COMPTE RENDU DES AUDITIONS
Audition de M. Serge TISSERON, psychiatre et psychanalyste (27 mars 2008)
M. Serge Tisseron a souhaité insister sur les impacts du bouleversement médiatique contemporain qui lui paraissent particulièrement importants pour les jeunes.
Le premier est l'utilisation précoce de l'anonymat par les jeunes qui, grâce aux avatars et pseudonymes, testent leur pouvoir d'intéresser autrui tout en pouvant disparaître à tout moment. Il a souligné que l'anonymat devait être la règle sur Internet et la transparence l'exception, ce qui bouleverse la relation aux autres et les règles traditionnelles. Il s'est ainsi inquiété de la récupération des données sur les sites communautaires et du brouillage entre la vie privée et la vie publique sur Internet, estimant que cette distinction était essentielle à la constitution de la personnalité des jeunes. Il a recommandé à cet égard que les enseignants du premier degré apprennent aux jeunes la différence entre l'espace public et la vie intime, laquelle est de plus en plus floue, notamment du fait des émissions de téléréalité diffusées à la télévision.
La deuxième nouveauté est la constitution de repères extra-familiaux. Les jeunes se font des amis de leur âge sur Internet mais y trouvent également des tuteurs et mentors. Pour contrebalancer ce phénomène, il est utile que les parents discutent avec les enfants de leurs usages d'Internet. Le risque de fracture intergénérationnelle est d'autant plus présent que dans de nombreuses familles, ce sont les enfants qui expliquent à leurs parents comment utiliser Internet.
Le troisième impact est la modification du rapport au temps, à l'espace et à la connaissance. S'agissant de la connaissance notamment, il lui semble que les jeunes s'éloignent des méthodes utilisées à l'école et que l'apprentissage par le tâtonnement devient la règle. Il a insisté sur le fait que des enfants en difficulté à l'école, mais plus proches des images, pouvaient trouver des solutions à travers l'usage des nouveaux médias.
La quatrième conséquence est la confusion entre les images réelles et celles fabriquées sur Internet. Il s'est déclaré convaincu à cet égard de l'importance d'enseigner aux enfants la relativité des images et des informations, citant comme exemple de politique publique utile, l'indication systématique sur la télévision publique de la provenance des images, afin d'habituer le spectateur à se questionner sur leur origine.
Enfin, il s'est inquiété de l'introduction insidieuse de la publicité à la fois sur Internet ( profiling des internautes) et dans les jeux vidéo qui lui semble constituer un défi pour le politique.
S'est ensuite engagé un débat sur l'éducation aux médias, à laquelle M. Serge Tisseron attache une grande importance. Sa conviction est qu'elle permettrait de reconnaître des « compétences d'images » aux personnes qui en ont, mais qu'il faut pour cela partir des images qui intéressent les jeunes, qu'il faut commencer assez tôt, sur le modèle du projet lancé à l'initiative de Georges Charpak, La main à la pâte , dans le domaine des sciences, et enfin utiliser la création spontanée des jeunes. Il estime en effet qu'un moyen très efficace d'éduquer à l'image est de passer non pas par le langage mais par la manipulation directe d'images, proposant par conséquent la création d'un site de référence « la main à l'image » par les enseignants et la mise en place d'un enseignement d'une heure mensuelle au minimum.
Audition de Mme Blandine KRIEGEL, auteur d'un rapport sur la violence à la télévision (27 mars 2008)
Mme Blandine Kriegel a rappelé les grandes lignes du rapport sur la violence à la télévision réalisé en 2002 et remis au ministère de la culture et de la communication.
Le rapport a été commandé dans un contexte d'augmentation de la violence des jeunes dans la société et à l'école, notamment contre les enseignants, alors que la violence globale contre les personnes tendait à diminuer. Alors qu'André Glucksmann avait souligné au milieu des années 1960 qu'aucune étude scientifique ne permettait de corréler la violence des jeunes à celle représentée à la télévision, le rapport s'est appuyé sur des études menées dans les années 1990, notamment aux États-Unis. Procédant à une évaluation des effets sociologiques, psychologiques et esthétiques de l'inflation de la violence à la télévision, la commission s'est au final accordée à reconnaître un effet net de l'impact de la diffusion de spectacles violents sur le comportement des plus jeunes. Une différence de comportement en fonction de la durée d'exposition à la télévision a également été constatée.
Avait en outre été constaté un retard de la France par rapport à ses voisins européens dans la mise en place d'instruments de régulation à la fois efficaces et contre le développement de cette violence à la télévision.
La commission qu'elle présidait a d'abord effectué un travail de définition de la violence qu'elle a décrit comme étant « la force déréglée qui porte atteinte à l'intégrité physique ou psychique pour mettre en cause dans un but de domination ou de destruction l'humanité de l'individu ». Elle a ensuite mené une réflexion sur l'image pour tenter de comprendre les raisons positives et négatives du rôle qui est le sien dans notre culture. Enfin elle a établi des recommandations avec un principe directeur à savoir de « tout garder à la liberté, et de tout confier à la responsabilité de l'État, des diffuseurs, des réalisateurs, des familles, des éducateurs » , afin d'assurer la protection des enfants.
C'est la raison pour laquelle la commission présidée par Mme Blandine Kriegel n'a pas recommandé l'interdiction de la pornographie mais la mise en place d'un programme élargi de mise hors de portée des enfants des spectacles violents. Ont ainsi été établis, suite au rapport, des normes de classification proches de la moyenne européenne, une classification des DVD et des jeux vidéo, la mise en place de systèmes de cryptage, un détachement des abonnements aux spectacles ou aux chaînes pornographiques des autres bouquets proposés, et la mise en place d'une signalétique (ainsi les programmes violents ou pornographiques ne doivent en aucun cas être diffusés dans des tranches horaires susceptibles d'être regardées par les enfants de 7 heures à 22 heures 30).
Les missions du Conseil supérieur de l'audiovisuel ont également été renforcées : il s'est vu reconnaître la possibilité de prononcer des sanctions pécuniaires contre les contrevenants.
Le rapport insistait enfin sur la généralisation de l'éducation à l'image avec l'appui des institutions telles que le Centre de liaison de l'enseignement et des médias d'information (CLEMI) ou le Centre national de documentation pédagogique (CNDP). Mme Blandine Kriegel a reconnu l'insuffisance des avancées dans ce domaine.
Audition de M. Christian GAUTELLIER, Directeur du département « enfants, écrans, jeunes et médias » des CEMEA, Vice-président du Collectif interassociatif enfance et médias (10 avril 2008)
M. Christian Gautellier a tout d'abord fait le constat de l'utilisation très intensive d'écrans par les jeunes : six à huit heures par jour seraient consacrées à la télévision, l'ordinateur, la console de jeux et le téléphone portable. Il estime que cette consommation ainsi que les opportunités et les risques qu'elle comporte font des médias un enjeu culturel et éducatif majeur.
L'éducation aux nouveaux médias a un triple objectif : économique, puisque les nouvelles technologies qui en sont les supports doivent absolument être maîtrisées par les jeunes dans les sociétés contemporaines, politique, dans la mesure où les médias participent à la diversité culturelle et encourage la critique et la créativité, et enfin démocratique, afin que les jeunes les utilisent avec responsabilité dans un cadre juridique protecteur.
M. Christian Gautellier a insisté sur l'importance d'une éducation pluri-médiatique, dans la mesure où les contenus passent rapidement d'un média à l'autre et où les jeunes les pratiquent souvent tous, parfois en même temps.
Il a ensuite considéré que le « bain commercial permanent » imposé par les médias plaçait les parents sous une forte pression publicitaire et regretté que les jeunes devenus des « coeurs de cible » étaient davantage placés dans une situation de consommateur que de citoyen.
Il a donc appelé une action politique à cinq niveaux :
- une co-régulation pour assurer la protection des mineurs ;
- un soutien à la création de contenus et programmes pour les jeunes ;
- le renforcement de l'éducation aux médias ;
- la formation des professeurs ;
- et l'accompagnement des pratiques médiatiques des jeunes.
M. Christian Gautellier en a conclu que l'État et les collectivités territoriales devaient jouer en ces matières un rôle d'impulsion et d'animation afin de garantir le succès d'une politique qui s'inscrit selon lui dans un projet de société démocratique. A ce titre, une large palette d'acteurs est susceptible d'être mobilisée dans un esprit de coresponsabilité : des institutions aux entreprises, en passant par la société civile, les éducateurs, les professionnels des médias et les producteurs de contenus.
