2. L'absence de mécanismes de régulation d'un système complexe
a) Guichet ouvert et tiers-payant empêchent toute régulation de la demande
La
couverture maladie universelle est bâtie sur le double principe de
l'absence de condition mise à l'ouverture de droits et sur le
tiers-payant évitant au patient de faire l'avance de frais. Ces deux
caractéristiques empêchent donc toute régulation de la
demande qui ne supporte aucun coût (prise en charge complète) et
bénéficie d'un droit automatique.
En effet, la question de la gratuité des soins peut s'aborder par la
celle plus générale de l'opportunité d'une participation
financière de l'assuré, qu'il s'agisse d'un droit d'entrée
dans le système ou bien d'une prise en charge résiduelle à
chaque occasion de dépense.
Le débat de la participation financière des assurés sous
la forme d'une cotisation forfaitaire ou fonction du revenu en rejoint de
nombreux autres. Comment atténuer l'effet de seuil introduit par le
barème ? Comment matérialiser l'acte d'adhésion
à la mutuelle, condition
sine qua non
de l'affiliation dans un
organisme mutualiste ? Comment à l'inverse prévoir une
contribution qui ne soit pas symbolique ? Et si le montant est très
faible, à quel niveau néanmoins le fixer pour éviter que
son coût de recouvrement ne dépasse les recettes attendues ?
On peut constater qu'aujourd'hui pour les ressortissants de l'assurance
personnelle dont les cotisations sont prises en charge par un tiers (Etat,
département, etc.) il n'existe aucune participation financière
pour le bénéfice du régime de base.
La question du tiers-payant est tout aussi délicate. Il paraît
légitime de préférer un système où la
Sécurité sociale, les mutuelles et les compagnies d'assurances
paient directement et elles-mêmes les prestataires de soins : il ne
faudrait pas générer une nouvelle exclusion financière de
soins pour cause d'impossibilité de faire l'avance des frais. Il
apparaît pourtant qu'un tel mécanisme pourrait se
révéler inflationniste. Cependant, revenir sur ce point pourrait
se révéler une solution moins satisfaisante: pour que la
participation financière des assurés diminue vraiment leur
consommation de soins, il faut que cette participation soit significative, non
réassurable, et non exigée en cas d'urgence. Il paraît
impossible de les réunir dans le cas de la couverture maladie
universelle ce qui justifie le maintien du tiers-payant mais oblige à
constater l'absence de tout mécanisme de régulation de la
demande. Seul le système de médecin référent
permettrait de la contrôler dans une certaine mesure
5(
*
)
.
Enfin, la couverture maladie universelle apparaît comme un
mécanisme déresponsabilisant. Elle remet ainsi en cause le
premier principe de la Sécurité sociale qu'est l'ouverture de
droit. Elle instaure un système où le bénéficiaire
n'est jamais mis face à ses responsabilités de consommateur de
soins. Le projet de loi ne propose aucune cotisation pour l'adhésion
à une mutuelle. Il ne propose aucun forfait, même symbolique, pour
l'ouverture des droits. Il n'instaure aucune prime d'assurance.
Votre commission des finances n'ignore pas les difficultés pratiques
suscitées par la création d'une cotisation minimale symbolique
pour la couverture de base. Elle remarque cependant que s'agissant de la
protection complémentaire il aurait été possible de la
mettre en place lors de la signature du contrat de couverture
complémentaire, qu'il soit souscrit auprès de la CNAMTS, d'une
mutuelle ou d'une assurance.
b) Les difficultés pratiques de la mise en place
Les
modalités pratiques de mise en place de la couverture maladie
universelle laissent douter de la capacité des différents acteurs
à être prêts pour le 1
er
janvier 2000, date
inscrite dans le projet de loi pour son entrée en vigueur.
Cette entrée en vigueur suppose néanmoins l'adoption de mesures
législatives pour mettre en place la " tuyauterie " de la
couverture de base, dans le cadre de la loi de financement de la
sécurité sociale de 2000 et la loi de finances de 2000. Elle
suppose également l'adoption de mesures réglementaires
nombreuses, à commencer par la définition du contenu du panier de
biens et services alloué au bénéficiaire de la couverture
maladie universelle. Beaucoup ne pourront être prises avant l'adoption de
deux projets de loi.
