N° 50

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 octobre 2024

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la proposition de résolution européenne en application de l'article 73 quinquies du Règlement, visant à prendre des mesures appropriées contre les atteintes aux droits fondamentaux des femmes en Afghanistan commises par le régime des talibans,

Par Mmes Audrey LINKENHELD et Elsa SCHALCK,

Sénatrices

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Rapin, président ; MM. Alain Cadec, Cyril Pellevat, André Reichardt, Mme Gisèle Jourda, MM. Didier Marie, Claude Kern, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Georges Patient, Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Louis Vogel, Mme Mathilde Ollivier, M. Ahmed Laouedj, vice-présidents ; Mme Marta de Cidrac, M. Daniel Gremillet, Mmes Florence Blatrix Contat, Amel Gacquerre, secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jean-Michel Arnaud, François Bonneau, Mme Valérie Boyer, M. Pierre Cuypers, Mmes Karine Daniel, Brigitte Devésa, MM. Jacques Fernique, Christophe-André Frassa, Mmes Annick Girardin, Pascale Gruny, Nadège Havet, MM. Olivier Henno, Bernard Jomier, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Ronan Le Gleut, Mme Audrey Linkenheld, MM. Vincent Louault, Louis-Jean de Nicolaÿ, Teva Rohfritsch, Mmes Elsa Schalck, Silvana Silvani, M. Michaël Weber.

Voir les numéros :

Sénat :

762 (2023-2024) et 51 (2024-2025)

AVANT-PROPOS

« Ils peuvent tuer toutes les hirondelles, ils n'empêcheront pas la venue du printemps. » (proverbe afghan)

Mesdames, Messieurs,

Depuis la reprise de Kaboul par les talibans en août 2021 et la reconstitution d'un émirat islamique en Afghanistan, le pays est devenu un « cauchemar du monde contemporain »1(*), soumis à la fois, à une situation humanitaire dramatique, à la violence des miliciens du régime (exécutions publiques...) et à la volonté du pouvoir en place « d'effacer » les femmes de toute vie sociale.

Trois ans après son retour au pouvoir en effet, le régime taliban a interdit aux filles de plus de 12 ans d'étudier, et aux femmes de sortir de leur domicile sans tuteur masculin. Les parcs publics et les salles de sport leur sont désormais fermés.

En août dernier, les talibans ont renforcé ces mesures répressives en imposant aux femmes afghanes de se couvrir intégralement le corps et le visage en public et en leur interdisant de faire entendre leur voix.

Cette persécution est inacceptable.

Comme le rappelait le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, le 15 août dernier, « en effaçant les femmes de la société afghane et en excluant ainsi la moitié de la population du pays de la vie publique et économique, ces graves atteintes rendent impossible toute forme de développement du pays. »2(*)

Dans une déclaration du 26 août dernier, M. Josep Borrell, Haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, affirmait que « L'Union européenne continue à se tenir aux côtés des femmes et des filles d'Afghanistan, ainsi que de tous ceux et tous celles qui, en Afghanistan, sont menacés par les talibans. »

Soutenir les femmes et les filles afghanes face à la répression des talibans, tel est l'objet de la proposition de résolution européenne n° 762, déposée le 18 septembre dernier par notre collègue Pascal Allizard et de nombreux sénateurs de l'ensemble des groupes politiques du Sénat. Ce texte important condamne fermement les décisions prises par le régime taliban à leur encontre et en appelant le Gouvernement et l'Union européenne à agir pour que leur « invisibilisation » cesse enfin.

***

I. « L'EFFACEMENT » PROGRAMMÉ DES FEMMES EN AFGHANISTAN DEPUIS LA REPRISE DE KABOUL PAR LES TALIBANS EN AOÛT 2021

A. LE RETOUR DES TALIBANS AU POUVOIR EN AFGHANISTAN A INTERROMPU LES PROGRÈS DIFFICILES MAIS RÉELS DE LA CONDITION DES FEMMES EN AFGHANISTAN

1. Les progrès de la condition des femmes en Afghanistan au XXe siècle

Le retour des talibans au pouvoir en Afghanistan en août 2021 a entraîné une régression sans précédent des droits des femmes afghanes après vingt ans d'amélioration de leur condition.

Dans les années 20, influencé par le président turc Atatürk, l'émir Amir Amanullah (1919-1929) décida des premières mesures d'émancipation des femmes : interdiction du mariage forcé et de la polygamie ; opposition au port du voile islamique ; création de la première école de filles (« Mastourat ») ; entrée des premières femmes dans les métiers industriels.

Mais cet émir fut renversé par une coalition d'oulémas fondamentalistes qui souhaitaient mettre fin à ses réformes.

Le roi Mohammad Zaher Shah (1933-1973) favorisa de nouveaux progrès de la condition des femmes. Ainsi, en 1947, les femmes purent accéder à l'université. Puis, l'émancipation des femmes fut proclamée en 1959. Enfin, la Constitution afghane de 1964 posa le principe de l'égalité entre hommes et femmes, et reconnut le droit de vote aux femmes.

La troisième ère d'émancipation intervint en 1973, à la chute de Zaher Shah, renversé par des militaires formés dans l'Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) qui fondèrent une république socialiste, revendiquant l'égalité des droits entre hommes et femmes comme l'un de ses principes fondateurs.

En pratique, les autorités rendirent l'éducation des filles obligatoire et encouragèrent le travail des femmes. Ainsi, dès avant 1996, des femmes avaient pu devenir officiers dans l'armée, enseignantes, ingénieurs, fonctionnaires, médecins ou même ministres. Le voile fut interdit dans l'espace public dans un contexte général de réduction de la place de la religion (prohibition de la prière, fermeture de mosquées).

2. Les talibans ont pris le pouvoir pour la première fois entre 1996 et 2001
a) Qui sont les talibans ?

Pour rappel, le mouvement des « talibans » (qui signifie « étudiant » en langue pachtoune) est né en 1994, dans un contexte de chaos généralisé et de guerre civile en Afghanistan : en effet, les « moudjahidines »3(*) vainqueurs de l'occupation (1979-1990), se battaient entre factions rivales dans l'ensemble du pays, plongé dans le chaos.

Face à cette situation de crise, des membres des tribus pachtounes (qui représentent environ 40 % de la population du pays4(*) et sont originaires du sud-est du pays (Kandahar)) décidèrent de se tourner vers un fondamentalisme qui souhaitait redonner sa « pureté » à l'islam.

Ce mouvement poursuit un double objectif :

-la constitution puis la préservation d'un émirat islamique en Afghanistan. En revanche, le mouvement ne recherche pas l'extension de cet émirat dans d'autres pays ;

-l'application stricte de la « charia » (loi islamique) en rejetant toute influence étrangère et toute interprétation de la doctrine.

Pour remplir ces deux objectifs, le mouvement taliban a toujours légitimé les actions violentes.

b) La prise du pouvoir et la terreur (1996-2001)

Dès leur arrivée au pouvoir, les talibans privèrent les femmes de tout droit et leur imposèrent la burqa pour tout déplacement à l'extérieur de leur domicile. En pratique, « ...les femmes afghanes étaient soumises à des restrictions draconiennes, on leur interdisait notamment de travailler en dehors de leur domicile et de paraître en public sans un membre masculin de leur famille proche. En outre, les femmes et les filles étaient privées d'accès à l'éducation et n'avaient qu'un accès limité aux soins de santé. »5(*)

En résumé, « les femmes, elles, n'avaient droit à rien. Il y a eu des lapidations de femmes accusées d'adultère. C'était tout ce qu'on peut imaginer de pire, la négation absolue de la dignité humaine et de la liberté au nom d'une interprétation totalement rigoriste et excessive de ce qu'est la charia. » 6(*)

Ayant accepté d'accueillir sur son territoire l'organisation terroriste Al-Qaïda dirigée par le Saoudien Oussama Ben Laden, qui visait à établir un califat islamiste à l'échelle mondiale, les talibans furent mis au ban de la communauté internationale (résolution n° 1378 des Nations Unies du 4 octobre 2001) lorsque cette organisation revendiqua les attentats du World trade center, le 11 septembre 2001.

Décidée par le Président des États-Unis, alors George W. Bush, l'opération militaire « Enduring Freedom » (Liberté immuable) menée par les États-Unis et leurs alliés, provoqua la chute rapide du régime taliban (6 décembre 2001).

3. L'évolution de la condition des femmes entre 2001 et 2021
a) La République islamique d'Afghanistan a amélioré la condition des femmes afghanes

Au titre de la Constitution afghane du 26 janvier 2004, l'Afghanistan est une république « indépendante, unie et indivisible », dont la religion est l'islam, qui reconnaît les différentes nationalités qui la composent ainsi que les droits de l'Homme, et qui proclame en particulier que les « citoyens de l'Afghanistan, hommes et femmes, ont des droits et des devoirs égaux devant la loi. »7(*)

Le texte affirmait aussi le respect, par l'Afghanistan, de la charte des Nations Unies et de la Déclaration universelle des droits de l'Homme (quelques mois auparavant, le pays avait adhéré à la Cour pénale internationale (CPI)).

Dans ce cadre, les femmes purent de nouveau siéger au Parlement (jusqu'à représenter un quart des membres de l'assemblée), et participer à la vie publique.

D'autres améliorations des conditions de vie en Afghanistan ont en particulier bénéficié aux femmes :

- l'allongement de l'espérance de vie, lié à la rénovation du système de santé afghan, a fait passer l'espérance de vie des femmes de 57 ans à 66 ans en moyenne entre 2001 et 2022 ;

-l'accès des filles à l'école a permis la scolarisation en 2021 de quelques 3,3 millions de jeunes Afghanes. ;

-les femmes ont aussi retrouvé leur droit de travailler, certaines d'entre elles devenant fonctionnaires (représentant 21 % des agents de l'État afghan), enseignantes, avocates, journalistes ou ministres. Grâce aux organisations non gouvernementales, elles ont pu aussi bénéficier de programmes de microcrédit, par exemple pour ouvrir un commerce (boulangerie ; salon de coiffure...).

b) Mais en août 2021, les talibans sont revenus au pouvoir

Cependant, en raison de différents facteurs (insécurité ; dépendance de l'aide occidentale...), la situation était fragile et lorsque la fin de la présence américaine fut définitivement actée par le président américain Joe Biden, le 14 avril 2021, les talibans, qui n'avaient jamais cessé de combattre la République islamique d'Afghanistan depuis leur défaite de 2001, reprirent le pouvoir.

Les 15 août 2021, ils étaient de nouveau maîtres de l'Afghanistan. Le dernier avion américain décolla le 30 août 2021. Et ce fut la fin de nombreuses libertés pour les Afghans, en particulier les femmes afghanes.

B. L'AFGHANISTAN EN 2024 : UN PAYS ENTRE CRISE HUMANITAIRE ET RÉGIME FÉROCE

1. Un mouvement taliban qui se réunit dans l'oppression des femmes

De retour au pouvoir en 2021, le mouvement taliban a suspendu l'application de la Constitution afghane de 2004 pour mettre en oeuvre les directives de « l'émir » Haibatullah Akhundzada, guide religieux des talibans, qui vit reclus à Kandahar, le fief historique du mouvement.

Depuis août 2021, le mouvement est resté soudé dans sa politique de fermeté à l'égard de la communauté internationale et de restriction progressive des droits de l'Homme. Et, à chaque fois que le mouvement semble fragilisé, la politique de répression des femmes lui sert de « ciment » idéologique. Car, comme l'observait M. Timothée Truelle, sous-directeur Asie méridionale à la direction Asie-Océanie du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, lors de son audition8(*), cette politique d'oppression des femmes unit le mouvement taliban. En outre, ils peuvent être tentés de faire de la « surenchère » pour ne pas que des groupes islamistes rivaux apparaissent plus radicaux.

2. Un régime désireux « d'effacer » les femmes de la vie sociale
a) Les femmes afghanes, victimes d'une oppression institutionnalisée

L'Afghanistan subit une triple crise :

- économique avec une économie afghane qui a connu une contraction de 30 % entre 2021 et 2022 et qui subit l'effet des sanctions internationales ainsi que l'absence des femmes dans les secteurs d'emploi où elles ont été interdites d'activité (emplois publics ; ONG ; agences de l'ONU). En outre l'Afghanistan est au coeur des dérèglements climatiques (séismes ; inondations...) ;

- humanitaire avec 85 % d'Afghans vivant sous le seuil de pauvreté, 80 % d'illettrés, 6,6 millions de personnes sans abri et 67 % des Afghans ayant des difficultés d'accès à l'eau. Selon le bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA)9(*), 23,7 millions de personnes sur 42 millions d'Afghans ont besoin de l'aide humanitaire pour survivre en 2024. Comme le soulignait, lors de son audition10(*), Mme Hamida Aman, fondatrice de Radio Begum, radio à destination des femmes afghanes, cette situation conduit certaines familles à des « décisions dramatiques comme la vente d'organes ou la vente d'enfants... » ;

- sécuritaire car, malgré les discours rassurants des talibans sur le retour à la paix civile, les attentats de l'organisation terroriste rivale de l'État islamique du Khorasan se poursuivent. Par ailleurs, les talibans dirigent le pays en usant de violences répétées11(*). Leurs premières cibles sont les anciens cadres de la République islamique d'Afghanistan, les journalistes et...les femmes.

Dans ce contexte de crise et de violences, les femmes sont en effet des cibles privilégiées pour les talibans. Plus encore, « La priorité de l'État islamique semble être la disparition des femmes de l'espace public et la suppression de leurs droits les plus élémentaires. »12(*)

Comme le résumait Mme Alison Davidian, représentante d'ONUfemmes, l'agence des Nations Unies en charge de l'accompagnement des femmes et des filles dans le monde, « ...il y a trois ans, une femme afghane pouvait techniquement décider de se présenter à l'élection présidentielle. Aujourd'hui, elle n'est peut-être même pas en mesure de décider quand aller faire ses courses. »13(*)

Si, lors de la prise de pouvoir des talibans, nombre de médias et de diplomates affirmaient avec certitude que les talibans allaient faire preuve de « modération », leurs premières décisions ont démontré au contraire qu'ils souhaitaient plutôt rétablir les règles qu'ils avaient imposées entre 1996 et 2001.

Les talibans ont d'ailleurs remplacé immédiatement et symboliquement le ministère de la condition féminine par « le ministère pour la promotion de la vertu et la répression du vice », rétabli après son existence de sinistre mémoire entre 1996 et 2001.

En même temps, la fin du droit d'enseigner pour les femmes était décrétée, de même que leur interdiction d'occuper un emploi public. Celles qui occupaient ces fonctions ont alors été arrêtées et blessées. Plusieurs d'entre elles ont même été assassinées14(*).

En 2022, plusieurs décisions du pouvoir taliban ont de nouveau diminué les droits des femmes afghanes et détérioré leurs conditions de vie : interdiction pour les filles d'étudier dans l'enseignement secondaire (mars 2022) et dans les universités (décembre 2022), ce qui a exclu 1,1 million de filles de l'enseignement secondaire et 100 000 jeunes femmes des universités. Ces dernières disposent sur ce point de moins de droits que leurs aînées en 1947.

Selon l'agence ONUfemmes15(*), cette impossibilité de suivre des cours va de pair avec une augmentation, en Afghanistan :

- de 25 % des mariages d'enfants ;

- de 45 % des grossesses précoces ;

- de 50 % des mortalités maternelles.

La perspective unique des jeunes filles de 12-20 ans devient d'être une bonne épouse et une mère de nombreux enfants. Cependant, les jeunes filles se retrouvent bien souvent à travailler à domicile ou dans de petits ateliers (tapisserie). Au final, leur santé mentale est très dégradée.