Audition de Mme Isabelle FALQUE-PIERROTIN, Forum des droits de l'Internet (10 avril 2008)
Mme Isabelle Falque-Pierrotin a tout d'abord souligné qu'Internet crée de nouveaux usages et que la simple transposition des mesures prises dans l'audiovisuel pour assurer un contrôle satisfaisant est insuffisante
Elle a ensuite décrit les pratiques numériques des jeunes : 70 % des jeunes de 12 à 18 ans pratiquent ainsi quotidiennement Internet, sur lequel ils ne recherchent pas vraiment de l'information (ce que croient les parents) mais surfent de manière spontanée (avec des buzz autour de certains sites), recherchent l'interactivité pour discuter avec d'autres jeunes, qu'ils connaissent déjà en général, échangent des biens culturels (la moitié des garçons et un quart des filles téléchargent), éditent des contenus avec le web 2.0. (la France est ainsi championne du monde des blogs des jeunes, avec un jeune sur trois auteur d'un blog), et jouent en ligne. Les trois quarts du temps, l'usage d'Internet est solitaire.
Pendant cette navigation, ils ont une exposition à des contenus interdits, parfois recherchée, mais très souvent aussi involontaire
S'agissant des blogs, elle a insisté sur la méconnaissance des règles juridiques par les jeunes, notamment sur les questions de diffamation, de diffusion de photographies privées et de mise en ligne de données personnelles. Cette responsabilité éditoriale n'est pas connue, notamment parce qu'elle n'est pas enseignée. Elle a souligné en outre que les prédateurs sexuels sillonnent les blogs et retrouvent les personnes sur les forums de discussion munis de très nombreuses informations. Elle a également noté que le quart des profils ouverts sur Facebook conservait le système de paramétrage par défaut, qui est peu protecteur de leurs données. Cet « amaigrissement de la sphère de l'intime » est important puisque même les employeurs éventuels utilisent les moteurs de recherches et les sites communautaires pour évaluer les personnes qu'ils recrutent.
Sur la question des logiciels de contrôle parental, elle a regretté leur sous-utilisation. Reconnaissant qu'ils ne constituent pas la panacée, elle a souligné leur intérêt pour les plus jeunes enfants et pour les jeux vidéo en ligne. La définition de critères de qualité pour ces logiciels est aujourd'hui un impératif. Il reste que si la classification des contenus est sans conteste possible sur la télévision mobile personnelle, avec le contrôle de l'opérateur sur les portails, elle est plus difficile sur Internet.
Mme Isabelle Falque-Pierrotin a ensuite regretté que seulement 10 % des 12-18 ans affirment utiliser régulièrement Internet à l'école, ce qui constitue un retard par rapport à la Grande-Bretagne. Elle a émis le souhait que les cours d'éducation civique soient un laboratoire pour apprendre les usages sur Internet et a estimé que le B2i n'avait que très peu d'utilité du fait des connaissances qu'ont déjà les élèves.
Enfin, elle a insisté sur l'intérêt d'un outil technique supplémentaire pour renforcer la protection des enfants, tel que la mise en place d'obligations de carte bleue pour de nombreux sites ou la création de cartes d'identité numérique avec puces pour les enfants.
Audition de Mmes France RENUCCI et Evelyne BEVORT, directrice et directrice déléguée du centre de liaison de l'enseignement et des médias d'information (CLEMI) (17 avril 2008)
Mme France Renucci a tout d'abord rappelé que cet établissement public relevant du ministère de l'éducation nationale, créé en 1983, a pour mission d'apprendre aux élèves une pratique citoyenne des médias. Des équipes du CLEMI sont donc présentes dans chaque académie, sous s'autorité d'un coordonnateur afin de :
- former les enseignants à la connaissance du système des médias d'information et à leur utilisation pédagogique en classe ;
- mettre en place des actions d'informations sur les médias pour les élèves (semaine de la Presse et des Médias dans l'école...) ;
- accompagner l'expression des élèves dans le cadre scolaire afin de les former aux circuits de l'information, à la liberté et à la responsabilité ;
- et enfin produire et diffuser des documents pédagogiques sous forme de livres, de brochures et de supports multimédias.
Mme Evelyne Bevort a ensuite fait état d'une enquête européenne menée en 2006 sur l'éducation aux médias dans le cadre du plan d'action de la Commission européenne « Internet plus sûr », dont le CLEMI est l'opérateur en France. Elle porte sur les relations des jeunes de 12-18 ans aux médias électroniques (Internet, téléphonie mobile, jeux en ligne). Près de 9 000 jeunes venant de neuf pays de l'Union européenne et du Québec ont ainsi été interrogées, dont 873 jeunes scolarisés sur le territoire français. Mme Evelyne Bevort a tout d'abord expliqué que les mutations relevées entre les enquêtes de 2000 et 2006 sont très importantes, du fait de l'explosion des connexions et de l'implication grandissante des adolescents dans les décisions d'achat et les modes d'utilisation. Ainsi, aujourd'hui 96 % des jeunes Français de 12-18 ans déclarent-ils utiliser Internet. Elle s'est ensuite inquiétée du décalage entre leurs pratiques personnelles et les usages scolaires. En effet, si 70 % d'entre eux déclarent utiliser Internet à la maison, 65 % ne l'auraient jamais utilisé à l'école. L'institution scolaire ne joue donc qu'un rôle extrêmement faible dans l'appropriation de cet outil par les jeunes ce qui conditionne forcément leur manière de l'utiliser. A cet égard, elle a différencié deux catégories d'enfants : les moins de 12 ans découvrent pour la plupart Internet par la famille et l'école alors que chez les plus de 12 ans, c'est l'apprentissage entre pairs qui l'emporte.
Elle a enfin relevé qu'Internet représentait surtout pour les adolescents un moyen de communication qui convient parfaitement à leur souhait de rester en contact entre eux : 60 % des jeunes estiment important d'être tout le temps connectés avec ses amis, 9 jeunes possédant un portable sur 10 disent l'utiliser pour envoyer des SMS, et près de 60 % utilisent souvent ou très souvent la messagerie instantanée de type MSN, et un peu plus de 50 % des courriels. Elle a déclaré à cet égard : « C'est à croire que les médias numériques ont été créés pour les adolescents ». Elle a souhaité en conclusion insister sur les aspects positifs d'Internet, notamment pour les enfants d'immigrés pour lesquels cet outil est un moyen de renouer contact avec l'ensemble de leur famille et d'avoir l'impression d'être « ici et là » et d'apaiser ainsi leur sentiment d'éloignement.
Audition de M. Jean-Claude LARUE, directeur général du syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (17 avril 2008)
M. Jean-Claude Larue a en premier lieu insisté sur le fait que l'âge moyen des joueurs sur les consoles est de 25 ans et que la problématique des jeux vidéo ne concerne donc pas seulement les jeunes. Il a estimé que le contrôle parental est difficile à mettre en oeuvre dans la mesure où les enfants peuvent aisément les contourner et que la solution était plutôt l'information. Il a, à cet égard, mis en valeur la classification européenne mise en place par les éditeurs de jeux vidéo qui apposent sur chaque jeu des prescripteurs indiquant l'âge auquel on peut utiliser le logiciel et les contenus choquants qu'ils peuvent receler. Le NICAM, organisme hollandais indépendant de la profession, contrôle tous les jeux et met des descripteurs en quatrième de couverture et un repère pour l'âge sur la couverture.
M. David Assouline s'est étonné de l'existence d'un descripteur qui avertit que « ce jeu contient des images susceptibles d'inciter à la discrimination » se demandant si cela signifie que l'on accepte que certains jeux puissent inciter à la discrimination ou au racisme.
M. Jean-Claude Larue a répondu que la classification était multinationale qu'elle devait par conséquent s'adapter à toutes les réglementations nationales. Il a néanmoins remarqué que la sensibilité et la loi française font que les distributeurs ne distribuent pas certains jeux.
Sur la question des addictions, il a rappelé qu'elles étaient la rencontre d'un problème personnel avec une drogue. Les psychiatres certifient que si les enfants n'ont pas de problèmes personnels par ailleurs, ils ne passeront pas à l'acte.
M. David Assouline a considéré que ce n'est pas le jeu qui crée la perturbation mais que son devoir était notamment que les enfants perturbés soient protégés des mauvaises rencontres. Il a en outre distingué le problème de la violence du jeu et celui de la violence provoquée par l'abus du jeu.
M. Jean-Claude Laure a estimé qu'il s'agissait d'une problématique plus globale que celle du jeu vidéo. Reconnaissant que les éditeurs de jeux ne pouvaient pas s'exonérer de toute responsabilité, il a toutefois indiqué qu'il ne connaissait pas de solution idéale pour régler ce problème. Il a en revanche insisté sur l'importance économique du secteur qu'il serait dangereux de trop remettre en cause : le jeu vidéo pèse ainsi 1,75 milliard d'euros le jeu vidéo contre 1,45 milliard pour la vidéo, et 1 milliard pour la musique et le cinéma.
