M. le président. La parole est à M. Max Brisson, sur l'article.
M. Max Brisson. Il n'est pas dans mon intention de défendre la corrida au titre d'une tradition, car les plus grands progrès moraux se sont faits contre les traditions. Je préfère défendre une culture, une identité, une sensibilité.
L'article 1er vise non pas à interdire aux moins de 16 ans d'accéder aux corridas, mais à interdire la corrida en présence de mineurs de moins de 16 ans, tout en faisant porter le risque de condamnation pour cette infraction pénale sur les organisateurs, et non sur le mineur ou ses parents.
Il suffirait en effet, si le texte était adopté, de faire entrer dans une arène un mineur pour qu'une infraction pénale soit constituée et que l'organisation des corridas soit ainsi mise à mal. Ce n'est donc pas la santé mentale de l'enfant qui est recherchée par les auteurs du texte, mais bien l'interdiction in fine de ces pratiques.
L'UVTF a travaillé sur la notion d'accompagnement. La plupart des règlements taurins prévoient déjà qu'un mineur de moins de 12 ans ne peut pas assister à une corrida sans être accompagné. Les corridas, en effet, sont régies par des règlements municipaux. La proposition de loi que nous examinons porterait atteinte, si elle était adoptée, au droit de différenciation des collectivités.
Si la démarche qui le sous-tend est plus habile que celle mise en œuvre dans les propositions de loi d'interdiction totale, l'article 1er vise néanmoins le même objectif : empêcher toute transmission aux jeunes générations et donc condamner, demain, la corrida à une mort certaine.
C'est la raison pour laquelle je m'opposerai à cet article et voterai l'amendement visant à le supprimer. (M. Laurent Burgoa et Mme Elsa Schalck applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, sur l'article.
M. Pierre Ouzoulias. Je m'interroge sur le choix du titre de la proposition de loi. Vous nous dites, mes chers collègues auteurs de ce texte, que vous voulez interdire la corrida en présence de mineurs de moins de 16 ans. Mais si vous vouliez vraiment protéger les mineurs, pourquoi n'avez-vous pas inversé les termes et interdit la présence de mineurs de moins de 16 ans aux corridas ? Cela aurait été plus pertinent au regard de votre projet.
Je partage totalement le point de vue de Max Brisson : ce qui est visé, c'est la corrida. Il aurait été plus simple de le dire ! Car le discours qui est tenu n'a pas de sens.
Par ailleurs, vous voulez protéger les enfants, mais savez-vous que la chasse accompagnée est possible en France à partir de 15 ans ? C'est le cas notamment de la grande vénerie. (M. Laurent Burgoa renchérit.) Un mineur de 15 ans pourrait donc assister à la mise à mort d'un cerf lors d'une chasse à courre, mais ne pourrait pas assister à la mort d'un taureau dans une arène ! Je ne comprends pas la logique…
Mme Laurence Rossignol. J'avais déposé une proposition de loi contre la chasse à courre...
M. Pierre Ouzoulias. Je ne suis pas favorable à la chasse à courre, mais je relève le manque de logique.
Par ailleurs, si vous souhaitez lutter contre la souffrance animale, ce que je comprends, je vous indique que la France importe chaque année 1,2 million de têtes de bétail : des bovins et des porcs. Avez-vous la certitude que, dans certains pays étrangers que je ne citerai pas, l'abattage se fait dans des règles de respect de la souffrance animale ? Je n'en suis pas sûr, et je pense même que, dans certains pays, des mineurs participent à la mise à mort dans les abattoirs.
Mme Raymonde Poncet Monge. Et alors ?
M. Pierre Ouzoulias. On pourrait élaborer des textes plus responsables et moins hypocrites, qui traiteraient à la fois de la protection des enfants et de la souffrance animale, et éviter ce faux débat sur la corrida.
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, sur l'article.
M. Henri Cabanel. Je fais partie de ces parlementaires qui disent souvent que nous faisons des lois bavardes et que l'on pourrait mieux dépenser notre énergie à voter des lois que les Français attendent. Tel n'est pas le cas du texte qui nous est proposé lorsque l'on connaît la situation du pays…
J'ai écouté attentivement les uns et les autres. Je partage les propos qui viennent d'être tenus : il y a une espèce d'hypocrisie dans ce texte. L'exposition à la violence des mineurs de moins de 16 ans est mise en avant, mais il s'agit en fait de lutter contre la corrida. Il aurait été beaucoup plus simple de déposer un texte pour interdire cette pratique, comme l'a fait Aymeric Caron, plutôt que d'utiliser cet artifice.
