C. DES ACTIONS MENÉES OU ENVISAGÉES DEVANT LES JURIDICTIONS INTERNATIONALES

1. Une enquête a été ouverte sur d'éventuels crimes contre l'humanité et crimes de guerre par le procureur de la Cour pénale internationale (CPI)

Visés par les sanctions infligées par les Nations Unies, les talibans pourraient aussi un jour avoir à rendre des comptes à la justice internationale pour leurs exactions. L'Afghanistan est en effet partie au traité constitutif de la CPI depuis 2003.

Organisation et compétences de la CPI

La Cour pénale internationale (CPI) siège à La Haye.

Le traité fondateur de la Cour, appelé le Statut de Rome, confère à la CPI une compétence à l'égard de quatre crimes principaux :

- le crime de génocide ;

- les crimes contre l'humanité ;

- les crimes de guerre ;

- le crime d'agression.

Les 18 juges de la Cour sont élus, par l'Assemblée des États parties, pour leurs compétences, leur impartialité et leur intégrité, pour un mandat de neuf ans non renouvelable. La Cour comprend aussi un procureur, organe indépendant chargé d'examiner les situations relevant de la compétence de la Cour.

En pratique, lorsque le procureur a rassemblé des éléments de preuve et désigné un suspect, le procureur demande à la Cour de délivrer à son encontre un mandat d'arrêt ou une citation à comparaître.

En comparution initiale, trois juges vérifient l'identité du suspect et les charges retenues contre lui.

Puis, lors du procès, les juges examinent tous les éléments de preuve, rendent ensuite un verdict et, en cas de verdict de culpabilité, fixent une peine. Les juges peuvent condamner une personne à une peine d'emprisonnement d'une durée maximale de 30 ans et, dans des circonstances exceptionnelles, à une peine d'emprisonnement à perpétuité.

L'accusation et la défense ont alors le droit d'interjeter appel du jugement de la Chambre de première instance (déclarant l'accusé coupable ou innocent).

L'appel est jugé par cinq juges de la Chambre d'appel, qui ne sont jamais les mêmes que ceux qui ont rendu le jugement de première instance. La Chambre d'appel décide de confirmer, modifier ou infirmer le jugement contesté.

Enfin, les peines sont purgées dans les pays qui ont accepté d'exécuter les peines de la CPI.

Le 20 novembre 2017, le procureur de la Cour pénale internationale avait demandé à pouvoir enquêter sur des crimes présumés relevant de la compétence de la CPI en lien avec la situation en République islamique d'Afghanistan. Étaient en particulier visés les crimes des talibans (qui, à l'époque, s'opposaient par la violence au gouvernement de Kaboul). 699 représentations de victimes avaient été enregistrées et transmises à la chambre préliminaire de la Cour.

Mais, le 12 avril 2019, cette dernière avait rejeté la requête, invoquant étrangement l'intérêt de la justice, en particulier, « le manque de coopération dont le procureur a(vait) bénéficié » et qui, selon elle, « risqu(ait) de se raréfier si une enquête était autorisée, entravant les chances de succès des enquêtes et des poursuites », et soulignant la nécessité pour la Cour d'utiliser ses ressources en accordant la priorité « aux activités qui auraient de meilleures chances de réussir. »

Le 5 mars 2020, la chambre d'appel de la Cour pénale internationale a décidé à l'unanimité de revenir sur ce premier jugement et d'autoriser le procureur à ouvrir une enquête pour des crimes présumés relevant de la compétence de la CPI en lien avec la situation en République islamique d'Afghanistan

Cette requête visait alors à la fois les crimes de guerre et crimes contre l'humanité commis par les talibans et par l'État islamique, mais également les éventuels crimes commis par les forces américaines.

Mais en septembre 2021, ne pouvant « plus s'attendre à des enquêtes locales authentiques et efficaces » après la prise du pouvoir par les talibans, le procureur a demandé aux magistrats de la Cour d'axer l'enquête sur les talibans et l'EI-K et de « ne plus donner la priorité » aux crimes dont on soupçonnait les forces internationales qui se sont retirées du pays. Cette décision d'enquête a été confirmée le 31 octobre 2022.

Sont visés les crimes contre l'humanité suivants : meurtre et emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté ; et les crimes de guerre suivants : meurtre, traitements cruels, atteintes à la dignité de la personne, condamnations prononcées et exécutions effectuées sans autorisation de l'autorité judiciaire compétente, attaques dirigées intentionnellement contre la population civile, des biens de caractère civil et des missions d'aide humanitaire, et exécution ou blessure par traîtrise d'un adversaire combattant.

