M. Jean-Baptiste Lemoyne. Exactement !
M. Bernard Buis, rapporteur. Non pas que la haie ait besoin d’un crédit d’impôt pour exister, mais elle a besoin que nous la regardions autrement, elle qui ne fut longtemps perçue que comme un coût par les agriculteurs. Il convient d’affirmer qu’elle peut être bénéfique tant directement, par sa valorisation, qu’indirectement, par les services écosystémiques qu’elle rend.
Ensuite, nous avons dû travailler en commission pour articuler la proposition de loi avec le pacte en faveur de la haie. Pour cela, nous avons fait adopter des amendements visant à intégrer ledit pacte comme une première déclinaison de la stratégie nationale, tout en fixant des objectifs plus ambitieux à l’horizon 2050. Je précise que ces objectifs ne seront pas des obligations juridiques opposables. En effet, il serait illusoire d’espérer reconquérir la haie par des décisions de justice ; cette dynamique doit résulter d’un choix délibéré.
Par ailleurs, nous avons fait preuve de pragmatisme en remplaçant la certification publique unique prévue dans le texte initial par plusieurs certifications répondant aux critères de gestion durable fixés dans la loi, qui seraient reconnues par arrêté ministériel.
En outre, j’ai tenu à ce que le cahier des charges national de ces certifications s’adapte aux spécificités pédoclimatiques locales, c’est-à-dire celles de nos sols, les règles étant différentes dans les plaines de la Beauce ou dans le bocage breton.
Toutefois, adaptation ne veut pas dire affaiblissement des exigences de gestion durable. Si, à l’heure actuelle, seul le label Haie, lancé notamment sur l’initiative de l’association Réseau Haies France, satisfait les principes de gestion durable que nous fixons dans la loi, nous avons voulu laisser la possibilité à d’autres démarches tout aussi fiables et rigoureuses d’émerger demain pour ne pas créer de monopole.
Au total, dix-sept amendements ont été déposés à l’identique par l’auteur de la proposition de loi et moi-même. Grâce à un esprit très constructif, nous avons abouti à un texte à peu près consolidé, sur lequel nous ne proposons finalement que très peu de modifications en séance.
Je constate avec gratitude que Daniel Salmon place l’intérêt général et la cause de la haie au-dessus de sa visibilité personnelle, puisqu’il a consenti à injecter sous forme d’amendements sa proposition de loi au projet de loi d’orientation agricole, dont l’article 14 présente des liens avec la proposition de loi que nous examinons. Je remercie également Laurent Duplomb et Franck Menonville de se montrer plutôt favorables à cette démarche.
En ces temps politiques incertains, nous pensons que les dispositions relatives à la gestion durable des haies ont de meilleures chances d’être adoptées dans les deux chambres par le biais du projet de loi d’orientation agricole.
Enfin, nous souhaitons remplacer la logique punitive qui prévalait jusqu’à présent par une logique incitative. En somme, nous préférons la carotte financière au bâton pénal. J’insiste encore une fois sur le fait que ce texte ne crée aucune obligation, la démarche récompensée étant complètement volontaire. Seuls les agriculteurs qui le souhaitent s’engageront.
Madame la ministre, nous vous présentons un texte équilibré, à la fois ambitieux et réaliste. Le ministère de l’agriculture, qui a impulsé le pacte pour la haie, continuera de jouer un rôle important à vos côtés. En commission, nous avons souligné l’importance de voir toutes les parties prenantes s’accorder et avancer main dans la main pour concilier économie et transition environnementale.
Je forme le vœu que ce texte soit adopté, puis promulgué le plus rapidement possible. Nous aurons alors fait œuvre utile pour la biodiversité, pour la protection des sols, pour la préservation de la ressource en eau et, bien sûr, pour le revenu des agriculteurs et la résilience de notre agriculture. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE, SER, GEST et CRCE. – Mme la présidente de la commission applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires économiques, chère Dominique Estrosi Sassone, monsieur le rapporteur, cher Bernard Buis, monsieur l’auteur de la proposition de loi Daniel Salmon, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de m’accueillir pour l’examen de cette proposition de loi en faveur de la préservation et de la reconquête de la haie.
Monsieur le sénateur Salmon, je le dis d’emblée, je partage votre constat : bien plus qu’une simple frontière entre deux champs, la haie est un véritable instrument au service de la transition écologique et de l’agriculture – je dis « et », mais l’on pourrait tout aussi bien dire « la transition écologique dans l’agriculture ».