L'accès des femmes à différents lieux publics a été interdit en novembre 2022 : parcs publics ; salles de sport ; bains publics (qui sont souvent les seuls lieux où les Afghans disposent de l'eau chaude).

Dès leur retour, les talibans avaient chassé de leurs emplois, les femmes fonctionnaires. Ils leur ont ensuite interdit de travailler pour les ONG et pour les agences de l'ONU (décembre 2022 et avril 2023), ce qui rend l'acheminement de l'aide humanitaire très difficile.

Ces prohibitions connaissent leurs exceptions : ainsi, des femmes continuent à enseigner et à travailler dans les hôpitaux. En outre, des femmes, une fois obtenue une licence auprès du ministère taliban, peuvent toujours travailler dans le secteur privé, tenant des commerces (boulangeries...), des ateliers de confection ou poursuivant, même sous contrôle strict, leur activité de journaliste.

Le voile intégral a été imposé aux femmes et aux filles lorsqu'elles sortent de leur domicile (7 mai 2022). Le sport a également été interdit aux femmes et aux filles par le régime taliban.

En complément, les talibans ont imposé la fermeture des salons de beauté (engendrant la destruction de 60 000 emplois).

Alors haut-commissaire aux droits de l'Homme de l'ONU, Mme Michelle Bachelet déclarait en juin 2022 : « Nous assistons aujourd'hui en Afghanistan à une oppression institutionnalisée et systématique des femmes. »

b) Des nouvelles lois sur la morale liberticides, promulguées en août 2024

Le 9 septembre dernier, M. Volker Türk, haut-commissaire des Nations Unis aux droits de l'Homme, décrivait « l'horreur » des dernières mesures répressives du pouvoir taliban décidées un mois plus tôt, devant le Conseil des droits de l'Homme de l'ONU.

Les talibans ont en effet décidé d'adopter une loi de promotion de la vertu et de répression du vice qui :

-interdit à une femme de se déplacer sans un « tuteur » masculin ;

-les oblige à se couvrir le corps et le visage, ce qui comprend le port d'un masque de type « anticovid » sur la bouche ;

-interdit tout contact visuel entre une femme et un homme qui n'est pas de sa famille ;

-interdit aux femmes de chanter, de réciter des poèmes et, plus généralement, de faire entendre leur voix en public.

Et en cas de non-respect de ces règles ou de contestation, les femmes concernées sont victimes d'arrestations et de détentions arbitraires et, souvent, de violences physiques, tout comme les hommes qui leur sont proches.

En complément, comme le rappelle le dernier rapport d'ONUfemmes, 78 % des femmes interrogées sur le terrain déclarent avoir une mauvaise santé mentale. Et 8 % des jeunes filles du pays en connaissent une autre qui a tenté de se suicider.

Enfin, rappelons les conséquences dramatiques de cette répression pour les enfants élevés dans un contexte de malnutrition, de soins difficiles et de violence omniprésentente, les exposant à des troubles psychologiques.

« Un écureuil a plus de droits qu'une fille en Afghanistan aujourd'hui parce que les parcs publics ont été fermés aux femmes et aux filles par les talibans », a dénoncé l'actrice américaine Meryl Streep, le 25 septembre 2024, alors qu'elle accompagnait un groupe de femmes afghanes lors d'une discussion dans le cadre d'une réunion "à haut niveau" de l'Assemblée générale des Nations unies.

Témoignage de « Hira » (dont le prénom a été changé), ancienne fonctionnaire de Kunar (site internet d'ONUfemmes ; 15 août 2023)

« Avant la prise du pouvoir par les talibans, même si je n'avais pas beaucoup de liberté, les libertés civiques étaient respectées (...) J'ai également commencé à travailler pour le gouvernement (...).

« Mais lorsque les talibans ont repris le contrôle de l'Afghanistan, tout s'est inversé. Le premier jour de la chute du gouvernement, mon mari m'a avertie que la démocratie était finie et que je ne pouvais plus être fière du ministère de la condition féminine ou de ma soeur. Il a dit : `Écoutez ce que je dis, ou je divorcerai'. J'ai été battue plusieurs fois devant mes deux jeunes enfants.

Le changement le plus important dans ma vie, et celle des millions de filles et de femmes de mon pays après le mois d'août, c'est que le désespoir règne désormais sur nos âmes. Avec le soutien de la communauté internationale et de la Constitution, les femmes afghanes ont pu accomplir des exploits dans tous les domaines en peu de temps. Mais aujourd'hui, l'humanité des femmes afghanes est même remise en question. J'avais des rêves, mais maintenant mes rêves et mes aspirations sont limités. Je pense que ce serait un miracle si un jour, les portes des écoles et des universités s'ouvraient à nouveau aux femmes et aux filles.

« Les femmes afghanes ne vivent pas en ce moment ; elles essaient juste de survivre. J'ai un fort sentiment de méfiance. Dans le passé, je partageais mes sentiments sur les réseaux sociaux avec mes amies, mais aujourd'hui, l'atmosphère de peur et de méfiance s'est tellement aggravée que je ne peux pas partager ma douleur avec mes amies. Je ne me suis jamais sentie aussi seule. Plusieurs fois, j'ai décidé de mettre fin à mes jours, mais je pense au sort de mon fils.

« Les privations du droit au travail et à l'éducation ont gravement affecté les problèmes mentaux et créé la dépression. Imaginez une génération en dépression. Cette génération sera les mères du futur. Les enfants de personnes désespérées et déprimées sont dangereux pour l'avenir de l'Afghanistan. »

c) Des conséquences négatives sur les enfants afghans

Cette politique des talibans à l'égard des femmes, qui s'ajoute à la crise humanitaire, a également des effets négatifs sur les enfants afghans : par exemple, lorsque la mère perd sa source de revenus, les enfants peuvent se retrouver totalement dépendants de l'aide humanitaire et en insuffisance alimentaire. L'accès aux soins devient plus difficile. Selon un rapport de l'UNICEF d'avril 2024, 12,3 millions d'enfants afghans avaient besoin d'une assistance humanitaire. 857 155 enfants de moins de cinq ans devaient recevoir des traitements contre la malnutrition sévère.

Et les violences contre les femmes, les filles et leurs proches, peuvent créer des troubles psychologiques qui vont affecter la croissance de ces enfants. L'UNICEF, agence des Nations unies pour les droits de l'enfant, indique, dans son rapport précité d'avril 2024, avoir apporté un soutien à la santé mentale et psychosociale à 671 033 enfants, parents et soignants.

Enfin, depuis leur retour au pouvoir, comme le soulignait, lors de son audition16(*), Mme Shoukria Haidar, présidente du collectif NEGAR de soutien aux femmes afghanes, les talibans ont multiplié dans tout le pays l'ouverture de « madrasas », écoles dans lesquelles ils diffusent leur vision de la charia aux jeunes enfants. Fin 2023, le mouvement taliban a confirmé que certaines « madrasas » étaient destinées aux jeunes filles. On en dénombrait 20 000, dont 13 500 contrôlées directement par les talibans17(*). Selon Mme Haidar, le risque est de voir la formation d'une nouvelle génération de talibans.

De son côté, l'UNICEF expliquait qu'elle poursuivait également son soutien à 557 977 enfants pour leur accès à l'éducation et qu'elle distribuait du matériel d'enseignement. De même, malgré l'interdiction faite aux filles d'étudier après 12 ans, l'agence déclarait aider 808 jeunes étudiantes.

3. Des femmes courageuses et résistantes

Malgré ces mesures répressives sans équivalent dans le monde, les femmes afghanes et leurs proches se battent.

Tout d'abord, dans la vie quotidienne, les décrets des talibans sont inégalement appliqués. Et leur respect varie sur le terrain en fonction des provinces. Ainsi, les femmes peuvent parfois encore sortir sans tuteur masculin, à Kaboul comme dans les villages. Les femmes peuvent encore sortir sans tuteur masculin. De même, elles assument souvent une activité de vente des productions locales sur les marchés.

Elles mettent aussi en oeuvre des stratégies de contournement discret des règles ou ont recours aux « arrangements » avec les responsables talibans locaux, afin de vivre en atténuant la répression. Des femmes continuent ainsi à enseigner, parfois dans des écoles clandestines, parfois même appelées par les talibans pour enseigner aux garçons car le régime manque de professeurs. En outre, depuis peu, des femmes se formeraient de nouveau à la pratique des soins médicaux, en raison de la pénurie de cadres de santé dans le pays.

Par ailleurs, depuis l'édiction des dernières mesures répressives qui prohibent toute prise de parole des femmes en public, des groupes de militantes ont envoyé des vidéos sur les réseaux sociaux dans lesquelles elles chantent pour braver l'interdiction, parfois en déchirant un portrait du guide suprême des talibans.

D'autres, exilées hors de leur pays, en France par exemple, continuent à porter la voix des femmes afghanes. C'est le cas des sportives afghanes Zadia Khudadadi, para-athlète afghane, qui a réussi à s'enfuir d'Afghanistan pour venir en France s'entraîner en vue de préparer les Jeux paralympiques de Paris au sein de l'équipe paralympique des réfugiés, et qui a obtenu la médaille de bronze lors de ces Jeux, de la sprinteuse Kimia Yousofi, qui a dénoncé l'oppression des talibans lors de la course des 100 mètres des Jeux olympiques de Paris, ou de la taekwondoiste Marzieh Hamidi.

On peut évoquer aussi la chanteuse Sonita Alizadeh, qui « rappe » contre les mariages forcés dans son pays et qui explique que « l'art peut être la plus grande des armes, la plus puissante des armes que les talibans n'auront jamais. Donc ceux qui doivent avoir peur, ce ne sont pas les artistes afghans, ce sont les talibans. »18(*)

Quant à Mme Fawzia Koofi, ancienne vice-présidente de l'Assemblée nationale afghane, elle a échappé plusieurs fois à des attentats commandités par les talibans mais continue à porter la voix des femmes afghanes dans les médias internationaux et travaille à réunir les oppositions aux talibans.

Que fait la communauté internationale ?

***

II. QUELLES SONT LES RÉPONSES DE LA FRANCE ET DE L'UNION EUROPÉENNE ?

Trois ans après la reprise de Kaboul par les talibans, la communauté internationale a condamné fermement les mesures « d'invisibilisation » des femmes afghanes.

Mais, tout comme l'ONU, les États sont partagés entre la volonté de conforter une politique ancienne de sanctions contre les talibans et celle de mettre en place un processus de dialogue politique avec eux, du fait des enjeux de lutte contre le terrorisme, de contrôle des flux migratoires et d'acheminement de l'aide humanitaire.

A. UNE CONDAMNATION DU SORT RÉSERVÉ AUX FEMMES PAR LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE

De fait, la politique des talibans bafoue volontairement les droits de l'Homme : exécutions extrajudiciaires, torture, châtiments corporels publics, entreprise « d'invisibilisation » systématique des femmes afghanes.

Dès septembre 2021, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe demandait aux talibans de « mettre fin à la violence », et de respecter les « avancées culturelles, sociales et juridiques réalisées ces vingt dernières années dans le domaine des droits humains et des libertés individuelles (...) ; notamment en ce qui concerne l'accès des filles à l'éducation, la liberté de circulation des femmes et leur accès au travail, aux soins et aux sports, et la représentation et la participation active des femmes (...) dans tous les domaines de la vie publique et politique. »19(*)

L'ONU, qui est présente sur place avec sa mission d'assistance à l'Afghanistan (MANUA), a mis l'Afghanistan « sous surveillance » depuis trois ans par ses diverses instances (rapporteur en charge des droits de l'Homme ; Haut-commissariat aux réfugiés ; ONUfemmes...).

Dans son rapport d'inspection de juillet 2022, la mission onusienne s'inquiétait de « l'impunité avec laquelle les membres des autorités de facto semblent avoir commis des violations des droits humains » et de « l'érosion » des droits fondamentaux des femmes.

Un an plus tard, elle exhortait les talibans à cesser de faire usage de la torture et à faire en sorte que les auteurs de ces actes rendent des comptes.

Enfin, le 9 septembre 2024, M. Volker Türk, haut-commissaire aux droits de l'Homme de l'ONU exprimait sa « répugnance » à l'égard de la dernière loi « de promotion de la vertu et de répression du vice » afghane, considérant qu'elle représentait une « répression sans équivalent » des femmes dans le monde.

Cette préoccupation est partagée par la France, qui apparaît parmi les pays les moins conciliants avec les talibans. Le 15 août dernier, le porte-parole du ministère des affaires étrangères rappelait ainsi les « violations graves et répétées » des droits de l'Homme du régime taliban et son refus de mettre en oeuvre les obligations claires qui lui ont été fixées par les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU, et condamnait en conséquence, « les violences intolérables des droits des femmes et des filles par les talibans » en soulignant qu'« aucun retour à la normale (ne serait) envisageable sans l'arrêt des violences et des menaces... ».

Quant à l'Union européenne, elle a condamné elle aussi, par la voix de son Haut représentant, M. Josep Borrell, les diverses étapes de « l'effacement » en cours des femmes afghanes, telles que la décision des talibans de priver plus d'un million de filles afghanes d'enseignement secondaire20(*) ou les restrictions limitant la participation des femmes à la vie publique21(*).

Le 26 août dernier, exprimant sa consternation, le Haut représentant a dénoncé l'adoption de la nouvelle loi imposant aux femmes de se couvrir intégralement en public et leur interdisant de faire entendre leur voix, en ce qu'elle prive « effectivement les Afghanes de leur droit fondamental à la liberté d'expression ».

Pour l'Union européenne, qui « continue de se tenir aux côtés des femmes et des filles d'Afghanistan, ainsi que de tous ceux et toutes celles qui, en Afghanistan, sont menacés par les talibans », le régime taliban doit instamment « mettre un terme à ces abus systématiques et systémiques à l'encontre des femmes et des filles afghanes. »22(*)

B. AU SEIN D'UNE COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE PARTAGÉE ENTRE RENFORCEMENT DES SANCTIONS ET NÉCESSITÉ DE NOUER UN DIALOGUE POLITIQUE, LA FRANCE ET L'UNION EUROPÉENNE TENTENT D'ALLIER SOUTIEN AU PEUPLE AFGHAN ET FERMETÉ À L'ÉGARD DES TALIBANS

1. Une politique de sanctions ancienne à l'efficacité difficile à évaluer

Avant même ces condamnations unanimes, depuis 199923(*), les talibans ont fait l'objet de sanctions par le Conseil de sécurité de l'ONU. Prorogées en 2011, en 2015 et en 2021, les sanctions territoriales ont pour objectif :

-de lutter contre le terrorisme en Afghanistan ;

-de combattre la production et le trafic de drogue sur le sol afghan ;

-de faire respecter les obligations internationales de l'Afghanistan en matière d'aide humanitaire, en particulier de droits de l'Homme, « notamment ceux des femmes, des enfants et des personnes appartenant à des populations et des minorités vulnérables. »24(*)

Ces sanctions visent les talibans, ainsi que les personnes et entités qui y sont associées et qui, en pratique, figurent sur une liste.

Ces sanctions consistent en :

-une absence de reconnaissance du régime taliban par la communauté internationale, qui le désigne sous le terme « d'autorités afghanes de fait » ;

-un gel ciblé des avoirs ;

-une interdiction de voyager ;

-un embargo sur les armes.

Un comité de suivi veille à leur mise en oeuvre au sein du Conseil de sécurité.

