IV. POUR UNE ACTION PLUS RÉSOLUE DE L'ÉTAT, 

A. AGIR DÈS MAINTENANT POUR MAINTENIR LE PLUS POSSIBLE LE PÉRIMÈTRE ACTUEL DU GROUPE GRÂCE À UNE ENTRÉE DURABLE DE L'ÉTAT AU CAPITAL D'ATOS

1. Maintenir le groupe en entier, une hypothèse encore trop souvent et trop facilement écartée

Il ressort des travaux menés que l'hypothèse d'un maintien du groupe en entier n'est presque jamais abordée ou, en tout cas, presque jamais considérée sérieusement, en premier lieu par les services de l'État.

Face à la pression financière, à l'endettement du groupe, à la dispersion de son actionnariat et à ses errances successives de gouvernance, il semble que les logiques financières de court terme aient pris le pas sur les logiques industrielles de long terme, car, aujourd'hui, seule une vision industrielle plaide pour le maintien du groupe Atos en entier.

Par ailleurs, force est de constater que les activités stratégiques mentionnées supra sont réparties à la fois dans Eviden et dans Tech Foundations et concernent l'ensemble du groupe Atos.

Les rapporteurs sont ainsi parvenus à la conclusion que la scission de l'entreprise en deux entités distinctes a constitué un « appel d'air » pour la cession d'actifs et que le cadre de refinancement annoncé au début du mois d'avril dernier n'exclut en aucun cas des cessions d'actifs, Atos ayant maintenu et poursuivi son programme de cessions.

Malgré les différentes marques d'intérêt reçues ou publiquement exprimées, les rapporteurs demeurent convaincus que la meilleure solution serait celle conduisant à un maintien du périmètre actuel du groupe, car ce dont partenaires, salariés, clients, fournisseurs, institutions, actionnaires et créanciers ont besoin, c'est avant tout de perspectives de long terme, de stabilité, d'une gouvernance forte et unifiée autour d'un projet industriel au service de la souveraineté, du développement économique et de l'innovation technologique et numérique de la France.

Critiques et sceptiques quant à la pertinence de la scission de l'entreprise, les rapporteurs sont arrivés à la conclusion que le périmètre actuel du groupe a du sens et qu'il serait préférable de le maintenir afin d'éviter une « vente à la découpe » qui serait préjudiciable pour l'outil industriel, pour l'emploi, pour la stratégie commerciale du groupe et ses clients, dont l'État français.

Recommandation n° 1 : préserver le périmètre du groupe, éviter un démantèlement et privilégier les offres de reprise et de transformation de l'entreprise qui la maintiennent dans son entièreté afin de permettre une répartition équitable et soutenable de sa dette et protéger l'ensemble de ses activités souveraines.

2. Faire entrer l'État durablement au capital d'Atos

Partant du constat qu'une intervention plus rapide, plus consistante et plus engageante de l'État est sollicitée par la très grande majorité des parties prenantes internes et externes à l'entreprise, et regrettant la mobilisation tardive et insuffisante du Gouvernement, les rapporteurs appellent à une entrée durable de l'État au capital d'Atos comme ils l'ont annoncé dans leur communiqué de presse du 11 avril dernier108(*).

Cette annonce fait suite à l'audition de Jean-Pierre Mustier et Paul Saleh, respectivement président du conseil d'administration et directeur général d'Atos, devant les commissions des affaires économiques et des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat le 10 avril dernier. Lors de cette audition, les déclarations des dirigeants ont confirmé la vision et les intuitions des rapporteurs selon lesquelles une participation de l'État au capital d'Atos serait souhaitable, possible et acceptée. Jean-Pierre Mustier a par exemple déclaré : « Ce dernier [l'État] ira-t-il plus loin ? Je pense qu'il ne serait potentiellement pas optimal qu'il se positionne au niveau du groupe Atos ; il devrait plutôt le faire à un échelon plus bas - par exemple BDS - pour prendre une participation minoritaire, comme il le fait pour d'autres groupes, avec des droits similaires ou augmentés. Nous sommes ouverts à tout type de solution »109(*).

