III. LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION : PLUS DE LIBERTÉ ET DE SOLIDARITÉS PRIVÉES
Votre
commission des finances, partageant l'analyse de la commission des lois saisie
au fond, veut montrer que, dans le domaine de la fiscalité qui est le
sien,
l'essentiel des effets attendus du pacte civil de solidarité,
peut être obtenu au moyen de simples aménagements du code
général des impôts
.
Il n'est nul besoin d'introduire un nouveau statut aux contours et aux effets
mal définis - qualifié par certains d'objet juridique non
identifié - d'autant plus inutile qu'il ne saurait répondre aux
besoins du plus grand nombre des familles.
A. PRÉSERVER UN ESPACE DE LIBERTÉ TESTAMENTAIRE
Sur les
quelque 2,4 millions de couples non mariés, beaucoup sont durables et
méritent que l'on tienne compte de cette durée pour le calcul des
droits de mutation.
En accord avec la commission des Lois, votre commission des finances a
considéré que
s'il était tout à fait
légitime de permettre à quelqu'un de favoriser la personne
avec laquelle il vit, il n'y a pas de raisons pour lesquelles ce régime
de faveur serait réservé aux personnes ayant contracté un
pacte civil de solidarité.
Plus généralement, on ne voit pas pourquoi on ne pourrait pas
trouver le moyen pour chacun de manifester une solidarité
indépendante des liens du sang et des alliances, et de
privilégier une personne librement choisie.
De ce point de vue, il était
prudent de limiter ce régime de
faveur aux successions et de refuser tout avantage en matière de
donation
.
Le système proposé par l'Assemblée,
coûteux pour l'État, reste sans doute encore trop cher pour les
intéressés
.
En revanche, en matière de succession, il devient cohérent de
créer un statut privilégié, en étendant
l'abattement élevé, prévu pour les signataires d'un pacte
civil de solidarité, à une personne - et une seule - choisie
librement par le testateur.
Le montant proposé pour cet abattement a été
fixé à 250 000 F. Il a été jugé suffisant,
à la fois, pour des raisons de principe, par comparaison avec celui de
300 000 F, dont bénéficient les enfants, et, pour des raisons
budgétaires, dans la mesure où il a paru normal que le nombre
plus élevé de bénéficiaires soit, en partie au
moins compensé par une diminution du montant de l'avantage fiscal
proposé par le texte en discussion.
Par ailleurs, pour assurer la cohérence du dispositif, il est
proposé, à titre accessoire,
d'assouplir le régime
fiscal des successions des frères ou soeurs vivant sous le toit du
contribuable
: le niveau de l'abattement serait relevé de
100.000 à 150.000 F, tandis que la durée de cohabitation
préalable serait réduite de 5 à 1 an.
Enfin, le
régime de la tontine
serait aménagé pour
permettre une plus large utilisation de ce mode d'acquisition en commun, qui
constitue, pour les personnes vivant ensemble, le moyen
d'assurer leur
sécurité immobilière réciproque
.
A l'heure actuelle, le régime favorable qui permet à deux
acquéreurs de laisser la
propriété de leur
résidence principale
commune
au dernier survivant sans avoir
à payer des droits de mutation à titre gratuit - en fait
confiscatoires - , ne vaut que si le bien immobilier est d'une valeur
inférieure à 500.000 F.
Or, un tel montant n'est pas adapté à la réalité du
marché immobilier. C'est la raison pour laquelle votre commission des
Finances envisage de porter ce montant à
750 000 F
par la
mise à jour du chiffre adopté en 1980, et surtout, d'en faire non
pas un seuil absolu mais une
franchise,
ce qui est de nature à
rendre la formule utilisable dans les villes et en particulier à Paris
où les prix de l'immobilier sont particulièrement
élevés.
B. FAVORISER LA PRISE EN CHARGE DES PROCHES
Plutôt que de conférer aux proches sur des bases
juridiquement complexes et bien souvent confuses, le même statut fiscal
que les couples mariés, votre commission a, suivant la commission des
lois, préféré favoriser, dans une
logique
d'entraide
, la prise en charge d'une personne proche, indépendamment
de tout lien familial.
Le système est plus large
, puisqu'
il couvre tous les couples
de fait, alors qu'un bon nombre d'entre eux ne voudront s'embarrasser d'aucune
formalité et ne recourront donc pas au pacte civil de
solidarité
.
Il incite à accueillir tout proche, dès lors qu'il est sans
ressources et donc à la charge effective du contribuable, en lui offrant
la possibilité, en le rattachant à son foyer fiscal,
de
bénéficier immédiatement l'abattement
de l'article 196
B. Cet abattement est actuellement fixé à 20 370 F, mais votre
commission des finances propose de porter à
25 000 F.