En pratique, les enquêtes et missions d'évaluation des agences de l'ONU sont précieuses pour comprendre l'évolution concrète de la situation en Afghanistan. Ces enquêtes gênent d'ailleurs les talibans. Ainsi, en août dernier, ils ont déclaré « persona non grata » M. Richard Bennett, représentant spécial des Nations unies sur les droits de l'Homme en Afghanistan, en l'accusant d'avoir été nommé « pour diffuser de la propagande ».

C'est sur la base de ces travaux que le Conseil de sécurité peut adopter de nouvelles sanctions. Il a ainsi adopté, à l'unanimité, la résolution n° 2681 du 27 avril 2023 condamnant l'interdiction faite aux femmes afghanes, de travailler pour les agences des Nations Unies, interdiction inédite dans le monde.

Constatant « la situation économique et humanitaire désastreuse qui règne en Afghanistan », la résolution du Conseil de sécurité a exprimé la « profonde préoccupation » des ambassadeurs concernant l'interdiction faite aux femmes de travailler à l'ONU, affirmant que - parallèlement aux autres érosions des droits fondamentaux - elle « aura(it) un impact négatif et sévère » sur les opérations d'assistance de l'ONU dans tout le pays, « y compris la fourniture d'une assistance vitale et de services de base aux plus vulnérables ».

Elle a appelé à la « participation pleine, égale, significative et sûre des femmes et des filles en Afghanistan », et exhorté tous les pays et organisations ayant une influence sur les dirigeants fondamentalistes du pays, « à promouvoir une inversion urgente » des politiques qui ont en fait effacé les femmes de la vie publique.

Le Conseil de l'Union européenne a, en conséquence, prévu la mise en oeuvre de ces sanctions dans les États membres de l'Union25(*).

Les Nations Unies et l'Union européenne ont aussi imposé des sanctions transversales à des personnes identifiées comme auteurs d'atteintes aux droits de l'Homme. 5 individus ont fait l'objet de telles sanctions en mars et en juillet 2023.

2. Des tentatives de dialogue politique

Officiellement, le régime taliban, qualifié « d'autorités afghanes de fait » n'est pas reconnu par la communauté internationale, les représentants afghans dans nombre d'ambassades demeurant ceux désignés par la République islamique d'Afghanistan. La situation pourrait évoluer car le régime taliban a demandé la fermeture de ces ambassades, ce qui vient d'avoir lieu à Londres.

Cependant, la position de bon nombre d'États à l'égard du régime de Kaboul se veut moins fermée.

Pour rappel, les États-Unis sont aujourd'hui le principal bailleur de fonds du régime taliban auquel ils ont fourni 20,7 milliards de dollars (soit 18,5 milliards d'euros) d'aide depuis trois ans26(*).

En pratique, ce sont les Nations Unies qui transfèrent aux talibans l'aide américaine directe qui est de l'ordre de 80 millions de dollars tous les 10-15 jours.

La raison majeure de cette « realpolitik » est la volonté de préserver la stabilité de l'Afghanistan et d'éviter que ce pays ne se transforme de nouveau en « sanctuaire » d'organisations terroristes qui pourraient menacer la communauté internationale.

Pour sa part, l'ONU dépend du bon vouloir des talibans pour y assurer la sûreté de ses personnels, pour y mener ses actions de soins ou de déminage en faveur des populations civiles, et pour y garantir l'acheminement de l'aide humanitaire internationale.

Voilà pourquoi l'organisation, en lien avec une vingtaine d'États parties, a décidé de mener le « processus de Doha », qui vise officiellement à discuter de l'aide à apporter à l'Afghanistan, d'investissements et de lutte contre la production de drogue. En réalité, il offre aux talibans l'opportunité de renouer avec le « concert des nations » et de donner des gages de bonne volonté pour obtenir alors une reconnaissance internationale.

Ce processus peut conduire les représentants des Nations Unies à faire des concessions aux talibans susceptibles de décrédibiliser ces discussions : en effet, lors de la dernière session d'échanges, le 30 juin dernier, à la demande de la délégation talibane, les représentants de la société civile et les femmes en ont été exclus, ce qui n'a pas manqué d'alerter les ONG.

La France, qui a fermé son ambassade à Kaboul, le 15 août 202127(*), et qui revendique une « ligne dure » à l'égard des talibans, participe à ce processus. Mais elle considère que d'éventuelles concessions unilatérales de la communauté internationale au régime taliban ne favoriseront pas son changement. M. David Martinon, ancien ambassadeur de France en Afghanistan, le résumait sans ambiguïté : « Je récuse l'idée qu'il y ait des talibans modérés à qui il faudrait parler. »28(*)

Construite sur des valeurs consacrées à l'article 2 du TUE, l'Union européenne, tout en faisant preuve de prudence (elle a en effet conservé une délégation à Kaboul), a exprimé, le 15 septembre 2021, plusieurs principes directeurs clairs pour son action à l'égard de l'Afghanistan29(*) :

- « promouvoir, protéger et respecter les droits de l'Homme, en particulier la pleine jouissance de leurs droits par les femmes et les filles, ainsi que par les enfants et par les personnes appartenant à des minorités » ;

- « permettre la mise en oeuvre d'opérations humanitaires en Afghanistan » ;

- « empêcher que l'Afghanistan serve de base à l'accueil, au financement ou à l'exportation du terrorisme vers d'autres pays » ;

- « mettre en place un gouvernement inclusif et représentatif au moyen de négociations ».

Mentionnons également les diverses résolutions adoptées par le Parlement européen30(*), dont la dernière en date, votée le 19 septembre 2024, « condamne les gouvernements qui permettent aux talibans de normaliser leurs relations. »31(*)

Dans de nouvelles conclusions adoptées le 20 mars 2023, le Conseil de l'Union européenne a souligné de nouveau la responsabilité directe des talibans dans la « dégradation spectaculaire de la situation politique, économique, humanitaire et sur le plan des droits de l'Homme, en particulier des femmes et des filles. »

Dénonçant l'institutionnalisation « de la discrimination à grande échelle et systémique fondée sur le sexe », il a :

- réaffirmé son soutien à la pleine participation de tous les Afghans, y compris les femmes et les filles, dans tous les domaines de la vie en Afghanistan ;

- précisé que l'Union européenne était prête à prendre de nouvelles mesures restrictives à l'égard du régime taliban ;

- indiqué qu'elle continuerait à « faire entendre la voix des femmes afghanes ».

La France, qui a contribué à la définition de ces lignes directrices, a ajouté à plusieurs reprises que toute avancée vers une reconnaissance éventuelle d'un régime taliban devait être précédée par des progrès sérieux d'un tel régime dans le respect des droits de l'Homme et, en particulier dans les libertés fondamentales des femmes et des filles.

C. DES ACTIONS MENÉES OU ENVISAGÉES DEVANT LES JURIDICTIONS INTERNATIONALES

1. Une enquête a été ouverte sur d'éventuels crimes contre l'humanité et crimes de guerre par le procureur de la Cour pénale internationale (CPI)

Visés par les sanctions infligées par les Nations Unies, les talibans pourraient aussi un jour avoir à rendre des comptes à la justice internationale pour leurs exactions. L'Afghanistan est en effet partie au traité constitutif de la CPI depuis 2003.

Organisation et compétences de la CPI

La Cour pénale internationale (CPI) siège à La Haye.

Le traité fondateur de la Cour, appelé le Statut de Rome, confère à la CPI une compétence à l'égard de quatre crimes principaux :

- le crime de génocide ;

- les crimes contre l'humanité ;

- les crimes de guerre ;

- le crime d'agression.

Les 18 juges de la Cour sont élus, par l'Assemblée des États parties, pour leurs compétences, leur impartialité et leur intégrité, pour un mandat de neuf ans non renouvelable. La Cour comprend aussi un procureur, organe indépendant chargé d'examiner les situations relevant de la compétence de la Cour.

En pratique, lorsque le procureur a rassemblé des éléments de preuve et désigné un suspect, le procureur demande à la Cour de délivrer à son encontre un mandat d'arrêt ou une citation à comparaître.

En comparution initiale, trois juges vérifient l'identité du suspect et les charges retenues contre lui.

Puis, lors du procès, les juges examinent tous les éléments de preuve, rendent ensuite un verdict et, en cas de verdict de culpabilité, fixent une peine. Les juges peuvent condamner une personne à une peine d'emprisonnement d'une durée maximale de 30 ans et, dans des circonstances exceptionnelles, à une peine d'emprisonnement à perpétuité.

L'accusation et la défense ont alors le droit d'interjeter appel du jugement de la Chambre de première instance (déclarant l'accusé coupable ou innocent).

L'appel est jugé par cinq juges de la Chambre d'appel, qui ne sont jamais les mêmes que ceux qui ont rendu le jugement de première instance. La Chambre d'appel décide de confirmer, modifier ou infirmer le jugement contesté.

Enfin, les peines sont purgées dans les pays qui ont accepté d'exécuter les peines de la CPI.

Le 20 novembre 2017, le procureur de la Cour pénale internationale avait demandé à pouvoir enquêter sur des crimes présumés relevant de la compétence de la CPI en lien avec la situation en République islamique d'Afghanistan. Étaient en particulier visés les crimes des talibans (qui, à l'époque, s'opposaient par la violence au gouvernement de Kaboul). 699 représentations de victimes avaient été enregistrées et transmises à la chambre préliminaire de la Cour.

Mais, le 12 avril 2019, cette dernière avait rejeté la requête, invoquant étrangement l'intérêt de la justice, en particulier, « le manque de coopération dont le procureur a(vait) bénéficié » et qui, selon elle, « risqu(ait) de se raréfier si une enquête était autorisée, entravant les chances de succès des enquêtes et des poursuites », et soulignant la nécessité pour la Cour d'utiliser ses ressources en accordant la priorité « aux activités qui auraient de meilleures chances de réussir. »

Le 5 mars 2020, la chambre d'appel de la Cour pénale internationale a décidé à l'unanimité de revenir sur ce premier jugement et d'autoriser le procureur à ouvrir une enquête pour des crimes présumés relevant de la compétence de la CPI en lien avec la situation en République islamique d'Afghanistan

Cette requête visait alors à la fois les crimes de guerre et crimes contre l'humanité commis par les talibans et par l'État islamique, mais également les éventuels crimes commis par les forces américaines.

Mais en septembre 2021, ne pouvant « plus s'attendre à des enquêtes locales authentiques et efficaces » après la prise du pouvoir par les talibans, le procureur a demandé aux magistrats de la Cour d'axer l'enquête sur les talibans et l'EI-K et de « ne plus donner la priorité » aux crimes dont on soupçonnait les forces internationales qui se sont retirées du pays. Cette décision d'enquête a été confirmée le 31 octobre 2022.

Sont visés les crimes contre l'humanité suivants : meurtre et emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté ; et les crimes de guerre suivants : meurtre, traitements cruels, atteintes à la dignité de la personne, condamnations prononcées et exécutions effectuées sans autorisation de l'autorité judiciaire compétente, attaques dirigées intentionnellement contre la population civile, des biens de caractère civil et des missions d'aide humanitaire, et exécution ou blessure par traîtrise d'un adversaire combattant.

2. Plusieurs États envisagent de saisir la Cour internationale de justice (CIJ) pour faire condamner les talibans pour violation de la Convention des Nations unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes

La Convention des Nations unies de 1979 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (ou Convention CEDEF) :

- interdit la discrimination à l'égard des femmes et demande aux États signataires d'adopter des législations afin de l'éviter ;

- prévoit que les États signataires adoptent des mesures dans tous les domaines (civil ; politique ; social ; culturel) pour assurer le progrès des femmes et promouvoir l'égalité des droits des femmes et des hommes ;

- demande aux États précités de prendre des mesures pour éliminer toutes les formes de traite des femmes et la discrimination contre elles ;

- prévoit que ces États assurent la représentation des femmes dans la vie publique, assurent le même droit à l'emploi entre hommes et femmes et le même droit à l'éducation entre filles et garçons.

Dans un protocole additionnel datant du 6 octobre 1999, l'Assemblée générale des Nations unies a prévu :

- une procédure de communication individuelle (procédure de plainte) qui permet à des femmes de soumettre des plaintes pour violation des droits garantis par la Convention, devant le comité institué pour assurer le respect de cette dernière ;

- une procédure d'enquête confidentielle, qui permet au comité d'ouvrir une enquête lorsqu'il reçoit des informations crédibles relatives à des atteintes graves ou systématiques aux droits énoncés dans la Convention.

Lors de l'Assemblée générale des Nations unies, le 25 septembre dernier, l'Allemagne, l'Australie, le Canada et les Pays-Bas ont annoncé vouloir saisir la CIJ contre l'Afghanistan depuis que le pays est dirigé par les talibans pour les multiples violations de la Convention précitée commises par ces derniers.

La Cour internationale de justice (CIJ), qui siège à La Haye (Pays-Bas) est l'organe judiciaire principal des Nations unies.

La CIJ, aujourd'hui se compose de quinze juges élus pour un mandat de neuf ans par l'Assemblée générale et le Conseil de sécurité des Nations Unies. La Cour a deux langues officielles, le français et l'anglais.

Il existe deux types de procédure devant la Cour :

- les procédures contentieuses lorsque des différends juridiques entre États lui sont soumis par ces derniers ;

- les procédures consultatives, lorsque des demandes d'avis consultatifs concernant des questions juridiques lui sont présentées par des organes ou institutions spécialisées des Nations Unies.

En signant la Charte des Nations Unies, les États membres s'engagent à se conformer à la décision de la Cour dans tout litige auquel ils sont parties.

Le rapporteur spécial de l'ONU sur les droits de l'Homme, M. Richard Bennett, a salué « un pas important vers une justice pour les crimes des talibans à l'égard des femmes et des filles. »

3. Vers la reconnaissance d'un « apartheid de genre » ?

Alors qu'elle envisage actuellement à la rédaction d'un nouveau traité qui préciserait la définition et le contenu des « crimes contre l'humanité », l'ONU a été sollicitée par un collectif de militantes des droits de l'Homme afghanes et iraniennes, soutenu par des personnalités telles que les prix Nobel de la paix Narges Mohammadi et Malala Yousafzai, pour obtenir la reconnaissance d'un crime d'apartheid de genre.

Pour rappel, « apartheid » est un mot de langue « afrikaan » (langue des descendants des Boers d'Afrique du sud) qui signifie « état de séparation ». Il désigne la doctrine politique et « raciale » des gouvernements d'Afrique du sud entre 1948 et 1991, qui visait à mettre en oeuvre une ségrégation des populations noires et à organiser un développement séparé des populations blanches et noires du pays.

En réponse à cette demande, l'ONU doit prochainement confirmer la pertinence d'un nouveau traité et se prononcer sur l'insertion dans ce texte d'une référence à « l'apartheid de genre ». Dans l'affirmative, cette commission pourrait soumettre un projet de traité à l'Assemblée générale des Nations unies ou susciter la réunion d'une conférence pour rédiger une convention internationale (cette seconde option pouvant permettre de lever les blocages de certains pays).

Inscrire ce concept juridique dans un traité obligerait les États accusés de discriminations et de violences envers les femmes à rendre des comptes.

Certains juristes spécialisés comme Mme Céline Bardet, juriste en droit international, spécialisée dans les crimes de guerre et la justice pénale internationale, soulignent cependant qu'une telle inscription serait essentiellement « symbolique », les actions de persécution des femmes pouvant déjà être poursuivies devant la Cour pénale internationale.

