science et la technologie du Consulat général.

Cette mission aux États-Unis a commencé le 11 mars à Boston, à la Résidence de France, par un entretien avec M. le Consul général Mustafa Soykurt qui a présenté les fortes synergies existantes, dans divers secteurs, entre les institutions universitaires et de recherche, les administrations locale ou fédérale, les entreprises ainsi que les investisseurs, par exemple au travers d'incubateurs permettant de faire émerger des start-up ou de soutiens directs au financement des recherches par le secteur privé, contre un droit de regard sur les résultats obtenus.

Par la suite, un échange avec les dirigeants de la start-up American Ag Energy et leurs équipes a permis de mesurer la priorité donnée aux États-Unis à la viabilité économique des projets, indépendamment de leur caractère innovant. La délégation a bénéficié d'une présentation des technologies développées par la société, associant agriculture en environnement contrôlé, conversion de la biomasse en énergie et séquestration du carbone, suivie de la visite d'un démonstrateur, installé dans une banlieue défavorisée de Boston (Chelsea).

L'après-midi de cette première journée était consacrée à un séminaire sur la décarbonation de l'aviation spécialement organisé à l'attention des rapporteurs par le département d'aéronautique et d'astronautique (AEROASTRO) du Massachusetts Institute of Technology (MIT). Les six présentations, riches d'enseignements, portaient notamment sur les impacts environnementaux de l'aviation et leur minimisation, les carburants décarbonés, l'atténuation des effets non-CO2, ou encore la minimisation de l'impact sonore. Ce séminaire a été suivi par une visite des laboratoires du département.

La journée suivante a commencé par une visite de l'usine Pratt & Whitney Engine Center, à Middletown, dans le Connecticut. Après une présentation des grandes orientations du constructeur pour décarboner l'aviation (maintien de l'avance technologique des réacteurs civils, développement de la propulsion hybride, compatibilité à 100 % avec les carburants durables, optimisation des processus de fabrication, etc.), les rapporteurs ont pu visiter une chaîne de montage des turboréacteurs PW1000G, équipant notamment les A320neo, ainsi que les installations permettant de les tester avant livraison.

La délégation a ensuite pris un vol régional pour Washington D.C dans un aéroport local, dont la forte activité (plus de 3 millions de passagers par an) a permis aux rapporteurs de constater l'importance de ce mode de transport aux États-Unis.

À Washington, la délégation a par la suite eu l'opportunité de rencontrer à la fois le président de la sous-commission à l'aviation, M. Garret Graves, représentant républicain de la Louisiane, et son homologue (ranking member) de l'opposition, M. Steve Cohen, représentant démocrate du Tennessee. Si les deux parlementaires américains partagent l'objectif de décarbonation de l'aviation, leur approche apparaît sensiblement différente, le premier souhaitant que le secteur privé soit le principal acteur de cette évolution, pour promouvoir des options économiquement soutenables, le second étant plus ouvert à une approche réglementaire, similaire à celle existant au sein de l'Union européenne.

Le lendemain, la délégation a rencontré deux responsables d'Airlines for America (A4A), association représentant, au niveau fédéral et régional, 10 grandes compagnies américaines de transport de passagers et de fret. Après avoir rappelé le caractère incontournable du transport aérien aux États-Unis, ils ont notamment souligné le rôle central des carburants durables (SAF), dont le développement implique une intervention forte des gouvernements dans les prochaines décennies, en particulier pour rapprocher leur prix de celui du kérosène, ainsi que le besoin d'accélérer le renouvellement des flottes.

L'après-midi, la délégation s'est rendue à l'Ambassade de France à Washington, pour rencontrer Mme Aurélie Bonal, Ministre conseillère et adjointe de l'Ambassadeur, ainsi que le Colonel Pierre Bouvier, attaché de coopération de défense. Ce dernier a pointé les liens forts existant entre les secteurs militaire et civil américains dans le développement des nouvelles technologies, par exemple l'hybridation, le maintien de la supériorité technologique représentant pour les Américains un objectif de sécurité nationale.

