Sommaire

Présidence de Mme Sylvie Robert

vice-présidente

Secrétaires :

M. François Bonhomme,

Mme Catherine Conconne.

Procès-verbal

Interdiction du démarchage téléphonique

Adoption d'une proposition de loi modifiée

Discussion générale

proposition de loi visant à interdire le démarchage téléphonique

Article unique

Après l'article unique

Intitulé de la proposition de loi

Vote sur l'ensemble

Redressement des finances publiques

Rejet d'une proposition de loi constitutionnelle

Discussion générale

PRÉSIDENCE DE M. Dominique Théophile

vice-président

proposition de loi constitutionnelle visant à accélérer le redressement des finances publiques

Article 1er

Après l'article 1er

Article 2

Article 3

Article 4

Article 5

Article 6

Article 7

Article 8

Article 9

Article 10

Article 11

Article 12

Protection du commerce maritime en mer Rouge

Adoption d'une proposition de résolution

Discussion générale

proposition de résolution visant à condamner les actions des rebelles houthis en mer rouge et à appeler à une action internationale pour protéger le commerce maritime et l'environnement dans cette zone

Vote sur l'ensemble

Corrida et combats de coqs

Rejet d'une proposition de loi

Discussion générale

proposition de loi visant à interdire la corrida et les combats de coqs en présence de mineurs de moins de seize ans

Article 1er

Après l'article 1er

Article 2

Ordre du jour

Présidence de Mme Sylvie Robert

vice-présidente

Secrétaires :

M. François Bonhomme,

Mme Catherine Conconne.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

 
Dossier législatif : proposition de loi pour un démarchage téléphonique consenti et une protection renforcée des consommateurs contre les abus
Article unique

Interdiction du démarchage téléphonique

Adoption d'une proposition de loi modifiée

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Indépendants – République et Territoires, de la proposition de loi visant à interdire le démarchage téléphonique, présentée par M. Pierre-Jean Verzelen et plusieurs de ses collègues (proposition n° 782 [2023-2024], résultat des travaux de la commission n° 119, rapport n° 118.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Pierre-Jean Verzelen, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE et UC.)

M. Pierre-Jean Verzelen, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je ne développerai pas ici toutes les bonnes raisons qui m'ont amené à déposer cette proposition de loi. Vous avez tous, comme moi, un téléphone. Comme moi, vous avez une famille et des amis. Comme moi, vous avez rencontré dans vos permanences des personnes, souvent âgées ou isolées, qui ont été victimes de fraude ou d'escroquerie.

J'aimerais, en avant-propos, que l'on se mette d'accord sur les termes. En matière de définitions, je ne connais pas mieux que le Petit Larousse, selon lequel le démarchage téléphonique est une technique qui consiste, pour un commercial, à solliciter par téléphone quelqu'un qui n'a pas manifesté d'intérêt pour les produits ou services qu'il vend.

Cette proposition de loi vise à mettre fin au démarchage téléphonique tel qu'il vient d'être défini. Je sais, madame la rapporteure, que la définition du Petit Larousse n'est pas la même que celle du droit commercial ou du droit de la concurrence.

Ce sujet soulève une question qui traverse toutes les sociétés modernes : celle de la gestion de nos données personnelles, qui sont captées, légalement ou non, vendues, échangées, utilisées, stockées.

Les appels que nous recevons procèdent pour une grande part de ces données, mais pas seulement. Ils viennent aussi de robots, qui génèrent toute la journée des numéros de téléphone : quand un numéro existe, un appel est lancé et un téléconseiller, souvent installé de l'autre côté de la Méditerranée, essaie alors d'engager la conversation afin de nous vendre quelque chose.

Quelle est la situation ? Les spécialistes vous parleront de l'opt-out et de l'opt-in. J'emploierai des mots français : nous vivons actuellement, et j'espère pour peu de temps encore, dans l'ère de l'opt-out, ce qui signifie que chaque Français est considéré comme consentant au démarchage téléphonique.

Depuis un certain nombre d'années, des lois ont été votées, des décisions ont été prises, afin d'essayer de réguler, d'encadrer et de contraindre les acteurs du marché. Je pense à la création du dispositif Bloctel, qui s'est révélé inefficace, ou encore à l'aménagement des horaires d'appel et à l'interdiction du démarchage téléphonique dans certains secteurs d'activités, qui n'ont pas fonctionné non plus. Aujourd'hui, la situation aurait même tendance à empirer.

Vouloir trouver des solutions dans le cadre actuel revient à verser de l'eau dans du sable. Notre ambition, en déposant cette proposition de loi, est d'inverser le principe, en basculant dans le système de l'opt-in : chaque Français serait présumé non consentant pour être démarché téléphoniquement. Le consommateur ou le citoyen n'aurait plus à subir les choses.

Je voudrais dire un mot des conséquences économiques ou en termes d'emplois d'un tel basculement. Les craintes qu'il suscite à cet égard empêchent ce dossier d'avancer depuis des années.

Les chiffres qui sont avancés sont farfelus, ne reposent sur aucune étude crédible et ne décrivent en rien la réalité. Les plateformes téléphoniques installées en France proposent quasi exclusivement des services de relations commerciales « plus-plus ». Cette proposition de loi ne remet nullement en cause leur travail.

Je dénonce les méthodes de calcul selon lesquelles tous les salariés d'une société intervenant dans ce secteur seront affectés par cette proposition de loi, alors que le démarchage téléphonique ne représente parfois que 0,01 % du chiffre d'affaires des sociétés concernées– je pense notamment à l'assurance.

La vérité, c'est que le démarchage téléphonique à froid ne fonctionne plus. Comme dirait le dicton populaire : trop de démarchage tue le démarchage.

J'en veux pour preuve ce que beaucoup d'entreprises sérieuses nous ont dit au cours de nos travaux préparatoires : « Assainissez le secteur ! Plus personne ne décroche le téléphone, nous n'arrivons pas à joindre les prospects qui nous ont sollicités et nous avons même du mal à contacter nos propres clients. »

Au travers de cette proposition de loi, je souhaite inscrire dans la loi le principe selon lequel on ne peut être démarché par téléphone si l'on n'a pas donné au préalable son consentement éclairé à une entreprise pour le faire.

Je veux remercier l'ensemble de nos collègues qui se sont associés à cette démarche. Je remercie aussi sincèrement la rapporteure, Olivia Richard, pour son implication, pour son temps, pour sa maîtrise du travail législatif et son savoir-faire politique, grâce auxquels nous devrions pouvoir adopter un texte retravaillé, qui rendra le dispositif applicable.

Depuis que j'ai déposé cette proposition de loi, de nombreuses personnes me disent combien il leur tarde de voir ce dispositif mis en place, car ils n'en peuvent plus. Je prends tout de suite la précaution d'expliquer que les appels ne cesseront pas demain matin. J'ai bien conscience que nous ne devons pas susciter trop d'espoirs autour de ce texte, afin d'éviter tout risque de déception ultérieure.

Plusieurs étapes doivent encore être franchies. Nous devons commencer par nous accorder aujourd'hui sur l'inversion du principe, c'est à dire sur le basculement de l'opt-out à l'opt-in. Si nous adoptons le texte, il faudra ensuite qu'il soit inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale…

Nous pouvons nous réjouir de la dynamique parlementaire et de l'adoption, hier, par la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale, d'une proposition de résolution de la députée Louise Morel, invitant le Gouvernement à se prononcer en faveur de la modification du régime du démarchage téléphonique au niveau européen, afin d'harmoniser les régimes de démarchage téléphonique en Europe sur la base de l'opt-in. De même, la proposition de loi visant à renforcer les droits des consommateurs pour les protéger du démarchage téléphonique, déposée voilà quelques jours par le député Pierre Cordier, s'inscrit dans la droite ligne du présent texte.