« Le fait de cibler une population, par exemple celle des femmes, et de les priver de leurs droits, on peut déjà le qualifier aujourd'hui de crime contre l'humanité. Ce qui se passe en Afghanistan, c'est un crime de persécutions basées sur le genre et c'est tout à fait poursuivable. »32(*)

D. L'AIDE HUMANITAIRE À L'AFGHANISTAN ET L'ACCUEIL DES RÉFUGIÉS AFGHANS

1. La poursuite de l'aide humanitaire envers et contre tout
a) Une priorité des Nations Unies...

Après la reprise du pouvoir par les talibans, la communauté internationale a décidé de venir en aide au peuple afghan en détresse. Trois ans après, l'aide humanitaire reste essentielle à l'Afghanistan.

Voilà pourquoi le Conseil de sécurité des Nations -Unies a prévu que les organismes et personnes chargés d'acheminer et de distribuer l'aide humanitaire aux Afghans ne pouvaient, pour ce motif, faire l'objet de sanctions (exemption humanitaire)33(*).

Selon le plan d'aide humanitaire de l'ONU pour l'Afghanistan en 2024, 23,7 millions d'Afghans avaient besoin de l'aide humanitaire. En pratique, l'ONU et ses agences sur place sont responsables de l'acheminement de l'aide et des négociations avec les talibans sur les choix des zones géographiques, des projets et des ONG bénéficiaires. Cette présence en Afghanistan permet aussi à la mission de l'ONU de faire respecter autant que possible les droits des Afghans et de leur apporter directement l'aide humanitaire disponible, par l'action de son bureau de coordination pour les affaires humanitaires (OCHA).

Le plan pour 2024 a pour objectif de secourir les 17,3 millions de personnes les plus exposées aux risques de malnutrition, aux problèmes d'accès aux soins... Ces personnes doivent ainsi pouvoir bénéficier d'une aide alimentaire et/ou de mise à disposition d'eau potable, de dispositifs d'assainissement de l'eau, de sanitaires et équipements d'hygiène, de médicaments et de soins, ou encore de soutien à leur éducation (matériel scolaire ; paiement des enseignants...).

Pour financer ce plan, en septembre dernier, l'ONU recherchait toujours 3,06 milliards de dollars de financement.

b) ... de l'Union européenne...

Dans ce cadre, l'Union européenne a fourni près de 1,2 milliard d'euros d'aide humanitaire à l'Afghanistan depuis 2021. Selon le Conseil de l'Union européenne, cette aide humanitaire doit répondre à trois objectifs : fournir une aide vitale ; assurer l'accès aux services de base ; renforcer la résilience de la population face aux crises.

Pour 2024, l'Union européenne a financé des projets d'une valeur de plus de 125,5 millions d'euros, dont un train de mesures de soutien de 4,5 millions d'euros à la suite des tremblements de terre mortels survenus en octobre 2023. Le financement de 2024 continue de fournir une aide d'urgence essentielle aux plus vulnérables.

L'Union européenne a aussi transporté plus de 1 600 tonnes de produits de première nécessité par 35 vols dans le cadre du pont aérien humanitaire mis en place à destination de Kaboul depuis août 2021.

Les interventions de l'Union européenne sont axées sur l'aide alimentaire d'urgence, les soins de santé et l'alimentation, l'éducation en situation d'urgence, l'accès à l'eau potable, les installations d'hygiène et d'assainissement, la fourniture d'abris et de produits non alimentaires, et les services de protection, y compris les activités de déminage.

c) ...et pour la France

Pour la France également, la poursuite de l'aide humanitaire au peuple afghan est une priorité politique.

Comme le rappelait aux rapporteurs M. Timothée Truelle, sous-directeur Asie méridionale à la direction « Asie-Océanie » du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, depuis trois ans, la France soutient plusieurs initiatives d'intérêt général en Afghanistan (pour un montant de 160 millions d'euros), portées en pratique par des ONG françaises, les agences de l'ONU ou des organisations internationales, la France veillant à ce que cette aide ne transite pas par les talibans.

Parmi les initiatives soutenues par la France, on peut citer :

-l'hôpital français « de la mère et de l'enfant » de Kaboul, qui, à l'heure actuelle, est dirigé par l'ONG « la Chaîne de l'Espoir » et qui constitue le seul plateau médical adapté aux interventions gynécologiques et pédiatriques complexes (réanimations...) ;

-les programmes de Handicap international, essentiels dans un pays où les personnes handicapées sont nombreuses et souvent laissées à elles-mêmes. En 1996, l'association a construit un centre de réadaptation destiné aux personnes handicapées, notamment aux victimes de mines, à Kandahar. Ce centre fournit des services de kinésithérapie, et abrite un atelier de fabrication de prothèses et d'orthèses. Handicap international développe aussi un soutien aux droits des personnes handicapées sur place, une sensibilisation au danger des mines et des services de réadaptation d'urgence à domicile ;

-les projets de Bibliothèques sans frontières, qui propose des supports de cours dématérialisés aux jeunes Afghans ;

-Radio Begum, radio fondée par Mme Hamida Aman, qui émet à Kaboul, et qui est une animée par des journalistes femmes et pour les femmes afghanes. Cette radio, qui est aujourd'hui très écoutée par la population, propose des heures d'enseignement, ainsi que des conseils médicaux et du soutien psychologique. En complément, une télévision, Begum TV, diffuse ses programmes depuis Paris depuis plusieurs mois.

d) Les critères de délivrance de l'aide selon la France et l'Union européenne

La France et l'Union européenne ont décidé d'acheminer exclusivement de l'aide humanitaire et de l'aide aux besoins essentiels. Cette aide est conditionnée à certaines exigences : elle doit être délivrée par l'intermédiaire de partenaires humanitaires sur le terrain ; son financement doit respecter rigoureusement les principes humanitaires d'indépendance, d'impartialité et de neutralité afin qu'elle parvienne aux Afghans qui en ont le plus besoin ; elle doit obéir à la règle : « une aide par et pour les femmes ».

En revanche, l'aide au développement de l'Afghanistan est suspendue, en lien avec le non-respect par les talibans des 5 critères définis par la résolution 2593 du Conseil de sécurité de l'ONU (en date du 30 août 2021) :

1) la levée des entraves pour celles et ceux qui veulent quitter le pays ;

2) l'accès libre et sécurisé de l'aide humanitaire sur le territoire afghan ;

3) le respect des droits humains, en particulier des droits des femmes et des filles ;

4) la formation d'un gouvernement représentatif des différentes composantes de la société afghane, en particulier en termes ethnico-religieux et de genre ;

5) la lutte contre le terrorisme et la rupture de tout lien avec les groupes terroristes tels qu'Al-Qaida.

e) Une vigilance nécessaire contre les détournements de l'aide

Malgré ces précautions, le risque de détournement de l'aide humanitaire n'est pas nul. Selon Mme Shoukria Haidar, présidente du collectif NEGAR34(*) : les bailleurs internationaux doivent veiller à l'utilisation effective de l'aide humanitaire, « car plus on aide l'Afghanistan, plus on consolide les talibans. »

Le rapport 2023 de l'inspecteur général spécial des États-Unis pour la reconstruction de l'Afghanistan (SIGAR) daté du 30 octobre 2023 confirme ce risque au sujet des programmes d'aide éducative aux jeunes afghans : les talibans détournent une part des financements internationaux en prélevant une taxe sur les salaires des enseignants et en créant des ONG pour administrer les fonds des bailleurs. Le rapport évoque également des détournements de médicaments et de nourriture35(*).

Aussi semble-t-il nécessaire, pour la France et l'Union européenne, de renforcer le contrôle de l'acheminement de leur aide humanitaire.

2. L'accueil des réfugiés afghans

Avant même la reprise du pouvoir par les talibans, une politique d'accueil privilégié des demandeurs d'asile afghans a été mise en place en France et dans l'Union européenne

À la suite du retour des talibans à Kaboul, le 15 août 2021, la France et l'Union européenne ont pris leur part dans l'accueil des réfugiés afghans.

La politique d'asile

La France dispose d'une longue tradition de droit d'asile pour les ressortissants étrangers victimes de persécutions politiques. Ce droit a une valeur constitutionnelle, l'alinéa 4 du Préambule de la Constitution de 1946 affirmant que « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur le territoire de la République. »

De plus, tout comme les autres États membres de l'Union européenne, la France est signataire de la Convention de Genève du 27 juillet 1951, qui donne une définition internationale des « réfugiés ». Un réfugié est défini comme celui qui « en raison de la crainte bien établie d'être persécuté pour des raisons de race, religion, nationalité, appartenance à un groupe social particulier ou pour des raisons d'opinion politique, se trouve hors du pays dont il est citoyen ou qui, en raison d'une telle crainte, évite de se prévaloir de la protection de ce pays ; ou encore qui, étant apatride et se trouvant hors du pays de sa résidence habituelle, antérieure, ne peut pas y retourner ou qui, en raison de ses appréhensions, ne souhaite pas le faire. »

Enfin, la politique d'asile est une compétence partagée entre États membres et Union européenne, aux termes de l'article 78 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Elle vient d'être actualisée au niveau européen dans le cadre Nouveau pacte sur la migration et l'asile, adopté début 2024 et applicable en juin 2026.

Ainsi, concernant la France, un programme d'évacuation depuis Kaboul a été mis en place entre le 17 août et le 28 août 2021, permettant le rapatriement de 2805 personnes sur 15 vols. Puis, des évacuations supplémentaires ont eu lieu depuis les pays limitrophes (essentiellement le Pakistan et l'Iran). Dans le cadre de cette opération, 3023 personnes sont arrivées sur le territoire français.

Deux ans plus tard, en 2023, les arrivées de ressortissants afghans se poursuivaient dans l'Union européenne : selon le Ministère des affaires étrangères, en trois ans, plus de 17 000 Afghans et Afghanes menacés en raison de leur lien avec la France ou de leur engagement ont été accueillis sur le sol français.

Selon l'agence Frontex, les ressortissants afghans constituent, sur les huit premiers mois de 2024, les plus nombreux dans les franchissements irréguliers des frontières extérieures de l'Union européenne avec les ressortissants syriens et maliens.

Des opérations « d'évacuations » officielles de ressortissants afghans ont continué à être planifiées par certains États membres, comme l'Allemagne. À la suite de la mise en place de la coalition fédérale entre le SPD (sociaux-démocrates), les Verts et les Libéraux en Allemagne, le gouvernement allemand a programmé en 2023, de faire sortir 40 000 personnes d'Afghanistan, dont 28 000 ayant travaillé avec l'armée allemande ou des ONG allemandes.

En pratique, les ressortissants afghans (663 999 en 2023) font toujours partie des principales nationalités de réfugiés accueillis dans l'Union européenne, derrière les Ukrainiens (5,5 millions ; ces derniers bénéficiant d'un statut spécifique de protection temporaire dans les 27 États membres depuis l'agression russe du 22 février 2022) et les Syriens (1,3 million).

Nombre de premières demandes d'asile de ressortissants afghans (Union européenne et Norvège, 2020-2023)

Année

Nombre de demandes enregistrées (total UE+ Norvège)

Nombre de demandes enregistrées (France)

2020

44 340 (10,6 % du total des demandes)

10 166

2021

84 670 (15,8 % du total des demandes)

14 475

2022

114 350 (13 % du total des demandes)

17 103

2023

101 190 (9,6 % du total des demandes)

17 750

Total 2020-2023

344 550

59 494

Sources : rapport annuel sur la migration et l'asile 2023, Eurostat et réseau européen de la migration (EMN), juillet 2024 ; rapports d'activité de l'OFPRA 2020 à 2023.

L'Afghanistan est le premier pays de provenance des demandeurs d'asile en France depuis 2018. Notre pays est le deuxième État membre de l'Union européenne pour l'accueil des réfugiés afghans, après l'Allemagne.

En France, la part des femmes parmi ces demandeurs demeure stable autour de 20 %. Par ailleurs, les jeunes Afghans constituent la majorité des mineurs étrangers non accompagnés entrant en France (60,8 % du total en 2023).

En pratique, au 31 décembre 2023, la France accordait sa protection à 599 436 bénéficiaires de l'asile, dont 9 % de ressortissants afghans (53 949 personnes).

La répartition des réfugiés afghans dans l'Union européenne est inégale, l'Allemagne, la France et la Grèce recueillant le plus grand nombre de demandes.

Cet accueil peut susciter des tensions, comme aujourd'hui en particulier en Allemagne. Les communes qui accueillent les réfugiés se plaignent en effet de la charge financière croissante liée à leur accueil. Par ailleurs, dans un contexte politique de succès électoraux du parti d'extrême-droite et anti-immigration Alternative für Deutschland (AFD) mais aussi d'attentats commis récemment par des ressortissants étrangers, le gouvernement allemand a décidé de durcir sa politique migratoire et de l'asile. Le 30 août dernier, il a ainsi procédé, pour la première fois depuis le retour des talibans, à l'expulsion de 28 ressortissants afghans condamnés pour des crimes par la justice allemande.

3. Deux jugements importants de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) qui pourraient faciliter l'octroi du statut de réfugié aux femmes afghanes dans les États membres

C'est dans ce contexte que la CJUE a rendu deux jugements importants pour la protection des femmes afghanes dans les États membres de l'Union européenne.

Le premier jugement, rendu le 16 janvier 202436(*), concernait une « ressortissante turque d'origine kurde, de confession musulmane et divorcée » qui avait introduit une demande de protection internationale en Bulgarie, affirmant craindre pour sa vie si elle retournait en Turquie. En l'espèce, la Cour a rappelé :

- que la directive 2011/95/UE prévoyait l'octroi du statut de réfugié à tout ressortissant d'un pays tiers dans les cas de persécution à raison de la race, de la religion, de la nationalité, des opinions politiques ou de l'appartenance à un certain groupe social ;

- que cette directive devait être interprétée dans le respect de la Convention d'Istanbul qui reconnaît la violence à l'égard des femmes comme une forme de persécution ;

- que les femmes pouvaient dans leur ensemble, être regardées comme un « groupe social » au sens de cette directive.

En France, la Cour nationale du droit d'asile (CNDA)37(*) a tiré rapidement les conséquences de ce jugement pour les femmes afghanes demandant l'asile en France. Relevant que les femmes afghanes faisaient l'objet depuis août 2021, en Afghanistan, d'atteintes à leurs droits fondamentaux, en particulier leur droit à la santé, à l'éducation et leur liberté d'aller et venir, et qu'elles étaient « perçues de manière différente par la société afghane », la Cour a estimé qu'elles appartenaient à un « groupe social » victime d'actes de persécution et devaient être protégées.

Elle en a conclu que les femmes afghanes refusant de subir ces actes de persécution du seul fait qu'elles sont de sexe féminin, étaient fondées à obtenir le statut de réfugiés.

Le second jugement de la CJUE a été rendu le 4 octobre 202438(*) sur saisine de la Cour administrative autrichienne, concernant la situation de deux femmes afghanes qui contestaient le refus, par les autorités autrichiennes, de leur reconnaître le statut de réfugié.

La CJUE a d'abord établi qu'un « mariage forcé » et « l'absence de protection contre les violences fondées sur le sexe et les violences domestiques », constituaient des actes de persécution.

Elle a ensuite affirmé que lorsqu'elles procèdent à l'examen individuel d'une demande d'asile d'une femme de nationalité afghane, les autorités compétentes des États membres pouvaient considérer qu'il n'est pas nécessaire d'établir que la demandeuse risque effectivement et spécifiquement de faire l'objet d'actes de persécution en cas de retour dans son pays d'origine. La seule prise en considération de sa nationalité et de son sexe sont alors suffisantes.

Cette jurisprudence pourrait faciliter l'octroi du statut de réfugié aux femmes afghanes qui se présenteront dans les 27 États membres de l'Union européenne.