Les haies rendent aux agriculteurs des services non seulement environnementaux, mais également agronomiques : elles participent à limiter l’érosion des sols pour nos cultures, ce qui est essentiel dans le contexte de pluies abondantes que nous avons connu en 2024 ; grâce à la biodiversité riche qu’elles abritent, elles contribuent à la lutte contre les ravageurs de cultures ; elles sont des refuges pour la biodiversité, offrant des espaces de reproduction, de repos et d’alimentation pour les espèces ; elles jouent un rôle essentiel dans la filtration de l’eau ; elles sont un atout pour l’élevage, en offrant des abris, des garde-mangers et de la litière ; elles stockent du carbone et fournissent de la biomasse pour l’alimentation des chaudières.
Gérée durablement, la haie est un levier efficace de la transition écologique. Elle contribue à la baisse des émissions carbone comme à l’adaptation au changement climatique et elle permet de lutter très concrètement contre l’effondrement de la biodiversité.
Avec celui de l’agriculture, mon ministère s’est emparé de ce sujet et a impulsé plusieurs dispositifs pour encourager la gestion durable des haies et les a consignés au sein du pacte global en faveur de la haie. Lancé en 2023, ce pacte fixe un objectif ambitieux : enrayer le déclin du linéaire de haies et atteindre un gain net de 50 000 kilomètres de haies d’ici à 2030.
Pour y parvenir, avec le soutien de la planification écologique, le pacte prévoit un appui à la gestion durable des haies, au développement de pépinières d’arbres, ainsi qu’à la plantation de haies agricoles. Il facilite également la formation à l’agroforesterie.
Parallèlement, un observatoire a été lancé pour mieux connaître et préserver les haies, par une meilleure appréhension de leur développement, de leur gestion, de leur production de biomasse et de leur valorisation.
Pour accompagner ces actions, des dispositifs de soutien ont été créés.
Tout d’abord, dans le cadre de l’écorégime de la politique agricole commune (PAC), le bonus haie finance la présence et la gestion durable des haies. Afin d’encourager encore plus d’agriculteurs à s’engager dans ce chemin de durabilité, nous avons revalorisé ce bonus de 7 euros par hectare à 20 euros par hectare. Il s’agit d’un soutien très concret.
Ensuite, les agriculteurs peuvent également souscrire une mesure agroenvironnementale et climatique (Maec) pour compenser les éventuels surcoûts et les pertes de revenus liés à la mise en œuvre d’une gestion ambitieuse des haies.
En outre, nous avons lancé un nouveau dispositif de paiements pour services environnementaux, constituant une nouvelle façon de rémunérer les agriculteurs. Lancé en 2020, ce dispositif enregistre déjà des résultats encourageants. Sur les 113 projets engagés jusqu’à présent, qui représentent environ 3 000 agriculteurs, la moitié incluent des indicateurs relatifs aux haies.
Par ailleurs, d’ici à la fin de l’année, plus de 900 exploitants agricoles auront obtenu le label Haie, premier dispositif de certification des pratiques de gestion durable des haies et des filières de distribution du bois issu du bocage.
Nous avons également inclus les haies dans nos dispositifs de financement innovants. Nous avons notamment lancé la labellisation bas-carbone par la méthode Haies, qui comptabilise la séquestration du carbone dans les sols et la biomasse générée par la gestion des haies bocagères.
Ces efforts viennent compenser l’absence, à ce jour, de modèle économique simple et autoportant pour inciter à la plantation et à la gestion durable de haies. Il convient de reconnaître que les dispositifs de soutien n’ont pas tous atteint leurs objectifs et doivent gagner en maturité. Il est également essentiel de développer une filière d’utilisation de la biomasse issue de la haie.
Mais l’ambition du Gouvernement ne s’arrête pas là : nous voulons restaurer des continuités écologiques, car les haies sont essentielles pour la circulation des espèces entre les différentes zones et habitats. De plus, pour assurer la préservation de la haie, nous avons décidé de la protéger au sein des documents d’urbanisme.
Enfin, mon ministère a lancé la marque Végétal local, qui assure une traçabilité des plantes et des graines, lesquelles sont prélevées localement, ce qui renforce la résilience des haies face au dérèglement climatique grâce à leur diversité génétique.
Ces dispositifs nombreux s’inscrivent dans un même objectif : renforcer la place de la haie dans notre pays et dans nos paysages.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui a été déposée dès 2023 par le sénateur Salmon, avant même la présentation du pacte en faveur de la haie, et porte évidemment la même ambition. Elle constitue une consolidation bienvenue des politiques que nous avons déjà engagées et je tiens, monsieur le sénateur, à saluer l’esprit de votre proposition de loi et votre travail pour nos haies et notre agriculture.