Cette proposition de loi me gêne énormément, car la responsabilité des organisateurs serait engagée. Voilà qui les affaiblirait encore davantage alors qu'ils se trouvent dans une situation économique difficile.
Permettez-moi aussi de reprendre les propos du garde des sceaux et de notre rapporteur : les parents ne sont-ils pas les meilleurs gardiens de l'intérêt supérieur de l'enfant ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Pas toujours !
M. Henri Cabanel. Il faut donc les laisser exercer leurs responsabilités.
Dans les villes taurines, la corrida est une fête. Aujourd'hui, plus que jamais, les Français en ont besoin. Laissons-les tranquilles ! (Mme Isabelle Florennes, M. Laurent Burgoa et Mme Elsa Schalck applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus, sur l'article.
M. Thomas Dossus. Les auteurs de la proposition de loi souhaitent interdire aux organisateurs de corridas d'accueillir des mineurs dans leurs spectacles.
Il y a quelques mois, nous avons travaillé sur la régulation de l'industrie du porno. Nous avons pointé le laxisme des exploitants de plateformes pornographiques dans la manière dont ils empêchaient, ou pas, les mineurs d'accéder à leurs sites. C'est bien la société qui doit fixer les limites : on ne se réfugie pas derrière l'autorité parentale pour interdire aux mineurs d'accéder à de tels sites. C'est la même chose pour les sites de paris en ligne.
Et ce n'est pas pour autant qu'on veut interdire la pornographie ou les paris en ligne ! Nous voulons juste protéger les mineurs.
C'est, encore une fois, la même chose pour les bars : les gérants ne doivent pas vendre de l'alcool à des mineurs, ils ont une responsabilité et peuvent être sanctionnés.
Vous le voyez, c'est bien la société qui intervient dans ces différentes situations, pas seulement l'autorité parentale. Nous avons donc bien besoin de fixer un cadre et des limites, en particulier pour les enfants.
En l'espèce, il n'est pas acceptable d'exposer un mineur à un spectacle de torture animale.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, sur l'article.
Mme Laurence Rossignol. Le bien-être animal est une question philosophique tout à fait passionnante, qui interroge les rapports entre l'homme et le reste du vivant. Cette question est apparue au moment de la révolution industrielle lorsque l'animal a été réifié, totalement annexé dans le contexte d'une activité industrielle, alors qu'auparavant il s'intégrait dans un cadre agricole.
Notre droit a progressivement construit les notions de bien-être animal, de protection des animaux et de sensibilité animale. Et même ceux qui défendent la corrida doivent avoir le courage de dire que celle-ci est uniquement une dérogation à l'ensemble de nos règles de droit sur la protection des animaux.
Sommes-nous prêts, au nom des traditions ou de la culture – la différence entre ces notions me semble subtile… –, à continuer de défendre cette dérogation ?
Je peux comprendre ceux de nos collègues qui estiment qu'il y a déjà suffisamment d'incendies dans leur département pour en allumer un autre. Mais, selon le code civil, les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Cela concernerait-il tous les animaux, par exemple un labrador, à l'exception des taureaux ?
Il me paraît important d'éduquer les enfants à refuser de faire de la cruauté et de la souffrance animale un sujet de réjouissance et de spectacle. Les défenseurs de cette position ne me paraissent pas devoir être traités comme ils l'ont été par certains intervenants…
J'aborderai tout à l'heure la question des dérogations à l'autorité parentale.
M. le président. La parole est à Mme Samantha Cazebonne, sur l'article.
Mme Samantha Cazebonne. Je veux moi aussi défendre cet article. C'est justement parce que nous avons entendu les arguments du rapporteur que nous ne voulons pas que ce débat cesse.
Je rappelle que 80 % des Français attendent que nous nous emparions de ce sujet. Comme mon nom l'indique, je suis originaire du Sud-Ouest et j'en suis fière, mais je fais partie d'une génération qui veut que les choses évoluent, en particulier en matière de protection de l'enfance.