La dernière journée de la mission a commencé par une réunion au siège de la Federal Aviation Administration (FAA), au cours de laquelle la délégation a pu prendre connaissance des différentes initiatives engagées par cette agence gouvernementale pour décarboner l'aviation, conformément au U.S. Aviation Climate Action Plan, en cours de mise à jour, portant sur plusieurs axes : évolution technologique, carburants durables, optimisation opérationnelle, etc. L'objectif de ce plan sur 3 ans est l'atteinte de zéro émissions nettes de gaz à effet de serre en 2050164(*).

La mission s'est conclue par un entretien avec les représentants de l'Aerospace Industries Association (AIA), équivalent américain du GIFAS. L'AIA a confirmé le rôle essentiel du transport aérien, placé sous la responsabilité de l'autorité fédérale. La priorité est actuellement mise par ce dernier sur le développement des SAF, les technologies électrique et hydrogène intervenant dans un second temps. Les adhérents de l'AIA se concentrent sur les nouvelles technologies. Une nouvelle génération d'avions permettra de profiter à plein des innovations technologiques et du développement des SAF. L'AIA s'efforce pour sa part de prendre en compte l'ensemble des acteurs pour les faire avancer de concert, sans pour autant pousser une feuille de route spécifique pour l'ensemble du secteur.

Cette mission parlementaire visant à évaluer les stratégies de décarbonation de l'aviation a mis en lumière à la fois une convergence entre l'Europe et les États-Unis sur l'objectif de réduction des émissions du secteur aérien à l'horizon 2050 et une divergence d'approche, liée à la fois au caractère incontournable du transport aérien sur le continent américain et à la priorité donnée à la viabilité économique à long terme des initiatives prises par les secteurs public et privé.

Largement partagée, cette vision permet de faire converger les efforts des administrations, les universités, les instituts de recherche, les grandes entreprises, les start-up et les investisseurs privés qui travaillent souvent en étroite coopération. L'action des différents acteurs apparait toutefois moins coordonnée qu'elle ne peut l'être en France (action du CORAC, adoption d'une feuille de route de décarbonation de l'aérien en avril 2023).

En termes de stratégie technologique, si une convergence autour du recours aux SAF ressort des entretiens, une divergence est toutefois à noter sur la place de l'hydrogène. Face notamment aux nombreuses contraintes d'utilisation de cette énergie dans le secteur aéronautique, cette solution est en effet envisagée, au mieux, pour 2050 aux Etats-Unis quand la feuille de route française envisage l'hydrogène comme un levier possible de décarbonation.


* 1 Assemblée nationale n° 2703 (16ème législature) - Sénat n° 650 (2023-2024).

* 2 La vitesse des avions de ligne a peu évolué depuis la décennie 1950. Actuellement elle se situe aux alentours de 900 km/h.

* 3 675 000 avions ont été construits dans le monde au cours des cinq années du conflit (Universalis, Edmond PETIT, Pierre SPARACO, « AVIATION - Histoire de l'aviation », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 14 septembre 2023.

* 4 La mobilité locale et longue distance des Français - Enquête nationale sur la mobilité des personnes en 2019, Service des données et études statistiques (SDES), avril 2023.

* 5 Yearbook 2021, European Business Aviation Association (EBAA).

* 6 Pouvoir voler en 2050  : quelle aviation dans un monde contraint ?, The Shift Project, 3 mars 2021

* 7 Elite Status : Global inequalities in flying, Possible, mars 2021

* 8 Elaboration de scénarios de transition écologique du secteur aérien, ADEME, septembre 2022.

* 9 S. Gössling et A. Humpe, « The global scale, distribution and growth of aviation : Implications for climate change », Global Environmental Change, novembre 2020

* 10 L'IATA, en anglais International Air Transport Association, est l'organisation professionnelle mondiale des compagnies aériennes.

* 11 L'ATAG, en anglais Air Transport Action Group, est un groupe d'experts de l'industrie aéronautique, qui réfléchissent aux problèmes de développement durable dans ce secteur.

* 12 Rapport d'information n° 519, déposé le 7 juillet 2009, Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l'avenir, S. Larcher et E. Doligé

* 13 Élaboration de scénarios de transition écologique du secteur aérien, ADEME, septembre 2022

* 14 Les chiffres clés de l'industrie manufacturière en bref, BPI France, 22 novembre 2018

* 15 Plan de soutien à l'aéronautique, 9 juin 2020

* 16 Rapport d'activité 2023-2024, Fédération nationale de l'aviation et des métiers (FNAM)

* 17 Les-aeroports-au-coeur-de-la-competitivite-des-territoires, ESSEC - Union Nationale des Services Publics Industriels et Commerciaux (UNSPIC), janvier 2023

* 18 Economic Performance of the Airline Industry, IATA, 4 octobre 2021.