Je me suis inspiré de quelques-uns de nos voisins, notamment du Portugal et de l'Allemagne, qui a inscrit le principe de l'opt-in dans son droit positif voilà une dizaine d'années. Les résultats commencent à se faire sentir : cela n'a pas été immédiat, il a fallu attendre que le Gouvernement décide de faire de ce sujet une priorité et d'utiliser les outils législatifs mis à sa disposition – en clair, il s'agit de taper vite et fort au porte-monnaie de ceux qui ne respectent pas la règle.

Vous l'avez compris, madame la secrétaire d'État, une fois que le Parlement aura adopté ce texte, il reviendra au Gouvernement de l'appliquer et de le faire vivre, afin qu'il soit effectif et utile.

Les opérateurs téléphoniques sont des acteurs essentiels pour la réussite de ce projet. Certains d'entre eux, d'ailleurs, ne sont pas les derniers à faire du démarchage téléphonique. Ils doivent désormais mettre en œuvre le mécanisme d'authentification des numéros (MAN), afin de mieux filtrer les appels abusifs et frauduleux.

Mes chers collègues, j'espère que vous souscrivez à l'objectif de cette proposition de loi. Il s'agit d'un sujet à bas bruit, qui concerne le quotidien des Français et qui exaspère à peu près 65 millions d'entre eux. Nous proposons de changer de braquet, de bâtir un outil législatif qui permette au Gouvernement d'obtenir des résultats significatifs dans le temps. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE et UC. – M. Antoine Lefèvre applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Olivia Richard, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, au moins une fois par semaine sept Français sur dix reçoivent sur leur téléphone, mobile ou fixe, un appel de démarchage. Pour presque quatre Français sur dix, ces appels sont quotidiens.

Ils n'ont pourtant rien demandé, ne comprennent pas comment leur numéro a pu être communiqué et sont impuissants à faire respecter leur tranquillité. Ils en ont marre, et nous sommes quelques-uns dans cet hémicycle à partager ce sentiment…

Selon l'UFC-Que Choisir, 97 % des Français sont exaspérés par le démarchage téléphonique. Les associations de consommateurs que j'ai auditionnées ont unanimement confirmé que ledit démarchage faisait partie de ces irritants du quotidien qui nous empoisonnent la vie.

C'est dans ce contexte que notre collègue Pierre-Jean Verzelen a déposé une proposition de loi visant à interdire cette pratique, du moins à en resserrer drastiquement l'encadrement.

Cette volonté de s'attaquer une nouvelle fois au fléau du démarchage téléphonique abusif doit être saluée, quatre ans après l'entrée en vigueur de la loi du 24 juillet 2020 visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux, dite loi Naegelen, qui avait elle-même succédé à la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite loi Hamon.

Nous disposons désormais de suffisamment de recul pour tirer un bilan du régime d'encadrement du démarchage téléphonique établi par ces lois. Je rappelle que celui-ci repose sur le principe de l'opt-out, à savoir qu'il appartient aux consommateurs d'indiquer a posteriori leur opposition au démarchage téléphonique. Pour ce faire, ils peuvent, depuis 2016, s'inscrire gratuitement sur la liste Bloctel. Les professionnels ont l'interdiction de contacter les consommateurs inscrits sur cette liste et doivent veiller à régulièrement expurger de leurs fichiers de démarchage les numéros qui y figurent.

Des exceptions subsistent pour les entités à caractère non commercial, comme les associations, pour la presse ou en cas d'une relation contractuelle – c'est l'exception client.

Eu égard aux fraudes massives observées par le passé, le démarchage est totalement interdit pour ce qui concerne le compte professionnel de formation (CPF) et la rénovation énergétique.

Les horaires et les fréquences d'appel sont limités. Depuis l'entrée en vigueur bien tardive du décret d'application du 13 octobre 2022, les appels sont autorisés en semaine de dix heures à treize heures, ainsi qu'entre quatorze heures et vingt heures. Il est interdit de recontacter un consommateur plus de quatre fois en trente jours. Si celui-ci a exprimé son opposition au démarchage au cours de la conversation, il ne peut plus être recontacté avant soixante jours.

En complément de ces règles inscrites dans le code de la consommation, le règlement général sur la protection des données (RGPD) s'applique pleinement. Les consommateurs doivent théoriquement être informés de l'usage qui sera fait de leurs données et pouvoir faire valoir à tout moment leur droit d'opposition.

Le démarchage téléphonique légal, mais non sollicité, doit être distingué de deux phénomènes connexes, qui lui sont pourtant largement associés dans l'esprit des consommateurs en raison de la similarité des nuisances qu'ils engendrent.

Il s'agit tout d'abord du démarchage électronique, par mail ou par SMS, qui est soumis à un régime juridique distinct et qui repose sur le principe de l'opt-in. La légalité de l'opération est alors conditionnée au consentement préalable du consommateur, que celui-ci exprime généralement en cochant ou non certaines cases sur internet.

Il s'agit ensuite du démarchage illégal ou des pratiques téléphoniques frauduleuses, sur lesquelles je reviendrai. Ce cadre législatif a été significativement renforcé en 2020, notamment grâce à l'apport de notre collègue André Reichardt. Hélas, la loi Naegelen n'a pas produit les résultats que nous espérions – c'est peu de le dire.

La commission des lois partage ainsi pleinement le constat de Pierre-Jean Verzelen sur les lacunes du système actuel, et ce pour au moins quatre raisons.

Premièrement, la liste Bloctel est méconnue et sous-utilisée. Elle ne compte que 6 millions d'inscrits et 12 millions de numéros de téléphone, ce qui ne représente que 9 % des Français et seulement 10 % des lignes téléphoniques ouvertes.

Certes, le nombre de signalements est en baisse sur la période récente. Toutefois, les services de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) l'expliquent soit par une lassitude des consommateurs, qui ont intégré la nuisance et qui se contentent de ne plus décrocher leur téléphone, soit par le report des signalements vers une plateforme de signalement destinée à la rénovation énergétique, SignalConso.

Deuxièmement, les infractions ne se sont pas taries. Si certains acteurs sont vertueux, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) et la DGCCRF s'accordent pour dire que nombre d'entre eux s'exonèrent encore de leurs obligations : 60 % des 5 300 établissements contrôlés en 2023 étaient ainsi en infraction.

Troisièmement, les sanctions sont insuffisantes. Certes, 200 amendes administratives ont été prononcées l'année dernière pour un montant total de 4,4 millions d'euros, mais les mailles du filet sont larges…

Sur ce point, ne nous leurrons pas : la persistance des nuisances résulte moins d'éventuelles lacunes du cadre juridique que d'une masse de comportements voyous de la part d'acteurs souvent situés à l'étranger et parfaitement indifférents à leurs obligations légales.

Quatrièmement, force est de constater que le déploiement des solutions techniques prescrites par le législateur pour limiter les nuisances est totalement embourbé.

La loi Naegelen imposait aux opérateurs de déployer un mécanisme d'authentification des appels avant le mois de juin 2023, afin d'assurer leur traçabilité et d'empêcher l'usurpation de numéro. Ce dispositif vient seulement d'être mis en œuvre en octobre dernier, pour les seuls numéros fixes. La suite devrait venir, nous dit-on, dans quelques mois…

En bref, nous sommes soumis au bon vouloir d'opérateurs, qui ont eux-mêmes abondamment recours au démarchage. Je me permets d'attirer votre attention, madame la secrétaire d'État, sur cette situation profondément regrettable.