A l'interrogation de M. David Assouline sur le faible développement des jeux éducatifs et positifs, Pourquoi ne pas faire des jeux éducatifs et positifs, M. Jean-Claude Larue a répondu que la réflexion n'avait effectivement pas suffisamment avancé sur le « casual gaming ». Il a par ailleurs souligné que la Fnac avait créé un label « Les flèches d'or » sur les jeux positifs pendant 3-4 ans, mais qu'il n'avait pas rencontré de succès et avait été abandonné.
Audition de M. Jean-Claude RICHEZ, responsable de l'unité recherche, études et formation de l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (INJEP) (7 mai 2008)
M. Jean-Claude Richez a tout d'abord noté que l'appropriation de l'outil Internet se fait à 58 % dans les familles, le plus souvent de façon individuelle, l'école ne pesant que pour 10 %. Il a remarqué que cet état de fait était la manifestation de la faible interaction entre le monde des jeunes et l'école, alors que les jeunes ont une attente en matière d'accompagnement éducatif aux médias. Cette absence renforce les logiques d'éducation par les pairs, déjà très fortes dans le domaine des médias. Les technologies de l'information bouleversent les modes de socialisation et de transmission, et constitue le lieu privilégié de l'éducation informelle.
Il regrette par conséquent que rien ne soit prévu dans les équipements de proximité pour les 11-15 ans pour mettre à disposition Internet avec l'accompagnement d'adultes ne relevant ni de l'école, ni de la sphère familiale. Il a estimé que l'impératif était de partir des pratiques et de l'expérience des jeunes et qu'il serait utile que l'État reconnaisse davantage la qualification de personnes ressources, tels que les éducateurs et animateurs professionnels de jeunesse. Il a noté que l'éducation non formelle était mieux valorisée dans d'autres pays et qu'elle permettait de transmettre des valeurs et des connaissances dans des domaines où l'école intervient peu.
Il a néanmoins rappelé la nécessité que l'école s'intéresse aux nouveaux médias et estimé que chacun des professeurs, dans sa discipline, devait tenter de les intégrer dans ses pratiques éducatives. Il a regretté que les nouvelles technologies soient simplement utilisées comme instrument de la pédagogie traditionnelle, et que leur nouveauté et leur spécificité soient insuffisamment prises en compte. Par exemple, en termes d'utilisation des blogs, la France est en retard. Ce qui est valorisé dans les blogs, c'est la mise en scène de soi. On pourrait très bien intégrer dans l'évaluation des jeunes la maîtrise de l'outil.
Il a en outre déploré que les politiques d'« information jeunesse » soient aujourd'hui davantage dans des logiques de diffusion sans que l'on pose au préalable la question de l'appropriation par les jeunes de l'information et de ses modalités dans lesquelles internet joue un rôle prépondérant et pose comme question centrale celle de l'accompagnement comme l'ont montré un certain nombre de recherches menées récemment par l'INJEP.
Sur la question de l'éducation informelle, M. Jean-Claude Richez a ajouté qu'il fallait investir beaucoup plus les lieux publics et les équipements de proximité (centres sociaux, maisons des jeunes et de la culture, maisons de quartiers, maisons pour tous, espaces jeunes, ...). Les pays, comme la Finlande, où l'on fait une plus grande place à l'éducation non formelle ont des résultats supérieurs à la France en matière de compréhension des nouveaux médias.
Audition de M. Denis ROUGÉ, Association « Les pieds dans le Paf » (7 mai 2008)
M. Denis Rougé a souhaité, tout d'abord, insister sur l'importance de l'existence d'une organisation représentant les usagers des médias. Il a regretté, en effet, qu'en dépit de la place prépondérante de la télévision dans nos vies et comme outil de formation d'opinion, « tout se décide entre professionnels et politiques », sans que les usagers ne puissent exprimer leur opinion. Ainsi, ni la commission Copé, ni le Conseil supérieur de l'audiovisuel, ni les chaînes ne font-elles de place aux associations représentant les usagers. Ce que dit le téléspectateur n'a aucune influence sur l'évolution des programmes.
A M. David Assouline qui lui demandait comment créer une association représentative de tous les courants de pensée, M. Denis Rougé a répondu que la solution pouvait résider dans la création d'un conseil consultatif des programmes avec plusieurs associations. Il a également préconisé la définition d'un statut de l'usager.
Il a ensuite déploré que le secteur associatif n'ait pas sa place à la télévision. Ainsi, si deux chaînes associatives avaient été candidates parmi les 69 projets de chaînes de la Télévision numérique terrestre, aucune n'a été retenue. Alors qu'il y a eu des soutiens pour les radios libres, aucun fonds n'a en revanche été mis en place pour des télévisions associatives locales qui auraient très bien pu exister.
Cette inexistence de l'usager impose, selon M. Denis Rougé, de mettre en place une éducation aux médias à l'école, mais aussi pour les citoyens. A cet égard, l'association L es Pieds dans le Paf organise des manifestations comme l'accueil de classes de découverte dans des cours d'éducation aux médias, des réunions d'échanges avec les professionnels de la télévision et participe à la semaine « sans/100 télés ».
Audition de Mme Dahlia KOWNATOR Déléguée générale de l'Association des fournisseurs d'accès et des services Internet (AFA) (22 mai 2008)
Selon Mme Dahlia Kownator , l'AFA s'est fixée une mission de protection de l'enfance et de lutte contre les contenus odieux. Le site Internet www.pointdecontact.net a ainsi été mis en place en 1998 pour recueillir les signalements des internautes relatifs à des contenus portant atteinte à la dignité humaine ou incitant à la haine raciale, et à des actes terroristes ou violents... Un formulaire en ligne permet aux internautes de signaler anonymement les contenus rencontrés sur Internet.
Elle a rappelé que la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique mettait à la charge des prestataires Internet une obligation de signalement de certains contenus attentatoires à la dignité humaine. Dans cette optique, les membres de l'AFA se sont engagés à mettre à la disposition des utilisateurs de leurs services un accès facile à un formulaire de signalement d'abus. Les contenus abusifs signalés par les internautes sont ensuite transmis aux autorités de police compétentes.
Le Point de contact travaille surtout avec l'office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication auquel il transmet les contenus analysés comme potentiellement illégaux. Mme Dahlia Kownator s'est félicité par exemple de quelques cas concrets d'investigations couronnées de succès, suite à des signalements du Point de contact : les auteurs d'un site incitant à la haine raciale et informant sur la manière de fabriquer une bombe ont notamment été arrêtés en juin 2007, suite à un signalement datant du mois d'octobre 2006 ; l'auteur d'un blog incitant à la haine raciale signalé en 2006 a été condamné en juin 2007 à suivre un stage de citoyenneté à ses frais ; enfin, le traitement du signalement « Point de contact » du 29 août 2007 a permis d'identifier l'auteur d'une diffusion relevant de l'article 227-23 du code Pénal (dessins pédopornographiques particulièrement violents). L'enquête a permis de détecter que cette personne entrait par ailleurs en contact avec des mineures via Internet, à des fins pouvant relever de l'article 227-22-1 du code pénal. Elle a été placée en garde à vue puis en détention provisoire.
En 2007, le site a reçu 13 610 signalements, dont 6 647 ont été considérés comme potentiellement illégaux par les analystes de contenus. La majorité de ces signalements sont hébergés à l'étranger, parfois dans des pays ne disposant pas de « hotline » membre du réseau européen de services d'assistance en ligne INHOPE (Russie, Panama).
Mme Dahlia Kownator a souligné que l'appartenance au réseau INHOPE était indispensable pour atteindre les contenus hébergés dans des pays étrangers, ou lorsque l'auteur présumé du crime ou du délit réside à l'étranger. Il est aujourd'hui constitué de 33 hotlines réparties dans 29 pays, qui communiquent très régulièrement entre elles.
Elle s'est enfin félicitée de l'augmentation de l'utilisation des logiciels de contrôle parental que les fournisseurs d'accès membres de l'AFA se sont engagés à mettre en place gratuitement pour les parents, au-delà de l'obligation légale posée par l'article 6 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique.
Audition de Mmes Françoise MOUGIN et Christine DU FRETAY respectivement membre de la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE) et présidente de l'association e-enfance (22 mai 2008)
Mme Françoise Mougin , membre de la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE) a insisté sur l'usage combiné des nouveaux médias par les jeunes et estimé qu'ils en sont à la fois « maîtres et dépendants ». S'ils utilisent très aisément les nouvelles technologies ils sont en effet menacés par les risques d'addiction qu'elles comportent.
Elle a estimé que le premier impact des médias est commercial, et que la publicité qu'ils véhiculent constitue une incitation permanente à consommer. Les jeunes sont fortement concernés puisqu'ils jouent un rôle de prescripteur au sein de la famille. Rappelant que le pourcentage d'obèses augmente avec le nombre de téléviseurs par chambre et que, plus les familles sont pauvres, plus le nombre de ces téléviseurs est important, elle a fait le souhait, au nom de la FCPE, qu'une loi limite la publicité pour les produits gras et sucrés.
