N° 568

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 30 avril 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) et de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (2) sur la situation et l'avenir du groupe Atos,

Par Mme Sophie PRIMAS, MM. Jérôme DARRAS, Fabien GAY
et Thierry MEIGNEN,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente ; MM. Alain Chatillon, Daniel Gremillet, Mme Viviane Artigalas, MM. Franck Montaugé, Franck Menonville, Bernard Buis, Fabien Gay, Pierre Médevielle, Mme Antoinette Guhl, M. Philippe Grosvalet, vice-présidents ; MM. Laurent Duplomb, Daniel Laurent, Mme Sylviane Noël, M. Rémi Cardon, Mme Anne-Catherine Loisier, secrétaires ; M. Jean-Pierre Bansard, Mme Martine Berthet, MM. Yves Bleunven, Michel Bonnus, Denis Bouad, Jean-Marc Boyer, Jean-Luc Brault, Frédéric Buval, Henri Cabanel, Alain Cadec, Guislain Cambier, Mme Anne Chain-Larché, MM. Patrick Chaize, Patrick Chauvet, Mme Evelyne Corbière Naminzo, MM. Pierre Cuypers, Daniel Fargeot, Gilbert Favreau, Stéphane Fouassin, Mmes Amel Gacquerre, Annick Jacquemet, Micheline Jacques, MM. Yannick Jadot, Vincent Louault, Mme Marianne Margaté, MM. Serge Mérillou, Jean-Jacques Michau, Sebastien Pla, Mme Sophie Primas, M. Christian Redon-Sarrazy, Mme Évelyne Renaud-Garabedian, MM. Olivier Rietmann, Daniel Salmon, Lucien Stanzione, Jean-Claude Tissot.

(2) Cette commission est composée de : M. Cédric Perrin, président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Mmes Hélène Conway-Mouret, Catherine Dumas, Michelle Gréaume, MM. Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Jean-Baptiste Lemoyne, Akli Mellouli, Philippe Paul, Rachid Temal, vice-présidents ; M. François Bonneau, Mme Vivette Lopez, MM. Hugues Saury, Jean-Marc Vayssouze-Faure, secrétaires ; MM. Étienne Blanc, Gilbert Bouchet, Mme Valérie Boyer, M. Christian Cambon, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Olivier Cigolotti, Édouard Courtial, Jérôme Darras, Mme Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Guillaume Gontard, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Pierre Grand, André Guiol, Ludovic Haye, Loïc Hervé, Alain Houpert, Patrice Joly, Mme Gisèle Jourda, MM. Alain Joyandet, Roger Karoutchi, Ronan Le Gleut, Claude Malhuret, Didier Marie, Thierry Meignen, Jean-Jacques Panunzi, Mme Évelyne Perrot, MM. Stéphane Ravier, Jean-Luc Ruelle, Bruno Sido, Mickaël Vallet, Robert Wienie Xowie.

PREMIÈRE PARTIE
LA « GALAXIE » ATOS : DES SERVICES D'INFOGÉRANCE AUX ACTIVITÉS INTÉRESSANT LA SOUVERAINETÉ NATIONALE

I. ATOS, GÉANT FRANÇAIS DES SERVICES INFORMATIQUES D'ENVERGURE INTERNATIONALE

A. FRUIT D'UNE CROISSANCE EXTERNE VOLONTARISTE, LE GROUPE ATOS CONSTITUE DÉSORMAIS UNE « GALAXIE » ENGLOBANT UN LARGE SPECTRE D'ACTIVITÉS

Le groupe Atos est issu de la fusion en 1997 de deux entreprises françaises de services numériques : Axime et Sligos. En 2000, Atos a fusionné avec la société Origin, filiale de Royal Philips Electronics, pour devenir Atos Origin. L'entreprise reprend le nom d'Atos en 2011, à la suite de l'acquisition de la société allemande Siemens IT Solutions & Services, qui rassemblait les activités informatiques du groupe Siemens (cf. infra).

Le périmètre actuel du groupe résulte d'une succession d'opérations de croissance externe réalisées tant en France qu'à l'international.

Historique du groupe Atos

Source : https://Atos.net/wp-content/uploads/2021/02/Atos-history-chart.jpg

Sur la seule période 2008-2022, le groupe et certaines de ses sociétés ont ainsi procédé à 43 acquisitions, dont près de la moitié à partir de 2020, afin de tenter une « transition numérique vers l'avenir » avant d'amorcer, depuis 2022, un « recentrage avec une rationalisation de son portefeuille d'activités ».

Acquisitions réalisées par le groupe Atos et certaines de ses entités
entre 2008 et 2022

Acquisition

Acquéreur

Date

Prix

Source

Activités Compensation, Règlement-Livraison et Back Office d'Atos Euronext Market Solutions

Atos Origin

Août 2008

14 M€

Communiqué de presse (CP) du 6 août 2008

Société Shere

Atos Origin

Mars 2010

Non communiqué

CP du 29 mars 2010

Intégralité des titres de la société Venture Infotek

Atos Origin

Août 2010

Non communiqué

CP du 26 août 2010

Société Siemens IT Solutions and Services

Atos Origin

Juillet 2011

Participation de 15 % au capital d'Atos Origin, obligations convertibles ou échangeables en actions nouvelles et/ou existantes pour 250 M€ et montant en numéraire de 176 M€

CP du 14 décembre 2010, CP du 1er février 2011, CP du 1er juillet 2011

50 % des titres de MLS Group

Atos

Mars 2012

Non communiqué

CP du 9 janvier 2012

Participation dans ITSK

Atos

Février 2014

Non communiqué

CP du 24 février 2014

Cambridge Technology Partners

Atos

Juin 2014

Non communiqué

CP du 11 juin 2014

Intégralité des titres de Bull

Atos

Décembre 2014

604 M€ (titres obligataires inclus)

CP du 6 juin 2014 et note d'information d'Atos n° 14-327 du 24 juin 2014

Activité d'externalisation informatique de Xerox - Xerox ITO

Atos

Juin 2015

811 M€

CP du 18 décembre 2014 et CP du 30 juin 2015

Société Unify

Atos

Janvier 2016

366 M€

CP du 3 novembre 2015 et CP du 20 janvier 2016

Société Anthelio Healthcare Solutions

Atos

Septembre 2016

Non communiqué

CP du 12 septembre 2016

Société Engage ESM

Atos

Décembre 2016

Non communiqué

CP du 2 janvier 2017

Société zData

Atos

Février 2017

Non communiqué

CP du 17 février 2017

Société First Data Baltics

Worldline

Septembre 2017

73 M€

CP du 27 septembre 2017

Société MRL PostNet

Worldline

Octobre 2017

Environ 89 M€

CP du 3 octobre 2017

Sociétés Pursuit Healthcare Advisors, Conduent's Healthcare Provider Consulting et Conduent's Breakaway Group

Atos

Octobre 2017

Non communiqué

CP du 4 octobre 2017

Société Digital River World Payments

Worldline

Novembre 2017

Non communiqué

CP du 18 octobre 2017

Société Siemens Convergence Creators Holding GmbH

Atos

Janvier 2018

Non communiqué

CP du 2 octobre 2017 et CP du 2 janvier 2018

Société SIX Payment Services

Worldline

Novembre 2018

Apport en nature et soulte de 286 M€

CP du 15 mai 2018 et CP de Worldline du 30 novembre 2018

Société Syntel

Atos

Novembre 2018

3,4 Mds$

CP du 22 juillet 2018 et CP du 9 octobre 2018

Société IDnomic

Atos

Octobre 2019

Non communiqué

CP du 29 juillet 2019 et CP du 1er octobre 2019

Société X-PERION Consulting AG

Atos

T4 2019

Non communiqué

CP du 24 octobre 2019

Société Maven Wave

Atos

Février 220

Non communiqué

CP du 18 décembre 2019 et CP du 4 février 2020

Société Miner & Kasch

Atos

Avril 2020

Non communiqué

CP du 22 avril 2020

Société Alia Consulting

Atos

T4 2020

Non communiqué

CP du 24 juin 2020

Société EcoAct

Atos

Octobre 2020

Non communiqué

CP du 27 juillet 2020 et CP du 1er octobre 2020

Société Paladion

Atos

Octobre 2020

Non communiqué

CP du 24 juin 2020 et CP du 12 octobre 2020

Société digital.security

Atos

Octobre 2020

Non communiqué

CP du 27 juillet 2020 et CP du 13 octobre 2020

Société SEC Consult Group

Atos

Octobre 2020

Non communiqué

CP du 22 octobre 2020 et CP du 18 décembre 2020

Société Eagle Creek Software

Atos

Décembre 2020

Non communiqué

CP du 22 octobre 2020 et CP du 15 décembre 2020

Société Edifixio

Atos

Décembre 2020

Non communiqué

CP du 22 octobre 2020 et CP du 1er décembre 2020

Société In Fidem

Atos

Janvier 2021

Non communiqué

CP du 12 janvier 2021 et CP du 20 janvier 2021

Société Motiv ICT Security

Atos

Février 2021

Non communiqué

CP du 16 décembre 2020 et CP du 24 février 2021

Société Profit4SF

Atos

Février 2021

Non communiqué

CP du 22 février 2021

Société Ipsotek

Atos

Juin 2021

Non communiqué

CP du 20 avril 2021 et CP du 1er juin 2021

Société Processia

Atos

Juin 2021

Non communiqué

CP du 20 avril 2021 et CP du 3 juin 2021

Société IDEAL GRP

Atos

Juillet 2021

Non communiqué

CP du 27 juillet 2021

Société Nimbix

Atos

Juillet 2021

Non communiqué

CP du 27 juillet 2021

Société cv cryptovision GmbH

Atos

Septembre 2021

Non communiqué

CP du 20 avril 2021 et CP du 1er septembre 2021

Société Visual BI

Atos

Septembre 2021

Non communiqué

CP du 27 juillet 2021 et CP du 3 septembre 2021

Société DataSentics

Atos

T4 2021

Non communiqué

CP du 20 octobre 2021

Société AppCentrica

Atos

Décembre 2021

Non communiqué

CP du 1er décembre 2021

Société Cloudreach

Atos

Janvier 2022

Non communiqué

CP du 7 décembre 2021 et CP du 4 janvier 2022

Source : Atos, réponses au questionnaire des rapporteurs

À l'heure actuelle, le groupe Atos est constitué de 38 entités juridiques1(*), dont 18 sont rassemblées dans l'entité Tech Foundations et 20 dans l'entité Eviden (cf. infra).

Les 38 entités juridiques du groupe Atos

Source : mission d'information, d'après des données communiquées par Atos

Entreprise de services du numérique (ESN) dont l'activité était historiquement centrée sur l'infogérance (gestion des systèmes d'information), Atos a progressivement diversifié son champ d'intervention.

Le groupe s'articule désormais autour de quatre grands pôles d'activité : les infrastructures, la transformation digitale et l'informatique en nuage (le cloud), la cybersécurité et le calcul haute performance (HPC).

B. UN GROUPE PRÉSENT MONDIALEMENT DONT L'ORGANISATION A ÉTÉ PROFONDÉMENT MODIFIÉE À PARTIR DE 2020

Au niveau mondial, Atos compte 95 140 collaborateurs répartis dans 69 pays. Son chiffre d'affaires mondial s'élevait à 10,7 Mds€ en 2023.

Implantations d'Atos dans le monde

Source : https://Atos.net/fr/a-propos-d-Atos/implantations

Les différentes acquisitions réalisées au fil des années ont assuré à Atos une présence mondiale et lui ont permis de figurer parmi les 15, voire 10 premières entreprises mondiales de services numériques. En 2022, l'entreprise arrivait ainsi à la première place des services de sécurité managés sur la base de son chiffre d'affaires d'après le classement Gartner2(*).

Au niveau européen, l'entreprise se présente comme le « numéro un européen du cloud, de la cybersécurité et des supercalculateurs »3(*).

Au niveau français, Atos emploie 11 600 salariés répartis sur 30 sites. Selon une étude réalisée par KPMG et Numeum4(*), en 2023, l'entreprise figurait parmi les 5 premières ESN en termes de chiffres d'affaires réalisé en France (1,96 Md€), derrière Capgemini, SCC France, Accenture et Sopra Steria.

Implantations d'Atos en France

 
   

Source : https://Atos.net/fr/a-propos-d-Atos/implantations

   

À titre de comparaison :

Sopra Steria, groupe français, est présent dans 30 pays, emploie 56 000 collaborateurs dans le monde et génère un chiffre d'affaires de 5,8 milliards d'euros (Mds€)5(*) ;

Capgemini, autre entreprise française, déploie ses activités dans 50 pays, compte 350 000 collaborateurs et affiche un chiffre d'affaires d'environ 22 Mds€6(*) ;

Accenture, géant américain, est implanté dans 49 pays, emploie 742 000 collaborateurs et réalise un chiffre d'affaires de 64,1 milliards de dollars7(*).

À compter de 2020, le groupe a opéré plusieurs tentatives de réorganisation de ses activités au niveau mondial, avant d'entreprendre une restructuration d'envergure en 2022.

Le 14 juin 2022, l'entreprise a ainsi annoncé, par le biais d'un communiqué de presse, son intention de scinder le groupe en deux entités distinctes. Ce projet visait à « créer deux entreprises, pleinement focalisées sur leurs stratégies et leurs marchés respectifs, avec une équipe de management dédiée »8(*).

Concrètement, cette initiative consistait à répartir les activités dans deux entités distinctes avec d'un côté l'activité traditionnelle d'infogérance, en déclin, et de l'autre les activités plus dynamiques (cloud, traitement massif de données ou big data et cybersécurité), de l'autre.

Depuis 2023, Atos se compose ainsi de deux entités :

Tech Foundations (Atos), regroupant les activités « historiques » du groupe, à savoir l'infogérance et les centres de données. Son chiffre d'affaires s'est établi à 5,6 Mds€ en 2023, enregistrant une décroissance organique (c'est-à-dire à périmètre et taux de change constants) de 1,7 %, pour une marge opérationnelle de 3,1 %9(*) ;

Eviden (anciennement appelé Evidian), rassemblant les lignes de métiers Digital et Big data & Security (BDS), positionnée sur des marchés à forte croissance portés par la migration vers le cloud public, la demande croissante en cybersécurité, la génération de big data et d'analyses, ainsi que le développement d'applications intelligentes. Son chiffre d'affaires a atteint 5,1 Mds€ en 2023, affichant une croissance organique de 2,9 %, pour une marge opérationnelle de 5,8 %10(*).

Ces entités sont gérées de manière distincte, bien que le groupe affirme avoir mis en place « une stratégie commerciale coordonnée » et continuer à chercher « à développer des synergies ».

Selon les informations communiquées par Atos, les coûts globaux de séparation et de transformation se sont élevés à 353 millions d'euros (M€) en 2023, pour un total de coût de réorganisation interne de plus de 700 M€11(*).

II. UNE ENTREPRISE MÉCONNUE, MAIS POURTANT AU CoeUR DES ENJEUX DE SOUVERAINETÉ DE NOTRE PAYS

A. L'ACTIVITÉ DE CALCUL HAUTE PERFORMANCE D'ATOS CONSTITUE UN MAILLON ESSENTIEL DE LA DISSUASION NUCLÉAIRE FRANÇAISE

1. La fin des essais nucléaires a rendu nécessaire la structuration d'une filière nationale de calcul haute performance...

Depuis la fin des essais nucléaires en 1996, l'évaluation des performances des têtes nucléaires françaises repose quasi exclusivement sur un programme de simulation informatique.

Pour maintenir la crédibilité de notre dissuasion face à l'évolution des défenses adverses, il est impératif de disposer de capacités de calcul haute performance. Celles-ci permettent en effet de résoudre, avec un très haut degré de précision et dans des délais très courts, des équations complexes nécessaires à la modélisation du fonctionnement des armes.

La pérennité de la dissuasion française repose ainsi sur deux piliers :

- d'une part, disposer en permanence de capacités de calcul au plus haut niveau de performance ;

- d'autre part, maintenir une filière de calcul haute performance - ou high performance computing (HPC) - souveraine. L'histoire du programme nucléaire français rappelle l'importance de disposer d'une filière nationale de supercalculateurs. En effet, à ses débuts, le programme de simulation français reposait sur des calculateurs haute performance américains.

Or les États-Unis n'ont pas toujours fait preuve de diligence dans la livraison de ces matériels. En témoignent par exemple l'épisode de 1966-1967, avec le retrait de la France du commandement intégré de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), qui s'est traduit par la vente de technologies moins performantes, ou celui de 1981 avec l'alternance politique en France, qui a vu des retards dans la livraison de certains matériels américains.

À l'époque, la dépendance à l'égard des États-Unis, bien que problématique, ne remettait pas fondamentalement en cause la dissuasion française. Mais, depuis la fin des essais nucléaires et la nécessité de leur simulation, de telles contraintes ne sont plus compatibles avec l'impératif d'optimisation constante de notre dissuasion.

Cette circonstance a conduit l'État à mettre en place une stratégie nationale de calcul à haute performance. Depuis les années 2000, la France, par l'intermédiaire de la direction des applications militaires (DAM) du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), a ainsi développé un partenariat avec la société Bull - laquelle a été rachetée par Atos en 2014 reposant sur un codéveloppement de supercalculateurs et un cofinancement des dépenses de recherche et développement (la part de l'État a cependant progressivement diminué, passant de 50 % à 20 % environ aujourd'hui). Au cours des sept dernières années, les dépenses en matière de recherche et développement ont ainsi atteint de l'ordre de 500 M€.

L'État doit donc s'attacher à préserver une filière nationale de fabrication de supercalculateurs. Cet impératif impose en particulier la plus grande vigilance afin qu'un tel actif ne puisse pas être cédé ni même contrôlé par une entreprise ou un acteur étranger et que tout acquéreur potentiel dispose d'une assise financière suffisante pour investir dans cette activité et en garantir ainsi la pérennité.

2.  ... qui a soutenu l'émergence d'un champion français du secteur

Le partenariat entre l'État et Bull/Atos s'est avéré gagnant-gagnant, l'État disposant d'un acteur national sur une filière critique et Atos pouvant s'appuyer sur les commandes étatiques, et le très haut niveau de performance qu'elles impliquent - Atos a ainsi livré au CEA un supercalculateur dont la performance (jusqu'à 104 pétaflops12(*) et performance Linpack13(*) de l'ordre de 60 pétaflops) équivaut à celle atteinte par le 15e supercalculateur le plus puissant14(*) - pour développer son offre HPC à destination d'autres clients privés comme publics. Atos est à ce titre l'unique acteur européen présent sur ce marché.

L'usine Bull d'Angers, dans laquelle sont produits les supercalculateurs d'Atos, joue ainsi désormais à armes quasi égales avec ses concurrentes américaine (Hewlett Packard) et chinoise (Lenovo), lui permettant d'emporter d'importants contrats en Europe comme à l'international.

Au niveau français, Eviden a été retenu par le Grand équipement national de calcul intensif (GENCI) et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) pour fournir une extension des capacités du supercalculateur Jean Zay, financée dans le cadre de France 203015(*).

Au niveau européen, Eviden, en consortium avec la société allemande ParTec, a conclu un contrat avec EuroHPC JU pour fournir le premier supercalculateur Exascale en Europe, qui sera exploité par le centre de recherche Jülich situé en Allemagne. L'enveloppe budgétaire globale de ce projet Jupiter (comprenant son exploitation sur six ans) est d'environ 500 M€16(*).

Au niveau international, Atos a indiqué avoir conclu un contrat de 19,4 M$ avec le Laboratoire national de calcul scientifique situé à Pétropolis au Brésil visant à « étendre la capacité de calcul de son supercalculateur “Santos Dumont ”. Basée sur l'architecture BullSequana XH3000 d'Eviden, cette extension permettra à Eviden de multiplier la capacité par 4, confirmant ainsi la position du supercalculateur comme le plus puissant d'Amérique latine dédié à la recherche universitaire »17(*).

B. UN RÔLE CLÉ DANS CERTAINS PROJETS PORTÉS PAR LE MINISTÈRE DES ARMÉES

1. Le développement de systèmes d'information structurants pour les armées et le ministère

Atos joue un rôle déterminant dans plusieurs projets structurants pour nos armées.

L'entreprise est ainsi titulaire du marché de développement du système d'information du combat du programme SCORPION (SICS), programme phare de l'armée de terre, qui vise à moderniser les capacités de combat du groupement tactique interarmes (GTIA) autour de nouvelles plateformes et d'un système d'information du combat unique (cf. encadré ci-après). Le SICS - qui doit permettre une connexion de l'ensemble des véhicules du GTIA ainsi que le partage des informations du combat - constitue ainsi l'une des pierres angulaires du programme SCORPION ;

Le programme SCORPION

Le programme Scorpion, dont la direction générale de l'armement (DGA) assure la maîtrise d'ouvrage, vise à assurer la modernisation des groupements tactiques interarmes (GTIA) afin d'accroître dans une approche globale et cohérente leur efficacité et leur protection, en utilisant au mieux les nouvelles capacités d'échanges d'informations.

La première étape du programme SCORPION comprend notamment les composantes suivantes :

- un système d'information (SICS) destiné à assurer la cohérence des systèmes en service ;

- des véhicules blindés multi-rôles (VBMR) Griffon et VBMR légers Serval, destinés à remplacer les VAB actuellement en service ;

- des engins blindés de reconnaissance et de combat (EBRC) Jaguar, destinés à remplacer l'AMX10RC, l'engin blindé ERC Sagaie, et le VAB HOT ;

- une rénovation du char Leclerc ;

- l'adaptation du système de préparation opérationnelle au combat SCORPION.

Source : ministère des armées

Atos intervient en outre en tant que sous-traitant dans le développement du système d'information des armées (SIA), lequel vise à « faire converger les différents systèmes d'Information opérationnels et de commandement (SIOC) des trois armées (Terre, Air, Marine) vers un seul et même système. [...] Le SIA permet aux décideurs, utilisateurs et exploitants de centraliser et traiter les informations issues des capteurs et des systèmes d'armes et d'avoir des échanges d'informations fluides entre tous les acteurs d'une opération, du niveau tactique comme stratégique »18(*).

Elle participe également à la gestion ou au développement de plusieurs systèmes d'information (SI) « administratifs » utilisés par le ministère, qu'il s'agisse de SIGALE, utilisé dans le cadre du contrôle des exportations de matériels de guerre, ou encore du système SPARTA, qui sera utilisé dans le domaine du recrutement.

2. La fourniture de solutions techniques aux armées et aux services de renseignement

Au-delà des systèmes d'information, Atos intervient dans la fourniture de certaines solutions techniques à destination des armées.

L'entreprise est ainsi responsable du développement de la nouvelle génération de passerelle multiniveau du Rafale permettant la sécurisation des connectivités et l'échange bidirectionnel sécurisé des données entre les différents réseaux de communication à bord19(*).

Dans le cadre de la joint venture Athea, Atos et Thales sont par ailleurs chargés de développer une plateforme souveraine (Artemis.ia) associant traitement massif de données et intelligence artificielle pour les secteurs de la défense, du renseignement et de la sécurité intérieure20(*) ;

La DGA a par ailleurs retenu Eviden pour l'industrialisation de la nouvelle solution de géolocalisation qui a vocation à équiper l'ensemble des véhicules de défense de l'armée de terre.

Plus généralement, Atos fournit des capacités de calcul génériques aux armées, directions et services du ministère.

Enfin, Atos fournit certaines solutions techniques aux services de renseignement tant en matière de télécommunications que de capteurs.

C. UNE ENTREPRISE OMNIPRÉSENTE DANS LE QUOTIDIEN DES FRANÇAIS

1. Un maillon de la souveraineté numérique française

La souveraineté nationale ne saurait se réduire au seul périmètre de la défense. Dans le cadre de ses travaux, le Sénat défend ainsi de longue date l'idée de l'existence d'une souveraineté numérique21(*) ou encore d'une souveraineté des données22(*).

Or le groupe Atos est pleinement impliqué dans ces deux dimensions de la souveraineté.

Atos et Open ont ainsi été sélectionnés par l'Union des groupements d'achats publics (Ugap) pour un marché visant à permettre aux acteurs du secteur public d'accéder à l'ensemble de la chaîne de services nécessaires à la transformation vers le cloud23(*).

Dans le champ de la protection sociale et de la santé, le groupement piloté par Atos a livré le service sécurisé Mon Espace Santé développé en partenariat avec la caisse nationale d'assurance maladie (Cnam). Ce marché comprend la conception, la réalisation, l'hébergement, l'exploitation et la maintenance de Mon Espace Santé24(*). En auditions, il a par ailleurs été indiqué qu'Atos intervenait dans le système informatique de la carte Vitale.

Par ailleurs, Atos et Dassault Systèmes ont signé un partenariat proposant la plateforme 3DEXPERIENCE de Dassault Systèmes dans un environnement souverain pour les industries critiques et sensibles des domaines de la défense et de la santé notamment. Cette solution sécurisée autorise l'usage de clouds collaboratifs tout en permettant un contrôle des données, des processus et de la propriété intellectuelle25(*).

2. Une intervention dans des domaines sensibles (transport, spatial, douanes, services de secours et d'urgence)

Le groupe Atos intervient dans des domaines particulièrement sensibles tels que la sécurité dans les transports. Atos, Axione et Siemens ont ainsi remporté le marché de fourniture, mise en oeuvre et maintenance du réseau multi-services et du système de vidéosurveillance de trois des quatre futures lignes de métro (15, 16 et 17) du Grand Paris Express, le plus grand projet de transport urbain en Europe26(*).

Dans le domaine spatial, Atos a remporté le renouvellement d'un accord-cadre d'une durée de six ans avec le Centre national d'études spatiales (CNES) pour la fourniture de services d'ingénierie et d'informatique spatiale. Le CNES a retenu Atos comme chef de file de l'un des cinq groupements d'acteurs français et européens qui contribuent à ses différents programmes civils, scientifiques et militaires au sein de l'accord-cadre Ingénierie Bord et Informatique Spatiale (IBIS)27(*).

Atos est en outre le gestionnaire du portail informatique des douanes et de logiciels pour les services de secours et d'urgence.

3. Un rôle stratégique dans le nucléaire civil

Le groupe Atos est un fournisseur essentiel d'EDF dans le domaine du nucléaire civil.

EDF a ainsi recours depuis une dizaine d'années aux supercalculateurs d'Atos pour mener des études dans plusieurs domaines : comportement des ouvrages, de leur tenue au vieillissement, de leur résistance à certains évènements internes comme externes (incendie, séismes, etc.), ou encore de la performance de leur exploitation.

Par ailleurs, Atos, via sa filiale Worldgrid, est spécialisé dans le développement de logiciels pour les systèmes de contrôle-commande des centrales nucléaires, se concentrant principalement sur le volet « logiciel » (niveau 2/IHM, cf. schéma ci-après). Cette expertise s'applique à la conception et à la mise en oeuvre de nouvelles solutions, notamment pour les EPR2, ainsi qu'à la rénovation et à la maintenance des installations existantes en exploitation.

Architecture d'un système de contrôle-commande

Source : EDF, réponses au questionnaire des rapporteurs

Atos a par exemple fourni le système de contrôle-commande pour les centrales de type N4 (telles que celles de Civaux et de Chooz) dans les années 1990. Depuis 2022, EDF et Atos ont engagé un contrat à long terme jusqu'en 2035 pour moderniser et maintenir opérationnelles l'ensemble des centrales nucléaires françaises. Enfin, dans le cadre des campagnes de rénovation en cours, il est prévu qu'Atos équipe l'ensemble des salles de commande des centrales nucléaires françaises, à l'exception de celle de l'EPR de Flamanville 3 (fournie par Siemens).

Dans le cadre du projet de construction de six nouvelles centrales EPR2 en France, Worldgrid, en partenariat avec Schneider Electric, a conclu un important contrat avec le groupe EDF en juillet 2023, qui vise à fournir des systèmes de contrôle-commande standard de niveau 1 pour ces nouvelles installations.

Les rapporteurs considèrent par conséquent comme essentiel de garantir la pérennité et de préserver dans le giron national un acteur tel que Worldgrid, dont les compétences ont été présentées en auditions comme uniques, alors que la France s'est engagée dans un mouvement de relance de sa filière nucléaire afin de garantir sa souveraineté énergétique.

4. Un prestataire important des Jeux olympiques et paralympiques de Paris

Depuis les Jeux olympiques d'hiver de Salt Lake City en 2002, Atos fournit des solutions informatiques au Comité international olympique, dont il est le « partenaire informatique mondial ».

Historique des solutions informatiques fournies par Atos au Comité international olympique

Source : https://Atos.net/fr/jeux-olympiques

À ce titre, Atos est chargé du développement d'une partie des « applications régaliennes » telles que le système de gestion olympique (ou Olympic management system, OMS), qui fournit le portail des volontaires comprenant les formulaires de candidature, le calendrier des compétitions, l'interface de gestion des revenus et des dépenses, la distribution des uniformes, etc., ou encore le système de diffusion olympique (ou Olympic diffusion system, ODS), système de transmission des données (résultats et informations générales) pendant les jeux, données destinées aux commentateurs, aux sites web, à la presse, aux fédérations et au comité d'organisation28(*).

Par ailleurs, en avril 2021, Atos et le Comité d'organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques Paris 2024 ont annoncé avoir conclu un partenariat faisant de l'entreprise « à titre exclusif, supporteur officiel en services et opérations de cybersécurité pour l'événement »29(*).

Dans ce cadre, Atos est notamment chargé, sous la direction de personnels du comité d'organisation, de l'exploitation du centre opérationnel technologique (TOC) qui assurera le suivi et le contrôle des systèmes informatiques qui soutiennent le bon déroulement des épreuves au sein des 63 sites olympiques et paralympiques, 7 jours sur 7 et 24 heures sur 2430(*).

Enfin, Atos est chargé de l'administration des environnements hébergés sur le cloud public, de l'hébergement dans ses propres centres de données ainsi que de l'administration des applications contenant des données sensibles sur un cloud privé dédié aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024.

DEUXIÈME PARTIE
ANATOMIE D'UNE CHUTE

I. DEPUIS 2021, LE GROUPE FAIT FACE À UNE DÉGRADATION CONTINUE DE SA SITUATION ÉCONOMIQUE

1. L'irrésistible progression de la dette

Entre 2008 et 2022, la dette brute (total des passifs financiers) du groupe a été multipliée par plus de 8, passant de 590 M€ à 4,9 Mds€.

Évolution de la dette brute entre 2008 et 2022

Source : rapports annuels, documents de référence, documents d'enregistrement universel
et états financiers consolidés

Sa dette nette (dette brute - trésorerie brute - actifs financiers de court terme) a quant à elle été multipliée par plus de 7 entre 2008 et 2023, passant de 304 M€ à 2,2 Mds€.

Évolution de la dette nette entre 2008 et 2023

Source : mission d'information, d'après des données communiquées par Atos

La question du niveau d'endettement net du groupe en 2018, 2019 et 2020 a été soulevée à plusieurs reprises lors des auditions ainsi que dans certains médias. Au regard des éléments qui ont été portés à la connaissance des rapporteurs, ceux-ci constatent que le groupe affichait bien une dette nette de 2,9 Mds€ au 31 décembre 2018 (correspondant pour l'essentiel au prix d'acquisition de la société Syntel). Ils relèvent cependant que plusieurs cessions d'actions de la société Atos Worldline sont intervenues en octobre 201931(*) (pour un montant de 1,2 Md€) puis en février 202032(*) (pour un montant de 1,5 Md€), permettant une diminution significative du niveau d'endettement net au cours de ces deux années. Sur la même période, la dette brute de l'entreprise a connu une évolution similaire même si cette dernière s'est maintenue à un niveau élevé, passant d'un niveau moyen s'élevant à près de 970 M€ entre 2008 et 2018 à un niveau moyen se situant à plus de 4,5 Mds€ entre 2018 et 2022.

Corollaire de l'accroissement de son niveau d'endettement au cours des dernières années, le groupe doit désormais faire face à d'importantes échéances de remboursement à court et moyen termes, de l'ordre de 4,9 Mds€ d'ici la fin de l'année 2029.

Signe de la dégradation des perspectives de l'entreprise, l'agence S&P dégradé à plusieurs reprises sa note de crédit, qui est passée de BBB+ en 2021 à CCC- en avril 2024. Cette agence envisage une restructuration de la dette comme probable dans les six prochains mois.

2. Une performance économique en berne

Au cours des cinq dernières années, la marge opérationnelle - qui mesure la rentabilité intrinsèque de l'activité de l'entreprise - a connu une forte dégradation, passant de 10,3 % du chiffre d'affaires en 2019 à 4,4 % du chiffre d'affaires en 2023.

Évolution de la marge opérationnelle

Source : mission d'information, d'après des données communiquées par Atos

Ces niveaux sont nettement inférieurs à ceux de ses concurrents, dont les marges opérationnelles atteignent 9,4 % pour Sopra Steria et 13,3 % pour Capgemini, par exemple.

Les résultats de l'année 2023, présentés le 26 mars 2024, permettent d'établir un bilan plus précis de la santé financière du groupe33(*).

Il apparaît ainsi que si l'entité Eviden a enregistré une croissance organique de + 2,9 %, ni les activités de BDS ni les activités digitales n'ont surperformé, les premières ayant réalisé une croissance « milieu de fourchette » et les secondes une croissance « bas de fourchette ». De même, son taux de marge opérationnelle, bien qu'en progression (5,2 % du chiffre d'affaires en 2022), demeure modeste (5,8 % du chiffre d'affaires).