* 19 « Avant le covid-19 le transport aérien en europe : un secteur déjà fragilisé », Roland Berger, décembre 2020

* 20 « Le trafic de passagers demeure fort en janvier », IATA, 8 mars 2023

* 21 Définition issue du glossaire de l'AR5 du GIEC.

* 22 Rapport Secten, Gaz à effet de serre et polluants atmosphériques. Bilan des émissions en France de 1990 à 2022, Citepa, 2023.

* 23 Émissions de gaz à effet de serre en France : nouvelle estimation l'année 2023 avec les données SECTEN, CITEPA, 23 mai 2024.

* 24 Gregg G. Fleming et Ivan de Lépinay, Environmental Trends in Aviation to 2050, OACI, 2019.

* 25 Updated analysis of the non-CO2 climate impacts of aviation and potential policy measures pursuant to the EU Emissions Trading System Directive Article 30. Publications Office, EASA et EEA, 2020.

* 26 Oil Market Report, Agence internationale de l'énergie, avril 2024.

* 27 ONG Transport & Environnement

* 28 S. Gössling et A. Humpe, « The global scale, distribution and growth of aviation : Implications for climate change », Global Environmental Change, novembre 2020

* 29 D.S. Lee, et al., « The contribution of global aviation to anthropogenic climate forcing for 2000 to 2018 », Atmospheric Environment, Volume 24

* 30 Notation normalisée par l'Organisation de l'aviation civile internationale.

* 31 Objectif C1 - Protection de l'environnement - Objectifs ambitieux mondiaux (icao.int)

* 32 Aviation : Benefits Beyond Borders, Air Transport Action Group, septembre 2020

* 33 Waypoint 2050, Air Transport Action Group, septembre 2021

* 34 Rapport sur la faisabilité d'un objectif ambitieux à long terme (LTAG) concernant la réduction des émissions de CO2 de l'aviation civile internationale, OACI, mars 2022

* 35 À savoir l'Union européenne, le Royaume-Uni et l'Association européenne de libre-échange.

* 36 Feuille de route de décarbonation de l'aérien - Article 301 Loi climat et résilience, FNAM, France Hydrogène, GIFAS, UAF, UFE, UfipEM, mars 2023.

* 37 A. Bejan et al., The evolution of airplanes, Journal of Applied Physics, 116, 2014.

* 38 Benoit Montagne, Effet de l'interaction fixation composite sur les modes de rupture des assemblages boulonnées composites, 22 juin 2020

* 39 Timmis A.J., et al. Environmental impact assessment of aviation emission reduction through the implementation of composite materials, International Journal of Life Cycle Assessment, Vol. 20, 27 novembre 2014.

* 40 Breaking Boundaries in Air Travel : Expliseat's TiSeat - A Revolution in Efficiency, Comfort, and Sustainability for Airlines, L. Hartmann, 8 février 2024.

* 41 S. Singamneni et al., Additive Manufacturing for the Aircraft Industry : A Review, Journal of Aeronautics & Aerospace Engineering, 2019.

* 42 S.M. Wagner et al., Additive manufacturing's impact and future in the aviation industry, Production Planning & Control - The Management of Operations, Volume 27, 2016.

* 43 Wireless Avionics Intra-Communications (WAIC) Agenda Item 1.17 Update and Status on implementing of a regulatory framework for WAIC, ICAO Regional WRC-15 Preparatory Workshop, mars 2014.

* 44 Yedavalli, R.K. and al., Application of wireless sensor networks to aircraft control and health management systems, Journal of Control Theory and Applications. 9. 2011.

* 45 Ibidem 1.

* 46 Airbus teste la première voilure laminaire d'un avion commercial, Les Echos, 1er octobre 2017

* 47 Référentiel Supaéro

* 48 F.G Noppel, Contrail and Cirrus Cloud Avoidance Technology, octobre 2017

* 49 Iwanizki M. et al., Conceptual design studies of unconventional configurations, 3AF Aerospace Europe Conference 2020, février 2020, Bordeaux.

