Mme Cécile Cukierman. Tout à fait ! L’argument vaut aussi pour les retraites !

M. Patrick Mignola, ministre délégué. Aussi, j’ai apprécié la nuance dont ont fait preuve celles et ceux qui sont favorables à l’ouverture de ce débat sur l’instauration de la proportionnelle.

Mesdames, messieurs les sénateurs, il va de soi que le scrutin proportionnel améliore la représentativité des opinions. Je pense ici aux électeurs de droite de la Seine-Saint-Denis ou aux électeurs de gauche de Boulogne-Billancourt ou de Neuilly-sur-Seine qui peuvent ressentir une certaine fatigue et, parfois, s’impatienter, parce qu’ils ne se sentent pas représentés au sein des assemblées.

Il va de soi aussi, je tiens à le souligner, que le scrutin proportionnel peut renforcer la représentativité sociétale : à chaque fois que nous avons eu recours à ce mode de scrutin, c’est la place des femmes qui s’est trouvée confortée dans la République. La proportionnelle appliquée aux scrutins de liste contribue aussi à favoriser une meilleure diversité sociale.

M. François Bonhomme. Ce sont des choix politiques !

M. Patrick Mignola, ministre délégué. Il va de soi, enfin, que le scrutin proportionnel peut conduire à une évolution des cultures politiques. Comme vous le voyez, je m’efforce de m’exprimer devant vous de manière respectueuse et prudente,…

Mme Nadine Bellurot. Ça oui ! (Sourires.)

M. Patrick Mignola, ministre délégué. … tout simplement parce que j’appartiens moi-même à un gouvernement qui est le fruit d’un compromis, et qu’au sein de ce gouvernement il peut y avoir des avis divergents sur le sujet sur lequel j’interviens ce matin.

Pour avoir siégé à l’Assemblée nationale, je ne peux que constater que vos collègues députés, compte tenu de son émiettement, même avec la meilleure volonté du monde – et ils sont nombreux à faire preuve de bonne volonté –, ont beaucoup de mal à trouver le chemin du compromis – je rejoins en cela la sénatrice Florennes et le sénateur Kerrouche. Même si la Chambre basse, dans sa composition actuelle, ressemble à une assemblée issue d’un scrutin proportionnel, les députés ont en effet été élus via un mode de scrutin reposant sur une logique d’écrasement des uns par les autres, qui aurait dû conduire, lors des dernières échéances électorales, à ce qu’un groupe ou une coalition politique obtienne la majorité absolue.

Cette culture du compromis est absolument nécessaire, compte tenu de la complexité des difficultés qui sont celles du pays. En effet, pour ma part, je ne crois pas que l’on puisse avoir raison seul en écrasant les autres ; ou alors, c’est que l’on a raison quelques mois dans le cadre de majorités très larges, mais, ensuite, c’est la population, dont la contestation est relayée jusqu’au sein des assemblées, qui conduit au blocage.

La sénatrice Florennes ainsi que les sénateurs Kerrouche et Verzelen ont également rappelé que la véritable question qui se pose, dans le cadre du débat public qui s’ouvrira nécessairement au cours des mois et des années qui viennent, est celle des modalités d’application de la proportionnelle, celle du « comment ». Toute la question sera de savoir comment on pourra éviter l’émiettement du système représentatif et comment on parviendra à maintenir un lien entre les citoyens et les institutions.

À ce sujet, certains orateurs ont exprimé le souhait que l’on réfléchisse à un toilettage ou à une réforme des règles relatives au cumul des mandats, qui est, vous le savez, une question éminemment sensible. Selon le type de scrutin retenu, la question du bon échelon auquel la proportionnelle doit être mise en œuvre se posera avec acuité.

J’en viens à une réflexion plus personnelle, qui découle de ma propre expérience : il me semble qu’il ne faudrait pas que le choix du mode de scrutin proportionnel conduise à donner tout le pouvoir aux appareils.