Précisons que, pour la France, les changements issus de ces jugements seraient minimes. En effet, si le taux de protection qu'elle octroie à l'ensemble des Afghans demandeurs d'asile est de 69,3 % [soit plus de deux fois le taux moyen toutes nationalités confondues], pour les femmes, il est déjà proche de 100 % (96 %) sur les sept premiers mois de 2024.

Il est difficile de savoir si cette décision est susceptible d'entraîner un mouvement plus important de femmes afghanes vers l'Union européenne. En effet, malgré ces jugements de la justice européenne, la liberté de circulation des femmes afghanes est entravée car elles sont aujourd'hui dans l'impossibilité pratique de quitter l'Afghanistan.

Enfin, les ONG attachées à l'avenir de l'Afghanistan s'interrogent sur un paradoxe : si, à titre individuel, le sort des femmes afghanes est meilleur lorsqu'elles quittent leur pays, ce départ est souvent définitif et a aussi pour conséquence de vider l'Afghanistan de ses « forces vives ».

***

III. LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE N° 762 DÉPOSÉE PAR M. PASCAL ALLIZARD ET LA POSITION DE VOTRE COMMISSION

A. LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE N° 762 : CONDAMNER LES ABUS DU RÉGIME TALIBAN CONTRE LES FEMMES ET INCITER LA FRANCE ET L'UNION EUROPÉENNE À RENFORCER LEUR ACTION POUR CES DERNIÈRES

Déposée le 17 septembre 2024 par Pascal Allizard et cosignée depuis par de nombreux sénateurs de tous bords, cette proposition de résolution européenne a deux objectifs complémentaires :

- en premier lieu, condamner sans ambiguïté la politique « d'invisibilisation des femmes » du régime taliban ;

- en second lieu, demander au Gouvernement et à ses partenaires européens de « prendre des mesures appropriées contre les atteintes aux droits fondamentaux des femmes en Afghanistan commises par le régime des talibans ».

1. La condamnation de la politique d'invisibilisation systématique des femmes afghanes

À ce titre, la proposition de résolution :

- dénonce le non-respect par l'Afghanistan de ses « obligations internationales les plus élémentaires » relatives aux droits de l'Homme, en particulier aux droits des femmes et des filles, et la « politique assumée d'invisibilisation des femmes afghanes », condamnées de ce fait à la misère, à l'analphabétisme, au silence et à l'enfermement domestique ;

- condamne à titre principal, « les abus systématiques et systémiques à l'encontre des femmes et des filles afghanes », en précisant qu'ils sont susceptibles de « constituer une persécution fondée sur le genre, crime contre l'humanité au sens du statut de Rome de la Cour pénale internationale, auquel l'Afghanistan est partie » ;

- condamne, à titre accessoire, le non-respect par les talibans de leurs propres engagements d'ouverture pris en août 2021, et l'indifférence du régime de Kaboul à l'égard « des observations formulées par la communauté internationale ».

2. Une demande d'actions appropriées pour mettre fin au drame des femmes afghanes

Sur la base des condamnations précitées, la proposition de résolution européenne invite le Gouvernement français et ses partenaires européens :

-à examiner « toute action supplémentaire concourant à faire cesser les violations graves et répétées des droits des femmes en Afghanistan » ;

-à examiner également les possibilités de saisir la Cour pénale internationale des « potentiels crimes contre l'humanité commis par des personnes ayant contribué à l'édiction et à la mise en oeuvre des mesures officielles discriminatoires à l'encontre des femmes en Afghanistan » ;

-à intensifier l'action humanitaire internationale en Afghanistan essentielle à la survie d'une grande partie de la population.

B. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : SOUTENIR ET APPROFONDIR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE N° 762

1. Soutenir la proposition de résolution européenne

La commission des affaires européennes souhaite d'abord souligner l'intérêt et l'urgence de la proposition de résolution européenne n° 762 afin de rappeler l'urgence de la situation des femmes et des filles afghanes.

Dans ces heures difficiles, le Sénat doit en effet de nouveau se trouver à leurs côtés. Elle se félicite du large soutien de sénateurs de tous les groupes politiques à cet impératif.

2. Approfondir ses recommandations
a) Réaffirmer sans ambiguïté le principe d'égalité entre les hommes et les femmes

La commission des affaires européennes souhaite réaffirmer le caractère universel et non négociable du principe d'égalité entre les hommes et les femmes en tête des recommandations de la proposition de résolution.

Comme le rappelle l'article premier de la Déclaration universelle des droits de l'Homme du 10 décembre 1948, « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. »

Pour rappel également, ce principe d'égalité était inscrit dans la Constitution afghane du 26 janvier 2004.

En complément, elle souhaite insérer parmi les visas de la proposition, une référence explicite aux textes européens pertinents, à savoir la Charte européenne des droits fondamentaux39(*) et l'article 2 du traité sur l'Union européenne (TUE), relatif aux valeurs de l'Union européenne40(*).

b) Saluer le courage des femmes et des filles afghanes,

Dans un considérant de principe, la commission des affaires européennes propose de saluer le courage des femmes et des filles afghanes, dont la liberté et, parfois, la vie, sont menacées par la politique de discrimination et les violences du mouvement taliban. Simultanément, ces femmes, par des initiatives concrètes, se battent pour vivre et parfois, pour survivre, continuant à travailler, à apprendre et à enseigner.

c) Veiller à la protection de l'enfance

La commission des affaires européennes souhaite aussi attirer l'attention sur le sort des enfants. Ces derniers, du fait de la malnutrition, d'un accès aux soins difficile, et des violences pouvant être commises contre leur famille, souffrent de carences alimentaires, de peur et de troubles psychologiques.

Enfin, jeunes filles et jeunes garçons sont désormais souvent enrôlés dans des « madrasas » de plus en plus nombreuses où les talibans les « rééduquent » pour leur inculquer leur vision du monde faite de légitimation de la violence, de défiance contre tout ce qui est étranger, et d'infériorité de la femme.

Si la communauté internationale ne réagit pas, leur classe d'âge sera perdue et la communauté internationale pourrait faire face à une nouvelle génération d'adultes endoctrinés et violents.

d) Indiquer clairement la responsabilité des talibans dans les malheurs actuels de l'Afghanistan

La commission des affaires européennes propose de remplacer les mentions de l'« Afghanistan » et des « autorités afghanes » par celle de « talibans » dans la proposition, afin d'affirmer sans ambiguïté que ces derniers, qui ont repris le pouvoir par la force en août 2021 en suspendant l'application de la Constitution afghane de 2004 et en chassant les autorités élues, sont bien les responsables des crimes et des actes de persécution commis à l'heure actuelle dans le pays.

e) Confirmer la pertinence de la position de la France

Pour les raisons déjà évoquées, la commission des affaires européennes du Sénat souhaite confirmer la pertinence de la position diplomatique - délicate - de la France, à savoir, poursuivre le soutien au peuple afghan tout en refusant toute reconnaissance internationale du régime taliban.

Comme déjà précisé, le soutien au peuple afghan se manifeste par un appui important à l'Afghanistan dans le domaine de l'aide humanitaire. Il se traduit aussi par l'accueil de nombreux opposants et de femmes afghanes dans notre pays et par l'organisation d'initiatives diplomatiques, universitaires... pour informer et alerter sur la situation actuelle.

Le refus d'une reconnaissance internationale signifie que la France ne doit pas accepter de lettres de créance d'un délégué des talibans envoyé comme « ambassadeur » à Paris et simultanément, ne pas désigner un nouvel ambassadeur à Kaboul tant que le mouvement taliban et sa politique de répression sont en place. Les nécessaires contacts informels, qui sont l'essence de la diplomatie et peuvent répondre à des urgences, relèvent de l'équipe « afghane » du ministère de l'Europe et des affaires étrangères et de son chargé d'affaires en poste à Doha.

f) Demander à la France et à l'Union européenne de soutenir toutes les actions contre la répression des talibans devant les juridictions internationales

La commission des affaires européennes partage la volonté des auteurs de la proposition que justice soit rendue concernant les crimes subis par les femmes afghanes : il importe de traduire les actes de répression commis par les talibans devant la Cour pénale internationale. Elle propose de rappeler à cet égard qu'une enquête du procureur de la Cour sur ces crimes a été ouverte en mars 2020 et confirmée en 2022.

Elle appelle aussi à s'intéresser aux autres procédures contentieuses possibles, comme celle envisagée par plusieurs États devant la Cour internationale de justice.

g) Veiller à l'acheminement de l'aide humanitaire internationale

Soucieuse d'accentuer l'aide humanitaire internationale vers l'Afghanistan, la commission des affaires européennes souhaite que cette aide bénéficie non seulement à la capitale, mais aussi à l'ensemble des provinces, ainsi qu'aux initiatives concrètes des femmes afghanes pour conserver une marge de liberté et pouvoir vivre. Elle insiste auprès du Gouvernement et de ses partenaires européens sur l'importance de veiller à ce que l'essentiel de cette aide parvienne bien à la population et ne serve pas à conforter les talibans.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires européennes, réunie le jeudi 17 octobre 2024, a engagé le débat suivant :

M. Jean-François Rapin, président. - Nous examinons la proposition de résolution européenne (PPRE) n° 762 déposée le 17 septembre par notre collègue Pascal Allizard et cosignée par de nombreux collègues sur tous les bancs, concernant les atteintes aux droits fondamentaux des femmes en Afghanistan commises par le régime des talibans. La condition des femmes est si terrible en Afghanistan que la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a jugé il y a deux semaines que toute femme afghane peut prétendre au statut de réfugié dans l'Union européenne. Nous avons confié à nos collègues Elsa Schalck et Audrey Linkenheld le soin de nous présenter un rapport sur cette PPRE. Je vous propose de les écouter.

Mme Elsa Schalck, corapporteure. - La proposition de résolution européenne n° 762, déposée le 17 septembre dernier par notre collègue Pascal Allizard et cosignée par des collègues de l'ensemble des groupes politiques, lance un cri d'alarme sur la situation des femmes afghanes.

Je commencerai par présenter de manière très synthétique la situation actuelle de l'Afghanistan et la politique de répression des femmes menée par les talibans. Puis Audrey Linkenheld vous présentera les principales dispositions de la proposition de résolution européenne et les réflexions qui nous ont conduites à la préciser.

Quelle est la situation des femmes afghanes aujourd'hui ? Elle est tout d'abord celle de tous les Afghans, confrontés à de lourdes difficultés économiques, à une crise humanitaire et à des violences quotidiennes. Depuis le retour des talibans au pouvoir à Kaboul, en août 2021, les structures institutionnelles et administratives ont été fragilisées ou supprimées, un régime de sanctions internationales a limité la circulation de liquidités et le PIB s'est effondré de 30 % entre 2021 et 2022, sans compter une succession dramatique de catastrophes naturelles - séismes, inondations, sécheresse. En conséquence, le pays vit « sous perfusion » de l'aide humanitaire avec 23,7 millions d'Afghans - sur 42 millions - qui ont besoin d'une telle aide pour vivre et 67 % d'entre eux qui ont des difficultés d'approvisionnement en eau. De plus, si les talibans affirment avoir ramené la paix dans le pays, l'Afghanistan est marqué par leurs violences. En effet, ceux qui ne respectent pas leurs décrets sont menacés, font l'objet d'arrestations arbitraires et peuvent faire l'objet d'actes de tortures.

En plus de cette situation générale dégradée, les femmes afghanes subissent une politique « d'effacement de l'espace public », assumée par les talibans. Elles n'ont plus le droit d'occuper un emploi public - alors qu'elles représentaient 21 % des agents de l'État afghan avant 2021. Elles ne peuvent plus travailler dans les ONG ni pour l'ONU. Les jeunes filles âgées de plus de 12 ans sont privées d'enseignement secondaire et supérieur, droit dont elles bénéficiaient pourtant depuis 1947. Selon l'agence ONUfemmes, cette interdiction se traduit par le fait que les jeunes filles travaillent 12 heures par jour dans des ateliers de confection et que l'on constate une hausse de 25 % des mariages d'enfants, une hausse de 45 % des grossesses précoces et une augmentation de 50 % des mortalités maternelles. La pratique d'activités sportives et l'accès aux parcs et jardins publics sont également prohibés aux femmes. Et elles doivent être accompagnées d'un « tuteur » masculin lorsqu'elles sortent de leur domicile. Ces mesures répressives ont encore été renforcées en août dernier par une loi dite de « promotion de la vertu et de répression du vice » qui a contraint les femmes afghanes à se couvrir intégralement le corps et le visage, ce qui comprend le port d'un masque de type « anticovid », et à se voir interdire de faire entendre leur voix en public.

M. Volker Türk, haut-commissaire des Nations unies aux droits de l'Homme, a ainsi exprimé sa « répugnance » à l'égard de ces mesures, en septembre dernier. Et toujours en septembre, l'actrice américaine Meryl Streep, déclarait devant l'ONU alors qu'elle accompagnait une délégation de femmes afghanes, « un écureuil a plus de droits qu'une fille en Afghanistan aujourd'hui parce que les parcs publics ont été fermés aux femmes et aux filles par les talibans. »

Ces mesures discriminatoires ont aussi des effets néfastes sur les enfants afghans, qui subissent directement les privations, les discriminations et les violences faites à leurs mères. Dans un rapport d'avril dernier, l'Unicef recensait 12,3 millions d'enfants nécessitant un besoin d'aide humanitaire et indiquait qu'elle apportait un soutien psychosocial à 671 000 enfants, parents et soignants. En outre, les talibans diffusent leur vision de la charia aux jeunes enfants, aux jeunes garçons bien sûr mais aussi parfois aux jeunes filles, dans des milliers de « madrasas ».

Heureusement, les règles édictées par les talibans sont plus ou moins bien appliquées selon les provinces. Ainsi, dans certains cas, à Kaboul comme dans les villages. Les femmes afghanes et leurs proches mettent en place des stratégies de contournement discret des règles, parfois en ayant recours à des « arrangements » avec les responsables locaux pour atténuer la répression et continuer à vivre. De plus, les femmes peuvent continuer à travailler dans le secteur privé. Certaines d'entre elles tiennent des stands dans les marchés. Et elles se formeraient à nouveau aux pratiques médicales. Mme Hamida Aman, fondatrice de Radio Begum, radio à destination des femmes afghanes émettant depuis Kaboul, confirme que sa radio est animée par une trentaine de femmes journalistes. Parfois, ce sont même les talibans qui viennent requérir les femmes, à l'exemple de ces femmes professeurs qui sont appelées pour enseigner aux jeunes garçons, faute de personnel masculin en nombre suffisant.

Face à cette situation, quelle est la réponse de la France et de l'Union européenne ?

La plupart des actions de la France et de l'Union européenne s'inscrivent dans le cadre des Nations Unies, dont les agences sont toujours présentes sur le terrain afghan et aident des millions d'Afghans au quotidien : on peut mentionner la mission d'assistance de l'ONU à l'Afghanistan, les rapporteurs spéciaux sur les droits de l'Homme, l'agence ONUfemmes ou encore l'Unicef, pour les enfants.