C'est dans ce contexte que Pierre-Jean Verzelen nous propose de changer de paradigme, en inversant la charge de la preuve en ce qui concerne le consentement des consommateurs. Cette piste me semble intéressante.

En basculant dans un régime d'opt-in, seuls les consommateurs inscrits sur une liste de consentement spécifique pourraient être démarchés, tout en préservant les exceptions relatives à la presse ou aux appels liés à l'exécution d'un contrat en cours.

Conformément à la volonté de notre collègue, la commission des lois n'a pas adopté ce texte, afin de débattre, en séance publique, de la version originale de la proposition de loi. Cela ne signifie nullement que nous soyons hostiles à un passage à l'opt-in.

Le constat d'échec de la loi Naegelen nous conduit à amender la position que le Sénat avait adoptée il y a cinq ans. Il s'agissait alors de donner une dernière chance au système d'opt-out, quitte à se résoudre à basculer vers l'opt-in. Malheureusement, nous y sommes.

Alors que cette ultime tentative de sauvetage de l'opt-out a échoué, l'opt-in est désormais la seule solution qui nous reste. Nous devons prendre acte de l'épuisement de l'ensemble des autres options disponibles pour répondre à l'exaspération légitime de nos compatriotes.

J'ajoute qu'opt-in et sauvegarde de l'emploi ne sont pas nécessairement antinomiques. Je passe sur les incertitudes quant au nombre réel d'emplois concernés. Les centres d'appels emploieraient entre 29 000 et 40 000 personnes pour le traitement des appels sortants, mais cette activité ne se réduit pas au démarchage stricto sensu et inclut la relation client. C'est dire si cette estimation est plus qu'approximative.

La commission des lois rejoint donc pleinement l'esprit de la démarche de Pierre-Jean Verzelen. En revanche, il nous a semblé que les modalités pratiques du système proposé n'étaient pas nécessairement les plus adaptées.

L'établissement d'une liste de consentement universelle est problématique eu égard à la spécificité du consentement tel qu'il est défini par le RGPD : on consent non pas en général, mais en particulier.

Surtout, l'instauration de cette liste engendrerait un risque réel de destruction d'emplois dans la mesure où le nombre d'inscriptions serait probablement infime.

Pour surmonter ces obstacles, je vous soumettrai un amendement visant à aligner le régime du démarchage téléphonique sur celui du démarchage électronique. De la sorte, la lisibilité du cadre juridique d'ensemble sera renforcée, tandis que les effets sur l'emploi seront maîtrisés. Il reviendrait aux démarcheurs d'adapter leur processus opérationnel pour recueillir le consentement du consommateur en amont – je ne doute pas qu'ils y parviendront.

Je recommanderai par ailleurs une entrée en vigueur du dispositif en août 2026, ce qui correspond à la date d'échéance de la concession accordée pour la gestion du service Bloctel.

Enfin, la lutte contre les nuisances liées au démarchage téléphonique ne se réduit pas au choix entre l'opt-in et l'opt-out. Je vous proposerai donc d'adopter plusieurs amendements, qui visent quatre objectifs.

Premièrement, il s'agit de limiter encore davantage les désagréments provoqués par le démarchage légal. Je propose ainsi, d'une part, de réduire la fréquence et les horaires d'appel autorisés, de l'autre, d'interdire explicitement le rappel d'un consommateur ayant exprimé son refus d'être démarché au cours de la conversation.

Deuxièmement, il faut protéger les consommateurs les plus vulnérables. Les personnes âgées sont bien souvent les premières victimes de démarcheurs « cow-boys » peu scrupuleux. Pour les protéger, je propose d'introduire un délai de carence de vingt-quatre heures avant l'acceptation d'une offre commerciale transmise par téléphone. Je propose également de renforcer les sanctions pour les faits d'abus de faiblesse lorsqu'ils sont commis par l'entremise d'un démarchage téléphonique.

Troisièmement, il convient de mieux maîtriser l'utilisation des données des consommateurs. Je propose que leur consentement soit requis pour l'inscription de leur ligne fixe dans l'annuaire, comme c'est le cas pour les mobiles.

Enfin, je souhaite faciliter la tâche des administrations pour poursuivre et sanctionner. Toutes m'ont alertée sur les difficultés qu'elles rencontraient à se partager des informations pourtant cruciales, en raison du secret de l'instruction.

Je proposerai en outre de modifier le titre de la proposition de loi pour éviter tout risque de déception des consommateurs.

Vous l'aurez compris, la commission des lois est pleinement associée à la démarche de notre collègue Pierre-Jean Verzelen dans la lutte contre les nuisances associées au démarchage téléphonique abusif. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et RDPI, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC – M. Michel Masset applaudit également.)

Mme Laurence Garnier, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargée de la consommation. Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, nous serons tous d'accord pour dire que le démarchage téléphonique préoccupe un nombre important de Français. Il constitue aujourd'hui un irritant de la vie quotidienne sur lequel nous sommes, les uns et les autres, régulièrement interpellés.

Neuf Français sur dix se disent excédés par le démarchage téléphonique. Ce phénomène soulève aussi des enjeux d'information de la population : le maire d'une commune rurale me disait récemment qu'il n'arrivait plus à joindre certains de ses concitoyens en cas de difficultés particulières, par exemple météorologiques, parce que certaines personnes âgées ne décrochent plus leur téléphone du fait de ce harcèlement. Je remercie donc le sénateur Verzelen de mettre ce sujet à l'ordre du jour.

Je voudrais commencer par rappeler quelques points importants.

Le démarchage téléphonique en France est légal et autorisé ; par exception, il est interdit dans certains cas de figure, notamment lorsqu'il s'adresse à des personnes qui se sont inscrites sur la liste d'opposition Bloctel. Je ne peux d'ailleurs qu'encourager l'ensemble des Français qui ne souhaitent plus être démarchés à s'y inscrire. Le dispositif commence à être connu, mais il peut encore gagner en notoriété.

Comme l'a rappelé Mme la rapporteure, plusieurs évolutions législatives ont permis d'encadrer le démarchage téléphonique. Je pense notamment à la loi Naegelen de 2020.

Premièrement, la prospection téléphonique est interdite pour tout ce qui concerne la rénovation énergétique. Cette interdiction a ensuite été étendue aux appels relatifs au compte personnel de formation.

Deuxièmement, les jours, les horaires, les fréquences des appels sont désormais encadrés. Une entreprise ne peut appeler un prospect qu'entre dix heures et treize heures et entre quatorze heures et vingt heures, à l'exclusion des week-ends et des jours fériés.

Troisièmement, la loi a prévu des sanctions plus dissuasives en cas de manquement. Elle retient désormais la responsabilité du donneur d'ordre des appels émis.

Enfin, et peut-être avant tout, la loi a prévu la mise en place d'un mécanisme d'authentification des numéros, qui semble prometteur. Il incombe aux opérateurs téléphoniques d'installer sur leur réseau un dispositif d'authentification des numéros de téléphone : s'ils constatent que le numéro ne correspond pas à l'identité de celui à qui il a été attribué, c'est-à-dire qu'il y a usurpation, ils doivent bloquer l'appel. Ce dispositif, unique au monde, doit représenter une partie de la solution.

Tout cela étant rappelé, nous devons faire preuve d'honnêteté et reconnaître que le bilan de l'ensemble de ces mesures est en demi-teinte.