Si ces ajouts sont importants et utiles, vous conviendrez sans doute avec moi que, si nous voulons développer les haies dans notre pays sans alourdir le travail de nos agriculteurs et de nos administrations, le pacte pour la haie doit rester ce qu’il avait l’ambition d’être : une feuille de route souple et agile, qui ne crée pas des prétextes à des contentieux contre ceux qui s’investiraient dans cette démarche. Celle-ci doit également pouvoir évoluer en fonction de l’avancée des connaissances sur le sujet, en particulier en ce qui concerne ses objectifs quantitatifs.
C’est pourquoi il me semble prématuré, et même contre-productif, d’inscrire dès à présent des objectifs quantifiés dans la loi. En effet, la certification que nous mettons en place se déploiera progressivement. Les trajectoires pourraient être amenées à évoluer en fonction des données de l’observatoire de la haie, qui est, je le rappelle, en cours d’installation. À ce stade, l’inscription dans la loi de l’objectif de 50 000 kilomètres net d’ici à 2030 me semble donc suffisante.
Dans cette même démarche d’agilité et de souplesse, je ne suis pas favorable à l’inscription de plusieurs niveaux de certification ou à une formalisation trop détaillée du comité de suivi. À trop formaliser, nous risquons de complexifier et de nuire aux objectifs de la loi.
En revanche, la loi peut poser les principes de la « gestion durable », en définir les grandes lignes et prévoir les modalités de sa garantie par un contrôle adéquat. Ce contrôle pourra être précisé ultérieurement par arrêté interministériel.
La reconnaissance des certifications durables, notamment dans la filière de l’énergie, jouera un rôle précieux pour aider à valoriser économiquement les haies de manière pérenne.
Mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi s’inscrit dans la dynamique actuelle de nos politiques publiques afin d’ancrer durablement les haies dans nos territoires et de les intégrer à notre stratégie de transition écologique et énergétique. Je tiens donc à saluer l’unanimité dont elle a fait l’objet en commission des affaires économiques, et j’espère que nos débats de ce matin s’inscriront dans le même esprit de coconstruction. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et GEST, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Lahellec.
M. Gérard Lahellec. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie tout d’abord notre collègue Daniel Salmon et l’ensemble du groupe écologiste d’avoir pris l’initiative de cette proposition de loi qui, loin d’être un enjeu secondaire, relève d’un principe fondamental.
En effet, 23 000 kilomètres de haies en moyenne disparaissent en France chaque année. La région Bretagne, qui est une terre de bocage, mais aussi une terre d’élevage, ne fait pas exception. Dans mon département, et notamment dans le Trégor, 159 kilomètres de haies ont disparu au cours des vingt années qui viennent de s’écouler.
Comme cela a été rappelé précédemment, les haies préservent la biodiversité. À ce titre, notre pays du Trégor recèle un bocage complexe : aux bocages de bord de mer, qui sont des talus nus, succèdent à l’intérieur des terres des talus plantés, puis de la haie plantée. Cette richesse contribue activement au maintien et à l’enrichissement de la biodiversité.
Toutefois, la haie a bien d’autres qualités que celle de préserver la biodiversité.
Tout d’abord, les haies participent à façonner et à organiser nos territoires. Par exemple, à Plouaret, qui est un grand canton rural – que chacun connaît ici, n’est-ce pas ? (Sourires.) –, 85 kilomètres de route et 45 kilomètres de chemins de randonnée sont enchâssés dans des espaces de talus planté. La gestion de ce bois de bocage permet aussi d’alimenter deux chaudières à bois assurant le chauffage de plusieurs établissements publics.
La haie allie ainsi proximité et diversité. Surtout, elle sert notre agriculture à plusieurs égards.
Tout d’abord, si les haies disparaissent, il en reste néanmoins encore 7 000 kilomètres dans le périmètre de mon intercommunalité, où elles ont également vocation à tenir les fermes. Dans le territoire du Trégor, il existait jadis une forme de fermage un peu particulière : les agriculteurs et les exploitants devenaient propriétaires des haies qu’ils construisaient sur les champs qu’ils exploitaient en signant des covenants. Ce mode d’appropriation a naturellement favorisé le développement des haies ; nous gagnerions à nous souvenir de cette petite histoire.