M. François Bonhomme. C’est tout le problème ! (Sourires.)

M. Patrick Mignola, ministre délégué. Je constate que, parfois, dans le cadre du système qu’induit le mode de scrutin majoritaire, le poids des appareils et des commissions nationales d’investiture est décisif. (Rires ironiques sur les travées des groupes GEST et Les Républicains.)

Quoi qu’il en soit, les orateurs des différents groupes qui se sont succédé à la tribune l’ont tous mentionné, la restauration du lien entre élus et électeurs appelle sans aucun doute une réflexion plus large.

Le sénateur Laouedj a eu raison d’aborder la problématique des inscriptions sur les listes électorales, et, plus particulièrement, celle des Français mal inscrits – plusieurs rapports de grande qualité ont été produits par le Sénat sur ce sujet. Une réflexion approfondie sur la numérisation et la sécurisation des procurations doit également s’engager.

Je n’oublie pas la question du vote par correspondance, qui ne doit pas être balayée d’un revers de la main, dans la mesure où ce mode de votation est d’ores et déjà utilisé dans notre démocratie – je pense notamment au vote, désormais très sécurisé, lors des élections des comités d’entreprise, lesquels ont à la fois d’énormes responsabilités et d’énormes budgets à gérer.

La question du vote électronique doit également être étudiée avec attention. En Estonie, l’un des pays européens les plus avancés en matière de numérique, celui-ci est utilisé avec succès.

Il faudra aussi tenir compte, dans cette réflexion, des enjeux liés à l’accessibilité du vote, notamment pour les personnes en perte d’autonomie et les personnes handicapées.

Enfin, je terminerai mon intervention en rappelant l’importance de l’annonce faite par le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale de la création d’une banque de la démocratie, afin que nos futures campagnes électorales ne dépendent pas d’intérêts privés et ne soient pas, moins encore, à la merci d’ingérences étrangères.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de la réflexion que vous conduisez sur ce sujet ô combien important de la proportionnelle, un sujet qui est bel et bien d’actualité pour le Gouvernement. S’il est vrai que la démocratie est « l’organisation sociale qui tend à porter au maximum la conscience et la responsabilité civiques de chacun », comme l’écrivait Marc Sangnier, je suis sûr que nous sommes tous animés par la volonté d’y parvenir. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, RDSE et RDPI, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. François Bonhomme. On est bien avancé !

M. le président. La discussion générale est close.

Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.

proposition de résolution appelant à l’introduction de la proportionnelle pour les élections législatives

Le Sénat,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu les articles L. 260, L. 295, L. 338, L. 366, L.O. 485, L.O. 512, L.O. 540, L. 558-4, L. 558-8 et L. 567-1 A du code électoral,

Vu l’article 3 de la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l’élection des représentants au Parlement européen,

Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 2019-811 QPC du 25 octobre 2019,

Vu le projet de loi n° 976 (XVe législature) pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 mai 2018,

Vu le projet de loi organique n° 977 (XVe législature) pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 mai 2018,

Vu le projet de loi organique n° 2204 (XVe législature) pour un renouveau de la vie démocratique, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 août 2019,

Vu le projet de loi n° 2205 (XVe législature) pour un renouveau de la vie démocratique, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 août 2019,

Considérant qu’il est nécessaire de revoir le mode de scrutin actuel pour l’élection des députés afin que ce dernier puisse garantir une meilleure représentativité de l’Assemblée, davantage de stabilité, une confiance améliorée et une évolution des pratiques politiques, tout en maintenant un ancrage territorial lisible pour les électeurs ;

Considérant que, d’après l’Organisation de coopération et de développement économiques, seulement 26 % des Françaises et Français estiment que le système politique actuel permet que leurs opinions soient prises en compte ;

Considérant que le scrutin proportionnel, utilisé par tous nos voisins de l’Union européenne pour les élections législatives, permet une représentation fidèle des préférences politiques des citoyennes et citoyens ;

Considérant que le scrutin proportionnel réduit considérablement le nombre de voix qui ne sont pas effectivement représentées à l’Assemblée nationale ;