L'entité Tech Foundations a quant à elle enregistré un recul organique de - 1,7 % et sa marge opérationnelle, en croissance par rapport à 2022 (1,3 % du chiffre d'affaires), s'est établie à 3,1 % du chiffre d'affaires.

Le résultat opérationnel du groupe a pour sa part connu une baisse significative, passant de - 795 M€ en 2022 à - 3,1 Mds€ en 2023.

Enfin, l'entreprise relève que son flux de trésorerie disponible « est ressorti à - 1 078 millions d'euros pour l'ensemble de l'année, reflétant des coûts de restructuration et de séparation en hausse de 377 millions d'euros par rapport à 2022 et une baisse des actions sur le fonds de roulement de 502 millions d'euros comparés à l'année précédente ». En d'autres termes, en 2023, les activités du groupe ont consommé plus de trésorerie qu'elles n'en ont générée.

3. Un effondrement du cours de bourse

Au cours des quatre dernières années, le cours de l'action Atos a chuté de plus de 97 %, passant de 81 € en février 2020 à moins de 2 € en avril 2024.

Par ailleurs, la volatilité du titre s'est accentuée depuis le mois de juin 2022, entraînant le déclenchement de mécanismes de protection des marchés d'Euronext à plus de 70 reprises, lors des 44 journées de fortes variations du cours de bourse d'Atos.

Évolution du cours de l'action Atos entre février 2020 et avril 2024

Source : mission d'information, d'après des données Boursorama

Au total, la capitalisation boursière de l'entreprise a chuté, passant d'un peu plus de 8 Mds€ fin 201934(*) à un peu plus de 200 M€ en avril 2024, soit une division par 40 de sa valorisation.

Différentes raisons peuvent expliquer cette évolution (voir en particulier les conséquences de certains choix stratégiques rappelés infra). Lors des auditions, plusieurs intervenants ont souligné qu'Atos pourrait être actuellement l'une des entreprises européennes les plus exposées au phénomène de vente à découvert, pratique consistant à vendre des titres que l'on ne détient pas en anticipant une baisse de leur valeur. Les fonds vendeurs à découvert représentent ainsi de l'ordre de 20 % du capital de l'entreprise, mais ce pourcentage pourrait être en réalité bien supérieur35(*).

Liste des fonds en position de vente à découvert sur Atos au 30 avril 2024

Fonds

Début de position

 % du capital

Nombre d'actions

Position en valeur (M€)

ASTARIS CAPITAL MANAGEMENT LLP

08/08/2023

4,19 %

4 666 068

9,55

MILLENNIUM CAPITAL PARTNERS LLP

22/08/2023

3,91 %

4 354 254

8,91

MELQART ASSET MANAGEMENT (UK) LTD

10/10/2023

2,51 %

2 795 186

5,72

QUBE RESEARCH & TECHNOLOGIES LIMITED

31/08/2023

1,80 %

2 004 516

4,1

TFG ASSET MANAGEMENT UK LLP

12/01/2024

1,62 %

1 804 064

3,69

WHITEBOX ADVISORS LLC

15/02/2024

1,31 %

1 458 842

2,99

BG MASTER FUND ICAV

11/04/2024

1,30 %

1 447 706

2,96

B&G MASTER FUND PLC

06/12/2023

1,21 %

1 347 480

2,76

JANE STREET GROUP, LLC

22/08/2023

1,20 %

1 336 344

2,74

KITE LAKE CAPITAL MANAGEMENT (UK) LLP

30/11/2023

0,73 %

812 943

1,66

SIH PARTNERS LLLP

19/03/2024

0,52 %

579 082

1,19

TOTAL

 

20,30 %

22 606 486

46,28 M€

Source : https://www.abcbourse.com/marches/vadposition/FR0000 051 732

Un tel phénomène est par nature fortement déstabilisateur pour une entreprise dans la mesure où, d'une part, il nourrit un climat spéculatif à la baisse et, d'autre part, il peut être à l'origine d'une forme de « prophétie autoréalisatrice » du fait de l'activisme de certains acteurs sur des blogs ou dans des médias par exemple.

II. LES RESSORTS D'UN REGRETTABLE FIASCO

Les rapporteurs estiment qu'il est facile de juger a posteriori la pertinence des choix stratégiques effectués par les dirigeants successifs d'Atos. Il est donc important de se replacer dans le contexte où ces décisions ont été prises. Certains choix pouvaient sembler pertinents à l'époque, même s'ils ont pu être considérés comme des erreurs stratégiques par la suite.

Dans le cadre du présent rapport, les rapporteurs se sont donc concentrés sur les principaux facteurs expliquant la situation actuelle du groupe Atos, tels qu'identifiés par les personnes entendues lors des auditions.

A. LA PÉRIODE « BRETON » (2008-2019) : UNE ENTREPRISE QUI S'EST FORTEMENT DÉVELOPPÉE, MAIS DES CHOIX STRATÉGIQUES AUJOURD'HUI CONTESTÉS

1. Des virages technologiques pris trop tardivement
a) Une prise en compte tardive du mouvement de migrations vers le cloud public

Malgré un positionnement précoce sur les clouds privé et hybride, Atos n'a pas su anticiper le virage du cloud public en investissant massivement ce champ pour s'imposer comme un acteur de référence à l'instar des principaux acteurs du cloud public (« hyperscalers ») américains.

L'avènement du cloud a constitué une rupture technologique majeure qui a durement frappé l'activité traditionnelle d'Atos, celle de l'infogérance, incluant la gestion des infrastructures d'hébergement de données, premièrement développées en interne par les directions informatiques des entreprises, puis externalisées. Cette transition a engendré des difficultés techniques et opérationnelles, incluant la diminution des revenus, une pression sur les prix, ainsi qu'une détérioration des marges et des flux de trésorerie.

Le développement, relativement récent, de partenariats avec Microsoft, Amazon Web Services ou encore Google Cloud, vise à rattraper ce retard.

Cloud privé, public et hybride

Le cloud fait référence à l'utilisation de la mémoire et des capacités de calcul des ordinateurs et des serveurs répartis dans le monde entier et liés par un réseau. Les applications et les données ne se trouvent plus sur un ordinateur déterminé, mais dans un nuage (cloud) composé de nombreux serveurs distants interconnectés36(*).

Trois types de cloud peuvent être distingués :

- le cloud public dans lequel « les ressources (telles que les serveurs et le stockage) sont détenues et exploitées par un fournisseur de service cloud tiers, et livrées via Internet. Dans un cloud public, tout le matériel, tous les logiciels et toute l'infrastructure sont la propriété du fournisseur du cloud » ;

- le cloud privé qui consiste « en l'ensemble des ressources de cloud computing qu'une entreprise ou une organisation utilise en exclusivité. Le cloud privé peut être situé physiquement dans le centre de données local [...], ou être hébergé par un fournisseur de services tiers. Toutefois, dans un cloud privé, la maintenance des services et de l'infrastructure est toujours effectuée sur un réseau privé. Ainsi, un cloud privé peut faciliter pour une entreprise la personnalisation de ses ressources en fonction de besoins informatiques spécifiques. Les clouds privés sont souvent le choix d'organismes publics, d'institutions financières et d'autres organisations de taille moyenne à grande, dont les opérations stratégiques doivent se dérouler dans un environnement soumis à un contrôle optimal » ;

- le cloud hybride qui « associe une infrastructure locale (ou un cloud privé) à un cloud public. Les clouds hybrides permettent aux données et aux applications de se déplacer entre les deux environnements. De nombreuses entreprises choisissent une approche de cloud hybride en raison des impératifs liés à leur activité, tels que la satisfaction des exigences de réglementation et de souveraineté des données, la volonté de tirer pleinement parti des investissements en technologie locale ou la résolution des problèmes de faible latence »37(*).

Certaines personnes entendues en audition ont cependant rappelé que faire le pari du cloud public dans le courant des années 2010 était loin d'aller de soi. Par ailleurs, il n'était pas illogique qu'Atos se concentre sur les activités pour lesquelles l'entreprise avait développé une expertise reconnue, en particulier la gestion d'infrastructures informatiques.

b) Une stratégie d'« offshoring » en retard sur ses concurrents

Actuellement, les effectifs offshore du groupe Atos représentent environ 38 % des effectifs totaux, un pourcentage qui demeure en-deçà de celui observé chez ses concurrents, atteignant généralement les 50 % voire 75 % pour certaines entreprises telles qu'Accenture. Lors de son audition38(*), M. Paul Saleh, directeur général d'Atos, a ainsi indiqué : « nos concurrents sont mieux positionnés dans des pays moins coûteux, dans l'offshore ou encore dans le bestshore, par exemple en Pologne, où il y a de nombreux talents qui coûtent moins cher ».

De plus, ce n'est qu'à partir de l'acquisition de Syntel en 2018, entreprise employant 18 000 collaborateurs en Inde, qu'Atos a véritablement élargi ses capacités offshore. Jusqu'alors, selon certaines personnes entendues, le groupe avait privilégié le nearshore en Afrique du Nord.

Selon plusieurs personnes entendues, le « retard » pris par Atos dans ce domaine par rapport à ses concurrents a pu nuire à sa compétitivité prix et a eu des conséquences négatives sur sa marge.

2. Des acquisitions sur des marchés en décroissance structurelle ou pour un prix trop élevé

Comme il a été rappelé supra, au cours de la période 2008-2022, Atos a procédé à 43 acquisitions, dont 22 acquisitions jusqu'en 2019 et 21 acquisitions de 2020 à 2022.

Les prix d'acquisitions ont été communiqués pour seulement 9 d'entre elles, lesquelles représentaient un total atteignant de l'ordre de 6,5 Mds€. Le prix d'achat des 34 autres acquisitions n'a en revanche pas été rendu public.

Les opérations majeures ont été concentrées sur la période allant de 2011 à 2018, avec notamment l'acquisition de Siemens IT en 2011, Bull en 2014, Xerox ITO en 2015 et Syntel en 2018.

L'achat de Siemens IT a été réalisé en contrepartie d'une participation de 15 % au capital d'Atos Origin, d'obligations pour un montant de 250 M€ et d'un montant en numéraire de 176 M€. Cette opération permettait à Atos de renforcer son positionnement sur son coeur de métier, l'infogérance, et d'atteindre une taille critique lui permettant de répondre à certains appels d'offre. Elle traduisait en outre la volonté de faire d'Atos une entreprise européenne de plus grande envergure. Le nombre de salariés du groupe est ainsi passé de 49 000 à 78 500 après cette acquisition.

Néanmoins, comme cela a été indiqué à de nombreuses reprises au cours des auditions, cette opération s'est portée sur une entreprise active sur un marché en déclin structurel. Le maintien d'un niveau de rentabilité satisfaisant aurait nécessité d'importantes restructurations compte-tenu des coûts liés à la structure des ressources humaines. Or, alors que Siemens avait contribué à hauteur de 250 M€ aux coûts d'intégration et de formation de ses salariés, ces restructurations auraient été insuffisamment mises en oeuvre au cours des années qui ont suivi l'opération.

L'achat de Bull en 2014, pour un montant de 604 M€, a été quasi unanimement présenté en audition comme un choix pertinent qui a permis à Atos d'acquérir des compétences technologiques très importantes pour le groupe et stratégiques pour la France. 9 200 salariés ont ainsi été intégrés au sein d'Atos. Elle a notamment permis des développements sur dans les domaines du big data, du HPC et de la cybersécurité.

L'acquisition de Xerox ITO en juin 2015, pour laquelle Atos a versé 811 M€, visait notamment à permettre à Atos de poursuivre le développement de son activité aux États-Unis. Néanmoins, comme pour l'achat de la branche information de Siemens, cette acquisition, qui a vu l'intégration de 9 800 salariés, s'est portée sur une entreprise active sur un marché en décroissance.

L'achat de Syntel en 2018 fait l'objet d'un regard plus critique et nuancé de la part des personnes entendues par les rapporteurs. Certaines d'entre elles ont présenté cette opération comme stratégiquement nécessaire en permettant à Atos de suivre, bien qu'avec retard, le virages pris par ses concurrents en développant une partie de son activité en Inde (18 000 salariés sur les 23 000 que comptait l'entreprise). D'autres ont présenté le prix d'achat de Syntel (3,4 Mds$) comme trop élevé, estimant que cette acquisition, financée via de l'endettement bancaire, contrairement aux acquisitions d'envergure qui avaient été réalisées jusqu'alors, avait contribué à la dégradation de la situation financière de l'entreprise.

3. Une succession mal préparée après une « décennie de stabilité »

Le 16 novembre 2008, Thierry Breton a été nommé à l'unanimité président du directoire par le conseil de surveillance d'Atos Origin en remplacement de Philippe Germond39(*). Alors qu'Atos Origin a le statut de société anonyme dotée d'un directoire et d'un conseil de surveillance, il est prévu que la société fasse évoluer son mode de gouvernance pour devenir une société anonyme à conseil d'administration. Ainsi, près de trois mois plus tard, le 10 février 2009, Thierry Breton est unanimement élu président-directeur général (PDG) d'Atos Origin, rebaptisé Atos dès 2011, exerçant à la fois les fonctions de directeur général et de président exécutif du conseil d'administration40(*).

Pendant plus de dix ans, Atos conserve un système moniste avec une gouvernance unifiée autour d'une fonction exécutive unique de PDG exercée sans discontinuité par Thierry Breton. Toutefois, il ressort des auditions menées par les rapporteurs que ce mode de gouvernance a précipitamment évolué à la suite de la proposition de nomination de Thierry Breton comme commissaire européen, annoncée le 24 octobre 2019 par le président de la République à la suite du rejet de la candidature de Sylvie Goulard par le Parlement européen le 10 octobre 2019.

Dès l'officialisation de cette annonce, Atos indique publiquement que l'entreprise dissociera à compter du 1er novembre 2019 les fonctions de président du conseil d'administration et de directeur général sur la recommandation du comité des nominations et des rémunérations du conseil d'administration41(*).

Si un tel modèle de gouvernance est courant dans les pays anglo-saxons et tend à se développer de plus en plus en France, avec aujourd'hui une majorité d'entreprises du SBF 120 ayant adopté une gouvernance exécutive duale, cette évolution a été rapidement décidée pour permettre à Thierry Breton de se présenter à son audition de nomination devant le Parlement européen sans assurer de responsabilité opérationnelle ni exercer aucun mandat au sein d'Atos. Ainsi, à compter du 1er novembre 2019, Élie Girard, alors directeur général délégué, est nommé directeur général tandis que Bertrand Meunier, membre du conseil d'administration depuis 2008, est nommé président du conseil d'administration42(*).

Après avoir été auditionné le 14 novembre 2019 par le Parlement européen qui a approuvé sa candidature, Thierry Breton est nommé, à compter du 1er décembre 2019, commissaire européen au marché intérieur chargé de la politique industrielle, du tourisme, du numérique, de l'audiovisuel, de la défense et de l'espace.

Depuis, la gouvernance d'Atos est demeurée identique, c'est-à-dire avec une dissociation des fonctions, la présidence du conseil d'administration ayant été exercée par Bertrand Meunier du 1er novembre 2019 au 15 octobre 2023 et depuis par Jean-Pierre Mustier43(*), tandis que de nombreux directeurs généraux désignés par le conseil d'administration se sont succédé.

À l'issue des nombreuses auditions menées par les rapporteurs, il apparaît que cette dissociation des fonctions de président et de directeur général est davantage perçue comme source de complexité et facteur d'instabilité que comme facilitatrice de la conduite de l'entreprise, d'autant plus que ce changement de gouvernance a été mis en oeuvre précipitamment après une « décennie de stabilité » pour permettre avant tout à Thierry Breton d'être nommé commissaire européen.

B. DEPUIS 2019 : UNE GOUVERNANCE TITUBANTE, UNE SUCCESSION DE STRATÉGIES HÉSITANTES ET UNE SCISSION ENCORE BALBUTIANTE

1. Une gouvernance titubante mise à mal par la dispersion progressive de l'actionnariat

Au cours des travaux menés par les rapporteurs, il a presque été unanimement reconnu que la dispersion progressive de l'actionnariat d'Atos et l'absence d'actionnaire de référence à un moment où l'entreprise doit prendre des décisions importantes pour surmonter ses difficultés ne sont de nature ni à permettre de prendre des « choix forts », ni à faciliter l'impulsion d'une stratégie de long terme par le conseil d'administration.

Au regard des informations transmises à cette mission d'information, 16 changements dans la composition du conseil d'administration ont été recensés en dix ans, entre 2009 et 2019, contre 19 changements à partir de 2020.

En 2015 déjà, l'actionnariat d'Atos et la composition de son conseil d'administration ont significativement changé, avec le retrait du capital de la société de gestion PAI Partners annoncé au mois de février, puis la démission du conseil d'administration de Michel Paris annoncée au mois d'avril, alors que cet actionnaire de référence avait joué un rôle moteur dans le développement de l'entreprise.

La composition du conseil d'administration, dont l'évolution depuis 2009 figure en annexe du présent rapport, a été un sujet récurrent de discussion et de critiques lors des auditions menées par les rapporteurs, de nombreuses personnes entendues estimant que le conseil d'administration manque, en plus d'un actionnaire de référence, de personnalités de premier plan avec une bonne connaissance des enjeux industriels de grands groupes.

En 2022, Atos perd justement son dernier et premier actionnaire de référence avec l'annonce du retrait progressif de Siemens du capital d'Atos. Ainsi au mois d'avril, Cédrik Neike, membre du directoire de Siemens AG, démissionne du conseil d'administration d'Atos44(*) au sein duquel il siégeait depuis 2020 en remplacement de Roland Busch qui y siégeait depuis 2011, consécutivement à l'acquisition de Siemens IT & Solutions Services par Atos. Par conséquent, le 28 octobre 2022, le fonds de pension de Siemens a déclaré à l'Autorité des marchés financiers (AMF) avoir franchi en baisse les seuils de 5 % du capital et des droits de vote d'Atos après que le groupe allemand a été le plus important actionnaire de référence d'Atos qui lui avait cédé 15 % de son capital en 2011 pour un montant de 414 millions d'euros dans le cadre de l'acquisition de Siemens IT & Solutions Services.

Après une période de flottement de plus d'un an, la montée progressive de la société OnePoint de David Layani au capital d'Atos a permis à l'entreprise de retrouver un actionnaire de référence qui détient désormais 11,4 % du capital et des droits de vote, lui permettant de disposer désormais de deux administrateurs au sein du conseil d'administration.

Composition actuelle du conseil d'administration d'Atos

Quatorze membres composent actuellement le conseil d'administration institué en 2009 à la suite de la transformation d'Atos en société anonyme à conseil d'administration, dont :

- neuf administrateurs indépendants : Mmes Sujatha Chandrasekaran, Monika Maurer, Astrid Strange, Françoise Mercadal-Delasalles et Elizabeth Tinkham ainsi que MM. Jean-Pierre Mustier, Laurent Collet-Billon, Jean-Jacques Morin et Alain Crozier ;

- deux administrateurs représentant l'actionnaire OnePoint : Mme Helen Lee Bouygues et M. David Layani ;

- deux administrateurs représentant les salariés : Mme Mandy Metten et M. Farès Louis ;

- un administrateur représentant les salariés actionnaires : Mme Kat Hopkins.

Il ressort des auditions que l'arrivée d'un nouvel actionnaire de référence est perçue de façon positive par une grande majorité des parties prenantes internes et externes à l'entreprise. En effet, la présence d'un actionnaire de référence de long terme est de nature à stabiliser le conseil d'administration, qui a connu de nombreux changements ces dernières années, ainsi qu'à faciliter les relations avec la direction générale qui doit aujourd'hui prendre un grand nombre de décisions opérationnelles afin de redresser la situation d'Atos.

2. Une gouvernance titubante mise à mal par la valse des dirigeants successifs

Dans le cadre de leurs travaux, les rapporteurs ont été attachés à auditionner les dirigeants successifs d'Atos afin d'évaluer l'évolution de la gouvernance de l'entreprise jusqu'à aujourd'hui. Ainsi, ont été entendus :

- Thierry Breton, président-directeur général d'Atos du 10 février 2009 au 31 octobre 2019 ;

- Bertrand Meunier, président non exécutif du conseil d'administration du 1er novembre 2019 au 15 octobre 2023, soit pendant près de quatre ans ;

- Élie Girard, directeur général du 1er novembre 2019 au 22 octobre 2021, soit pendant près de deux ans ;

- Pierre Barnabé, directeur général par intérim du 22 octobre 2021 au 1er janvier 2022, soit moins de trois mois ;

- Rodolphe Belmer, directeur général du 1er janvier 2022 au 13 juillet 2022, soit pendant environ sept mois ;

- Nourdine Bihmane et Philippe Oliva, directeurs généraux du 13 juillet 2022 au 4 octobre 2023, soit pendant un peu plus d'un an ;

- Yves Bernaert, directeur général du 4 octobre 2023 au 14 janvier 2024, soit pendant environ trois mois ;

- Jean-Pierre Mustier, président non exécutif du conseil d'administration depuis le 16 octobre 2023 ;

- Paul Saleh, directeur général depuis le 15 janvier 2024.

Au regard des auditions menées, les rapporteurs constatent que la dissociation des fonctions de président et de directeur général a facilité les changements successifs de directeurs généraux nommés par le conseil d'administration. Il est notamment apparu que l'exercice de la fonction de directeur général par intérim entre octobre 2021 et janvier 2022 ou la délégation de cette fonction à un « triumvirat » de dirigeants entre juillet 2022 et octobre 2023 étaient des configurations assez inhabituelles pour des groupes de l'envergure de celle d'Atos. À cette période, Nourdine Bihmane était chargé de la direction de l'entité Tech Foundations, Philippe Oliva de celle de l'entité Eviden et Diane Galbe de mener à bien la nouvelle stratégie de l'entreprise et notamment son projet de scission en deux entités.

Par ailleurs, les rapporteurs relèvent qu'il y a eu six directeurs généraux en trois ans et que la moitié des directeurs généraux nommés depuis 2019 ont exercé leurs fonctions pendant moins d'un an. Cette discontinuité est d'autant plus dommageable que chaque directeur général a dû s'approprier les projets de ses prédécesseurs, tout en cherchant à marquer l'entreprise de son empreinte et à renégocier les termes des transactions en cours, au détriment de la conduite d'une stratégie de long terme, de la stabilité de la gouvernance et des gages de confiance et de réassurance demandés par les parties prenantes internes et externes de l'entreprise.

3. Une succession de stratégies hésitantes mal perçues par les marchés financiers

Ces dernières années, la forte discontinuité dans la gouvernance d'Atos a indéniablement conduit à des errances et à des interruptions dans la conduite de l'entreprise dont les changements successifs de stratégie ont été mal appréhendés par les marchés financiers.

Ainsi, dès 2020, de nouvelles acquisitions sont effectuées afin de diversifier le portefeuille d'activités du groupe Atos et d'amorcer un repositionnement vers des secteurs considérés comme ayant un fort potentiel de développement tels que le conseil en transformation numérique aux entreprises, le cloud privé, la cybersécurité, l'analyse de données, l'intelligence artificielle ou encore la décarbonation. Dans cette perspective, les sociétés Maven Wave, Miner & Kasch, Alia Consulting, EcoAct, Paladion, SEC Consult Group, Edifixio, In Fidem, Ipsotek, Visual BI, DataSentics ou encore Cloudreach ont par exemple été acquises par Atos, à des prix qui n'ont pas été communiqués à la mission d'information.

Si les acquisitions sont nombreuses, au nombre de 21 entre 2020 et 2022, elles ciblent toutes des sociétés de plus petite taille et positionnées sur des marchés spécifiques. Cette forte diversification a conduit le groupe Atos à opérer dès 2022, soit seulement deux ans plus tard, un recentrage de son positionnement et une rationalisation de son portefeuille d'activités.

À cette période, les rapporteurs relèvent qu'une tentative d'acquisition a été mal perçue par les marchés financiers. En effet, il ressort des auditions que l'intérêt d'Atos pour l'entreprise américaine DXC Technology, issue d'Hewlett Packard (HP), marque un tournant majeur dans la perception du groupe par les marchés financiers. À la suite de plusieurs « rumeurs de marché » et de la publication d'articles de presse faisant état de l'intérêt d'Atos pour cette société à un prix de valorisation de l'ordre de 10 milliards de dollars, le groupe indique, dans un communiqué du 7 janvier 2021, « avoir approché DXC Technology concernant une transaction amicale potentielle »45(*).

Selon les informations publiques d'Euronext Paris, ce même jour, le prix de l'action a diminué de 13 %, passant de 75,2 € la veille à 65,4 € à la clôture des marchés, conduisant l'opérateur de marché à mettre en place un système de réservation ce jour-là afin de stabiliser le cours de l'action devenu fortement volatile.

S'il n'y a pas eu d'offre publique d'achat (OPA) au sens strict du terme, il y a tout de même eu une phase exploratoire pendant laquelle le groupe Atos a missionné la banque d'affaires JP Morgan pour effectuer les vérifications nécessaires préalables à toute transaction éventuelle (due diligence). Toutefois, dans un communiqué du 2 février 2021, il est indiqué que le conseil d'administration d'Atos « a décidé à l'unanimité de ne pas poursuivre une éventuelle transaction avec DXC Technology »46(*).

Même si la transaction ne s'est pas concrétisée, la très grande majorité des personnes auditionnées s'accordent à dire que cet évènement a été mal perçu par les marchés financiers, marquant une perte de confiance auprès des investisseurs ainsi que le début de la baisse durable de la valorisation de l'entreprise dont le cours de l'action n'a jamais retrouvé le niveau atteint à l'ouverture des marchés le 7 janvier 2021. Le Conseil scientifique des Indices d'Euronext Paris a même annoncé quelques mois plus tard la sortie d'Atos du CAC 40, à compter du 17 septembre 2021, où l'entreprise était entrée en mars 2017.

Évolution du cours de bourse à la suite du communiqué de presse du 7 janvier 2021 relatif à l'acquisition de DXC Technology

Source : mission d'information, d'après des données Boursorama

S'il n'y a pas consensus quant à l'opportunité d'une telle transaction, l'entreprise DXC Technology étant parfois présentée comme le « jumeau d'Atos » sur le marché américain, ce qui aurait pu permettre une optimisation de l'outil industriel des services d'infogérance, un tel projet d'acquisition apparaît toutefois à rebours des autres acquisitions menées par Atos depuis 2020, expliquant sans doute en partie la réaction négative des marchés financiers à une telle annonce ainsi que la difficulté des rapporteurs à appréhender la stratégie de l'entreprise à cette période.

4. Une succession de plans de réorganisation interne aboutissant à une scission fortement contestée et entraînant plus de 700 M€ de dépenses
a) Une succession de plans de réorganisation interne contradictoires

Au-delà des errances quant à la stratégie de développement et de croissance d'Atos, les difficultés de gouvernance du groupe ont également conduit les directeurs généraux successifs à mettre en place des plans de réorganisation interne, parfois contradictoires entre eux, ce qui n'a pas été de nature à clarifier l'organisation de la « galaxie Atos », ni pour les salariés ni pour les clients et ni pour les investisseurs.

Dès février 2020, sous l'impulsion d'Élie Girard, un plan de réorganisation interne du groupe visant à mettre en place une organisation sectorielle est décidé. Nommé « SPRING », ce plan vise à valoriser l'expertise multi-sectorielle d'Atos afin de le positionner davantage en leader des services numériques et apparaît en soutien des multiples acquisitions ciblées effectuées à cette période dans les domaines du conseil en transformation numérique aux entreprises, du cloud privé, de la cybersécurité, de l'analyse de données ou encore de l'intelligence artificielle. Ainsi, dans un communiqué de presse du 24 juin 2020, faisant suite à la présentation de la nouvelle stratégie du groupe aux investisseurs, Élie Girard déclare notamment que « l'ambition d'Atos est de devenir le leader du numérique sécurisé et décarboné. Pour les années qui viennent, le Groupe se tourne avant tout vers la croissance, en s'appuyant sur son programme SPRING, afin d'adopter une approche sectorielle et saisir les nouvelles avancées du Cloud et du Digital de cette décennie »47(*).

Cette nouvelle organisation, dont la mise en oeuvre a été contrariée par la crise de la Covid-19 et fortement critiquée par des syndicats qualifiant son schéma de « Rubik Cube », conduit à la disparition des trois « divisions métiers » pour créer six nouvelles « divisions sectorielles » : production, télécommunications et médias, services financiers et assurances, ressources et services, secteur public et défense, santé et sciences de la vie.

Toutefois, dès l'arrivée de Rodolphe Belmer en tant que directeur général en janvier 2022, ce plan de réorganisation interne est abandonné seulement deux ans après son lancement au profit d'une nouvelle organisation réinstaurant trois « divisions métiers » : Big Data & Security (BDS), Digital et Tech Foundations.

Source : CGT Atos

b) Un projet de scission devenu effectif, mais toujours fortement contesté aujourd'hui

Seulement quelques mois plus tard, dans une série de communiqués de presse du 14 juin 2022, Atos annonce à la fois le départ de Rodolphe Belmer48(*) et étudier un nouveau plan de transformation et une possible séparation du groupe en deux sociétés cotées49(*).

Il est désormais question de créer deux entreprises distinctes qui seraient chacune spécialisée sur un segment d'activité, ce qui impliquerait de procéder à la cotation et à la distribution des actions d'une nouvelle société :

- la première dite « TFCo » qui conserverait le nom Atos, correspondrait au périmètre d'activités de Tech Foundations et serait dirigée par Nourdine Bihmane ;

- la seconde dite « SpinCo » qui prendrait le nom d'Evidian, correspondrait au périmètre réuni des activités de Digital et de BDS et serait dirigée par Philippe Oliva.

Une telle annonce a fait fortement réagir et a manifestement été mal perçue par les marchés financiers. Ainsi, selon les données publiques d'Euronext Paris, le prix de l'action a diminué de 23 % le 14 juin 2022, passant de 18,8 € la veille à 14,4 € à la clôture des marchés, conduisant l'opérateur de marché à mettre en place un système de cinq réservations ce jour-là afin de stabiliser le cours de l'action devenu fortement volatile. À date, seule l'annonce de la désignation d'un mandataire ad hoc le 5 février 2024 a conduit à une baisse plus importante du prix de l'action d'Atos. Il ressort par ailleurs des auditions menées par les rapporteurs que la communication autour de la décision de cette scission d'entreprise est jugée assez largement insuffisante par les parties prenantes internes comme externes du groupe.

Évolution du cours de bourse à la suite du communiqué de presse du 14 juin 2021 relatif au projet de scission du groupe

Source : mission d'information, d'après des données Boursorama

À cette période, le groupe a également estimé que si une telle scission devait avoir lieu, cela conduirait indéniablement à un nouveau plan de transformation de l'entreprise et un besoin de financement estimé à 1,6 Md€ sur 2022-2023 jusqu'à ce que la séparation en deux entités devienne effective.

c) Une réorganisation interne dont le coût faramineux est estimé à plus de 700 M€ et dont la pertinence reste à démontrer

Dans son point de marché du 26 mars 2024, le groupe Atos estime que les coûts de réorganisation se sont élevés à 696 M€, dont 343 M€ pour les « mesures d'adaptation des effectifs », ce qui désigne notamment les milliers de suppressions d'emplois induites par la restructuration des activités de Tech Foundations en Europe et notamment en Allemagne, et 353 M€ pour les coûts de séparation et de transformation, auxquels il convient d'ajouter 38 M€ de coûts de rationalisation et de frais associés50(*).

Afin de mener à bien son projet de scission, Atos a recouru à plusieurs cabinets de conseil, en particulier des cabinets de conseil en stratégie - principalement McKinsey et EY Parthénon - de conseils financiers - principalement Rothschild &CO, JP Morgan, Perella Weinberg et Alvarez & Marsal - et de conseils juridiques - principalement Darrois Villey Maillot Brochier, Baker McKenzie, Clifford Chance et EY Tax.

Si la pratique est courante pour ce type d'opérations complexes et sans remettre en cause la liberté d'une entreprise de recourir aux prestations de conseil de son choix, les rapporteurs s'étonnent du coût faramineux de la réorganisation du groupe, estimé à plus de 700 M€, surtout que ce montant représente plus de la moitié du besoin de financement global d'1,2 Md€ annoncé par Atos pour les années 2024-2025 et qu'une moindre dépense en réorganisation aurait permis de contribuer au désendettement de l'entreprise.

Au-delà du coût global estimé de la réorganisation du groupe, il ressort surtout des auditions menées par les rapporteurs que la scission d'Atos en deux entités continue de faire l'objet de nombreuses critiques de la part des parties prenantes internes et externes de l'entreprise.

Alors que l'objectif de la scission tel qu'annoncé le 14 juin 2022 est « d'optimiser notre performance dans les deux marchés distincts sur lesquels le Groupe est positionné, qui ont des dynamiques fondamentalement différentes : d'une part le marché lié aux infrastructures, requérant d'importants actifs, d'autre part le marché des applications digitales et de la sécurité » selon les termes employés par le directeur général de l'époque Rodolphe Belmer, la logique de cette séparation des activités continue de diviser.