Ce proche privilégié, concubin, parent ou autre, ouvre droit
à un avantage fiscal égal à celui d'un enfant
rattaché - qui, actuellement, doit être marié ou ayant
lui-même des enfants à charge.
Bien que cela ne soit pas sans doute nécessaire, il a été
décidé, en vue d'afficher clairement le caractère social
de l'objectif recherché, de
limiter la population
considérée aux personnes à faibles ressources,
définie par un double critère :
soit le fait d'avoir été, au cours de l'année
considérée,
l'ayant droit du contribuable pour l'ouverture du
droit à prestations en nature de l'assurance maladie,
ce qui
suppose, dans tous les cas de figure, que la personne se trouve à la "
charge effective totale et permanente
" du contribuable, selon la
formule de l'article L.161-14 du code la sécurité sociale, car
les intéressés ne comprendraient pas que ce statut de cohabitant
privilégié leur soit reconnu par la sécurité
sociale et pas par l'administration fiscale ,
soit le fait d'avoir vécu au cours de l'année
considérée
sous le toit du contribuable et d'avoir des revenus
annuels inférieurs
à un montant
de référence
égal à celui qui ouvre droit
au Revenu minimum
d'insertion
(2502 F par mois pour une personne isolée depuis
1999). Il est apparu nécessaire de compléter le premier
critère dans la mesure où des personnes, effectivement
complètement dépendantes du contribuable, comme certains
chômeurs en fin de droits, peuvent, bien qu'elles soient sans ressources,
continuer à avoir des droits propres en matière de prestations
d'assurance-maladie.
Le système est plus rigoureux
, car
le gain en impôt est
plafonné
, dans le système proposé par la commission
des finances à 13 500 F. Ce plafonnement intervient à un niveau
de revenu de l'ordre, pour un salarié, de 400 000 F de revenus bruts
annuels.
Dans le cas d'un couple sans enfants formé d'un contribuable ayant 300
000 F de revenu imposable et d'une personne sans ressources, le contribuable,
qui paye actuellement 100 043 F d'impôt, paierait - après trois
ans - 64 127 F avec deux parts, soit un gain de 35 916 F ; dans le
système proposé par la commission des finances, il paierait 87
659 F, ce qui laisserait néanmoins un gain de 12 384 F, ce qui est loin
d'être négligeable. Il s'agit de cas " limites ", mais
dont la survenance est tout à fait probable.
|
Situation d'un couple avec un seul revenu sans enfant |
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|
Revenu brut fiscal |
Revenu net fiscal |
Impôts situation actuelle
|
Impôts proposition
Assemblée Nationale
|
Avantage imposition commune (B-A) |
Impôts proposition commission
des finances du Sénat
|
Avantage
|
125 000 |
90 000 |
11 929 |
3 969 |
-7 960 |
5 929 |
-6 000 |
138 889 |
100 000 |
15 195 |
5 019 |
-10 176 |
8 329 |
-6 866 |
208 333 |
150 000 |
32 063 |
16 657 |
-15 406 |
23 445 |
-8 618 |
277 778 |
200 000 |
53 563 |
30 391 |
-23 172 |
42 813 |
-10 750 |
416 667 |
300 000 |
100 043 |
64 127 |
-35 916 |
87 659 |
-12 384 |
555 556 |
400 000 |
154 043 |
107 127 |
-46 916 |
140543 |
-13 500 |
694 444 |
500 000 |
208 043 |
151 319 |
-56 724 |
194 543 |
-13 500 |
Le
tableau ci-dessus montre que l'avantage proposé dans le système
préconisé par votre commission des finances reste, jusqu'à
100 000 F de revenu imposable, inférieur certes, mais du même
ordre de grandeur que celui de l'imposition commune ; pour des niveaux de
revenus plus élevés, de l'ordre de 150 à 200 000 F de
revenu imposable, l'avantage fiscal se situe aux alentours de la moitié
de celui apporté par l'imposition commune, tout en restant
substantiel : 8 618 F pour 150 000 F de revenu imposable, 10 750 F pour
200 000 F de revenu imposable, soit, en terme de revenus mensuels bruts pour un
contribuable salarié, respectivement 17 360 F et 23 150 F.
Ainsi, le rattachement proposé par la commission des finances, ouvert
à tous et accessible à tous, sera donc motivé par des
considérations de solidarité et n'incitera pas les contribuables
les plus aisés à des comportements d'optimisation fiscale.
