B. AU SEIN D'UNE COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE PARTAGÉE ENTRE RENFORCEMENT DES SANCTIONS ET NÉCESSITÉ DE NOUER UN DIALOGUE POLITIQUE, LA FRANCE ET L'UNION EUROPÉENNE TENTENT D'ALLIER SOUTIEN AU PEUPLE AFGHAN ET FERMETÉ À L'ÉGARD DES TALIBANS

1. Une politique de sanctions ancienne à l'efficacité difficile à évaluer

Avant même ces condamnations unanimes, depuis 199923(*), les talibans ont fait l'objet de sanctions par le Conseil de sécurité de l'ONU. Prorogées en 2011, en 2015 et en 2021, les sanctions territoriales ont pour objectif :

-de lutter contre le terrorisme en Afghanistan ;

-de combattre la production et le trafic de drogue sur le sol afghan ;

-de faire respecter les obligations internationales de l'Afghanistan en matière d'aide humanitaire, en particulier de droits de l'Homme, « notamment ceux des femmes, des enfants et des personnes appartenant à des populations et des minorités vulnérables. »24(*)

Ces sanctions visent les talibans, ainsi que les personnes et entités qui y sont associées et qui, en pratique, figurent sur une liste.

Ces sanctions consistent en :

-une absence de reconnaissance du régime taliban par la communauté internationale, qui le désigne sous le terme « d'autorités afghanes de fait » ;

-un gel ciblé des avoirs ;

-une interdiction de voyager ;

-un embargo sur les armes.

Un comité de suivi veille à leur mise en oeuvre au sein du Conseil de sécurité.

En pratique, les enquêtes et missions d'évaluation des agences de l'ONU sont précieuses pour comprendre l'évolution concrète de la situation en Afghanistan. Ces enquêtes gênent d'ailleurs les talibans. Ainsi, en août dernier, ils ont déclaré « persona non grata » M. Richard Bennett, représentant spécial des Nations unies sur les droits de l'Homme en Afghanistan, en l'accusant d'avoir été nommé « pour diffuser de la propagande ».

C'est sur la base de ces travaux que le Conseil de sécurité peut adopter de nouvelles sanctions. Il a ainsi adopté, à l'unanimité, la résolution n° 2681 du 27 avril 2023 condamnant l'interdiction faite aux femmes afghanes, de travailler pour les agences des Nations Unies, interdiction inédite dans le monde.

Constatant « la situation économique et humanitaire désastreuse qui règne en Afghanistan », la résolution du Conseil de sécurité a exprimé la « profonde préoccupation » des ambassadeurs concernant l'interdiction faite aux femmes de travailler à l'ONU, affirmant que - parallèlement aux autres érosions des droits fondamentaux - elle « aura(it) un impact négatif et sévère » sur les opérations d'assistance de l'ONU dans tout le pays, « y compris la fourniture d'une assistance vitale et de services de base aux plus vulnérables ».

Elle a appelé à la « participation pleine, égale, significative et sûre des femmes et des filles en Afghanistan », et exhorté tous les pays et organisations ayant une influence sur les dirigeants fondamentalistes du pays, « à promouvoir une inversion urgente » des politiques qui ont en fait effacé les femmes de la vie publique.

Le Conseil de l'Union européenne a, en conséquence, prévu la mise en oeuvre de ces sanctions dans les États membres de l'Union25(*).

Les Nations Unies et l'Union européenne ont aussi imposé des sanctions transversales à des personnes identifiées comme auteurs d'atteintes aux droits de l'Homme. 5 individus ont fait l'objet de telles sanctions en mars et en juillet 2023.

2. Des tentatives de dialogue politique

Officiellement, le régime taliban, qualifié « d'autorités afghanes de fait » n'est pas reconnu par la communauté internationale, les représentants afghans dans nombre d'ambassades demeurant ceux désignés par la République islamique d'Afghanistan. La situation pourrait évoluer car le régime taliban a demandé la fermeture de ces ambassades, ce qui vient d'avoir lieu à Londres.

Cependant, la position de bon nombre d'États à l'égard du régime de Kaboul se veut moins fermée.

Pour rappel, les États-Unis sont aujourd'hui le principal bailleur de fonds du régime taliban auquel ils ont fourni 20,7 milliards de dollars (soit 18,5 milliards d'euros) d'aide depuis trois ans26(*).

En pratique, ce sont les Nations Unies qui transfèrent aux talibans l'aide américaine directe qui est de l'ordre de 80 millions de dollars tous les 10-15 jours.

La raison majeure de cette « realpolitik » est la volonté de préserver la stabilité de l'Afghanistan et d'éviter que ce pays ne se transforme de nouveau en « sanctuaire » d'organisations terroristes qui pourraient menacer la communauté internationale.

Pour sa part, l'ONU dépend du bon vouloir des talibans pour y assurer la sûreté de ses personnels, pour y mener ses actions de soins ou de déminage en faveur des populations civiles, et pour y garantir l'acheminement de l'aide humanitaire internationale.