D'un côté, les partisans de cette scission considèrent qu'il était pertinent de séparer les « métiers de croissance » des « métiers de décroissance » à l'image de ce qui a été fait en 2021 avec la séparation de Kyndryl, gestionnaire de services d'infrastructure, du groupe américain IBM. Il a également pu être considéré que la séparation de Tech Foundations, réunissant les activités en décroissance, permettrait d'améliorer la perception du reste du groupe sur les marchés financiers. De l'autre, ceux qui estiment que cette scission répond avant tout à une logique financière, et non à une vision industrielle, que les clients, les contrats et le chiffre d'affaires des deux entités demeurent en partie liés et imbriqués, conduisant à une « séparation sur papier » mais peu opérationnelle.

À l'issue de leurs travaux, les rapporteurs demeurent dubitatifs quant à la pertinence de cette séparation d'activités. Ils estiment par ailleurs que leurs doutes quant à une éventuelle porosité entre les contrats rattachés à l'entité Tech Foundations et ceux rattachés à l'entité Eviden, et en particulier à sa branche BDS réunissant des activités souveraines de premier plan, ne sont toujours pas écartés en l'absence de réponses claires et de transmission d'informations précises à ce sujet.

Les rapporteurs rappellent également que cette scission en deux entités s'est progressivement effectuée alors que les conditions initiales de sa réalisation annoncées par Atos ne sont toujours pas remplies, en particulier la cotation boursière distincte et l'augmentation de capital d'Eviden.

Enfin, les rapporteurs tiennent à souligner que cette scission demeure un choix parmi d'autres effectué par le conseil d'administration d'Atos à un moment et dans un contexte donnés, comme l'avait indiqué son président de l'époque Bertrand Meunier : « après avoir examiné un certain nombre d'options possibles, le Conseil d'administration d'Atos est convaincu que le projet envisagé, présenté aujourd'hui par l'équipe dirigeante, est la meilleure option possible pour le Groupe, et celle qui créerait le plus de valeur pour toutes les parties prenantes d'Atos »51(*).

Parmi les autres options envisagées avant l'annonce du projet de scission, figuraient soit la vente de Tech Foundations, soit la vente de Digital, soit la vente de BDS. En particulier, Rodolphe Belmer avait suggéré de vendre la branche BDS, dont la valorisation a pu être estimée entre 3 et 3,5 Mds€, à un moment où plusieurs acteurs tels que l'industriel Thales avaient publiquement exprimé leur intérêt éventuel pour toute cession d'actif de cybersécurité qui serait disponible à la vente. Toutefois, à cette période, le conseil d'administration d'Atos avait écarté toute cession de BDS, considérant qu'une telle opération marquerait le début du « démantèlement » du groupe.

5. Depuis l'annonce du plan de scission, une succession de tentatives de redressement mises à mal par la valse des repreneurs potentiels

L'annonce du plan de scission le 14 juin 2022 a suscité craintes et espoirs, confiance en l'avenir ou défiance supplémentaire à l'égard des dirigeants de l'entreprise, car il ressort des auditions menées par les rapporteurs que la séparation des activités d'Atos en deux entités distinctes a créé un « appel d'air » pour la cession d'actifs, de multiples plans et stratégies de reprise se succédant dès lors sans succès, chaque échec ayant contribué à faire diminuer davantage la valorisation de la société.

a) Un projet de cession de l'entité Tech Foundations à la société EPEI envisagé dès juillet 2022, mais aujourd'hui « en pause » à défaut d'autres offres sérieusement considérées

La société EP Equity Investment (EPEI) de Daniel Kretinsky a déclaré s'être intéressée à l'entité Tech Foundations d'Atos à compter de l'annonce du projet de scission le 14 juin 2022 et après avoir été mise en relation par la banque d'affaires Rothschild & Co.

Ainsi, la société EPEI a indiqué avoir signé un accord de confidentialité avec Atos dès le 18 juillet 2022, avec un projet de transaction reçu le 18 septembre 2022 et une confirmation d'intérêt pour le rachat de Tech Foundations en date du 18 octobre 2022. L'entrée en négociations exclusives avec la société EPEI a par la suite été annoncée par un communiqué du 1er août 2023 indiquant que le projet porte sur la cession « de 100 % de Tech Foundations, avec un impact positif net sur la trésorerie de 0,1 milliard d'euros et le transfert de 1,9 milliard d'euros d'engagements au bilan, conduisant à une valeur d'entreprise de 2 milliards d'euros »52(*). En parallèle, il était également prévu une augmentation du capital de 900 M€, avec une prise de participation de la société EPEI au capital d'Eviden à hauteur de 7,5 % incluant un prix unitaire de l'action majoré à 20 €, ainsi qu'un programme de cession d'actifs estimé à 400 M€.

Cette annonce a été mal perçue par les marchés financiers en raison des critiques liées à sa temporalité, aux termes financiers de la transaction envisagée et des risques évoqués pour la préservation de la souveraineté et des intérêts supérieurs de la Nation. Selon les informations publiques d'Euronext Paris, le prix de l'action a diminué de 4 % le 1er août 2023 puis de 16 % le lendemain, passant ainsi en deux jours de 9,4 € à 7,6 €.

Évolution du cours de bourse à la suite du communiqué de presse du 1er août 2023 relatif à l'entrée en négociations exclusives avec la société EPEI

Source : mission d'information, d'après des données Boursorama

Les rapporteurs relèvent que le projet de cession de Tech Foundations à la société EPEI n'a pas été approuvé à l'unanimité du conseil d'administration, qui n'était d'ailleurs pas réuni au complet, et que ce projet souffrait d'un manque d'informations fiables et claires sur la stratégie poursuivie comme sur ses conséquences financières et comptables.

Par ailleurs, il ressort également des auditions des rapporteurs que l'offre de rachat de la société EPEI de Daniel Kretinsky est la seule qui semble avoir été sérieusement considérée et évaluée par le conseil d'administration d'Atos avec lequel il semble avoir été difficile d'entrer en relation, plusieurs personnes entendues ayant indiqué avoir vu leur offre rapidement éconduite ou ne pas avoir eu l'opportunité de la présenter auprès d'Atos. Ainsi, il a été indiqué que plusieurs marques d'intérêt et lettres d'engagement non contraignantes ont été exprimées et reçues, par exemple de la part d'Astek ou du fonds d'investissement allemand Aurelius.

Après plusieurs mois de négociations et des tentatives successives des directeurs généraux d'Atos de modifier les termes financiers de la transaction envisagée, en particulier concernant l'impact net sur la trésorerie dans la mesure où le montant annoncé de 100 M€ a été jugé insuffisant par de nombreuses parties prenantes, la fin des négociations exclusives entre les deux sociétés a été annoncée le 28 février 2024, Atos ayant indiqué dans un communiqué qu'il n'y avait pas eu d'accord « sur les nouvelles conditions contractuelles et financières »53(*). Toutefois, les rapporteurs considèrent que sur la base de nouvelles conditions contractuelles et financières et selon l'évolution de la situation du groupe, il n'est pas exclu que la société EPEI entre de nouveau en négociations exclusives avec Atos, « au deuxième tour de table », pour le rachat de Tech Foundations.

b) Un projet de cession de la branche Big Data & Security aujourd'hui « questionné » au regard de la criticité de certaines de ses activités

Dans la continuité de l'annonce du plan de scission de l'entreprise indiquant la recherche d'un partenaire minoritaire et stratégique de long terme pour entrer au capital de la nouvelle entité créée, le groupe franco-allemand Airbus a premièrement indiqué envisager une prise de participation minoritaire à hauteur de 29,9 % d'Eviden. Si des discussions ont été engagées en février 2023, le groupe Airbus a indiqué le 29 mars 2023 y mettre fin54(*), tout en privilégiant un partenariat stratégique et technologique de long terme avec Eviden.

Selon les informations publiques d'Euronext Paris, ce même jour, le prix de l'action a diminué de 17 %, passant de 12,9 € la veille à 10,7 € à la clôture des marchés, conduisant l'opérateur de marché à mettre en place un système de réservation ce jour-là afin de stabiliser le cours de l'action devenu fortement volatile.

Évolution du cours de bourse à la suite du communiqué de presse du 29 mars 2023 relatif à la fin des discussions avec Airbus

Source : mission d'information, d'après des données Boursorama

Après cette première tentative de rapprochement entre les deux groupes, Airbus s'est intéressé au rachat de la branche BDS, ce qui a été officiellement confirmé par un communiqué de presse d'Atos du 3 janvier 2024 indiquant « l'ouverture d'une phase de due diligence avec Airbus pour la cession potentielle de l'intégralité du périmètre BDS »55(*). Toutefois, dans un communiqué du 19 mars 2024, soit environ deux mois plus tard, Airbus a indiqué mettre fin aux négociations en cours avec Atos pour le rachat de BDS56(*).

Il ressort des auditions menées par les rapporteurs que la gouvernance franco-allemande du groupe, ainsi que les difficultés liées à la délimitation du périmètre des activités de BDS et à l'identification de ses perspectives financières, ont pu contrarier ce projet de cession malgré un investissement, qui aurait été de l'ordre de 10 M€, pour cette due diligence. Au regard de l'historique des tentatives de rapprochement entre les deux entreprises et des synergies technologiques anticipées entre leurs activités, les rapporteurs n'excluent toutefois pas que le groupe Airbus s'intéresse de nouveau à un rachat d'actifs, sans doute sur un périmètre plus restreint que celui préalablement envisagé, ce qui permettrait éventuellement à d'autres industriels (Thalès, Dassault, etc.) de se positionner sur des segments plus spécifiques de BDS.

c) Un plan de reprise du groupe par la société OnePoint « en maturation » au regard de l'absence d'autres repreneurs officiels

Dans la continuité directe de l'annonce du plan de scission du 14 juin 2022, le groupe OnePoint fondé par David Layani, qui en est l'actionnaire principal à hauteur de 77 % - les 23 % restant étant détenu par les salariés - avait formulé une offre de rachat de la nouvelle entité Eviden pour un montant annoncé de 4,2 Mds€, mais cette offre a été déclinée par le conseil d'administration de l'époque. En effet, dans un communiqué du 29 septembre 2022, Atos confirme avoir reçu deux jours auparavant une marque d'intérêt préliminaire et non engageante du groupe OnePoint, le conseil d'administration ayant alors décidé à l'unanimité « que celle-ci n'est pas dans l'intérêt de la société et de ses parties prenantes »57(*).

En réaction à cette décision, le groupe OnePoint a détaillé son projet dans un communiqué publié le même jour, déclarant avoir l'ambition « de bâtir un champion français indépendant et d'envergure internationale »58(*) qui compterait plus de 60 000 collaborateurs et dont l'ambition serait d'atteindre, d'ici cinq ans, 100 000 collaborateurs et un chiffre d'affaires de 10 Mds€. Il est également précisé que cette acquisition serait financée par une levée de fonds propres de 2 Mds€ pilotée par « un fonds européen de premier plan », en l'espèce le fonds britannique ICG, ainsi que par une dette de 2,2 Mds€.

Il ressort des auditions menées par les rapporteurs que cette offre a été très rapidement éconduite, en deux jours, par le conseil d'administration d'Atos qui, au même moment, avait déjà engagé des discussions avec la société EPEI pour le rachat de Tech Foundations et une prise de participation au capital d'Eviden.

Malgré cette première déconvenue, le groupe OnePoint a maintenu son intérêt pour Atos et en est même devenu son premier actionnaire depuis le 1er novembre 2023 en annonçant détenir 9,9 % du capital et des droits de vote59(*), sachant qu'Atos n'avait plus d'actionnaire de référence depuis plus d'un an. Le 8 décembre 2023, le groupe OnePoint a finalement annoncé détenir 11,4 % du capital et des droits de vote de la société60(*). David Layani et Helen Lee Bouygues siègent désormais au conseil d'administration d'Atos afin d'y représenter OnePoint.

Au même moment que cette montée au capital, le groupe OnePoint a annoncé une opération de refinancement d'obligations existantes auprès de Carlyle Global Credit, une branche du gestionnaire américain d'actifs Carlyle, sous la forme d'obligations d'une maturité de huit ans dont le montant peut aller jusqu'à 500 M€. Face aux craintes exprimées par les rapporteurs, il a bien été précisé à la mission d'information que cette opération de refinancement n'a modifié ni la structure capitalistique ni la gouvernance du groupe OnePoint.

Désormais, David Layani se présente comme un actionnaire de référence, un investisseur de long terme et un partenaire industriel d'Atos. Il a ainsi décidé de détailler sa vision dans une interview accordée le 24 mars dernier au Figaro61(*). Il y fait notamment part de sa volonté de « faire d'Atos l'Airbus du cyber et du digital », de conserver l'intégrité du groupe et d'abandonner tout projet de cession.

Très récemment, son projet « OneAtos » a recueilli le soutien de la société d'investissement française Butler Industries, formant ainsi un consortium dont les trois priorités annoncées sont : la conservation de l'intégralité des actifs du groupe, le retour d'une trajectoire de croissance rentable et la restructuration de la dette62(*).

Ce projet doit encore être accepté par le conseil d'administration d'Atos comme l'a récemment déclaré Paul Saleh, directeur général d'Atos, lors de son audition devant le Sénat le 10 avril dernier : « nous travaillons étroitement avec Onepoint et son dirigeant M. Layani, et nous nous félicitons qu'il propose une solution pour l'entreprise, car il joue le rôle de pierre angulaire. Nous étudierons sa proposition en la mettant en perspective avec les autres solutions qui devraient nous être remises d'ici au 26 avril »63(*).

TROISIÈME PARTIE
UN REBOND POSSIBLE ET SOUHAITABLE

I. UNE PRISE DE CONSCIENCE TARDIVE ET INSUFFISANTE DE LA PART DE L'ÉTAT : CHRONIQUE D'« UNE ANNÉE PERDUE »

A. UNE VIGILANCE ADMINISTRATIVE MORCELÉE, INSUFFISANTE ET INÉGALE SELON LES MINISTÈRES CONCERNÉS

1. Une première mise en alerte à la suite de l'annonce du plan de scission de l'entreprise

Il ressort des auditions menées par les rapporteurs que l'annonce du plan de scission de l'entreprise du 14 juin 2022 a mis les services de l'État « en alerte », en particulier au sein du ministère des Armées. En effet, au regard de l'importance des activités d'Atos pour la défense nationale et dans la mesure où ce projet de scission a constitué un « appel d'air » pour de futures cessions d'actifs, les services compétents du ministère des Armées semblent s'être rapidement mis en ordre de marche afin d'élaborer plusieurs hypothèses d'évolution du groupe Atos, d'effectuer des exercices de prospective et de réaliser un travail approfondi de veille de l'évolution de la situation avec pour objectif de préserver les intérêts de la défense nationale.

A contrario de la réactivité des services du ministère des Armées, les auditions menées par les rapporteurs ont mis en évidence une mobilisation des services compétents du ministère de l'Économie et des Finances ait été plus tardive et moins réactive, malgré une mission de protection des actifs stratégiques de l'économie face aux menaces étrangères, des compétences en matière de sécurité économique et des outils de veille stratégique à sa disposition.

De façon plus générale, les rapporteurs regrettent le manque de concertation, de coordination et de culture d'intelligence économique au sein de l'appareil d'État ainsi que la persistance de blocages institutionnels, organisationnels et culturels, notamment en matière de cloisonnement de l'information et de verticalité.

2. Une mobilisation plus appuyée lorsque des cessions d'actifs ont été plus sérieusement envisagées

Il semble que la perspective de la cession de l'entité Tech Foundations à la société EPEI, avec une annonce de l'entrée en négociations exclusives avec Atos le 1er août 202364(*), puis la perspective de la cession de la branche Big Data & Sécurité (BDS) à Airbus avec l'annonce d'une période de due diligence en janvier 202465(*), ont contribué à un regain de mobilisation des services de l'État, en particulier des services compétents du ministère de l'Économie et des Finances.

Ainsi, la direction générale des entreprises (DGE), en étroite collaboration avec la direction générale de l'armement (DGA), a suivi les négociations avec Airbus, qui en tant que société néerlandaise aurait été soumise au contrôle des investissements étrangers en France si une offre engageante de rachat avait été effectivement formulée. En parallèle, la direction générale du Trésor a suivi les négociations avec la société EPEI, également soumise au contrôle des investissements étrangers en France, car s'agissant d'une société luxembourgeoise.

Par ailleurs, à compter de l'annonce de la nomination d'un mandataire ad hoc le 5 février 202466(*) dans le cadre d'une procédure préventive et amiable de règlement des difficultés sollicitée par Atos pour faciliter ses discussions et sa restructuration financière auprès de ses créanciers, le comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) a également été mobilisé. Si cette instance est aujourd'hui indispensable à la conduite de la restructuration financière d'Atos, ses représentants ont indiqué « découvrir le dossier » lors de leur première audition devant la mission d'information, ce que les rapporteurs déplorent.

S'il a souvent été rappelé qu'Atos est une société cotée et entièrement privée au sein de laquelle l'État ne détient aucune participation, les rapporteurs regrettent toutefois la mobilisation jugée partielle, morcelée et tardive des services de l'État à l'égard d'une entreprise dont les activités sont primordiales et indispensables pour notre souveraineté, notre compétitivité et notre défense nationale. Il ressort des auditions qu'une très grande majorité des parties prenantes auditionnées auraient souhaité une action proactive, facilitatrice et stabilisatrice de l'État dès 2022.

3. En complément, une action primordiale des collectivités territoriales pour soutenir le développement du site d'Angers de fabrication des supercalculateurs

Les rapporteurs tiennent également à saluer l'engagement des collectivités territoriales au service du maintien et du développement du site d'Angers Atos emploie près de 450 salariés, en grande partie au service de ses activités de calcul à haute performance, mais également pour ses activités d'infogérance. Inauguré en 2019 et présenté comme un « centre d'essai mondial » des supercalculateurs, le site développe désormais des machines capables de calculer en exaflops, c'est-à-dire exécutant un milliard de milliards de calculs à la seconde. D'ici 2027, il est prévu qu'un site de fabrication de supercalculateurs de 25 000 m2 soit installé sur les 50 000 m2 de friche industrielle issue des anciennes usines Bull construites dans les années 1960.

Selon les informations transmises à cette mission d'information, les investissements nécessaires pour moderniser le site industriel et doubler sa capacité de production d'ici 2027 sont de l'ordre de 80 M€, mais les difficultés financières du groupe ne sont pas de nature à faciliter de tels investissements. C'est pourquoi un emprunt de 27,5 M€ a été contracté auprès de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), une partie de cet emprunt ayant été garantie par la région Pays de la Loire, à hauteur de 5 M€, et Angers Loire Métropole, à hauteur de 1,8 M€.

Ces actions indispensables des collectivités territoriales s'inscrivent en complément et en soutien de l'octroi d'une enveloppe de 1,2 M€ issue du Fonds vert, via la mesure « Recyclage de friches urbaines, industrielles ou commerciales », et versée à l'aménageur public Alter, ce financement ayant été complété à hauteur de 1,5 M€ par la région Pays de la Loire.

B. UNE RÉACTION TARDIVE DU GOUVERNEMENT LONGTEMPS DEMEURÉ DANS UN « DÉNI DE RISQUE DE SOUVERAINETÉ »

1. Une forte mobilisation parlementaire au service de la préservation de la souveraineté et de la défense nationales

Au regard de l'évolution de la situation, les rapporteurs estiment que la plus forte mobilisation politique est venue de la part des parlementaires qui, l'été dernier, au lendemain de l'annonce du projet de rachat d'une partie des activités d'Atos par la société EPEI de Daniel Kretinsky, ont publié une tribune dans Le Figaro67(*). Signée par 82 parlementaires, très majoritairement des sénateurs, réunis sous l'impulsion de Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, cette tribune alerte sur les risques pour la souveraineté nationale qu'impliquerait une prise de participation au capital de l'entité Eviden par des acteurs étrangers.

Les parlementaires rappellent également que ce projet de rachat s'inscrit dans la continuité regrettable de la vente de plusieurs activités, technologies et entreprises stratégiques françaises à des acteurs étrangers : rachat d'une partie des activités d'Alstom par General Electric en 2015, fusion de Technip avec FMC Technologies en 2017, projet de rachat des Chantiers de l'Atlantique par Ficantieri en 2018, affaire Gemplus, etc. Cette forte mobilisation s'inscrit donc dans une volonté de ne pas reproduire les erreurs du passé.

Dans ce contexte incertain, de nombreux parlementaires de différents groupes politiques ont déposé des amendements relatifs à une « nationalisation temporaire » des « activités souveraines » d'Atos lors de l'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2024, même si le Gouvernement avait déjà indiqué ne pas être favorable à une telle solution, qui n'a d'ailleurs pas été retenue dans la version finale du PLF 2024. Peuvent notamment être signalés :

- l'amendement déposé par le député socialiste Philippe Brun et adopté en commission des finances, visant à créer un programme « Nationalisation temporaire des actifs stratégiques d'Atos » doté de 390 M€ au sein de la mission « Participations financières de l'État » pour les activités de BDS et Atos Worldgrid ;

- l'amendement déposé par le Rassemblement national, mais rejeté en commission visant à créer un programme « Nationalisation d'Atos » doté de 500 M€ au sein de la mission « Participations financières de l'État » ;

- l'amendement déposé par le groupe La France Insoumise en vue de l'examen en séance publique demandant au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport sur l'opportunité de nationaliser les actifs stratégiques d'Atos ;

- les trois amendements identiques déposés par des sénateurs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe écologiste visant à créer un programme « Nationalisation temporaire des actifs stratégiques d'Atos » doté de 390 M€ au sein de la mission « Participations financières de l'État » ;

- l'amendement déposé par les trois sénateurs du Rassemblement national visant à créer un programme « Nationalisation d'Atos » doté de 500 M€ au sein de la mission « Participations financières de l'État ».

Les rapporteurs soulignent que c'est à la suite de cette forte mobilisation transpartisane dans le cadre de l'examen du PLF 2024 et face au constat d'un engagement alors jugé assez largement insuffisant de la part du Gouvernement que la présente mission d'information a été constituée.

2. A contrario, une réaction tardive et insuffisante du Gouvernement qui n'a pris conscience des risques pour la souveraineté nationale qu'au fil de la dégradation de la situation

Il ressort des travaux conduits par les rapporteurs que la mobilisation politique tardive au sommet de l'État contraste assez fortement avec l'anticipation dont ont pu faire preuve certains services de l'État, en particulier ceux du ministère des Armées.

Ainsi, face à la forte mobilisation des parlementaires, les premières prises de parole du Gouvernement sur le sujet, en particulier les réponses apportées aux séances de questions d'actualité au Gouvernement (QAG) du à l'Assemblée nationale68(*) puis au Sénat69(*), apparaissent peu offensives, n'étant pas à la hauteur des enjeux de souveraineté soulevés par la situation.

Il aura fallu attendre l'annonce officielle de la désignation d'un mandataire ad hoc par Atos au début de l'année 2024 pour que le Gouvernement, face à la gravité et à l'urgence de la situation, s'exprime enfin de façon affirmée et rassurante en particulier par l'intermédiaire du ministre de l'Économie et des Finances qui a déclaré à la presse, le 5 février 2024, que « l'État utilisera tous les moyens à sa disposition »70(*).

Aujourd'hui, les rapporteurs constatent que le Gouvernement est très loin d'avoir utilisé tous les moyens à sa disposition.

Le 9 avril 2024, l'octroi d'un prêt de 50 M€ par le Fonds de développement économique et social (FDES) a été annoncé moyennant une action de préférence de l'État dans Bull SA71(*). S'il s'agit indéniablement d'un signal positif, les rapporteurs soulignent que l'octroi de ce prêt constitue seulement une première étape et n'est nullement en mesure de permettre à Atos de relever les défis de sa restructuration. En effet, un tel dispositif a une vocation seulement transitoire, pour un montant nettement inférieur au besoin de financement global de 1,2 Md€ annoncé par Atos sur les années 2024-2025, tandis que l'action de préférence ne garantit pas une présence au sein du conseil d'administration et ne permet pas d'assurer une vigilance suffisante quant à la gouvernance de l'entreprise et son évolution.

Le 28 avril 2024, le ministre de l'Économie et des Finances a annoncé que l'Agence des participations de l'État (APE) avait formulé une offre non engageante à Atos pour acquérir, idéalement aux côtés d'industriels français qu'il reste à mobiliser, les activités militaires et souveraines les plus sensibles d'Atos et qui correspondant, selon les informations transmises aux rapporteurs, à environ deux tiers du périmètre actuel de la branche BDS (Advanced Computing, Mission Critical Systems, Cybersecurity products)72(*). Bien que cela marque un engagement significatif envers Atos, les rapporteurs estiment que cette annonce arrive trop tardivement, plus d'un an ayant été perdu dans ce qu'ils qualifient de « déni de risque souveraineté ». Ils considèrent en outre que cette solution proposée ne règlera pas la question de la soutenabilité de la dette et de l'avenir du groupe, notamment celui de Tech Foundations, dont certaines activités sont aussi de nature souveraine, ni de celui des activités restantes d'Eviden.

II. UN NOUVEAU CADRE DE REFINANCEMENT A ÉTÉ RÉCEMMENT ANNONCÉ : « DERNIER ESSAI » AVANT LA SAUVEGARDE ?

A. UNE PRESSION FINANCIÈRE INÉDITE AMENANT À FAIRE DE LA RÉDUCTION DE LA DETTE LA PREMIÈRE DES PRIORITÉS

1. Une succession d'échéances de remboursements estimée à 4,9 Mds€ d'ici 2029

Au regard des renseignements communiqués à cette mission d'information ainsi que des informations récemment publiées par Atos73(*), il s'avère que la dette financière de l'entreprise s'élève aujourd'hui à 4,9 Mds€, avec une succession d'échéances de remboursements, comprenant à la fois des prêts bancaires et des obligations, s'étalant jusqu'en novembre 2029.

Source : communiqué de presse d'Atos du 9 avril 2024

2. Un besoin de financement urgent estimé à 1,2 Md€ pour les années 2024 et 2025

Présenté le 8 avril dernier aux créanciers et aux investisseurs puis détaillé publiquement le lendemain dans un point de marché74(*), les paramètres du nouveau cadre de refinancement proposé par Atos font état d'un besoin urgent de financement d'1,2 Md€ sur 2024-2025, comprenant :

- 600 M€ de liquidités qui devraient être fournis sous la forme de dette et/ou de capital apporté par des parties prenantes existantes ou par de nouveaux investisseurs tiers ;

- 300 M€ de nouvelles lignes de crédit renouvelables ;

- 300 M€ de lignes de garanties bancaires additionnelles.

Dans le cadre de la procédure de conciliation amiable engagée avec ses créanciers financiers, valable pour une durée de quatre mois, c'est-à-dire jusqu'à fin juillet 2024 même si ce délai peut être prolongé d'un mois supplémentaire si nécessaire, Atos a également annoncé avoir « sécurisé » un financement transitoire de 450 M€, incluant le prêt de 50 M€ octroyé par l'État, qui couvre une partie seulement du besoin global de financement d'1,2 Md€ annoncé. Un tel financement est indispensable, car la procédure de conciliation amiable n'est valable que si l'entreprise évite la cessation de paiements.

B. L'ACCORD AVEC LES CRÉANCIERS À TROUVER D'ICI FIN JUILLET 2024 REPOSE SUR DES HYPOTHÈSES FORTES

1. Un cadre de refinancement présenté aux créanciers qui avaient jusqu'au 26 avril dernier pour soumettre leurs propositions

Atos avait initialement fixé au 26 avril, repoussé depuis au 3 mai, le délai d'ici lequel les propositions des créanciers pourraient être soumises, en particulier en cas d'apport de nouveaux capitaux. Les rapporteurs tiennent à souligner que ces propositions étant confidentielles, ils n'ont pas été destinataires d'informations privilégiées à ce sujet autres que celles évoquées dans la presse.

Avec 22 banques, notamment françaises, et plus d'une centaine de détenteurs d'obligations, les négociations sur la restructuration financière de l'entreprise, accompagnées par le comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) seront difficiles, les dirigeants d'Atos ayant toutefois exprimé leur confiance quant à l'issue des discussions d'ici la fin du mois de juillet lors de leur audition devant le Sénat75(*).

Toutefois, des fonds spéculatifs (hedge funds) et d'autres créanciers obligataires, qui détiennent au total la moitié de la dette financière, soit 2,45 Mds€ sur un total de 4,9 Mds€, ont récemment annoncé dans la presse76(*) leur intention de formuler une offre, en acceptant le principe de convertir la moitié de leur dette en capital, soit 1,2 Md€. Parmi ces détenteurs, sont par exemple mentionnés Boussard & Gavaudan, D.E Shaw, Tresidor Investment Management, Syquant Capital, AG2R, Arkéa, Aéma, Amundi ainsi que Lombard Odier et Pictet.

2. Une restructuration financière souhaitable, mais incertaine compte tenu des hypothèses fortes sur lesquelles elle repose

Si les rapporteurs souhaitent que les discussions autour de la restructuration financière d'Atos aboutissent le plus rapidement possible afin d'alléger la pression financière qui pèse sur l'entreprise et de lui redonner des perspectives positives de développement, ils relèvent toutefois que le cadre de refinancement présenté le 8 avril dernier repose sur des hypothèses particulièrement fortes, en particulier :

- un objectif ambitieux d'effacement de la moitié de la dette pour un total initialement annoncé de 2,4 Mds€ puis réhaussé à 3,2 Mds€77(*), ce qui suppose une double mobilisation des acteurs bancaires et obligataires qui détiennent chacun la moitié de la dette financière d'Atos, d'autant plus que les dirigeants actuels du groupe ont indiqué à plusieurs reprises lors de leur audition se reposer entièrement sur les propositions qui seront faites par les apporteurs de capital et les créanciers, à l'image de cette déclaration du directeur général Paul Saleh : « enfin, comme l'a indiqué Jean-Pierre Mustier, nous ne sommes pas en mesure de détailler les modalités de réduction de notre dette dans l'immédiat puisque nous sommes dans l'attente des propositions de nos investisseurs et créanciers »78(*) ;

- une confiance dans la capacité à attirer de nouveaux investisseurs tiers et de nouveaux capitaux, les rapporteurs estimant que l'hypothèse d'une titrisation importante de la dette, c'est-à-dire sa conversion en capital, étant nettement plus probable que celle de l'apport de nouveaux capitaux, d'autant plus que les projets précédents d'augmentation du capital d'Eviden ont été systématiquement abandonnés ;

- des hypothèses de croissance, de chiffres d'affaires, de marges opérationnelles et de désendettement à horizon 2027 qui apparaissent comme résolument optimistes.

Par conséquent, c'est sans surprise que les rapporteurs ont constaté, le 29 avril dernier, la révision des paramètres du cadre de restructuration financière et du plan d'affaires79(*) annoncés deux semaines auparavant.

3. Un cadre de refinancement qui n'exclut en aucun cas d'éventuelles cessions d'actifs

Les rapporteurs tiennent à souligner que les éléments présentés aux créanciers financiers constituent un « cadre de refinancement » et un « plan d'affaires », mais en aucun cas une stratégie de long terme ni une vision industrielle pour l'avenir du groupe ou l'évolution de son périmètre.

Lors de leur audition, les dirigeants actuels d'Atos ont pourtant tenté de rassurer et de préciser leur stratégie de long terme, en indiquant à plusieurs reprises que le cadre de refinancement proposé, faisant suite à l'arrêt des négociations avec la société EPEI pour la vente de Tech Foundations et avec Airbus pour le rachat de la branche BDS, reposait sur l'hypothèse d'un maintien en entier du groupe.

Ainsi, Jean-Pierre Mustier, président du conseil d'administration, a déclaré que « notre vision industrielle consiste à maintenir le groupe dans son ensemble, mais la décision, in fine, sera prise par un vote des différentes classes d'actifs, à savoir les créditeurs d'un côté et les actionnaires de l'autre », tandis que Paul Saleh, directeur général, a souligné que « le plan que nous avons partagé avec les créanciers et le marché concerne le groupe dans son ensemble, sans séparation d'actifs »80(*).

Si les rapporteurs donnent acte aux dirigeants d'Atos de leur volonté de maintenir le groupe dans son ensemble, ils relèvent toutefois que ces déclarations du 10 avril dernier sont à rebours de la communication récente du groupe, qui a annoncé à plusieurs reprises prévoir des cessions d'actifs, et s'inquiètent d'une « vente à la découpe » qui serait décidée par les créanciers et les actionnaires, d'autant plus que la perspective d'une titrisation importante de la dette leur apparaît comme la plus plausible à ce stade. Atos a ainsi récemment indiqué que :

- « lors de l'élaboration de son programme de cession et de l'affinement du périmètre de ses deux futures entités, le Groupe a identifié des opportunités supplémentaires de rationalisation de son portefeuille, qui ont d'ores et déjà recueilli des marques d'intérêt. Par conséquent, le programme de cession est étendu de 400 millions d'euros supplémentaires » dans son communiqué du 28 juillet 202381(*) ;

- « le Groupe a achevé son programme de 700 millions d'euros de cessions annoncé en 2022 et met en oeuvre son plan de 400 millions d'euros de cession d'autres actifs communiqué le 28 juillet 2023 » dans son point de marché du 26 mars 202482(*) ;

- « ces paramètres [du cadre de refinancement] sont basés sur le périmètre actuel du Groupe, qui comprend les actifs Eviden et Tech Foundations, sans tenir compte de l'impact de toute éventuelle cession d'actifs » dans son communiqué du 9 avril 202483(*) ;

4. Une procédure de sauvegarde pour traiter des difficultés de l'entreprise avec l'application d'une procédure forcée interclasse demeure envisageable

Si les rapporteurs souhaitent qu'Atos parvienne le plus rapidement possible à un accord de refinancement favorable avec ses créanciers, ils estiment que la perspective d'une procédure de sauvegarde n'est toujours pas écartée, en particulier dans l'éventualité où les négociations avec les détenteurs de dette n'aboutiraient pas, car reposant sur des hypothèses trop fortes.