* 50 R. H. Liebeck, Design of the blended wing body subsonic transport, Journal of Aircraft, 41(1), 2004.

* 51 A. Abbas, J. de Vicente, and E. Valero., Aerodynamic technologies to improve aircraft performance, Aerospace Science and Technology, 28(1):100- 132, 2013.

* 52 N. G.M Moirou et al., Advancements and prospects of boundary layer ingestion propulsion concepts, Progress in Aerospace Sciences, Volume 138, 2023

* 53 Moteurs de type turbogénérateur alimentés en kérosène et utilisés pour plusieurs fonctions auxiliaires (tension électrique à bord, pressions pneumatiques et hydrauliques, climatisation) quand les moteurs sont à l'arrêt, et aussi pour le démarrage des moteurs.

* 54 M. K. Sinnett, 787 No-Bleed Systems : Saving Fuel and Enhancing Operational Efficiencies, Aero Quarterly Qtr_04 | 07.

* 55 Ibidem.

* 56 A. A. AbdElhafez et A. J. Forsyth, A Review of More-Electric Aircraft, 13th International Conference on Aerospace Sciences & Aviation Technology, 26-28 mai 2009

* 57 Le taux de dilution est le rapport entre le flux secondaire (qui ne passe pas par le compresseur) et le flux primaire.

* 58 Prof. Z. S. Spakovszky, Unified : Thermodynamics and Propulsion, Massachusetts Institute of Technology

* 59 Barbosa, F., Ultra High Bypass Ratio Engine Technology Review - The Efficiency Frontier for the TurbofanPropulsion, SAE Technical Paper 2021-36-0032, 2022.

* 60 « Pouvoir voler en 2050 », The Shift Project et Supaero Decarbo.

* 61 Plus on s'éloigne du centre de rotation, plus la vitesse linéaire augmente.

* 62 Référentiel Supaéro

* 63 Rolls-Royce announces successful run of UltraFan technology demonstrator to maximum power, Rolls-Royce, 13 novembre 2023.

* 64 D. Gieseckeet Al., Evaluation of ultra-high bypass ratio engines for an over-wing aircraft configuration, GPPS, octobre 2018

* 65 Rapport annuel 2014, ONERA, mars 2015

* 66 CFM RISE PROGRAM Revolutionary Innovation for Sustainable Engines, CFM, 2021.

* 67 AMPERE, le pari de la propulsion électrique distribuée, ONERA, avril 2017.

* 68 V. Lvovich and J. Lawson, Integrated Computational-Experimental Development of Lithium-Air Batteries for Electric Aircraft, NASA, 2019.

* 69 S. West et C. Curry, Decarbonizing Aviation, Bloomberg NEF, 16 juin 2022.

* 70 Feuille de route de décarbonation de l'aérien, FNAM, France Hydrogène, GIFAS, UAF, UFE, UfipEM, mars 2023

* 71 EASA certifies electric aircraft, first type certification for fully electric plane world-wide, EASA, 10 juin 2020.

* 72 Wolleswinkel R. E. et al., A New Perspective on Battery-Electric Aviation, Part I : Reassessment of Achievable Range, AIAA 2024-1489. AIAA SCITECH 2024 Forum, janvier 2024.

* 73 de Vries R. et al., A New Perspective on Battery-Electric Aviation, Part II : Conceptual Design of a 90-Seater, AIAA 2024-1490. AIAA SCITECH 2024 Forum. January 2024.

* 74 Bright Appiah Adu-Gyamf et al., Electric aviation : A review of concepts and enabling technologies,

Transportation Engineering, Volume 9, 2022.

* 75 World eVTOL Aircraft Directory, Electric VTOL News.

* 76 Rapport ADEME, Élaboration de scénarios de transition écologique du secteur aérien, septembre 2022.

* 77 Hagag N. et Al., The feasibility of electric air taxis : balancing time savings and CO2 emissions - A joint case study of respective plans in Paris, 11 septembre 2023.