Lorsque le législateur a pris la décision de rendre obligatoire le port de la ceinture de sécurité à l'arrière, il a sauvé la vie d'enfants. J'étais enfant à cette époque et je remercie le Parlement d'avoir pris cette décision – certains d'entre vous étaient peut-être déjà parlementaires. C'est dans cet esprit que nous avons déposé ce texte.
Nous souhaitons faire entendre la voix des enfants qui ont été traumatisés par ces spectacles. Laissez-nous débattre, arguments contre arguments ! C'est d'autant plus juste de débattre que, je le disais, 80 % des Français soutiennent cette proposition de loi. Ils sont donc nombreux, et il y en aussi dans les territoires taurins.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, sur l'article.
M. Guillaume Gontard. Je veux d'abord remercier mes collègues qui sont à l'initiative de cette proposition de loi, parce que le sujet est important. Il y a quelques années, nous avions déposé un texte différent, visant à complètement interdire la corrida.
J'entends beaucoup parler des traditions, mais heureusement qu'on ne s'autorise pas tout en leur nom ! Il arrive que nous regardions les choses différemment avec le temps, parce qu'elles évoluent. Je crois que c'est le cas pour les corridas.
On a évoqué le rapport à la mort. J'ai été élevé en milieu rural, j'ai vu tuer le cochon et dépecer un lapin, par mon grand-père. Je sais ce que c'est et je conviens qu'il est important de savoir d'où vient notre nourriture.
Mais nous parlons de tout autre chose avec la corrida. Je suis allé en voir une et je dois dire que j'ai été traumatisé – j'y pense encore ! C'est une mise en scène de la mort, de la cruauté ; c'est même une célébration de la mort. Les gens se lèvent et applaudissent le sang ; il y a là une symbolique tout à fait particulière.
Que des adultes y aillent, à la rigueur, mais pas les enfants ! Il est de la responsabilité des adultes de les protéger.
La notion de mineur est d'ailleurs importante. On ne fait pas voir à des enfants la même chose qu'à des adultes et notre responsabilité est, je le redis, de les protéger. Tel est le sens de cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, sur l'article.
Mme Monique Lubin. Je partage l'idée, déjà avancée par plusieurs collègues, que cette proposition de loi est uniquement un faux-nez et que ce que veulent réellement certains parlementaires, c'est l'extinction de la corrida ou des combats de coqs. En ce qui me concerne, je connais la corrida, mais pas les combats de coqs.
En tout cas, nos débats donnent parfois l'impression – imaginons quelqu'un qui arriverait d'une autre galaxie… – que nous vivons dans un pays où tous les enfants sont soumis chaque jour à la vue d'une corrida !
Comme le rappelait M. le garde des sceaux, la corrida, comme le combat de coqs d'ailleurs, est une pratique extrêmement encadrée et limitée à certaines régions. En outre, il y a peu d'arènes, et elles organisent seulement quelques prestations par an.
J'assiste de temps à temps à une corrida et je peux témoigner du fait que le nombre d'enfants présents est infinitésimal. (Protestations sur les travées du groupe GEST.) C'est une réalité, mes chers collègues ! (MM. Pierre Ouzoulias et Henri Cabanel opinent.) D'ailleurs, il me semble vraiment que ceux qui en parlent le plus sont ceux qui connaissent le moins le sujet.
En outre, comme le disait mon collègue du Sud-Ouest, avec lequel je ne suis pourtant pas souvent d'accord, les jeunes mineurs qui assistent à une corrida sont accompagnés d'adultes qui leur ont auparavant expliqué certaines choses.
Et, de grâce, ne mettez pas cela sur le dos de la protection de l'enfance et ne nous faites pas passer pour des gens qui ne veulent pas protéger les enfants ! Nous devons évidemment protéger ces derniers, par exemple contre l'actualité qui, chaque jour, les agresse.
J' y insiste, les enfants ne sont quasiment jamais exposés à un spectacle de corrida. (MM. Max Brisson, Laurent Burgoa et Henri Cabanel applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, sur l'article.
M. Éric Kerrouche. Pour l'instant, nous avons évité la caricature alors qu'il s'agit d'un sujet passionnel, sur lequel il est difficile de faire preuve de modération.
Je pense moi aussi que ce texte est hypocrite, parce qu'il vise, au fond, la fin de la corrida – et pas autre chose ! Le travail du rapporteur montre d'ailleurs qu'il n'est pas opérationnel d'un point de vue juridique parce que son objectif est différent des motifs invoqués.