Le CNAMTS va jouer un rôle de pivot du système. En effet, elle
aura à assumer la charge supplémentaire liée à
l'affiliation nouvelle des 150.000 personnes exclues de l'assurance de
base. A cela s'ajoutera surtout le traitement des dossiers pour la couverture
complémentaire.
Les mesures nécessaires à la mise en place de la couverture
maladie universelle...
La CNAMTS a déjà réfléchi aux mesures qu'elle
allait devoir mettre en oeuvre pour la couverture maladie universelle. Elle les
liste ainsi :
•
" développement de l'accueil de cette nouvelle
population venant demander à bénéficier de la couverture
de base et principalement de la couverture complémentaire ;
• analyse des déclarations de ressources à partir d'un
formulaire national déclaratif dans le cadre d'une organisation du
travail aménagée pour faire face à une très
importante charge de travail supplémentaire qui devra être
répartie entre les services centraux, les centres de paiement et les
centres d'accueil ;
• mise en place de relations nouvelles avec les complémentaires
pour l'échange d'informations sur le choix d'adhésion fait par
les bénéficiaires et mise en place de circuits comptables et
financiers pour permettre les procédures de règlement des
professionnels de santé, dans le cadre du tiers payant ;
• campagnes de communication vers les bénéficiaires
potentiels, les professionnels de santé, et associations ou autres
organismes au contact des populations concernées ;
• renforcement de la coordination au niveau local avec les autres
partenaires intervenant dans le domaine de la précarité ;
• développement des liaisons informatiques notamment avec les CAF
pour les échanges d'information concernant les allocataires et notamment
les bénéficiaires du RMI. "
... et les délais
" Le calendrier est excessivement contraint pour la
CNAMTS
surtout dans le contexte du passage à l'an 2000 :
Nombreuses modifications sur les chaînes informatiques pour prise en
compte des ressources, gestion de dispositifs élargis de tiers-payant et
mise en place de contrôles informatisés des ressources.
Formation d'agents chargés d'assurer les contacts et de traiter les
dossiers d'une population beaucoup plus importante que celle des assurés
personnels et des bénéficiaires de l'aide médicale
gratuite.
Mise en place d'un système de saisie allégé des
déclarations de ressources.
Risque d'afflux de demandes dès la fin de l'année 1999.
L'attention du Ministère a été attirée à
plusieurs reprises sur ce sujet.
Pour faciliter cette mise en oeuvre, plusieurs mesures sont
indispensables :
Ouverture des droits des assurés personnels en juillet 1999 jusqu'au
30 juin 2000 sans nouvel appel de déclarations de ressources en
décembre pour le calcul de la nouvelle cotisation. Les caisses
effectueront l'appel de cette nouvelle cotisation éventuelle à
partir des déclarations de ressources fournies en juin 1999 et pourront
donc anticiper cette opération.
Pour les bénéficiaires de l'aide médicale actuels
prolongation des droits acquis pour un an jusqu'au 30 juin 2000. Le projet
de loi prévoit actuellement le 31 mars mas le Cabinet du MES nous a
fait part de son accord de principe pour reporter cette date au 30 juin.
Ce délai supplémentaire laissé aux CPAM rendrait de plus
cohérente la périodicité d'analyse des ressources pour la
couverture de base et la complémentaire.
Développement des relations avec les CAF qui transmettront aux CPAM des
informations régulières sur les nouveaux Rmistes, 30.000 par mois
environ rentrant dans le dispositif automatiquement et sur la totalité
de la population de bénéficiaires du RMI une fois dans
l'année pour la prolongation du droit sur 1 ans, sans
déclaration de ressources.