* 78 Rendón, M.A et al., Aircraft Hybrid-Electric Propulsion : Development Trends Challenges and Opportunities. J Control Autom Electr Syst 32, 1244-1268, (2021.

* 79 A. Westenberger, H2 Technology for Commercial Aircraft, OTAN - Organisation pour la recherche et la technologie (RTO).

* 80 Boeing fuel cell plane in manned aviation first, Fuel Cells Bulletin, Volume 2008, Issue 4, 2008.

* 81 Li, X., Ma, X., Zhang, J. et al. Review of Hydrogen Embrittlement in Metals : Hydrogen Diffusion, Hydrogen Characterization, Hydrogen Embrittlement Mechanism and Prevention. Acta Metall. Sin. (Engl. Lett.) 33, 759-773 (2020).

* 82 U. Cardella, L. Decker, J. Sundberg, H. Klein, Process optimization for large-scale hydrogen liquefaction,

International Journal of Hydrogen Energy, Volume 42, Issue 17, 2017.

* 83 Hydrogen-powered aviation, CSJU, mai 2020.

* 84 Kérosène versus hydrogène ? - de l'art délicat de qualifier l'hydrogène sur les aéronefs de demain, Société savante de l'aéronautique et de l'espace, 15 octobre 2021.

* 85 Kérosène versus hydrogène ? - de l'art délicat de qualifier l'hydrogène sur les aéronefs de demain, Société savante de l'aéronautique et de l'espace, 15 octobre 2021.

* 86 Michael Ponater, et al., Potential of the cryoplane technology to reduce aircraft climate impact : A state-of-the-art assessment, Atmospheric Environment, 40(36) :6928-6944, 2006.

* 87 Integrating hydrogen propulsion into aircraft, Aeroreport, Denis Dilba, janvier 2021

* 88 Rapport Commission Affaires Européennes 2022 p.27

* 89 Ibidem.

* 90 Decision n° 2003/14/RM of the executive director of the agency, EASA, 14 novembre 2003.

* 91 Premier Airbus A380 produit.

* 92 Arianegroup sélectionné par Airbus pour soutenir son programme de démonstration d'avion zéro émission, Arianegroup, juin 2022

* 93 Destination 2050 - A route to net zero European aviation, Airlines for Europe (A4E), Airports Council International (ACI) Europe, Aerospace & Defence Industries Association of Europe (ASD), Civil Air Navigation Services Organisation (CANSO) Europe, European Regions Airline Association (ERA), février 2021.

* 94 Rapport environnement de l'aviation européenne, EASA, 2022

* 95 L. Tabernier, R. Deransy, D. Rutherford, Economic Fuel Tankering : A Threat to Aviation Decarbonisation, OACI, 2022

* 96 Volume d'espace aérien dans lequel les pilotes peuvent librement planifier une route entre un point d'entrée et un point de sortie définis, sous réserve de la disponibilité de l'espace aérien.

* 97 EUROCONTROL Think Paper #1 - Fuel tankering in European skies : economic benefits and environmental impact | EUROCONTROL

* 98 Quelle aviation dans un monde contraint ? The Shift Project, 3 mars 2021, p. 58

* 99 Electric Green Taxiing System (EGTS) for Aircraft - IEEE Transportation Electrification Community.

* 100 Crise(s), climat : préparer l'avenir de l'aviation, The Shift Project, 27 mai 2020.

* 101 Les intercultures sont des cultures implantées entre deux cultures principales destinées à l'alimentation, qui n'entrent pas en concurrence avec ces dernières et visent à assurer une couverture continue du sol.

* 102 Textes adoptés - Carburants durables pour l'aviation (Initiative «ReFuel EU Aviation») ***I - Jeudi 7 juillet 2022.

* 103 TA (europa.eu).

* 104 Directive (UE) 2018/2001 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables.

* 105 La part de ces biocarburants est limitée à 1,7 % du contenu énergétique du carburant.

* 106 Sustainable aviation fuel : Pathways to fully formulated synthetic jet fuel via Fischer-Tropsch synthesis - Klerk - Energy Science & Engineering - Wiley Online Library.

* 107 Sustainable Aviation Fuel : Technical Certification, IATA.

* 108 Rumizen MA (2021), Qualification of Alternative Jet Fuels, Front. Energy Res. 9 :760713.