Plus largement, les haies ont une utilité pour les éleveurs. Par exemple, je connais des éleveurs qui laissent des haies au milieu de leurs parcelles de manière que les bêtes s’abritent des intempéries en hiver, mais aussi de la chaleur en été.
En outre, l’association entre les haies et les talus qui les portent parfois retient les eaux de pluie, ce qui évite le lessivage des sols et permet de restituer l’eau en période d’étiage pour soutenir les débits des rivières – ce sont, en quelque sorte, des mini-bassines. (Sourires sur les travées du groupe GEST.)
Il convient donc de soutenir cette proposition de loi à plusieurs titres, tant du point de vue de l’écologie et de l’aménagement du territoire que de celui de la protection de notre agriculture et de notre élevage.
Je conclurai par une remarque : l’entretien des bocages reposant grandement sur les agriculteurs, moins il y aura d’agriculteurs, moins il y aura de haies. Sachons nous en souvenir lors de tous les débats à venir. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et RDPI, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Ronan Dantec. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer particulièrement l’auteur et le rapporteur de cette proposition de loi, qui sont parvenus à trouver des accords sur un sujet important et même, comme vient de le dire Gérard Lahellec, fondamental.
Trouver des compromis sur des enjeux majeurs pour l’avenir de notre pays, voilà ce qui est actuellement demandé à la représentation nationale. Cette proposition de loi, mais également la proposition de résolution que nous venons d’adopter s’inscrivent dans cette optique. Bien entendu, les enjeux environnementaux sont au cœur de cet avenir.
Les sinistrés des inondations d’Ille-et-Vilaine, dont plus de 1000 avaient été déplacés ce matin, non plus que les maires de Loire-Atlantique, qui gèrent la crise liée à la montée des eaux depuis le début de la semaine – à qui je rends hommage – ne nous demandent de faire de nos hémicycles des lieux de posture, d’instrumentalisation, voire de brutalisation du débat public. Ils nous demandent de trouver des solutions à de graves problèmes, qui, du fait du réchauffement climatique, s’aggraveront mécaniquement si nous ne faisons rien.
Face aux inondations, l’urgence est de ralentir le grand cycle de l’eau. Le Conseil national de la transition écologique (CNTE) l’écrit noir sur blanc dans son avis sur le troisième plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc), adopté ce 28 janvier à la quasi-unanimité, de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) à France Nature Environnement, des réseaux de collectivités au Mouvement des entreprises de France (Medef).
Pour y parvenir, chacun connaît le rôle clé des haies : ce sont des éponges précieuses, qui évitent les écoulements trop rapides, lesquels sont à l’origine d’inondations de plaines. C’est par exemple ce qu’il se passe ces derniers jours dans la commune de Saffré en Loire-Atlantique, où une personne est déjà morte noyée l’année dernière.
Nous savons aussi l’importance des haies pour la biodiversité et la production de biomasse. Cette importance a été soulignée hier lors de la présentation du dernier avis du Conseil économique, social et environnemental (Cese), à laquelle j’ai assisté. Cet avis a été adopté à la quasi-unanimité – cent dix-huit voix pour, une contre –, et présenté à la fois pas un représentant des chasseurs et une représentante du WWF (World Wide Fund for Nature).
Plusieurs recommandations de cet avis coïncident avec cette proposition de loi : la création d’un observatoire, la fixation de trajectoires chiffrées, ou encore l’instauration de mécanismes financiers de soutien.
Entre le CNTE, le Cese et la communauté scientifique, le consensus sociétal est très fort. Il est donc de notre responsabilité de traduire en politiques publiques concrètes et efficientes ce que nous demandent les acteurs représentatifs de notre société.
J’insiste notamment sur la question essentielle de la rétribution du monde agricole pour ce qu’on appelle de manière technocratique et désincarnée les externalités et les aménités qu’il suscite. La préservation de la biodiversité, notamment des pollinisateurs, la production de bois-énergie et la lutte contre les inondations participent historiquement de la culture paysanne. Le bocage n’a pas été créé pour faire joli ; il a été développé et entretenu pour ses fonctionnalités.
À cause du réchauffement climatique, il est inéluctable que la société demande demain au monde agricole de développer plus encore ces services essentiels à son avenir. Le mécanisme de crédit d’impôt qui a été retenu dans cette proposition de loi constitue un premier signal en ce sens.
Je ne doute pas d’un vote massif du Sénat en faveur de ce texte proposé par le groupe GEST et Daniel Salmon, que je salue. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Lucien Stanzione. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Lucien Stanzione. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est avec solennité que je m’adresse à vous aujourd’hui pour évoquer la préservation et la reconquête de nos haies.