Source : Bpifrance

En cas d'échec de cette procédure amiable de conciliation, qui fait suite à la désignation deux mois auparavant d'un mandataire ad hoc84(*), l'administratrice judiciaire Hélène Bourbouloux, l'ouverture d'une procédure de sauvegarde constituerait la prochaine étape du redressement d'Atos, ce qui marquerait le passage d'une procédure de prévention des difficultés vers une procédure de traitement des difficultés, y compris si l'entreprise n'est pas en cessation de paiements.

Par ailleurs, il ressort également des auditions menées par les rapporteurs qu'en cas d'échec de la procédure amiable de conciliation, non seulement une procédure de sauvegarde accélérée pourrait être ouverte, mais une procédure d'application forcée interclasse pourrait également être utilisée.

La procédure d'application forcée interclasse

Une telle procédure est issue de la transposition de l'article 11 de la directive européenne du 20 juin 2019 dite « restructuration et insolvabilité »85(*), transposée en droit interne par l'ordonnance du 15 septembre 202186(*).

Depuis le 1er octobre 2021, pour les entreprises en procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire comprenant au moins 250 salariés et réalisant au moins 20 M€ de chiffre d'affaires net, ou réalisant 40 M€ de chiffre d'affaires net, une telle procédure peut être utilisée.

Des « classes de parties affectées » par le plan de sauvegarde ou de redressement, comprenant notamment des créanciers et des détenteurs de capital, sont constituées par l'administrateur judiciaire désigné par le tribunal de commerce selon que ces classes constituent une « communauté d'intérêt économique suffisante ».

Ensuite, des propositions d'élaboration du plan de sauvegarde ou de redressement sont soumises aux différentes classes de parties affectées amenées à voter sur le plan présenté par le débiteur avec le concours de l'administrateur judiciaire.

Dans l'hypothèse où le plan est rejeté par certaines classes de parties affectées, le débiteur ou l'administrateur judiciaire avec l'accord de ce dernier - en procédure de sauvegarde - ou une partie affectée - uniquement en procédure de redressement judiciaire - peut quand même, sous certaines conditions, demander au Tribunal d'arrêter le plan et de l'imposer aux « classes dissidentes ».

Cette dernière procédure, relativement récente, a été utilisée à une seule reprise dans le cadre de la restructuration du groupe Orpea dont l'administratrice judiciaire Hélène Bourbouloux avait également la charge. Dans le cadre de la procédure de sauvegarde accélérée mise en oeuvre pour la restructuration du groupe Orpea, le tribunal de commerce de Nanterre a approuvé, le 24 juillet 202387(*), le plan de sauvegarde accélérée par application forcée interclasse conduisant notamment à une transformation de 3,8 Mds€ de dettes de créanciers non sécurisés en actions, à une réduction de la dette nette à hauteur de 60 % ainsi qu'à un apurement du bilan du groupe.

Les rapporteurs estiment ainsi qu'une telle possibilité est loin d'être exclue, en fonction de l'issue des négociations qui se déroulent dans le cadre de la procédure de conciliation jusqu'au moins la fin du mois de juillet 2024.

III. LES RISQUES PESANT SUR L'ENSEMBLE DES ACTIVITÉS SOUVERAINES DOIVENT ÊTRE MIEUX APPRÉHENDÉS

A. UN DISPOSITIF DE CONTRÔLE DES INVESTISSEMENTS ÉTRANGERS EN FRANCE PROGRESSIVEMENT RENFORCÉ, MAIS QUI DEMEURE LACUNAIRE ET INSUFFISAMMENT APPLIQUÉ

1. Un renforcement progressif de ce dispositif de contrôle aussi souhaitable que nécessaire

La France, à l'instar de nombreux pays, s'est dotée d'une politique de contrôle des investissements étrangers en France (IEF) qui repose sur un équilibre entre le principe de liberté des relations entre la France et l'étranger88(*) et la défense des intérêts nationaux. Ainsi, par décret pris sur le rapport du ministre chargé de l'Économie, le Gouvernement peut soumettre à « déclaration, autorisation préalable ou contrôle » tout « mouvement de capitaux » entre la France et l'étranger89(*).

Certains investissements étrangers sont ainsi soumis à autorisation préalable du ministre de l'Économie : les investissements dans des activités participant « même à titre occasionnel » à l'exercice de l'autorité publique ou de nature à porter atteinte à l'ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale, ou relevant d'une activité de recherche, de production ou de commercialisation d'armes et de substances explosives.

L'autorisation peut être assortie de conditions permettant d'assurer que l'investissement projeté ne portera pas atteinte aux intérêts nationaux90(*)- par exemple, des conditions portant sur le maintien et la pérennité des activités sensibles en France, le maintien de savoirs et savoir-faire de l'entité cible, la gouvernance ou encore la communication d'informations à l'État91(*).

Au fil des ans et jusque très récemment, la liste précise des activités concernées par le contrôle des investissements étrangers a été progressivement étendue :

- en 2005, le décret dit « Loos-Villepin »92(*) fixe une liste de 11 domaines où les investissements relèvent d'une autorisation préalable, allant des jeux d'argent à la cryptologie en passant par les activités de sécurité privée ;

- en 2014, le décret dit « Montebourg »93(*) a enrichi cette liste pour y inclure les activités portant sur des matériels, biens ou services essentiels pour garantir l'approvisionnement en électricité, en eau ou en énergie, la protection de la santé publique, la sécurité et l'intégrité des réseaux de transport et des services de communications électroniques ;

- depuis le 1er janvier 202094(*), cette liste intègre également les activités de traitement, de transmission ou de stockage de données dont la compromission ou la divulgation est de nature à porter atteinte à l'exercice d'autres activités de la liste ainsi que les activités portant sur des infrastructures, biens ou services essentiels pour garantir la sécurité alimentaire ou encore la publication de presse d'information politique et générale ;

- depuis le 1er janvier 202495(*), le contrôle en matière d'investissements étrangers en France est par ailleurs étendu aux prises de contrôle des succursales en France d'entités de droit étranger et aux activités essentielles à l'extraction, la transformation et le recyclage des matières premières critiques, ainsi que les activités de recherche et développement dans la photonique.

Outre les activités concernées, le seuil de détention de droits de vote ou de capital déclenchant une procédure de contrôle des investissements étrangers en France a été récemment abaissé :

- le décret du 31 décembre 2019 précité a abaissé le seuil déclenchant une prise de contrôle, et donc une éventuelle procédure d'autorisation préalable, à 25 % lorsque l'investissement est réalisé par un tiers à l'Union européenne alors que ce seuil était fixé à 33,33 % depuis 2005 ;

- en juillet 2020, le seuil de 25 % des droits de vote déclenchant une procédure de contrôle des investissements réalisés par des tiers à l'Union européenne au sein de sociétés cotées a été abaissé à 10 %96(*). Cette mesure temporaire, qui devait s'appliquer jusqu'au 31 décembre 2022, a été prorogée jusqu'au 31 décembre 202397(*) puis pérennisée depuis le 1er janvier 2024 par le décret du 28 décembre 2023 précité.

Enfin, le ministre de l'Économie a été récemment doté de prérogatives renforcées pour assurer le contrôle effectif des IEF. La loi dite « Pacte » du 22 mai 201 919 a renforcé ses pouvoirs de contrôle en lui permettant, lorsqu'un investissement a été réalisé sans autorisation préalable, de formuler une injonction à l'investisseur étranger, éventuellement assortie d'astreinte. Il peut également, lorsque les conditions dont était assortie l'autorisation ont été méconnues, prendre des mesures allant de l'injonction au retrait de l'autorisation d'investissement.

Dans le cas où les intérêts nationaux sont susceptibles d'être compromis, le ministre est autorisé à prendre une ou plusieurs mesures conservatoires comme le retrait des droits de vote irrégulièrement acquis. Depuis le 1er janvier 2020, le ministère de l'économie peut prendre en compte un éventuel « lien avec un gouvernement ou un organisme public étranger » pour motiver un refus.

2. Malgré ce renforcement, les entreprises françaises demeurent vulnérables aux stratégies de prédation d'acteurs étrangers

Si, juridiquement, le cadre du contrôle des IEF confère au ministre de l'Économie des pouvoirs lui permettant de protéger les intérêts nationaux, son utilisation en pratique demeure toutefois beaucoup plus timorée.

D'abord, parce que les refus d'autorisation sont très rares : ils doivent être motivés par l'honorabilité de l'investisseur ou par le fait qu'assortir de conditions l'autorisation du ministre ne suffirait pas à assurer la préservation de la sécurité publique, de l'ordre public ou des intérêts de la défense nationale. En 2022, les 131 opérations d'investissements étrangers éligibles au contrôle IEF ont été autorisées. Parmi elles, 70 décisions, soit 53 %, ont été assorties de conditions pour préserver les intérêts nationaux.

Ensuite, parce que la protection effective des intérêts nationaux est en pratique conditionnée à la bonne définition de conditions à même d'apporter des garanties aux entreprises françaises et au bon respect de ces conditions par les investisseurs par la suite. Or, les autorisations peuvent être assorties de conditions insuffisantes au regard de l'enjeu stratégique que représente l'entreprise pour la France.

À cet égard, l'exemple du projet de rachat des Chantiers de l'Atlantique par l'italien Ficantieri est édifiant, même s'il a finalement été abandonné début 2021 après de nombreux atermoiements et grâce à une très forte mobilisation parlementaire.

Les Chantiers de l'Atlantique

L'accord conclu en 2018 entre la société française STX et son principal concurrent italien, Ficantieri prévoyait que Ficantieri obtienne 50 % du capital auxquels s'ajouteraient 1 % sous la forme d'un prêt de long-terme de l'Agence des participations de l'État. Ce prêt lui transférait le contrôle opérationnel de l'entreprise, mais était révocable à certaines échéances en cas de manquements aux engagements industriels du groupe italien qui devait, entre autres, ne pas supprimer d'emplois pendant cinq ans, maintenir le carnet de commandes existant en France et ne pas transférer de technologies hors d'Europe. Au bout de douze ans, le prêt devait prendre fin et les 1 % être cédés à Fincantieri.

Le contenu lacunaire du compromis de 2018 avait été dénoncé par la commission des affaires économiques du Sénat en 202098(*). Notamment, il ne permettait pas à l'État d'intervenir en cas de menaces graves et imminentes pour l'intégrité des Chantiers de l'Atlantique et ne prévoyait pas de sanction pour Ficantieri en cas de non-respect de ses engagements contractuels.

De même, le rachat d'une partie des activités d'Alstom par General Electric (GE) en 2015 a montré que les engagements à durée limitée sont souvent ignorés dès la fin de l'échéance. En 2019, GE avait ainsi abondé un fonds de réindustrialisation à hauteur de 50 millions d`euros à la suite du non-respect de son engagement de créer un millier d'emplois en France.

Sur le respect des engagements, les rapporteurs estiment indispensable que les administrations centrales disposent de moyens suffisants pour contrôler l'effectivité du respect de ces conditions dans le temps et constater, éventuellement sur pièce et sur place, la réalité de la mise en oeuvre des engagements : une déclaration d'intention de l'investisseur ne saurait faire office de preuve de respect des conditions assortissant l'autorisation. Le contrôle exercé par les services du ministre de l'économie doit être à la hauteur des prérogatives étendues dont il dispose pour faire appliquer ces conditions.

Il ressort de leurs travaux que le suivi des engagements pris n'est ni systématique, ni centralisé, car effectué partiellement par des services distincts de ceux fixant les conditions aux investisseurs, avec une répartition des compétences entre la direction générale du Trésor, qui fixe les conditions, et le service de l'information stratégique et de la sécurité économique (SISSE) de la direction générale des entreprises, qui en assure le suivi en coordination avec les différents ministères concernés, qui mériterait d'être entièrement réexaminée.

Enfin, les rapporteurs souscrivent au constat formulé l'an dernier par la commission des affaires économiques du Sénat dans le cadre de son rapport d'information transpartisan sur l'intelligence économique99(*), adopté à l'unanimité : faute d'inscription du contrôle des IEF au sein d'une stratégie globale d'intelligence économique, les services compétents des administrations se trouvent généralement devant le fait accompli d'une décision d'investissement par un tiers à l'Union européenne alors qu'une stratégie de veille, de partage et de traitement l'information stratégique en matière économique aurait peut-être permis aux services d'anticiper la prise de contrôle.

3. Le « cas Atos » souligne une nouvelle fois les faiblesses de ce dispositif de contrôle

Il ressort des auditions menées par les rapporteurs que plusieurs repreneurs potentiels ont été soumis à un contrôle des IEF et pourraient l'être de nouveau selon l'avancée de la situation et sur la base de nouvelles conditions contractuelles et financières. Ainsi, la société EP Equity Investment (EPEI) de Daniel Kretinsky, en tant que société luxembourgeoise, ainsi qu'Airbus, en tant que société néerlandaise, pourraient être soumises à un tel contrôle si une offre de rachat suffisamment sérieuse parvenait à aboutir.

Si les rapporteurs tiennent à souligner le renforcement progressif et continu du dispositif de contrôle des IEF depuis sa création, ils constatent que les moyens limités de la direction générale du Trésor, et notamment ses moyens humains, conduisent inévitablement à considérer ce dispositif comme une « politique de chef de bureau » dont l'absence de portage politique de haut niveau contribue à expliquer l'application timorée du dispositif. En particulier, il ressort des auditions menées que le suivi des engagements effectué par les services du ministère des Armées, qui dispose de davantage de moyens humains, est bien plus précis, resserré et systématique que celui effectué par les services du ministère de l'Économie.

Ce manque de moyens et de portage politique de haut niveau implique l'exercice d'un contrôle limité, partiel et en opportunité qui, au regard de la situation spécifique de l'évolution du groupe Atos, soulève au moins deux interrogations quant à l'absence de réflexion et de contrôle systématique :

- lorsqu'un investisseur national ou un investisseur étranger se situant en-deçà des seuils de contrôle parvient à réaliser un investissement grâce à la mobilisation de capitaux étrangers et à l'association de fonds d'investissement étrangers dont un lien avec un gouvernement ou un organisme public étranger est supposé ou avéré ;

- lorsqu'une partie de la dette d'une entreprise détenue par des acteurs étrangers est titrisée, c'est-à-dire convertie en capital au profit de ces derniers, surtout qu'une détention suffisante de capital peut amener à jouer un rôle dans la gouvernance d'entreprises d'une importance particulière pour la souveraineté et la défense nationales. La question se pose dans la mesure où les rapporteurs considèrent qu'une titrisation de la dette d'Atos par ses principaux détenteurs est aujourd'hui une hypothèse très probable dans le cadre des négociations en cours sur le refinancement de l'entreprise.

Enfin, les rapporteurs regrettent le manque de contrôle parlementaire sur le dispositif de contrôle des investissements étrangers en France et les décisions prises par le ministre de l'Économie, ainsi que le manque de transparence dans la façon dont ce contrôle est effectué.

B. L'ÉMISSION D'UNE ACTION DE PRÉFÉRENCE AU PROFIT DE L'ÉTAT CONSTITUE UNE GARANTIE SUPPLÉMENTAIRE POUR LA PROTECTION DES ACTIVITÉS SENSIBLES EN CAS D'ÉVOLUTION DE L'ACTIONNARIAT

1. Un mécanisme déjà utilisé par le passé, en particulier dans le cas d'entreprises sensibles intéressant la souveraineté ou la défense nationales

À l'occasion de la présentation des paramètres de son cadre de refinancement le 9 avril 2024, Atos a annoncé qu'en contrepartie de l'octroi d'un prêt de 50 M€, l'État se verrait attribuer une action de préférence, laquelle permet, aux termes de l'article L. 228-11 du code de commerce, au bénéficiaire de disposer, avec ou sans droit de vote, de droits particuliers de toute nature, à titre temporaire ou permanent.

Un tel mécanisme ne constitue pas une première, l'État y ayant déjà eu recours par le passé, en particulier dans le cas d'entreprises intéressant la souveraineté ou la défense nationales.

Ainsi, à titre d'exemple, l'État dispose ou a disposé d'une action de préférence dans :

ArianeGroup SAS, afin de préserver l'accès souverain de la France et de l'Europe à l'espace100(*) ;

Airbus DS Geo SA, pour protéger les intérêts stratégiques de l'État. Cette action de préférence lui permettait de s'opposer à tout projet de transfert hors de la société ou hors du territoire d'activités de programmation de prises de vue par la société dans le cadre d'une concession d'exploitation des données de satellites gouvernementaux. L'État bénéficiait en outre d'un siège au conseil d'administration101(*) ;

GEAST (coentreprise entre General Electric et Alstom chargée des activités nucléaires civiles), dotant l'État d'un droit de veto sur les décisions stratégiques susceptibles de porter atteinte aux intérêts français102(*) ;

- la société Exxelia « pour assurer la protection des intérêts de l'État à la suite de l'acquisition de cette société française par le groupe américain Heico »103(*).

2. Dans le cas d'Atos, un dispositif censé permettre une protection des activités sensibles rassemblées dans l'entité Bull SA

Le point de marché d'Atos du 9 avril 2024104(*), précise que l'action de préférence dont bénéficiera l'État sera circonscrite à la société Bull SA, au sein de laquelle sont réunies une grande partie des activités sensibles du groupe (en particulier la branche HPC).

Dans un communiqué publié le même jour, le ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a confirmé cette information précisant que ce mécanisme conférerait « un droit de regard renforcé de l'État sur ces actifs stratégiques » et constituerait « une première étape dans la protection des activités stratégiques du groupe »105(*).

Lors de leur audition devant les commissions des affaires économiques et des affaires étrangères, de la défense et des forces armées106(*), MM. Jean-Pierre Mustier, président du conseil d'administration d'Atos, et Paul Saleh, directeur général d'Atos, ont précisé les droits attachés à cette action de préférence.

Il ressort des éléments communiqués par les dirigeants d'Atos que celle-ci donnera la possibilité à l'État d'acquérir « les activités sensibles si l'actionnariat d'Atos venait à changer, notamment dans le cas où l'arrivée d'actionnaires qui ne seraient pas français ou considérés comme incompatibles avec les sujets de souveraineté nécessiterait une telle évolution ». Par ailleurs, dans l'hypothèse où des activités sensibles se trouveraient à l'extérieur du périmètre de la société Bull SA, celles-ci pourraient y être « rapatriées » à la demande de l'État.

M. Jean-Pierre Mustier a par ailleurs précisé que ce mécanisme avait vocation à perdurer au-delà de l'accord de refinancement et du remboursement du prêt accordé par l'État.

C. DES INCERTITUDES DEMEURENT CEPENDANT QUANT AUX MODALITÉS DE MISE EN oeUVRE DE CETTE ACTION DE PRÉFÉRENCE

1. Un accord de principe qui reste à finaliser

L'émission d'une action de préférence au profit de l'État ne fait l'objet à ce stade que d'« un accord de principe » et non d'une décision ferme.

Par ailleurs, dans son point de marché du 9 avril 2024, Atos indique ainsi que la documentation juridique de ce mécanisme reste à finaliser. En d'autres termes, si les grands principes semblent avoir été fixés, les modalités de mise en oeuvre doivent encore être définies.

À titre d'exemple, Atos indique que le mécanisme pourrait être enclenché « sans préjudice de l'application du régime français de contrôle des investissements étrangers ». Or, ainsi qu'il a été rappelé supra, ce dispositif souffre d'importantes limites tant dans sa conception même que dans le cadre d'une éventuelle mise en oeuvre dans le dossier Atos.

2. Des doutes demeurent quant à l'applicabilité et à la portée opérationnelle du dispositif

Des incertitudes demeurent en outre sur l'applicabilité du dispositif prévu dans le cadre de l'action de référence aux acteurs déjà présents au capital, mais dont leur propre actionnariat a pu évoluer, ou si celui-ci ne concerne que les investisseurs extérieurs. Interrogé sur ce point lors de l'audition du 10 avril 2024107(*), M. Paul Saleh, directeur général d'Atos, s'est borné à indiquer : « quel que soit l'actionnariat final de notre société après d'éventuelles restructurations, l'État pourra agir et actionner ce droit de rachat de certaines activités ».

Par ailleurs, si l'accord de principe prévoit des droits de gouvernance pour l'État au niveau de Bull SA, il ne disposerait cependant pas de droit de vote à ce stade.

Cette restriction affaiblit considérablement la portée du dispositif dans la mesure où elle ne permet d'apporter une réponse qu'aux problématiques ayant trait à la composition de l'actionnariat et non à celles liées à une éventuelle inflexion stratégique de l'entreprise qui serait jugée incompatible avec la défense de nos intérêts souverains.

De même, le fait qu'il ne soit pas prévu que l'État dispose d'un siège au conseil d'administration interroge sur la manière dont seront prises en compte les questions ayant trait à la souveraineté dans les orientations stratégiques qui seront définies.

Enfin, les rapporteurs s'interrogent sur l'articulation de ce dispositif avec l'offre formulée le 28 avril 2024 par le Gouvernement (cf. supra).

IV. POUR UNE ACTION PLUS RÉSOLUE DE L'ÉTAT, 

A. AGIR DÈS MAINTENANT POUR MAINTENIR LE PLUS POSSIBLE LE PÉRIMÈTRE ACTUEL DU GROUPE GRÂCE À UNE ENTRÉE DURABLE DE L'ÉTAT AU CAPITAL D'ATOS

1. Maintenir le groupe en entier, une hypothèse encore trop souvent et trop facilement écartée

Il ressort des travaux menés que l'hypothèse d'un maintien du groupe en entier n'est presque jamais abordée ou, en tout cas, presque jamais considérée sérieusement, en premier lieu par les services de l'État.

Face à la pression financière, à l'endettement du groupe, à la dispersion de son actionnariat et à ses errances successives de gouvernance, il semble que les logiques financières de court terme aient pris le pas sur les logiques industrielles de long terme, car, aujourd'hui, seule une vision industrielle plaide pour le maintien du groupe Atos en entier.

Par ailleurs, force est de constater que les activités stratégiques mentionnées supra sont réparties à la fois dans Eviden et dans Tech Foundations et concernent l'ensemble du groupe Atos.

Les rapporteurs sont ainsi parvenus à la conclusion que la scission de l'entreprise en deux entités distinctes a constitué un « appel d'air » pour la cession d'actifs et que le cadre de refinancement annoncé au début du mois d'avril dernier n'exclut en aucun cas des cessions d'actifs, Atos ayant maintenu et poursuivi son programme de cessions.

Malgré les différentes marques d'intérêt reçues ou publiquement exprimées, les rapporteurs demeurent convaincus que la meilleure solution serait celle conduisant à un maintien du périmètre actuel du groupe, car ce dont partenaires, salariés, clients, fournisseurs, institutions, actionnaires et créanciers ont besoin, c'est avant tout de perspectives de long terme, de stabilité, d'une gouvernance forte et unifiée autour d'un projet industriel au service de la souveraineté, du développement économique et de l'innovation technologique et numérique de la France.

Critiques et sceptiques quant à la pertinence de la scission de l'entreprise, les rapporteurs sont arrivés à la conclusion que le périmètre actuel du groupe a du sens et qu'il serait préférable de le maintenir afin d'éviter une « vente à la découpe » qui serait préjudiciable pour l'outil industriel, pour l'emploi, pour la stratégie commerciale du groupe et ses clients, dont l'État français.

Recommandation n° 1 : préserver le périmètre du groupe, éviter un démantèlement et privilégier les offres de reprise et de transformation de l'entreprise qui la maintiennent dans son entièreté afin de permettre une répartition équitable et soutenable de sa dette et protéger l'ensemble de ses activités souveraines.

2. Faire entrer l'État durablement au capital d'Atos

Partant du constat qu'une intervention plus rapide, plus consistante et plus engageante de l'État est sollicitée par la très grande majorité des parties prenantes internes et externes à l'entreprise, et regrettant la mobilisation tardive et insuffisante du Gouvernement, les rapporteurs appellent à une entrée durable de l'État au capital d'Atos comme ils l'ont annoncé dans leur communiqué de presse du 11 avril dernier108(*).

Cette annonce fait suite à l'audition de Jean-Pierre Mustier et Paul Saleh, respectivement président du conseil d'administration et directeur général d'Atos, devant les commissions des affaires économiques et des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat le 10 avril dernier. Lors de cette audition, les déclarations des dirigeants ont confirmé la vision et les intuitions des rapporteurs selon lesquelles une participation de l'État au capital d'Atos serait souhaitable, possible et acceptée. Jean-Pierre Mustier a par exemple déclaré : « Ce dernier [l'État] ira-t-il plus loin ? Je pense qu'il ne serait potentiellement pas optimal qu'il se positionne au niveau du groupe Atos ; il devrait plutôt le faire à un échelon plus bas - par exemple BDS - pour prendre une participation minoritaire, comme il le fait pour d'autres groupes, avec des droits similaires ou augmentés. Nous sommes ouverts à tout type de solution »109(*).

Prenant acte de l'annonce du 9 avril dernier selon laquelle l'État s'était engagé à octroyer un prêt de 50 M€ à Atos moyennant une action de préférence, les rapporteurs ont souhaité rapidement indiquer qu'il ne s'agissait que d'une première étape insuffisante face aux défis rencontrés par Atos, notamment en ce qui concerne le financement global requis, la nécessité de définir une stratégie à long terme du groupe et de préserver impérativement la souveraineté de notre pays. Sur ce dernier point, les rapporteurs estiment que le fait que l'État soit absent de la gouvernance du groupe constitue, dans une certaine mesure, une « anomalie » au regard de ses activités stratégiques, sensibles et uniques en matière de calcul à haute performance, de défense nationale et de nucléaire.

Une nouvelle fois, les rapporteurs regrettent que « l'État pompier » se soit substitué à « l'État stratège » et considèrent la procrastination du Gouvernement comme coupable sur ce dossier.

À l'issue de leurs auditions, les rapporteurs étaient parvenus à la conclusion que Bpifrance était l'un des « bras armés de l'État » les plus adaptés pour intervenir et prendre une prise de participation majoritaire et durable au sein du capital d'Atos SE. D'abord, parce que son directeur général, Nicolas Dufourcq, avait publiquement110(*) ouvert la voie à une intervention de Bpifrance en soutien d'un repreneur industriel intéressé par le rachat des activités de calcul à haute performance d'Atos, ce qui avait également été indiqué111(*) par Éric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Au contraire, la CDC n'a pas exprimé d'intérêt en ce sens parce que les secteurs d'activité d'Atos sont trop éloignés de ceux dans lesquels la CDC intervient habituellement.

Alors que les représentants de l'Agence des participations de l'État (APE) avaient indiqué lors de leur audition ne pas avoir été saisis par le Gouvernement ni s'intéresser à Atos, les rapporteurs ont pris acte de l'annonce du 28 avril dernier selon laquelle une lettre non engageante à ce stade avait été envoyée par l'APE pour acquérir, aux côtés d'industriels français, environ les deux tiers de sa branche BDS. Ils estiment qu'une prise de participation de l'APE au niveau de la structure chapeau Atos SE aurait plus de sens, car les activités stratégiques, sensibles et souveraines intéressant directement l'État français sont logées dans l'ensemble de la « galaxie Atos », pas seulement au sein de BDS et y compris dans Tech Foundations.

Ensuite, les rapporteurs considèrent qu'une intervention complémentaire de Bpifrance via une prise de participation durable dans BDS, le cas échéant au sein d'un consortium, si le respect du droit européen l'imposait, serait compatible avec sa doctrine de soutien aux investissements d'avenir. En effet, en investissant en soutien des activités souveraines d'Atos, en particulier de ses activités de calcul à haute performance, Bpifrance contribuerait indéniablement au soutien des activités de cybersécurité, d'intelligence artificielle, de quantique et d'informatique en nuage (cloud).

Les rapporteurs sont également parvenus à la conclusion qu'une prise de participation de l'État au capital d'Atos est de nature à rassurer les différentes parties prenantes, à stabiliser la situation, à rétablir la confiance des marchés grâce à un actionnariat solide et durable, à inciter les repreneurs industriels à se manifester et à faciliter les négociations en cours pour la restructuration financière de l'entreprise.

Enfin, ils estiment qu'une telle prise de participation devrait garantir une représentation pérenne de l'État au conseil d'administration, considérant que l'absence de supervision et de connaissance des activités stratégiques et souveraines d'Atos parmi les membres de son conseil d'administration a pu conduire à adopter des propositions préjudiciables telles que la prise de participation à hauteur de 7,5 % du capital d'Eviden par la société EP Equity Investment (EPEI) de Daniel Kretinsky.

Recommandation n° 2 : Faire entrer l'État au capital à deux niveaux : (1) une prise de participation minoritaire et durable de l'APE au sein d'Atos SE garantissant une place au conseil d'administration afin de permettre une supervision de toutes les activités stratégiques et sensibles du groupe (2) une prise de participation majoritaire et durable de Bpifrance au sein de BDS afin d'assurer le financement et la supervision resserrée d'activités technologiques souveraines qui doivent dans tous les cas demeurer dans le giron national.

B. DANS LE CAS CONTRAIRE, S'IL DEVAIT Y AVOIR DES CESSIONS D'ACTIFS, ALORS PLUSIEURS PRÉCAUTIONS DEVRAIENT ÊTRE PRISES

1. Dans tous les cas, préserver coûte que coûte l'emploi et l'outil industriel sur le territoire national

À l'issue de leurs travaux, les rapporteurs sont parvenus à la conclusion que la première valeur ajoutée d'Atos repose sur ses collaborateurs, détenteurs de compétences, de connaissances et de savoir-faire qui permettent à l'entreprise d'être un grand groupe informatique français d'envergure internationale. Paul Saleh, directeur général du groupe, a ainsi rappelé lors de son audition que le groupe compte « 95 000 collaborateurs, dont 80 000 ingénieurs, ce qui explique que nous détenions plus de 2 000 brevets et plus de 400 000 certifications »112(*). Autrement dit, préserver l'emploi c'est aussi préserver des compétences qui font la valeur technologique du groupe.

Les rapporteurs souhaitent ainsi insister sur ce point, car ils ont constaté que les enjeux de préservation de l'emploi sont malheureusement trop souvent absents du débat relatif à l'avenir d'Atos. Or, l'immense majorité des collaborateurs du groupe n'est pas responsable de ses « errements stratégiques » des dernières années. Il ressort des auditions que la restructuration déjà à l'oeuvre de l'entité Tech Foundations, en particulier en Allemagne, a déjà conduit à la suppression de milliers d'emplois. Par exemple, en février 2023, un plan de réduction d'effectifs de 7 500 personnes a été annoncé sur trois ans, dont 2 200 en Allemagne et 800 en France, pour la seule entité Tech Foundations. Cette restructuration se poursuivra dans les prochaines années, avec d'autres milliers d'emplois qui seront supprimés, sans doute de l'ordre de 4 000 à 5 000 postes, permettant plusieurs centaines de millions d'euros d'économies de coûts nécessaires à l'atteinte des objectifs de performance économique et financière ambitieux que le groupe Atos s'est récemment fixé pour Tech Foundations d'ici 2027.

Par conséquent, pour les activités, les branches et les entités du groupe Atos qui pourraient être cédées, les rapporteurs appellent l'ensemble des repreneurs éventuels à accorder une importance particulière à la préservation de l'emploi industriel et de l'appareil productif sur le territoire national et les pouvoirs publics à fixer de façon systématique des garanties de préservation de l'emploi et de l'outil industriel. À cet égard, il ressort des travaux menés par les rapporteurs que l'offre de rachat de Tech Foundations par la société EPEI prévoyait une garantie de préservation de l'emploi pendant deux ans seulement.

Recommandation n° 3 : fixer des obligations pluriannuelles de préservation de l'emploi et de l'outil industriel à l'ensemble des repreneurs intéressés pour racheter tout ou partie des activités du groupe.

2. Assurer la pérennité de la filiale Atos Worldgrid qui joue un rôle stratégique dans le renouvellement du parc nucléaire civil

S'il devait y avoir des cessions d'actifs, les rapporteurs estiment que la situation de la filiale Atos Worldgrid, spécialisée dans le développement de logiciels pour les systèmes de contrôle-commande des centrales nucléaires notamment pour la nouvelle génération d'EPR2 en partenariat avec Schneider Electric, devrait faire l'objet de la plus grande vigilance. La situation financière du groupe ne saurait en aucun cas mettre en péril une activité indispensable au pilotage des centrales nucléaires françaises et au renouvellement de notre parc nucléaire civil qui s'inscrit dans une stratégie de long terme de renouvellement et d'augmentation des capacités nucléaires nationales pour faire face à nos besoins énergétiques toujours plus importants tout en contribuant à la décarbonation de l'économie française.

S'agissant d'une activité très spécifique et unique au sein d'Atos, sa cession pourrait être envisagée à la condition que celle-ci soit réalisée au profit d'un ou plusieurs repreneurs nationaux, éventuellement soutenus par les pouvoirs publics.