Considérant que le scrutin proportionnel peut encourager la participation aux élections ;

Considérant le recul inédit de la proportion de femmes à l’Assemblée nationale, qui avait atteint 38,8 % à l’issue des élections législatives de 2017 contre 37,3 % en 2022 et seulement 36,1 % à l’issue des législatives anticipées de 2024, ainsi que les effets positifs de la proportionnelle sur cette proportion ;

Considérant les spécificités de l’organisation du scrutin législatif en Corse et dans les outre-mer ainsi que les enjeux propres à la représentation des Françaises et des Français établis hors de France ;

Considérant que le scrutin proportionnel est déjà utilisé en France pour de nombreuses élections locales, pour une grande partie du Sénat ainsi que pour l’élection des représentants au Parlement européen ;

Considérant la déclaration de politique générale du Premier ministre François Bayrou, prononcée devant l’Assemblée nationale le 14 janvier 2025, lors de laquelle il a indiqué qu’« il faut également que chacun trouve une place au sein de la représentation nationale, à proportion des votes qu’il a reçus » et a proposé à la représentation nationale d’avancer sur la réforme du mode de scrutin législatif ;

Se déclare favorable à une réforme du mode de scrutin pour les élections législatives afin d’introduire le scrutin proportionnel ;

Rappelle que de nombreuses modalités de mise en place ont été évoquées dans le débat public et par voie de propositions législatives ;

Considère que c’est à travers l’amorce d’un travail parlementaire concret, large et ouvert qu’un consensus pourra émerger sur l’option à retenir ;

Considère que l’option de réforme in fine retenue devrait dans tous les cas garantir une représentation fidèle des préférences politiques des citoyens, assurer un équilibre géographique et le maintien d’un ancrage territorial, être simple et intelligible et pouvoir être mise en œuvre sans réforme constitutionnelle ;

Suggère au Gouvernement d’initier les nécessaires travaux de concertation des acteurs de la vie politique afin que les modalités exactes de l’introduction de la proportionnelle pour les élections législatives puissent être rapidement débattues par le Parlement et permettre ainsi l’introduction de la proportionnelle pour le prochain scrutin législatif.

Vote sur l’ensemble

M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explications de vote.

Je vais mettre aux voix la proposition de résolution.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mme la secrétaire constate le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 183 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 314
Pour l’adoption 162
Contre 152

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER, RDSE, RDPI, ainsi que sur des travées du groupe UC. M. Gérard Lahellec applaudit également.)

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures quarante-deux, est reprise à onze heures quarante-trois.)

M. le président. La séance est reprise.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, appelant à l'introduction de la proportionnelle pour les élections législatives
 

4

 
Dossier législatif : proposition de loi en faveur de la gestion durable et de la reconquête de la haie
Article 1er

Gestion durable et reconquête de la haie

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, la discussion de la proposition de loi en faveur de la préservation et de la reconquête de la haie, présentée par M. Daniel Salmon et plusieurs de ses collègues (proposition n° 839 [2022-2023], texte de la commission n° 189, rapport n° 188).

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Daniel Salmon, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Daniel Salmon, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce n’est pas sans un brin d’émotion que je prends la parole ce matin pour vous présenter cette proposition de loi en faveur de la préservation et de la reconquête de la haie, dont je suis l’auteur.

Permettez-moi tout d’abord de saluer l’ensemble des personnes qui ont travaillé de concert pour trouver un compromis sur un certain nombre de mesures et d’objectifs qui permettent de renforcer la portée de ce texte transpartisan.

Au spectacle de la nature, ce ne sont pas les haies qui tiennent le haut de l’affiche. Discrètes, en fond de parcelles, en bordure de chemins et de routes, entre espaces cultivés et forêts, les haies suscitent peu d’intérêt, hormis pour quelques amoureux de l’aubépine et du fusain, comme le souligne Sonia Feertchak dans Éloge de la haie.

Pourtant, les haies structurent nos paysages. Dans le bocage foisonnant où s’enchevêtrent mille espèces locales, elles forment un royaume peuplé d’un monde grouillant, foisonnant, rampant ou ailé.