En effet, je ne vous entretiendrai pas de jolis arbustes alignés le long des clôtures de nos maisons, mais bien d’une bataille pour notre avenir, celle de la mise à profit des bénéfices qu’offre la biodiversité.
Nous examinons une proposition de loi historique, déposée le 5 juillet 2023 et adoptée à l’unanimité en commission des affaires économiques le 4 décembre dernier. Je tiens d’ailleurs à saluer le travail de Daniel Salmon et du rapporteur Bernard Buis. Sans eux et sans la volonté de la commission des affaires économiques dans son ensemble, cette initiative n’aurait pas pu voir le jour.
Si je déplore plusieurs reculs par rapport aux ambitions du texte initial, il est important de souligner l’essentiel : chaque pas en avant compte. C’est pourquoi, dans un esprit de coopération, voire de compromis, nous soutiendrons cette proposition, qui marque une avancée majeure sur une question que nous ne pouvons plus ignorer et qu’il convient de traiter sans plus tarder.
Mes chers collègues, les chiffres parlent d’eux-mêmes : depuis les années 1950, 70 % des haies ont disparu, soit environ 1,4 million de kilomètres, principalement sous la pression du remembrement, qui a structuré la politique agricole productiviste d’après-guerre. Mais loin d’appartenir au passé, la destruction des haies connaît récemment encore des tendances à l’accélération, passant en moyenne de 11 500 kilomètres par an entre 2006 et 2014 à plus de 23 500 kilomètres par an depuis lors.
Cette perte tourne à la tragédie pour nos écosystèmes, nos sols, nos cultures et notre climat. Car ces haies ne sont pas de simples éléments paysagers ; elles sont de véritables infrastructures naturelles. Elles jouent un rôle clé à plusieurs égards.
Tout d’abord, elles protègent les sols : elles en freinent l’érosion et les nourrissent grâce à des interactions complexes. De plus, elles contribuent au stockage de l’eau et à la climatisation des espaces. En stockant le carbone, elles favorisent l’infiltration de l’eau de pluie et brisent la violence des vents asséchants.
Elles préservent également la biodiversité – elles servent de gîte, de couvert et de corridors écologiques à la faune essentielle de nos écosystèmes –, mais aussi l’agriculture. Tous les services rendus par la haie améliorent les rendements en protégeant cultures et élevages, tout en offrant une diversification des revenus par l’exploitation intelligente et locale de la biomasse engendrée. Elles constituent de surcroît un élément important d’aménagement du territoire.
Malheureusement, ces multiples bienfaits n’ont été compris que tardivement, après avoir été beaucoup trop négligés. L’urgence est donc d’agir avant qu’il ne soit trop tard.
Certains territoires tentent déjà de préserver ce patrimoine, notamment dans les plaines du sud de la France. Je pense en particulier à la plaine de Carpentras, en Vaucluse, où le mistral a forcé les générations successives à façonner un maillage dense de haies. Celles-ci sont principalement constituées de cyprès, qui sont désormais remarquables. Conçues et orientées pour résister aux vents violents, elles jouent un rôle crucial pour les cultures maraîchères et fruitières, en particulier pour la viticulture, tout en participant de l’identité paysagère de la région.
Des initiatives de sauvegarde existent, et le parc naturel régional (PNR) du Mont-Ventoux est à cet égard un exemple remarquable de ce que nous pouvons accomplir : lauréat de l’appel à projets national du pacte en faveur de la haie, il s’est engagé à restaurer et à promouvoir l’agroforesterie sur plus de 94 000 hectares. Grâce à un accompagnement technique et à des financements publics, vingt exploitations agricoles pourront profiter de programmes innovants, mêlant préservation paysagère, gestion durable et création de systèmes agroforestiers.
Toutefois, ces efforts sont encore fragiles, d’autant plus qu’ils dépendent de budgets publics, malgré leur importance cruciale pour nos territoires.
Mes chers collègues, mon groupe votera pour cette proposition de loi. Faisons de cette journée un tournant pour l’agriculture, l’environnement et les générations futures. Les haies ne sont pas de simples vestiges du passé ; elles sont la clé pour l’avenir ! Restaurons-les, promouvons-les, afin de porter haut les couleurs de nos territoires empreints de sagesse. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST. – M. Philippe Grosvalet applaudit également.)
(Mme Sylvie Robert remplace M. Loïc Hervé au fauteuil de la présidence.)