B. UNE NOUVELLE ORGANISATION POUR L'ACTION CULTURELLE À L'ÉTRANGER
Contre l'avis d'André Malraux a été maintenu un « Yalta » qui mérite aujourd'hui d'être remis en cause : « au ministère de la culture la culture en France ; au ministère des affaires étrangères le monopole de la culture à l'étranger ». Malgré quelques amodiations, cette distinction entre affaires étrangères et culture demeure dans la stratégie conduite. Cela apparaît aujourd'hui inadapté aux réalités contemporaines.
1. Tirer parti des compétences de chacun des acteurs culturels
Votre rapporteur spécial entend moins remettre en cause le monopole du Quai d'Orsay sur l'action culturelle à l'étranger que regretter l'absence d'engagement du ministère de la culture, sans doute contre son gré. Or cet engagement, face à un rayonnement culturel périodiquement annoncé en déclin, est devenu indispensable, si l'on appelle, comme votre rapporteur spécial, à un nécessaire sursaut. Ceci exige une stratégie globale, de pure cohérence, qui détermine une continuité d'action entre une politique de soutien à la création, où les problématiques de rayonnement peuvent déjà entrer en compte, et une politique de diffusion, au plan national comme international, qui exige de rationaliser les moyens. Le réseau culturel à l'étranger doit évidemment avoir une place décisive dans cette stratégie, et être piloté par le ministère responsable de cette stratégie.
La même analyse vaut évidemment pour le rayonnement international de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Il convient donc de définir en réalité trois visions stratégiques émanant de trois pilotes distincts : enseignement supérieur (pour les universités) : recherche (pour la recherche) et culture (pour l'action artistique et les industries culturelles) qui déterminent le cap à venir, après consultation du Quai d'Orsay. Celui-ci garde une expertise et une vision du monde dont les ministères thématiques ne doivent pas évidemment se priver.
a) Le rôle des administrations centrales
Ce nouveau pilotage doit se traduire par des modifications administratives , en confiant les responsabilités d'administration centrale actuellement exercées par la direction générale de la coopération internationale et du développement (DGCID) aux ministères concernés. Il doit impliquer aussi des évolutions dans les contrats de performance passés par le ministère de la culture avec les grandes institutions culturelles (écoles, musées, spectacle vivant) . Sauf exceptions, comme le Louvre, ces contrats de performance, examinés par votre rapporteur spécial, ne prennent pas en compte la diffusion à l'étranger . Celle-ci constitue encore trop souvent une faculté, et non une obligation, pour les institutions culturelles. Elle correspond d'ailleurs à un guichet de subvention publique complémentaire, représenté par CulturesFrance ou les postes à l'étranger.
Les compétences de chacun des acteurs culturels à l'étranger
Acteur |
Domaine d'intervention |
Atouts |
Administration centrale du ministère de la culture et du ministère de l'enseignement supérieur |
Définition de la stratégie |
Vision stratégique et exercice de la tutelle |
CulturesFrance |
Gestion des budgets culturels Programmation culturelle |
Copilotage ministère de la culture/ministère des affaires étrangères Connaissance de la création contemporaine et des institutions culturelles françaises |
Conseillers culturels |
Mise en réseau, constitution de partenariats, facilitation des échanges culturels entre la France et l'étranger |
Effet de levier de subventions, qualité des contacts avec les institutions et les professionnels, patronage de l'ambassadeur |
Alliance française |
Action linguistique (et subsidiairement culturelle) |
Immersion dans le tissu local, maillage très dense, faibles coûts, offre linguistique d'excellence |
Centres culturels |
Action linguistique (et subsidiairement culturelle) |
Lieu de référence culturelle dans les pays de la zone de solidarité prioritaire |
Source : commission des finances
b) Une gestion par des agences rénovées
Dans la mise en oeuvre de la stratégie ensuite, le rôle des agences CulturesFrance et CampusFrance doit être déterminant. Ces agences permettent de prendre en compte la dimension désormais essentielle du mécénat. Elles intègrent la dimension par nature interministérielle de l'action culturelle à l'étranger, en autorisant un pilotage paritaire : ministère de la culture et ministère des affaires étrangères et européennes pour CulturesFrance ; ministère de l'enseignement supérieur et ministère des affaires étrangères et européennes pour CampusFrance.
Sur un plan financier, on peut s'interroger pour savoir quel doit être le support budgétaire des crédits d'intervention culturelle dans cette nouvelle configuration : maintien des crédits sur les missions « Action extérieure de l'Etat » et « Aide publique au développement », transfert à la mission « Culture » ou gestion par l'opérateur CulturesFrance. Cette dernière hypothèse, sous réserve d'une étude de faisabilité, a la préférence de votre rapporteur spécial, car elle permettrait une distribution des crédits, pays par pays, et priorité artistique par priorité artistique, obéissant à la logique culturelle définie par le ministère de la culture. Il ne s'agit pas de négliger les considérations diplomatiques, mais de mieux les mettre en perspective avec les choix culturels.