Ensuite, la communauté internationale a largement condamné la situation des femmes en Afghanistan. À titre d'exemple, le 15 août dernier, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères condamnait « les violences intolérables des droits des femmes et des filles par les talibans ». Le 26 août dernier, le Haut-représentant de l'Union européenne pour la politique étrangère et de sécurité commune, M. Josep Borrell, a demandé instamment aux talibans de « mettre un terme à ces abus systématiques et systémiques à l'encontre des femmes et des filles afghanes. »

La communauté internationale a aussi choisi de mettre en oeuvre une politique de sanctions à l'égard des responsables talibans, qui sont qualifiés « d'autorités afghanes de fait » par l'ONU et ne bénéficient pas d'une reconnaissance internationale. Ce régime de sanctions, fondé sur des résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU, et, pour l'Union européenne, sur des décisions du Conseil de l'Union européenne, prévoit le gel des avoirs des talibans, et leur impose interdiction de voyager ainsi qu'un embargo sur les armes. Enfin, une enquête est ouverte contre les talibans par le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) - lequel est compétent pour poursuivre les crimes de génocide, de crime contre l'humanité et de crimes de guerre.

Malgré ces sanctions et cette enquête, la position d'un certain nombre d'États à l'égard des talibans se veut plus modérée depuis trois ans par souci de « realpolitik », le plus souvent pour s'assurer de la stabilité de l'Afghanistan, afin d'éviter que le pays soit de nouveau un « sanctuaire » d'organisations terroristes. C'est pourquoi l'ONU a organisé un dialogue entre une vingtaine d'États et les talibans, dans le cadre du « processus de Doha », dont la troisième rencontre a eu lieu en juin dernier.

Dans ce contexte, la France et l'Union européenne conservent une position de fermeté conciliant soutien au peuple afghan et refus de reconnaissance des talibans. Le soutien au peuple afghan passe par l'aide humanitaire, qui, comme le rappelle la diplomatie française, est inconditionnelle. Cette aide doit être délivrée par des partenaires humanitaires fiables, guidée par les principes d'indépendance, d'impartialité et de neutralité, et elle doit bénéficier aux femmes. L'Union européenne a ainsi fourni près d'1,2 milliard d'euros d'aide humanitaire à l'Afghanistan depuis août 2021. La France, elle, a déboursé 160 millions d'euros, pour soutenir des projets d'intérêt général comme l'hôpital de la mère et de l'enfant de Kaboul, géré par l'association la Chaîne de l'Espoir, Radio Begum, ou encore les actions de Handicap international, qui offrent de la kinésithérapie, assurent le fonctionnement d'un atelier de prothèses et défendent les droits des personnes handicapées.

Le soutien aux femmes afghanes a conduit aussi la France et l'Union européenne à accueillir celles d'entre elles qui sont menacées en Afghanistan. Dès la chute de Kaboul en août 2021, la France et l'Union européenne ont lancé des programmes d'évacuation de ressortissants afghans. Après l'Allemagne, notre pays est le deuxième État membre de l'Union européenne pour l'accueil des réfugiés afghans. Et depuis 2018, l'Afghanistan est le premier pays de provenance des demandeurs d'asile en France. En trois ans, 17 000 Afghans et Afghanes qui étaient menacés en raison de leur lien avec la France ou leur engagement ont été accueillis sur le sol français et, au 31 décembre de cette même année, environ 53 000 ressortissants afghans bénéficiaient de la protection de la France. Parmi les ressortissants afghans accueillis, environ 20 % sont des femmes.

Le 16 janvier dernier, la CJUE a rendu un arrêt important, considérant les femmes comme un « groupe social » susceptible d'être victime de persécutions. En France, en juillet dernier, la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) a tiré les conséquences de cette jurisprudence en estimant que les femmes afghanes faisaient partie d'un « groupe social » persécuté et étaient fondées pour cela à demander le statut de réfugié. Le 4 octobre dernier, la CJUE a précisé que lorsqu'un État membre examinait la demande d'asile d'une femme afghane, il n'était pas obligé de vérifier si elle risquait de faire l'objet de persécutions dans son pays, mais pouvait prendre exclusivement en considération sa nationalité et son sexe. Cet arrêt pourrait favoriser l'arrivée de femmes afghanes dans l'Union européenne. Cependant, le taux de protection accordé aux femmes afghanes en France est déjà très élevé. Simultanément, les femmes afghanes sont aujourd'hui dans l'impossibilité pratique de quitter l'Afghanistan.

Mme Audrey Linkenheld, corapporteure. - Il me revient de vous présenter la proposition de résolution européenne déposée par Pascal Allizard, et les compléments que nous souhaitons lui apporter. Cette proposition a été co-signée par un grand nombre de groupes politiques et je pense qu'elle pourrait être présentée en séance publique.

Cette proposition a deux objectifs complémentaires.

En premier lieu, elle condamne sans ambiguïté la politique « d'invisibilisation » des femmes menée par les talibans qui se traduit par des « abus systématiques et systémiques à l'encontre des femmes et des filles afghanes » et dénonce le non-respect des obligations internationales de l'Afghanistan qui en résulte. Elle rappelle que ces abus sont susceptibles de « constituer une persécution fondée sur le genre, crime contre l'humanité au sens du statut de Rome de la Cour pénale internationale », auquel l'Afghanistan est partie depuis 2003, c'est l'alinéa 39 de la PPRE.

En second lieu, la proposition de résolution demande au Gouvernement d'examiner, en lien avec ses partenaires de l'Union européenne, « toute action supplémentaire concourant à faire cesser les violations graves et répétées des droits des femmes en Afghanistan. » Nous ne sommes pas entrées dans les détails de ce que pourraient être d'éventuelles actions supplémentaires utiles en faveur des femmes afghanes. Au regard du court délai qui nous a été imparti pour analyser la proposition et l'ensemble des mesures déjà en vigueur, l'identification de telles actions semble difficile. Il convient déjà d'assurer toute leur efficacité aux mesures en vigueur. En outre, l'issue de l'élection présidentielle américaine aura un impact important sur l'évolution du dossier afghan.

La proposition de résolution européenne n° 762 invite le Gouvernement à examiner également la possibilité de saisir la Cour pénale internationale (CPI) de « potentiels crimes contre l'humanité ». Elle lui demande enfin d'intensifier l'aide humanitaire pour soutenir le peuple afghan. Si la France est au deuxième rang pour l'accueil de femmes afghanes, elle dispose encore, tout comme l'Union européenne, d'une marge de progrès quant au niveau de l'aide humanitaire accordée.

Nous avons pu procéder à plusieurs auditions de fond, comme celles de M. Timothée Truelle, sous-directeur Asie méridionale au ministère de l'Europe et des affaires étrangères, de la représentation permanente de la France à Bruxelles, de Mme Shoukria Haidar, du collectif Negar, et de Mme Hamida Aman, fondatrice de Radio Begum et de Begum TV, médias installés respectivement à Kaboul et à Paris dans le 18e arrondissement, dont les émissions sont destinées aux femmes afghanes.

Ces auditions ont confirmé la pertinence de la proposition de résolution européenne déposée. C'est pourquoi notre rapport vise d'abord à lui apporter le soutien de notre commission.

Nous avons aussi souhaité préciser ou approfondir la proposition de résolution par plusieurs amendements.

Nos ajouts concernent d'abord la présentation de la proposition : le texte examiné étant une proposition de résolution européenne, il nous a semblé pertinent d'ajouter des références à la charte européenne des droits fondamentaux et à l'article 2 du traité sur l'Union européenne, relatifs aux valeurs de l'Union européenne, dans les visas de la proposition (alinéas 6 et 7 nouveaux).

Nos suggestions portent aussi sur le contenu de la proposition. En premier lieu, nous vous proposons de réaffirmer le caractère universel des droits de l'homme et du principe d'égalité entre les femmes et les hommes (alinéa 29 nouveau). Pour rappel, ce principe d'égalité était inscrit dans la Constitution afghane du 26 janvier 2004, qui a été écartée par les talibans en août 2021. Il ne faut pas oublier que les femmes avaient plus de droits avant 2021.

En deuxième lieu, nous avons choisi, dès que cela se justifie, de mentionner « les talibans » et non l'Afghanistan lorsque la proposition de résolution définit les responsables des persécutions actuelles à l'égard des femmes afghanes (alinéas 30, 33, 36, 38, 40, 41 et 42 nouveaux).

En troisième lieu, il nous apparaît important de saluer, dans un considérant de principe, le courage de ces femmes et de ces filles afghanes, dont la liberté et, souvent, la vie, sont menacées par la politique de discrimination et les violences du mouvement taliban (alinéa 34 nouveau). Les images et les récits de violence et de mort que nous entendons au sujet de l'Afghanistan passent trop souvent sous silence le fait que des femmes et filles essaient de résister au quotidien, que des femmes travaillent encore et qu'elles sortent parfois encore seules à Kaboul et dans certains villages. Nous voulons saluer leur courage et leur détermination. Autre exemple, Radio Begum, composée de journalistes femmes, émet toujours mais elle est parfois rappelée à l'ordre quand les femmes rient un peu trop - car le rire n'est pas autorisé sur les ondes...

Il faut aussi bien sûr citer celles qui, depuis l'étranger, sont devenues des « porte-voix » de la cause des femmes afghanes, comme les sportives Zadia Khudadadi et Marzieh Hamidi, la chanteuse Sonita Alizadeh ou l'ancienne vice-présidente de l'Assemblée nationale afghane, Fawzia Koofi.

En quatrième lieu, nous souhaitons attirer l'attention sur la situation des enfants afghans (alinéas 35 à 37 nouveaux). Ces enfants, filles et garçons, sont victimes de la situation de crise humanitaire et des mesures qui touchent leurs mères. Ils subissent aussi un endoctrinement. Il faut donc les protéger pour éviter que se perpétuent la radicalité et l'inégalité enseignées dans les « madrasas » aux enfants.

En cinquième lieu, la proposition de résolution amendée veut réaffirmer la pertinence de la position française sur le dossier afghan, à savoir poursuivre le soutien au peuple afghan et aux femmes afghanes tout en refusant toute reconnaissance internationale du régime taliban (alinéa 31 nouveau). Cela implique de refuser de reconnaître toute personne envoyée par les talibans pour occuper l'ambassade d'Afghanistan à Paris et, simultanément, ne pas nommer de nouvel ambassadeur de France sur place. Le dernier en date, M. David Martinon, avait organisé l'évacuation des Français présents en Afghanistan lors de la victoire des talibans en août 2021, puis il est resté en poste depuis Paris jusqu'en 2023. Aujourd'hui, c'est un chargé d'affaires, en poste à Doha, qui suit les affaires afghanes.

Cependant, pour des raisons de « realpolitik », un certain nombre d'États s'interrogent aujourd'hui sur la nécessité d'être plus ouverts à l'égard des talibans. Avec un questionnement permanent : jusqu'où aller dans le dialogue sans aller jusqu'à la reconnaissance ?

L'ONU a lancé le « processus de Doha » afin de rétablir des échanges sur l'avenir de l'Afghanistan entre une vingtaine d'États et les talibans. La France participe à ce processus, mais tout comme l'Union européenne, conditionne toute avancée dans le dialogue à leur respect des cinq critères énoncés dans la résolution 2593 du Conseil de sécurité de l'ONU (en date du 30 août 2021). Je rappelle ces critères : la levée des entraves pour celles et ceux qui veulent quitter le pays, ce qui n'est pas possible aujourd'hui, alors que les femmes ont désormais un accès direct à l'asile européen ; l'accès libre et sécurisé de l'aide humanitaire sur le territoire afghan ; le respect des droits de l'Homme, en particulier ceux des femmes et des filles ; la formation d'un gouvernement représentatif des différentes composantes de la société afghane, aux sens politique, religieux et genré ; la lutte contre le terrorisme et la rupture de tout lien avec les groupes terroristes.

Dans ce contexte, et en sixième lieu, la proposition de résolution modifiée souhaite que la France et ses partenaires européens veillent à l'efficacité des sanctions imposées aux talibans et appuie toutes les actions possibles devant les juridictions internationales pour amener les talibans à rendre des comptes (alinéas 38 à 41 nouveaux).

L'enquête du procureur de la CPI pourrait conduire à l'inculpation des responsables talibans et à leur jugement par la Cour. Dans ce cadre, les actes de persécution qu'ils mènent contre les femmes afghanes pourraient être reconnus constitutifs de crimes contre l'humanité. Par ailleurs, l'ONU réfléchit à présenter un nouveau traité international qui définirait ce qu'est un crime contre l'humanité. Dans ces discussions, des délégations de femmes afghanes et iraniennes, appuyées par des militantes des droits des femmes, ont demandé l'inscription de la notion d'« apartheid de genre », c'est-à-dire d'une ségrégation systématique des femmes parce qu'elles sont des femmes, parmi les critères constitutifs d'un crime contre l'humanité. Ce point n'est pas tranché mais il est important de faire état de ce débat.

D'autres procédures contentieuses pourraient s'ouvrir, par exemple devant la Cour internationale de justice (CIJ). En effet, le 25 septembre dernier, l'Allemagne, le Canada, l'Australie et les Pays-Bas ont indiqué qu'ils envisageaient de poursuivre l'Afghanistan régi par les talibans pour leurs multiples violations de la Convention des Nations-Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes.

En septième lieu, nous reprenons l'appel lancé à la France et à ses partenaires européens afin qu'ils puissent intensifier l'action humanitaire internationale en Afghanistan, en apportant deux précisions à la rédaction initiale (alinéa 42 nouveau).

D'une part, la proposition modifiée précise que cette aide doit soutenir la population dans l'ensemble du pays et pas seulement à Kaboul. Trop souvent en effet, l'aide humanitaire reste concentrée sur la capitale. D'autre part, alors qu'une partie de l'aide est détournée par les talibans, il faut insister sur le fait que cette aide humanitaire doit bénéficier au peuple afghan. Il faut donc renforcer le contrôle de l'acheminement et des destinataires de l'aide humanitaire française et européenne, afin que cette dernière bénéficie bien au peuple afghan.

Voilà, mes chers collègues, les compléments que nous souhaitions apporter à la proposition de résolution de notre collègue Pascal Allizard.

La vie des femmes afghanes est aujourd'hui marquée par les contraintes et les persécutions. Mais ces femmes ne se résignent pas. Elles se battent. Il est donc important que nous puissions exprimer le soutien de notre commission à la défense de leur liberté.

M. Jean-François Rapin, président. - Merci pour votre présentation, chères collègues. Je veux saluer notre collègue Dominique Vérien, qui suit attentivement ces questions en tant que présidente de la Délégation aux droits des femmes. Je veux aussi réagir aux propos de nos collègues en signalant que certaines femmes afghanes ont suivi le chemin de l'exil et sont entrées illégalement en France, et, qu'au cours de ce périple, plusieurs d'entre elles ont perdu la vie dans ce parcours. C'est un drame terrible.

M. Pascal Allizard, auteur de la proposition de résolution. - Je salue ce travail important que vous avez conduit dans un délai restreint. J'accepte très volontiers vos apports et je vous remercie de m'en avoir informé avant notre réunion d'aujourd'hui. Sur la méthode, il me semble que c'est un bon principe que l'auteur d'une proposition de résolution n'en soit pas ultérieurement le rapporteur, car cette diversité des regards sur les textes permet des ajouts qui en améliorent la qualité.

L'Afghanistan vit une régression épouvantable, qu'il avait déjà connue entre 1996 et 2001. En août 2021 à son retour, le pouvoir taliban a dit qu'il ne reviendrait pas à ses pratiques discriminantes envers les femmes, c'est ce qui se passe pourtant. On ne peut pas laisser le régime taliban triompher à ce sujet car ce serait un exemple funeste pour le monde entier, et pour les théocraties qui ne demandent qu'à aller dans ce sens. J'ai souhaité une proposition de résolution trans-partisane et je me félicite du nombre et de la qualité de ses cosignataires. D'autant que la situation n'est pas figée : depuis plusieurs jours, les talibans veulent appliquer les dispositions de la loi dite « pour la promotion de la vertu et de la répression du vice » interdisant toute publication d'images d'êtres vivants. Cela n'est pas acceptable. Il faut réagir, je trouve nécessaire que le Sénat prenne position.