La haie sépare l’espace, mais elle lie le vivant. De façon plus pratique, elle crée, dans nos territoires, une synergie entre agriculteurs, élus locaux, associations de chasseurs, associations environnementales, ou encore – il faut le reconnaître – entreprises agroalimentaires en recherche d’approvisionnement en bois durable.

Les haies concentrent tellement d’atouts que nous nous rassemblons sur toutes les travées de cette assemblée autour de leurs bénéfices.

Cette proposition de loi les remet à l’honneur. Et il y a urgence, car les haies disparaissent des paysages après avoir été massivement détruites lors de la période du remembrement. On estime que, depuis 1950, 70 % des haies ont disparu des territoires ruraux, soit 1,4 million de kilomètres.

Pourtant, les haies ont un rôle fondamental dans l’équilibre de nos territoires grâce à leurs nombreuses aménités, vertueuses sur les plans agronomique, environnemental, mais aussi économique.

Elles abritent une importante biodiversité animale et végétale, source de résilience, et contribuent à apporter une réponse aux aléas climatiques, de plus en plus importants, violents et fréquents. Elles facilitent la régulation des flux d’eau et participent à la lutte contre l’érosion des sols. Elles brisent le vent et abritent bétail, cultures et prédateurs des nuisibles, ce qui permet d’augmenter globalement les rendements des cultures dans les parcelles. Elles stockent le carbone dans les troncs et les racines, et produisent une biomasse feuillue qui fertilise les sols. Elles favorisent le maintien d’un patrimoine arboré et paysager, que nous chérissons tous, et représentent un levier de diversification des revenus agricoles.

Revenons quelques décennies en arrière pour comprendre ce qui a conduit à leur destruction.

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la France s’engage dans le remembrement de ses terres agricoles. Le but est louable : réorganiser et redistribuer les terres cultivables, afin de rationaliser les déplacements et d’améliorer les rendements, et favoriser la mécanisation.

Dans les régions de bocage comme la Bretagne, cela se traduit par un bouleversement complet du paysage ; le remembrement remodèle profondément les campagnes françaises, en les mettant d’équerre.

Les talus et les haies étaient considérés par les ingénieurs du génie rural comme des obstacles à l’utilisation rationnelle du sol. Pour agrandir les parcelles, on a arraché les haies, les pommiers, arasé les talus, rectifié ou comblé les ruisseaux. Cette opération, décidée de façon verticale, a entraîné l’effacement de l’agriculture vivrière, restreint l’autonomie des paysans et provoqué la disparition des petites fermes au nom de la productivité, de la foi dans un progrès inarrêtable.

En supprimant les haies, le remembrement a aussi bouleversé les écosystèmes. Les modifications des rivières, le drainage et l’arasement des talus ont accentué les déséquilibres hydriques, renforçant sécheresse et inondations. D’autres conséquences, plus indirectes, sont aussi regrettables : je pense au recours croissant aux produits chimiques et à l’essor des énergies fossiles.

Ce remembrement a bouleversé toute une société paysanne dont le mode de vie et le quotidien étaient complètement intégrés à des paysages synonymes de ressources et d’enchantement.

Dans Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix, écrit en 1938, Jean Giono explique combien le paysan est un être social particulier, et comment son corps et sa terre ne font qu’un. Permettez-moi d’avoir une pensée particulière à cet instant pour cette paysannerie fière, résiliente, autosuffisante, aux savoirs hérités de nombreuses générations, dont le mode de vie a été détruit.

Il ne s’agit aucunement d’idéaliser le passé : la vie était souvent rude, voire très rude. Mais nous nous devons d’établir ce constat : si le remembrement a permis la construction de routes indispensables, apporté un confort bienvenu aux travailleurs de la terre, et regroupé le parcellaire, il a aussi vidé les campagnes. Or nous en payons toujours le prix aujourd’hui…

Auparavant, l’agriculture produisait à l’échelle locale, essentiellement pour l’échelon local, à quelques kilomètres, quelques dizaines de kilomètres de distance ; puis, elle s’est tournée vers les circuits plus longs, nationaux et internationaux. Les relations humaines ont aussi changé. Les parcelles autrefois nommées ont été remplacées par des numéros.

