3. L'incertitude forte du financement futur
a) Les limites du financement prévu par le projet de loi
Le
projet de loi s'arrête au financement de la première année
de mise en place de la couverture maladie universelle. Il instaure, par le
biais d'une mécanique compliquée et qu'il faudra mettre en place
lors des prochaines loi de financement de la sécurité sociale et
loi de finances, un financement statique du dispositif.
Ce dernier est réparti entre les acteurs intermédiaires du
système de santé. Les organismes d'assurance maladie, les
organismes de protection sociale complémentaire, les
collectivités locales, les professions de santé, l'Etat sont mis
à contribution pour financer cet effort légitime de
solidarité nationale.
Cependant, tous les détails du projet de loi indiquent que les besoins
de financements devraient fortement augmenter. L'expérience du
passé montre comment tous les minima sociaux ont vu leurs
dépenses augmenter bien plus fortement que prévu lors de la mise
en place des mesures. Il n'est qu'à voir l'évolution des
dépenses du revenu minimum d'insertion (RMI) et de l'allocation pour
adulte handicapé (AAH) :
Crédits d'allocation du RMI
(en millions de francs)
Année |
Crédits |
Évolution en % |
1991 |
14.318 |
|
1992 |
13.163 |
- 8 |
1993 |
16.631 |
+ 26 |
1994 |
19.217 |
+ 16 |
1995 |
22.022 |
+ 14 |
1996 |
23.000 |
+ 4 |
1997 |
24.230 |
+ 4 |
1998 |
25.327 |
+ 5 |
1999 |
26.400 |
+ 4 |
Crédits consacrés à l'AAH
(en millions de francs)
Année |
Crédits |
Évolution en % |
1987 |
12.997 |
+ 5,0 |
1988 |
13.544 |
+ 4,2 |
1989 |
14.286 |
+ 5,5 |
1990 |
15.881 |
+ 5,4 |
1992 |
16.575 |
+ 4,4 |
1993 |
17.895 |
+ 8,0 |
1994 |
18.661 |
+ 4,3 |
1995 |
20.081 |
+ 7,6 |
1996 |
21.350 |
+ 6,3 |
1997 |
22.370 |
+ 4,8 |
1998 |
23.389 |
+ 4,6 |
Or, pour
la couverture maladie universelle, aucun des moyens de financement ne
présente d'aspect dynamique, sauf la participation de l'Etat. Les
recettes transférées à la CNAMTS pour le financement de la
couverture de base n'évoluent pas sur une base ayant un lien avec la
protection sociale : il s'agit de fractions de prélèvements
sociaux sur les revenus du patrimoine et les produits de placement, d'une
fraction des droits de consommation sur les tabacs et de la cotisation sur les
véhicules terrestres à moteur. Pour la couverture
complémentaire, sauf à augmenter le taux de la contribution de
organismes complémentaires, la seule façon d'assumer les charges
nouvelles restera donc une hausse de la subvention de l'Etat, elle même
financée par les ressources du budget général.
La " tuyauterie " mise en place a été conçue
pour ajuster sur une année
n
des dépenses et des recettes,
pas pour assurer au système un financement dynamique et solide pour les
année
n+1
,
n+2
, et suivantes.
b) Un nouveau minimum social à la recherche d'un " financeur ultime "
Les
dépenses de la couverture maladie universelle devraient fortement
augmenter dans les années à venir. On peut compter la
première année sur un effet de rattrapage. Ensuite, l'absence de
mécanisme de régulation et de frein à la demande constitue
une incitation à la dépense. La couverture maladie universelle
présente ainsi tous les caractéristiques d'un minimum social
supplémentaire : prestation attribuée sous condition de
ressource sans autre condition que la régularité du séjour
et sans autre limite que celle du prix du panier de soins défini et
négocié par les partenaires.
L'aspect le plus risqué de ce projet de loi apparaît ainsi
résider dans ses coûts futurs.
Finalement, l'avenir du financement de la couverture maladie universelle repose
sur quatre solutions qui ne s'excluent pas les unes et les autres :
• L'Etat augmente sa subvention au fonds de financement de la protection
complémentaire pour financer les dépassements du plafond de 1.500
F par an et par bénéficiaire pour ceux qui se sont assurés
auprès de la CNAMTS : le surcoût est assumé par le
budget du ministère de l'emploi et de la solidarité, donc par des
prélèvements fiscaux ou une dette pesant sur les
générations futures dans le cadre du déficit
budgétaire ;
• Le régime général de l'assurance maladie supporte
tout ou partie des coûts supplémentaires engendrés par la
couverture de base de la couverture maladie universelle : le surcoût
se répercute dans son déficit tendanciel et conduit à un
nouveau transfert à la Caisse d'amortissement de la dette sociale, donc
aux générations futures, ou à une hausse des
prélèvements sociaux ;
• Les régimes MSA et CANAM doivent faire face à de nouveaux
coûts très importants : le surcoût se répercute
sur leurs assurés par le biais d'une hausse de cotisations ;
• Les organismes de protection complémentaire doivent
répartir sur l'ensemble de leurs prix le coût
généré d'une part par la contribution de 1,75 %, d'autre
part par les dépassements du plafond de 1.500 F pour ceux qui se seront
adressés à eux pour leur protection complémentaire :
le surcoût est assumé par l'assuré non
bénéficiaire de la couverture maladie universelle via une hausse
des primes et cotisations sur l'ensemble de ses contrats d'assurances et de
mutuelles ;
Ainsi, moins l'évaluation du forfait de 1.500 F sera réaliste,
moins les organismes complémentaires auront intérêt
à participer activement au système, et plus le coût pour la
Sécurité sociale et l'Etat sera élevé.
