II. LE PACS : LE COÛT DE LA CONFUSION DES VALEURS
En créant avec le pacte civil de solidarité ce que beaucoup ont qualifié de " mariage bis ", le texte voté par l'Assemblée est-il acceptable ? Le doute n'est pas permis : non seulement cette proposition introduit une grave confusion dans le système de valeurs reconnu par une large majorité de nos concitoyens, mais, en outre, elle conduit à des charges prohibitives pour les finances publiques.
A. DROITS DE MUTATION : UNE COMPLEXITÉ INUTILE
Les
mesures adoptées par l'Assemblée Nationale sont volontiers
présentées comme des mesures de justice, en ce qu'elles
tireraient, pour les concubins, les conséquences de leur vie commune.
Mais, au delà des bonnes intentions qui les animent, les promoteurs de
ce nouveau dispositif aboutissent
à rendre plus complexe encore la
fiscalité des mutations
: en surajoutant un régime
particulier pour les signataires d'un pacte civil de solidarité, on
croit régler un problème, alors que l'on ne fait que rendre le
système, plus difficile à gérer et encore moins
cohérent.
Plutôt que de retoucher, ponctuellement, les abattements dont
bénéficie telle ou telle catégorie de
bénéficiaires comme on vient de le faire lors de la
dernière loi de finances ou comme nous le propose ici l'Assemblée
Nationale, plutôt que de rajouter un barème spécifique,
on aurait mieux fait de se poser le problème général de
nos droits de mutation, notoirement trop élevés, et
perçus, de plus en plus,
au delà d'un légitime souci
d'égalisation des chances et de justice sociale
, comme une entrave
à la volonté de disposer librement de ses biens.
En l'occurrence, la proposition tend à créer un régime
particulier ouvert aux partenaires liés par un pacte de
solidarité depuis au moins deux ans, consistant à
prévoir :
• un taux de 40 % pour les donations inférieures
à 100.000 F et de 50 % au delà, à comparer avec les
60 % applicables actuellement aux donations entre concubins au delà
de l'abattement général de 10.000 F, alors que par le jeu des
abattements, aucun droit n'est perçu à ce niveau lorsqu'il s'agit
de transmissions entre époux ou en ligne directe ;
• un abattement spécifique de 300.000 F pour les droits de
succession, porté à 375.000 F à compter de l'an 2000,
sensiblement et inférieur à celui applicable depuis la
dernière loi de finances entre époux, soit 400.000F et 500.000 F
à compter de l'an 2000.
On note le contraste entre la prudence des aménagements prévus
en matière de donation - il s'agit d'un geste, manifestement symbolique,
sans doute à la fois coûteux pour l'État et frustrant pour
les intéressés, compte tenu du caractère encore
élevé des taux - et l'audace relative de l'abattement
élevé fixé en matière de succession.
Votre commission comprend tout à fait que l'on distingue nettement
les mutations entre vifs, des mutations par décès. Mais
fallait-il placer le concubin au niveau de l'enfant et même au-dessus
à partir de l'an 2000 ? Cela semble, pour le moins, contestable...
Une réflexion générale est indispensable pour assurer
la cohérence d'un système que le présent texte tend
à rendre encore plus opaque.
B. IMPÔT SUR LE REVENU : UNE INCITATION À L'OPTIMISATION FISCALE ?
L'octroi
du bénéfice de l'imposition commune aux couples ayant
contracté un pacte civil de solidarité, alimente une
" confusion symbolique "
et constitue une
incitation
à l'optimisation fiscale
.
Pour un grand nombre de nos concitoyens, le projet est une négation de
la famille traditionnelle, puisque le pacte civil de solidarité donne -
à l'issue d'un délai de latence, il est vrai - dans le domaine du
droit fiscal des avantages équivalents à ceux du mariage ;
on se contentera, à tout le moins, d'y voir un coupable mélange
des genres.
En premier lieu, - mais cette dérive résulte des contradictions
du projet initial - la solidarité floue s'étend désormais
aux fratries, puisque
des régimes équivalents sont
accordés à des couples qui ne prennent pas des engagements de
même nature et, en particulier, n'acceptent pas les mêmes
contraintes
.
En l'occurrence, la liberté a un coût. Les financiers le savent
dans un autre domaine. Les couples mariés supportent des obligations
réciproques de toutes sortes, qui, notamment, ont pour
conséquence de rendre onéreuse la " sortie " du
système. On peut, dans cette condition, considérer comme
relativement faible, le risque de voir des couples se former pour des raisons
fiscales.
En fait, la situation se présente de façon fort différente
pour
les personnes passant un pacte de solidarité,
puisqu'elles
pourront sortir sans formalités lourdes
et, en
principe, sans risque réel de voir mise en jeu leur
responsabilité. La répudiation facile étant ainsi admise,
on peut craindre, même si l'exigence d'une relation durable
préalable atténue le risque ou du moins le diffère, que le
pacte civil de solidarité ne permette à certains contribuables
d'avoir un comportement d'optimisation fiscale et ne produise un
effet
d'aubaine
pour nombre de contribuables, parmi les plus fortunés.
Le risque est d'autant plus important que le quotient conjugal, que suppose
implicitement
le quotient familial, profite essentiellement aux couples
formés de personnes aux revenus déséquilibrés et
élevés, ayant peu ou pas d'enfants
. La lecture du rapport de
la commission des lois de l'Assemblée Nationale est édifiante.