Je ne suis pas un aficionado, mais je vais à des corridas et je reconnais que c'est un spectacle particulier qui peut être dur. Il est d'autant plus dur que notre société a tendance à mettre la mort de côté. Nous cachons souvent la mort, y compris celle de la plupart des animaux.
Néanmoins, si je peux entendre que ce spectacle est dur, la corrida reste un combat et il ne faut pas en nier l'essence.
La corrida n'existe pas parce qu'il y a une tradition ; elle existe là où il y a une tradition. Elle est donc limitée à une partie du pays. Contrairement à ce que semble penser Laurence Rossignol, je crois qu'il existe une différence entre tradition – un mot que je n'aime pas – et culture : la corrida fait partie des cultures locales.
Certains semblent dire qu'ils veulent s'arrêter là, mais ce n'est pas vrai : avec ce texte, on dit à une partie de la population que la diversité culturelle, un élément fondateur de notre pays, n'a pas de sens et qu'il ne doit y avoir qu'un seul mode de vie. Je ne peux pas entendre un tel discours. C'est pourquoi je voterai la suppression de cet article. (MM. Max Brisson et Laurent Burgoa, ainsi que Mme Elsa Schalck, applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l'article.
Mme Cécile Cukierman. Je veux à mon tour rassurer les auteurs de ce texte et ceux qui le défendent.
On ne peut que respecter la proposition qui nous est faire, mais il faut tout de même noter le nombre particulièrement élevé de courriers que chacun de nous a reçus et le déchaînement – je crois qu'on peut le dire ainsi – qu'on a constaté sur les réseaux sociaux.
Cela nous amène nécessairement à nous poser la question du sens véritable de ce texte : est-ce vraiment la protection de l'enfance ou plutôt l'interdiction des corridas et des combats de coqs ?
On peut d'autant plus se poser cette question après avoir entendu certains propos cet après-midi. La corrida et le combat de coqs sont aujourd'hui reconnus comme des actes de culture, non comme une tradition. Il ne s'agit pas du respect d'une ancienne tradition de combat animalier qui remonterait à une vieille origine humaine ! Ce sont, j'y insiste, des actes de culture.
Est-ce violent d'emmener un enfant de 6 ans au Louvre voir des statues grecques nues ? (Exclamations ironiques sur les travées du groupe SER. – Mme Raymonde Poncet Monge mime une brasse coulée.) On peut s'interroger, parce que chacun a sa propre définition de la violence.
M. Thomas Dossus. Ce n'est pas la même chose !
Mme Cécile Cukierman. Si ce n'est pas la même chose, pourquoi avoir comparé la corrida à un accident de la route, et rapporter l'interdiction dont nous discutons à l'obligation de porter la ceinture à l'arrière d'une voiture ? (MM. Max Brisson et Laurent Burgoa applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Burgoa, sur l'article.
M. Laurent Burgoa. Je soutiendrai moi aussi l'amendement de suppression de l'article que nous présentera Jean-Pierre Grand.
Mais permettez-moi de répondre à Samantha Cazebonne. Jusqu'à présent, notre débat a permis d'avancer des arguments pour ou contre la proposition de loi, ce qui est normal – cela s'appelle la démocratie !
Ma chère collègue, vous dites que vous avez assisté à des corridas. Je suis d'accord avec ce que soulignait Monique Lubin : il n'y a pas de mineurs seuls, ils viennent avec leurs parents. Dans mon cas, mes parents m'ont emmené pour la première fois voir un spectacle taurin à l'âge de 5 ans. Est-ce que je suis plus agressif ou traumatisé que d'autres ? J'y ai emmené mes deux enfants : mon garçon a tout de suite adhéré, ma fille non et elle est ensuite restée à la maison avec ses grands-parents. C'est cela l'éducation !
Enfin, est-ce que la corrida est un spectacle plus violent qu'un combat de boxe, que ce soit entre deux hommes ou entre deux femmes ?
Mme Cécile Cukierman. Exactement !
M. Laurent Burgoa. Si on interdit aux mineurs d'assister à une corrida, il faudrait également leur interdire les combats de boxe, parce que la violence y est très dure. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – MM. Henri Cabanel et Pierre Ouzoulias applaudissent également.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Bonne idée ! On va y penser…
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, sur l'article.