Mme Françoise Mougin a ensuite souligné que le fait que les phénomènes communautaires soient consubstantiels à Internet déstabilisait le modèle français et les valeurs républicaines.
Elle s'est également inquiétée des demandes de plus en plus précoces des jeunes de disposer d'un téléphone portable, ce qui est très difficile à gérer pour les familles. Elle s'est donc déclarée favorable à l'interdiction des téléphones mobiles destinés aux petits enfants.
Mme Françoise Mougin a enfin revendiqué la mise en place de programmes audiovisuels spécifiques pour la jeunesse de qualité, la diffusion d'un journal quotidien d'information à destination des jeunes sur le service public de l'audiovisuel et le renforcement de l'approche critique de l'éducation aux médias à l'école.
Notant que la pénétration du mobile dans les pays de l'Union européenne est massive, Mme Christine du Fretay a quant à elle estimé qu'il était illusoire de s'y opposer. Elle a considéré qu'il était peut-être intéressant que des téléphones spécifiques pour les jeunes existent, s'ils ne sont pas multimédias.
Elle a ensuite rappelé le projet d'e-enfance qui est l'information des familles, notamment sur la qualité des logiciels de contrôle parental.
Le premier impératif est, selon elle, que les parents ouvrent un compte sur leur ordinateur par membre de la famille, préalable indispensable à l'efficacité du logiciel de contrôle parental. L'association a, à ce titre, produit un DVD de conseil mais s'est aperçue que les parents ne le connaissent pas, parce qu'ils n'ont pas conscience des risques d'Internet, et que ce sont plutôt les enfants qui ont assimilé les recommandations du DVD, parce que le sujet les intéresse.
Sur la question de l'efficacité des logiciels de contrôle parental, elle a souligné que les fournisseurs d'accès ont en tous mis en place depuis juin 2006, qu'il est désormais gratuit, et que 30 à 40 % des parents l'ont activé. Estimant que le contrôle effectué était plutôt satisfaisant, elle s'est par ailleurs déclarée plutôt optimiste sur leur capacité à filtrer les contenus choquants à l'avenir.
Regrettant enfin l'absence d'éducation aux médias, elle a proposé qu'un permis de surfer sur Internet soit délivré au collège, après passage d'un test.
Audition de M. Julien BORDE, Directeur des programmes jeunesse de France 3 (22 mai 2008)
Rappelant la force du groupe France Télévisions dans l'animation, M. Julien Borde a insisté sur le fait que la qualité des programmes jeunesse était une préoccupation importante sur le service public de l'audiovisuel. Il a rappelé que si trois ou quatre chaînes constituaient le paysage médiatique de la jeunesse dans les années 1980, les années 1990 ont connu un puissant développement des chaînes thématiques, notamment jeunesse, et que les années 2000 vivent à l'heure de la révolution du « global media » avec une convergence forte des contenus audiovisuels et numériques.
Les concurrents de France 3 sont ainsi également les jeux vidéo et les sites Internet qui offrent des contenus à la demande, extrêmement diversifiés (du coloriage à la discussion communautaire), interactifs (les enfants fuient de plus en plus tôt l'animation pour les jeux vidéo ou les films « dont ils sont le héros ») et sur lesquels les enfants peuvent produire et diffuser du contenu.
France 3 a pris de nombreuses initiatives dans le domaine du « global media » avec la création d'un site Internet spécifique jeunesse (toowam.fr) qui est une antenne interactive des animations diffusées sur les chaînes, avec l'ajout de contenus autour de jeux vidéo et d'expériences communautaires.
Par ailleurs, une émission (Kyou) diffusée le samedi décrypte les jeux vidéo et à une visée pédagogique sur le « global media ». Il a insisté sur le fait que France 3 projetait aussi de diffuser une émission décryptant Internet.
M. Julien Borde a présenté le lancement du projet « Wakfu », première série « global media » qui a pour support France 3, avec une animation, un site Internet dédié et enfin un jeu en ligne massivement multi joueur créé par Ancama Animation, société de Roubaix qui travaille sur la fusion de l'animation et du jeu vidéo. L'univers graphique est doux et familial pour que les enfants et les parents puissent se retrouver dans cet univers.
A une question de M. David Assouline sur les spécificités du service public, M. Julien Borde a répondu que les séries étaient véritablement co-produites par la chaîne avec une association à la création depuis le premier jour et à chaque étape de l'élaboration du projet. Un journaliste de France 3 vérifie aussi la conformité des programmes aux valeurs de France Télévisions qui sont la fédération des parents et des enfants, des petits et des grands, des filles et des garçons (il n'y a aucune segmentation dans ce domaine), l'originalité de la narration et enfin l'exemplarité du programme (valeurs positives, non-reproduction de comportements dangereux). Les mêmes principes sont appliqués sur Internet et le site toowam est entièrement clos, requiert une inscription, et ne renvoie à aucun contenu extérieur. Le lecteur vidéo est également différent pour les jeunes et pour les parents.
Enfin, il a estimé que l'éducation aux médias devient absolument indispensable et « ne peut être un éternel serpent de mer ». Des magazines d'information jeunesse doivent à ce titre être développés rapidement.
S'agissant de la différenciation France 2 / France 3, il a indiqué que la première s'adressait davantage aux adolescents, et notamment le site Internet qui compte 18 millions de pages vues mensuellement et 1,3 million de visiteurs uniques.
Audition de M. Christian AGHROUM,
Chef de l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication (OCLCTIC) (22 mai 2008)
M. Christian Aghroum a rappelé que l'OCLTIC a été créé en 2000 afin de lutter contre la délinquance liée aux nouvelles technologies de l'information et de la communication. L'office s'occupe des infractions liées aux ou facilitées par les nouvelles technologies.
Soulignant que la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique impose aux fournisseurs d'accès à Internet de signaler les contenus à caractère illicite sur Internet portés à leur connaissance, il a noté que l'OCLCTIC dispose depuis 2006 d'une plate-forme nationale de signalement des contenus illicites, qui constitue un point d'entrée simple pour les professionnels et pour les particuliers. Ces signalements ne constituent pas des plaintes, mais s'ils sont avérés et constitutifs d'infractions pénales, l'office peut s'autosaisir et mener une enquête.
Sur le site Internet qui servait de support ( www.internet-mineurs.gouv.fr ), seuls les contenus portant atteinte aux mineurs pouvaient être signalés. La plate-forme de signalement propose également des conseils aux parents et aux enfants concernant l'utilisation d'Internet, une information sur l'ensemble des législations nationales et internationales relatives aux crimes et délits à caractère sexuel sur mineurs par le biais des réseaux Internet, une présentation des organismes nationaux et internationaux de protection de l'enfance et précise les procédures de signalement mis à disposition de l'utilisateur. Cette adresse génère des informations qui sont exploitées par l'OCLCTIC. De septembre 2006 à septembre 2007, 20 000 signalements ont été faits (avec des redondances) et 12,5 % d'entre eux ont donné lieu à une enquête nationale ou internationale.
Avant la fin de l'année 2008, la plate-forme devrait être étendue à l'ensemble des infractions et l'adresse a d'ores et déjà été modifiée en ce sens et est devenue : http://www.internet-signalement.gouv.fr/ .
La plate-forme est gérée par 5 policiers et 5 gendarmes qui renvoient les plaintes aux services d'enquête, grâce à un protocole simplifiant les transmissions. La lutte contre la pédopornographie est une priorité. L'office peut également être conduit à repérer et à poursuivre les auteurs de contenus racistes ou antisémites sur Internet, la direction des libertés publiques et des affaires juridiques ayant défini des critères permettant de caractériser les délits. Enfin des méthodes criminelles, comme le « phishing », qui vise à usurper l'identité d'un internaute, font également l'objet d'enquêtes de l'office.
Audition de Mme Agnès VINCENT-DERAY, membre du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (22 mai 2008)
Mme Agnès Vincent-Deray a, en introduction, cité une enquête selon laquelle les enfants de 8 à 15 ans sont davantage devant la télévision ou la radio qu'en classe et estimé que la politique de protection de la jeunesse devait par conséquent faire face à un véritable « bombardement d'images ».
Elle a rappelé, à cet égard, que la loi de 1986 avait confié au CSA la mission de veiller à la protection de l'enfance à la télévision et à la radio. La signalétique, les interdictions administratives et le contrôle du respect de la dignité humaine sont autant de niveaux d'intervention du Conseil pour remplir cette mission. Les modalités de contrôle sont basées sur le principe de la corégulation : ce sont les chaînes qui choisissent la signalétique et les horaires, le CSA effectuant un contrôle a posteriori. Une chaîne a par exemple été sanctionnée en raison de la diffusion d'une émission de télé-réalité diffusant des images de mineurs sans autorisation, les publicités pour des SMS à caractère érotique ont quant à elle été limitées aux horaires de nuit, une recommandation a également été publié sur les chaînes pour les tout petits.