L'économie d'impôt (revenus de 1997, législation de 1998)
va de 1 F pour deux revenus imposables de 100.000 F sans aucune
charge de famille, à 17.257 F pour deux revenus imposables, d'un
montant de 300 000 F et de 45.000 F sans aucune charge de famille, en
passant par 9.217 F dans le cas d'une famille avec un seul revenu
imposable de 150.000 F et deux enfants à charge.
Certes, ces observations valent tout aussi bien pour les couples mariés,
mais, outre le fait que les couples de complaisance ont, pour les raisons
susmentionnées, beaucoup de chances d'être plus rares, il faut
rappeler que
l'octroi du quotient conjugal aux couples mariés se
justifie,
non seulement par une communauté de vie, mais encore, et
surtout,
par la perspective d'enfants
. Le quotient conjugal anticipe sur
le quotient familial en prévoyant une sorte de présomption
favorable au couple marié de fonder une famille. Or cette
présomption n'existe pas, s'agissant des signataires d'un pacte civil de
solidarité, dont on sait qu'il peut recouvrir des liens de toute nature
allant du concubinage à la simple cohabitation pour convenances
personnelles.
Le résultat est simple. Sachant que le quotient familial n'a que peu
d'intérêt pour les couples dont les revenus sont peu
élevés et sensiblement égaux, et que de nombreux couples
sont biactifs,
le système ne va intéresser que les
contribuables aux revenus importants, sans comporter d'avantages pour les
concubins aux revenus modestes
.
Bref, c'est un système qui va surtout profiter aux plus riches sans
enfants
,
c'est à dire, précisément, à ceux
qui n'ont pas besoin d'être aidés !
En définitive, le pacte civil de solidarité, loin d'être la
mesure de justice présentée par ses promoteurs, risque de
n'être que l'occasion d'effets d'aubaine pour quelques personnes
avisées, sans apporter de solutions pour de nombreux couples qui,
n'acceptant aucun formalisme, resteront en état de
concubinage.
C. LE CHIFFRAGE INTROUVABLE
Avant de
décider, il conviendrait que la représentation nationale sache
combien tout cela va coûter. Aussi étonnant que cela puisse
paraître, on cherche en vain dans les débats à
l'Assemblée Nationale une estimation d'origine gouvernementale.
Ce
flou budgétaire
a d'abord deux conséquences. Il laisse
se répandre des rumeurs - toutes se fonderaient sur les estimations des
services du ministère des finances - qui, selon les voix non
autorisées qui les rapportent, estimeraient le
coût du Pacs
à 4, 6 voire 8 milliards de francs
; il ne facilite pas le
débat dans la mesure où il devient
impossible de comparer, du
point de vue de leurs conséquences pour les finances publiques, des
dispositifs alternatifs
à ceux proposés par la proposition de
loi adoptée par l'Assemblée Nationale.
Peut-on débattre de mesures fiscales dont on n'est pas
véritablement capable de mesurer les effets et pour lesquelles il est
difficile d'appliquer les règles de recevabilité
financière ?
De toute façon,
il n'est pas normal que le Parlement soit
amené à légiférer en matière
financière sur fond de rumeurs
.
Il a le droit de disposer d'une
étude d'impact qui, à défaut de prévisions
précises
- on comprend volontiers que s'agissant de matières
touchant à la vie privée, on ne puisse avoir de certitudes -
doit établir des hypothèses, envisager des fourchettes de
coût.
C'est à la fois le bon sens et la lettre de l'ordonnance
organique
2(
*
)
.
Ce travail de chiffrage est un exercice délicat mais non moins
nécessaire ; il ne peut s'improviser. A cet égard, votre
rapporteur pour avis voudrait avancer les réflexions suivantes. Bien
qu'ils ne soient pas unanimes, les experts démographes consultés
et dont les avis figurent en annexe, ont fait savoir que si l'on se fonde sur
les expériences étrangères - principalement, Danemark,
Suède, Norvège et Pays-Bas -
on pouvait s'attendre à ce
que le nombre d'union légalisées sous le nouveau statut reste
modeste car la plupart des concubins préféreront rester en union
libre
:
• le droit de la sécurité sociale reconnaît
très largement le concubinage, ce qui laisse à penser que les
aménagements proposés n'auront qu'une incidence très
modeste sur le nombre de couples qui devraient choisir le nouveau
régime ;
• l'imposition commune est un avantage qui n'intéressera que
les couples aisés et aux revenus
déséquilibrés : sauf pour les couples ne pouvant
jusque là avoir accès au mariage, on se trouvera dans une
situation dont
le coût risque d'être considérable, sinon
globalement du moins par foyer fiscal
;
• en revanche, on a toutes les raisons de s'attendre à ce
que seule la réforme des droits de mutation exerce un véritable
effet d'attraction, concentré sur les couples ayant déjà
une longue vie commune ; il en résulte le paradoxe suivant : c'est
précisément l'aspect - au demeurant peu contestable - le plus
facile à mettre en oeuvre sans avoir recours au pacte civil de
solidarité qui conduirait un certain nombre des couples à sortir
de l'union libre pour conclure un pacte civil de solidarité.
La procédure parlementaire donne le temps au Gouvernement de
présenter pour la deuxième lecture à l'Assemblée
Nationale et au Sénat, après consultation des experts,
sociologues, démographes, statisticiens, des perspectives raisonnables
permettant d'apprécier les effets du dispositif et
de quantifier la
demande potentielle pour le nouveau statut proposé
dans le texte de
l'Assemblée nationale
3(
*
)
.