Prenant acte de l'annonce du 9 avril dernier selon laquelle l'État s'était engagé à octroyer un prêt de 50 M€ à Atos moyennant une action de préférence, les rapporteurs ont souhaité rapidement indiquer qu'il ne s'agissait que d'une première étape insuffisante face aux défis rencontrés par Atos, notamment en ce qui concerne le financement global requis, la nécessité de définir une stratégie à long terme du groupe et de préserver impérativement la souveraineté de notre pays. Sur ce dernier point, les rapporteurs estiment que le fait que l'État soit absent de la gouvernance du groupe constitue, dans une certaine mesure, une « anomalie » au regard de ses activités stratégiques, sensibles et uniques en matière de calcul à haute performance, de défense nationale et de nucléaire.

Une nouvelle fois, les rapporteurs regrettent que « l'État pompier » se soit substitué à « l'État stratège » et considèrent la procrastination du Gouvernement comme coupable sur ce dossier.

À l'issue de leurs auditions, les rapporteurs étaient parvenus à la conclusion que Bpifrance était l'un des « bras armés de l'État » les plus adaptés pour intervenir et prendre une prise de participation majoritaire et durable au sein du capital d'Atos SE. D'abord, parce que son directeur général, Nicolas Dufourcq, avait publiquement110(*) ouvert la voie à une intervention de Bpifrance en soutien d'un repreneur industriel intéressé par le rachat des activités de calcul à haute performance d'Atos, ce qui avait également été indiqué111(*) par Éric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Au contraire, la CDC n'a pas exprimé d'intérêt en ce sens parce que les secteurs d'activité d'Atos sont trop éloignés de ceux dans lesquels la CDC intervient habituellement.

Alors que les représentants de l'Agence des participations de l'État (APE) avaient indiqué lors de leur audition ne pas avoir été saisis par le Gouvernement ni s'intéresser à Atos, les rapporteurs ont pris acte de l'annonce du 28 avril dernier selon laquelle une lettre non engageante à ce stade avait été envoyée par l'APE pour acquérir, aux côtés d'industriels français, environ les deux tiers de sa branche BDS. Ils estiment qu'une prise de participation de l'APE au niveau de la structure chapeau Atos SE aurait plus de sens, car les activités stratégiques, sensibles et souveraines intéressant directement l'État français sont logées dans l'ensemble de la « galaxie Atos », pas seulement au sein de BDS et y compris dans Tech Foundations.

Ensuite, les rapporteurs considèrent qu'une intervention complémentaire de Bpifrance via une prise de participation durable dans BDS, le cas échéant au sein d'un consortium, si le respect du droit européen l'imposait, serait compatible avec sa doctrine de soutien aux investissements d'avenir. En effet, en investissant en soutien des activités souveraines d'Atos, en particulier de ses activités de calcul à haute performance, Bpifrance contribuerait indéniablement au soutien des activités de cybersécurité, d'intelligence artificielle, de quantique et d'informatique en nuage (cloud).

Les rapporteurs sont également parvenus à la conclusion qu'une prise de participation de l'État au capital d'Atos est de nature à rassurer les différentes parties prenantes, à stabiliser la situation, à rétablir la confiance des marchés grâce à un actionnariat solide et durable, à inciter les repreneurs industriels à se manifester et à faciliter les négociations en cours pour la restructuration financière de l'entreprise.

Enfin, ils estiment qu'une telle prise de participation devrait garantir une représentation pérenne de l'État au conseil d'administration, considérant que l'absence de supervision et de connaissance des activités stratégiques et souveraines d'Atos parmi les membres de son conseil d'administration a pu conduire à adopter des propositions préjudiciables telles que la prise de participation à hauteur de 7,5 % du capital d'Eviden par la société EP Equity Investment (EPEI) de Daniel Kretinsky.

Recommandation n° 2 : Faire entrer l'État au capital à deux niveaux : (1) une prise de participation minoritaire et durable de l'APE au sein d'Atos SE garantissant une place au conseil d'administration afin de permettre une supervision de toutes les activités stratégiques et sensibles du groupe (2) une prise de participation majoritaire et durable de Bpifrance au sein de BDS afin d'assurer le financement et la supervision resserrée d'activités technologiques souveraines qui doivent dans tous les cas demeurer dans le giron national.


* 108 Communiqué de presse de la mission d'information du Sénat relative à l'avenir d'Atos du 11 avril 2024.

* 109 Audition du 10 avril 2024 de MM. Jean-Pierre Mustier et Paul Saleh devant le Sénat.

* 110 Interview de Nicolas Dufourcq sur BFM Business du 4 mars 2024.

* 111 Interview d'Éric Lombard sur BFM Business du 21 mars 2024.

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