Les blessures sociales et psychologiques que le remembrement a provoquées ne se sont pas toutes refermées, comme l’a souligné Inès Léraud dans son ouvrage Lhistoire enfouie du remembrement. « Je me reproche maintenant, honnêtement, mais profondément, de ne pas avoir fixé une limite au remembrement », confiait lui aussi Edgard Pisani en 2009.

Les paysans qui ont contesté le remembrement étaient le fer de lance de la lutte écologique. C’est de là qu’est née l’écologie politique, telle que la définissait le philosophe André Gorz : « Le mouvement écologique est né avant que la détérioration du milieu et de la qualité de vie pose une question de survie à l’humanité. Il est né originellement d’une protestation spontanée contre la destruction de la culture du quotidien par les appareils de pouvoir économique et administratif. […] La nature dont le mouvement écologique exige la protection n’est pas la nature des naturalistes ni celle de l’écologie scientifique. Elle doit être comprise comme le monde vécu, un monde où les individus voient, comprennent, maîtrisent l’aboutissement de leurs actes. » L’agriculture était vraiment dans ce monde-là avant le remembrement.

Persuadés de bien faire, en allant trop loin, certains ont commis des erreurs. À nous de ne pas les perpétuer !

Aujourd’hui, les haies reviennent de loin. La montée en puissance des préoccupations environnementales dans l’action publique s’est accompagnée de la mise en évidence de leurs fonctions écosystémiques et des multiples atouts que je viens d’énumérer.

Dans cette logique, plusieurs vagues d’actions publiques régionales se sont succédé pour soutenir les replantations bocagères et revitaliser les territoires ruraux. Je pense bien sûr au programme Breizh Bocage dans ma région. Cela s’est traduit plus largement par l’attribution de moyens, la mise en place de plans d’action et de recherche, la structuration de filières et d’une communauté professionnelle dédiées à la prise en compte de cet enjeu. Je pense notamment au travail formidable que réalise Réseau Haies France – anciennement Association française arbres champêtres et agroforesteries (Afac-Agroforesteries).

Mais, dans le contexte actuel d’érosion démographique de la main-d’œuvre agricole, nombre d’agriculteurs vivent toujours la haie comme une contrainte. La haie porte sa croix, elle semble prendre une place inappropriée, qui pourrait être dédiée à la culture de céréales ou à une autre production agricole.

Et malgré une prise de conscience évidente des pouvoirs publics et les programmes de plantation lancés au cours de ces trente dernières années, on estime à plus de 23 000 kilomètres par an le linéaire de haies disparu entre 2017 et 2021. Ce chiffre résonne comme un coup de tonnerre.

La présente proposition de loi se veut complémentaire du pacte en faveur de la haie ; elle n’a pas pour objet de le concurrencer, mais au contraire de le renforcer sur plusieurs points. Nous voulons être à la hauteur des enjeux, car il est aujourd’hui indispensable de mettre fin à cette spirale de destruction.

À l’heure où le financement du pacte est mis à mal, ce texte propose une stratégie, un cadre incitatif et rémunérateur, utile pour les agriculteurs, qui se concentre sur le linéaire existant, dont les bénéfices agronomiques sont bien plus importants.

Ainsi, l’article 1er prévoit l’inscription dans la loi d’objectifs chiffrés en matière de développement et de gestion durable des haies, en consacrant un observatoire de la haie et un groupe de suivi, dans le cadre d’une dynamique choisie par les acteurs de terrain.