Il ressort des auditions menées que des marques d'intérêt sérieuses ont déjà été formulées à l'encontre de cette filiale dont l'activité semble plus facilement détachable du reste des activités d'Eviden que d'autres filiales, d'autant plus que cette filiale est rentable, attractive et a une forte valeur ajoutée, sa valeur ayant pu être estimée entre 200 et 300 M€.

Les rapporteurs estiment que des acteurs comme EDF ou Framatome auraient tout intérêt à se positionner en faveur du rachat d'Atos Worldgrid au regard de la nature de son activité, des synergies technologiques attendues et des fortes compétences et savoir-faire des équipes d'Atos Worldgrid, ce qui plaide une nouvelle fois pour la fixation de garanties pluriannuelles de préservation de l'emploi et des compétences.

Enfin, les rapporteurs n'excluent pas un accompagnement de Bpifrance, qui pourrait par exemple faire partie d'un consortium d'acheteurs nationaux, ce qui serait tout à fait justifié et de nature à faciliter la cession d'une telle filiale.

Recommandation n° 4 : en cas de cession de la filiale Worldgrid, privilégier un repreneur industriel français, souverain, performant et accepté par EDF, ou d'un consortium d'industriels accompagnés par Bpifrance et remplissant les mêmes conditions, afin de préserver une activité nucléaire souveraine et performante.

3. Privilégier une cession de l'intégralité de la branche BDS plutôt qu'un éclatement des activités auprès de multiples repreneurs

S'il devait y avoir d'autres cessions d'actifs, les rapporteurs estiment que la branche Big Data & Security (BDS) devrait plutôt être cédée dans son intégralité, sans redécoupage ni éclatement de ses activités auprès de plusieurs repreneurs, au risque de perdre en pertinence technologique comme en efficacité commerciale.

Il ressort des auditions menées par les rapporteurs que plusieurs marques d'intérêt, plus ou moins formelles et engageantes, ont été formulées pour racheter tout ou partie de cette branche, même si la décision du groupe Airbus, à la suite d'une période de due diligence au début de l'année 2024, de ne finalement pas s'engager dans cette voie semble avoir mis un « coup d'arrêt temporaire » aux perspectives de rachat de BDS.

Les rapporteurs n'excluent pas que le groupe Airbus s'intéresse de nouveau à un rachat d'actifs, sans doute sur un périmètre plus restreint que celui préalablement envisagé, mais ils estiment préférable que la branche BDS soit cédée dans son intégralité. En effet, si des repreneurs potentiels seraient avant tout intéressés par la « partie Cybersécurité » de BDS, d'autres seulement par la « partie HPC » et d'autres seulement sur la « partie Mission critical systems » (MCS) liée aux activités de défense.

Bien que la scission du groupe et la délimitation de ses activités demeurent fortement critiquées, il ressort des auditions, qu'il y aurait une certaine adhérence critique et des synergies avérées, surtout en matière de recherche et développement (R&D), entre toutes les activités aujourd'hui réunies au sein de la branche BDS. Il avait même été envisagé que la branche BDS soit introduite en Bourse en 2019 puis cédée en 2022, mais ces projets ont été refusés par le conseil d'administration d'Atos.

Aujourd'hui, même si les activités de BDS sont inégalement rentables et attractives, il y a un intérêt majeur à mutualiser les efforts de R&D, surtout à l'heure où les maîtrises du traitement massif de données, du calcul intensif et de l'intelligence artificielle sont intrinsèquement imbriquées : découper BDS serait sans doute une grave erreur stratégique en termes de R&D.

Recommandation n° 5 : en cas de cession de BDS, privilégier une cession dans son intégralité auprès d'un repreneur industriel français, ou d'un consortium d'industriels français, afin de mutualiser les efforts de R&D et de développer les synergies technologiques entre les différentes activités de calcul intensif et de cybersécurité.

4. Demeurer ferme et vigilant quant à une éventuelle cession de Tech Foundations

S'il devait y avoir des cessions d'actifs supplémentaires, les rapporteurs appellent à la prudence quant à la cession éventuelle de Tech Foundations, le seul repreneur officiellement connu étant la société EP Equity Investment (EPEI) de Daniel Kretinsky.

En effet, au regard des différentes auditions menées, les rapporteurs sont parvenus à la conclusion qu'il n'y avait aucun consensus quant à l'absence d'adhérence critique et de porosité entre les activités de Tech Foundations et les activités d'Eviden. Par conséquent, des conditions strictes de gouvernance et de cloisonnement de l'information devraient être prises afin d'éviter que le repreneur éventuel de Tech Foundations n'accède à des renseignements et aux décisions prises concernant les activités stratégiques, souveraines et sensibles du groupe Atos.

Les rapporteurs estiment également que des précautions particulières devraient être prises concernant l'éventuel accord de financement qui serait conclu entre Atos et la société EPEI, les termes financiers associés à la première offre ayant été fortement critiqués. Il s'agit à la fois de fixer le juste prix de valorisation et d'éviter un transfert de l'intégralité de la dette résiduelle à « l'entité restante ».

Dans la mesure où l'entité Tech Foundations fait et continuera très certainement de faire l'objet d'importantes restructurations, les rapporteurs souhaitent également qu'une attention particulière soit accordée aux garanties de préservation de l'emploi, et donc de préservation des compétences, et de l'outil industriel sur le territoire national.

Dans l'éventualité où la société EPEI manifesterait de nouveau un intérêt pour le rachat de la branche Tech Foundations, les rapporteurs appellent donc le ministre chargé de l'Économie à faire un usage particulièrement vigilant et resserré du contrôle des investissements étrangers en France (IEF) afin de fixer des critères de gouvernance, de financement et de préservation de l'emploi particulièrement exigeants.

Recommandation n° 6 : effectuer un contrôle vigilant et resserré des investissements étrangers en France dans l'éventualité où Tech Foundations serait rachetée par un investisseur étranger sans oublier d'évaluer les conséquences sur le reste du groupe.

5. Éviter de constituer une entité « orpheline » dont les perspectives de survie seraient compromises par le poids de la dette

Si tout ou partie des cessions d'actifs envisagées étaient amenées à se réaliser dans les mois à venir - soit la cession de l'entité Tech Foundations, de la branche BDS d'Eviden et de la filiale Atos Worldgrid - alors les rapporteurs s'interrogent sur « l'entité résiduelle » qui resterait, soit tout ou partie d'Eviden.

Les rapporteurs estiment en effet qu'il ne serait pas judicieux que cette entité supporte à elle seule le poids de la dette, même restructurée, surtout si des activités fortement intensives en R&D et nécessitant des investissements importants dans la durée sont maintenues dans le périmètre d'Eviden. Sinon, il y aurait un risque que cette entité ne puisse pas se développer avec des marges de manoeuvre financière suffisantes pour poursuivre son activité, au risque de compromettre sa pérennité et l'avenir de ses collaborateurs.

Recommandation n° 7 : exclure la constitution d'une entité « orpheline et résiduelle » qui porterait seule le poids de la dette, même après restructuration, afin de s'assurer que toutes les activités, cédées comme restantes, soient suffisamment valorisées et pérennes.

C. POUR ATOS, L'ÉTAT DOIT MONTRER L'EXEMPLE

1. Ne pas dénoncer les contrats en cours

Aujourd'hui, comme cela a été rappelé précédemment, une grande partie des activités d'Atos en France sont à destination des secteurs publics et parapublics. Partenaire et fournisseur de différentes administrations - comme le ministère de l'Intérieur, le ministère des armées ou les services de renseignement -, de collectivités territoriales - par exemple pour le développement de plateformes de données ouvertes à destination des villes connectées et intelligentes -, d'établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) - avec la mise en place et la maintenance du système de vidéosurveillance des lignes de métro du Grand Paris Express -, d'entreprises publiques - comme EDF pour le compte de laquelle Atos gère des systèmes de gestion d'énergie et des systèmes de commande-contrôle pour les centrales nucléaires -, ou encore d'autre organismes publics ou privés exerçant des missions d'intérêt général - comme la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) ou les caisses de retraites complémentaires (AGIRC-ARRCO) -, les services d'Atos sont présents « partout et tout le temps ».

C'est pourquoi les rapporteurs considèrent qu'Atos, bien qu'étant relativement méconnue du grand public, est une entreprise « omniprésente » dans notre quotidien. C'est aussi pourquoi ils estiment que le rôle de l'État doit être exemplaire en soutenant une entreprise aussi stratégique qu'Atos.

Il ressort pourtant des auditions menées par les rapporteurs que les partenaires publics et parapublics d'Atos sont parmi les premiers à être inquiets de la situation actuelle, au risque que certains contrats en cours soient interrompus ou non renouvelés. Par ailleurs, Atos ne sera plus partenaire du Comité international olympique (CIO) à compter des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) d'hiver 2026.

Au regard de la situation financière difficile dans laquelle se trouve Atos aujourd'hui, qui conduit indéniablement à une hausse de la pression exercée par les clients et par les fournisseurs de l'entreprise, les rapporteurs appellent l'ensemble des partenaires publics et parapublics d'Atos à ne pas dénoncer les contrats en cours et à continuer de soutenir un groupe dont la capacité à contractualiser avec l'État a un effet d'entraînement sur sa capacité à conclure des contrats commerciaux auprès d'acteurs privés.

Recommandation n° 8 : maintenir l'ensemble des contrats et des missions du groupe Atos auprès de ses partenaires publics et parapublics actuels.

2. Soutenir davantage les efforts de recherche et développement dans les activités de calcul à haute performance, à l'instar de ce que font nos compétiteurs

De la situation financière d'Atos dépend la bonne capacité de l'entreprise à investir suffisamment dans ses activités de calcul à haute performance (HPC) issues du rachat de la société Bull en 2014. Comme cela a été rappelé supra, grâce à la mise en place d'une stratégie nationale de calcul à haute performance, d'un soutien appuyé de la direction des applications militaires (DAM) du ministère des Armées et du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies renouvelables (CEA), une véritable filière nationale s'est développée permettant aujourd'hui à Atos d'être considéré comme le troisième fabricant mondial de supercalculateurs, et le dernier d'Europe, en termes de puissance de calcul installée.

La mise en place d'une telle filière était indispensable et continuera de l'être dans les prochaines années, d'autant plus que les besoins en matière de capacité de calcul ne cessent de croître au fur et à mesure que l'informatique en nuage (cloud) et l'intelligence artificielle se développent et se généralisent. Sans puissance de calcul, et donc sans une certaine autonomie dans la fabrication et l'approvisionnement de supercalculateurs, ni la France ni l'Union européenne ne peuvent espérer devenir des acteurs majeurs de l'intelligence artificielle. Par conséquent, il est indispensable de continuer d'investir dans l'activité HPC d'Atos, qui est une activité relativement intense en recherche et développement (R&D).

Si la part du financement octroyé par l'État a progressivement diminué ces dernières années, notamment au gré du développement économique de l'entreprise, la situation financière difficile dans laquelle Atos se trouve aujourd'hui, ainsi que l'absence de perspective claire quant à l'avenir du groupe et de son activité HPC, justifient un soutien renouvelé de l'État pour maintenir la production, l'augmenter dans les prochaines années et développer de nouvelles générations de machines capables de répondre aux besoins toujours plus grands de puissance de calcul, les supercalculateurs étant en moyenne renouvelés tous les cinq ans.

Les rapporteurs considèrent qu'il serait inadmissible, injustifiable et inacceptable de « revenir vingt ans en arrière » en achetant des supercalculateurs à des concurrents américains ou chinois par manque de soutien à une filière nationale qui repose en grande partie sur les activités de calcul à haute performance d'Atos. Ils rappellent ainsi que le soutien de l'État dans le projet de modernisation du site de production d'Angers est largement insuffisant et tiennent une nouvelle fois à saluer l'engagement des collectivités territoriales dont la mobilisation est primordiale à la conduite de ce projet. Un engagement supplémentaire de l'État est d'autant plus indispensable que ni les États-Unis ni la Chine ne se privent de soutenir financièrement et par la commande publique leurs fabricants nationaux de supercalculateurs.

Recommandation n° 9 : augmenter la part du financement octroyé par l'État pour maintenir et soutenir la R&D dans les activités de calcul à haute performance afin de préserver une filière nationale récemment constituée qui permettra à la France et à l'Europe de saisir pleinement les nouvelles révolutions technologiques.

D. PLUS LARGEMENT, AMÉLIORER NOS DISPOSITIFS DE PROTECTION DE NOS ACTIFS STRATÉGIQUES AU REGARD DES IMPÉRATIFS DE SOUVERAINETÉ

1. Renforcer le dispositif de contrôle des investissements étrangers en France

Il ressort des travaux menés par les rapporteurs que, malgré un renforcement progressif et continu du dispositif de contrôle des investissements étrangers en France (IEF) depuis son instauration, des faiblesses dans le contrôle persistent, à commencer par le manque de moyens humains alloués au bureau chargé des IEF à la direction générale du Trésor du ministère de l'Économie des Finances pour assurer une pleine applicabilité du dispositif.

Aujourd'hui, comme cela a été rappelé précédemment, cette politique demeure une « politique de chef de bureau » qui mériterait un portage politique plus appuyé et un rattachement administratif à plus haut niveau, car les moyens dédiés à ce contrôle ne sont pas à la hauteur des enjeux de souveraineté qui y sont traités.

Ainsi, contrairement aux services du ministère des Armées qui effectuent un contrôle plus resserré et systématique des IEF intéressant la défense nationale, aucune vérification systématique des engagements pris par les investisseurs n'est effectuée, aucun contrôle sur place ou sur pièce auprès des entreprises concernées n'est mené, ce qui est un « trou » particulièrement préjudiciable au sein de la maille du « filet » que devrait constituer le contrôle des IEF.

Par ailleurs, les rapporteurs regrettent qu'un contrôle plus systématique et plus approfondi ne soit pas effectué :

- lorsqu'un investisseur national ou un investisseur étranger se situant en deçà des seuils de contrôle parvient à réaliser un investissement grâce à la mobilisation de capitaux étrangers et à l'association de fonds d'investissement étrangers dont le lien avec un gouvernement ou un organisme public étranger est supposé ou avéré ;

- lorsqu'une partie de la dette d'une entreprise est titrisée, c'est-à-dire convertie en capital par des détenteurs étrangers, surtout qu'une détention suffisante de capital pourrait conduire de tels acteurs étrangers à jouer un rôle dans la gouvernance d'entreprises d'une importance particulière pour la souveraineté et la défense nationales.

Recommandation n° 10 : renforcer les moyens alloués au contrôle des investissements étrangers en France afin de permettre une vérification plus resserrée et plus systématique, notamment pour :

- assurer enfin le suivi dans le temps des engagements des investisseurs dont l'autorisation d'investissement est assortie de conditions en confiant cette mission à la direction générale du Trésor ;

- mieux contrôler l'origine des fonds d'un investisseur se situant a priori en deçà des seuils, mais parvenant à réaliser son investissement grâce à des capitaux et à des fonds d'investissement et à étrangers dont le lien avec un gouvernement ou un organisme public étranger est avéré ou supposé ;

- mieux contrôler les détenteurs étrangers de la dette d'une entreprise qui décident, dans le cadre d'une procédure de traitement des difficultés, de convertir tout ou partie de leur dette en capital.

2. Envisager l'interdiction de la vente à découvert sur les entreprises cotées ayant des activités souveraines

Il ressort des travaux menés par les rapporteurs qu'Atos serait aujourd'hui l'entreprise « la plus shortée de France », c'est-à-dire la plus exposée au phénomène de vente à découvert, pratique consistant à vendre des titres que l'on ne détient pas en anticipant une baisse de leur valeur.

Comme cela a été rappelé supra, les fonds vendeurs à découvert représentent ainsi de l'ordre de 20 % du capital de l'entreprise, mais ce pourcentage pourrait être en réalité bien supérieure, car l'Autorité des marchés Financiers (AMF) ne rend publique l'information d'une vente à découvert que lorsque la position de l'intervenant atteint 0,5 % du capital de la société concernée. Par exemple, à la date du 23 avril 2024, il y avait 11 fonds d'investissement en vente à découvert positionné sur Atos, ce qui représentait près de 23 millions d'actions pour environ 44 M€, soit 20,55 % du capital du groupe.

Si la vente à découvert est une pratique légale, courante et ancienne, la situation d'Atos, dont la forte activité de vente à découvert est considérée comme l'un des facteurs de déstabilisation de l'entreprise, doit conduire à s'interroger quant à la pertinence d'autoriser la vente à découvert sur des sociétés cotées ayant des activités stratégiques et souveraines. De nombreuses parties prenantes internes et externes à l'entreprise se sont en effet exprimées en faveur d'une restriction, voire d'une interdiction, de cette pratique pour des entreprises comme Atos.

Recommandation n° 11 : envisager une restriction voire une interdiction de la vente à découvert sur des sociétés cotées ayant des activités sensibles et stratégiques intéressant directement la souveraineté et la défense nationales, a minima lorsque ces sociétés ont engagé une procédure de prévention ou de traitement de leurs difficultés, en plaidant, au niveau européen, pour une révision du règlement européen de 2012 sur la vente à découvert dans ce sens113(*).

TRAVAUX EN COMMISSION

Audition de MM. Jean-Pierre Mustier, président du conseil d'administration et Paul Saleh, directeur général d'Atos
(Mercredi 10 avril 2024)

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. - Je remercie les membres des commissions des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, et des affaires économiques pour leur participation à cette audition conjointe de M. Jean-Pierre Mustier, président du conseil d'administration d'Atos, et de M. Paul Saleh, directeur général d'Atos.

Monsieur le président, monsieur le directeur général, je vous remercie de votre présence cet après-midi et d'avoir accepté de vous exprimer publiquement devant nos deux commissions réunies. La situation d'Atos nous intéresse au premier chef et nous avons suivi avec une grande attention vos dernières annonces sur les perspectives de refinancement de l'entreprise d'ici à fin juillet.

La commission des affaires économiques est particulièrement soucieuse de l'évolution des grandes entreprises et des grands fleurons industriels français, surtout lorsqu'ils contribuent à notre souveraineté, à accélérer la numérisation de notre économie et de nos services publics, à renforcer notre base industrielle et à créer des emplois dans nos territoires.

Depuis désormais plus de deux mois, nos quatre rapporteurs - Mme Sophie Primas et M. Fabien Gay pour la commission des affaires économiques, MM. Thierry Meignen et Jérôme Darras pour la commission des affaires étrangères - mènent un travail approfondi de compréhension et d'analyse de la situation. Ce sont 84 personnes qui ont été entendues pendant 42 heures d'auditions et nous tenons vraiment à saluer la grande disponibilité et la coopération de vos services afin de faciliter notre travail de contrôle parlementaire.

Nous sommes conscients des difficultés liées à l'exercice d'un tel contrôle à l'égard d'une société cotée dont la forte médiatisation n'est pas toujours facilitatrice, mais vous noterez que nos rapporteurs ont, jusqu'à présent, été attachés à conserver une grande discrétion sur leurs travaux afin d'établir un climat de travail serein et de confiance.

Nos préoccupations n'en restent pas moins légitimes, car Atos n'est pas un groupe comme les autres. C'est l'une des entreprises françaises de services numériques les plus connues au monde, un grand groupe informatique qui compte près de 10 000 salariés en France, comprend plusieurs sites - dont l'usine d'Angers de fabrication des supercalculateurs - et contribue à de nombreuses activités publiques, parapubliques et souveraines, qui participent de la défense des intérêts supérieurs de notre Nation.

Face à cette situation et au regard de la mobilisation que nous jugeons assez largement insuffisante et tardive du Gouvernement - la tribune des parlementaires publiée le 1er août 2023 sous l'impulsion du président Cédric Perrin constituant le véritable tournant de la mobilisation politique sur ce dossier -, nous cherchons à mieux comprendre la situation dans laquelle se trouve Atos et les enjeux de sa restructuration afin de contribuer à l'élaboration de solutions crédibles qui bénéficieront à l'entreprise, mais qui permettront également d'améliorer nos politiques publiques de façon durable.

Nous bénéficions aujourd'hui d'un tout petit peu de recul face aux solutions mises en place pour les groupes Casino et Orpea, nous regardons avec inquiétude la situation d'autres grands groupes français à l'instar d'Altice-SFR, et nous avons surtout pour objectif de permettre à Atos de demeurer un grand groupe français, au service de la souveraineté et de la compétitivité de notre pays.

Messieurs, vous l'aurez compris, votre audition est très importante et je ne doute pas que nos rapporteurs et nos collègues auront de très nombreuses questions à vous poser. Je cède sans plus tarder la parole au président Cédric Perrin.

M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères. - Monsieur le président, monsieur le directeur général, nous vous remercions d'être présents parmi nous cet après-midi.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, vous vous en doutez, suit avec la plus grande attention - et parfois avec une certaine inquiétude - l'évolution de la situation d'Atos.

En effet, certaines activités de votre groupe présentent un intérêt stratégique majeur en ce qu'elles constituent un maillon de la composante la plus critique de notre défense - je veux évidemment parler de la dissuasion. Depuis l'arrêt des essais nucléaires en 1996, le développement de nos armements nucléaires repose très largement sur des simulations informatiques réalisées par des supercalculateurs conçus par Atos.

Au-delà de la question clé de l'avenir des supercalculateurs - au sujet de laquelle l'annonce, hier matin, de l'octroi d'une action de préférence au profit de l'État semble apporter un début de réponse -, nous nous demandons dans quelle mesure il n'existe pas une certaine porosité entre les services d'infogérance, rassemblés dans l'entité Tech Foundations, et les activités intéressant la défense nationale. Même si les négociations exclusives avec Daniel Kretinsky n'ont pas abouti, votre groupe conserve un programme de cession d'actifs important, de l'ordre de 400 millions d'euros.

En d'autres termes, quand bien même les activités les plus sensibles d'Atos seraient préservées, dès lors que certains contrats de Tech Foundations relatifs à des services d'infogérance ont été passés avec des services du ministère des armées ou des entreprises sensibles de la base industrielle et technologique de défense (BITD), une cession de Tech Foundations à un acteur étranger pourrait être porteuse d'un risque d'ingérence. Nous souhaiterions que vous nous éclairiez sur la réalité d'un tel risque.

Nous souhaiterions également vous entendre sur la décision de l'État d'octroyer à Atos un prêt de 50 millions d'euros en échange d'une action de préférence dans Bull SA. Vous pourrez nous présenter les droits attachés à cette action et nous expliquer dans quelle mesure ce dispositif doit effectivement permettre de sécuriser certaines activités souveraines, tout en précisant le périmètre des activités concernées. Nous souhaiterions également que vous nous précisiez si cette action de préférence prendra fin lorsqu'un accord de refinancement aura été conclu, ou si celle-ci a vocation à perdurer par la suite.

Enfin, Atos est devenu au cours des dernières années un acteur majeur dans le domaine du quantique. La loi de programmation militaire (LPM) que nous avons votée à l'été dernier a bien mis en avant l'importance que prendra ce domaine dans les années à venir. Les projets de cession d'activités envisagés par Atos sont-ils de nature à mettre en danger cette filière, qui peut désormais être considérée comme souveraine ?

Messieurs, vous l'aurez compris, votre audition était attendue et nous souhaitons que vous apportiez des réponses précises à ces différentes questions, ainsi qu'à celles qui ne manqueront pas d'être soulevées par les rapporteurs et nos collègues des deux commissions.

M. Jean-Pierre Mustier, président du conseil d'administration d'Atos. - Merci, mesdames, messieurs les sénateurs, de nous recevoir.

S'agissant des questions de souveraineté et de l'accord que nous avons passé avec l'État, cette action de préférence lui donne des droits de gouvernance sur une filiale du groupe, Bull SA, qui regroupe une grande partie de nos activités dites « sensibles » liées à la souveraineté. L'accord avec l'État prévoit que des activités extérieures à Bull SA puissent y être placées si l'action de préférence entre en jeu.

Au-delà de ces droits de gouvernance, l'action de préférence permet un certain nombre d'accords avec l'État et la gestion d'une série de sujets opérationnels. Parmi ceux-ci, la capacité donnée à l'État d'acquérir les activités sensibles si l'actionnariat d'Atos venait à changer, notamment dans le cas où l'arrivée d'actionnaires qui ne seraient pas français ou considérés comme incompatibles avec les sujets de souveraineté nécessiterait une telle évolution.

Nos activités sensibles, je tiens à le souligner, s'inscrivent dans un cadre très protégé : séparées, elles s'effectuent dans des conditions strictes pour l'ensemble des employés concernés, de manière à assurer une totale confidentialité. Une accréditation défense leur est attribuée, à la différence de Paul Saleh et de moi-même, car nous ne pouvons ni ne devons en connaître le détail. Cette action de préférence va nous permettre d'aller plus loin pour protéger ces activités, au cas où la restructuration industrielle d'Atos amènerait un changement d'actionnariat.

Quant au devenir de cette action de préférence, elle demeurera bien au-delà de l'accord de refinancement et du remboursement du prêt de 50 millions d'euros accordé par l'État. Ce prêt, négocié avec le comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri), a été conçu de manière à compléter les lignes de financement accordées par les banques, à hauteur de 300 millions d'euros, et par nos investisseurs obligataires. De court terme, lesdites lignes permettent de s'assurer qu'Atos disposera des coussins de liquidités nécessaires pour aller jusqu'à la négociation d'un accord de refinancement avec l'ensemble de nos créditeurs.

Grâce à cet accord de refinancement, le groupe pourra assurer la continuité de ses activités opérationnelles, essentielle pour les salariés d'Atos. J'en profite pour saluer le travail extraordinaire que ces derniers ont accompli, à l'étranger et en France : dans une situation médiatiquement difficile, ils restent malgré tout fidèles au groupe.

Après ces accords sur les liquidités et le lancement de cette phase de restructuration, nous sommes donc très confiants pour l'avenir du groupe, comme le sont nos salariés et nos clients. Vous pouvez l'être également, qu'il s'agisse du développement de nos activités sensibles ou des jeux Olympiques et Paralympiques, pour lesquels Atos sera au rendez-vous.

M. Paul Saleh, directeur général d'Atos. - Citoyen américain, je vous prie de m'excuser par avance si je cherche certains de mes mots. Atos est effectivement une entreprise très reconnue dans le secteur numérique, avec un chiffre d'affaires d'environ 10,7 milliards d'euros et 95 000 collaborateurs, dont 80 000 ingénieurs, ce qui explique que nous détenions plus de 2 000 brevets et plus de 400 000 certifications. Cela fait de nous une entreprise exceptionnelle, à la pointe du numérique.

Notre taux de rétention des talents s'établit à 88 %, contre 84 % en moyenne dans l'industrie : cela démontre que nos collaborateurs, qui servent nos clients avec talent, sont loyaux et qu'ils constituent une véritable force pour l'entreprise. Nous disposons également d'académies implantées un peu partout sur la planète, ce qui leur permet de se former dans les domaines les plus avancés.

Si nos difficultés ne sont pas de nature opérationnelle, nous devons encore rectifier une série d'aspects qui auraient pu être corrigés plus tôt. Nous avons encore du travail à accomplir pour prendre toute notre part dans la croissance du secteur numérique et trouver une solution à la dette que nous avons à assumer.

Mme Sophie Primas, rapporteur de la commission des affaires économiques. - À mon tour de vous remercier de votre présence parmi nous : votre audition devant notre Haute assemblée tombe à point nommé. Je vous remercie également pour la qualité du document que vous nous avez transmis : extrêmement précis et complet, il nous a permis d'affiner nos connaissances.

Nous avons bien pris acte de l'ouverture d'une procédure amiable de conciliation qui devrait vous permettre, d'ici à la fin du mois de juillet, de déterminer précisément le plan de refinancement du groupe Atos auprès de ses principaux créanciers.

Néanmoins, une telle procédure n'est valable que si Atos évite la cessation de paiements. C'est pourquoi il nous faut considérer avec sérieux votre annonce d'un besoin total de liquidités à hauteur de 1,2 milliard d'euros sur l'année à venir.

Face à cette urgence financière et dans l'attente de la conclusion d'un accord d'ici à fin juillet, un financement intermédiaire de 400 millions d'euros a été annoncé - alors qu'il a été fait mention de 300 millions d'euros précédemment -, complété d'un prêt de l'État de 50 millions d'euros octroyé par l'intermédiaire du fonds pour le développement économique et social (FDES).

Afin de bien comprendre et de bien préciser les choses, ces 450 millions d'euros viennent-ils en déduction ou en addition du 1,2 milliard d'euros de besoins de liquidités qui est souvent évoqué ?

En tout état de cause, il s'agit d'une solution temporaire et transitoire qui constitue certes un « coussin » de liquidités supplémentaire, mais qui ne permet en aucun cas à Atos d'avoir l'« assise » nécessaire pour développer un projet stratégique et industriel de long terme.

Encore une fois, nous constatons avec regret que « l'État pompier » s'est substitué à « l'État stratège » et n'est pas intervenu de manière suffisamment rapide. Car la souveraineté de la France, qui passe par certaines des activités d'Atos, ne se résume pas uniquement à l'activité de fabrication de supercalculateurs, aussi primordiale soit-elle. Le groupe est présent « partout, tout le temps » : il est indispensable au fonctionnement de nos centrales nucléaires et de nombreux services publics, dont les transports ; il est indispensable à la gestion de nos données de santé, de retraite, ou encore à la sécurisation informatique des jeux Olympiques et Paralympiques, et même, nous dit-on, au calcul de la performance des athlètes.

Avec une dette financière totale évaluée à 4,9 milliards d'euros et un objectif de réduction de celle-ci de 2,4 milliards d'euros d'ici à fin 2026, comment comptez-vous concrètement réduire l'endettement du groupe ? Quelle entité - Eviden, Tech Foundations, les deux - portera la charge de l'endettement ?

L'annonce récente du cadre de refinancement d'Atos n'exclut en aucun cas des futures cessions d'actifs, y compris dans l'éventualité d'un accord conclu avec les principaux créanciers de l'entreprise.

Au cours des très nombreuses auditions que nous avons menées, un élément m'a particulièrement marquée : l'hypothèse d'un maintien entier du groupe n'est presque jamais abordée, souhaitée ou, en tout cas, considérée - en premier lieu, d'ailleurs, par les services de l'État. Aujourd'hui, le maintien en entier du groupe Atos est-il une solution envisagée ? Est-elle celle qui a votre préférence ? Sinon, que projetez-vous de faire ?

Il semble que des logiques financières de court terme aient pris le pas sur des logiques industrielles de long terme. Mentionnons, déjà, une scission du groupe en deux entités qui a été très fortement contestée et une délimitation des activités - suggérée probablement par des cabinets de conseil - dont la pertinence demeure encore à démontrer. Mentionnons, ensuite, le fait que les récentes annonces concernent un « cadre de refinancement » et un « plan d'affaires », absolument pas un « plan stratégique » et encore moins une « vision industrielle de long terme ».

Quelle stratégie industrielle voulez-vous déployer pour le groupe Atos, à court et moyens termes ? Quel souffle, quelles impulsions comptez-vous lui donner dans les prochains mois et, surtout, dans les prochaines années ?

M. Fabien Gay, rapporteur de la commission des affaires économiques. - Je vous remercie également de votre présence cet après-midi et des éléments extrêmement complets que vous nous avez adressés en réponse au questionnaire que nous vous avons transmis.

Les annonces des deux derniers jours se veulent rassurantes, mais je ne vous cache pas que nos inquiétudes et nos préoccupations quant à l'avenir du groupe Atos subsistent, en particulier après le travail d'approfondissement que nous avons mené.

Le maintien du groupe Atos en entier, fleuron informatique français dont l'importance pour la souveraineté de notre pays n'est plus à démontrer, semble complexe, voire - vous me pardonnerez l'expression - mal embarqué. Nous le regrettons. Ce que par-dessus tout je ne souhaite pas, c'est une vente à la découpe à la barre du tribunal de commerce qui serait organisée sous l'égide de la conciliatrice nommée dans le cadre de la procédure de conciliation amiable. Des entreprises n'ayant pas voulu racheter lors du premier tour pourraient alors se positionner aux deuxième et troisième tours, tels des rapaces, pour acheter et dépecer Atos.

Le groupe - en particulier sa branche dite d'infogérance, Tech Foundations - fait déjà l'objet de restructurations importantes, notamment en Allemagne où plusieurs milliers d'emplois ont déjà été supprimés. Ces restructurations doivent se poursuivre, d'autant que le chiffre d'affaires et la croissance de cette branche - qui reste a priori rentable - continuent de diminuer.

Il avait été question qu'elle soit reprise par la société EPEI de Daniel Kretinsky, mais les négociations exclusives avec Atos se sont terminées le 28 février dernier. Je reste persuadé que cette société n'exclut pas de se positionner de nouveau, au deuxième ou au troisième tour des négociations et à la barre du tribunal de commerce. Cette dimension pose question dans la mesure où Daniel Kretinsky est connu comme le champion du redimensionnement et de la réorganisation, c'est-à-dire, en clair, des suppressions d'emplois.

De votre point de vue, la cession de la branche Tech Foundations est-elle toujours d'actualité ? Quelles sont les garanties économiques et sociales de préservation de l'emploi et de l'outil industriel qui seront imposées à son futur repreneur ?

Je me permets d'insister sur ce point, car cette question est souvent oubliée. J'ai pu le constater à de nombreuses reprises lors des auditions que nous avons menées ces dernières semaines, notamment avec les représentants de l'intersyndicale, auxquels je tiens à apporter ici toute ma solidarité.

