B. L'HYDROGÈNE NATUREL : UN ACCÉLÉRATEUR DE LA DÉCARBONATION DE L'AVIATION ?

L'hydrogène a toujours été considéré comme un simple vecteur énergétique qui, au même titre que l'électricité, doit être produit à partir d'autres sources d'énergie. Des recherches récentes ont mis en lumière l'existence à travers le monde, en particulier en France, de réserves d'hydrogène enfouies dans la croûte terrestre, potentiellement importantes. Cet hydrogène est qualifié de naturel, géologique, ou « blanc ».

Le premier gisement d'hydrogène blanc, pur à 98 %, a été découvert par accident au Mali, en 1987, dans le village de Bourakébougou148(*). Il est exploité depuis 2012 et jusqu'à aujourd'hui pour alimenter une petite centrale approvisionnant le village en électricité. 24 autres puits forés à proximité produisent également de l'hydrogène. Une équipe de chercheurs français de l'IFP Énergies nouvelles, venue étudier le réservoir d'hydrogène sur place, a conclu qu'il se recharge tout en produisant149(*).

Fin 2022, une autre équipe de chercheurs français du laboratoire GeoRessources à Nancy, commun à l'Université de Lorraine et au CNRS, a découvert, en étudiant un gisement de gaz naturel, un réservoir d'hydrogène blanc près de Folschviller en Lorraine, estimé pur à 98 % à 3 000 mètres de profondeur150(*) et d'une contenance qui serait, en première approche, de 46 millions de tonnes151(*).

Dans une contribution à la Concertation nationale sur le mix énergétique, Philippe Dubreuilh, hydrogéologue, qui a travaillé pendant 22 ans dans le Nord-Est des États-Unis, note qu'en France « plusieurs universités dont celles de Grenoble, Lorraine, Paris, Pau, Savoie Mont Blanc ainsi que le CNRS, le BRGM et l'IFPEN mènent divers programmes de recherche sur l'hydrogène naturel (...) ces chercheurs nous indiquent que plusieurs régions en France métropolitaine et en outre-mer seraient susceptibles de receler des ressources en hydrogène naturel : l'Alsace, la Bresse, la Bretagne, la Corse, le Cotentin, le Morvan, la Nouvelle-Calédonie et les piedmonts pyrénéen et alpin. »152(*)

L'Institut d'études géologiques des États-Unis (en anglais : United States Geological Survey ou USGS)153(*) a récemment publié une première évaluation des réserves d'hydrogène naturel au niveau mondial154(*) qui pourraient être de l'ordre de plusieurs dizaines de milliards de tonnes. Si une petite fraction de ces réserves étaient accessibles dans des conditions techniques et économiques acceptables, elles permettraient de répondre aux besoins en hydrogène pendant des centaines d'années. L'USGS a élaboré l'infographie ci-après présentant les modes de production de l'hydrogène dans la croute terrestre.

D'après l'USGS, la plaine côtière atlantique et le centre des États-Unis présentent des géologies favorables à l'accumulation d'hydrogène, en relation avec la présence de minéraux riches en fer qui, en réagissant avec l'eau, pourraient générer de l'hydrogène. L'USGS doit publier, d'ici fin 2024, une étude détaillée sur les ressources mondiales potentielles, ainsi qu'une carte préliminaire des zones les plus susceptibles de contenir des ressources géologiques en hydrogène.

L'Agence internationale de l'énergie se montre plus prudente dans une publication récente : « Cependant, l'exploitation potentielle de l'hydrogène naturel présente des défis et reste très incertaine. Des études géologiques détaillées des accumulations d'hydrogène naturel ne sont pas facilement disponibles, ce qui empêche une compréhension globale de sa formation, de sa migration et de son exploitation commerciale. Il est possible que la ressource soit trop dispersée pour être capturée d'une manière économiquement viable. »155(*)

D'autres gisements possibles d'hydrogène naturel ont été identifiés dans différents pays ou régions : en Europe de l'Est, en Australie, en Espagne, à Oman, etc.

Si les estimations de l'USGS venaient à se confirmer, l'hydrogène blanc pourrait transformer radicalement le paysage énergétique mondial, en offrant une nouvelle source d'énergie décarbonée qui pourrait satisfaire, à un coût relativement bas, les besoins en hydrogène de divers secteurs, notamment du transport aérien.