* 109 Respectivement avec électrolyse haute température et avec électrolyse basse température.

* 110 Power-to-Liquids : Potentials and Perspectives for the Future Supply of Renewable Aviation Fuel, Umwelt Bundesamt, septembre 2016.

* 111 What are Sustainable Aviation Fuels ?, EASA, 2022.

* 112 Source : Académie des Technologies

* 113 TotalEnergies veut produire davantage de biocarburants pour les avions (bfmtv.com)

* 114 Biocarburants de 2e génération : une première industrielle pour la technologie française Futurol™ , IFPEN.

* 115 Procédé Fischer-Tropsch : (2n+1) H2 + n CO CnH(2n+2) + n H2O.

* 116 En comptant 50 % pour le rendement de conversion de la bioénergie en biocarburant et 60 % de sélectivité dans la coupe kérosène (source : Académie des Technologies).

* 117 En comptant 100 % pour le rendement de conversion de la bioénergie en biocarburant et 60 % de sélectivité dans la coupe kérosène.

* 118 Implantation de l'usine BioTJet à Lacq : BioTfueL® prend son envol | IFPEN.

* 119 Electrolyse de l'eau : 2 H2O liq ? 2 H2 gaz + O2 gaz.

* 120 Selon l'Académie des Technologies, sur 37 TWh d'électricité requis pour produire 1 Mt d'e-carburant, 31 TWh sont consommés par l'électrolyseur.

* 121 Pour produire un kilogramme de H2 par électrolyse, il faut 55 kWh d'électricité, et ce kilogramme de H2 représente 33,3 kWh d'électricité.

* 122 Sociétés Carbon Engineering et ClimeWorks.

* 123 WGSR (Watergas Shift Reaction) : CO2 + H2 ? CO + H2O.

* 124 S. Adelung et al., Impact of the reverse water-gas shift operating conditions on the Power-to-Liquid fuel production cost, Fuel, Volume 317,2022.

* 125 Chiffres clés du climat France, Europe et Monde - Edition 2023, Ministère de la Transition énergétique.

* 126 Les émissions de gaz à effet de serre dépendent du pourcentage de carbone non-biogénique (plastique) dans les déchets. En effet, le plastique contenu dans les décharges municipales séquestre du carbone pendant très longtemps, ce qui augmente la teneur en carbone des déchets municipaux, alors que les résidus biogéniques relâchent le carbone sous forme de méthane ou d'oxydes.

* 127 U. Burkhardt et al., Mitigating the contrail cirrus climate impact by reducing aircraft soot number emissions, npj Climate and Atmospheric Science, 1(1) :37, 2018.

* 128 Source : Académie des technologies.

* 129 « Elyse Energy et Khimod misent sur un carburant d'avion issu du CO2 industriel », Les Echos.

* 130 Société finlandaise qui produit des carburants d'aviation durables par la voie HEFA à partir d'huiles végétales et de déchets.

* 131 One Ambition - 2025 Pioneers - Groupe ADP.

* 132 ECV - Mise en place d'une filière de biocarburants aéronautiques en France, Ministère de la transition écologique et solidaire, 2020.

* 133 Avec pour hypothèses un prélèvement de 50 % des ressources oléochimiques disponibles et un rendement de conversion de bioénergie en carburants d'aviation durables de 30 %.

* 134 En s'appuyant sur le rapport (1), la France possède 67 Mt/an de biomasse sèche. Sachant que la Commission européenne considère une mobilisation de 10 % de la biomasse pour les SAF, cela représente 6,7 Mt/an de SAF. On considère un rendement de conversion de 60 % avec la technologie PBtL (BtL avec ajout d'hydrogène bas carbone).

* 135 Pavlenko N. et Searle S., Assessing the sustainability implications of alternative aviation fuels, ICCT, 4 mars 2021.

* 136 Longuet G., Les modes de production de l'hydrogène - note scientifique n°25, OPECST, avril 2021.

* 137 Global Hydrogen Review 2023, Agence internationale de l'énergie, décembre 2023.

* 138 Longuet G., Les modes de production de l'hydrogène - note scientifique n°25, OPECST, avril 2021.

* 139 Ibid.

* 140 Wang X., Electrolyser Manufacturing 2024 : Too Many Fish in a Tiny Pond, BloombergNEF, mars 2024.