Mme Agnès Vincent-Deray a ensuite noté que la télévision mobile personnelle et la vidéo à la demande nécessitaient une régulation, dont les modalités sont étudiées par le CSA. Elle a insisté à cet égard sur l'intérêt qu'il y aurait à harmoniser les degrés de protection selon les supports utilisés (DVD, Internet, télévision). Elle a remarqué à cet égard que le CSA est compétent pour les « web TV » et « web radio », qui constituent des services de télévision linéaires. S'agissant d'Internet, elle a conclu qu'il y serait utile de créer une commission de déontologie de l'Internet proposant des outils de filtrage, labellisant les sites et présentant des méthodes d'éducation aux médias.
La conseillère a ensuite insisté sur la participation du CSA à l'effort d'éducation aux médias à travers la diffusion de messages sur la protection des mineurs à la télévision, le travail avec le ministère de l'éducation nationale sur des sessions de formations avec les professeurs, et avec le secrétariat d'État à la famille sur l'information des parents.
Audition de Mme Florence HERMELIN, directrice de NRJ Lab, et M. Léonidas KALOGEROPOULOS (5 juin 2008)
Mme Florence Hermelin a décrit les modalités de fabrication de l'étude annuelle Youthology, commandée par NRJ Groupe. Elle est établie par un formulaire de 250 questions (dont 60 questions ouvertes) envoyé à un panel de jeunes de 11-25 ans. Afin de renforcer l'aspect ethnologique, il leur est aussi demandé de fournir leur photographie préférée (très souvent c'est leur ordinateur qu'ils prennent en photo) et de filmer ce qu'ils souhaitent avec un caméscope qui leur est confié.
L'étude 2008 a montré notamment les faits suivants :
- la rupture Paris/province qui existait s'estompe au profit d'une coupure urbains/ruraux ;
- Internet n'est pas utilisé comme un média mais plutôt en tant qu'outil, qui permet aux jeunes de se cacher émotionnellement et spatialement. « Ils se connectent au monde tout en s'en protégeant » ;
- un rapport fusionnel aux marques est visible ;
- en 2007, les élections ont été l'occasion d'un renouveau d'espoir car les jeunes se sont projetés dans une France d'avenir ;
- si les nouvelles technologies ont libéré la parole jeune, peu d'enjeux sociétaux se dégagent, les jeunes étant largement spectateurs de leur propre vie sur le Web 2.0 ;
- ils ont aussi des craintes par rapport aux nouveaux médias, notamment vis-à-vis de leur réputation. Beaucoup de collégiens n'iraient plus aux toilettes de peur d'y être photographiés et les réputations ternies sur Internet ont un impact très important. En contrepartie de la réduction de leur vie privée, les jeunes cherchent des endroits privés sur Internet, d'où le succès des réseaux communautaires ;
- il n'existe pas de guide ou de mentor sur Internet, car tout le monde dit tout et son contraire, une nouvelle féodalité se serait créée avec des réseaux affinitaires (tektonik...). Les règles traditionnelles peuvent donc y être malmenées ;
- l'instinct grégaire des adolescents est flatté par les nouvelles technologies ;
- les jeunes ont conscience des excès dans l'utilisation des nouveaux médias : celui qui y passe tout son temps est le « no life » ;
- la propriété n'est pas protégée sur Internet, un esprit de colocation et de mutualisation semble en fait y régner.
Sur les différences entre les tranches d'âge, Mme Florence Hermelin a considéré que les collégiens cherchaient un moyen d'intégration alors que les lycéens partaient à la conquête de l'autre, avec une surenchère identitaire.
S'agissant de l'éducation aux médias, elle a exprimé le sentiment que les jeunes la réclamaient et qu'elle était nécessaire tant les mécanismes de contrôle parental peuvent être détournés. Elle a cité des exemples intéressants de cours d'initiation à Photoshop organisés en Suède, pour apprendre aux élèves qu'on peut modifier la réalité. La lutte contre l'anorexie peut ainsi être un objectif.
Audition de M. Olivier ESPER, Chargé des relations institutionnelles et
Mme Myriam BOUBLIL, directrice de la communication de Google Inc (5 juin
2008)
(5 juin 2008)
M. Olivier Esper a tout d'abord présenté rapidement l'activité de Google, intermédiaire de l'Internet dont la vocation consiste à organiser l'information et la rendre accessible au plus grand nombre à travers des outils mis gratuitement à disposition des internautes : moteur de recherche, plate-forme d'échange de vidéo YouTube... Son modèle économique est basé sur l'agrégation de micro-audiences et la diffusion de la publicité sur des milliers de sites Internet. Avec la démocratisation des outils de distribution, ce sont de multiples marchés de niches qui se sont développés et que Google a investi. Le nouvel espace de liberté d'expression qu'est Internet pose aussi des défis majeurs dont le principal est la protection de l'enfance.
A M. David Assouline qui suggérait que le risque de la recherche d'audience pouvait être la tentation de diffuser des images choquantes, lesquelles attirent souvent un public nombreux, Mme Myriam Boublil a répondu qu'il est de l'intérêt de Google, dont le modèle repose sur la confiance des internautes, de veiller à la protection contre les contenus odieux et/ou illégaux. Elle a également précisé que Google et YouTube ne sont pas des éditeurs de contenu, donc qu'ils ne produisent ni ne sélectionnent les contenus hébergés sur YouTube ou indexés par le moteur de recherche. Ce serait d'ailleurs impossible d'un point de vue technico-économique : pour continuer sur l'exemple de YouTube, chaque minute treize heures de vidéos sont mis en ligne par les utilisateurs. Cela dit, l'activité d'hébergement est bien encadrée par la loi puisque les dispositions légales obligent les hébergeurs à retirer les contenus illicites qui leur sont notifiés. Conscient de l'enjeu de maintenir la confiance des internautes, Google, en complément de ce cadre légal, a développé et continue de développer des outils technologiques et pédagogiques destinées à protéger les jeunes utilisateurs. Sur le plan des outils technologiques, elle a ensuite décrit les dispositifs mis en place par Google pour renforcer la protection de la jeunesse : le moteur de recherche est ainsi doté d'un paramétrage spécifique « safesearch », accessible depuis la page d'accueil de Google, que peuvent mettre en place les parents, et qui filtre les contenus adultes, à la fois les images et les textes. Elle a signalé que le filtre modéré était la valeur par défaut lorsque les internautes effectuent une recherche sur Google. Le filtre est constitué à partir de la détection automatique de contenus à caractère sexuel et du signalement par les autres internautes. Le dispositif de détection automatique est complété par le signalement des contenus qui pourraient choquer les enfants fait par les internautes. Une équipe de Google travaille 24h/24 afin de déréférencer les sites de la recherche Safesearch. Mme Myriam Boublil a ensuite évoqué l'exemple de YouTube, site communautaire de partage de contenu vidéo dont Google Inc est propriétaire. Elle a souligné que 17 catégories de signalement de contenus interdits avaient été créées et que l'analyse des contenus était permanente, avec un système de suppression de compte en cas de récidive de mise en ligne d'un contenu illégal. En outre, une technologie de reconnaissance des fichiers ( hashing ) a été déployée afin d'éviter la remise en ligne de duplicata des mêmes fichiers.
M. Olivier Esper a enfin souhaité faire la présentation des initiatives de Google France en matière d'éducation aux médias : le tour de France des collèges, qui consiste en des actions d'apprentissage de l'utilisation d'Internet à des élèves, le soutien des actions d'e-Enfance (hébergement de leurs vidéos sur Youtube et campagne publicitaire gratuite sur Internet) et ChercheNet, jeu concours monté en partenariat avec la Délégation aux usages de l'Internet, qui vise à éduquer à la création de contenus et au respect de la propriété intellectuelle.
Audition de Mme Claudine CAUX, Vice-présidente de la Fédération des parents d'élèves de l'enseignement public (PEEP) (5 juin 2008)
Tout en rappelant que les nouveaux médias avaient de nombreux bienfaits pour la jeunesse (soutien scolaire en ligne, source d'information...), Mme Claudine Caux a souhaité d'emblée souligner qu'ils avaient un impact fort et souvent négatif sur la jeunesse qui en abuse.
Elle a regretté que les parents ignorent le plus souvent l'usage réel des nouvelles technologies par leurs enfants, du fait d'un manque de temps et de leur méconnaissance de ces outils. Elle a en outre insisté sur les problèmes que cela pose en matière d'échanges entre les parents et les enfants.
A M. David Assouline qui soulignait le caractère interactif d'Internet, Mme Claudine Caux a répondu que si les 13-15 ans cherchent à s'intégrer et ont de véritables échanges sur Internet, les 15-18 ans ont davantage tendance à mettre en scène leur ego.
