IV. L'AMÉLIORATION DES OPÉRATIONS EN VOL ET AU SOL

Les améliorations en gestion du trafic et des opérations aériennes

Source : rapport Destination 205093(*)

A. LES OPÉRATIONS EN VOL, LA NÉCESSITÉ D'UNE GESTION OPTIMALE ET FLEXIBLE

Dans la deuxième moitié du XXe siècle, les routes aériennes se sont structurées et densifiées, en gardant une forte exigence de sécurité. Aujourd'hui, si la sécurité est bien garantie par les réglementations et organismes de contrôle, les routes aériennes quotidiennement empruntées par les avions ne sont pas optimales. Sur les vols européens, on estime que les distances de vol sont en moyenne augmentées de 42 kilomètres et les temps de vol de 8 à 11 %94(*) par rapport aux trajectoires idéales.

La réduction de la consommation de carburant pour un trajet donné peut être réalisée grâce à l'adaptation des trajectoires et des conditions de vol, incluant la vitesse et l'altitude. Plusieurs leviers contribuent à l'optimisation des trajectoires : l'adaptation du pilotage en fonction des conditions météorologiques et de l'état spécifique de l'avion, comme le volume de carburant ou son âge ; l'adoption d'une approche plus fluide des phases de décollage et d'atterrissage ; une gestion aérienne améliorée, par une approche globale plutôt qu'individuelle, notamment par la diminution du fuel tankering95(*).

1. L'adaptation des trajectoires aux conditions internes et externes

À l'heure actuelle, les exigences de sécurité créent des rigidités préjudiciables à l'optimisation en vol, alors qu'un mode de pilotage plus flexible, intégrant dans le plan de vol l'influence de conditions extérieures, comme des perturbations météorologiques ou des informations de trafic, permettrait une meilleure efficacité.

Ce mode de pilotage devrait également prendre en compte les paramètres de l'avion lui-même, par exemple son niveau de carburant. En effet, à une vitesse donnée, il existe une altitude optimale permettant de minimiser la consommation de carburant. Cette altitude dépend de la masse de l'appareil : elle augmente au fur et à mesure de l'allégement de l'avion qui résulte de la consommation du carburant.

En complément de la formation des pilotes à l'éco-pilotage, les aides à la navigation numériques peuvent faciliter cette adaptation à l'environnement de navigation extérieur. À cet égard, l'intelligence artificielle ouvre de nouvelles perspectives, dans une première étape avec des logiciels d'analyse de vol a posteriori. Ainsi, le logiciel SkyBreathe de la société OpenAirlines, basée à Toulouse, réalise l'analyse de milliers de données provenant de boîtes noires et de relevés météorologiques. Sous la forme d'une interface numérique à destination des pilotes, il permet d'évaluer les économies potentielles de carburant à partir des données de vol et d'émettre des recommandations, par exemple sur la quantité de carburant à emporter pour chaque vol. Plus de 55 compagnies aériennes, dont Air France, l'utilisent aujourd'hui. Il aurait déjà permis d'éviter l'émission d'un million de tonnes de CO2, soit une diminution de l'ordre de 4 à 5 % de la consommation. Cette réduction pourrait devenir plus importante si de tels logiciel étaient mis en oeuvre en temps réel à bord des avions.

L'avion connecté

Source : Thales

En effet, les plans de vol adaptés en temps réel représentent une avancée significative, en permettant de prendre en compte des informations évolutives : données des postes de contrôle, météo, autres avions, etc.

Comme l'a souligné Yannick Assouad, le pilote ne pourra plus prendre seul en compte cette masse de données. Le pilotage sera de ce fait de plus en plus automatisé : le logiciel de navigation proposera des trajectoires optimisées, que le pilote devra valider. Ce principe est au coeur du nouveau système de gestion de vol (en anglais, Flight Management System ou FMS) développé par Thales. Intégrant également des techniques d'intelligence artificielle, il permet de calculer en temps réel des trajectoires de vol optimisées, grâce à un échange permanent de données entre l'appareil et son environnement : centres de contrôle, données météorologiques en temps réel, etc.

Dans la même logique d'adaptation, le système d'aide à la navigation développé par Dassault Aviation intègre la base de données mondiale des vents dominants et allie des outils de performance et d'optimisation permettant de recalculer le plan de vol en temps réel. Les vols d'essai ont permis une réduction de la consommation de 7 % sur des vols long-courriers.

Yannick Assouad a indiqué que l'adaptation des trajectoires de vol aux conditions atmosphériques pourrait également réduire l'apparition de traînées de condensation. Thales envisage d'élaborer des modèles permettant de prévoir l'apparition des traînées de condensation selon les conditions météorologiques, mais l'enjeu est d'y avoir accès en temps réel à bord de l'avion, ce qui soulève des questions en matière de cybersécurité.

2. Un décollage et atterrissage continus

D'ordinaire, les profils de montée et de descente comportent des paliers qui accroissent la consommation de carburant. Ces profils pourraient être rendus progressivement plus continus. Pour la phase de descente, une manoeuvre continue réduit notamment la poussée et permet d'économiser le carburant utilisé pour se maintenir à un palier. Yannick Assouad a précisé que la descente devait être initiée à l'optimum de la masse, en fonction des conditions météorologiques, mais aussi aéroportuaires. Des profils de montée et de descente optimisés permettraient d'économiser un peu plus de 10 % du carburant sur des vols court-courriers.