La seule façon de financer cette charge supplémentaire et
légitime sans instaurer de prélèvement obligatoire nouveau
reste donc la réforme profonde de notre système de
santé.
c) Pas de dépenses nouvelles sans une profonde réforme de la protection sociale
Le
financement de ce projet légitime passe donc par la maîtrise de
l'ensemble des dépenses du système de soins. Ce sont les gains de
productivité qui seuls permettront d'assumer les dépenses
nouvelles générées par l'achèvement de la
généralisation de la couverture maladie et par la
générosité de la création d'un nouveau minimum
social avec le volet complémentaire.
Ce projet de loi ouvre certaines pistes et inaugure des évolutions
favorables. Il a ainsi permis de nouer un dialogue entre les différentes
acteurs de la protection complémentaire (mutuelles, institutions de
prévoyance, monde de l'assurance), les caisses du régime
général (CNAMTS, CANAM et MSA) et l'Etat. De même, il donne
aux organismes en charge du volet complémentaire des outils pour
expérimenter des pistes de réformes réclamées
depuis longtemps par votre commission des finances, comme le médecin
référent ou la définition d'un panier de soins minimum.
Enfin, il incite les professions de santé à s'entendre sur les
prix. En ce sens, il ouvre des voies intéressantes.
Cependant, ces pistes ne sont qu'esquissées et ne constituent pas
l'amorce de la révolution nécessaire dont notre système de
soins a tant besoin. Le médecin référent risque ici
d'apparaître comme un " médecin des pauvres ". Seul le
volet complémentaire est concerné par les accords avec les
professionnels ; l'Etat n'a toujours pas indiqué ce qu'il comptait
faire pour les soins de base qui représentent toujours l'essentiel de la
dépense de santé.
Votre commission des finances se prononce pour une organisation du
système de soins permettant de réduire les
inégalités, mais aussi d'assurer une vérité des
prix de la santé et l'équité entre les acteurs.
Le plan stratégique adopté par le conseil d'administration de la
CNAMTS va ainsi dans la bonne direction et constitue une amorce de
réforme. Il reste à à instaurer une plus forte concurrence
entre les acteurs de la santé, à mettre en place des
mécanismes de régulation après les annulations du Conseil
d'Etat et du Conseil constitutionnel, à rechercher les sources
d'économies permettant d'assurer la meilleure qualité possible
des soins, à une enveloppe financière constante, afin de ne plus
faire porter sur les générations futures la charge de nos
errements présents.
Les incertitudes financières du projet de loi
(en millions de francs)
|
Coût supplémentaire |
Organisme le supportant |
Dépenses supplémentaires d'après l'étude d'impact |
|
|
Contribution de 1,75 % |
1.800 |
organismes complémentaires |
Subvention au fonds de financement de la protection complémentaire |
1.700 |
Etat |
Coût de l'assurance de base |
900 |
CNAMTS |
Perte de recettes de la Caisse nationale d'allocations familiales |
320 |
CNAF |
Total |
4.720 |
|
Dépenses supplémentaires évaluées par la commission des finances |
|
|
Sous-évaluation des 1 500 F/an/bénéficiaire |
1.575 |
Etat et
organismes
|
- pour tous : hypothèse de + 15 % soit 1 725 F |
1.200 |
|
- pour CANAM et MSA : hypothèse de 500 000 de bénéficiaires assuré à la CANAM et MSA et d'une différence de 750 F avec le remboursement de base de la CNAMTS |
375 |
|
Sous-évaluation de l'extension du champ de la couverture de base, hypothèse de 9400 F/dépenses/ personne/an |
810 |
CNAMTS |
Frais de gestion pour la CNAMTS |
? |
CNAMTS |
Dépenses non compensées pour les départements consentant une aide médicale au dessus du seuil de la CMU |
? |
départements |
Dépenses transitoires durant
la période de mise en
place
:
|
?
|
départements
|
Pertes
de cotisations des autres régimes en cas de suppression de leur
cotisation minimale pour les bas revenus
|
1.710
|
|
Pertes de cotisations des mutuelles proposant des produits à des futurs bénéficiaires de la CMU |
? |
mutuelles |
Coût pour les organismes
complémentaire de la
prolongation des droits à complémentaire pendant un an
après passage au dessus du seuil de revenus
|
565 |
organismes
|
Total : près de 10 milliards de francs de coûts supplémentaires |