D. L'AIDE HUMANITAIRE À L'AFGHANISTAN ET L'ACCUEIL DES RÉFUGIÉS AFGHANS

1. La poursuite de l'aide humanitaire envers et contre tout
a) Une priorité des Nations Unies...

Après la reprise du pouvoir par les talibans, la communauté internationale a décidé de venir en aide au peuple afghan en détresse. Trois ans après, l'aide humanitaire reste essentielle à l'Afghanistan.

Voilà pourquoi le Conseil de sécurité des Nations -Unies a prévu que les organismes et personnes chargés d'acheminer et de distribuer l'aide humanitaire aux Afghans ne pouvaient, pour ce motif, faire l'objet de sanctions (exemption humanitaire)33(*).

Selon le plan d'aide humanitaire de l'ONU pour l'Afghanistan en 2024, 23,7 millions d'Afghans avaient besoin de l'aide humanitaire. En pratique, l'ONU et ses agences sur place sont responsables de l'acheminement de l'aide et des négociations avec les talibans sur les choix des zones géographiques, des projets et des ONG bénéficiaires. Cette présence en Afghanistan permet aussi à la mission de l'ONU de faire respecter autant que possible les droits des Afghans et de leur apporter directement l'aide humanitaire disponible, par l'action de son bureau de coordination pour les affaires humanitaires (OCHA).

Le plan pour 2024 a pour objectif de secourir les 17,3 millions de personnes les plus exposées aux risques de malnutrition, aux problèmes d'accès aux soins... Ces personnes doivent ainsi pouvoir bénéficier d'une aide alimentaire et/ou de mise à disposition d'eau potable, de dispositifs d'assainissement de l'eau, de sanitaires et équipements d'hygiène, de médicaments et de soins, ou encore de soutien à leur éducation (matériel scolaire ; paiement des enseignants...).

Pour financer ce plan, en septembre dernier, l'ONU recherchait toujours 3,06 milliards de dollars de financement.

b) ... de l'Union européenne...

Dans ce cadre, l'Union européenne a fourni près de 1,2 milliard d'euros d'aide humanitaire à l'Afghanistan depuis 2021. Selon le Conseil de l'Union européenne, cette aide humanitaire doit répondre à trois objectifs : fournir une aide vitale ; assurer l'accès aux services de base ; renforcer la résilience de la population face aux crises.

Pour 2024, l'Union européenne a financé des projets d'une valeur de plus de 125,5 millions d'euros, dont un train de mesures de soutien de 4,5 millions d'euros à la suite des tremblements de terre mortels survenus en octobre 2023. Le financement de 2024 continue de fournir une aide d'urgence essentielle aux plus vulnérables.

L'Union européenne a aussi transporté plus de 1 600 tonnes de produits de première nécessité par 35 vols dans le cadre du pont aérien humanitaire mis en place à destination de Kaboul depuis août 2021.

Les interventions de l'Union européenne sont axées sur l'aide alimentaire d'urgence, les soins de santé et l'alimentation, l'éducation en situation d'urgence, l'accès à l'eau potable, les installations d'hygiène et d'assainissement, la fourniture d'abris et de produits non alimentaires, et les services de protection, y compris les activités de déminage.

c) ...et pour la France

Pour la France également, la poursuite de l'aide humanitaire au peuple afghan est une priorité politique.

Comme le rappelait aux rapporteurs M. Timothée Truelle, sous-directeur Asie méridionale à la direction « Asie-Océanie » du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, depuis trois ans, la France soutient plusieurs initiatives d'intérêt général en Afghanistan (pour un montant de 160 millions d'euros), portées en pratique par des ONG françaises, les agences de l'ONU ou des organisations internationales, la France veillant à ce que cette aide ne transite pas par les talibans.