Dans son programme « 2025 Pioneers », le groupe ADP prévoit d'encourager, dans le périmètre de ses aéroports, des pratiques de pilotage plus économes, notamment la descente continue, qui contribueraient à réduire de 10 % les émissions moyennes du périmètre air-sol des aéroports de Paris-Charles-de-Gaulle et Paris-Orly.

3. Une approche globale du trafic aérien

Jusqu'ici, les critères d'optimisation ne prennent en compte qu'un seul vol à la fois, en excluant les interactions entre différents vols. Une approche plus globale serait nécessaire pour optimiser le temps passé en vol.

Cette optimisation passe tout d'abord par l'amélioration des procédures d'approche, afin d'éviter que les avions ne « tournent en rond » en attendant que des places se libèrent sur l'aéroport. La direction des services de la navigation aérienne (DSNA) de la DGAC, conduit des tests pour améliorer cette gestion.

La DSNA intervient également pour l'amélioration du contrôle aérien de manière globale. Gérant le plus grand nombre de vols en Europe, c'est notamment l'un des principaux contributeurs au programme SESAR (en anglais, Single European Sky Air Traffic Management Research). Volet technologique de l'initiative européenne « Ciel unique » lancée en 2004, ce programme a pour objectif de réduire la fragmentation de l'espace aérien européen. En effet, les neuf centres de gestion du trafic actuels auraient besoin de règles communes et d'une meilleure coopération afin de fluidifier le trafic, réduire les temps de parcours et finalement diminuer les consommations de carburant et les émissions.

Le programme SESAR, partenariat public-privé entre l'Union européenne, Eurocontrol et les principaux industriels de l'aéronautique, vise une réduction de 10 % des émissions à l'horizon 2050 par rapport à 2017. Le déploiement progressif de l'espace aérien à route libre (en anglais, Free Route Airspace ou FRA)96(*) dans le cadre de ce programme a déjà permis d'économiser 10 millions de tonnes de CO2 entre 2017 et 2021.

À plus long terme, l'approche globale pourra être poussée plus avant grâce aux vols en formation. Comme l'a expliqué Yannick Assouad, lors de ces vols, un avion entraîne dans les tourbillons de sillage issus de ses ailes un deuxième avion, permettant à ce dernier de profiter du surcroît de portance engendré et de réduire sa consommation. Compte tenu de la proximité entre les appareils, une avionique puissante devra gérer la trajectoire de façon précise. De nouvelles réglementations seront aussi nécessaires afin de permettre à deux avions d'être plus proches tout en conservant une sécurité optimale.

Cinq A350 effectuant un vol en formation en septembre 2014

Actuellement étudiées par Airbus avec le démonstrateur Hello'fly, de telles évolutions pourraient réduire de 5 % à 10 % la consommation de l'avion suiveur. Elles ne seraient toutefois exploitables que sur des itinéraires long-courriers suffisamment fréquentés pour réunir plusieurs avions.

4. La diminution du fuel tankering

Pour réduire le coût du carburant, les compagnies aériennes pratiquent parfois le fuel tankering consistant à embarquer plus de carburant que nécessaire pour un trajet donné. Cette pratique est principalement motivée par les différences de prix du carburant entre les aéroports d'arrivée et de départ. Dans d'autres cas, elle est justifiée par des critères opérationnels : problèmes d'approvisionnement dans l'aéroport d'arrivée, retard, rotation courte, etc.

D'après Eurocontrol97(*), le fuel tankering concernerait un trajet sur six en Europe. Bien qu'il permette d'économiser en moyenne 126 euros par vol, il génère des émissions superflues dues à la surcharge de carburant transportée. En Europe, pour un gain total de 265 millions d'euros, 0,9 million de tonne de CO2 supplémentaires sont ainsi relâchées chaque année dans l'atmosphère, l'équivalent des émissions annuelles d'une ville européenne de 100 000 habitants.

Sans aller jusqu'à une interdiction du fuel tankering, établir un tarif uniforme du kérosène en Europe pourrait limiter cette pratique. De même, une revalorisation économique de l'impact CO2 - le seuil serait de 500 euros par tonne selon The Shift Project98(*) - pourrait équilibrer les coûts environnementaux et les économies financières réalisables.

Dès à présent, le volet RefuelEU Aviation du paquet « Fit for 55 » oblige les compagnies européennes à avitailler dans les aéroports de l'Union européenne au moins 90 % de leurs besoins annuels en carburant. Cette mesure permet de limiter le fuel tankering dans les aéroports situés en dehors de l'Union.


* 93 Destination 2050 - A route to net zero European aviation, Airlines for Europe (A4E), Airports Council International (ACI) Europe, Aerospace & Defence Industries Association of Europe (ASD), Civil Air Navigation Services Organisation (CANSO) Europe, European Regions Airline Association (ERA), février 2021.

* 94 Rapport environnement de l'aviation européenne, EASA, 2022

* 95 L. Tabernier, R. Deransy, D. Rutherford, Economic Fuel Tankering : A Threat to Aviation Decarbonisation, OACI, 2022

* 96 Volume d'espace aérien dans lequel les pilotes peuvent librement planifier une route entre un point d'entrée et un point de sortie définis, sous réserve de la disponibilité de l'espace aérien.

* 97 EUROCONTROL Think Paper #1 - Fuel tankering in European skies : economic benefits and environmental impact | EUROCONTROL

* 98 Quelle aviation dans un monde contraint ? The Shift Project, 3 mars 2021, p. 58

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