Une mise en cohérence, sous la responsabilité de CulturesFrance, de certains choix est indispensable. Il en est ainsi de la politique de soutien aux jeunes créateurs, qui passe par des résidences d'artistes ou des bourses de création à l'étranger. Les initiatives dans ce domaine apparaissent singulièrement éclatées, entre les résidences d'artistes gérées par Culturesfrance et le « cavalier seul » de la Villa Medicis 20 ( * ) , placée sous l'autorité du ministère de la culture, sans vision d'ensemble sur le mode de sélection des artistes concernées, sur les priorités géographiques et les disciplines à encourager.
Rationaliser les aides à la création à l'étranger : les préconnisations de votre rapporteur spécial 1) Les bourses de soutien à la création à l'étranger et les résidences d'artistes sont gérées par deux ministères distincts : ministère de la culture, ministère des affaires étrangères. 2) Les critères de sélection des artistes ne sont pas harmonisés, ou même coordonnés. 3) Les choix des implantations géographiques des résidences d'artistes sont le fruit de l'histoire et se sédimentent plutôt que de faire l'objet d'une stratégie raisonnée. 4) Il faut une politique cohérente des résidences d'artiste à l'étranger, sous la responsabilité de CulturesFrance, qui gèrerait désormais la Villa Medicis. |
Confier d'aussi lourdes responsabilités, et des moyens aussi substantiels, à l'agence CulturesFrance, qui fait parfois l'objet de critiques, exige sans doute beaucoup de précautions, que votre rapporteur spécial a déjà rappelées dans deux rapports d'information successifs 21 ( * ) . Si des progrès ont été réalisés dans la gestion de l'agence, qui a bâti des programmes d'intervention lisibles et cohérents, témoignant d'une expertise indéniable dans la connaissance de la scène artistique française, plusieurs questions restent encore en suspens : meilleure association des postes à l'étranger à la programmation culturelle, participation accrue des industries culturelles au fonctionnement et aux choix de l'agence, déploiement de l'ensemble des crédits vers l'action internationale.
En 2005, selon la Cour des Comptes, les opérations réalisées sur le territoire national auraient représenté 40 % des interventions de CulturesFrance 22 ( * ) (hors « année de la France en Chine »), ou 33 % si l'on incluait dans l'analyse l'« année de la France en Chine ». CulturesFrance avait souligné au contraire que la proportion d'actions menées sur le plan national était plutôt de 28 % en 2005 . Ce pourcentage comprend les saisons culturelles 23 ( * ) d'un pays étranger en France (récemment, par exemple, « 100 % Finlande », qui a mise en lumière la vitalité culturelle finlandaise). La mission de CulturesFrance se définit ainsi autant comme un outil de diffusion de la culture française à l'étranger que comme un outil de connaissance des créateurs étrangers en France , sur une base de réciprocité : une saison du Brésil en France organisée par notre pays a pour contrepartie une saison de la France au Brésil, quelques mois après. Cette action est précieuse. En revanche, certaines interventions donnent parfois le sentiment à votre rapporteur spécial que CulturesFrance concentre une partie de ses efforts pour présenter des créateurs français à un public français . Ainsi en est-il très récemment de la publication, en français, avec les éditions Textuel d'ouvrages, au demeurant intéressants, sur Marie NDiaye et Patrick Modiano, ou de concerts à Paris d'artistes français lauréats de concours internationaux de musique. Ce travers, qui consiste peut-être pour CulturesFrance à rechercher davantage une reconnaissance de la critique française, avant même de se préoccuper du public et de la critique à l'international, mériterait d'être corrigé.
c) Une unité du réseau à l'étranger à préserver
A l'étranger, votre rapporteur spécial plaide depuis longtemps pour l'unité d'action de nos postes à l'étranger. On peut donc considérer que les conseillers culturels ont vocation à être rattachés au ministère des affaires étrangères et européennes . Ils doivent évidemment toujours être placés sous l'autorité de l'ambassade.
Deux correctifs par rapport à la situation actuelle paraissent devoir néanmoins être apportés : la sélection des conseillers culturels ne saurait plus relever exclusivement du ministère des affaires étrangères et européennes mais procéder d'un choix conjoint de ce ministère et du ministère de la culture.
S'agissant des conseillers universitaires et de recherche, aujourd'hui placés sous l'autorité du conseiller culturel, votre rapporteur spécial propose que ceux-ci soient désormais directement rattachés à l'ambassadeur. Il paraît, en effet, difficile de détacher à l'étranger un attaché universitaire d'expérience, qui émane du milieu universitaire et des grandes écoles, et a piloté à ce titre des programmes d'échange, pour le placer sous l'autorité d'un jeune diplomate-conseiller culturel. Cet élément de « susceptibilité » présente le risque de dissuader les candidatures d'expérience.
* 20 Qui pourrait spécialiser son programme de résidence d'artistes dans deux domaines où Rome est encore une ville d'excellence : l'histoire de l'art et la musique.
* 21 Rapports d'information n° 61 (2006-2007) « CulturesFrance : des changements nécessaires », puis n° 465 (2006-2007) « CulturesFrance : une gestion assainie dans la perspective d'une rénovation de l'action culturelle à l'étranger ».
* 22 Alors dénommée AFAA.
* 23 Ensemble de manifestations culturelles sur les artistes d'un pays donné, accueillies par les institutions françaises, pendant une période donnée, afin de concentrer l'attention du public.