Parmi les initiatives soutenues par la France, on peut citer :

-l'hôpital français « de la mère et de l'enfant » de Kaboul, qui, à l'heure actuelle, est dirigé par l'ONG « la Chaîne de l'Espoir » et qui constitue le seul plateau médical adapté aux interventions gynécologiques et pédiatriques complexes (réanimations...) ;

-les programmes de Handicap international, essentiels dans un pays où les personnes handicapées sont nombreuses et souvent laissées à elles-mêmes. En 1996, l'association a construit un centre de réadaptation destiné aux personnes handicapées, notamment aux victimes de mines, à Kandahar. Ce centre fournit des services de kinésithérapie, et abrite un atelier de fabrication de prothèses et d'orthèses. Handicap international développe aussi un soutien aux droits des personnes handicapées sur place, une sensibilisation au danger des mines et des services de réadaptation d'urgence à domicile ;

-les projets de Bibliothèques sans frontières, qui propose des supports de cours dématérialisés aux jeunes Afghans ;

-Radio Begum, radio fondée par Mme Hamida Aman, qui émet à Kaboul, et qui est une animée par des journalistes femmes et pour les femmes afghanes. Cette radio, qui est aujourd'hui très écoutée par la population, propose des heures d'enseignement, ainsi que des conseils médicaux et du soutien psychologique. En complément, une télévision, Begum TV, diffuse ses programmes depuis Paris depuis plusieurs mois.

d) Les critères de délivrance de l'aide selon la France et l'Union européenne

La France et l'Union européenne ont décidé d'acheminer exclusivement de l'aide humanitaire et de l'aide aux besoins essentiels. Cette aide est conditionnée à certaines exigences : elle doit être délivrée par l'intermédiaire de partenaires humanitaires sur le terrain ; son financement doit respecter rigoureusement les principes humanitaires d'indépendance, d'impartialité et de neutralité afin qu'elle parvienne aux Afghans qui en ont le plus besoin ; elle doit obéir à la règle : « une aide par et pour les femmes ».

En revanche, l'aide au développement de l'Afghanistan est suspendue, en lien avec le non-respect par les talibans des 5 critères définis par la résolution 2593 du Conseil de sécurité de l'ONU (en date du 30 août 2021) :

1) la levée des entraves pour celles et ceux qui veulent quitter le pays ;

2) l'accès libre et sécurisé de l'aide humanitaire sur le territoire afghan ;

3) le respect des droits humains, en particulier des droits des femmes et des filles ;

4) la formation d'un gouvernement représentatif des différentes composantes de la société afghane, en particulier en termes ethnico-religieux et de genre ;

5) la lutte contre le terrorisme et la rupture de tout lien avec les groupes terroristes tels qu'Al-Qaida.

e) Une vigilance nécessaire contre les détournements de l'aide

Malgré ces précautions, le risque de détournement de l'aide humanitaire n'est pas nul. Selon Mme Shoukria Haidar, présidente du collectif NEGAR34(*) : les bailleurs internationaux doivent veiller à l'utilisation effective de l'aide humanitaire, « car plus on aide l'Afghanistan, plus on consolide les talibans. »

Le rapport 2023 de l'inspecteur général spécial des États-Unis pour la reconstruction de l'Afghanistan (SIGAR) daté du 30 octobre 2023 confirme ce risque au sujet des programmes d'aide éducative aux jeunes afghans : les talibans détournent une part des financements internationaux en prélevant une taxe sur les salaires des enseignants et en créant des ONG pour administrer les fonds des bailleurs. Le rapport évoque également des détournements de médicaments et de nourriture35(*).

Aussi semble-t-il nécessaire, pour la France et l'Union européenne, de renforcer le contrôle de l'acheminement de leur aide humanitaire.

2. L'accueil des réfugiés afghans

Avant même la reprise du pouvoir par les talibans, une politique d'accueil privilégié des demandeurs d'asile afghans a été mise en place en France et dans l'Union européenne

À la suite du retour des talibans à Kaboul, le 15 août 2021, la France et l'Union européenne ont pris leur part dans l'accueil des réfugiés afghans.

La politique d'asile

La France dispose d'une longue tradition de droit d'asile pour les ressortissants étrangers victimes de persécutions politiques. Ce droit a une valeur constitutionnelle, l'alinéa 4 du Préambule de la Constitution de 1946 affirmant que « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur le territoire de la République. »

De plus, tout comme les autres États membres de l'Union européenne, la France est signataire de la Convention de Genève du 27 juillet 1951, qui donne une définition internationale des « réfugiés ». Un réfugié est défini comme celui qui « en raison de la crainte bien établie d'être persécuté pour des raisons de race, religion, nationalité, appartenance à un groupe social particulier ou pour des raisons d'opinion politique, se trouve hors du pays dont il est citoyen ou qui, en raison d'une telle crainte, évite de se prévaloir de la protection de ce pays ; ou encore qui, étant apatride et se trouvant hors du pays de sa résidence habituelle, antérieure, ne peut pas y retourner ou qui, en raison de ses appréhensions, ne souhaite pas le faire. »

Enfin, la politique d'asile est une compétence partagée entre États membres et Union européenne, aux termes de l'article 78 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Elle vient d'être actualisée au niveau européen dans le cadre Nouveau pacte sur la migration et l'asile, adopté début 2024 et applicable en juin 2026.