Enfin, il faut souligner que
les enfants de la personne rattachée
seraient considérés comme des enfants à charge pour
l'application du quotient familial
.
C. RENFORCER CORRÉLATIVEMENT L'AIDE AUX FAMILLES
Les
aménagements proposés en matière d'impôt sur le
revenu devraient dégager de substantielles économies. Il est
proposé de les réaffecter aux besoins des familles
.
Parmi les multiples mesures qui pourraient être envisagées, votre
commission des Finances en propose deux, qui répondent aux besoins
concrets de toutes les familles, quel que soit leur statut :
•
l'inclusion des enfants de plus de 20 ans et de moins de 25 ans
à la recherche d'un emploi parmi les personnes rattachables au foyer
fiscal au même titre que les étudiants
;
•
le relèvement à 25.000 F de l'abattement
dont
bénéficient actuellement les contribuables pour leurs enfants
mariés,
et son extension à tous les jeunes à la charge
de leurs parents ayant plus de 20 ans et moins de 25 ans
.
Dans un contexte marqué par l'importance du chômage des
jeunes
, et par la tendance fréquente à reculer le moment de
l'entrée dans la vie active
, il était paradoxal de n'accepter
le rattachement au foyer fiscal du contribuable que des étudiants et non
des jeunes à la recherche d'un emploi.
L'abaissement du plafond de l'avantage fiscal lié à la demi-part de quotient familial
Avant la
dernière loi de finances, l'abattement de l'article 196 B était
de 30.330 F .
Pour les raisons que l'on connaît, le Gouvernement a dû revenir sur
la mise sous conditions de ressources des allocations familiales. Mais il n'a
accepté de rétablir l'universalité de ces prestations
qu'en abaissant, en contrepartie, le plafond de l'avantage en impôt
résultant du quotient familial, désormais plafonné
à 11.000 F. Il s'agissait de récupérer 3,9 milliards de
francs.
Corrélativement, il a été décidé de
diminuer le plafond de l'abattement de 30.330 F à 20.370 F, par
application d'une simple règle de trois pour s'assurer que même au
taux marginal d'imposition de 54 %, le bénéfice de l'abattement
ne donne pas en définitive un gain en impôt supérieur
à 11.000 F.
On n'a pas suffisamment insisté sur certains effets pervers de ce
nouveau plafond, qui, lorsque l'on considère l'abattement, concerne
beaucoup plus de familles et pas seulement celles aux revenus
élevés. D'abord, Il faut remarquer qu'au niveau de 20.370 F, on
est désormais nettement en dessous, avec 1.600 F mensuels, du niveau du
RMI mais aussi à peine au-dessus du seuil retenu (17 780 F) pour les
frais en nature. Ensuite et surtout, on diminue de façon soudaine,
l'aide apportée aux parents souhaitant aider leurs enfants mariés
ou ayant eux-mêmes des enfants.
RÉGIME FISCAL DES ENFANTS MAJEURS
Les
enfants âgés de plus de 18 ans sont, en principe, imposables sous
leur propre responsabilité. Toutefois, ils ont la possibilité de
demander d'être rattachés au foyer fiscal de leurs parents,
lorsqu'ils sont âgés de moins de 21 ans ou de moins de 25 ans
s'ils poursuivent leurs études ou effectuent leur service militaire.
A cette possibilité de rattachement au foyer fiscal, s'ajoute le droit
de déduire une pension alimentaire.
1. Le rattachement
L'avantage fiscal accordé aux bénéficiaires du
rattachement se traduit, pour les enfants célibataires, par l'octroi
d'une demi-part du quotient familial ou, pour les enfants mariés ou
ayant eux-mêmes des enfants à charge, par un abattement sur le
revenu imposable. Pour l'imposition des revenus de 1998, le montant de cet
abattement est de 20 370 F par personne prise en charge.
Le parent, qui accepte le rattachement, peut considérer l'enfant comme
à charge pour l'application du quotient familial. Il doit inclure, dans
son revenu imposable, le revenu éventuellement perçu par la
personne rattachée.
2. Les pensions alimentaires
Les pensions alimentaires allouées, en espèces ou en nature, en
exécution d'une obligation alimentaire résultant des articles 205
à 211 du code civil, sont déductibles du revenu imposable du
débiteur, dans la mesure où, conformément à
l'article 208 du code civil, le montant de la pension correspond aux besoins de
celui qui la perçoit et à la fortune de celui qui la doit. Sur
ces bases, les pensions alimentaires versées à un enfant majeur
dans le besoin sont déductibles dans la limite de 20 370 F, soit un
montant égal à l'abattement mentionné ci-dessus.