Pour faciliter la déclaration des différentes allocations
perçues par les allocataires, les CAF pourraient leur adresser un
relevé annuel des prestations prévues. "
source : CNAMTS
Elle
devra instruire chacun des 6 millions de dossiers pour ouvrir le droit
à la couverture maladie universelle. Or les caisses primaires
d'assurance maladie aujourd'hui ne distribuent aucune prestation sous condition
de ressources. A la différence des caisses d'allocations familiales,
elles n'ont donc ni les outils techniques ni la compétence pour assurer
ce contrôle des revenus. Elles devront donc mettre en oeuvre des
protocoles techniques de transfert des fichiers depuis les caisses
d'allocations familiales et les services d'aide sociale des
départements. Cela suppose notamment des outils informatiques difficiles
à développer alors que les caisses doivent faire face au passage
à l'an 2000. Par ailleurs, elles auront besoin de personnel
supplémentaire pour assurer ce travail. Afin de ne susciter aucun
coût de gestion complémentaire, les caisses devraient reconvertir
les personnels libérés du traitement manuel des feuilles de soins
par la mise en place de la carte Sésam Vitale 1, que seulement
2,4 % des médecins utilisaient début mai 1999 (2.847 sur les
120.000 visés). La couverture maladie universelle supposera donc des
efforts de productivité des caisses qui en tout état de cause ne
pourront pas invoquer cette raison pour procéder à des embauches
supplémentaires.
Enfin, la carte Sésam Vitale 1 actuellement distribuée
pourra-t-elle accueillir les informations relatives à une couverture
complémentaire ? Il semblerait que non : sa puce n'aurait
déjà pas suffisamment de mémoire pour traiter les cas des
médecins cumulant plusieurs activités. Plus puissante, la carte
Sésam Vitale 2 ne sera pas disponible avant deux ans. Il faudra ainsi
mettre en oeuvre un mécanisme transitoire nécessairement
coûteux.
Les organismes complémentaires devront également définir
le contenu de leur offre complémentaire et mettre en place les outils
informatiques nécessaires à la gestion de leurs nouvelles
relations avec la CNAMTS et les professions de santé.
Le problème de la mise en place n'emporte pas que des
conséquences techniques. Elle a un coût financier certain :
pour les collectivités locales qui continueront à accueillir les
futurs bénéficiaires de la couverture maladie universelle ;
pour les organismes complémentaires ; pour la CNAMTS ; pour
l'Etat car si l'assurance maladie n'est pas en mesure de correctement
vérifier les seuils de revenus, le coût des fraudes et
inexactitudes sera supporté par lui.
c) Les rapports ambigus entre la couverture maladie universelle et l'ONDAM
La
couverture maladie universelle va susciter une augmentation de la demande de
soins. Elle est estimée dans le projet de loi aux 4,5 milliards de
francs nouvellement introduits dans le système de santé. On peut
y ajouter le coût du rattrapage, qui pourrait également se
révéler important, et celui des sous-estimations du Gouvernement.
Il apparaît indispensable que cette nouvelle dépense se fonde au
sein de l'objectif national d'évolution des dépenses d'assurance
maladie (ONDAM), tel qu'il résultera de l'adoption de la loi de
financement de la sécurité sociale pour 2000. L'évolution
du déficit de l'assurance maladie en 1998 contraint, pour assurer le
respect de l'enveloppe fixée par loi de financement de la
sécurité sociale pour 1999, à ne pas augmenter les
dépenses totales d'assurance maladie de plus de 1,1 %. Pour
l'année 2000, il sera donc difficile d'ajouter des dépenses
supplémentaires à une enveloppe source, déjà, de
déficits.
Il ne faudrait pas que la couverture maladie universelle soit invoquée
pour justifier une augmentation de l'ONDAM supérieure à
l'évolution du niveau général des prix. Elle exige un
effort partagé entre tous les acteurs de la protection sociale, et cette
solidarité doit pouvoir s'exercer au niveau des prix, faute de quoi elle
se fera par le biais d'inévitables prélèvements nouveaux.
Les professions de santé contribueront aussi à l'effort de
solidarité nationale que constitue de projet de loi.
En tout état de cause, si une enveloppe supplémentaire
était réclamée, il ne faudrait pas que cette hausse
dépasse les 4,5 milliards de francs supplémentaires
introduits dans le système de santé. Votre commission des
finances veillera avec une attention toute particulière à cette
articulation entre la couverture maladie universelle et l'ONDAM dans le cadre
de la prochaine loi de financement de la sécurité sociale, car
elle détermine en partie l'avenir du financement du système
proposé.