Ainsi, concernant la France, un programme d'évacuation depuis Kaboul a été mis en place entre le 17 août et le 28 août 2021, permettant le rapatriement de 2805 personnes sur 15 vols. Puis, des évacuations supplémentaires ont eu lieu depuis les pays limitrophes (essentiellement le Pakistan et l'Iran). Dans le cadre de cette opération, 3023 personnes sont arrivées sur le territoire français.

Deux ans plus tard, en 2023, les arrivées de ressortissants afghans se poursuivaient dans l'Union européenne : selon le Ministère des affaires étrangères, en trois ans, plus de 17 000 Afghans et Afghanes menacés en raison de leur lien avec la France ou de leur engagement ont été accueillis sur le sol français.

Selon l'agence Frontex, les ressortissants afghans constituent, sur les huit premiers mois de 2024, les plus nombreux dans les franchissements irréguliers des frontières extérieures de l'Union européenne avec les ressortissants syriens et maliens.

Des opérations « d'évacuations » officielles de ressortissants afghans ont continué à être planifiées par certains États membres, comme l'Allemagne. À la suite de la mise en place de la coalition fédérale entre le SPD (sociaux-démocrates), les Verts et les Libéraux en Allemagne, le gouvernement allemand a programmé en 2023, de faire sortir 40 000 personnes d'Afghanistan, dont 28 000 ayant travaillé avec l'armée allemande ou des ONG allemandes.

En pratique, les ressortissants afghans (663 999 en 2023) font toujours partie des principales nationalités de réfugiés accueillis dans l'Union européenne, derrière les Ukrainiens (5,5 millions ; ces derniers bénéficiant d'un statut spécifique de protection temporaire dans les 27 États membres depuis l'agression russe du 22 février 2022) et les Syriens (1,3 million).

Nombre de premières demandes d'asile de ressortissants afghans (Union européenne et Norvège, 2020-2023)

Année

Nombre de demandes enregistrées (total UE+ Norvège)

Nombre de demandes enregistrées (France)

2020

44 340 (10,6 % du total des demandes)

10 166

2021

84 670 (15,8 % du total des demandes)

14 475

2022

114 350 (13 % du total des demandes)

17 103

2023

101 190 (9,6 % du total des demandes)

17 750

Total 2020-2023

344 550

59 494

Sources : rapport annuel sur la migration et l'asile 2023, Eurostat et réseau européen de la migration (EMN), juillet 2024 ; rapports d'activité de l'OFPRA 2020 à 2023.

L'Afghanistan est le premier pays de provenance des demandeurs d'asile en France depuis 2018. Notre pays est le deuxième État membre de l'Union européenne pour l'accueil des réfugiés afghans, après l'Allemagne.

En France, la part des femmes parmi ces demandeurs demeure stable autour de 20 %. Par ailleurs, les jeunes Afghans constituent la majorité des mineurs étrangers non accompagnés entrant en France (60,8 % du total en 2023).

En pratique, au 31 décembre 2023, la France accordait sa protection à 599 436 bénéficiaires de l'asile, dont 9 % de ressortissants afghans (53 949 personnes).

La répartition des réfugiés afghans dans l'Union européenne est inégale, l'Allemagne, la France et la Grèce recueillant le plus grand nombre de demandes.

Cet accueil peut susciter des tensions, comme aujourd'hui en particulier en Allemagne. Les communes qui accueillent les réfugiés se plaignent en effet de la charge financière croissante liée à leur accueil. Par ailleurs, dans un contexte politique de succès électoraux du parti d'extrême-droite et anti-immigration Alternative für Deutschland (AFD) mais aussi d'attentats commis récemment par des ressortissants étrangers, le gouvernement allemand a décidé de durcir sa politique migratoire et de l'asile. Le 30 août dernier, il a ainsi procédé, pour la première fois depuis le retour des talibans, à l'expulsion de 28 ressortissants afghans condamnés pour des crimes par la justice allemande.