* 141 Ibid.

* 142 Longuet G., Les modes de production de l'hydrogène - note scientifique n°25, OPECST, avril 2021.

* 143 Étude SISYPHE : dynamique de la demande européenne en hydrogène électrolytique bas carbone d'ici 2040, CEA, mars 2024.

* 144 La décarbonation du secteur aérien par la production de carburants durables, Académie des technologies, février 2023.

* 145 Y aura-t-il trop d'électrolyseurs en 2035 en Farnce pour la demande prévisible ?, Académie des technologies, 31 janvier 2024.

* 146 Stratégie nationale pour le développement de l'hydrogène décarboné en France, 8 septembre 2020.

* 147 Ibidem.

* 148 A. Prinzhofer et al., Discovery of a large accumulation of natural hydrogen in Bourakebougou (Mali), International Journal of Hydrogen Energy, Volume 43, Issue 42, 2018.

* 149 Maiga, O. et al., Characterization of the spontaneously recharging natural hydrogen reservoirs of Bourakebougou in Mali, Sci Rep 13, 11876 (2023).

* 150 FDE announces the discovery of natural hydrogen in the Lorraine mining basin, 15 mai 2023.

* 151 K. Bettayeb, Un gisement géant d'hydrogène en Lorraine, CNRS Le journal, 6 juin 2023.

* 152 Dubreuilh P., Développer la filière de l'hydrogène naturel du sous-sol, 27 octobre 2022.

* 153 L'USGS est une agence gouvernementale rattachée au Département de l'Intérieur des États-Unis qui emploie environ 10 000 personnes réparties sur quatre cents sites.

* 154 Ellis G.S. et al., The potential for geologic hydrogen for next-generation energy, 13 avril 2023.

* 155 Global Hydrogen Review 2023, Agence internationale de l'énergie, décembre 2023.

* 156 Zgonnik V., The occurrence and geoscience of natural hydrogen : A comprehensive review, Earth-Science Reviews, Volume 203, 2020.

* 157 L'hydrogène aujourd'hui et demain, Académie des sciences, 9 avril 2024.

* 158 Derwent R.G., Hydrogen for heating : atmospheric impacts. A literature review, BEIS Research Paper Number 2018 : no. 21, novembre 2018.

* 159 Pearce F., Natural Hydrogen : A Potential Clean Energy Source Beneath Our Feet, Yale Environnment 360, 25 janvier 2024.

* 160 Les biocarburants durables dans le transport aérien français, Ministère de la Transition écologique et solidaire, 27 janvier 2020

* 161 Plan de déploiement de l'hydrogène pour la transition énergétique, Ministère de la Transition écologique et solidaire

* 162 E. Wang et al., Reviewing direct air capture startups and emerging technologies, Cell Reports Physical Science, Volume 5, Issue 2, 2024.

* 163 L'avenir des aéroports de territoire, Christian Saint-Etienne, septembre 2023.

* 164 Références données par la FAA :

· 2021 U.S. Aviation Climate Action Plan : https ://www.faa.gov/sites/faa.gov/files/2021-11/Aviation_Climate_Action_Plan.pdf

· Continuous Lower Energy, Emissions and Noise (CLEEN) Program - the FAA's industry partnership on environmental aircraft technology development : https ://www.faa.gov/go/cleen

· Aviation Sustainability Center of Excellence (ASCENT) - the FAA's academic partnership covering all environmental research topics including SAF, technology, operations, and noise : https ://www.ascent.aero

· Sustainable Aviation Fuel Grand Challenge - the U.S. government interagency partnership to advance SAF : Sustainable Aviation Fuel Grand Challenge | Biomass Research & Development (biomassboard.gov)

· Fueling Aviation's Sustainable Transition (FAST) program - the FAA's new grant program recently funded by the Inflation Reduction Act to advance SAF production, transportation, blending and storage, as well as advance low-emission aviation technologies : Fueling Aviation's Sustainable Transition (FAST) Grants | Federal Aviation Administration (faa.gov)

· NASA's Sustainable Flight National Partnership - NASA's overarching effort to drive a new generation of sustainable aircraft : Sustainable Flight National Partnership (nasa.gov)

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