Je ne peux donc regarder qu'avec inquiétude l'avenir des 10 000 salariés du groupe présents en France et des différents sites de recherche et de production, en particulier celui de l'usine d'Angers de fabrication des supercalculateurs, qui permet à la France d'assurer son rang dans la compétition mondiale pour la puissance de calcul, aux côtés des États-Unis et de la Chine. Comme vous l'avez souligné, la force majeure d'Atos réside dans ses salariés, il est donc important que nous sachions si ces derniers pourront prolonger leur activité.

Il en est de même pour les autres cessions d'actifs envisagés. Au regard de la fin des négociations exclusives avec Airbus, que l'État n'a pas suffisamment soutenu dans sa démarche, la cession de tout ou partie des activités de la branche Big Data & Cybersecurity (BDS) est-elle également d'actualité ? Par un ou plusieurs repreneurs industriels français réunis en consortium ? Des garanties économiques et sociales seront-elles fixées ?

Disons-le clairement : le cadre de refinancement annoncé nous semble un peu fragile. D'abord, parce qu'il ne détaille pas la façon dont l'entreprise va réduire son endettement de moitié d'ici à fin 2026. Ensuite, parce qu'il repose sur la bonne coopération des créanciers, qui devraient renoncer à une partie significative de leurs créances, et des actionnaires, qui devraient soit apporter de nouveaux fonds, soit accepter une forte dilution du capital. Enfin, parce qu'il n'exclut en aucun cas des cessions d'actifs qui fragiliseraient sans doute encore un peu plus l'avenir d'un grand groupe français.

M. Jean-Pierre Mustier. - La mission du conseil d'administration consiste à préserver l'intérêt social du groupe, c'est-à-dire, dans l'ordre, les employés, les clients, les créditeurs et les actionnaires. C'est bien ainsi que nous souhaitons mener la démarche de réception des propositions d'apporteurs de capital, qu'il s'agisse de créanciers, d'actionnaires ou de toute autre personne ou entité susceptible d'être intéressée par le groupe.

Nous dépouillerons ces différentes propositions dans l'idée de trouver un accord qui corresponde le mieux à notre vision de la soutenabilité des activités d'Atos. Ce cadre étant annoncé, nous ne pouvons pas, à ce stade, préjuger du résultat du dépouillement, qui dépendra de la nature des plans qui nous seront proposés.

Notre vision industrielle consiste à maintenir le groupe dans son ensemble, mais la décision, in fine, sera prise par un vote des différentes classes d'actifs, à savoir les créditeurs d'un côté et les actionnaires de l'autre. Le conseil d'administration, comme le management, n'est là que pour faciliter un processus qui sera ensuite validé par ces parties prenantes.

Par ailleurs, il est bien question de 400 millions d'euros d'apports de liquidités de court terme, dont 300 millions d'euros provenant des banques et 100 millions d'euros des investisseurs obligataires. Les 50 millions d'euros apportés par l'État s'y ajoutent et nous permettent de disposer des coussins de liquidités qui, je le répète, nous mettent en position d'avoir toute confiance dans l'avenir de la société, dans la pérennité des emplois et dans notre capacité à servir nos clients.

M. Paul Saleh. - Vous avez mentionné un besoin total de liquidités s'élevant à 1,2 milliard d'euros. Plus précisément, 600 millions d'euros sont nécessaires pour soutenir l'entreprise sur la période 2024-2025, à l'issue de laquelle elle générera du cash. Les 600 millions d'euros restants apportent une flexibilité financière nécessaire à l'entreprise, avec 300 millions d'euros qui viendraient s'inscrire dans une ligne de crédit et 300 millions d'euros qui constitueraient des garanties bancaires.

S'agissant de la répartition de la dette, la situation n'est pas modifiée dans la mesure où la compagnie mère, Atos SE, assume la charge de l'endettement.

Notre stratégie, ensuite, a été façonnée en partant du postulat que nous allions maintenir l'ensemble des actifs du groupe, postulat qui permet justement de soutenir l'entreprise. Nous avons aussi clarifié la stratégie de la compagnie en lien avec les investisseurs : je vous enverrai, si nécessaire, l'ensemble des contributions ayant permis de clarifier notre vision industrielle.

Dans le détail, une partie des actifs est située au niveau de Tech Foundations et couvre aussi bien l'infogérance que l'environnement informatique des utilisateurs. Dans ce domaine, nous continuerons à accompagner nos clients dans leur transformation vers un cloud hybride. Pour ce qui concerne Eviden, nous continuerons à nous adapter aux besoins de nos clients dans des secteurs très avancés ou à forte valeur ajoutée, tels que les supercalculateurs ou l'intelligence artificielle (IA).

Notre stratégie et notre vision sont donc très claires. Si nous avons consacré un certain temps à scinder Eviden et Tech Foundations, cette opération était nécessaire. Ces entités servaient effectivement des clients différents et n'avaient pas les mêmes besoins en investissements, même si elles faisaient formellement partie de la même organisation. Pour autant, elles continuent à échanger, de manière à fournir des solutions complètes à nos clients.

Par ailleurs, les garanties apportées aux employés de la branche infogérance ont déjà été présentées dans le cadre de la vente à EP Equity Investment (EPEI) qui a été un temps envisagée. Même si ce scénario a été abandonné, nous continuons à honorer les conditions alors négociées, rien n'ayant changé sur ce plan.

Enfin, comme l'a indiqué Jean-Pierre Mustier, nous ne sommes pas en mesure de détailler les modalités de réduction de notre dette dans l'immédiat puisque nous sommes dans l'attente des propositions de nos investisseurs et créanciers. En tout état de cause, il s'agira pour nous de préserver l'intérêt social du groupe, en particulier nos salariés et nos clients.

M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères. - Vous n'avez pas répondu à mon interrogation relative à une éventuelle porosité entre l'entité Tech Foundations et les activités intéressant la défense nationale.

Par ailleurs, monsieur le président, avez-vous bien indiqué que les activités sensibles qui ne sont pas actuellement logées dans Bull SA pourraient y être rapatriées en cas de mise en oeuvre de l'action de préférence ?

M. Thierry Meignen, rapporteur de la commission des affaires étrangères. - Nous avons pu constater le caractère stratégique de certaines activités d'Atos lors des auditions que nous avons menées. Des inquiétudes légitimes ont par conséquent pu s'exprimer sur les projets de rachat de ces activités ou encore sur le risque d'une montée au capital d'acteurs étrangers.

Le président de Onepoint, David Layani - désormais actionnaire de référence d'Atos avec 11,4 % du capital - a récemment présenté un plan pour le groupe avec l'ambition de faire d'Atos « l'Airbus du cyber et du digital ».

Or en novembre dernier, Onepoint - qui est, je le rappelle, une société française - a réalisé une opération de refinancement auprès du fonds américain Carlyle pour un montant de 500 millions d'euros. À ce stade, cette opération n'a pas changé la structure de l'actionnariat de Onepoint, qui demeure détenu par M. Layani et ses salariés.

Néanmoins, les ambitions de Onepoint vont conduire la société à lever des fonds ou à chercher des partenaires, le cas échéant auprès d'acteurs étrangers, comme l'a illustré l'annonce du soutien de Butler Industries au projet porté par M. Layani.

Un « verrouillage » vous semble t-il possible pour garantir que des acteurs étrangers ne puissent pas intervenir dans les activités les plus sensibles d'Atos ? Des mesures similaires ont-elles été prises par le passé ?

Je souhaiterais également que vous nous éclairiez sur les conditions de mise en oeuvre des droits attachés à l'action de préférence dont bénéficiera l'État en contrepartie d'un prêt de 50 millions d'euros. Il est prévu qu'il puisse acquérir des activités souveraines en cas de franchissement par un tiers du seuil de 10 % ou d'un multiple de 10 % du capital ou des droits de vote.

Ce dispositif peut-il déjà s'appliquer dans la mesure où Onepoint dispose de 11,4 % du capital d'Atos ? S'appliquera-t-il si la structure du capital de Onepoint venait à évoluer ?

Plus généralement, le conseil d'administration et la direction générale ont-ils été informés des détails du plan de M. Layani pour Atos et, dans cette hypothèse, pourriez-vous nous indiquer comment celui-ci a été accueilli par les instances dirigeantes du groupe ?

Enfin, dans le cadre des différents scénarios étudiés par Atos pour réduire son niveau d'endettement, une transformation des créances en actions qui se traduirait par une montée au capital de banques étrangères est-elle envisageable ? Si oui, pourriez-vous nous indiquer si, au regard de la structure actuelle des créanciers d'Atos, cette situation pourrait conduire ces acteurs à jouer un rôle dans la gouvernance du groupe ?

M. Jean-Pierre Mustier. - S'agissant des accords passés avec l'État dans le cadre de l'octroi d'une action de préférence dans Bull SA, je rappelle que cette entité abrite actuellement une grande partie des activités sensibles d'Atos. Si quelques activités de ce type peuvent être en dehors du périmètre, nous tâcherons de les regrouper, dans le cadre de cet accord avec l'État, sous le même « chapeau ».

Une fois encore, notre cadre de travail est déjà très sécurisé puisque le personnel dispose d'habilitations spécifiques. Il n'existe aucune porosité entre les activités, les employés extérieurs aux activités sensibles ne prenant aucunement connaissance de leur contenu. Ce principe de fonctionnement sera maintenu.

Le cadre mis en place par l'action de préférence offre une série de droits et de pouvoirs de contrôle de l'État allant jusqu'à un possible rachat de ces activités. Je peux vous donner une garantie totale du fait que, quel que soit l'actionnariat final de notre société après d'éventuelles restructurations, l'État pourra agir et actionner ce droit de rachat de certaines activités.

J'ai lu avec attention le communiqué du ministère de l'économie et des finances en date du 9 avril, qui mentionne « une première étape dans la protection des activités stratégiques du groupe ». Vous ne manquerez pas de m'interroger sur les étapes ultérieures, et vous m'excuserez d'anticiper en rappelant que l'État est déjà intervenu, à titre d'actionnaire minoritaire, pour protéger les activités sensibles de sociétés telles qu'Airbus et Safran. Je ne pense pas que l'État ait déjà en tête une intervention au niveau d'Atos SE, mais, à l'avenir, notre activité BDS pourrait susciter son intérêt et l'inciter à investir en tant qu'actionnaire minoritaire. Une telle opération devra bien sûr être réalisée dans des conditions de valorisation cohérentes avec l'équilibre de notre dette, mais elle permettrait à l'État de renforcer sa présence en disposant d'administrateurs dotés d'un pouvoir décisionnaire à l'intérieur de BDS, tout en maintenant les droits liés à l'action de préférence.

Les actions entreprises actuellement doivent donc vous rassurer : quelle que soit l'évolution du groupe, le problème de souveraineté est réglé et complètement sous contrôle, tandis que les activités sensibles seront protégées par cette possibilité de prise de contrôle par l'État. L'intervention de ce dernier par le biais d'un prêt de 50 millions d'euros et d'une action de préférence a été tout à fait décisive de ce point de vue, d'où notre engagement, pris auprès du Ciri, de protéger en retour la souveraineté de l'État.

M. Paul Saleh. - Nous travaillons étroitement avec Onepoint et son dirigeant M. Layani, et nous nous félicitons qu'il propose une solution pour l'entreprise, car il joue le rôle de pierre angulaire. Nous étudierons sa proposition en la mettant en perspective avec les autres solutions qui devraient nous être remises d'ici au 26 avril, toujours avec l'objectif de préserver l'intérêt social du groupe et les activités impliquant des enjeux de souveraineté pour l'État français.

M. Jérôme Darras, rapporteur de la commission des affaires étrangères. - Comme l'a souligné le président Cédric Perrin, certaines activités d'Atos participent pleinement de notre souveraineté. Je pense évidemment à la dissuasion, dont le programme de simulation numérique repose sur les supercalculateurs développés par Atos.

L'activité de calcul de haute performance (HPC) d'Atos est très spécifique. Elle nécessite des investissements importants et réguliers pour se maintenir au niveau alors que les commandes, au regard des coûts d'achat, sont par nature espacées avec en moyenne une acquisition par l'État tous les quatre ou cinq ans.

L'histoire du programme nucléaire français nous rappelle toute l'importance de disposer d'une filière nationale de supercalculateurs. Je rappelle qu'à ses débuts, le programme de simulation français reposait sur des calculateurs haute performance américains. Or les États-Unis n'ont pas toujours fait preuve de diligence dans la livraison de ces matériels. On peut citer l'épisode de 1967 et le retrait de la France du commandement intégré de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (Otan), qui s'est traduit par la vente de technologies moins performantes, ou celui de 1981 avec l'alternance politique en France, qui a vu des retards dans la livraison de certains matériels américains.

À l'époque, notre dépendance à l'égard des États-Unis, bien que problématique, ne remettait pas fondamentalement en cause la dissuasion nucléaire. Mais, depuis la fin des essais nucléaires et la nécessité de les simuler, de telles contraintes ne sont plus compatibles avec l'impératif d'optimisation constante de notre dissuasion. C'est ce qui a conduit l'État à mettre en place une stratégie nationale de calcul de haute performance reposant sur un co-développement avec Atos.

Nous sommes aujourd'hui placés face à la nécessité absolue de garantir la pérennité de cette filière souveraine de supercalculateurs, en dépit des difficultés rencontrées par votre groupe. Aussi, pourriez-vous nous confirmer que la situation financière d'Atos lui a bien permis de maintenir un flux suffisant d'investissements dans l'activité HPC pour en assurer la viabilité et en garantir la compétitivité ?

Plus généralement, dans l'hypothèse où l'activité BDS ne serait pas cédée - scénario envisageable depuis la fin des discussions avec Airbus -, comment le groupe Atos entend-il s'assurer de la pérennité de cette filière souveraine ?

Enfin, au-delà de l'action de préférence dont va bénéficier l'État dans Bull SA en contrepartie de l'octroi d'un prêt de 50 millions d'euros, quel rôle l'État vous semble-t-il devoir jouer en la matière ? Au cours des auditions, il nous a par exemple été indiqué que le niveau de financement public dont bénéficie Atos au titre de cette activité était très faible et significativement inférieur au soutien apporté, par exemple, par le gouvernement américain à Hewlett Packard (HP).

M. Paul Saleh. - Vous avez tout à fait raison sur les importants investissements que nécessite l'activité HPC : nous les avons réalisés de manière continue, ce qui nous permet d'occuper aujourd'hui une excellente position à l'échelle mondiale et de disposer de brevets incroyables.

Vous avez également raison de pointer l'espacement entre les commandes, mais celles-ci sont désormais très nombreuses pour ce type de machines, d'autant plus que l'IA nécessite des calculs de plus en plus avancés. De surcroît, nous détenons des brevets sur les systèmes de refroidissement de ces supercalculateurs et nous sommes la seule entreprise proposant d'importantes économies d'énergie en la matière, ce qui nous fournit un atout de premier ordre.

Ces investissements indispensables sont intégrés aux 600 millions d'euros de nouveaux fonds dont j'ai mentionné la nécessité pour la période 2024-2025, l'entreprise devant ensuite dégager d'importants résultats à compter de 2026. Je n'ai aucun doute sur notre capacité à continuer à investir dans ce domaine, qui représente un fleuron français et européen dans la mesure où plusieurs centres de recherche soutiennent cette activité sur le continent.

Mme Sophie Primas, rapporteur de la commission des affaires économiques. - J'ai bien compris que la dette était détenue par Atos SE. Néanmoins, quelques mois plus tôt, il était question de scinder l'entreprise en deux parties avec Eviden d'un côté et Tech Foundations de l'autre, sans que nous ayons bien saisi si la première entité était censée emporter tout ou partie de la dette. De nouveau, à qui appartient la dette parmi les entités et sociétés du groupe ? La question est d'autant plus pertinente dans l'hypothèse où le groupe viendrait à être découpé en plusieurs parties, même si vous avez exprimé la volonté - et nous nous en réjouissons - de le maintenir dans son ensemble.

Par ailleurs, vous avez évoqué votre vision de la soutenabilité de l'entreprise : pourriez-vous préciser celle-ci ?

Enfin, où en est la restructuration de Tech Foundations ? Celle-ci concerne au premier chef l'Allemagne, mais également la France, et nous souhaiterions connaître son état d'avancement.

M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères. - Nous nous sommes peut-être mal compris sur la porosité, qui fait écho aux propos que vient de tenir Mme Primas. Si les activités d'infogérance devaient se retrouver en difficulté, considérez-vous que les activités de défense seraient elles aussi concernées ?

M. Paul Saleh. - Comme vous l'avez indiqué, Atos SE porte toute la dette. Lorsque nous travaillions sur une hypothèse de vente de Tech Foundations à Daniel Kretinsky, la dette devait rester du côté d'Eviden. Un schéma de refinancement de cette dette avait également été élaboré et prévoyait à la fois une extension des délais pour les banques ; une nouvelle levée de fonds de l'ordre de 180 millions d'euros auprès de Daniel Kretinsky pour une valorisation, à l'époque, de 20 euros par action ; enfin, une levée de fonds sur le marché à hauteur de 700 millions d'euros. Dans cette hypothèse, près de 900 millions d'euros auraient donc été disponibles pour réduire une dette qui, une fois encore, serait restée au niveau de la même entité juridique - Eviden.

Ce schéma n'est plus d'actualité puisque Tech Foundations reste dans le giron du groupe, tout comme Eviden. Les deux entités sont détenues par Atos SE, qui porte la charge de la dette. Nous travaillerons avec nos créanciers à la réduction de celle-ci, sans connaître pour l'instant la méthode qui sera utilisée.

Sur la question de la soutenabilité, je rappelle que l'entreprise dispose d'atouts incroyables, au premier rang desquels nos collaborateurs, mais également nos brevets et notre expertise. Nous pourrons donc continuer à jouer un rôle majeur dans le secteur du numérique.

Outre la réduction de la dette, nous devons continuer à transformer notre organisation, ce qui passera par une interrogation sur nos coûts, bien plus élevés que ceux de nos concurrents, notamment en raison du fait que nous employons de nombreux collaborateurs en Europe.

Du reste, nous avons déjà exécuté 55 % du programme de restructuration et de transformation annoncé avant notre nomination.

M. Fabien Gay, rapporteur de la commission des affaires économiques. - Je comprends que vous teniez à rester flous sur certains sujets... Mais j'insiste sur la question de la soutenabilité et de la vision stratégique. Nous avons entendu plusieurs versions : certains nous ont expliqué qu'il était difficile de séparer les activités du groupe ; d'autres ont affirmé que la séparation ne posait aucun problème ; d'autres encore qu'elle fonctionnerait si on l'organisait différemment. Dans ce contexte, nous avons besoin de connaître votre vision stratégique.

La soutenabilité même du groupe pose question. Est-il possible de garder un groupe uni avec 5 milliards d'euros de dettes, sachant que vous allez devoir sortir 2 milliards d'euros dans les dix-huit prochains mois ?

Pensez-vous à une cession d'actifs ? À qui ? Airbus a renoncé au rachat des activités BDS, qui ne semblent pas intéresser grand monde... On parle toutefois de Worldgrid qui pourrait intéresser EDF, voire l'une de ses filiales. Pensez-vous pouvoir garder le groupe ?

Vous affirmez que 55 % de la restructuration de Tech Foundations est déjà accomplie. Qu'entendez-vous par là ? La « restructuration » est un terme technique pour désigner les licenciements. Ainsi, combien de licenciements sont encore prévus en France ? Je pense que votre réponse à cette question intéresse la représentation nationale.

M. Jean-Pierre Mustier. - Nous n'avons pas de réponse claire à vous donner sur l'avenir du groupe. Je le répète, nous avons proposé aux différents apporteurs de capital un plan d'action qui se déroule aujourd'hui avec un groupe uni. Or il n'est plus dans nos mains. Le conseil d'administration et le management, sous l'égide du conciliateur, feront en sorte que ce plan soit acceptable par les différentes classes de parties prenantes - créditeurs et actionnaires - qui seront amenées à le voter. Le conseil d'administration, lui, ne décidera de rien.

Pour notre part, nous souhaitons que le groupe reste uni, mais nous ignorons les propositions qui nous seront présentées. Bien entendu, nous communiquerons la décision aux employés et aux marchés ; vous en serez également informés.

Quel est le niveau de dette acceptable en termes de soutenabilité ? Le plan proposé envisage une réduction de 50 %, mais la méthode n'est pas définie : un actionnaire qui apporte un très gros montant d'argent permettra sans doute de la rembourser ; autrement, les différents actionnaires peuvent proposer un accord sur un apport en capital pour effacer la dette en la convertissant en actions.

Voilà pourquoi nous ne voulons pas préjuger de la solution et vous donner de résultats - il ne s'agit pas de mauvaise volonté de notre part.

En revanche, nous savons que le plan proposé par le management et revu par le conseil d'administration nous permet d'envisager la soutenabilité du groupe. Nous avons des prévisions de liquidités et de profitabilité à venir. Grâce à l'amortissement de la dette, le groupe atteindra un rating lui assurant une levée de dette sur le marché à un horizon relativement proche.

Nous sommes très confiants sur l'avenir du groupe à court terme, compte tenu des liquidités qui nous ont été fournies par les banques, les créanciers obligataires et l'État, ainsi qu'à moyen terme. En France, aucun grand groupe comme Atos ne s'est retrouvé sans solution dans le cadre d'une procédure de conciliation. Nous sommes certains que des apporteurs de capital, en fonds propres ou en dette, nous permettront d'assurer la soutenabilité du groupe. Mais encore faut-il que la dette soit effacée de 50 %...

Les repreneurs pourront éventuellement présenter d'autres plans, mais le conseil d'administration veillera à recommander une solution à même de garantir notre soutenabilité.

M. Paul Saleh. - Je tiens de nouveau à le souligner : le plan que nous avons partagé avec les créanciers et le marché concerne le groupe dans son ensemble, sans séparation d'actifs. Toutes les projections financières sont très claires et nous avons détaillé la stratégie envisagée pour chacun des actifs. Le plan fait aussi état des actions que nous devrons entreprendre dans les prochaines années. C'est donc bien d'un plan complet qu'il s'agit.

Nous continuerons à gérer les sociétés indépendamment l'une de l'autre. Elles ont été séparées pour des besoins très spécifiques, pour poursuivre des stratégies indépendantes. Avant, toutes les activités étaient entrelacées et les choses n'étaient pas aussi claires. Mais il reste des domaines dans lesquels les deux sociétés peuvent créer des solutions communes. Au demeurant, je conteste l'idée selon laquelle cette séparation n'aurait pas été bien faite.

Avant que M. Mustier et moi-même soyons nommés, le groupe avait partagé avec le marché un plan de restructuration dont l'ampleur était inédite en Europe, et même dans le monde. Il s'agissait, à terme, de supprimer environ 7 000 postes. Nous en avons déjà supprimé certains ou nous les avons remplacés. Certains employés ont quitté la société volontairement, les autres ont reçu des compensations au moment de leur départ. Beaucoup de ces employés étaient allemands.

M. Jean-Pierre Mustier. - Si la scission en deux entités n'avait pas déjà été effectuée, et s'il nous fallait définir la manière de mieux gérer le groupe, nous ferions cette séparation. La séparation doit être conçue en termes de gestion opérationnelle, et, en ce sens, c'est une bonne décision. Les deux métiers - Tech Foundations et BDS - ont effectivement des dynamiques très différentes. Or des activités en décroissance et des activités en croissance ne se gèrent pas de la même manière. D'où la nécessité de les séparer d'un point de vue opérationnel et stratégique, même si elles continuent d'appartenir à un groupe uni.

M. Jean-Luc Ruelle. - En effet, jamais un grand groupe comme Atos en France n'a raté sa restructuration financière. Je suis donc tout aussi confiant que vous, sachant que les choses vont se faire très rapidement.

En revanche, je m'interroge sur l'un des aspects de votre redressement. Vous prétendez que celui-ci n'est pas opérationnel. Je n'en suis pas si sûr : pour assurer la soutenabilité du groupe, le modèle de redressement prévoit que votre chiffre d'affaires devra être de l'ordre de 11,5 milliards d'euros en 2027, avec une marge opérationnelle de 10,3 % - elle n'était que de 3,1 % en 2023 et atteindra seulement 4,3 % en 2024.

Le différentiel d'ici à 2027 est considérable ! Comment pensez-vous réussir, d'autant que la marge opérationnelle est très dépendante de vos coûts salariaux et des coûts de sous-traitance ? D'ailleurs, le plan de restructuration a-t-il des effets sur vos coûts et votre marge opérationnelle de 2024 ?

L'année 2024 sera assez décevante, même si la perte sera un peu moins forte que les années précédentes. En 2021, 2022 et 2023, elle était respectivement de 3 milliards, 1 milliard et 3,4 milliards d'euros.

Vous allez donc brûler du cash. Vous avez véritablement intérêt à assurer la performance financière prévue pour 2027, sans quoi tout s'écroulera. Atteindre une marge opérationnelle de 10,3 % est même un impératif lorsqu'on sait que celles de Capgemini et d'Accenture sont respectivement de 13 % et de 16 %. Votre marge opérationnelle actuelle est aberrante dans votre secteur de métier.

M. Paul Saleh. - Nous avons tous les atouts pour réussir le plan que nous avons présenté au marché ; il ne manque pas d'actifs, par exemple. Il ne s'agit pas d'exécuter un plan opérationnel qui n'aurait jamais été accompli : toutes les sociétés que vous avez citées ont déjà fait ce genre de travail. Notre groupe est simplement en retard. C'est pourquoi nous avons entrepris un certain nombre d'actions dès 2023 et nous finirons d'exécuter ce plan très rapidement ; c'est d'ailleurs ce que reflètent nos résultats financiers. Le montant d'investissements à réaliser est assez important...

En effet, l'année 2024 ne sera pas aussi satisfaisante que prévu. Les six premiers mois de l'année, nos clients sont bien plus réservés à nous donner des contrats, faute d'une visibilité claire sur la réduction de notre dette ou l'obtention de liquidités à long terme. Nous avons donc revu nos prévisions : à l'origine, nous misions sur une croissance de revenus bien plus importante grâce à un coût réduit. Il convient donc de résoudre le problème de coût fixe.

Je ne minimise pas le travail à accomplir : il est important. Mais ce n'est pas comme si aucune entreprise ne l'avait fait avant !

M. Jean-Pierre Mustier. - Le conseil d'administration fait pleinement confiance à l'équipe de management pour obtenir les résultats et la profitabilité escomptés. Nos employés font confiance au groupe : en janvier 2024, le taux de démission a été le plus bas depuis plusieurs années. La société sait conserver ses collaborateurs, notamment parce qu'elle leur offre une formation et la possibilité de passer un certain nombre d'examens et de validations. Ils sont donc bien meilleurs que les salariés qui travaillent chez nos compétiteurs.

Nous remercions nos employés et nous savons pouvoir compter sur eux. Mais il faut aussi les rassurer et tuer tout le bruit médiatique détestable qui s'est abattu sur Atos. Certains se sont permis de commenter de manière publique l'avenir de la société et ce qui pouvait s'y passer sans aucun respect pour les employés et les clients. Je crois que nous avons retrouvé une certaine sérénité. J'espère que les annonces récentes redonneront confiance.

Je sais que nous pouvions en douter auparavant, mais nous savons désormais que le groupe trouvera une solution, comme cela a toujours été le cas.

Nous pourrons ainsi renouveler nos contrats et attirer les clients. Aujourd'hui, notre rôle consiste à avancer le plus vite possible pour trouver une solution et la mettre en oeuvre rapidement. Cela aura pour bénéfice supplémentaire d'assurer une totale confiance envers le groupe et la soutenabilité de ses activités sensibles, essentielles à la souveraineté nationale.

M. François Bonneau. - Vous avez tout à fait raison de vouloir redonner de la confiance dans un contexte difficile. Mais le cours de votre action a tout de même baissé de 97 % depuis cinq ans. Il faut aussi que vous compreniez les inquiétudes des rapporteurs. Le fait de gérer deux activités aussi différentes n'est-il pas préjudiciable à l'ensemble du groupe ? Malheureusement, les performances semblent l'indiquer.

Les activités de cybersécurité sont ultrasensibles. Aussi, nous aimerions que vous puissiez nous rassurer, non pas sur la gestion de votre groupe, mais sur la pérennité de ces activités qui sont fondamentales pour la souveraineté française.

M. Jean-Pierre Mustier. - Nous l'avons dit, le groupe trouvera une solution, nous en sommes convaincus. Les activités sensibles qui sont liées à la souveraineté de notre sécurité informatique, à la défense et à l'énergie seront bel et bien pérennes. Nous serons d'ailleurs capables de les protéger même si la nature du repreneur ne s'avérait pas compatible avec les enjeux de souveraineté.

Il n'y a donc pas d'inquiétude à avoir. J'insiste : le management et le conseil d'administration s'engagent à ce que les activités sensibles soient bien protégées, quelle que soit la solution apportée par les repreneurs. L'État a d'ailleurs pris des mesures pour s'en assurer. Sa démarche est décisive et pourra sans doute être renforcée.

M. Paul Saleh. - Nos deux activités servent des marchés différents, mais elles relèvent d'un seul et même groupe et font partie de notre plan pour l'avenir - ce n'est pas parce qu'elles sont séparées qu'elles sont en conflit. Dans ce cadre, nos actions sont très claires.

Nos plans très détaillés et nos projections financières assureront la croissance de chacune de ces activités. Les clients souhaitent que notre société continue à les exercer malgré leur séparation. La réduction de notre dette et l'obtention de fonds permettront d'exécuter notre plan.

M. Jean-Pierre Mustier. - Je souhaiterais remettre les choses en perspective concernant la réduction de la dette. Par construction, nous n'avons plus 5 milliards d'euros de dettes : il n'en reste que la moitié, car, d'une manière ou d'une autre, la dette sera effacée.

La dette est aujourd'hui valorisée sur le marché à hauteur de 30 % de sa valeur faciale ; c'est assez faible, car les investisseurs ne sont pas prêts à monter jusqu'au niveau annoncé, compte tenu des incertitudes.

Contractuellement, la dette atteint bien 5 milliards d'euros, mais, compte tenu de ce qui sera négocié, elle sera d'un montant beaucoup plus faible à l'avenir.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. - Je suis contrainte de vous quitter pour rejoindre la conférence des présidents. Aussi, je passe le relais à M. Perrin. Au nom de la commission des affaires économiques, je vous remercie pour votre participation à cette audition, qui était particulièrement attendue. Vos propos sont rassurants et de nature à reconstruire la confiance à l'égard du groupe Atos.

Mme Sophie Primas, rapporteur de la commission des affaires économiques. - La réduction de la dette à 2,5 milliards d'euros fait partie du cahier des charges que vous vous êtes engagés à respecter pour assurer la continuité de votre entreprise.

On parle beaucoup de l'empreinte du groupe Atos en France, compte tenu des enjeux de souveraineté et de défense. L'acquisition de l'américain Syntel et son intégration au sein de votre groupe ont soulevé de nombreuses interrogations. La cession d'une partie de votre entreprise pourrait être une solution aux problèmes rencontrés. L'avez-vous envisagée ?

Depuis 2020, la gouvernance d'Atos a beaucoup évolué, avec la scission du poste de PDG entre le président et le directeur général. Je ne porte aucun jugement de valeur sur les personnes qui se sont succédé à la direction du groupe. Toutefois, comment éviter que la succession des dirigeants, qui implique des changements de stratégie, ne perturbe trop l'entreprise ?

M. Jean-Pierre Mustier. - Sur proposition du management, le conseil d'administration a étudié différents formats permettant de garantir l'intégrité du groupe. La solution présentée aux apporteurs de capital respecte bien cet objectif.

L'Union des actionnaires d'Atos constructifs (Udaac), dont j'ai rencontré l'un des coprésidents, Hervé Lecesne, la semaine dernière, a aussi formulé des propositions. Dans un communiqué de presse, elle a ainsi suggéré la vente de nos activités aux États-Unis.

Nous ne pensons pas que ce soit la solution. Certes, la vente d'un actif peut rapporter des liquidités au groupe et réduire facialement la dette. Mais nous vendons du résultat net et la soutenabilité de la dette dépendra du résultat net résiduel. Les États-Unis ayant une marge de profitabilité importante, les activités résiduelles nécessitent donc moins de dette. Le schéma reste inchangé. Soyez rassurés, nous avons étudié tous les aspects de la question...

Effectivement, la société a passé des années difficiles et des questions de gouvernance se sont posées, ce qui crée une forme d'anxiété, notamment parmi les employés. Nous faisons tout pour maintenir leur motivation, en garantissant la soutenabilité des activités, ce qui est aussi important pour nos clients. La gouvernance a évolué, et nous sommes proches d'une solution. La phase d'incertitude prendra donc bientôt fin, nous pourrons alors envoyer un message clair aux actionnaires et aux employés sur l'évolution de la société.

M. Fabien Gay, rapporteur de la commission des affaires économiques. - Je renouvelle mes remerciements pour vos réponses. Tous, nous avons envie, très sincèrement, que vous réussissiez.

Vous avez parlé d'investissements dans l'offshore. Vos concurrents ont beaucoup oeuvré dans ce sens, contrairement à vous, pour des raisons diverses... confirmez-vous ces investissements ?