3. Deux jugements importants de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) qui pourraient faciliter l'octroi du statut de réfugié aux femmes afghanes dans les États membres

C'est dans ce contexte que la CJUE a rendu deux jugements importants pour la protection des femmes afghanes dans les États membres de l'Union européenne.

Le premier jugement, rendu le 16 janvier 202436(*), concernait une « ressortissante turque d'origine kurde, de confession musulmane et divorcée » qui avait introduit une demande de protection internationale en Bulgarie, affirmant craindre pour sa vie si elle retournait en Turquie. En l'espèce, la Cour a rappelé :

- que la directive 2011/95/UE prévoyait l'octroi du statut de réfugié à tout ressortissant d'un pays tiers dans les cas de persécution à raison de la race, de la religion, de la nationalité, des opinions politiques ou de l'appartenance à un certain groupe social ;

- que cette directive devait être interprétée dans le respect de la Convention d'Istanbul qui reconnaît la violence à l'égard des femmes comme une forme de persécution ;

- que les femmes pouvaient dans leur ensemble, être regardées comme un « groupe social » au sens de cette directive.

En France, la Cour nationale du droit d'asile (CNDA)37(*) a tiré rapidement les conséquences de ce jugement pour les femmes afghanes demandant l'asile en France. Relevant que les femmes afghanes faisaient l'objet depuis août 2021, en Afghanistan, d'atteintes à leurs droits fondamentaux, en particulier leur droit à la santé, à l'éducation et leur liberté d'aller et venir, et qu'elles étaient « perçues de manière différente par la société afghane », la Cour a estimé qu'elles appartenaient à un « groupe social » victime d'actes de persécution et devaient être protégées.

Elle en a conclu que les femmes afghanes refusant de subir ces actes de persécution du seul fait qu'elles sont de sexe féminin, étaient fondées à obtenir le statut de réfugiés.

Le second jugement de la CJUE a été rendu le 4 octobre 202438(*) sur saisine de la Cour administrative autrichienne, concernant la situation de deux femmes afghanes qui contestaient le refus, par les autorités autrichiennes, de leur reconnaître le statut de réfugié.

La CJUE a d'abord établi qu'un « mariage forcé » et « l'absence de protection contre les violences fondées sur le sexe et les violences domestiques », constituaient des actes de persécution.

Elle a ensuite affirmé que lorsqu'elles procèdent à l'examen individuel d'une demande d'asile d'une femme de nationalité afghane, les autorités compétentes des États membres pouvaient considérer qu'il n'est pas nécessaire d'établir que la demandeuse risque effectivement et spécifiquement de faire l'objet d'actes de persécution en cas de retour dans son pays d'origine. La seule prise en considération de sa nationalité et de son sexe sont alors suffisantes.

Cette jurisprudence pourrait faciliter l'octroi du statut de réfugié aux femmes afghanes qui se présenteront dans les 27 États membres de l'Union européenne.

Précisons que, pour la France, les changements issus de ces jugements seraient minimes. En effet, si le taux de protection qu'elle octroie à l'ensemble des Afghans demandeurs d'asile est de 69,3 % [soit plus de deux fois le taux moyen toutes nationalités confondues], pour les femmes, il est déjà proche de 100 % (96 %) sur les sept premiers mois de 2024.

Il est difficile de savoir si cette décision est susceptible d'entraîner un mouvement plus important de femmes afghanes vers l'Union européenne. En effet, malgré ces jugements de la justice européenne, la liberté de circulation des femmes afghanes est entravée car elles sont aujourd'hui dans l'impossibilité pratique de quitter l'Afghanistan.

Enfin, les ONG attachées à l'avenir de l'Afghanistan s'interrogent sur un paradoxe : si, à titre individuel, le sort des femmes afghanes est meilleur lorsqu'elles quittent leur pays, ce départ est souvent définitif et a aussi pour conséquence de vider l'Afghanistan de ses « forces vives ».

***


* 33 Résolution n°2615 du 22 décembre 2021.

* 34 Audition du 8 octobre 2024.

* 35 Rapport au Congrès américain du 30 octobre 2023.

* 36 CJUE, 16 janvier 2024, Intervyuirasht organ na DAB pri MS (femmes victimes de violences domestiques), C-621/21.

* 37 CNDA, 9 juillet 2024, Mme O., n°24014128, R.

* 38 CJUE, 4 octobre 2024, Bundesamt für Fremdenwesen und Asyl e.a. (Femmes afghanes), affaires jointes C-608/22 et C-609/22.

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