Les chiffres que nous proposons sont crédibles et atteignables. Pour atteindre les 100 000 kilomètres de haies certifiés pour leur gestion durable en 2030, il faudra que le nombre d’agriculteurs labellisés gestion durable progresse de 2 000 par an, ce qui nous paraît tout à fait possible au vu des politiques incitatives mises en place par le Gouvernement et cohérent avec le crédit d’impôt voté à l’unanimité dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025, lequel, nous l’espérons, sera maintenu à l’issue de la commission mixte paritaire qui se réunit aujourd’hui même.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. On l’espère aussi !

M. Daniel Salmon. L’article 2 vise à créer un label Haie, afin de valoriser la gestion durable et de légitimer la mise en place d’un crédit d’impôt pour les exploitations bénéficiant de cette certification. Nous avons travaillé avec le rapporteur à une clarification de la définition de la certification de la gestion durable, et avons abouti à une rédaction de compromis acceptée par l’ensemble des parties prenantes.

Pour redonner à la haie son emprise dans les parcelles, et ce afin qu’elle remplisse réellement ses fonctions, et pour dégager les moyens financiers et techniques nécessaires à sa gestion, il est primordial que celle-ci devienne un atelier économique à part entière des exploitations.

Car oui, nous sommes convaincus que la haie peut être une source de revenus agricoles : filière bois-énergie, filière litière animale, reconnaissance des services environnementaux, dont celui du stockage de carbone, etc. Les initiatives existent, elles n’ont besoin que du soutien des politiques publiques pour se développer et s’amplifier dans les territoires. C’est du reste pourquoi les articles 3 et 4 visent au développement de filières bois locales et vertueuses pour l’économie.

Vous l’aurez compris, cette proposition de loi projette la haie en dehors de la seule sphère agricole, pour l’inscrire dans de nouvelles dynamiques territoriales. Son adoption enverrait un formidable signal à l’ensemble des acteurs de la haie.

Mes chers collègues, la haie, c’est notre patrimoine, ce sont nos paysages et notre imaginaire. Dans les années qui viennent, je souhaite qu’elle participe au renforcement de la transition agroécologique.

Face aux immenses défis qui se présentent, la haie peut être cet élément qui réenchante nos territoires, lesquels en ont bien besoin. Comme l’écrit l’écrivain Robert Michael Pyle, c’est en prenant conscience de ce qui nous reste qu’on prend conscience de ce qui peut disparaître. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST ainsi que sur des travées du groupe RDSE. – MM. Gérard Lahellec et Éric Kerrouche applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Bernard Buis, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est un plaisir et un honneur de vous présenter les travaux de la commission des affaires économiques sur la proposition de loi en faveur de la préservation et de la reconquête de la haie.

Je précise d’emblée que nous avons décidé d’en changer l’intitulé, puisque la notion de « préservation » a été remplacée par celle de « gestion durable », et ce en vue d’insister sur les synergies que permettent de dégager les haies, véritable trait d’union entre respect de l’environnement et économie rurale.

Je commencerai, comme je l’ai fait en commission, par un bref rappel historique.

La haie n’a pas toujours été considérée comme l’outil « tout-en-un » que nous voulons promouvoir aujourd’hui.

Dans les années 1930, le géographe Louis Poirier, plus connu sous son nom de plume de Julien Gracq, prédisait déjà la disparition progressive du bocage, qu’il voyait comme une « forme de vie économique aujourd’hui fossile ».

Il n’avait pas tort au regard des politiques publiques qui ont suivi, puisque, dans l’après-guerre, la haie a souvent fait les frais du remembrement, jugée comme étant un obstacle à l’utilisation rationnelle du sol.

L’histoire de la haie semblerait donc pouvoir se raconter en trois temps : bocage harmonieux avant-guerre, remembrement après-guerre, replantation aujourd’hui.

Et pourtant, mes chers collègues, gardons-nous de tels récits simplistes.

D’abord, parce qu’autrefois la haie était en fait une culture à vocation économique, elle aussi, visant à produire du bois de chauffage, du fourrage, de la litière, une source parmi d’autres dans la course aux revenus, bien loin des représentations idéalisées que l’on pourrait en avoir rétrospectivement.