Bloctel permet aujourd'hui aux 5,7 millions de Français inscrits sur cette plateforme, ce qui représente 11 millions de numéros de téléphone, d'être moins démarchés. Des contrôles de la DGCCRF sont activement menés ; j'en profite pour rappeler à nos concitoyens qu'ils peuvent signaler, soit sur Bloctel, soit sur SignalConso, les appels frauduleux qu'ils reçoivent.

Les services de l'État sont pleinement mobilisés sur ce sujet, qui est particulièrement pénible pour nos compatriotes. En 2023 et en 2024, 8 000 établissements ont été contrôlés. Les contrôles seront encore renforcés en 2025, à ma demande.

Malgré cela, force est de constater que de nombreuses pratiques illégales perdurent. Je crois que nous devons d'abord mieux les connaître et les identifier pour pouvoir agir efficacement.

Ces pratiques illégales sont de plusieurs ordres.

Il s'agit tout d'abord de numéros usurpés : c'est le cas lorsque le numéro de votre banque s'affiche alors que la personne à l'autre bout du fil est en fait un fraudeur.

Il peut s'agir aussi d'opérateurs situés à l'étranger, donc difficiles à atteindre, qui utilisent pourtant des numéros de téléphone français, ce qui est interdit.

Il peut enfin s'agir d'opérateurs à l'étranger, qui n'ont aucun donneur d'ordre français, alors que c'est une obligation.

Tel est le premier champ des difficultés auxquelles nous faisons face.

Par ailleurs, le déploiement du mécanisme d'authentification des numéros, que j'évoquais à l'instant, accuse un retard important. Les opérateurs auraient dû être prêts à couper les appels à partir du 1er juillet 2023. Ils nous ont fait part de difficultés techniques ; le délai a donc été repoussé au 1er octobre 2024. Depuis cette date, vous avez suivi dans la presse un certain nombre d'évolutions : il semble que les opérateurs parviennent à bloquer les appels usurpés lorsqu'ils sont à destination d'un téléphone fixe. C'est une première avancée.

Pour autant, le mécanisme ne fonctionne pas lorsque l'appel se dirige vers un téléphone mobile. C'est bien évidemment un sujet de préoccupation essentielle compte tenu de l'équipement en téléphones mobiles de nos concitoyens…

La présente proposition de loi prévoit un changement majeur en la matière. Comme l'ont souligné son auteur et la rapporteure, il s'agit de basculer d'un système d'opt-out, dans lequel le consommateur exprimait son vœu de ne pas être contacté, vers un système d'opt-in, dans lequel le consommateur devrait exprimer son souhait d'être contacté – à défaut, le démarchage serait interdit.

Ce changement présente l'avantage de porter un message clair aux consommateurs : s'ils n'ont pas exprimé volontairement leur accord pour être démarchés, ils ne pourront plus l'être. De ce point de vue, ce texte présente une vertu pédagogique allant dans le bon sens.

Toutefois, le schéma envisagé soulève un certain nombre de difficultés non négligeables.

La première d'entre elles, c'est que les fraudeurs contre lesquels nous souhaitons tous lutter – et je rappelle que les services de l'État et de la DGCCRF sont déjà fortement mobilisés sur ce sujet – violent déjà la loi par définition. Il y a fort à parier qu'ils continueront de le faire, puisqu'ils se savent difficilement détectables parmi les millions d'appels réalisés.

Comme vous l'avez souligné, madame la rapporteure, le risque de déception de nos concitoyens est important, ce dont nous devons tenir compte. Dès lors, il me paraît plus efficace, dans un premier temps, de répondre à la situation que nous connaissons par un renforcement des contrôles et par l'utilisation de moyens techniques pertinents.

Deuxième difficulté, la proposition de loi présente un certain nombre de fragilités juridiques. Elle interdit rigoureusement tout démarchage téléphonique, y compris celui qui est effectué dans de bonnes conditions – cela existe.

Par ailleurs, elle semble contraire à certaines dispositions du RGPD. En vertu du droit européen, le consentement doit en effet être spécifique, éclairé et univoque. Or la proposition de loi prévoit un consentement non pas spécifique, mais global, quel que soit le domaine d'activité du démarcheur.

Troisième difficulté, la proposition de loi fait planer un risque sur plusieurs milliers d'emplois, même s'il est vrai que les chiffres sont difficiles à établir de manière précise, sans garantir la fin du démarchage abusif.

La rapporteure propose des modifications qu'il me semble pertinent d'étudier et d'approfondir. Je tiens d'ailleurs à la remercier des travaux qu'elle a menés.

Son amendement sur l'article unique vise à instaurer un consentement au cas par cas, c'est-à-dire un système d'opt-in décentralisé, qui serait davantage conforme aux dispositions du RGPD. Ce dispositif permettrait utilement de surmonter les difficultés pratiques et juridiques que poserait la mise en place d'une liste nationale, comme le prévoit la rédaction initiale. Un travail complémentaire serait toutefois nécessaire pour s'assurer de l'efficacité du dispositif.

L'adoption de cet amendement permettrait de supprimer certaines des interrogations que nous pouvions avoir sur le texte initial, notamment celles qui concernent les risques pour l'emploi. En revanche, la question de l'efficacité réelle reste en suspens. Le Gouvernement s'en remettra donc à la sagesse du Sénat sur cet amendement.

En conclusion, je souhaiterais évoquer la mise en œuvre du mécanisme d'authentification des numéros. La loi a été votée en 2020 ; quatre ans plus tard, le déploiement est partiellement engagé, mais chacun mesure les progrès qui restent à faire.

Nous devons apprécier la complexité technique à laquelle sont confrontés les opérateurs. Avec le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, Antoine Armand, nous réunirons très prochainement l'ensemble des opérateurs téléphoniques pour faire un point sur la mise en place du mécanisme, afin de comprendre précisément les difficultés rencontrées, de leur rappeler l'urgence d'un déploiement total et de les accompagner dans cette voie.

Le Gouvernement est bien évidemment très attaché à ce que les obligations déjà prévues par la loi soient pleinement respectées, à ce que les dispositifs existants soient mieux connus de nos concitoyens et à ce que les contrôles soient renforcés.

Nous partageons pleinement l'objectif visé par les auteurs du texte, raison pour laquelle nous nous en remettrons à la sagesse du Sénat.

J'indique enfin que certains des amendements de la rapporteure nous semblent constituer des avancées bienvenues, notamment pour faciliter les contrôles et renforcer les sanctions à l'égard de tous ceux qui ne respectent pas le cadre légal. Le Gouvernement les soutiendra pleinement. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains UC et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Audrey Linkenheld. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Audrey Linkenheld. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, en juillet dernier, dans le Nord, un retraité a été dépouillé de 70 000 euros après avoir été victime d'une escroquerie bien orchestrée : d'abord démarché par téléphone, il a ensuite remis sa carte bancaire à un faux coursier, qui a vidé ses comptes sans scrupules.

Ce fait divers n'est malheureusement qu'un exemple parmi tant d'autres des dérives que le démarchage téléphonique peut générer. Ce dernier est juridiquement défini à l'article L. 221-16 du code de la consommation comme le fait pour un professionnel de contacter un consommateur en vue de conclure un contrat.

Selon une récente enquête de l'UFC-Que Choisir, 92 % des Français se disent dérangés par les nuisances du démarchage téléphonique, ce qui illustre le fait que la réglementation en vigueur ne suffit manifestement pas à protéger efficacement les consommateurs.