Mme Raymonde Poncet Monge. J'avoue que j'ai du mal à suivre certains arguments qui sont avancés… En arriver à parler des statues grecques du Louvre !
Mme Cécile Cukierman. Et la comparaison avec les accidents de voiture ?
Mme Raymonde Poncet Monge. En ce qui me concerne, j'ai déposé une proposition de loi identique à celle qui nous est soumise aujourd'hui, et je n'autorise personne à dire que je pensais à autre chose, par exemple à interdire la corrida.
Les écologistes ont déposé une proposition de loi pour interdire la corrida ; son auteur est Daniel Salmon et elle a été cosignée par des membres du groupe.
Pour préparer la proposition de loi que j'ai déposée et qui vise uniquement les mineurs, je me suis documentée. Pourquoi l'aurais-je fait si j'avais simplement voulu interdire la corrida, alors qu'il existait déjà une proposition de loi allant dans ce sens ? J'ai lu les écrits de scientifiques, de psychologues, de pédopsychiatres, etc. Tous ces gens doivent sûrement dire n'importe quoi et veulent certainement eux aussi interdire la corrida… Ce serait donc uniquement pour cela qu'ils se disent préoccupés par l'état émotionnel des enfants spectateurs de ces violences !
Des tas de pays, le Portugal, le Venezuela,…
Mme Samantha Cazebonne. L'Espagne !
Mme Raymonde Poncet Monge. … certains États du Mexique, ont interdit aux mineurs d'assister à une corrida, alors qu'il y existe également cette tradition. L'âge peut varier, mais tous ces pays ont pris cette décision sans pour autant supprimer la corrida ! C'est la même chose que pour les films.
Les autorités de ces pays se sont interrogées sur l'âge en dessous duquel on ne peut pas être confronté, sans que cela cause des dégâts émotionnels ou des conflits intrapsychiques, à la cruauté gratuite envers un animal, cruauté qui, de surcroît, devient un spectacle de joie et de bonne humeur pour les gens qui y assistent.
J'y insiste, ma proposition de loi n'avait pour objet que la protection de l'enfant.
M. le président. L'amendement n° 1 rectifié sexies, présenté par MM. Grand, Burgoa et H. Leroy, Mme N. Goulet, MM. A. Marc, Chasseing, Brisson, V. Louault, Verzelen, Frassa et Brault, Mme Lermytte, M. Wattebled, Mme Saint-Pé et M. Rochette, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. Comme l'a souligné le rapporteur Louis Vogel, l'instrument juridique retenu est inadapté au but poursuivi. L'objectif présenté est non pas le bien-être animal, mais la protection des enfants.
Il est proposé de modifier l'article 521-1 du code pénal, qui sanctionne le fait d'exercer des sévices graves ou de commettre un acte de cruauté envers un animal, pour rendre inapplicables aux mineurs de moins de 16 ans les dispositions du onzième alinéa, lesquelles prévoient une dérogation pour les courses de taureaux et les combats de coqs lorsqu'une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. Un tel dispositif n'aurait comme effet que d'interdire purement et simplement les courses de taureaux et les combats de coqs.
Je ferai remarquer que toutes les courses de taureaux n'aboutissent pas à la mise à mort de l'animal. Ainsi, comme chacun le sait, les courses camarguaises ou landaises sont des jeux sportifs.
Par ailleurs, il est impossible de traiter de la même manière les corridas et les combats de coqs car ils relèvent d'une organisation et d'une philosophie totalement différentes.
Enfin, cette proposition de loi ne dit rien des écoles taurines. C'est ainsi que, de façon incohérente, les enfants pourraient aller dans ces écoles, mais ne pourraient pas assister aux corridas.
Pour l'ensemble de ces raisons, il nous paraît opportun de supprimer l'article 1er de ce texte.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Louis Vogel, rapporteur. La commission est favorable à cet amendement.
J'ai analysé ce texte d'un point de vue strictement juridique, sans me demander si la question posée n'était pas de savoir si on était pour ou contre la corrida. Je ne suis pas d'un pays de corrida, mais d'un pays de droit, la France !
D'un strict point de vue juridique, donc, insérer un texte lié à la protection de l'enfance au sein de dispositions du droit pénal relatives à la protection des animaux contre les sévices et la cruauté entraîne nécessairement des dysfonctionnements.