Ensuite, car, si le regard des pouvoirs publics sur la haie a beau avoir changé dans la période récente avec l’essor des préoccupations environnementales, cela n’a pas empêché que la perte nette de haies s’accentue de 10 500 kilomètres par an entre 2006 et 2014, puis de 23 500 kilomètres chaque année entre 2017 et 2021.

Alors qu’il y a cinquante ans encore, l’État subventionnait l’arrachage des haies, il finance aujourd’hui leur plantation et leur entretien. Félicitons-nous de cette prise de conscience, car les haies sont des couteaux suisses de l’économie rurale. Elles brisent le vent, assurent la régulation thermique, stockent du carbone, protègent la biodiversité, retiennent l’eau, permettent de lutter contre l’érosion et offrent un abri précieux à la petite faune de nos campagnes.

Cependant, ce qui est recherché, avec la présente proposition de loi, c’est de mettre en avant, pour chaque exploitant, des motivations économiques palpables là où les bénéfices écologiques sont beaucoup plus diffus.

Il s’agit, autrement dit, de changer notre regard sur les haies, que nous devons protéger pour l’agriculture et non pas contre elle. Tel est le sens de ce texte qui prévoit, à son article 2, de s’appuyer sur une certification garantie par l’État pour valoriser la gestion durable des haies, à son article 3, de développer les objectifs de valorisation énergétique du bois bocager, et, à son article 4, d’apporter un soutien fiscal aux agriculteurs concernés.

À cet égard, revaloriser le bonus haie, de 7 euros à 20 euros par hectare en 2025, est certes un progrès, mais cela reste insuffisant pour relever les défis.

On pourrait nous objecter que l’article 1er, qui consacre une stratégie en faveur de la reconquête de la haie, est déjà satisfait, l’exécutif ayant déjà agi avec le pacte en faveur de la haie, annoncé à la fin de 2023 et doté de 110 millions d’euros par an, dont l’objectif est un gain net de 50 000 kilomètres de haies d’ici à 2030.

Mais la réduction drastique de 73 % des crédits alloués à ce pacte, et ce dès sa deuxième année d’existence, a démontré la fragilité de mesures qui reposent uniquement sur la bonne volonté budgétaire du moment. À l’inverse, cette consécration législative offrirait la continuité et la prévisibilité qui nous manquent tant en ce moment et qui sont pourtant si fondamentales.

Les auditions menées par la commission ont confirmé que cette initiative était soutenue par l’ensemble des acteurs, notamment la filière bois-énergie. Les seules réserves émises portaient sur le caractère ambitieux des objectifs chiffrés et sur le besoin de coordonner cette proposition de loi avec les textes et dispositifs déjà existants, qu’il s’agisse du pacte en faveur de la haie, du projet de loi de finances pour 2025, ou encore du projet de loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture.

À cet égard, il nous a tout d’abord fallu résoudre, en un temps très réduit, la délicate question de la coordination entre l’article 4 de la proposition de loi et le projet de loi de finances, qui était en cours d’examen. Cet article prévoyait initialement un crédit d’impôt de 3 500 euros. Aussi avons-nous décidé de déposer un amendement lors de l’examen au Sénat de la première partie du PLF, tout en rejetant des modifications budgétaires beaucoup plus dispendieuses.

Cet amendement, cosigné par Daniel Salmon, Laurent Duplomb et soixante-cinq de leurs collègues issus de l’intégralité des groupes du Sénat, a pour objet de rendre éligibles à un crédit d’impôt égal à 60 % les dépenses engagées pour la gestion durable des haies, dans la limite d’un plafond de 4 500 euros par exploitation – un mécanisme de transparence s’appliquant pour les groupements agricoles d’exploitation en commun (Gaec).

Notre amendement ayant reçu un double avis de sagesse de la part de la commission des finances et du Gouvernement, nous veillerons à sa survie dans le texte final du projet de loi de finances, qui fait en ce moment même l’objet d’une discussion en commission mixte paritaire. Son maintien est en effet vital ; sans cela, la proposition de loi perdrait tout son sens.