Sur la question du B2i, Mme Claudine Caux a déclaré : « c'est très bien, mais ce n'est plus adapté », insistant sur le caractère basique de ce brevet au regard de la maîtrise actuelle de nos jeunes sur le sujet. Estimant que l'éducation aux médias était une discipline par nature transversale, elle a souhaité que l'ensemble des acteurs -parents, école, mais aussi médias- soient davantage sensibilisés à cette problématique, tout en préconisant qu'une ou deux matières devraient s'attacher à traiter plus précisément cette question.
S'agissant de l'implication des médias, elle a affirmé qu'il faudrait qu'ils soient disposés à faire plus en matière d'éducation à l'image et que les actions pédagogiques concertées avec l'éducation nationale seraient les bienvenues.
Audition de Mme Karine BLOUËT, secrétaire générale du groupe M6 (12 juin 2008)
Mme Karine Blouët a en premier lieu déclaré que la protection de jeune public constituait un enjeu majeur pour les sociétés de médias, en raison de l'impact psychologique et sociétal des images sur l'épanouissement des enfants.
Elle a ensuite rappelé les grands principes du système de protection des mineurs à la télévision, qui sont la liberté de communication audiovisuelle, la mise en place d'une autorité de régulation sectorielle, et la responsabilité des éditeurs dans leur programmation.
Insistant sur l'efficacité du dispositif, elle a néanmoins insisté sur la difficulté de le transposer sur Internet ou la téléphonie mobile, dans la mesure où ces nouveaux supports sont délinéarisés, la responsabilité éditoriale est incertaine avec le développement des contenus générés par les utilisateurs, et le contrôle est rendu plus difficile par la personnalisation des récepteurs.
Elle a reconnu l'importance du rôle des éditeurs, se félicitant ainsi que le service de télévision de rattrapage de M6, M6 Replay, respecte la signalétique apposée lors de la diffusion du programme à l'antenne et qu'une pleine page rappelant cette signalétique ait été mise en place avant leur démarrage. Elle a néanmoins souligné qu'il s'agissait d'une initiative personnelle de M6 et que le droit français ne fait pas de distinction claire entre les éditeurs et les fournisseurs de services de communication au public en ligne. Si la directive relative aux services de médias audiovisuels tend à définir une catégorie de services de communications au public en ligne dont l'activité principale consiste à proposer des vidéos à la demande, le média Internet dans son ensemble pourra difficilement faire l'objet d'un régime spécifique de protection de la jeunesse.
Mme Karine Blouët a estimé que la difficulté technique de mettre en place un contrôle sûr des contenus numériques diffusés imposait de renforcer la politique d'information et de prévention. A ce titre, elle a salué la publication par le Forum des droits sur l'Internet d'un guide à l'adresse des adolescents « Internet et moi » destiné à informer et à prévenir sur les différents usages d'Internet et les précautions à prendre. Également consciente des responsabilités de la télévision, elle a souligné la diffusion par M6, dans le cadre de la semaine de l'Internet, d'un programme court de 52 épisodes de 2 minutes destinés à sensibiliser les enfants aux dangers de ce média. Cette démarche a été réalisée en partenariat avec le ministère de l'éducation nationale et la Commission européenne.
Elle a rappelé qu'à la différence de la télévision, Internet était le plus souvent utilisé individuellement (le week-end, 26,6 % des 13-14 ans navigueraient seuls sur Internet) et mettait à disposition des contenus choquants aisément accessibles aux mineurs. Il est donc important que les parents soient alertés des risques d'Internet et des modalités de mise en place des restrictions d'accès possibles pour protéger leurs enfants.
Audition de M. Mehdi DERFOUFI, Délégué général de l'Union française du film pour l'enfance et la jeunesse (UFFEJ) (16 juin 2008)
En préambule, M. Mehdi Derfoufi a rappelé que l'UFFEJ a une mission d'éducation aux médias qu'elle exerce par l'intermédiaire de dispositifs scolaires spécifiques, de formations d'adultes et d'organisation de temps de réflexion nationaux sur la culture audiovisuelle. Si l'union approfondit sa réflexion sur les nouvelles technologies c'est parce qu'elle considère qu'elles entraînent un bouleversement de la conception de la culture, des formes de l'éducation et de la notion d'auteur. Le travail mené auprès des jeunes impose ainsi de réfléchir aux évolutions de leurs pratiques, parallèles au développement des nouveaux médias.
Il a, à cet égard, fait état d'un certain nombre d'analyses faites lors d'un débat organisé par l'UFFEJ sur le rôle du cinéma. Le premier constat est que le cinéma n'est pas adapté aux nouvelles technologies, car les films qui sont diffusés dans les salles doivent disposer de visas d'exploitation et d'un statut juridique (qualification jeunesse, auteur...). Par ailleurs le public jeune déserte les salles classées « Art et essai » au profit du visionnage d'oeuvres sur Internet, notamment sur les sites de partage de vidéo. En dépit de la multiplication de microprojets locaux de développement de petites salles de cinéma, le fait est que le public jeune se raréfie et que les professionnels ne sont pas qualifiés pour mettre en avant les oeuvres issues des nouvelles technologies. L'un des impacts majeurs de ces phénomènes est la remise en cause de la notion de lieu culturel, notamment s'agissant des lieux destinés à la jeunesse. Les associations d'éducation populaires doivent à cet égard développer des pratiques innovantes intégrant la culture numérique des jeunes.
M. Mehdi Derfoufi a souhaité écarter toute interprétation manichéenne des nouvelles technologies, qui ne constituent en elles-mêmes, selon lui, ni une aliénation ni une émancipation. La critique des nouvelles technologies découle en partie d'une peur de la démocratisation de la culture qui bouleverse la programmation traditionnelle et modifie les facteurs de choix culturels. Si les jeunes ne viennent pas au cinéma, en revanche, ils pratiquent les images au quotidien sur Internet et regardent des films téléchargés. Ils ont donc indéniablement une culture de l'image. Toutefois, il a considéré que ce constat ne devait pas laisser la place à l'euphorie, notamment lorsque certains estiment que les nouvelles médias développent des compétences spécifiques chez les jeunes pratiquants. Il a souligné qu'il s'agissait le plus souvent d'un savoir-faire dénué de savoir et que la question de l'objet de ces compétences n'était pas suffisamment posée.
Remarquant enfin que le cinéma s'est insuffisamment approprié les nouvelles technologies, il a émis le souhait que les différentes formes d'art leur fassent une place afin que les pratiques culturelles des jeunes ne soient pas opposées à la culture classique mais qu'au contraire des points de contact soient créés et les convergences valorisées.
Audition de M. Roland HUBERT, secrétaire général, et de Mme Vassilia MARGARIA, du Syndicat national des enseignements de second degré (SNES-FSU) (26 juin 2008)
M. Roland Hubert a regretté qu'en dépit de l'existence de lieux et personnels adaptés pour l'éducation aux médias, cette discipline ne soit pas suffisamment présente dans notre enseignement. Si les professeurs documentalistes participent par exemple à la semaine de la presse et à certaines initiatives ponctuelles, la politique pédagogique menée manque souvent de cohérence.
Selon Mme Vassilia Margaria , l'éducation aux médias est une nécessité liée à la « culture informationnelle » dans laquelle nous baignons. Il s'agit d'un enseignement à la fois à la recherche d'information, au recul critique nécessaire pour analyser les médias, et à la création de contenu. Elle a fait le constat d'une insuffisance d'impulsion institutionnelle en la matière en dépit de la création du CAPES de documentaliste en 1989 et de la diffusion des nouvelles technologies dans les établissements scolaires. Elle a estimé que l'éducation nationale doit avoir comme priorité de définir un référentiel dans cette discipline, de désigner le personnel responsable de son enseignement, et de définir le temps que les élèves pourraient y consacrer.
Sur la question de la refonte des programmes, M. Roland Hubert s'est félicité de la présence de plus en plus importante de l'analyse des oeuvres dans les programmes, mais a déploré que l'on ne parte pas davantage de la pratique des élèves et que l'évaluation du B2i soit insuffisante. A ce titre il a estimé que le livret du B2i qui contient une série de micro-compétences à valider est moins pertinent que ne le serait une évaluation de ces capacités dans le cadre d'un travail interdisciplinaire. C'est au demeurant l'intérêt des travaux personnels encadrés.
Audition de M. Pierre BELLANGER, DG de Skyrock (26 juin 2008)
M. Pierre Bellanger a tout d'abord rappelé que Skyrock est la première radio chez les 13-24 ans et compte 4 millions d'auditeurs.
Il a ensuite estimé qu'elle jouait un rôle social important pour ses auditeurs, notamment parce qu'elle est à l'image des jeunes et porte avec fierté les valeurs républicaines.