2. Plusieurs États envisagent de saisir la Cour internationale de justice (CIJ) pour faire condamner les talibans pour violation de la Convention des Nations unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes

La Convention des Nations unies de 1979 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (ou Convention CEDEF) :

- interdit la discrimination à l'égard des femmes et demande aux États signataires d'adopter des législations afin de l'éviter ;

- prévoit que les États signataires adoptent des mesures dans tous les domaines (civil ; politique ; social ; culturel) pour assurer le progrès des femmes et promouvoir l'égalité des droits des femmes et des hommes ;

- demande aux États précités de prendre des mesures pour éliminer toutes les formes de traite des femmes et la discrimination contre elles ;

- prévoit que ces États assurent la représentation des femmes dans la vie publique, assurent le même droit à l'emploi entre hommes et femmes et le même droit à l'éducation entre filles et garçons.

Dans un protocole additionnel datant du 6 octobre 1999, l'Assemblée générale des Nations unies a prévu :

- une procédure de communication individuelle (procédure de plainte) qui permet à des femmes de soumettre des plaintes pour violation des droits garantis par la Convention, devant le comité institué pour assurer le respect de cette dernière ;

- une procédure d'enquête confidentielle, qui permet au comité d'ouvrir une enquête lorsqu'il reçoit des informations crédibles relatives à des atteintes graves ou systématiques aux droits énoncés dans la Convention.

Lors de l'Assemblée générale des Nations unies, le 25 septembre dernier, l'Allemagne, l'Australie, le Canada et les Pays-Bas ont annoncé vouloir saisir la CIJ contre l'Afghanistan depuis que le pays est dirigé par les talibans pour les multiples violations de la Convention précitée commises par ces derniers.

La Cour internationale de justice (CIJ), qui siège à La Haye (Pays-Bas) est l'organe judiciaire principal des Nations unies.

La CIJ, aujourd'hui se compose de quinze juges élus pour un mandat de neuf ans par l'Assemblée générale et le Conseil de sécurité des Nations Unies. La Cour a deux langues officielles, le français et l'anglais.

Il existe deux types de procédure devant la Cour :

- les procédures contentieuses lorsque des différends juridiques entre États lui sont soumis par ces derniers ;

- les procédures consultatives, lorsque des demandes d'avis consultatifs concernant des questions juridiques lui sont présentées par des organes ou institutions spécialisées des Nations Unies.

En signant la Charte des Nations Unies, les États membres s'engagent à se conformer à la décision de la Cour dans tout litige auquel ils sont parties.

Le rapporteur spécial de l'ONU sur les droits de l'Homme, M. Richard Bennett, a salué « un pas important vers une justice pour les crimes des talibans à l'égard des femmes et des filles. »

3. Vers la reconnaissance d'un « apartheid de genre » ?

Alors qu'elle envisage actuellement à la rédaction d'un nouveau traité qui préciserait la définition et le contenu des « crimes contre l'humanité », l'ONU a été sollicitée par un collectif de militantes des droits de l'Homme afghanes et iraniennes, soutenu par des personnalités telles que les prix Nobel de la paix Narges Mohammadi et Malala Yousafzai, pour obtenir la reconnaissance d'un crime d'apartheid de genre.

Pour rappel, « apartheid » est un mot de langue « afrikaan » (langue des descendants des Boers d'Afrique du sud) qui signifie « état de séparation ». Il désigne la doctrine politique et « raciale » des gouvernements d'Afrique du sud entre 1948 et 1991, qui visait à mettre en oeuvre une ségrégation des populations noires et à organiser un développement séparé des populations blanches et noires du pays.

En réponse à cette demande, l'ONU doit prochainement confirmer la pertinence d'un nouveau traité et se prononcer sur l'insertion dans ce texte d'une référence à « l'apartheid de genre ». Dans l'affirmative, cette commission pourrait soumettre un projet de traité à l'Assemblée générale des Nations unies ou susciter la réunion d'une conférence pour rédiger une convention internationale (cette seconde option pouvant permettre de lever les blocages de certains pays).

Inscrire ce concept juridique dans un traité obligerait les États accusés de discriminations et de violences envers les femmes à rendre des comptes.

Certains juristes spécialisés comme Mme Céline Bardet, juriste en droit international, spécialisée dans les crimes de guerre et la justice pénale internationale, soulignent cependant qu'une telle inscription serait essentiellement « symbolique », les actions de persécution des femmes pouvant déjà être poursuivies devant la Cour pénale internationale.

« Le fait de cibler une population, par exemple celle des femmes, et de les priver de leurs droits, on peut déjà le qualifier aujourd'hui de crime contre l'humanité. Ce qui se passe en Afghanistan, c'est un crime de persécutions basées sur le genre et c'est tout à fait poursuivable. »32(*)


* 32 « Le long chemin vers la reconnaissance de l'apartheid de genre comme un crime contre l'humanité », France 24, 8 mars 2024.

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