Le contribuable doit pouvoir justifier que les versements ont été
bien effectués, étant entendu que l'administration admet que,
lorsque l'enfant majeur vit sous le toit du contribuable, celui-ci peut
déduire sans avoir à fournir aucune justification, des
dépenses de nourriture et d'hébergement pour un montant
forfaitaire correspondant à l'évaluation des avantages en nature
retenue en matière de sécurité sociale soit 17 840 F pour
1998.
En tout état de cause, le contribuable ne peut bénéficier
à la fois du rattachement et de la possibilité de déduire
une pension alimentaire.
Ainsi, les parents d'enfants majeurs à la recherche d'un emploi
peuvent :
- jusqu'à 21 ans, choisir entre le rattachement au foyer fiscal et la
déduction de la pension alimentaire dans la limite de 20 370 F ;
- à partir de 21 ans (et que ce soit avant ou après 25 ans)
déduire dans la même limite une pension alimentaire.
Certes, dans le régime actuel, il est toujours possible de
verser une
pension alimentaire à un enfant en difficulté
[ cf.
l'encadré sur le régime fiscal des enfants majeurs]; mais, outre
le fait que cette possibilité aux contours mal définis
est
source de discussions, voire de contentieux, avec l'administration fiscale
,
il faut noter que la possibilité de rattachement permet de
conserver
le bénéfice des demi-parts supplémentaires
accordées aux familles nombreuses
.
La proposition de votre commission des finances revient à apporter une
réponse fondée sur la famille à la question essentielle de
l'aide que l'État doit accorder à l'insertion de ce qu'il est
convenu d'appeler
" les jeunes adultes ".
Au moment où les enfants mettent de plus en plus de temps à
prendre leur envol économique en trouvant un " vrai " travail,
l'intervention de l'État peut prendre la forme, soit d'une aide directe
aux enfants, soit d'une aide accrue aux familles.
Même s'il y a un risque de retard dans la coupure du cordon familial, le
choix de votre commission est clair :
si l'on ne veut pas substituer
à la dépendance des jeunes vis-à-vis de leur famille une
dépendance abstraite vis-à-vis de l'État de nature
à entretenir et installer, de façon précoce, une
mentalité d'assisté, l'aide à la jeunesse doit très
largement passer par les familles
. Tel est le sens des mesures fiscales
simples que votre commission des finances vous propose d'adopter.
*
* *
En
conclusion
, votre commission des finances voudrait souligner que l'on
peut, sans a priori idéologique,
adapter, avec réalisme, notre
fiscalité à la nouvelle donne de la famille
.
C'est faire preuve de réalisme, en effet, que
de prendre en compte
des situations de fait
, caractérisées par des cohabitations
plus ou moins durables, et la multiplication des familles recomposées.
C'est faire preuve de réalisme, encore, que de chercher à
préserver le statut fiscal privilégié du mariage
, qui,
par la stabilité qu'il apporte, reste le cadre le plus approprié
à l'éducation des enfants et à la transmission des valeurs.
C'est faire preuve de réalisme, enfin, que d'offrir aux Français
les moyens de manifester - et de concilier - leurs
aspirations à plus
de liberté et de solidarité privées
, pour le plus
grand profit de la collectivité.
Les amendements que vous propose votre commission des finances,
répondent à ces préoccupations par des
mesures
simples
, fondées sur des
principes clairs
:
•
Respect de la vie privée
, d'abord, avec un souci de non
ingérence dans les affaires intérieures des ménages, d'une
part,
•
affirmation du droit des citoyens à disposer
, dans le
respect du code civil,
d'une fraction de leurs biens pour en faire profiter
une personne de leur choix
, d'autre part.;
•
encouragement à toutes les formes de solidarité,
ensuite, avec la possibilité de rattachement au foyer fiscal d'une
personne sans ressources, indépendamment de tout lien de parenté,
• et une meilleure prise en compte, sur le plan fiscal, de
l'aide que
les parents apportent aux jeunes générations
.
Dès lors que l'on sort du cadre du mariage, il est bien difficile de
tracer des frontières dans les différentes formes de
communautés de vie. Les débats auxquels ont donné lieu les
fratries sont là pour en témoigner.
Il est donc artificiel de
vouloir séparer le couple des autres types de solidarité et, en
tout premier lieu, de la famille.
La société a besoin de solidarité. Mais cette
solidarité est l'affaire de tous et pas seulement de l'État
.
L'intérêt général est d'encourager, en la
matière, l'initiative privée. Puissent ces quelques mesures
fiscales contribuer à rendre la France plus solidaire.