Depuis une dizaine d'années, plusieurs textes ont eu vocation à réguler cette pratique pour éviter que le démarchage du consommateur, à l'heure du développement des technologies de l'information et de la communication, ne se transforme en harcèlement.

Ainsi, la loi Hamon de 2014 a introduit un droit d'opposition dans le code de la consommation. Depuis, l'inscription sur la liste Bloctel est censée permettre de ne plus recevoir d'appels non sollicités. Dans les faits, seulement 2 400 entreprises, 6 millions de consommateurs et 12 millions de numéros de téléphone y sont répertoriés en 2024, ce qui ne représente que 9 % des Français et 10 % des lignes téléphoniques.

Après la loi Hamon, un autre texte, issu de la proposition de loi du député Naegelen, a été adopté en 2020 pour tenter de protéger davantage les consommateurs par l'introduction de restrictions nouvelles telles que l'instauration de plages horaires et de jours spécifiques de démarchage à respecter ou de nouvelles obligations concernant le contenu de l'appel et l'authentification des numéros.

Malgré ces avancées, tant la DGCCRF et l'Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse) que la Cnil sont régulièrement sollicitées pour des plaintes et signalements pour démarchage abusif. Et les sanctions prévues, bien qu'élevées, ne sont que rarement appliquées, faute de contrôles adaptés.

L'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) elle-même alerte sur le fait que le démarchage téléphonique accentue encore les risques de cyberattaque.

Dans ce contexte, la proposition de loi de notre collègue Verzelen est forcément bienvenue. Composée d'un article unique, elle tend à poser le principe général de l'interdiction et à passer d'un régime d'opt-out – en bon français… – à un régime d'opt-in, c'est-à-dire à l'opposition à un consentement préalable, quel que soit le secteur d'activité. Un tel régime s'applique déjà en matière de rénovation énergétique ou de compte personnel de formation, pour lesquels tout démarchage est déjà interdit sans consentement.

En Allemagne, tout démarchage téléphonique sans consentement préalable est illégal et les entreprises contrevenantes risquent des amendes pouvant aller jusqu'à 300 000 euros.

Puisque le système français n'est ni pleinement opérant pour les entreprises vertueuses ni respecté par celles qui fraudent, il ne nous reste plus qu'à choisir l'autre système, celui dans lequel les consommateurs français pourraient eux aussi exprimer explicitement leur consentement avant d'être démarchés téléphoniquement.

C'est une position que les sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain défendent avec constance et qu'ils ont rappelée en 2020, lors des débats sur la proposition de loi Naegelen. Cette position semble désormais incontournable face à l'épuisement des autres options, comme l'a également souligné la rapporteure Olivia Richard.

Bien évidemment, ce consentement préalable doit lui-même être exprimé dans le respect des règles de protection des données personnelles et de liberté d'information, de consommation comme d'entreprendre. Aussi, nous souscrivons aux propositions de réécriture du texte dont l'idée initiale – l'inscription sur une liste – n'apparaît pas suffisamment robuste juridiquement.

Les amendements de la rapporteure visant à aligner le consentement au démarchage téléphonique sur le consentement au démarchage électronique nous paraissent pertinents, de même que ceux qui tendent à limiter les horaires et jours de démarchage ou à renforcer les sanctions, notamment pour éviter les abus de faiblesse comme celui que j'ai décrit en avant-propos.

Nous sommes également favorables à une meilleure convergence des actions menées par l'administration et les autorités indépendantes pour identifier et stopper les fraudeurs.

C'est d'ailleurs là le cœur du sujet : en encadrant mieux le démarchage téléphonique « officiel », comme nous entendons le faire ce matin, nous ne ferons pas disparaître d'un coup tout démarchage frauduleux – j'ai d'ailleurs déposé un sous-amendement sur ce sujet. Les appels sur les lignes fixes et mobiles ne cesseront pas totalement pour qui n'a pas donné son consentement préalable, mais au moins l'on saura que, sauf presse, association ou relation contractuelle préexistante, ils sont forcément le fait de fraudeurs. On pourra donc plus facilement les dénoncer.

À cet égard, il est possible de rassurer les représentants des territoires et des entreprises qui craindraient l'effet négatif sur l'emploi de la présente proposition de loi. Pour les opérateurs téléphoniques, qui sont à la fois le canal et l'un des principaux émetteurs d'appels de démarchage, seuls 17 % des appels sortants de la relation client relèvent du démarchage.

En outre, les centres d'appels, qui sont à l'origine de la majorité des appels considérés aujourd'hui comme intempestifs, soit sont situés à l'étranger, soit font réaliser ces appels par des machines et non par des humains.

Nous pensons donc sincèrement, madame la secrétaire d'État, que nous pouvons préserver nos emplois tout en protégeant mieux les consommateurs, notamment ceux qui sont constamment dérangés, que ce soit sur le fixe ou sur le portable.

C'est en ce sens que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain soutient les dispositions qui permettront, demain, de passer à un démarchage téléphonique consenti pour tous et de soulager le quotidien de nos concitoyens, exaspérés par ces dérangements intempestifs ou, pire, par les fraudes dont ils sont victimes. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe INDEP. – M. Michel Masset applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Michel Masser applaudit également.)

Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, face au problème irritant du démarchage téléphonique intempestif, qui empoisonne littéralement la vie quotidienne de nombre de nos concitoyens, le législateur a tenté, depuis plusieurs années, d'encadrer, à chaque fois un peu plus, cette pratique.

En France, le démarchage téléphonique est interdit auprès d'une personne qui s'y est expressément opposée. Il s'agit du régime de l'opt-out.

Dès 2016, un dispositif gratuit d'opposition au démarchage téléphonique – Bloctel – a été mis en service. Toutefois, force est de constater que seuls 9 % des Français sont inscrits sur cette plateforme en 2024 et que les appels intempestifs continuent de plus belle...

En 2020, deuxième tentative : Bloctel n'ayant pas résolu le problème, la loi du 24 juillet renforce l'encadrement du démarchage, qui est désormais interdit dans le secteur de la rénovation énergétique et de la formation.

Mais, de nouveau, cela ne suffit pas. Alors, en 2023, un décret est venu préciser les plages horaires et les jours pendant lesquels le démarchage est autorisé. Ce décret fixe aussi des règles relatives aux fréquences des appels.

En définitive, le problème perdure et les pouvoirs publics, y compris le législateur, semblent impuissants à y mettre un terme. Se pose dès lors, comme c'est souvent le cas, la question de l'angle d'appréhension du problème. Ne faut-il pas s'y attaquer différemment ? Sans changement de paradigme, nous ne pouvons espérer que les Français ne soient plus sursollicités, voire harcelés.

C'est tout le sens de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui. Plutôt que d'autoriser le démarchage en y apportant, à chaque fois, un peu plus de limites, ce texte propose d'inverser le principe en interdisant le démarchage, modulo quelques exceptions.

Plusieurs pays européens ont déjà franchi le pas. C'est le cas de l'Autriche, de la République tchèque ou de l'Allemagne, où le démarchage téléphonique est soumis à un régime d'opt-in, de consentement. Par principe, tout démarchage téléphonique est qualifié de harcèlement inacceptable et interdit auprès de tout consommateur, si celui-ci n'a pas donné son consentement explicite préalable.

L'article unique de cette proposition de loi vise également à interdire le démarchage téléphonique, excepté dans trois cas : si la personne s'est inscrite sur une liste de consentement ; dans le cadre de l'exécution d'un contrat en cours ; pour la fourniture de journaux – périodiques ou magazines.