Voilà pourquoi l'organisation, en lien avec une vingtaine d'États parties, a décidé de mener le « processus de Doha », qui vise officiellement à discuter de l'aide à apporter à l'Afghanistan, d'investissements et de lutte contre la production de drogue. En réalité, il offre aux talibans l'opportunité de renouer avec le « concert des nations » et de donner des gages de bonne volonté pour obtenir alors une reconnaissance internationale.

Ce processus peut conduire les représentants des Nations Unies à faire des concessions aux talibans susceptibles de décrédibiliser ces discussions : en effet, lors de la dernière session d'échanges, le 30 juin dernier, à la demande de la délégation talibane, les représentants de la société civile et les femmes en ont été exclus, ce qui n'a pas manqué d'alerter les ONG.

La France, qui a fermé son ambassade à Kaboul, le 15 août 202127(*), et qui revendique une « ligne dure » à l'égard des talibans, participe à ce processus. Mais elle considère que d'éventuelles concessions unilatérales de la communauté internationale au régime taliban ne favoriseront pas son changement. M. David Martinon, ancien ambassadeur de France en Afghanistan, le résumait sans ambiguïté : « Je récuse l'idée qu'il y ait des talibans modérés à qui il faudrait parler. »28(*)

Construite sur des valeurs consacrées à l'article 2 du TUE, l'Union européenne, tout en faisant preuve de prudence (elle a en effet conservé une délégation à Kaboul), a exprimé, le 15 septembre 2021, plusieurs principes directeurs clairs pour son action à l'égard de l'Afghanistan29(*) :

- « promouvoir, protéger et respecter les droits de l'Homme, en particulier la pleine jouissance de leurs droits par les femmes et les filles, ainsi que par les enfants et par les personnes appartenant à des minorités » ;

- « permettre la mise en oeuvre d'opérations humanitaires en Afghanistan » ;

- « empêcher que l'Afghanistan serve de base à l'accueil, au financement ou à l'exportation du terrorisme vers d'autres pays » ;

- « mettre en place un gouvernement inclusif et représentatif au moyen de négociations ».

Mentionnons également les diverses résolutions adoptées par le Parlement européen30(*), dont la dernière en date, votée le 19 septembre 2024, « condamne les gouvernements qui permettent aux talibans de normaliser leurs relations. »31(*)

Dans de nouvelles conclusions adoptées le 20 mars 2023, le Conseil de l'Union européenne a souligné de nouveau la responsabilité directe des talibans dans la « dégradation spectaculaire de la situation politique, économique, humanitaire et sur le plan des droits de l'Homme, en particulier des femmes et des filles. »

Dénonçant l'institutionnalisation « de la discrimination à grande échelle et systémique fondée sur le sexe », il a :

- réaffirmé son soutien à la pleine participation de tous les Afghans, y compris les femmes et les filles, dans tous les domaines de la vie en Afghanistan ;

- précisé que l'Union européenne était prête à prendre de nouvelles mesures restrictives à l'égard du régime taliban ;

- indiqué qu'elle continuerait à « faire entendre la voix des femmes afghanes ».

La France, qui a contribué à la définition de ces lignes directrices, a ajouté à plusieurs reprises que toute avancée vers une reconnaissance éventuelle d'un régime taliban devait être précédée par des progrès sérieux d'un tel régime dans le respect des droits de l'Homme et, en particulier dans les libertés fondamentales des femmes et des filles.


* 23 Résolution n°1267 du Conseil de sécurité de l'ONU.

* 24 Résolution n°2611 du 17 décembre 2021.

* 25 Décision 2011/486/PESC du Conseil du 1er août 2011 concernant des mesures restrictives instituées à l'encontre de certaines personnes et de certains groupes, entreprises et entités au regard de la situation en Afghanistan.

* 26 Inspecteur général spécial des États-Unis pour la reconstruction de l'Afghanistan (SIGAR), quarterly report to the United states Congress, 30 juillet 2024.

* 27 Un chargé d'affaires, basé à Doha, a désormais la responsabilité du suivi de l'Afghanistan.

* 28 « Le basculement de l'Afghanistan, une conversation avec David Martinon », interview par M. Kamyam Assari et M. Pierre Ramond, 23 mars 2023, Le Grand continent.

* 29 Conclusions du Conseil de l'Union européenne du 15 septembre 2021.

* 30 Signalons en particulier la résolution P9_TA(2022)0417 sur la situation des droits de l'Homme en Afghanistan, en particulier la détérioration des droits des femmes et les attaques contre les établissements d'enseignement.

* 31 Résolution P10_TA(2024)0008 du Parlement européen sur la détérioration de la situation des femmes en Afghanistan du fait de l'adoption récente de la loi sur « la promotion de la vertu et de la prévention du vice », en date du 19 septembre 2024.

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