Ensuite, pour un juriste, l'expression « tradition locale ininterrompue » signifie usage. Or, quand un usage existe dans notre pays, on le laisse généralement vivre et évoluer de lui-même, sous l'influence des habitants et des acteurs locaux, par exemple les municipalités, pour les règlements des écoles taurines. Parmi ces habitants, il y a naturellement des parents.
Dans ce type de situation, le législateur se retient d'intervenir et ne prévoit des exclusions que dans des cas exceptionnels. Portalis disait d'ailleurs (M. le rapporteur montre du doigt la statue de Portalis érigée dans l'hémicycle.) qu'il fallait avoir la main tremblante et ne déranger un système juridique que si des motifs tout à fait exceptionnels le justifiaient.
L'exclusion des mineurs des casinos vise à empêcher un état de dépendance par rapport aux jeux d'argent. Pour un spectacle, les choses sont tout à fait différentes : on peut fixer une limite d'âge qu'on fait appliquer par les parents, mais on ne peut pas exclure. (Mmes Marie-Pierre de La Gontrie, Laurence Rossignol et Samantha Cazebonne protestent.)
Nous avons la chance d'avoir du droit en la matière, ce qui n'est pas le cas pour tous les sujets. Il faut le respecter et l'appliquer, sauf motif exceptionnel. Et je n'ai pas pu trouver un tel motif dans le cas présent. (MM. Max Brisson et Laurent Burgoa applaudissent.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Didier Migaud, garde des sceaux. Comme je l'ai indiqué, le Gouvernement est défavorable à cette proposition de loi. Sur la façon d'arriver à un rejet – amendement de suppression des articles ou vote final négatif sur le texte –, je m'en remets à la sagesse du Sénat... (Sourires.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Je veux rassurer les collègues qui se sont interrogés sur le sens de cette proposition de loi : il n'y a pas de but caché ! Notre débat le prouve d'ailleurs très bien.
En interdisant aux enfants des spectacles dans lesquels les animaux souffrent et sont mis à mort, qui ne sont donc pas conformes à nos règles communes telles qu'elles sont traduites dans le code pénal et dans le code civil – l'interdiction d'exercice de la cruauté sur les animaux et le respect de la sensibilité animale –, nous voulons souligner le caractère dérogatoire du droit à la perpétuation des corridas ou des combats de coqs.
Nous disons que ce type de spectacle n'est pas destiné à des enfants – il n'y a pas de sens caché, je le répète. Si les corridas ou les combats de coqs ont été épargnés lorsque nous avons construit ce qu'on appelle le droit des animaux, c'est en raison du rapport de force politique.
Certains ont par ailleurs évoqué une atteinte à l'autorité parentale ou à la liberté éducative. Mais tout le droit de la protection de l'enfance s'est construit sur des dérogations à la liberté éducative et à l'autorité parentale ! Nous protégeons les enfants, y compris, bien entendu, contre leurs parents.
Les casinos sont interdits aux mineurs même si leurs parents veulent les y emmener, parce que nous considérons que c'est une question non pas de liberté éducative, mais de protection des enfants.
C'est la même chose pour l'accès aux vidéos pornos ou à la pornographie sur internet. Je vous rappelle que nous avons voté ici même des dispositions, quasiment à l'unanimité, fondées sur le fait que les sites pornographiques ne sont pas bons pour les mineurs, y compris si leurs parents les laissent les regarder. Exposer des enfants à des images pornographiques est même une défaillance de l'exercice de l'autorité parentale.
Je vous rappelle enfin que le législateur a limité la liberté éducative, en posant le principe que l'autorité parentale s'exerce sans violence, qu'elle soit physique ou psychologique. Le jour où on a débattu du fait que les parents ne pouvaient pas frapper leurs enfants, certains collègues arguaient déjà que cela limitait la liberté éducative… (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Arnaud Bazin et Mme Samantha Cazebonne applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Arnaud Bazin, pour explication de vote.
M. Arnaud Bazin. Si cet amendement de suppression de l'article est voté, le débat s'interrompt et nous ne pourrons pas examiner les autres amendements. Je vous demande donc de bien réfléchir avant de voter, mes chers collègues.
C'est d'autant plus important que nous avons déposé un amendement qui prend en compte la position de la commission sur la proportion de la sanction. Nous proposons une simple amende de 7 500 euros, et j'aimerais entendre pourquoi une telle proposition ne serait pas recevable.