Mme la rapporteure Olivia Richard a produit un travail de qualité et nous propose neuf amendements qui vont dans le bon sens pour compléter le dispositif, notamment pour veiller à ne pas porter atteinte aux entreprises dont l'activité économique repose sur la relation client, pour articuler ce système d'opt-in avec le RGPD et pour renforcer les filtres anti-spams et les sanctions pour abus de faiblesse.

C'est parce que le démarchage empoisonne la vie des Français, qui ne font plus la distinction entre démarchage régulier et démarchage intempestif ou frauduleux, qu'il convient d'essayer, après de multiples tentatives infructueuses, de changer d'approche. Celle de notre collègue Pierre-Jean Verzelen est un exemple de vraie simplification, raison pour laquelle le groupe Les Indépendants soutient ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI, RDSE et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François Bonhomme. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le démarchage téléphonique non consenti est une nuisance du quotidien devenue majeure. Qui d'entre nous n'a pas été l'objet de cette intrusion et agacé par cette pratique ? Pour beaucoup, c'est une gêne ; pour d'autres, en particulier les personnes âgées et vulnérables, c'est une source d'exaspération.

Pourtant, voilà plusieurs années que les pouvoirs publics et le législateur tentent de réguler cette pratique et de mettre un terme à une telle dérive commerciale.

Certes, chaque consommateur peut référencer son numéro sur une liste pour éviter les appels intempestifs. Toutefois, depuis 2016, le fameux dispositif Bloctel, qui devait permettre aux consommateurs inscrits volontairement de s'opposer au démarchage téléphonique, a largement fait les preuves de ses limites. Et même s'il donne quelques résultats, beaucoup de particuliers ne connaissent toujours pas son existence ou son fonctionnement.

J'ajoute que nombre d'entreprises de vente directe s'affranchissent, souvent délibérément, de consulter la liste des numéros inscrits sur Bloctel avant de démarcher un éventuel client.

À l'été 2020, le Parlement avait pourtant adopté une proposition de loi visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux. Malgré cela, la DGCCRF, en intensifiant ses contrôles, a relevé plusieurs milliers d'infractions au cadre prévu.

Certes, des sanctions ont été prises à la suite de certaines enquêtes. Par exemple, en août dernier, une société de conseil s'est vu infliger une amende administrative de 300 000 euros pour, notamment, ne pas avoir respecté l'interdiction de démarchage téléphonique dans le secteur de la rénovation énergétique.

De manière générale, les infractions constatées sont principalement liées au non-respect de l'inscription sur Bloctel, à des démarchages dans des secteurs proscrits ou durant des périodes non autorisées par le décret du 13 octobre 2022, qui interdit toute prospection commerciale le week-end ainsi que les jours fériés et ne l'autorise que du lundi au vendredi entre dix heures et treize heures, puis entre quatorze heures et vingt heures.

UFC-Que Choisir a confirmé, dans une étude de 2023, le démarchage sauvage et de grande envergure relevé par la DGCCRF : 72 % des Français se disaient démarchés au moins une fois par semaine sur leur téléphone portable et – encore plus inacceptable ! – 38 % au quotidien. En moyenne, chaque Français reçoit environ six appels de démarchage par semaine. Les secteurs les plus cités sont l'assurance, les placements financiers et la rénovation énergétique – le démarchage dans ce dernier domaine étant pourtant interdit.

Les nouvelles règles limitant le démarchage aux jours ouvrables et à certains créneaux horaires sont donc facilement contournées par des entreprises qui ciblent notamment les téléphones mobiles.

En effet, les particuliers doivent enregistrer chacun de leurs numéros de téléphone et pas uniquement celui de leur poste fixe. Aussi, le nombre de personnes recevant des appels indésirables malgré leur inscription sur Bloctel reste élevé.

De surcroît, bien souvent ces personnes ne signalent pas sur la plateforme qu'elles ont été victimes d'un démarchage abusif. Sans proactivité, le dispositif perd de son efficacité.

Il ne s'agit pas de nier l'action de Bloctel. Ce dispositif a permis de traiter en moyenne près de 10 milliards de numéros par mois. Quant au nombre de numéros ainsi expurgés, il s'élève à plus de 740 millions par mois.

Néanmoins, face à ce tonneau des Danaïdes, on ne peut que constater les nombreuses lacunes du dispositif actuel. Il est temps de prendre acte de l'inefficacité de la logique du droit d'opposition.

En adoptant la loi du 24 juillet 2020, le législateur n'avait finalement pas osé remettre en cause le régime d'opposition expresse, dit opt-out, considérant à l'époque que le consentement préalable du consommateur – opt-in – reviendrait à faire disparaître le secteur économique du démarchage et ses emplois.

Je crois indispensable aujourd'hui de prendre acte de l'inefficacité de la logique du droit d'opposition. Fort de ce constat d'échec, il faut opérer un changement en posant désormais le principe d'un opt-in explicite dans lequel chaque consommateur doit donner individuellement son consentement préalable pour être contacté par téléphone, sans qu'il soit forcément opportun de mettre en place une liste nationale sur laquelle le consommateur devrait s'inscrire pour indiquer son accord. En outre, une telle liste serait sans doute incompatible avec la réglementation européenne actuelle.

En Allemagne, par exemple, ce consentement, qui ne peut être ni implicite ni déduit d'une relation existante, revêt plusieurs formes : un formulaire en ligne ou papier ; une inscription sur un site ou à un service ; un accord explicite lors de contrats commerciaux. Ces contraintes n'ont pas entraîné de séisme économique dans le secteur du marketing à distance. Les entreprises concernées interagissent avec les consommateurs qui en ont fait le choix et continuent d'assurer le suivi de leurs relations commerciales.

Rien ne s'oppose donc véritablement à ce principe clair : aucun consommateur ne doit être contacté par une entreprise de démarchage téléphonique sans l'avoir explicitement consenti. Nous avons d'ailleurs déjà imposé cette logique, à la grande satisfaction des consommateurs, dans le cadre du démarchage dans les boîtes aux lettres.

Adopter l'opt-in explicite ne peut être efficace que si les sanctions prévues pour les professionnels ne respectant pas ces règles sont suffisamment dissuasives et réellement appliquées. Cette proposition de loi prévoit des montants d'amende élevés ; cela implique que la DGCCRF dispose de moyens significatifs pour mener de multiples contrôles et traiter les plaintes. C'est sur ce point qu'il nous faudra être particulièrement vigilants.

Resterait probablement une question : une part non négligeable du démarchage illicite provient de centres d'appels situés à l'étranger. Ils échappent ainsi plus facilement à la réglementation française, aux contrôles et donc aux sanctions.

Il convient enfin de rappeler que, au-delà du démarchage abusif, les entreprises de vente directe ont aussi l'obligation de respecter certaines règles commerciales, comme la bonne information du consommateur sur leur droit de rétractation. La DGCCRF a sanctionné à plusieurs reprises des entreprises refusant des rétractations légitimes.

Cette proposition de loi ne peut constituer une réelle avancée pour la protection et les droits du consommateur que si les entreprises jouent le jeu, en se conformant aux nouvelles règles, et, naturellement, si les contrôles et les sanctions sont plus rapides et efficaces.

Espérons que le législateur n'aura pas à reprendre la main devant un phénomène qui empoisonne depuis si longtemps la vie quotidienne de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MMMarc Laménie et Michel Masset applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Patricia Schillinger. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui une proposition de loi qui vise à répondre à un fléau que nous connaissons tous trop bien : le démarchage téléphonique intempestif.