Concernant l'actionnariat, certains déplorent un manque de vision industrielle au sein du conseil d'administration. Verriez-vous d'un bon oeil que l'État ou Bpifrance puissent entrer au capital, par exemple à hauteur de 10 % ou 15 % ? Cela permettrait-il de rassurer, au sein d'un plan de restructuration de la dette ?

M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères. - Si tel était le cas, quelles seraient les modalités les plus pertinentes ? Quelles seraient les entités d'Atos concernées ?

Avez-vous des contacts avec l'Élysée et son secrétaire général, avec l'État en général ?

M. Paul Saleh. - Nos concurrents sont mieux positionnés dans des pays moins coûteux, dans l'offshore ou encore dans le bestshore, par exemple en Pologne, où il y a de nombreux talents qui coûtent moins cher.

Nous devrons aussi automatiser bien plus nos activités en interne. Nos ingénieurs sont très avancés en intelligence artificielle. Nous leur demandons de nous rendre plus efficaces.

M. Jean-Pierre Mustier. - L'actionnariat de Onepoint et de son président fondateur, M. David Layani, a été une très bonne nouvelle pour notre groupe. M. Layani a acquis 11,4 % du groupe à un moment où il était très décrié et attaqué, décision très courageuse ; il va présenter un plan de sauvetage. Cette confiance est de bon augure. Nous souhaitons cependant trouver le plus de repreneurs possible. Nous allons étudier toutes les propositions, pour assurer le succès d'Atos.

J'en viens à l'intervention de l'État. Nous sommes une société privée, cotée en bourse. Le prêt décidé par le Ciri, avec l'accord du ministre, est déjà un signal très fort : nous nous engageons ainsi à protéger nos activités sensibles. Pourquoi ? Premièrement, nous sommes français ; M. Saleh est un Français d'adoption. Deuxièmement, en garantissant que ces activités soient bien protégées, nous attirons le plus grand nombre d'investisseurs et assurons le succès de cette phase de refinancement. Cette action de préférence était donc très importante à nos yeux. D'autres accords ont été passés, qui permettent par exemple à l'État de racheter des actifs.

Ce dernier ira-t-il plus loin ? Je pense qu'il ne serait potentiellement pas optimal qu'il se positionne au niveau du groupe Atos ; il devrait plutôt le faire à un échelon plus bas - par exemple BDS - pour prendre une participation minoritaire, comme il le fait pour d'autres groupes, avec des droits similaires ou augmentés. Nous sommes ouverts à tout type de solution, mais ce qui est mis en place aujourd'hui garantit déjà la souveraineté du groupe.

Nous travaillons avec le Ciri, qui a réalisé un travail tout à fait extraordinaire. Son responsable, M. Pierre-Olivier Chotard, a joué un rôle clef dans la réussite des négociations de dimanche dernier. Le ministre nous a reçus, nous nous sommes également présentés au secrétaire général de l'Élysée, mais notre point de contact reste M. Chotard, qui est garant de la démarche interministérielle.

M. Jérôme Darras, rapporteur de la commission des affaires étrangères. - Nous avons buté, lors de nos auditions, sur deux visions de l'avenir d'Atos : une vision financière, qui encourageait le découpage du groupe, et une vision industrielle, qui vantait ses mérites, considérant que sa force était de pouvoir, grâce à un spectre d'activités très large, satisfaire tous les besoins des clients. Ce soir, je vois un chemin soutenable se dessiner, qui préserve les intérêts financiers du groupe et porte un vrai projet industriel. Je vous souhaite de réussir.

M. Jean-Pierre Mustier. - Je suis ancien banquier, beaucoup me disent que je ne pense qu'à la solution financière. Non, les banquiers peuvent voir de temps en temps la lumière. La contrainte financière est certes très importante, il faut résoudre le problème, mais le projet industriel apporté par les repreneurs reste le plus important.

Je suis originaire d'Auvergne : nous avons certes passé le Puy-de-Dôme, mais l'Everest des négociations, pour attirer les apporteurs de capital, est encore devant nous. Le Ciri nous a beaucoup aidés pour en arriver là. Cette nouvelle phase sera intense. Nous sommes prêts, nous sommes sûrs que nous allons trouver une solution. Il reste encore beaucoup de travail, pour soutenir une vision industrielle ; nous voulons tout faire pour en assurer la soutenabilité.

Je souhaite conclure sur un point important : nous sommes très confiants sur l'avenir du groupe. Il faut le dire, pour nos employés, pour nos clients, car on a trop longtemps tapé sur Atos.

M. Paul Saleh. - J'espère que nous avons pu vous rassurer sur notre capacité à préserver les intérêts de la société. Nos 95 000 collaborateurs sont notre force. Je les remercie pour leur dévouement et leur travail. Chacun de nos clients nous rappelle combien nos collaborateurs les servent d'une manière incroyable. Ce nuage financier sera bientôt derrière nous, et nous pourrons revenir à nos activités habituelles.

M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères. - Compte tenu de la taille de l'entreprise et des enjeux considérables qui sont devant nous, c'est en responsabilité que nous avons alerté l'opinion et le Gouvernement, pour faire de cette affaire une sorte de symbole. Cet été, nous risquions de la voir réglée en catimini dans des bureaux parisiens. Notre intervention du mois d'août fut peut-être salvatrice.

De nombreux articles négatifs ont été publiés sur le groupe, mais derrière Atos, il y a presque 100 000 personnes. Nous agissons donc en responsabilité, dans la limite des compétences que nous confère la Constitution en matière de contrôle. La mesure dont ont fait preuve nos rapporteurs est la marque de fabrique du Sénat.

Vous avez tenu des propos rassurants. Nous resterons très vigilants, tout en vous souhaitant le meilleur !

Examen du rapport
(Mardi 30 avril 2024)

M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - Nous examinons aujourd'hui le rapport de la mission d'information conjointe sur la situation et l'avenir d'Atos.

Mme Sophie Primas, rapporteur de la commission des affaires économiques. - Je me réjouis de présenter devant vous, aux côtés de mes trois collègues rapporteurs - je les remercie pour la qualité et la confiance qui ont caractérisé nos travaux -, les conclusions de notre mission d'information conjointe et transpartisane relative à la situation et à l'avenir d'Atos, ce dernier étant, comme vous le constatez en suivant l'actualité, plus incertain que jamais.

Après trois mois de travaux et près de 84 personnes entendues en audition, nous avons mieux cerné ce qui constitue aujourd'hui la « galaxie Atos », car cette entreprise, avant de connaître de grandes difficultés, demeurait relativement méconnue tant du grand public que des parlementaires. La création de cette mission d'information s'inscrit dans la continuité d'une forte mobilisation parlementaire qui a longtemps contrasté avec l'attentisme et le silence du Gouvernement - nous y reviendrons.

Longtemps présenté comme un fleuron informatique français, Atos est aujourd'hui un groupe d'envergure internationale, dont la richesse essentielle est l'expertise de ses salariés et l'ensemble des compétences qu'il mobilise sur un spectre très large allant des domaines les plus pointus de l'informatique à celui plus général de l'infogérance. Le groupe est présent dans 69 pays et compte 95 000 collaborateurs dans le monde, dont 11 600 en France répartis sur 30 sites dans l'ensemble du territoire. Avec un chiffre d'affaires mondial s'établissant à près de 11 milliards d'euros en 2023, dont presque 2 milliards d'euros réalisés en France, Atos compte parmi les premières entreprises de services numériques de notre pays.

Nous considérons que sa seule assise nationale justifie toute notre attention, car les principaux clients d'Atos en France sont l'État, nos armées, nos ministères, nos services de renseignement, nos administrations et nos entreprises publiques.

Je citerai quelques domaines où Atos intervient. Le groupe est titulaire du marché du système d'information du programme de combat Scorpion, et responsable de la modernisation du système de contrôle des Rafale. Il est également porteur de la plateforme Mon espace santé pour la Caisse nationale d'assurance maladie et chargé de la gestion du système informatique de la carte Vitale, du domaine spatial, de la vidéosurveillance du Grand Paris Express. Il participe aux jeux Olympiques et Paralympiques et est gestionnaire du portail des douanes ou des services de secours et d'urgence. Vous pouvez constater que l'empreinte du groupe n'est pas que militaire.

Atos est présent « partout, tout le temps » - nous y reviendrons - et ses activités stratégiques, sensibles et de nature souveraine, sont réparties dans l'ensemble de son organisation. En effet, depuis 2022, Atos est scindé en deux parties, avec d'une part Tech Foundations qui gère les activités d'infogérance, d'autre part Eviden qui traite les activités plus stratégiques. Nous considérons que les activités stratégiques sensibles de nature souveraine ne se limitent pas à l'une de ces deux parties, mais sont présentes dans l'ensemble des activités du groupe.

Cette présence d'Atos « partout, tout le temps » est le fruit d'une longue histoire faite de contrats historiques signés avec des clients privés et institutionnels, nationaux, européens et internationaux, ainsi que d'une politique de croissance externe soutenue par de multiples fusions-acquisitions : nous en avons recensé 43 depuis 2008, dont 21 depuis 2020. Les acquisitions les plus importantes - Siemens IT en 2011, Bull en 2014, Xerox en 2015, puis Syntel en 2018 - ont toutes été effectuées lorsque Thierry Breton était président-directeur général du groupe, entre 2009 et 2019. Elles ont permis au groupe de s'internationaliser et de fortement se développer sur de nouveaux segments, de nouvelles compétences et de nouveaux marchés. Nous constatons que la gouvernance était relativement stable à cette époque et qu'il y avait, pendant cette décennie, une vision industrielle du groupe, même si l'on peut choisir de la louer ou de la critiquer.

Toutefois, les choix stratégiques effectués durant cette période ont été remis en question par plusieurs des personnes que nous avons entendues en audition : le nombre et la fréquence des acquisitions, leur prix d'achat et leur mode de financement, la rapidité et l'exécution des restructurations nécessaires au sein des sociétés nouvellement acquises, le développement de l'offshoring et l'avènement du cloud public, tels ont été les sujets sur lesquels nos interlocuteurs se sont souvent interrogés. Il est bien entendu toujours facile de juger a posteriori les décisions qui ont été prises, plusieurs analyses nous ayant par ailleurs indiqué que de telles évolutions n'allaient pas de soi il y a quelques années encore.

De plus, l'objectif de notre mission d'information n'était pas de porter un jugement sur la stratégie industrielle d'Atos, mais d'apprécier son avenir au regard de ses activités, notamment sensibles et souveraines.

Nous constatons en revanche que la succession de Thierry Breton a été mal, voire très mal, préparée avec une dissociation des fonctions de directeur général et de président du conseil d'administration effectuée dans la précipitation pour lui permettre de préparer sa nomination à la Commission européenne.

Depuis lors, six directeurs généraux, dont la moitié est restée moins d'un an, et deux présidents se sont succédé, chacun développant une stratégie différente de l'autre. Les errances dans la gouvernance de l'entreprise, aggravées par le fait qu'il n'y a pas eu d'actionnaire de référence pendant plus d'un an, ont conduit à une succession de stratégies erratiques. Nous pouvons par exemple mentionner la tentative d'acquisition de DXC Technology en 2021, la multitude de petites acquisitions diversifiées entre 2020 et 2022. Surtout, la succession de trois plans de réorganisation interne, parfois contradictoires entre eux, a abouti, sur les recommandations de cabinets de conseil extérieurs, à une scission du groupe en deux entités - Eviden et Tech Foundations - et a coûté plus de 700 millions d'euros pour des résultats mitigés et une pertinence qui demeure encore à démontrer : c'est un coût faramineux, surtout si l'on considère les besoins de liquidités de l'entreprise, qui sont de plus de 1,2 milliard d'euros d'ici à 2025.

Nous avons constaté avec regret que, à une vision industrielle, avait succédé depuis 2019 une succession de stratégies financières de court terme, mal conçues, mal comprises, mal perçues par les marchés financiers et inadaptées à la complexité du groupe.

Conséquemment, Atos a connu une dégradation continue de sa situation économique, sa valorisation boursière ayant été divisée par quarante en quatre ans, sa dette financière étant estimée à 4,9 milliards d'euros et ses perspectives d'évolution étant plus incertaines que jamais. Nous ne pouvons que craindre l'échec de la procédure de conciliation amiable ainsi que des négociations en cours sur la restructuration financière du groupe, même si nous souhaitons que l'entreprise parvienne à un accord avec ses créanciers. Un tel échec ferait basculer Atos en procédure de sauvegarde, signant le début d'une « vente à la découpe et au rabais » des actifs de l'entreprise.

De ce point de vue, le silence et l'attentisme du Gouvernement, qui a tardé à agir et à prendre conscience des risques pour l'entreprise comme pour la souveraineté de notre pays, est coupable. Coupable, car dans leur très grande majorité les parties prenantes que nous avons entendues en audition nous ont indiqué qu'elles auraient souhaité une intervention facilitatrice et stabilisatrice de l'État dès le second semestre 2022. En effet, l'annonce de la scission de l'entreprise a été très mal perçue et a constitué un appel d'air pour la cession d'actifs. Plus d'une année et demie a été perdue.

Il aura fallu une forte mobilisation parlementaire, l'été dernier ou lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2024, un fort soutien des collectivités territoriales en faveur de la modernisation de l'usine d'Angers de fabrication des supercalculateurs, et il aura surtout fallu que la situation se dégrade à l'extrême pour que le Gouvernement agisse enfin.

Nous regrettons que « l'État pompier » se soit substitué à « l'État stratège ». Si nous prenons acte de l'annonce, dimanche dernier, d'une offre de l'État pour l'acquisition des activités stratégiques logées dans la branche BDS (Big Data & Security), nous considérons que cette solution ne règlera pas la question de la soutenabilité de la dette et de l'avenir du groupe, notamment celui de Tech Foundations, dont certaines activités sont aussi stratégiques, et de ses 48 000 collaborateurs, pas plus que celui des activités restantes d'Eviden.

C'est pourquoi nous plaidons pour une intervention durable de l'État à deux niveaux, afin de prendre en compte toute la dimension souveraine des activités d'Atos. Tout d'abord, il faut une prise de participation minoritaire de l'Agence des participations de l'État (APE) au niveau de la structure-chapeau, Atos SE, garantissant une place au conseil d'administration et permettant une vision à 360 degrés de toutes les activités souveraines, militaires comme civiles, du groupe. Ensuite, il faut une prise de participation majoritaire de Bpifrance au niveau de la branche BDS pour assurer le financement dans la durée et une supervision resserrée d'activités technologiques performantes, imbriquées les unes dans les autres et nécessitant une mutualisation et une intensification des efforts de recherche et développement, surtout en matière de calcul intensif.

Mes collègues auront l'occasion de le préciser, mais nous plaidons également pour un maintien du périmètre actuel du groupe, en privilégiant les offres de reprise et de transformation de l'entreprise qui la maintiennent dans son entièreté.

Nous sommes conscients que la situation évolue rapidement, jour après jour, et les conclusions auxquelles nous sommes parvenus sont formulées à date. C'est aussi pourquoi nous formulons des recommandations adaptées à différents scénarios, notamment en cas de cession d'actifs.

M. Jérôme Darras, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - Géant français du numérique, comme vient de le rappeler Sophie Primas, Atos est notamment présent dans le domaine du calcul haute performance (HPC) depuis le rachat de la société Bull en 2014.

Or, avec la fin des essais nucléaires en 1996, l'évaluation des performances des têtes nucléaires françaises repose quasi exclusivement sur un programme de simulation informatique déployé sur les supercalculateurs produits par Atos sur le site d'Angers.

Afin de sortir de la dépendance de notre pays à l'égard des États-Unis, laquelle a pu donner lieu à quelques déconvenues dans le passé, l'État a mis en oeuvre une stratégie nationale de calcul à haute performance. Soutenue par les besoins militaires, cette stratégie a permis à Atos de devenir un leader mondial en la matière, concurrençant directement l'américain Hewlett Packard et le chinois Lenovo. Atos demeure le seul fabricant de supercalculateurs en Europe, une Europe dont les besoins de calculs en haute performance seront toujours plus importants pour soutenir le développement de l'intelligence artificielle.

Depuis les années 2000, la France, par l'intermédiaire de la direction des applications militaires (DAM) du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), a ainsi développé un partenariat avec Bull reposant sur le codéveloppement de supercalculateurs et le cofinancement des dépenses de recherche et développement.

Au cours des auditions, il nous a cependant été indiqué que la part de l'État avait progressivement diminué, passant de 50 % à l'origine à 20 % environ aujourd'hui. Nous appelons par conséquent à un renforcement de l'effort public pour maintenir et soutenir la recherche et développement dans les activités de calcul haute performance afin de préserver une filière nationale récemment constituée, qui permettra à la France et à l'Europe de saisir pleinement les opportunités de développement offertes par les nouvelles révolutions technologiques.

Plus généralement, l'État doit s'attacher à préserver une filière nationale de fabrication de supercalculateurs. Cet impératif impose, d'une part, la plus grande vigilance afin qu'un tel actif ne puisse pas être cédé, ni même contrôlé, par une entreprise ou un acteur étranger et, d'autre part, que tout acquéreur potentiel dispose d'une assise financière suffisante pour investir dans une telle activité et en garantir la pérennité.

Dans l'hypothèse où le groupe se séparerait de certains de ses actifs, nous estimons que la cession de la branche BDS n'aurait de sens que dans son intégralité et ne pourrait s'opérer qu'au profit d'un repreneur industriel français, ou d'un consortium d'industriels français, afin de mutualiser les efforts de recherche et développement et de développer les synergies technologiques entre les différentes activités de calcul intensif et de cybersécurité.

Le partenariat développé entre l'État et Bull-Atos que je viens d'évoquer s'est révélé gagnant-gagnant, l'État disposant d'un acteur national sur une filière critique et Atos pouvant s'appuyer sur les commandes étatiques et le très haut niveau de performance qu'elles impliquent, pour développer son offre HPC à destination d'autres clients, privés comme publics. Atos est, je le rappelle, l'unique acteur européen présent sur ce marché.

Atos fournit en particulier EDF, qui a en effet recours depuis une dizaine d'années à ses supercalculateurs pour mener des études dans plusieurs domaines : le comportement des ouvrages, leur tenue au vieillissement ou leur résistance à certains événements, internes comme externes.

Mais le rôle d'Atos dans le nucléaire civil ne se limite pas aux supercalculateurs. Le groupe, via sa filiale Worldgrid, est aussi spécialisé dans le développement de logiciels pour les systèmes de contrôle commande des centrales nucléaires.

Atos a par exemple fourni le système de contrôle-commande pour les centrales construites dans les années 1980 à 1990 telles que Civaux ou Chooz. Depuis 2022, EDF et Atos ont engagé un contrat de long terme, jusqu'à 2035, pour moderniser et maintenir opérationnel l'ensemble des centrales nucléaires françaises. Enfin, dans le cadre des campagnes de rénovation en cours de notre parc, il est prévu qu'Atos équipe l'ensemble des salles de commande des centrales nucléaires, à l'exception de celle de l'EPR de Flamanville 3 qui sera fournie par Siemens.

Enfin, dans le cadre du projet de construction de six nouvelles centrales EPR2 en France, Worldgrid, en partenariat avec Schneider Electric, a conclu un important contrat avec le groupe EDF, en juillet 2023, pour la fourniture des systèmes de contrôle de ces nouvelles installations.

Nous considérons par conséquent qu'il est essentiel de garantir la pérennité et de conserver dans le giron national un acteur tel que Worldgrid, dont les compétences ont été présentées comme uniques, lors des auditions, alors que la France s'est engagée dans la relance de sa filière nucléaire afin de garantir sa souveraineté énergétique.

Là encore, dans l'hypothèse où le groupe ne pourrait être maintenu dans son périmètre actuel, nous appelons à ce qu'une éventuelle cession de Worldgrid ne puisse se faire qu'à un repreneur français, accepté par EDF, ou à un consortium d'industriels français accompagnés le cas échéant par Bpifrance, afin de préserver une activité nucléaire souveraine et performante.

Si de telles cessions devaient intervenir, c'est-à-dire si le périmètre d'Eviden, séparé de BDS et de Worldgrid, devait se résumer pour l'essentiel aux seules activités digitales, nous pensons qu'il convient à tout prix d'éviter la constitution d'une entité « orpheline et résiduelle » qui porterait seule le poids de la dette, même après restructuration, afin de s'assurer que toutes les activités, cédées comme restantes, soient suffisamment valorisées et que leur pérennité soit garantie.

M. Thierry Meignen, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - Au-delà du rôle absolument clé joué par Atos dans le domaine nucléaire, civil comme militaire, il faut rappeler que l'entreprise est omniprésente dans notre quotidien, notamment pour assurer notre sécurité.

Atos a ainsi un rôle déterminant dans le développement de systèmes d'information pour nos armées. L'entreprise est par exemple titulaire du marché du système d'information de combat du programme Scorpion, comme l'a rappelé Sophie Primas. Elle est par ailleurs responsable de la modernisation des systèmes de contrôle des Rafale et fournit des solutions techniques à nos services de renseignement tant en matière de télécommunications que de capteurs. L'annonce de Bruno Le Maire, hier, nous montre à quel point Atos est critique pour notre défense et nos services de renseignement.

La présence d'Atos ne se limite cependant pas au seul périmètre de la défense. Maillon essentiel de la souveraineté numérique française et de la dématérialisation de nos services publics, l'entreprise a notamment développé la plateforme Mon espace santé pour la Caisse nationale d'assurance maladie. Elle intervient en outre dans la gestion du système informatique de la carte Vitale, dans le domaine spatial ou encore dans la régulation des systèmes de vidéosurveillance du Grand Paris Express.

Sujet d'actualité, Atos est également le partenaire informatique mondial des jeux Olympiques et Paralympiques, soutenant les opérations de cybersécurité, exploitant le centre opérationnel technologique et développant des systèmes de gestion et de diffusion, jusqu'à la mesure de la performance des athlètes. Ces activités stratégiques relèvent d'Eviden, mais également de Tech Foundations.

Par ailleurs, les auditions que nous avons menées ne nous ont pas permis de considérer qu'il existait une étanchéité parfaite entre les activités des deux entités du groupe, lesquelles portent chacune des activités devant intéresser directement les pouvoirs publics.

C'est pourquoi, comme l'a indiqué Sophie Primas, nous estimons qu'un maintien du groupe dans son périmètre actuel serait le scénario à privilégier : il y a des offres sur la table.

Au regard de la criticité des contrats que je viens d'évoquer, si le scénario d'une cession de Tech Foundations redevenait néanmoins d'actualité, il conviendrait de faire preuve de la plus grande vigilance. Des conditions strictes de gouvernance et de cloisonnement de l'information devraient être prises afin d'éviter que le repreneur éventuel de Tech Foundations n'accède à des renseignements et aux décisions prises concernant les activités stratégiques, souveraines et sensibles du groupe Atos.

Plus généralement, le cas d'Atos nous rappelle la fragilité du dispositif de contrôle des investissements étrangers en France (IEF). Ces faiblesses, déjà relevées par le Sénat dans le cadre de différents travaux, résultent notamment d'un manque de moyens humains alloués au bureau chargé des IEF à la direction générale du Trésor, ainsi qu'au service de l'information stratégique et de la sécurité économique (Sisse) de la direction générale des entreprises (DGE), pour assurer une pleine applicabilité du dispositif.

Aujourd'hui, cette politique demeure une « politique de chef de bureau » qui mériterait un portage politique plus appuyé et un rattachement administratif à plus haut niveau, car les moyens dédiés à ce contrôle ne sont pas à la hauteur des enjeux de souveraineté qui y sont traités.

Ainsi, contrairement aux services du ministère des armées qui effectuent un contrôle plus resserré et systématique des IEF intéressant la défense nationale, aucune vérification systématique des engagements pris par les investisseurs n'est effectuée par les services du ministère de l'économie, aucun contrôle sur place ou sur pièce auprès des entreprises concernées n'est mené, ce qui est un « trou » particulièrement préjudiciable au sein de la maille du « filet » que devrait constituer le contrôle des IEF.

Au cours de nos travaux, il nous est par ailleurs apparu que certaines situations échappaient très largement à ce dispositif et à la méthodologie employée pour appliquer ce contrôle. Cela est par exemple le cas lorsqu'un investisseur national ou un investisseur étranger se situant en-deçà des seuils de contrôle parvient à réaliser un investissement grâce à la mobilisation de capitaux étrangers et à l'association de fonds d'investissement étrangers dont le lien avec un gouvernement ou un organisme public étranger est supposé ou avéré.

Cela est également le cas lorsqu'une partie de la dette d'une entreprise est titrisée, c'est-à-dire convertie en capital par des détenteurs étrangers ; une détention suffisante de capital pourrait conduire de tels acteurs étrangers à jouer un rôle dans la gouvernance d'entreprises d'une importance particulière pour la souveraineté et la défense nationales.

Aussi, nous appelons à un renforcement du dispositif de contrôle des investissements à l'étranger. Plusieurs leviers nous semblent devoir être actionnés.

Premièrement, un renforcement des moyens alloués au contrôle des investissements étrangers en France afin de permettre une vérification plus resserrée et plus systématique, notamment pour assurer le suivi dans le temps des engagements des investisseurs dont l'autorisation d'investissement est assortie de conditions.

Deuxièmement, un contrôle de l'origine des fonds d'un investisseur se situant a priori en-deçà des seuils, mais parvenant à réaliser son investissement grâce à des capitaux et à des fonds d'investissement dont le lien avec un gouvernement ou un organisme public étranger est avéré ou supposé.

Enfin, troisièmement, un contrôle des détenteurs étrangers de la dette d'une entreprise qui décident, dans le cadre d'une procédure de traitement des difficultés, de convertir tout ou partie de leur dette en capital.

M. Fabien Gay, rapporteur de la commission des affaires économiques. - Vous l'aurez compris, nous avons adopté un raisonnement multi-scénarios concernant l'avenir d'Atos. Nous ne cachons pas notre inquiétude sur l'évolution de la situation et le maintien en entier du groupe, solution qui nous semble être la plus préférable, mais qui semble mal embarquée, ce que nous regrettons profondément. Surtout, ce que nous ne souhaitons pas, c'est une « vente à la découpe et au rabais à la barre du tribunal de commerce ». Car en cas d'échec de la procédure de conciliation amiable, Atos entrera en procédure de sauvegarde ou, pire encore, déposera le bilan et le tribunal prononcera la faillite.

L'administratrice judiciaire désignée pour piloter cette procédure a récemment travaillé sur la restructuration du groupe Orpea, avec les conséquences que l'on connaît sur l'emploi. Dans le cadre d'une procédure de sauvegarde accélérée, il a ainsi été imposé aux différentes parties prenantes une restructuration importante du groupe : effacement de 60 % de la dette nette, apurement du bilan et conversion importante de la dette en capital.

L'entrée d'Atos en procédure de sauvegarde accélérée dans les prochains mois nous semble tout à fait plausible, surtout que le cadre de refinancement proposé repose sur des projections économiques et financières ambitieuses et sur des hypothèses fortes, à telle enseigne qu'Atos a indiqué, hier, que ses besoins de liquidités n'étaient plus de 600 millions d'euros, comme cela avait été présenté au début du mois, mais de 1,1 milliard d'euros. C'est donc sans surprise que nous avons appris, hier, que la restructuration financière allait être plus importante que ce qui avait été annoncé il y a deux semaines seulement.

Il ressort notamment de nos travaux que la société EPEI (EP Equity Investment) de Daniel Kretinsky n'exclut en aucun cas de revenir au deuxième tour des négociations pour racheter et restructurer la branche Tech Foundations. Des milliers d'emplois ont déjà été supprimés en Allemagne et il nous a été indiqué par la direction d'Atos que des milliers d'emplois supplémentaires devraient encore l'être dans les prochaines années, pour redresser la marge opérationnelle de Tech Foundations. Nous ne pouvons donc que regarder avec inquiétude l'avenir des 11 600 salariés du groupe présents en France et des différents sites de recherche et de production répartis sur notre territoire, surtout après avoir découvert récemment dans la presse l'ampleur des restructurations décidées par le groupe Casino, Exxon ou les sous-traitants aéronautiques ou automobiles, en contradiction totale avec la politique de réindustrialisation forte sur laquelle le Gouvernement a pourtant largement communiqué.

Je me permets d'insister sur ce point, car cette question est souvent oubliée, surtout par les services de l'État, qui n'envisagent jamais un maintien du groupe en entier. Nous avons pu le constater à de nombreuses reprises lors des auditions que nous avons menées ces dernières semaines. C'est d'autant plus important que, dans une entreprise à forte valeur technologique comme Atos, la première valeur est constituée par les collaborateurs, détenteurs de compétences et de savoir-faire uniques, en particulier pour les activités sensibles et souveraines.

Préserver l'emploi, c'est préserver les compétences, donc préserver la valeur du groupe et son avenir. Par conséquent, nous recommandons aux pouvoirs publics de fixer des garanties de préservation de l'emploi et de l'outil industriel pour maintenir les capacités productives de l'ensemble du groupe, en particulier en cas de cession de la filiale Worldgrid ou de la branche BDS, que l'État a proposé de racheter par l'intermédiaire de l'APE, car c'est là que les compétences les plus rares sont à préserver. En cas de cession, nous comptons sur l'engagement des pouvoirs publics tout comme sur celui des industriels français en position de repreneurs.

Mes collègues l'ont rappelé à plusieurs reprises, le positionnement d'Atos est tellement stratégique et tellement indispensable au bon fonctionnement du pays que l'?État doit se montrer exemplaire. La très grande majorité du chiffre d'affaires du groupe est réalisée hors de France, mais les clients d'Atos en France sont essentiellement des acteurs publics et parapublics. C'est important de le rappeler. Face aux difficultés actuelles, l'État doit soutenir Atos. C'est pourquoi nous recommandons aussi de ne pas dénoncer les contrats en cours auprès des acteurs publics et parapublics comme les ministères régaliens, la sécurité sociale ou le service des douanes.

Nous considérons également que l'analyse de la situation actuelle doit être l'opportunité d'améliorer nos politiques publiques et nos dispositifs de protection de nos actifs stratégiques de façon durable. De ce point de vue, nous avons été marqués lors des auditions par l'importance prise par les logiques financières de court terme, en particulier depuis 2019 : comme l'a dit Mme Primas, nous sommes passés d'une logique industrielle à une logique purement financière. Certes, Atos est une société cotée, mais c'est également l'entreprise « la plus shortée » de France, c'est-à-dire l'entreprise la plus concernée par la vente à découvert, de l'ordre de 20 % de son capital en moyenne : c'est un volume très important.

La vente à découvert est une activité légale, très encadrée, mais elle peut être fortement déstabilisatrice. Or elle est d'autant plus déstabilisatrice que le capital d'Atos est flottant, dilué auprès de nombreux actionnaires dits « petits porteurs ». Il n'y a pas eu d'actionnaire de référence entre le départ de Siemens en 2022 et l'arrivée de David Layani à la fin de 2023, c'est-à-dire durant la période au cours de laquelle se sont succédé les stratégies erratiques des dirigeants successifs, à chaque fois adoptées par un conseil d'administration dont le rôle et la composition ont été fortement contestés, de nombreuses personnes auditionnées estimant qu'il manquait des profils industriels.

Face à cette situation, nous recommandons de faire évoluer le dispositif européen encadrant la vente à découvert. Nous nous étonnons qu'une entreprise cotée avec des activités aussi stratégiques et souveraines qu'Atos puisse faire l'objet d'un tel volume de ventes à découvert, surtout lorsqu'elle est engagée dans des procédures de prévention et de traitement de ses difficultés financières. Il y a là matière à davantage protéger nos actifs stratégiques et nous considérons que la souveraineté ne devrait pas être un objet de spéculation boursière. Cette dernière réflexion est un peu personnelle, mais je sais que l'ensemble de mes collègues la partage désormais.

Voilà donc, mes chers collègues, la feuille de route qui a été la nôtre dans le cadre de cette mission d'information. Vous l'aurez compris, nous espérons qu'Atos parviendra à trouver une solution, idéalement pour maintenir le périmètre de ses activités grâce à un accompagnement beaucoup plus résolu et durable de l'État : il y va de notre souveraineté et de notre défense nationale.

Mme Sophie Primas, rapporteur de la commission des affaires économiques. - La vente à découvert concerne des sociétés qui vendent à prix élevé des actions qui ne leur appartiennent pas pour les racheter ensuite à un prix inférieur sur le marché. Ces sociétés parient donc sur la décroissance de la valeur capitalistique de l'entreprise concernée. Or, fait quasi unique sur le marché boursier, 20 % du capital d'Atos est en vente à découvert et aucune alerte n'a été émise à ce sujet, alors que cette entreprise devrait être particulièrement sous surveillance.

Nous présentons donc 11 recommandations. La question de la suite se posera certainement, l'actualité autour d'Atos étant brûlante et sensible. Pour avoir découvert cette entreprise dans ses profondeurs, nous avons pu constater combien ses activités étaient essentielles au fonctionnement de notre pays. Sur le plan militaire, je salue l'alerte qui avait été émise par Cédric Perrin. Le Sénat n'a pas l'habitude de se mêler de la stratégie des entreprises, ce n'est pas son rôle. Cependant, compte tenu du caractère hautement stratégique des activités de cette entreprise, il est de notre rôle et, encore davantage, de celui du Gouvernement d'avoir un oeil attentif sur son évolution boursière et sa santé. Cette entreprise se porte mal depuis deux ans, il aurait été souhaitable que le Gouvernement ait une attention beaucoup plus aiguisée sur ce point.