Bien que les estimations ne puissent actuellement s'appuyer que sur l'exemple du gisement de Bourakébougou, un prix de revient de l'hydrogène naturel d'un dollar américain par tonne est souvent mentionné156(*), soit environ six fois moins que le coût actuel de l'hydrogène vert.

Cette évaluation est confirmée par l'Académie des sciences157(*) qui considère que « tout indique que les coûts ne devraient pas dépasser celui de l'hydrogène gris, c'est-à-dire environ 1 € / kg H2. »

Malgré son potentiel, l'exploitation de l'hydrogène naturel reste à concrétiser. La technologie nécessaire pour extraire, purifier et transporter l'hydrogène à partir de dépôts naturels doit encore être développée. Des investissements significatifs en recherche et développement seront nécessaires pour mettre au point des méthodes efficaces et économiques. De plus, l'exploration des gisements potentiels pourrait s'avérer plus coûteuse que prévu.

Certes, l'exploitation de l'hydrogène naturel pourrait avoir des impacts environnementaux moins importants que ceux associés aux méthodes actuelles de production d'hydrogène, y compris par rapport à l'hydrogène vert, notamment en termes d'émissions de CO2, mais aussi parce qu'elle ne consommerait pas de grandes quantités d'eau.

Cependant, des études sont nécessaires pour évaluer les effets potentiels de son extraction sur les écosystèmes. Par exemple, la manipulation de grandes quantités d'hydrogène pourrait avoir un impact sur les cycles des gaz à effet de serre et nécessiter des mesures pour minimiser les fuites158(*). La présence de gisements de gaz naturel adjacents aux gisements d'hydrogène, comme en Lorraine, est une autre source d'inquiétude159(*). Il faut donc non seulement encourager l'investissement dans les technologies nécessaires à l'exploitation de l'hydrogène naturel, mais aussi garantir qu'elle s'effectue de manière responsable.

Pour toutes ces raisons, si la faisabilité de l'exploitation de l'hydrogène blanc se confirme dans les prochaines années, sa mise en oeuvre ne sera probablement pas immédiate : un horizon de 2035 à 2040 est souvent mentionné.

Sous ces conditions, l'hydrogène blanc pourrait, à l'avenir, faciliter de façon notable la décarbonation de l'aviation. Il pourrait être utile à la fois pour alimenter des avions à hydrogène et pour produire des carburants d'aviation durables. Dans ces deux applications, il permettrait d'abaisser drastiquement les coûts, tout en limitant les problèmes de disponibilité des ressources en électricité et en eau.

À cet égard, l'Académie des sciences recommande « de soutenir rapidement et sans hésitation les projets d'exploration du sol français visant à évaluer rigoureusement le potentiel réel en hydrogène naturel. »


* 148 A. Prinzhofer et al., Discovery of a large accumulation of natural hydrogen in Bourakebougou (Mali), International Journal of Hydrogen Energy, Volume 43, Issue 42, 2018.

* 149 Maiga, O. et al., Characterization of the spontaneously recharging natural hydrogen reservoirs of Bourakebougou in Mali, Sci Rep 13, 11876 (2023).

* 150 FDE announces the discovery of natural hydrogen in the Lorraine mining basin, 15 mai 2023.

* 151 K. Bettayeb, Un gisement géant d'hydrogène en Lorraine, CNRS Le journal, 6 juin 2023.

* 152 Dubreuilh P., Développer la filière de l'hydrogène naturel du sous-sol, 27 octobre 2022.

* 153 L'USGS est une agence gouvernementale rattachée au Département de l'Intérieur des États-Unis qui emploie environ 10 000 personnes réparties sur quatre cents sites.

* 154 Ellis G.S. et al., The potential for geologic hydrogen for next-generation energy, 13 avril 2023.

* 155 Global Hydrogen Review 2023, Agence internationale de l'énergie, décembre 2023.

* 156 Zgonnik V., The occurrence and geoscience of natural hydrogen : A comprehensive review, Earth-Science Reviews, Volume 203, 2020.

* 157 L'hydrogène aujourd'hui et demain, Académie des sciences, 9 avril 2024.

* 158 Derwent R.G., Hydrogen for heating : atmospheric impacts. A literature review, BEIS Research Paper Number 2018 : no. 21, novembre 2018.

* 159 Pearce F., Natural Hydrogen : A Potential Clean Energy Source Beneath Our Feet, Yale Environnment 360, 25 janvier 2024.

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