Ce phénomène touche des millions de nos concitoyens et suscite une exaspération légitime. Près de 72 % des Français sont démarchés au moins une fois par semaine sur leur portable et 38 % subissent ces appels quotidiennement. La situation est tout aussi préoccupante pour les lignes fixes, où le taux de démarchage hebdomadaire atteint 58 %.

La loi Hamon de 2014 a mis en place un régime d'opt-out, permettant aux consommateurs de s'inscrire sur la liste Bloctel pour s'opposer au démarchage. Cependant, malgré plus de 12 millions de numéros recueillis, ce dispositif ne couvre que 10 % des lignes téléphoniques.

Par ailleurs, les signalements à la DGCCRF montrent que de nombreux professionnels, notamment ceux qui opèrent depuis l'étranger, contournent ces règles.

La loi Naegelen de 2020 a cherché à renforcer ce dispositif en encadrant les horaires et la fréquence des appels. Les sanctions ont été durcies, mais restent encore trop faibles pour être dissuasives : en 2023, seulement 200 amendes ont été prononcées pour un total de 4,4 millions d'euros, ce qui est bien peu face aux millions d'appels illégaux.

La présente proposition de loi vise donc un objectif légitime et clair : renforcer la protection des consommateurs face à ces abus. Son auteur propose de passer d'un régime d'opt-out, où chacun doit s'inscrire pour bloquer les appels, à un régime d'opt-in, interdisant par principe le démarchage sans consentement préalable.

Ce modèle, déjà en vigueur pour la prospection électronique, permettrait de faire respecter un droit fondamental des consommateurs : celui de contrôler leur tranquillité et leur vie privée.

Le texte prévoit également des exceptions pour les clients existants, pour les associations, pour les sondages et pour la presse, tous secteurs pouvant justifier des contacts avec les consommateurs.

Cependant, des objections ont été soulevées lors de l'examen en commission, notamment quant à la faisabilité juridique et aux répercussions économiques de ce changement.

Le RGPD impose un consentement spécifique, ce qui rend difficile la mise en place d'une liste de consentement universelle. De plus, cette transition pourrait affecter les quelque 29 000 à 40 000 emplois du secteur, même si les acteurs concernés estiment qu'une adaptation des pratiques permettrait de sauvegarder l'emploi.

Face à ces enjeux, le groupe RDPI reste prudent quant à un basculement direct vers un régime d'opt-in dans la version initiale de la proposition de loi. Toutefois, nous accueillons favorablement les ajustements proposés par notre rapporteure Olivia Richard, dont je salue le travail.

Celui qu'elle propose l'article unique du texte vise à aligner le recueil du consentement du démarchage téléphonique sur celui prévu pour le démarchage électronique, un dispositif déjà bien établi et lisible. Ce changement, qui permettrait un consentement recueilli au cas par cas par chaque entreprise, serait davantage compatible avec le RGPD et préserverait des emplois en laissant les entreprises adapter leurs méthodes de contact.

Cet amendement tend également à prévoir une entrée en vigueur au 11 août 2026 pour coïncider avec la fin de la concession actuelle de Bloctel, ce qui assurera une transition progressive pour les opérateurs.

Si les ajustements proposés sont intégrés au texte, notre groupe soutiendra cette évolution législative, qui répond à une attente forte. Nous espérons que ce cadre permettra de protéger les citoyens contre des pratiques envahissantes, tout en préservant les acteurs économiques respectueux de la loi.

Nous sommes convaincus qu'avec ces modifications nous pourrons avancer vers un modèle qui protège efficacement la vie privée des consommateurs, tout en assurant la viabilité des entreprises de démarchage responsables. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe UC. – M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Masset.

M. Michel Masset. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le constat est simple : la grande majorité des Français ne répondent plus au téléphone quand un numéro inconnu les appelle.

Quelque 500 000 personnes sont victimes d'arnaques téléphoniques chaque année. Certains de nos concitoyens sont confrontés quotidiennement à des démarchages abusifs. Autant dire que cette proposition de loi a le grand mérite de mettre sur la table une problématique du quotidien.

Le dispositif Bloctel, issu de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, a permis au consommateur de s'inscrire gratuitement sur une liste d'opposition au démarchage téléphonique, s'il ne souhaite pas faire l'objet de prospection commerciale. Ce dispositif a été renforcé par la loi du 24 juillet 2020 visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux.

Ne nous mentons pas : encore à ce jour, Bloctel est loin d'avoir montré son efficacité. Le dispositif est largement méconnu et – hélas ! – ne se montre pas dissuasif. Il nous revient donc d'agir soit pour renforcer ce qui existe déjà, soit pour envisager un changement de paradigme.

Cette proposition de loi nous invite à aller vers cette seconde solution, en passant de l'opt-out à l'opt-in, c'est-à-dire du silence au consentement.

Jusqu'à présent, toutes les évolutions législatives se sont construites autour d'un principe commun : elles présument du consentement du consommateur à être démarché, puisque c'est à lui qu'il revient d'exercer son droit d'opposition au démarchage.

Seulement, les abus que nous constatons nous imposent de changer de braquet. Et ce changement devra être législatif, mais pas exclusivement. Il faudra se donner les moyens de l'appliquer efficacement et avec dureté à l'égard des entrepreneurs peu scrupuleux.

Évidemment, il y a un sujet économique et social. Le démarchage téléphonique représente des emplois ; il constitue même un outil clef dans certains secteurs d'activité.

Le législateur ne l'a jamais ignoré, puisque toutes les mesures de lutte contre le démarchage abusif ont reconnu certaines exceptions : les appels des professionnels avec lesquels les consommateurs ont des relations contractuelles préexistantes ; les appels de prospection en vue de la fourniture de journaux, périodiques ou magazines ; ou encore les appels émanant d'instituts d'études et de sondages, d'associations à but non lucratif ou d'un service public.

Or, en l'état actuel des choses, ces exceptions se retrouvent noyées dans la masse des appels. Il apparaît donc nécessaire de mettre en œuvre une politique publique efficace pour protéger autant le consommateur que les entreprises qui vivent d'une forme saine de démarchage.

Le texte initial présenté par notre collègue Pierre-Jean Verzelen avait peut-être des défauts rédactionnels, mais il présentait la grande qualité de poser le problème dans des termes clairs et explicites.

Aussi, je veux saluer le travail de notre rapporteure Olivia Richard et de la commission des lois qui permet de poursuivre l'initiative et de mieux mettre en musique les propositions.

Sous réserve des éventuelles modifications qui lui seront apportées, le groupe RDSE est favorable à ce texte, qui se place définitivement au service des Français. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Bitz. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Marc Laménie applaudit également.)

M. Olivier Bitz. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi déposée par notre collègue Pierre-Jean Verzelen concerne une réalité qui incommode chaque jour nos concitoyens. Je le remercie pour cette initiative, car le démarchage téléphonique est une préoccupation réelle et, bien souvent, une cause d'exaspération largement partagée.

Porté par une volumétrie massive, le démarchage téléphonique peut en outre constituer une menace pour les publics fragiles et relayer des arnaques.

Je souhaite également saluer l'investissement de notre collègue Olivia Richard, rapporteure de ce texte. Elle s'est mobilisée pour que les discussions autour de cette proposition de loi soient éclairées et constructives.

Le développement des moyens de communication est évidemment un vecteur de développement économique. Cependant, l'alliage du démarchage téléphonique, d'une part, et de la prospection commerciale à forte intensité, de l'autre, ne présente pas que des avantages. Je dirai même plus : nos concitoyens disent stop !