M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - Je remercie et félicite les rapporteurs pour le travail réalisé et les nombreuses auditions qui ont été menées, a fortiori au vu de la complexité et de l'aridité des sujets abordés. Je remercie également Dominique Estrosi Sassone d'avoir cru à cette mission. Je regrette que l'alerte que nous avons lancée au mois d'août dernier n'ait pas été transpartisane, mais nous l'avons émise rapidement, au moment où M. Daniel Kretinsky dévoilait ses ambitions, et pendant une période de vacances où les absents étaient nombreux.

Au-delà de l'aspect stratégique des activités d'Atos, n'oublions pas que cette entreprise rassemble des dizaines de milliers d'emplois. L'État a décidé, fort opportunément, juste avant la présentation de votre rapport, d'intervenir au capital de cette société. Cependant, un découpage par appartements aurait des conséquences dramatiques pour des milliers de salariés. N'oublions pas cet aspect humain essentiel.

Le comportement du Sénat tout au long de cette affaire témoigne d'un grand sens des responsabilités. La tribune que nous avons publiée date du mois d'août. Nous avons interrogé à de nombreuses reprises le ministre de l'économie et des finances, notamment lors des séances de questions d'actualité au Gouvernement. On nous expliquait qu'en l'absence de détention de plus de 10 % du capital de l'entreprise par des investissements étrangers, l'État n'avait pas de raison d'intervenir. Or nous réclamions une telle intervention. Au vu de la chute du cours de la Bourse, notre responsabilité était grande, compte tenu des emplois en jeu. J'y insiste, le Sénat a fait preuve d'une grande responsabilité en prenant le temps nécessaire avant de lancer cette mission d'information.

Souhaitons que le ministre de l'économie et des finances nous écoute, et que vos recommandations soient prises en compte et appliquées.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. - Je félicite également les rapporteurs et salue ce travail mené de manière transpartisane, marque de notre souci d'oeuvrer pour l'intérêt général. J'ose croire que vos recommandations seront examinées avec beaucoup d'attention.

Le Gouvernement sort de son attentisme et de son silence. J'ai la faiblesse de penser que le sérieux avec lequel la présente mission a été menée et l'alerte qu'elle a lancée y sont pour quelque chose. Je ne sais pas si le Gouvernement aurait réagi de la sorte s'il en était allé autrement.

Mme Sophie Primas, rapporteur de la commission des affaires économiques. - Le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky (CRCE-Kanaky) a également émis plusieurs alertes pendant l'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2024.

Des conséquences dramatiques sont effectivement à attendre pour les emplois. Des restructurations sont d'ores et déjà en cours pour la division Tech Foundations, qui resteront nécessaires quelle que soit l'issue de cette affaire.

Si une vente par appartements avait lieu, le dommage le plus important à mes yeux serait la perte de compétences. Le groupe Atos présente en effet des compétences exceptionnelles. Toutes ses activités, même si elles sont dispersées dans plusieurs filiales, sont complémentaires et issues d'une activité de recherche et développement (R&D) très performante. Nous militons également pour le maintien du groupe entier, car nous ne voyons pas comment une partie des activités pourrait supporter le poids de la dette du groupe. Aucune entité n'est capable, seule, d'en soutenir la charge. Le projet de rachat de l'entité Tech Foundations par le groupe EPEI de M. Daniel Kretinsky n'incluait d'ailleurs pas la reprise de la dette. Nous sommes très inquiets sur ce point.

M. Yannick Jadot. - Il a été dit que le Sénat n'avait pas vocation à se mêler des stratégies des entreprises. En réalité, si, il le peut, quand il s'agit d'entreprises stratégiques. On ne peut définir des règles en matière de politique industrielle et laisser ensuite les entreprises agir à leur guise. On privatise toujours les bénéfices et on socialise les pertes ! Combien de milliards d'euros ont-ils été investis par l'État dans des entreprises françaises stratégiques, dont il n'a pas voulu contrôler les stratégies ? Des inspecteurs des finances ont ainsi dirigé des groupes industriels qui ont conduit ensuite des opérations de fusion-acquisition ou d'expansions à l'international. Or, à la fin, c'est le contribuable qui paye.

Nous n'avons pas à gérer les entreprises à leur place, mais, lorsqu'il s'agit de secteurs stratégiques sur lesquels nous déterminons des politiques industrielles, un droit de regard est nécessaire.

Mme Sophie Primas, rapporteur de la commission des affaires économiques. - Je suis contente de voir qu'il existe encore des différences politiques... La meilleure façon de s'intéresser aux entreprises touchant à des enjeux de souveraineté, c'est d'entrer au capital et d'avoir un siège au conseil d'administration.

M. Yannick Jadot. - Je suis tout à fait d'accord ! Entrons au capital plutôt que de voir ces entreprises partir à l'étranger.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Merci pour le travail conduit, très précieux. Je salue notamment la recommandation n° 10 visant à renforcer les moyens alloués au contrôle des investissements étrangers en France, qui va dans le sens du rapport d'information que j'avais rédigé avec Marie-Noëlle Lienemann intitulé Anticiper, adapter, influencer : l'intelligence économique comme outil de reconquête de notre souveraineté. La politique de sécurité économique s'est heureusement renforcée ces dernières années. Toutefois, il faudrait davantage de moyens, pour un meilleur suivi dans le temps. C'est pourquoi le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI) a souhaité inscrire dans sa niche du 29 mai prochain un débat sur le contrôle des investissements étrangers en France comme outil d'une stratégie d'intelligence économique au service de notre souveraineté. Les travaux de la présente mission constitueront un cas pratique intéressant à cet égard.

M. Fabien Gay, rapporteur de la commission des affaires économiques. - Je partage la vision de Yannick Jadot. La question industrielle nous occupera certainement un bon moment. Il faudra débattre du contrôle de l'argent public. Pour ma part, je ne m'oppose pas au fait que l'État dirige certaines entreprises stratégiques, mais il s'agit d'un autre débat.

Par l'intermédiaire de l'APE, l'État a présenté une offre ferme de reprise de certaines activités stratégiques. Pour autant, contrairement à ce que l'on a pu lire ici ou là, cela ne signifie pas qu'Atos soit sauvé. La reprise proposée concerne une partie seulement du groupe. Notre recommandation est que l'État entre au capital de l'intégralité de la structure, à hauteur de 10 % ou 15 %, et agisse comme un élément stabilisateur pour les autres actionnaires, y compris pour la restructuration de la dette. Or ce n'est pas ce qui est annoncé. L'État vient au secours d'une entreprise privée, sur une activité stratégique. Tout le monde s'accorde en effet à dire que les supercalculateurs ne peuvent tomber dans les mains d'entreprises étrangères. Mais qu'en est-il du reste ? Aucune entité issue d'un découpage du groupe ne sera en mesure de supporter à elle seule une dette de 5,4 milliards d'euros. L'alerte que nous lançons aujourd'hui doit être entendue. Nos recommandations demeurent d'actualité malgré les annonces gouvernementales du week-end dernier.

Au fil de nos auditions, qui ont concerné 84 personnes au total, nous avons tout entendu : qu'il fallait garder le groupe dans sa globalité, le scinder en deux, etc. Toutefois, ce qui a forgé notre conviction, c'est de constater combien toutes les activités du groupe étaient interconnectées. Un découpage entraînerait une perte de compétences. En outre, aucune entité seule ne pourra supporter la charge, immense, de la dette. Ce constat reste valable, y compris après l'annonce de M. Bruno Le Maire.

M. Philippe Folliot. - Combien l'entrée de l'État au capital d'Atos figurant dans votre recommandation n° 2 coûterait-elle ? Quel serait le coût de la mise en oeuvre de la recommandation n° 9 visant à augmenter la part de financement octroyée par l'État pour maintenir et soutenir la R&D ? Compte tenu de la situation dégradée des finances publiques, nous ne pouvons ignorer les conséquences financières des recommandations formulées.

Mme Sophie Primas, rapporteur de la commission des affaires économiques. - L'entrée de l'État au capital d'Atos SE serait un moyen de rassurer les clients et les marchés financiers. Notre objectif est de prévoir une intervention de court terme, de façon agile. L'APE est faite pour cela.

Par ailleurs, si le groupe est vendu à la découpe, les supercalculateurs ne peuvent partir à l'étranger. Il faut que l'État soit décisionnaire et qu'il fasse les commandes nécessaires pour donner à cette entité des perspectives de chiffre d'affaires.

La valorisation de l'entreprise étant très fluctuante, il m'est difficile de vous répondre précisément sur le plan financier. En revanche, on me souffle que, compte tenu de la valorisation boursière actuelle, l'opération ne coûtera malheureusement pas très cher...

Je vous remercie de l'attention que vous avez portée à ce dossier. Nous pouvons à présent communiquer à son sujet, ce que nous nous étions abstenus de faire pour éviter d'exposer Atos, société cotée, à des difficultés supplémentaires.

Les recommandations sont adoptées.

La mission d'information adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Jeudi 8 février 2024

- Union des actionnaires d'Atos constructifs (Udaac) : MM. Hervé LECESNE, co-président, Christian NICOL, co-président, Didier BEAU, conseiller du bureau, ex-cadre dirigeant d'Atos, et Michael VAQUETA, trésorier.

- Fonds d'investissement CIAM : Mme Catherine BERJAL, directrice générale.

- Comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri) : M. Pierre-Olivier CHOTARD, secrétaire général, Mmes Sarah TEPER, rapporteur, et Laure DECAZES, rapporteur.

Jeudi 15 février 2024

- Groupe Astek : MM. Jean-Luc BERNARD, actionnaire de contrôle du groupe Astek, et Louis VILDÉ, président de la société Astek Développement.

- Groupe Onepoint : MM. David LAYANI, président-directeur général, Jean-Fabrice COPÉ, conseiller en développement de l'entreprise, et Vincent CHRIQUI, conseiller en relations institutionnelles.

- Personnalité : M. Philippe OLIVA, ancien directeur général délégué d'Atos.

- Ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, Direction générale du trésor - Bureau chargé du contrôle des investissements étrangers en France : MM. William ROOS, chef du service des affaires multilatérales et du développement, Victor TISSANDIER, adjoint au chef du bureau du contrôle des investissements étrangers en France, et Mme Fanny MICHAUD, conseillère parlementaire et relations institutionnelles.

- Autorité des marchés financiers : Mmes Astrid MILSAN, secrétaire générale par intérim, et Laure TERTRAIS, directrice de cabinet de la présidente et conseillère parlementaire.

Mardi 20 février 2024

- Ministère des armées - Direction générale de l'armement : Ingénieur général de l'armement Alexandre LAHOUSSE, chef du service des affaires industrielles et de l'intelligence économique, Ingénieur en chef de l'armement Thierry ROUFFET, sous-directeur affaires industrielles, et Mme Mathilde HERMAN, conseillère auprès du délégué général pour l'armement.

- Personnalité : M. Rodolphe BELMER, ancien directeur général d'Atos.

- Personnalité : M. Yves BERNAERT, ancien directeur général d'Atos.

- Personnalité : M. Nourdine BIHMANE, ancien directeur général d'Atos.

- Table ronde des représentants syndicaux d'Atos :

· Confédération française démocratique du travail (CFDT) : M. Stéphane DESTUGUES, secrétaire général de la fédération générale des mines et de la métallurgie, et Mme Alia IASSAMEN, coordinatrice CFDT du groupe Atos ;

· Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC) : Mme Karine DRAN, coordinatrice CFE-CGC du groupe Atos, et M. Patrice VAN LOOY, délégué syndical central sur le périmètre Eviden et membre titulaire du comité d'entreprise européen d'Atos ;

· Confédération générale du travail (CGT) : MM. Pascal BESSON, délégué syndical de l'Unité économique et sociale (UES) Atos, et Didier MOULIN, délégué syndical de l'Unité économique et sociale (UES) Eviden ;

· Force ouvrière (FO) : MM. Lionel ARCIDIACONO, coordinateur adjoint FO groupe Atos (Atos et Eviden), coordinateur FO Eviden, et Sébastien DUCROS, représentant FO groupe Atos (Atos et Eviden) au comité d'entreprise européen d'Atos, membre du bureau exécutif FO Atos.

- Capgemini : M. Jérôme SIMÉON, président de Capgemini Technology Services France et membre du comité de direction générale du groupe.

Mercredi 21 février 2024

- Sopra Steria : MM. Laurent GIOVACHINI, directeur général adjoint, et Dorian GOULET, directeur des relations institutionnelles.

- Euronext : Mmes Delphine d'AMARZIT, présidente-directrice générale d'Euronext Paris, Camille de PERTHUIS, responsable des opérations de négoce, et M. Guillaume MORELLI, responsable du pôle France, Portugal et Espagne.

- Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) : M. Vincenzo SALVETTI, directeur des applications militaires.

- Électricité de France (EDF) : MM. François OLIVE, directeur Politique industrielle à la direction des systèmes informatiques groupe, et Olivier COADEBEZ, directeur Ingénierie à la direction production nucléaire, Mmes Alice AUBERT, directrice Politique industrielle à la direction Ingénierie et projet nouveau nucléaire, et Véronique LOY, directrice adjointe des affaires publiques.

- Personnalités : MM. Thierry BRETON, ancien président-directeur général du groupe Atos, Charles DEHELLY, ancien directeur général adjoint du groupe Atos, Lionel ZINSOU, ancien administrateur du groupe Atos, et Terence ZAKKA, ancien cadre du groupe Atos.

Mercredi 6 mars 2024

- Groupe Atos : Mme Diane GALBE, directrice Stratégie et transformation et adjointe Tech Foundations.

- Airbus : MM. Matthieu LOUVOT, directeur de la stratégie, Philippe COQ, directeur des affaires publiques France, Olivier MASSERET, directeur des relations institutionnelles, et Jean SABATAY, chef de cabinet.

- Personnalité : M. Bertrand MEUNIER, ancien président du conseil d'administration d'Atos.

- EP Equity Investment (EPEI) : M. Denis OLIVENNES, président d'Editis et de CMI France et conseiller spécial de M. Daniel Kretinsky pour toutes ses activités en France.

Jeudi 7 mars 2024

- Banque publique d'investissement - Bpifrance : MM. Nicolas DUFOURCQ, directeur général, et Jean-Baptiste MARIN-LAMELLET, directeur des relations institutionnelles.

- Atos : M. René PROGLIO, ancien membre du conseil d'administration et ancien président du comité d'audit d'Atos.

- Personnalité : M. Élie GIRARD, ancien directeur général d'Atos.

- Atos : M. Carlo D'ASARO BIONDO, directeur général chargé des opérations.

Mardi 12 mars 2024

- Comité d'organisation des jeux olympiques et paralympiques de 2024 (Cojop) : M. Bruno MARIE-ROSE, directeur de la technologie et des systèmes d'information, et Mme Marion FRANÇOIS, conseillère chargée des relations extérieures.

- Thales : M. Philippe KERYER, directeur Stratégie, recherche et technologies et membre du comité exécutif, et Mme Isabelle CAPUTO, directrice des relations institutionnelles.

- Ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique - Direction générale des entreprises (DGE) : MM. Thomas COURBE, directeur général, et Mathieu KAHN, sous-directeur au service de l'information stratégique et de la sécurité économiques.

Mercredi 13 mars 2024

- Ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique - Agence des participations de l'État (APE) : MM. Alexis ZAJDENWEBER, commissaire aux participations de l'État, et Pierre JEANNIN, directeur de participations Industrie.

- Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) : à huis clos.

Vendredi 15 mars 2024

- Fonds d'investissement Alix AM Pte Ltd : M. Jerome FERRACCI, directeur.

- Personnalité : M. Pierre BARNABÉ, ancien co-directeur général d'Atos.

Mardi 19 mars 2024

- Siemens : Mmes Hanna HENNIG, directrice de l'information Siemens AG, Anne HADLER, responsable des projets stratégiques en technologie de l'information Siemens AG, et Véronique FERJOU GAVEN, secrétaire générale Siemens France.

Mercredi 20 mars 2024

- Rothschild & Cie : MM. Grégoire CHERTOK, associé-gérant, Cyrille HARFOUCHE, associé gérant, et Jacques DEEGE, associé gérant et directeur juridique.

Mercredi 27 mars 2024

- J.P. Morgan : M. Marc PANDRAUD, vice-président des services bancaires d'investissement, et Mme Magali AUGEREAU, responsable juridique.

- Schneider Electric France : M. Laurent BATAILLE, président.

- Comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri) : M. Pierre-Olivier CHOTARD, secrétaire général.

- Caisse des dépôts et consignations : MM. Antoine SAINTOYANT, directeur des participations stratégiques, Philippe BLANCHOT, directeur des relations institutionnelles, internationales et européennes.

Mercredi 10 avril 2024

- Atos : MM. Jean-Pierre MUSTIER, président du conseil d'administration, et Paul SALEH, directeur général.

TABLEAU DE MISE EN oeUVRE ET DE SUIVI

N° de la proposition

Proposition

Acteurs concernés

Calendrier prévisionnel

Support

1

Préserver le périmètre du groupe, éviter un démantèlement et privilégier les offres de reprise et de transformation de l'entreprise qui la maintiennent dans son entièreté afin de permettre une répartition équitable et soutenable de sa dette et protéger l'ensemble de ses activités souveraines.

Atos

Repreneurs éventuels

Gouvernement

Dans les six prochains mois (ou, au plus tard, dans le cadre des négociations menées)

 

2

Faire entrer l'État au capital à deux niveaux :

(1) une prise de participation minoritaire et durable de l'APE au sein d'Atos SE garantissant une place au conseil d'administration afin de permettre une supervision de toutes les activités stratégiques et sensibles du groupe ;

(2) une prise de participation majoritaire et durable de Bpifrance au sein de BDS afin d'assurer le financement et la supervision resserrée d'activités technologiques souveraines qui doivent dans tous les cas demeurer dans le giron national.

Gouvernement

Parlement

Agence des participations de l'État (APE)

Bpifrance

Atos

S'agissant d'Atos SE, dépôt immédiat de l'offre engageante

S'agissant de BDS, en cas d'intervention seule de Bpifrance, notification immédiate aux autorités de concurrence

En cas de co-investissement avec des acteurs privés, dès la constitution du consortium (dans les six prochains mois au plus tard)

Offre engageante et prise de participation de l'APE

Prise de participation de Bpifrance

Projet de loi de finances (PLF) pour 2025

3

Fixer des obligations pluriannuelles de préservation de l'emploi et de l'outil industriel à l'ensemble des repreneurs intéressés pour racheter tout ou partie des activités du groupe.

Atos

Repreneurs éventuels

Gouvernement

Dans les six prochains mois (ou, au plus tard, dans le cadre des négociations menées)

 

4

En cas de cession de la filiale Worldgrid, privilégier un repreneur industriel français, souverain, performant et accepté par EDF, ou d'un consortium d'industriels accompagnés par Bpifrance et remplissant les mêmes conditions, afin de préserver une activité nucléaire souveraine et performante.

Atos

Repreneurs éventuels

Gouvernement

Bpifrance

EDF

Dans les six prochains mois (ou, au plus tard, dans le cadre des négociations menées)

 

5

En cas de cession de BDS, privilégier une cession dans son intégralité auprès d'un repreneur industriel français, ou d'un consortium d'industriels français, afin de mutualiser les efforts de R&D et de développer les synergies technologiques entre les différentes activités de calcul intensif et de cybersécurité.

Atos

Repreneurs éventuels

Gouvernement

Bpifrance

Dans les six prochains mois (ou, au plus tard, dans le cadre des négociations menées)

 

6

Effectuer un contrôle vigilant et resserré des investissements étrangers en France (IEF) dans l'éventualité où Tech Foundations serait rachetée par un investisseur étranger sans oublier d'évaluer les conséquences sur le reste du groupe.

Gouvernement

Direction générale du Trésor

Dans les six prochains mois (ou, au plus tard, dans le cadre des négociations menées)

Contrôle des IEF

Débat en séance publique au Sénat le 29 mai 2024 sur le thème : « Le contrôle des investissements étrangers en France comme outil d'une stratégie d'intelligence économique au service de notre souveraineté »

7

Exclure la constitution d'une entité « orpheline et résiduelle » qui porterait seule le poids de la dette, même après restructuration, afin de s'assurer que toutes les activités, cédées comme restantes, soient suffisamment valorisées et pérennes.

Atos

Repreneurs éventuels

Gouvernement

Dans les six prochains mois (ou, au plus tard, dans le cadre des négociations menées)

 

8

Maintenir l'ensemble des contrats et des missions du groupe Atos auprès de ses clients publics et parapublics actuels.

Gouvernement

Clients et partenaires publics et parapublics d'Atos

Immédiatement

Contrats publics et parapublics en cours

9

Augmenter la part du financement octroyé par l'État pour maintenir et soutenir la R&D dans les activités de calcul à haute performance afin de préserver une filière nationale récemment constituée qui permettra à la France et à l'Europe de saisir pleinement les nouvelles révolutions technologiques.

Gouvernement

Parlement

Dans les six prochains mois

PLF 2025

10

Renforcer les moyens alloués au contrôle des IEF afin de permettre une vérification plus resserrée et plus systématique, notamment pour :

(1) assurer enfin le suivi dans le temps des engagements pris par les investisseurs ;

(2) mieux prendre en compte les relations entre un investisseur et des fonds étrangers dont le lien avec un gouvernement ou un organisme public étrangers est avéré ou supposé ;

(3) mieux contrôler les évolutions de l'actionnariat liées à la titrisation de la dette et qui peuvent se traduire par la montée au capital d'acteurs étrangers.

Gouvernement

Parlement

Direction générale du Trésor

Direction générale des entreprises (service de l'information stratégique et de la sécurité économique)

Dans les six prochains mois

Proposition de loi visant à faire de l'intelligence économique un outil de reconquête de notre souveraineté

Proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France

Décret complétant le dispositif IEF

Débat en séance publique au Sénat le 29 mai 2024 sur le thème : « Le contrôle des investissements étrangers en France comme coutil d'une stratégie d'intelligence économique au service de notre souveraineté »

11

Envisager une restriction, voire une interdiction, de la vente à découvert sur des sociétés cotées ayant des activités sensibles et stratégiques intéressant directement la souveraineté et la défense nationales, a minima lorsque ces sociétés ont engagé une procédure de prévention ou de traitement de leurs difficultés, en plaidant, au niveau européen, pour une révision du règlement de 2012 sur la vente à découvert dans ce sens.

Commission européenne

Parlement européen

Gouvernement

Commissions des affaires européennes du Sénat et de l'Assemblée nationale

Engager les discussions immédiatement pour une décision au plus tard en 2026

Proposition de règlement européen modifiant le règlement de 2012 sur la vente à découvert

Proposition de résolution européenne de la commission des affaires européennes du Sénat


* 1 Dont 4 sont « en sommeil ».

* 2  Communiqué de presse d'Atos du 21 avril 2022.

* 3 Communiqué de presse d'Atos du 9 avril 2024.

* 4 Classement 2023 Numeum et KPMG des ESN et ICT les plus performantes.

* 5 https://www.soprasteria.com/fr/nous-connaitre/notre-histoire

* 6 https://www.capgemini.com/fr-fr/notre-groupe/

* 7 https://investor.accenture.com/

* 8 Communiqué de presse d'Atos du 14 juin 2022.

* 9 États financiers consolidés 2023.

* 10 États financiers consolidés 2023.

* 11 Communiqué de presse d'Atos du 26 mars 2024.

* 12 Un pétaflop correspond à un million de milliards d'opérations par seconde.

* 13 Test de haute performance.

* 14 Communiqué de presse d'Atos du 17 avril 2024.

* 15 Communiqué de presse d'Atos du 28 mars 2024.

* 16 Communiqué de presse d'Atos du 4 octobre 2023.

* 17 Communiqué de presse d'Atos du 11 avril 2024.

* 18  https://archives.defense.gouv.fr/dga/actualite/le-systeme-d-information-des-armees-sia-a-l-heure-du-standard-fmn-de-l-otan.html

* 19 Communiqué de presse d'Atos du 30 juin 2020.

* 20 Communiqué de presse d'Atos du 27 mai 2021.

* 21 Voir par exemple « Le devoir de souveraineté numérique », rapport n° 7 (2019-2020) de M. Gérard LONGUET, fait au nom de la commission d'enquête sur la souveraineté numérique présidée par M. M. Franck MONTAUGÉ, déposé le 1er octobre 2019 ou encore « Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique », rapport d'information n° 755 (2021-2022) de Mmes Sophie PRIMAS, Amel GACQUERRE et M. Franck MONTAUGÉ, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 6 juillet 2022.

* 22 Voir par exemple le rapport n° 777 (2022-2023) de MM. Patrick CHAIZE et Loïc HERVÉ, fait au nom de la commission spéciale sur le projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique présidée par Mme Catherine Morin-Desailly, déposé le 27 juin 2023.

* 23 Communiqué de presse d'Atos du 15 septembre 2022.

* 24 Communiqué de presse d'Atos du 23 novembre 2022.

* 25 Communiqué de presse d'Atos du 9 décembre 2021.

* 26 Communiqué de presse d'Atos du 16 février 2021.

* 27 Communiqué de presse d'Atos du 7 septembre 2023.

* 28  https://olympics.com/cio/news/les-solutions-informatiques-d-Atos-accompagnent-les-jeux-olympiques-de-la-jeunesse

* 29 Communiqué de presse d'Atos du 16 avril 2021.

* 30  Communiqué de presse d'Atos du 3 octobre 2023.

* 31 Communiqué de presse d'Atos du 30 octobre 2019.

* 32 Communiqué de presse d'Atos du 4 février 2020.

* 33 Communiqué de presse d'Atos du 26 mars 2024.

* 34 https://Atos.net/content/investors-documents/ir-2019/Atos-integrated-report-2019-fr.pdf

* 35 L'Autorité des marchés Financiers (AMF) ne rend publique l'information d'une vente à découvert que lorsque la position de l'intervenant atteint 0,5 % du capital de la société concernée.

* 36 https://www.cnil.fr/fr/definition/cloud-computing

* 37  https://azure.microsoft.com/fr-fr/resources/cloud-computing-dictionary/what-are-private-public-hybrid-clouds

* 38 Audition du 10 avril 2024 de MM. Jean-Pierre Mustier et Paul Saleh devant le Sénat.

* 39 Communiqué de presse d'Atos du 16 novembre 2008.

* 40 Communiqué de presse d'Atos du 10 février 2009.

* 41 Communiqué de presse d'Atos du 24 octobre 2019.

* 42 Communiqué de presse d'Atos du 1er novembre 2019.

* 43 Communiqué de presse d'Atos du 16 octobre 2023.

* 44 Communiqué de presse d'Atos du 6 avril 2022.

* 45 Communiqué de presse d'Atos du 7 janvier 2021.

* 46 Communiqué de presse d'Atos du 2 février 2021.

* 47 Communiqué de presse d'Atos du 24 juin 2020.

* 48 Communiqué de presse d'Atos du 14 juin 2022.

* 49 Communiqué de presse d'Atos du 14 juin 2022.

* 50 Communiqué de presse d'Atos du 26 mars 2024.

* 51 Communiqué de presse d'Atos du 14 juin 2022.

* 52 Communiqué de presse d'Atos du 1er août 2023.

* 53 Communiqué de presse d'Atos du 28 février 2024.

* 54 Communiqué de presse d'Airbus du 29 mars 2023.

* 55 Communiqué de presse d'Atos du 3 janvier 2024.

* 56 Communiqué de presse d'Airbus du 19 mars 2024.

* 57 Communiqué de presse d'Atos du 29 septembre 2022.

* 58 Communiqué de presse de OnePoint du 29 septembre 2022.

* 59 Communiqué de presse de OnePoint du 1er novembre 2023.

* 60 Communiqué de presse de OnePoint du 8 décembre 2023.

* 61 Le Figaro, « Atos : David Layani dévoile au Figaro ses projets pour sauver le groupe français », 24 mars 2024.

* 62 Communiqué de presse de OnePoint du 8 avril 2024

* 63 Audition du 10 avril 2024 de MM. Jean-Pierre Mustier et Paul Saleh devant le Sénat.

* 64 Communiqué de presse d'Atos du 1er août 2023.

* 65 Communiqué de presse d'Atos du 3 janvier 2024.

* 66 Communiqué de presse d'Atos du 5 février 2024.

* 67 Le Figaro, "Atos : cessons de vendre nos fleurons les plus stratégiques à des puissances étrangères", 2 août 2023.

* 68 Séance des QAG du 26 septembre 2023 à l'Assemblée nationale.

* 69 Séance des QAG du 8 novembre 2023 au Sénat.

* 70 Les Échos, "L'État utilisera tous les moyens à sa disposition : Bercy sort du bois sur le dossier Atos", 5 février 2024.

* 71 Communiqué de presse d'Atos du 9 avril 2024.

* 72 Communiqué de presse d'Atos du 29 avril 2024.

* 73 Communiqué de presse d'Atos du 9 avril 2024.

* 74 Communiqué de presse d'Atos du 9 avril 2024.

* 75 Audition du 10 avril 2024 de MM. Jean-Pierre Mustier et Paul Saleh devant le Sénat.

* 76 Les Échos, "Atos : les hedge funds prêts à prendre la main", 17 avril 2024.

* 77 Communiqué de presse d'Atos du 29 avril 2024.

* 78 Audition du 10 avril 2024 de MM. Jean-Pierre Mustier et Paul Saleh devant le Sénat.

* 79 Communiqué de presse d'Atos du 29 avril 2024.

* 80 Audition du 10 avril 2024 de MM. Jean-Pierre Mustier et Paul Saleh devant le Sénat.

* 81 Communiqué de presse d'Atos du 28 juillet 2023.

* 82 Communiqué de presse d'Atos du 26 mars 2023.

* 83 Communiqué de presse d'Atos du 9 avril 2024.

* 84 Communiqué de presse d'Atos du 5 février 2024.

* 85 Directive (UE) 2019/1023 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 relative aux cadres de restructuration préventive, à la remise de dettes et aux déchéances, et aux mesures à prendre pour augmenter l'efficacité des procédures en matière de restructuration, d'insolvabilité et de remise de dettes.

* 86 Ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 portant modification du livre VI du code de commerce.

* 87 T. com. Nanterre, 24 juill. 2023, n° 2023L01 543, 2023L01 570 et 2023L01 572.

* 88 Article L. 151-1 du code monétaire et financier.

* 89 Article L. 151-2 du code monétaire et financier.

* 90 Article L. 151-3 du code monétaire et financier.

* 91 Article R. 151-8 du code monétaire et financier.

* 92 Décret n° 2005-1739 du 30 décembre 2005 réglementant les relations financières avec l'étranger et portant application de l'article L. 151-3 du code monétaire et financier.

* 93 Décret n° 2014-479 du 14 mai 2014 relatif aux investissements étrangers soumis à autorisation préalable.

* 94 Décret n° 1590 du 31 décembre 2019 relatif aux investissements étrangers en France.

* 95 Décret n° 2023-1293 du 28 décembre 2023 relatif aux investissements étrangers en France.

* 96 Décret n° 2020-892 du 22 juillet 2020 relatif à l'abaissement temporaire du seuil de contrôle des investissements étrangers dans les sociétés françaises dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé.

* 97 Décret n° 2022-1622 du 23 décembre 2022 relatif à l'abaissement temporaire du seuil de contrôle des investissements étrangers dans les sociétés françaises dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé.

* 98 Rapport d'information n° 84 de Mme Sophie Primas, « Le projet de cession des Chantiers de l'Atlantique : éviter l'erreur stratégique, construire l'avenir », commission des affaires économiques du Sénat, déposé le 28 octobre 2020

* 99 Rapport d'information n° 872 de Mme Marie-Noëlle Lienemann et de M. Jean-Baptiste Lemoyne, « Anticiper, adapter, influencer : l'intelligence économique comme outil de reconquête de notre souveraineté », déposé le 12 juillet 2023

* 100 Agence des participations de l'État, rapport d'activité 2018-2019.

* 101  https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/commission-participations-transferts/pdf/Avis %20AC2_20 221 115_ADS %20Geo.pdf ?v=1675 264 291

* 102 Agence des participations de l'État, rapport d'activité 2018-2019.

* 103  https://presse.economie.gouv.fr/29 082 023-letat-transforme-laction-quil-detient-au-capital-de-la-societe-exxelia-international-en-action-de-preference/

* 104 Communiqué de presse d'Atos du 9 avril 2024.

* 105 https://presse.economie.gouv.fr/cp-Atos/

* 106 Audition du 10 avril 2024 de MM. Jean-Pierre Mustier et Paul Saleh devant le Sénat.

* 107 Audition du 10 avril 2024 de MM. Jean-Pierre Mustier et Paul Saleh devant le Sénat.

* 108 Communiqué de presse de la mission d'information du Sénat relative à l'avenir d'Atos du 11 avril 2024.

* 109 Audition du 10 avril 2024 de MM. Jean-Pierre Mustier et Paul Saleh devant le Sénat.

* 110 Interview de Nicolas Dufourcq sur BFM Business du 4 mars 2024.

* 111 Interview d'Éric Lombard sur BFM Business du 21 mars 2024.

* 112 Audition du 10 avril 2024 de MM. Jean-Pierre Mustier et Paul Saleh devant le Sénat.

* 113 Règlement (UE) n° 236/2012 du Parlement européen et du Conseil du 14 mars 2012 sur la vente à découvert et certains aspects des contrats d'échange sur risque de crédit.

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