Au fond, la question qui nous est posée est simple : peut-on, sans risque pour la sécurité psychique de l'enfant, l'exposer à un spectacle répété d'actes de cruauté et de sévices graves conduisant à la mort d'un animal ? Je ne reviens pas sur tous les éléments qui ont été évoqués, la réponse est clairement non. On ne peut pas accepter de confronter des enfants à de tels spectacles sans prendre un risque. Certains enfants peuvent évidemment le supporter ; d'autres non. Doit-on alors prendre ce risque, alors que les études montrent qu'il est bien réel ?
Pourquoi est-il si difficile, finalement, d'adopter une mesure – interdire aux enfants de moins de 16 ans d'assister à une corrida – somme toute assez bénigne et de bon sens ? Parce que cela touche un mécanisme psychique profond : quand on a considéré comme moralement acceptable quelque chose pendant très longtemps, changer de perception demande une grande élévation et ouverture d'esprit. C'est à cela, mes chers collègues, que je vous invite. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Laurence Rossignol applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. Nous ne sommes pas ici pour accuser les uns ou les autres d'avoir des idées sous-jacentes. Mais il n'empêche que, au moment de la discussion générale, le débat était d'une certaine tenue et concernait bien le texte et qu'au fur et à mesure de l'avancée des débats c'est l'interdiction de la corrida qui ressort...
Je ne suis pas un juriste, contrairement aux membres de la commission des lois, mais je vais vous dire comment je ressens les choses. Nous sommes dans un pays tellement jacobin que nous avons beaucoup de mal avec le droit local. La protection des enfants dans les règlements taurins existe bien, et les municipalités ont beaucoup travaillé en ce sens.
La corrida est une dérogation. Les acteurs locaux, en particulier les municipalités qui organisent les corridas, ont été à l'écoute de la société et ont observé ses évolutions. Toutes les municipalités qui accueillent des arènes – elles sont peu nombreuses, comme le disait tout à l'heure Monique Lubin – traitent cette question avec une grande précaution, en prenant évidemment en compte la protection des mineurs.
D'ailleurs, lorsque des alternances politiques se produisent dans les municipalités, cet usage, qui est assis sur un droit local, n'est jamais remis en question ; au contraire, il est constamment abondé et retravaillé.
Nous sommes l'assemblée qui représente les collectivités territoriales et les communes de France. Dans ce débat, il faut aussi respecter le travail des maires et des conseillers municipaux des villes et villages qui accueillent des corridas et qui ont tout à fait conscience de la nécessité de protéger les mineurs.
Les corridas méritent d'être questionnées, mais les règlements taurins doivent aussi être lus. (M. Laurent Burgoa applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. Mes chers collègues, je ne vais pas reprendre les arguments qui ont déjà été développés pour vous convaincre que nous visons seulement l'interdiction pour les mineurs de moins de 16 ans.
J'ai cependant été étonnée par la démonstration de M. le rapporteur, qui a conclu en distinguant les notions de limite d'âge et d'exclusion. Mais c'est bien une limite d'âge que nous voulons poser avec ce texte !
La marche était-elle trop haute ? Nombre de pays ne prévoient l'interdiction qu'en dessous de 12 ans, c'est-à-dire pour les enfants et non pour les adolescents. C'est le cas du Mexique, de l'Espagne et du Portugal. Dans tous ces pays, les corridas continuent, mais simplement sans les enfants de moins de 12 ans. On pourrait faire le parallèle avec les films pornographiques, qui continuent d'être produits, mais qui ne peuvent pas être vus en deçà d'un certain âge. Monsieur le rapporteur, je n'ai donc pas bien compris votre conclusion.
Je tiens à rassurer ceux qui nous suspectent d'avoir des arrière-pensées : nous souhaitons simplement imposer une limite d'âge.
M. le président. La parole est à Mme Samantha Cazebonne, pour explication de vote.
Mme Samantha Cazebonne. Je veux redire que c'est bien un texte de protection de l'enfance que nous examinons aujourd'hui. (MM. Laurent Burgoa et Max Brisson protestent.)
Lorsque la Catalogne, le Portugal, l'Équateur ou même les Baléares, où je réside – outre mon nom du Sud-Ouest, je revendique de vivre en Espagne –, ont légiféré…
M. Laurent Burgoa. Ils sont revenus plus tard sur la question !