B. DEUX MODALITÉS D'UTILISATION DE L'HYDROGÈNE
1. L'alimentation en hydrogène de turboréacteurs
L'utilisation de l'hydrogène sous forme liquide comme substitut au kérosène dans les turboréacteurs implique des modifications techniques, notamment l'installation d'un échangeur thermique pour réchauffer l'hydrogène liquide et d'un régulateur de flux adapté à sa densité massique plus élevée. Elle présente aussi des difficultés liées à une combustion plus rapide intervenant à température élevée, qui nécessite des composants résistant aux hautes températures ainsi qu'une maîtrise des risques de fuite et d'inflammation.
L'injection d'hydrogène liquide dans les moteurs crée en effet des risques de fuite, d'inflammation ou d'explosion liés au différentiel de température entre l'hydrogène (-253°C) et le moteur (jusqu'à 1 500° C). D'après l'ONERA, la gestion du gradient thermique initial, de -253°C dans le réservoir cryogénique à environ +100°C à l'entrée de la chambre de combustion, est difficile à maîtriser, tout comme la stabilité de la combustion pour toutes les conditions de pression et de température.
Bien qu'il soit similaire à celui du kérosène, le cycle thermodynamique de l'hydrogène nécessiterait une optimisation, notamment en exploitant le potentiel de refroidissement de l'hydrogène liquide, ce qui permettrait de réduire la quantité d'air prélevée à cet effet84(*) et d'améliorer ainsi le rendement.
L'hydrogène liquide n'étant plus stocké dans les ailes, il nécessitera des circuits de distribution pour le transfert jusqu'à la chambre de combustion. Outre un alourdissement évalué entre 4 à 8 fois la masse de l'hydrogène embarqué85(*), les circuits de distribution devront être cryogéniques et s'adapter au comportement particulier de l'hydrogène liquide, en particulier à sa très grande inflammabilité et à sa propension à fuir.
D'un point de vue environnemental, la combustion de l'hydrogène n'émet pas de CO2, de CO, d'hydrocarbures imbrûlés, ni de particules fines, réduisant significativement, de l'ordre de 80 %, les émissions d'oxydes d'azote (NOx), ainsi que l'ONERA l'a confirmé à l'occasion de tests en situation réelle.
La vapeur d'eau est propice à l'apparition de traînées de condensation et de cirrus induits. Cependant, ceux-ci présentent des propriétés physiques et optiques différentes de celles des cirrus générés par les moteurs thermiques à kérosène, ce qui pourrait conduire à une réduction du forçage radiatif de 20 %86(*).
2. L'utilisation de l'hydrogène dans une pile à combustible
L'utilisation de l'hydrogène dans une pile à combustible permet d'alimenter un moteur électrique entraînant une hélice. Utilisant un principe inverse de celui de l'électrolyse, une pile à combustible permet de transformer l'énergie chimique de l'hydrogène en énergie électrique.
Les piles à combustible à hydrogène présentent une densité énergétique supérieure à celle des batteries, réduisant ainsi le poids lié au stockage d'énergie. Un ensemble de piles délivrant 150 kilowatts pèse environ 50 kilogrammes, contre plusieurs centaines pour un pack de batteries lithium-ion de puissance comparable. Ceci rend cette technologie particulièrement adaptée au transport aérien de moyenne capacité, la propulsion électrique à batteries étant à ce jour limitée à des avions de petite taille.
En plus du choix de l'emplacement des réservoirs d'hydrogène, se pose la question de l'emplacement des piles à combustible87(*). Leur installation près des réservoirs, dans le fuselage, pourrait réduire la longueur des conduites d'hydrogène mais nécessiterait des câbles électriques plus épais en raison des contraintes de sécurité thermique, alourdissant l'avion. L'utilisation de câbles supraconducteurs, plus légers, limiterait cet inconvénient mais elle est technologiquement peu mature.
Une alternative consiste à installer les piles à combustible dans la nacelle, près du moteur électrique, ce qui réduit la longueur des câbles et facilite la gestion thermique car il est plus facile de dissiper la chaleur produite par la pile à combustible dans la nacelle que dans le fuselage.
Les performances des piles à combustible restent inférieures à celles des turboréacteurs, la puissance des moteurs qu'elles alimentent étant limitée. Leur utilisation est donc réservée aux avions de taille moyenne ou d'affaires88(*) de quelques dizaines de passagers. L'hydrogène peut être stocké sous forme liquide ou gazeuse, avec un rayon d'action, à volume de réservoir équivalent, respectivement de 1 000 ou 750 kilomètres89(*).
Au regard des émissions, l'emploi d'hydrogène dans des piles à combustible présente plus d'atouts que dans les turboréacteurs : lorsqu'il alimente une pile à combustible, l'hydrogène n'est pas brûlé et ne produit donc ni CO2, ni NOx.
Yannick Assouad a souligné lors de son audition qu'il est encore trop tôt pour déterminer si l'utilisation de l'hydrogène dans les piles à combustible est préférable à son usage dans les moteurs thermiques.
3. Le potentiel d'une configuration mixte
Une dernière option consiste à combiner l'utilisation de l'hydrogène dans les turboréacteurs pour la propulsion et dans une pile à hydrogène pour électrifier les fonctions annexes : entrées d'air, systèmes de l'avion, hybridation lors du décollage et du vol. Cette configuration mixte permettrait d'augmenter significativement l'efficacité énergétique des moteurs actuels, qui est aujourd'hui de l'ordre de 40 % avec du kérosène. Un taux d'efficacité énergétique de 70 % à 90 % pourrait être atteint.
* 84 Kérosène versus hydrogène ? - de l'art délicat de qualifier l'hydrogène sur les aéronefs de demain, Société savante de l'aéronautique et de l'espace, 15 octobre 2021.
* 85 Kérosène versus hydrogène ? - de l'art délicat de qualifier l'hydrogène sur les aéronefs de demain, Société savante de l'aéronautique et de l'espace, 15 octobre 2021.
* 86 Michael Ponater, et al., Potential of the cryoplane technology to reduce aircraft climate impact : A state-of-the-art assessment, Atmospheric Environment, 40(36) :6928-6944, 2006.
* 87 Integrating hydrogen propulsion into aircraft, Aeroreport, Denis Dilba, janvier 2021
* 88 Rapport Commission Affaires Européennes 2022 p.27
* 89 Ibidem.