Mme Dominique Vérien, au nom de la Délégation aux droits des femmes. - J'ai lu votre rapport, je suis très honorée de pouvoir m'exprimer devant vous sur cette proposition de résolution européenne que j'ai bien évidemment cosignée, sur les atteintes aux droits fondamentaux des femmes en Afghanistan commises par le régime des talibans. J'ajouterai d'ailleurs à ces atteintes, celles aux droits fondamentaux des petites filles afghanes car elles sont parmi les premières victimes de la tyrannie exercée par les talibans à l'encontre des femmes.

Comme vous le savez, la délégation aux droits des femmes du Sénat est particulièrement attentive à la situation des femmes et des filles en Afghanistan, notamment depuis l'été 2021 au cours duquel les talibans reprirent le contrôle de Kaboul.

Dès le 23 août 2021, notre délégation exprimait, par voie de communiqué de presse, sa profonde inquiétude quant au sort de ces femmes, premières cibles des talibans, et en appelait à la mobilisation de la communauté européenne et internationale pour protéger celles condamnées à revivre les heures les plus noires de l'histoire de l'Afghanistan.

Le 25 novembre 2021, à l'occasion de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, nous organisions un grand colloque international sur la situation des femmes et des filles en Afghanistan, au cours duquel s'exprimèrent notamment Shoukria Haidar, présidente de l'association Negar - Soutien aux femmes d'Afghanistan, qui oeuvre en faveur des droits des filles et femmes à travers des actions pour l'éducation, et que vos rapporteures ont auditionnée ; mais aussi David Martinon, alors ambassadeur de France en Afghanistan, et Alison Davidian, responsable du bureau d'OnuFemmes en Afghanistan.

Nous avions également entendu le témoignage bouleversant de Liseron Boudoul, grand reporter de guerre pour TF1et autrice d'un reportage filmé dans la province d'Herat sur des familles contraintes de vendre leurs petites filles pour survivre à la famine. Elle nous avait alors confié : « depuis, ces images et ces visages de fillettes si innocentes et impuissantes me reviennent souvent. Certaines savent qu'elles ont été vendues. Elles seront peut-être revendues plus tard, car je pense qu'il y a toute une chaîne derrière, un trafic ».

Si continuer à témoigner et à faire la lumière sur la barbarie du régime taliban à l'encontre des femmes et filles afghanes est essentiel, comment ne pas se sentir impuissant alors qu'à quelques milliers de kilomètres, c'est un crime contre l'humanité fondé sur le genre qui est en train de se dérouler, au XXIème siècle ? Jamais, en prenant la présidence de la délégation aux droits des femmes, je ne pensais trouver autant de sujets sur lesquels nous devrions nous battre pour que les femmes retrouvent leurs droits.

Je note cependant un espoir avec l'arrêt que la CJUE vient de prendre le 4 octobre dernier : les femmes afghanes peuvent obtenir l'asile en Europe sur la seule base de leur nationalité et de leur sexe, elles n'auront plus besoin de prouver qu'elles sont victimes d'actes de persécution spécifiques pour obtenir le statut de réfugiées dans les pays membres de l'Union européenne. Cependant, encore faut-il que les femmes afghanes puissent exercer ce droit.

Aujourd'hui, nous devons continuer à faire entendre la voix de ces Afghanes à qui les talibans interdisent même de chanter.

C'est pourquoi la délégation aux droits des femmes entendra, jeudi 24 octobre, l'athlète afghane Marzieh Hamidi, championne de taekwondo, réfugiée dans notre pays et menacée de mort - nous aurons probablement d'autres invitées, en prolongement de vos travaux.

Chers collègues, ne baissons pas les bras face à l'infamie et à la férocité d'un régime qui n'a d'autre but que de briser et de réduire au silence toutes les femmes et petites filles d'Afghanistan, et ce faisant, de plonger notre monde dans les ténèbres de l'inhumanité.

M. Jean-François Rapin, président. - Mes chers collègues, je souhaite - à ce stade de notre discussion - effectuer un bref rappel de procédure : nous examinons cette proposition de résolution européenne et si nous l'adoptons, elle deviendra en principe résolution du Sénat dans le délai d'un mois. Toutefois, dans ce délai, la commission compétente au fond, à savoir la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, peut s'en saisir pour l'examiner et je crois qu'elle le fera. Nous sommes donc contraints d'attendre cet examen pour communiquer au sujet de ce texte.

M. Pascal Allizard. - Effectivement, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, va se saisir de la proposition. Il est important qu'elle le fasse à son tour, car ce sujet a une dimension diplomatique évidente.

C'est notre collègue Gisèle Jourda qui en sera la rapporteure.

M. Didier Marie. - Merci pour cette initiative, je me réjouis que cette résolution soit trans-partisane. Nous sommes face à un risque que le régime des talibans bénéficie d'une acceptation internationale, parce qu'il a imposé une forme de paix dans le pays et qu'il assure un contrôle relatif des frontières. Cela satisfait une partie de la population afghane et les États voisins de l'Afghanistan. Les pays occidentaux ne reconnaissent pas le régime, mais la Chine l'a fait, et les Émirats arabes unis viennent d'accepter une mission de représentation des talibans. Il y a donc une appétence pour tolérer le régime. Cette proposition de résolution européenne est donc bienvenue pour rappeler que ce régime est inacceptable et condamnable - et je crois aussi que la saisine de la commission compétente au fond est une très bonne chose.

Ensuite, le régime des talibans se sent les mains libres et ne cesse « de serrer la vis » à la population afghane. L'interdiction d'images d'humains en est la dernière manifestation. Les talibans entravent l'action de ceux qui veulent venir en aide au peuple afghan, l'aide humanitaire a des difficultés d'acheminement et la corruption sur place est majeure. De plus, l'interdiction du travail des femmes ne facilite pas les échanges. Il faut saluer la volonté européenne et française d'amplifier l'aide humanitaire, ainsi que les décisions juridictionnelles de la CJUE et de la Cour nationale du droit d'asile qui accordent aux Afghanes le droit d'asile sans avoir à démontrer la persécution, Il faudrait que d'autres pays agissent dans ce sens - et il faut aussi saluer le fait que les sanctions s'abattent sur les responsables talibans.

Enfin, je veux rappeler la condamnation, par plusieurs autorités religieuses musulmanes, du sort fait aux femmes afghanes, en particulier l'interdiction d'accès à l'éducation. Pour ces organisations, ces décisions des talibans ne sont pas imposées par l'islam. En effet, beaucoup de Musulmans condamnent ce qui se passe en Afghanistan.

Mme Mathilde Ollivier. - Merci pour ce rapport important dans cette période où ce qui se passe en Afghanistan est peu présent dans l'espace médiatique. J'ai quelques réserves sur certains passages de l'exposé des motifs, et je tiens à rappeler, pour mon groupe, le caractère universel de la lutte des femmes pour leurs droits. Il n'y a donc pas lieu d'en distinguer la portée selon les zones géographiques.

Je veux aussi attirer votre attention sur les femmes afghanes qui ont fui l'Afghanistan et qui sont aujourd'hui bloquées en Iran et au Pakistan. Car ces femmes sont dans une situation inextricable : elles sont bien évidemment sorties du pays sans autorisation des talibans, leur titre de séjour est limité dans le temps, et elles ne peuvent plus retourner dans leur pays. Elles ont enfin le plus grand mal à faire valoir leur droit d'asile. En France, le nombre de visas humanitaires, l'an passé, était de 4 527 pour les courts séjours et de 9 573 pour les longs séjours. Je suis intervenue pour des visas humanitaires ou étudiants, et je témoigne d'un blocage de notre administration dans ce dossier. La diplomatie française avance qu'il y a un risque à accepter ces demandes d'asile, alors que c'est un droit pour les Afghanes - le résultat, c'est que des femmes vivent des situations dramatiques, qu'elles restent ou qu'elles tentent de rejoindre l'Europe par des voies dangereuses, alors qu'on leur a accordé en principe le droit d'asile sans avoir besoin de démontrer qu'elles sont persécutées. Je crois qu'il faut donc conforter le droit d'asile de ces femmes y compris quand elles sont dans les pays voisins, cela évitera les drames de femmes qui meurent sur le chemin. J'espère à mon tour que nous aurons un débat à ce sujet en séance plénière.

Mme Silvana Silvani. - Je me joins aux remerciements adressés aux rapporteures mais je m'interroge sur l'efficacité des sanctions mises en oeuvre contre les talibans. En effet, ces sanctions n'ont empêché ni la restriction drastique de la liberté des femmes ni la radicalisation du régime taliban, ni encore l'apparition progressive ici et là, de liens diplomatiques entre plusieurs pays tiers et ce régime, non pour le cautionner, mais au nom de la stabilité régionale. Simultanément, il faut constater que les sanctions économiques frappent l'ensemble de la population, en particulier les plus vulnérables, femmes et enfants compris. La communauté internationale essaie bien de compenser les effets des sanctions avec l'envoi d'aide humanitaire, qui est toujours trop limitée... La proposition de résolution européenne soutient les femmes afghanes, ce qui est une bonne chose, mais je crois que la disposition du texte qui demande à renforcer les sanctions économiques en fragilise la cohérence.

Je regrette également que le rapport aborde peu l'échec cuisant de la présence occidentale en Afghanistan. C'est dommage. J'y vois une forme de déni. Je regrette enfin le remplacement de la référence aux « autorités afghanes » par la mention des « talibans », car de fait, ces derniers dirigent bien l'Afghanistan.

M. Jean-François Rapin, président. - La guerre contre le terrorisme, qui a conduit à la traque de Ben Laden, est conduite depuis plusieurs décennies. Son histoire est complexe et ponctuée de nombreuses étapes. Au regard de cette complexité, mais aussi de l'objet du présent texte - la défense des femmes afghanes - et des délais impartis pour examiner la proposition de résolution, il n'était pas simple de l'évoquer dans ce cadre.

Mme Silvana Silvani. - Je ne le reproche pas aux auteurs de la proposition, mais je crois qu'il faut avoir un regard critique sur l'effet des politiques internationales dans la durée. Cependant, je précise que je soutiens ce texte.

Mme Audrey Linkenheld, corapporteure. - Merci pour vos soutiens. Nous avons emprunté un chemin de crête, car nous sommes en commission des affaires européennes et non pas en commission des affaires étrangères, alors que plusieurs des sujets que vous abordez et de questions que nous nous sommes posées aussi, relèvent manifestement du domaine des affaires étrangères - par exemple, sur la position à adopter face à une dictature, à la guerre, à une théocratie. Ces enjeux relèvent d'abord de la diplomatie avec une interrogation de fond : doit-on couper toute relation avec un régime dictatorial ou doit-on dialoguer avec lui et jusqu'où ? Ils se posent dans nos relations avec d'autres pays comme l'Iran, qui ne traite pas non plus les femmes comme il se doit.

L'intérêt de cette proposition est de mettre de nouveau un « coup de projecteur » sur les femmes afghanes et leur situation spécifique. Concernant les demandes d'asile en France, je veux quand même souligner que le taux de protection des femmes afghanes est de 96 %, il y a encore quelques refus mais très peu. Nous avons tenu à ne pas interférer avec les débats qui ne relèvent pas d'abord de notre commission, comme la lutte contre le terrorisme. Nous avons aussi visé le consensus, pour que le Sénat se prononce effectivement sur la situation des femmes et des filles en Afghanistan.

Mme Elsa Schalck, corapporteure. - L'objectif de cette proposition est de mettre en lumière la situation des femmes et des filles afghanes, qui sont plongées dans l'obscurité du régime taliban. On ne réalise pas bien la férocité d'un régime qui ne fait que se renforcer au fur et à mesure que le temps passe. La responsabilité qui est la nôtre, c'est de parvenir à une position trans-partisane et consensuelle. Je trouve très positif que notre commission, celle des affaires étrangères et la Délégation aux droits des femmes, puissent faire un travail convergent à ce sujet, et dans la durée. Le risque, c'est la banalisation d'un régime au nom de la sécurité internationale, et de fermer les yeux sur ce qui se passe sur son territoire, au motif qu'il en contrôle les frontières et que cela se passe loin de chez nous. Nous demanderons un débat en séance plénière.

M. Pascal Allizard, auteur de la PPRE. - Merci pour ce débat intéressant.

M. Jean-François Rapin, président. - Nous allons adopter la proposition de résolution européenne n° 762 dans la rédaction proposée par nos deux rapporteures.

La commission autorise la publication du rapport et adopte la proposition de résolution européenne dans la rédaction issue de ses travaux, disponible sur le site du Sénat.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE VISANT À PRENDRE DES MESURES APPROPRIÉES CONTRE LES ATTEINTES AUX DROITS FONDAMENTAUX DES FEMMES EN AFGHANISTAN COMMISES PAR LE RÉGIME DES TALIBANS

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la Déclaration universelle des droits de l'Homme du 10 décembre 1948,

Vu la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes du 18 décembre 1979,

Vu le Statut de Rome de la Cour pénale internationale du 17 juillet 1998, notamment son article 7,

Vu la Charte européenne des droits fondamentaux,

Vu l'article 2 du traité sur l'Union européenne (TUE),

Vu la résolution 2593 (2021) du Conseil de sécurité des Nations Unies du 30 août 2021,

Vu la résolution 2681 (2023) du Conseil de sécurité des Nations Unies du 27 avril 2023,

Vu la résolution 2721 (2023) du Conseil de sécurité des Nations Unies du 29 décembre 2023,

Vu le rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l'Homme en Afghanistan et du Groupe de travail sur la discrimination à l'égard des femmes et des filles (A/HRC/53/21) du 15 juin 2023,

Vu la déclaration du Haut représentant, au nom de l'Union européenne, appelant à la réouverture immédiate des écoles secondaires pour les filles du 28 mars 2022,

Vu la déclaration du Haut représentant, au nom de l'Union européenne, relative aux nouvelles restrictions, par les talibans, du droit à l'éducation des filles et des femmes du 21 décembre 2022,

Vu la déclaration commune des ministres des Affaires étrangères de l'Allemagne, de l'Australie, de Bahreïn, de la Belgique, de la Bulgarie, du Canada, du Danemark, de l'Estonie, des Émirats arabes unis, des États-Unis, de la Finlande, de l'Espagne, de la France, de l'Italie, de l'Irlande, du Japon, de la Norvège, de la Nouvelle-Zélande, des Pays-Bas, du Portugal, du Qatar, de la République de Corée, du Royaume d'Arabie saoudite, du Royaume-Uni, de la Suède, de la Suisse, de la Turquie, et du Haut représentant de l'Union européenne du 8 mars 2023,

Vu la déclaration du Haut représentant, au nom de l'Union européenne, sur l'interdiction faite par les talibans aux Afghanes de travailler pour les Nations Unies du 7 avril 2023,

Vu la déclaration du Haut représentant, au nom de l'Union européenne, sur les dernières restrictions imposées par les talibans à la population du 26 août 2024,

Vu les conclusions du Conseil de l'Union européenne (7264/23) du 20 mars 2023, condamnant fermement les violations systémiques des droits de l'Homme, en particulier des femmes et des filles,

Considérant les atteintes générales aux droits et aux libertés fondamentales des filles et des femmes commises par le régime des talibans en Afghanistan ;