Il a cité à cet égard l'émission « Radio Libre », animée par Difool, qui constitue selon lui un lieu de dialogue sur la sexualité, émancipateur pour les jeunes. Il a insisté à cet égard sur la mixité de son audience ainsi que sur le soutien actif de psychologues et pédopsychiatres.
Il a en outre évoqué le tournant Rap et RnB qu'avait pris la radio depuis 1995, se déclarant convaincu que cela avait contribué au développement de nouvelles cultures musicales en France.
Il a enfin mis en relief le rôle du site Internet www.tasante.com , de Skyrock, premier site Internet santé pour les adolescents en France, qui vise à faire prendre conscience aux jeunes de leurs responsabilités vis-à-vis de leurs comportements. Son objectif est contenu dans la devise du site : « ta santé t'appartient ».
Il a conclu son intervention en se félicitant de la compréhension à la fois des élus et de la société, mais en regrettant les « obsessions sexuelles effarantes » du Conseil supérieur de l'audiovisuel.
A la question de M. David Assouline sur l'existence d'un filtre dans l'émission de Difool, M. Pierre Bellanger a répondu que si l'intérêt de l'émission résidait dans sa déconstruction et sa logique horizontale, dans laquelle l'important est le témoignage des uns et des autres et non le discours d'un référent, le travail de modération et de maîtrise d'antenne de l'animateur permettait d'éviter les débordements. Il a ajouté que l'émission avait pour vertu de rompre l'isolement de certains adolescents.
Un débat s'est ensuite engagé sur le fonctionnement de la plate-forme Skyblog.
M. Pierre Bellanger a souligné que Skyblog n'avait pas d'objectif éditorial, et qu'il s'agissait en fait d'un réseau social, qui s'avère être le « premier réseau social mondial d'expression francophone », où naviguent 60 % des adolescents français, et dont l'audience augmente de 3 à 4 % tous les mois. Toutefois, il a reconnu que pour préserver la liberté d'expression, des règles de vie en communauté devaient être respectées, notamment les lois en vigueur. Pour ce faire, il a indiqué que 30 personnes travaillaient sur une modération permanente des 1,2 million d'articles publiés par jour grâce à un repérage automatique de 117 mots-clés. Les photographies sont toutes visualisées et les photos violentes ou pornographiques sont écartées. En outre, le système « cybercop » permet à tout visiteur de cliquer sur chaque page pour prévenir de l'existence d'un contenu qui lui paraît inadéquat. 300 personnes par jour l'utilisent. Des relations étroites ont également été nouées avec les pouvoirs publics, notamment la brigade des mineurs.
Audition de M. Michaël STORA, psychologue clinicien pour les enfants et adolescents, consultant pour Skyblog (26 juin 2008)
Après avoir rappelé que la France était le pays comprenant le plus grand nombre de blogs d'adolescents, M. Michaël Stora a précisé que les blogs évoquant les contenus morbides (scarifications, suicides) étaient très minoritaires, et que 10 à 15 cas avaient été portés à sa connaissance depuis un an, sur les 16 millions de blogs ouverts sur la plate-forme Skyblog. Sur ces cas, il effectue un travail d'expertise avec Fil santé jeunes et éventuellement envoie un courrier au bloggeur pour évoquer avec lui ses difficultés.
Il a considéré que le blog a de réelles vertus thérapeutiques, parce qu'il est l'une des voies de la créativité et qu'il joue un rôle dans le développement personnel. Il a illustré son propos en évoquant le cas d'un blog contenant des billets suicidaires dont il a contacté l'auteur, lequel s'est révélé être une jeune fille ayant deux blogs et pour laquelle celui sur le suicide avait un caractère ludique. Ce blog exprimait en fait une volonté d'exister à travers l'audience importante qu'il pouvait rencontrer. Estimant que « grandir c'est mourir un peu », il a estimé que les jeunes avaient besoin d'évoquer des sujets difficiles et que le blog était plutôt un bon moyen de le faire. Il a estimé à cet égard que l'idée d'interdire les sites Pro-ana lui semblait aller dans la mauvaise direction.
Après avoir admis la dimension thérapeutique de la parole, M. David Assouline s'est interrogé sur l'intérêt qu'elle soit publique et a souhaité connaître le sentiment de M. Michaël Stora sur la capacité des jeunes à distinguer le réel du virtuel.
M. Michaël Stora a reconnu qu'il y avait un paradoxe apparent dans le blog que les Français considèrent comme un avatar du journal intime mais qui est en fait un « journal de bord » destiné à être lu par tout le monde. Il a estimé que tout acte créatif, qu'il soit public ou privé, était thérapeutique, citant comme exemple les films ou les livres souvent créés pour remédier à un mal-être.
Sur la question du virtuel, il a estimé qu'Internet n'était pas un lieu de la toute puissance mais une plate-forme de dialogue, où la parole de l'autre est importante et que les jeunes n'y confondent pas le réel et le virtuel. Selon lui, Internet est en fait le lieu d'une contre-culture où l'image idéale fabriquée par la télévision est démontée. Il a néanmoins reconnu que certaines pratiques néfastes (par exemple la scarification) pouvaient être encouragées mais que la diabolisation de l'Internet n'était pas efficace. Il a estimé que les attaques sur les écrans se substituaient au véritable problème de fond qu'est la nouvelle parentalité.
Audition de Mme Nadine MORANO, secrétaire d'État auprès du ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, chargée de la famille (3 juillet 2008)
Mme Nadine Morano a souligné que son premier déplacement de ministre a été consacré à la division de la Gendarmerie qui lutte contre la pédopornographie sur Internet, tant ce sujet lui tient à coeur.
Notant que, même à la messe, il faut demander aux gens d'éteindre leur portable, elle a déploré l'absence d'éducation aux nouvelles technologies de l'information et de la communication.
Elle a souligné que l'enjeu était d'autant plus important que l'impact des médias est particulièrement fort dans les familles les plus démunies, dans lesquelles les enfants passent beaucoup de temps devant la télévision, plus de 1 200 heures par an, ce qui entraîne des problèmes de fatigue et de concentration. Elle a estimé, à cet égard, que des actions de prévention comme les « 10 jours sans écran » étaient d'excellentes initiatives.
S'agissant des risques de la navigation sur Internet, elle a préconisé la constitution d'un code de l'Internet organisant la protection de l'enfance.
Elle a rappelé, à cet égard, qu'elle avait soutenu le développement des logiciels de contrôle parental dont les performances sont régulièrement évaluées. Les logiciels permettent de mettre en place plusieurs rails pour une même voie, puisque des listes blanches, pour les enfants, limitent leur navigation sur des sites prédéfinis (environ 5 000) et des listes noires, pour les adolescents, bloquent certains sites qui diffusent des contenus choquants. Sur la question de la pornographie, elle s'est inquiétée des modifications de la sexualité des adolescents dues à la violence des images visionnées.
Aujourd'hui, Numéricable est le fournisseur d'accès le plus efficace en matière de protection des jeunes puisque son logiciel de contrôle parental assure un taux de blocage des sites pornographiques de 98 %. Le problème réside aujourd'hui surtout dans le fait que ce sont les parents qui doivent l'activer.
C'est la raison pour laquelle Mme Nadine Morano a diffusé une plaquette d'explication en 3,5 millions d'exemplaires sur ce sujet, demandé aux « hotlines » que les explications sur l'activation du contrôle parental soient fournies gratuitement, et recommandé que des informations soient délivrées directement dans les grandes surfaces.
A la question de M. David Assouline sur les modalités de constitution de la liste noire bloquant les sites pédopornographiques, Mme Nadine Morano a répondu qu'elle devait être élaborée sous l'autorité de l'État, comme au Royaume-Uni et en Norvège, lesquels pays diffusent en outre leur liste à Interpol.
Elle a à cet égard annoncé que le prochain projet de loi d'orientation pour la sécurité intérieure, déposé à l'automne, contiendrait un certain nombre de dispositions relatives au blocage de ces sites.
Elle a enfin indiqué qu'elle avait mis en place un groupe technique travaillant sur la redéfinition des responsabilités des fournisseurs d'accès à Internet, des éditeurs et des hébergeurs.
Audition de Mme Dominique VERSINI, Défenseure des enfants (3 juillet 2008)
Mme Dominique Versini a souligné que les mineurs devaient être une cible privilégiée de la politique de protection des usagers des nouveaux médias dans la mesure où ils l'utilisent de manière intense et souvent très précocement. Une étude de 2007 de l'association des fournisseurs de mobiles a par exemple révélé que 71 % des 12-14 ans et 94 % des 15-17 ans ont un mobile et que leur consommation moyenne est de 2h30 par mois.
Elle a rappelé que son rapport d'activité 2007 avait mis en lumière l'importance prise par les nouvelles technologies de l'information et de la communication dans la vie quotidienne des adolescents et les risques découlant de ces usages.