Considérant la publication incessante d'édits, de décrets, de déclarations et de directives discriminatoires, depuis le retour des talibans, qui interdisent notamment aux femmes d'accéder à l'enseignement au-delà de la sixième année de scolarité, de se rendre aux bains et parcs publics, de fréquenter les clubs et salles de sport et leur imposent de se couvrir le visage sur le chemin de l'école pour les fillettes, de ne sortir de chez elles qu'en cas de nécessité, de respecter les règles concernant le port du hijab et de circuler avec un « mahram » (tuteur) ;

Considérant la situation économique déplorable du pays qui accentue la pauvreté ;

Considérant la dégradation de la situation humanitaire des populations afghanes, notamment des femmes ;

Considérant les interdictions faites aux femmes afghanes de travailler pour des organisations non gouvernementales (ONG) et pour les Nations Unies - interdiction inédite dans l'histoire de l'Organisation - qui nuisent gravement aux opérations humanitaires dans le pays, notamment à la fourniture d'une assistance vitale et de services de base aux personnes les plus vulnérables ;

Considérant la persistance des mariages d'enfants et des mariages forcés ;

Considérant le grave préjudice causé à l'avenir politique, économique et social de l'Afghanistan par les mesures discriminatoires édictées à l'encontre des femmes par le régime des talibans ;

Considérant la répression systématique dont font l'objet les femmes afghanes qui tentent de manifester pour la défense de leurs droits ou qui contreviennent aux lois talibanes en vigueur ;

Considérant les conditions de détention indignes et les privations auxquelles sont soumises les femmes afghanes arrêtées par les autorités ;

Considérant les différentes actions de la communauté internationale qui ne sont, pour l'heure, pas parvenues à infléchir la politique discriminatoire des autorités de l'Afghanistan ;

Considérant les différentes déclarations de l'Organisation de la coopération islamique de décembre 2022 selon lesquelles la décision d'interdire aux femmes et aux filles l'accès à l'éducation est contraire au droit islamique, dénonçant l'interdiction d'emploi des femmes au sein des ONG nationales et internationales et appelant au lancement d'une campagne internationale visant à mobiliser les voix de l'ensemble des oulémas et des figures de proue de la religion dans le monde islamique contre la décision du gouvernement taliban d'interdire l'enseignement aux filles, y compris dans les universités ;

Rappelle le caractère universel des droits de l'Homme et de l'égalité entre les femmes et les hommes ;

Dénonce la politique assumée d'invisibilisation des femmes afghanes menée par les talibans, qui condamne ces femmes à la misère, à l'analphabétisme, au silence et à l'enfermement domestique ;

Réaffirme l'importance des orientations de la politique française à l'égard de l'Afghanistan, à savoir un soutien continu au peuple afghan et le refus de toute reconnaissance internationale des talibans ;

Considère que le respect des droits élémentaires des femmes afghanes et du droit à l'éducation des jeunes Afghans est la clef de l'avenir du pays ;

Déplore le non-respect par les talibans des engagements internationaux de l'Afghanistan relatifs aux droits humains, en particulier aux droits des femmes et des filles, et leur indifférence aux observations formulées par la communauté internationale à leur sujet ;

Salue le courage des femmes et des filles afghanes qui font face, depuis août 2021 en Afghanistan, à une négation de leurs droits fondamentaux et à une discrimination institutionnalisée, qui les prive de leur liberté d'aller et de venir, de leur liberté d'expression, de leur droit à l'éducation et de leur droit au travail dans le secteur public, dans les organisations non gouvernementales (ONG) et dans les agences des Nations unies, et fait valoir les initiatives concrètes trouvées par ces femmes et leurs proches pour continuer à travailler, apprendre et enseigner ;

S'inquiète des effets des mesures de répression des femmes sur les enfants afghans, qui subissent un quotidien de malnutrition, d'accès difficile aux soins, de violences et de restrictions graves dans leur éducation ;

Attire aussi l'attention sur le sort des jeunes garçons afghans, qui sont particulièrement touchés par les enseignements des talibans visant à pérenniser leur politique de discriminations et de persécutions, et qui subissent les conséquences du traitement réservé à leurs mères et à leurs soeurs ;

Invite en conséquence le Gouvernement et ses partenaires de l'Union européenne, à redoubler d'efforts, en lien avec l'UNICEF, pour la protection de l'enfance en Afghanistan ;

Exhorte le Gouvernement à veiller, avec ses partenaires de l'Union européenne, à l'effectivité et l'efficacité des sanctions concourant à faire cesser les violations graves et répétées des droits des femmes par les talibans ;

Condamne les abus systématiques et systémiques à l'encontre des femmes et des filles afghanes, qui sont susceptibles de constituer une persécution fondée sur le genre, crime contre l'humanité au sens du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), auquel l'Afghanistan est partie ;

Dénonce les crimes perpétrés par les talibans ayant contribué à l'édiction et à la mise en oeuvre de mesures discriminatoires à l'encontre des femmes afghanes, et prend acte de l'enquête en cours du procureur de la CPI en vue de les qualifier de crime contre l'humanité et de crimes de guerre ;

Souhaite plus généralement que la France, en lien avec ses partenaires de l'Union européenne, appuie toute action devant les juridictions internationales pour faire cesser les actes de persécution en cours en Afghanistan et obtenir que les talibans rendent des comptes à la communauté internationale pour leurs exactions ;

Invite le Gouvernement, avec ses partenaires de l'Union européenne, à intensifier l'action humanitaire internationale dans l'ensemble de l'Afghanistan car cette action demeure essentielle à la survie d'une grande partie de la population, et à appuyer les initiatives concrètes des femmes afghanes, en renforçant les contrôles sur cette action afin qu'elle ne serve pas à renforcer l'autorité des talibans.

Invite le Gouvernement à faire valoir cette position dans les négociations au Conseil.

LA RÉSOLUTION EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, le tableau synoptique de la résolution en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

https://www.senat.fr/tableau-historique/ppr23-762.html

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

- M. Pascal Allizard, sénateur, auteur de la proposition de résolution en application de l'article 73 quinquies du Règlement du Sénat, visant à prendre des mesures appropriées contre les atteintes aux droits fondamentaux des femmes en Afghanistan commises par le régime des talibans

- M. Timothée Truelle, sous-directeur d'Asie méridionale à la Direction de l'Asie et de l'Océanie au ministère de l'Europe et des Affaires étrangères

- Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne

· Mme Christelle Delrieu, Conseillère droits de l'Homme (COHOM) / Afrique, Caraïbes, Pacifique (ACP) / RELEX - Questions horizontales (Global Gateway)

· Mme Luisa Terranova, conseillère en charge du suivi de l'Asie

- Mme Shoukria Haidar, présidente du collectif NEGAR - Soutien aux femmes d'Afghanistan

- Mme Hamida Aman, fondatrice de Radio Begum et de Begum TV

ANNEXE

Source : France Diplomatie

Afghanistan : données de base (Source : Ministère de l'Europe et des affaires étrangères)

1. Présentation du pays

Nom officiel : République islamique d'Afghanistan (dénomination talibane : Émirat islamique d'Afghanistan)

Nature du régime : n/a (prise de pouvoir des talibans par la force le 15 août 2021)

Dirigeant de facto : L' « Émir » taliban Haibatullah Akhundzada

Premier ministre de facto : Mohammad Hassan Akhund

Données géographiques

Superficie : 652 090 km²

Capitale : Kaboul

Villes principales : Hérat, Kandahar, Mazar-e Charif

Langues officielles : pachto et dari

Langues courantes : pachto, dari, tadjik, ouzbek, turkmène

Monnaie : afghani (AFN)

Fête nationale : 19 août (fête de l'Indépendance de 1919)

Données démographiques

Population : 42,2 millions d'habitants (2023, estimations de la Banque mondiale)

Croissance démographique : 2,7 % (2023, Banque mondiale)

Espérance de vie : 63 ans (2022, Banque mondiale)

Religions : 84 % de musulmans sunnites (rite hanéfite), 15 % de musulmans chiites (duodécimains et ismaéliens), autres (sikhs, hindous...) - (estimations datant de 2021)

Indice de développement humain : 0,462 (182e sur 193) (2022, programme des Nations unies pour le Développement)

Taux d'alphabétisation : 37,3 % - 22,6 % chez les femmes et 52,1 % chez les hommes (2022, UNESCO)

Données économiques

PIB : 14,5 milliards de dollars courants (2022, Banque mondiale)

PIB par habitant : 352,6 dollars courants (2022, Banque mondiale)

Taux de croissance : estimé à -6,2 % (2022, Banque mondiale)

Taux d'inflation : 10,6 % (prix moyens à la consommation, 2022, FMI)

Chômage : estimé à 14,4 % (Banque mondiale)

Dette brute des administrations publiques en pourcentage du PIB : 10,9 % (2022, FMI)

Niveau de risque de défaut souverain estimé par le FMI : n/a

Déficit commercial : 682 M USD (selon la fiche Afghanistan situation économique de juin 2024) - ou 3,9 milliards de dollars selon la Banque Mondiale, juillet 2024

Principaux clients et fournisseurs : En 2019, les principaux partenaires commerciaux de l'Afghanistan pour les exportations étaient l'Inde (47,12 %), le Pakistan (34,31 %), la Chine (3,56 %), la Turquie (2,89 %) et les Émirats arabes unis (2,87 %), et pour les importations, l'Iran (14,56 %), la Chine (13,92 %), le Pakistan (12,87 %), les États-Unis (9,15 %) et le Turkménistan (8,06 %). (Banque mondiale, 2019 dernières données disponibles)

Part des principaux secteurs d'activités dans les exportations afghanes : matière première (82,59 %), bien intermédiaire (4,16 %), biens de consommation (11,34 %), biens d'équipement (0,19 %)


* 1 Extrait de l'interview par RFI de M. Jean-Jacques Jauffret, professeur émérite d'histoire contemporaine à Sciences Po Aix, spécialiste de l'Afghanistan, le 15 août 2023.

* 2 Déclaration du porte-parole du ministère de l'Europe et des affaires étrangères (15 août 2024).

* 3 Celui qui fait la guerre sainte pour l'islam (djihad) ; combattant de divers mouvements de libération nationale du monde musulman (Larousse).

* 4 L'Afghanistan est un pays multiethnique, également composé de populations tadjikes (environ 25 % de la population), ouzbèkes (10 % de la population) et hazaras (10 % de la population). L'islam sunnite forme une référence commune pour ces peuples, sauf pour les Hazaras, qui appartiennent à la minorité chiite.

* 5 « Afghanistan. Le risque de dégradation des droits des femmes et des filles plane tandis que les négociations de paix vacillent », 24 mai 2021, site internet d'Amnesty International.

* 6 Interview précité de M. Jean-Jacques Jauffret dans Le Figaro, 18 août 2021.

* 7 Article 22 de la Constitution du 26 janvier 2004.

* 8 Audition du 9 octobre 2024.

* 9 « Humanitarian needs and response plan Afghanistan », rapport du bureau de coordination des affaires humanitaires de l'ONU (OCHA), 2024.

* 10 Audition du 11 octobre 2024.

* 11 Pour la période allant du 15 août 2021 au 30 juin 2023, la mission d'assistance de l'ONU à l'Afghanistan (MANUA) a recensé 800 violations des droits de l'Homme à l'encontre de ces personnels : 218 assassinats ; 14 disparitions forcées ; 424 arrestations et détentions arbitraires ; 144 cas de torture... Selon la MANUA, en prison, l'accès à un avocat est très limité, les proches de la personne détenue n'ont pas le droit de la voir, et la torture est systématique.

* 12 « 10 points sur la situation en Afghanistan, deux ans après la prise du pouvoir des talibans », Le Grand continent, article de M. Pierre Ramond, 15 août 2023.

* 13 Présentation du rapport d'ONUfemmes sur la situation en Afghanistan, 14 août 2024 ;

* 14 Voir l'assassinat de quatre femmes à Mazar-i-Sharif, le 6 novembre 2021, dont la militante des droits des femmes, Frozan Sanfi (RFI ; article de Mme Sonia Ghezali en date du 7 novembre 2021) ; sur les abus des talibans contre les femmes qui étaient policières avant leur retour au pouvoir, voir le rapport « Double trahison : Abus présents et passés contre les policières afghanes » de l'ONG Human rights watch, en date du 10 octobre 2024. Le rapport fait état de meurtres de policières, d'intimidations, de perquisitions abusives à leur domicile et agressions des proches des policières.

* 15 Communiqué de presse du 27 août 2024.

* 16 8 octobre 2024.

* 17 Source : Associated Press (AP), 21 décembre 2023.

* 18 Interview par Radio France, 9 septembre 2021

* 19 Résolution 2403 « La situation en Afghanistan : conséquences pour l'Europe et la région », 30 septembre 2021.

* 20 Déclaration du 28 mars 2022.

* 21 Déclaration du 25 décembre 2022.

* 22 Déclaration du 26 août 2024.

* 23 Résolution n°1267 du Conseil de sécurité de l'ONU.

* 24 Résolution n°2611 du 17 décembre 2021.

* 25 Décision 2011/486/PESC du Conseil du 1er août 2011 concernant des mesures restrictives instituées à l'encontre de certaines personnes et de certains groupes, entreprises et entités au regard de la situation en Afghanistan.

* 26 Inspecteur général spécial des États-Unis pour la reconstruction de l'Afghanistan (SIGAR), quarterly report to the United states Congress, 30 juillet 2024.

* 27 Un chargé d'affaires, basé à Doha, a désormais la responsabilité du suivi de l'Afghanistan.

* 28 « Le basculement de l'Afghanistan, une conversation avec David Martinon », interview par M. Kamyam Assari et M. Pierre Ramond, 23 mars 2023, Le Grand continent.

* 29 Conclusions du Conseil de l'Union européenne du 15 septembre 2021.

* 30 Signalons en particulier la résolution P9_TA(2022)0417 sur la situation des droits de l'Homme en Afghanistan, en particulier la détérioration des droits des femmes et les attaques contre les établissements d'enseignement.

* 31 Résolution P10_TA(2024)0008 du Parlement européen sur la détérioration de la situation des femmes en Afghanistan du fait de l'adoption récente de la loi sur « la promotion de la vertu et de la prévention du vice », en date du 19 septembre 2024.

* 32 « Le long chemin vers la reconnaissance de l'apartheid de genre comme un crime contre l'humanité », France 24, 8 mars 2024.

* 33 Résolution n°2615 du 22 décembre 2021.

* 34 Audition du 8 octobre 2024.

* 35 Rapport au Congrès américain du 30 octobre 2023.

* 36 CJUE, 16 janvier 2024, Intervyuirasht organ na DAB pri MS (femmes victimes de violences domestiques), C-621/21.

* 37 CNDA, 9 juillet 2024, Mme O., n°24014128, R.

* 38 CJUE, 4 octobre 2024, Bundesamt für Fremdenwesen und Asyl e.a. (Femmes afghanes), affaires jointes C-608/22 et C-609/22.

* 39 Peuvent être visés en l'espèce ses articles 1er (dignité humaine), 2 (droit à la vie), 3 (droit à l'intégrité de la personne), 4 (interdiction de la torture), 6 (droit à la liberté et à la sûreté), 10 (liberté de pensée, de conscience et de religion), 11 (liberté d'expression et d'information), 12 (liberté de réunion et d'association), 14 (droit à l'éducation), 15 (liberté professionnelle et droit de travailler), 18 (droit d'asile), 20 (égalité en droit), 21 (non-discrimination), 23 (égalité entre femmes et hommes) et 24 (droits de l'enfant).

* 40 Cet article rappelle que l'Union européenne « est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'État de droit, ainsi que de respect des droits de l'Homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l'égalité entre les femmes et les hommes. »

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