La protection du jeune téléspectateur par le CSA trouverait ainsi ses limites du fait de la multiplication des chaînes d'une part, et de la diffusion de programmes via la télévision à la demande pour laquelle les heures de diffusion ne sont de facto pas respectées. Le groupe de réflexion pluridisciplinaire de protection du jeune public à laquelle appartient la Défenseure des enfants a ainsi observé que de nombreuses émissions sont sous-classifiées, que les chaînes sont peu réceptives aux observations, et que se développent des émissions sur des relations intrafamiliales dans lesquelles les enfants sont souvent montrés à visage découvert avec la divulgation de leur prénom, leur histoire, leurs difficultés... Tout en se félicitant qu'une délibération et une recommandation du CSA sur l'intervention de mineurs dans le cadre d'émissions de télévision aient été adoptées le 17 avril 2007, elle a regretté qu'elle ne soit pas suffisamment respectée notamment s'agissant du secret médical, trop souvent ignoré par les protagonistes de telles émissions, ou des services sociaux et judiciaires qui autorisent des reportages à visage découvert révélant parfois l'identité du mineur ou de ses parents.
Elle s'est en outre inquiétée de la diffusion en France, depuis octobre 2007, d'une chaîne spécialisée destinée aux enfants très petits, Baby First, intégrée gratuitement au bouquet payant Canalsat.
S'agissant de la protection des mineurs sur Internet, Mme Dominique Versini a rappelé l'importance des logiciels de contrôle parental mais souligné leurs faiblesses, notamment en raison des « surblocages » qu'ils entraînent. Elle a ensuite mis en relief les problèmes posés par l'usage interactif d'Internet : risques de manipulations sur les chats pour jeunes, blogs pouvant conduire à des contenus inappropriés, ou encore exposition de données privées sur les réseaux sociaux. S'agissant de ces derniers (Facebook, MySpace, Copains d'avant), elle s'est interrogée sur l'utilisation et la conservation des données collectées, notamment en cas de désabonnement. Elle propose à cet égard de rendre obligatoire l'insertion de messages de précaution destinés à sensibiliser les utilisateurs, et surtout les mineurs, sur les dangers potentiels des échanges.
La Défenseure des enfants a enfin évoqué le cas des jeux vidéo, insistant sur la mise en oeuvre des propositions sur la protection des publics sensibles de la recommandation du Forum des droits de l'Internet publiée en novembre 2007 sur les jeux en ligne, et les risques nouveaux liés à la cyberdépendance et aux jeux d'argent.
Audition de MM. Frédéric ELEUCHE du Syndicat national des lycées et collèges (SNALC-CSEN) et Rémi CANDELIER du Syndicat national des écoles (SNE-CSEN) - Confédération syndicale de l'éducation nationale (3 juillet 2008)
M. Rémi Candelier a noté que les usages médiatiques des enfants se modifient avec une plus grande utilisation d'Internet et la focalisation sur un nombre réduit de chaînes du fait de l'apparition des chaînes spécialisées du câble. Il a considéré que le problème posé par ces médias était l'absence de recul critique des enfants et leur passivité devant les écrans, qu'il s'agisse de la télévision ou d'Internet. Il a illustré son propos en soulignant l'utilisation massive des copiés/collés pour les devoirs qui ne permettent pas aux enfants d'en tirer un enseignement intéressant. Il a par conséquent conclut à un retard significatif dans l'éducation aux médias.
M. Fréderic Eleuche a partagé ce constat et insisté sur le fait que l'éducation avait pour but de permettre aux élèves « d'apprendre, de savoir et de savoir critiquer ».
Il a ensuite regretté que, s'agissant de l'éducation aux médias, les établissements ne soient souvent pas suffisamment équipés en ordinateurs, le matériel de l'éducation nationale étant en outre souvent moins performant que celui des familles. Sur la question des copiés/collés, il s'est réjoui de la récente conception en France d'un logiciel permettant de les détecter.
Il a enfin remarqué que l'usage massif des médias a des conséquences sur la santé des élèves, de plus en plus fatigués, certains devant même abandonner leurs activités sportives du fait de tendinites provoquées par les souris et autres joysticks.
M. Frédéric Eleuche a ensuite exprimé les convictions suivantes :
- le CLEMI doit être renforcé, grâce dans un premier temps à une meilleure application du décret fixant son rôle et, dans un second temps, à un élargissement de ses missions ;
- il faut appuyer davantage sur le volet « information » des centres de documentation et d'information. Alors que le CAPES de documentation a renforcé les compétences requises pour exercer cette fonction, les missions n'ont pas forcément évolué. Il a donc recommandé qu'un rôle plus important leur soit donné ;
- la formation des professeurs aux B2i et C2i est de plus en plus efficace ;
- il serait intéressant d'utiliser l'éducation civique pour montrer aux élèves qu'il y a « des choses qui ne se font pas ». L'importance des devoirs et responsabilités des jeunes doit être soulignée, notamment vis-à-vis de leur usage médiatique. Il a estimé à cet égard que l'influence d'émissions de radio sur Skyrock ou Fun radio était pernicieuse pour les plus jeunes, qui peuvent avoir tendance à considérer que les propos tenus par certains de leurs pairs constituent la normalité ;
- enfin, à une question de M. David Assouline, sur l'éducation aux médias, il a estimé qu'elle devait être l'affaire de l'ensemble des professeurs et qu'elle passait par « un décloisonnement des mondes ».
Audition de Mme Monique VÉZINET, chargée de mission et de M. Pierre DUCOS, président du groupe Jeunesse, Syndicat national de l'édition (3 juillet 2008)
M. Pierre Ducos a souligné le bouleversement du paysage de l'édition avec le brouillage de la séparation entre le papier et l'Internet. Qu'il s'agisse des textes ou de l'illustration, le sentiment de protection des éditeurs de référence est remis en cause. Estimant que l'un des nouveaux rôles du livre devait être d'apprendre aux utilisateurs des nouveaux médias à s'y repérer, il a considéré que c'était une mission passionnante. Sur la question du rapprochement du papier et du numérique, il a donné l'exemple des initiatives de création de « sites compagnons » à certains livres qui offrent des possibilités pédagogiques nouvelles.
Pour autant, M. Pierre Ducos s'est félicité que le temps passé à lire augmente, que ce soit sur un livre ou sur un écran. Pour que le contenu édité continue à être lu, l'évolution des supports sera très probablement nécessaire.
Mme Monique Vézinet a souligné, d'une part, que la presse jeunesse se porte très bien, et, d'autre part, que les manuels numériques constituent une source importante de développement. La problématique du poids du cartable a en effet relancé la problématique des nouveaux usages et l'éducation nationale expérimente la numérisation de certains manuels.
Audition de M. Xavier DARCOS, Ministre de l'éducation nationale (10 juillet 2008)
M. Xavier Darcos a souhaité aborder la question des nouvelles technologies à l'école sous trois aspects : la formation citoyenne des jeunes, le rôle qu'elles peuvent jouer dans l'apprentissage et les règles éthiques qui doivent encadrer leur utilisation dans le cadre scolaire.
S'agissant de la formation, il a rappelé que l'éducation aux médias était inscrite dans le socle commun de connaissances et de compétences, que l'étude des médias était prévue dans les programmes de collège et de lycée, notamment ceux d'éducation civique, juridique et sociale.
Il a ensuite souligné l'intérêt des nouvelles technologies pour renforcer l'autonomie des élèves au lycée et expliqué la politique volontariste du ministère en matière de mise à disposition d'espaces numériques de travail. Il a aussi valorisé l'apport du site Educnet, site officiel dédié aux nouvelles technologies de l'enseignement, qui permet de valoriser l'utilisation pédagogique des nouveaux médias.
Le ministre a en outre insisté sur les aspects éthiques de l'utilisation Internet en rappelant qu'un code de bonne conduite et des chartes de bon usage ont été diffusés dans les établissements. Des systèmes de listes blanches et noires sont aussi utilisés. Par ailleurs la société Calysto fait des formations dans les écoles et collèges pour promouvoir un usage responsable d'Internet.
Enfin, M. Xavier Darcos s'est félicité de la montée en puissance du B2I, dorénavant obligatoire pour le brevet des collèges, et a précisé que quelques items du B2I font directement référence à l'éducation aux médias.
A la suite d'une interrogation de M. David Assouline sur le rôle des documentalistes, il a estimé qu'ils ont une fonction d'encadrement importante mais que c'est aux professeurs de se saisir des nouvelles technologies, afin que l'école soit davantage en accompagnement qu'en réaction. S'il a reconnu la difficulté pour « l'entreprise de main d'oeuvre » que constitue l'éducation nationale (1,2 million de salariés) d'évoluer au rythme imposé par les nouvelles technologies et la mondialisation, il a finalement estimé que de nombreux efforts ont été faits tant en matière d'équipements que de pédagogie.