Réalité ancienne, le démarchage téléphonique à finalité commerciale s'est fortement développé ces vingt dernières années. Il est tous azimuts – ou presque –, il met en péril la tranquillité de nos concitoyens, il sature leurs flux téléphoniques et il met en situation de vulnérabilité les publics les plus fragiles.

Les données personnelles sont devenues autant de renseignements marchands brassés par les opérateurs sans que les détenteurs de téléphones, qu'ils soient fixes ou mobiles, aient donné un quelconque accord.

Nous sommes tous contactés, parfois plusieurs fois dans la journée, par des numéros tantôt masqués, tantôt inconnus, pour différents services ou prestations. Ces appels répétitifs sont gênants. Ils présentent un caractère intrusif. Ils peuvent en outre constituer un piège : les associations de défense des consommateurs et des usagers sont unanimes sur ce sujet et interpellent régulièrement les pouvoirs publics.

De plus en plus de personnes refusent désormais de décrocher, redoutant un énième appel de démarchage. Nous pouvons donc l'affirmer, ce phénomène constitue, à bien des égards, une source de nuisances.

Des mécanismes législatifs ont pourtant été introduits pour réguler et encadrer le démarchage téléphonique. Cependant, force est de constater qu'ils sont très largement inefficaces. La liste d'opposition Bloctel demeure ainsi confidentielle et limitée. Quelles que soient les démarches des consommateurs, elle est malheureusement, dans les faits, peu efficace.

Madame la secrétaire d'État, vous avez évoqué les contrôles de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. Nous savons que les services sont mobilisés et les agents engagés sur le terrain, mais nous savons aussi que, dans un contexte général de multiplication des missions et de réduction des effectifs, les contrôles ne sont pas suffisamment fréquents.

Si nous pouvons reconnaître les avancées des dix dernières années, il est selon nous indispensable de changer de braquet. L'Allemagne, notamment, est passée à la logique du opt-in, qui impose le consentement préalable des usagers. Ce cadre est à la fois plus respectueux de la vie privée et constitue un bouclier efficace.

Ce qui nous rassemble sur cette proposition de loi, c'est la recherche du juste équilibre entre la vie économique et le domaine des télécoms, d'un côté, et la prévention des sollicitations intempestives de l'autre. Nous devons gagner en efficacité à cet égard.

La proposition de loi de notre collègue vise à instaurer un changement de perspective. Les motifs qui poussent à changer de braquet sont à nos yeux fondés.

Il s'agit de passer d'une logique générale d'acceptation tacite du démarchage par le consommateur avec possibilité d'opposition, à une logique générale d'opposition avec possibilité de consentement explicite.

La préservation de l'emploi et la stimulation du tissu économique sont des objectifs partagés par tout le monde dans cet hémicycle. Comme cela a été souligné et documenté en commission, la plupart des appels sont cependant passés depuis des centrales à l'étranger, et, de plus en plus, par des robots et grâce à l'intelligence artificielle. Ceux qui sont passés à partir du territoire national entrent très souvent dans le cadre des exceptions que le texte prévoit lui-même puisqu'ils concernent des relations commerciales approfondies.

Mes chers collègues, les mécanismes proposés dans la proposition de loi sont restrictifs et entraîneront sans doute certaines recompositions pour ces organismes de démarchage. Ils disposeront d'autres relais, qu'ils soient classiques – je pense à la voie postale ou encore aux spots publicitaires à la télévision et dans les journaux –, mais aussi plus modernes, qu'il s'agisse des messageries électroniques ou des réseaux sociaux. Nous ne souhaitons aucunement les priver de possibilités de s'adresser à leurs clients ou futurs clients.

Ces propositions ont été discutées au sein de la commission des lois. Un consensus semble émerger pour soutenir ce texte, en constante amélioration depuis qu'il a été déposé, en particulier pour définir collégialement des modalités pratiques de recueil du consentement des usagers et des consommateurs, en conformité avec le règlement général sur la protection des données (RGPD).

Aujourd'hui, le groupe Union Centriste estime que les tentatives d'encadrement et de régulation n'ont pas produit les résultats escomptés et que la lassitude de nos concitoyens doit être pleinement prise en compte. Nous devons notamment mieux protéger les publics fragiles.

C'est pourquoi nous apporterons notre soutien à la proposition de loi, sous réserve de l'adoption d'un certain nombre d'amendements proposés par Mme la rapporteure, qui permettront d'améliorer son efficacité. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, RDPI et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marianne Margaté. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme Marianne Margaté. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, alors que plusieurs lois et décrets ont tenté, par le passé, d'encadrer le démarchage téléphonique, nous partageons aujourd'hui le même constat : ces mécanismes n'ont pas limité cette pratique et ses conséquences.

Neuf Français sur dix sont toujours exaspérés par le démarchage téléphonique. Et pour cause : 72 % des Français sont démarchés au moins une fois par semaine, 38 % quotidiennement.

Depuis 2016, le consommateur peut en principe s'opposer au démarchage téléphonique en s'inscrivant gratuitement sur la liste Bloctel, mais force est de constater que ce mécanisme connaît bien trop de faiblesses et qu'il n'est pas assez protecteur. Ainsi, alors que 97 % des Français sont exaspérés par les démarchages téléphoniques, seulement six millions de nos concitoyens sont inscrits sur Bloctel.

Si l'on peut s'interroger sur le manque de communication sur ce dispositif, c'est surtout son efficacité qui semble faire défaut. Le fait d'être inscrit ne suffit pas à décourager les démarcheurs harceleurs et les infractions sont très nombreuses.

La Commission nationale de l'informatique et des libertés constate ainsi, au cours de ses contrôles, que plus de la moitié des entreprises s'exonèrent totalement de l'obligation d'expurger leurs listes des numéros figurant sur Bloctel. Et les sanctions sont insuffisantes au regard des millions d'appels passés.

Pourtant, le démarchage téléphonique n'est pas qu'exaspérant ; il est aussi dangereux, particulièrement pour les plus vulnérables.

Les centres d'appels le reconnaissent eux-mêmes : ils visent essentiellement les personnes fracturées électroniquement. Or c'est 18 % de la population française qui est en situation d'illectronisme, les personnes âgées étant plus particulièrement concernées.

Combien parmi nous ont un parent ou un ami ayant été victime d'une arnaque téléphonique ? En Europe, en 2023, 16 % des consommateurs ont été victimes d'escroqueries par ce biais.

Alors, mes chers collègues, pourquoi ne pas interdire par défaut les démarchages téléphoniques, comme le propose l'auteur de la proposition de loi, que je salue ? L'UFC-Que Choisir le demande déjà depuis plusieurs années, au nom du droit à la tranquillité. C'est d'ailleurs ce qu'ont fait une dizaine de pays européens comme l'Allemagne, l'Autriche, la Lituanie ou la République tchèque.

Il nous faut inverser la pratique et ne plus faire peser sur les consommateurs la charge de se prémunir contre le démarchage. C'est bien le rôle du droit que de protéger les personnes les plus vulnérables.

Avec l'interdiction par défaut des démarchages téléphoniques, les entreprises ne pourront contacter que des personnes inscrites sur une liste et ayant, pour parler en termes contractuels, consenti à la démarche. Cela permettra de fortement réduire ce qui exaspère, je le répète, 97 % de nos compatriotes, qui seront ainsi mieux protégés.

À l'avenir, si vous faites l'objet d'un démarchage téléphonique, mais que vous n'êtes pas inscrit sur la liste, vous saurez que la démarche est illégale.

Mes chers collègues, si les entreprises ont des droits, les citoyens en ont aussi. Est-on un consommateur avant d'être un citoyen ? Je ne le pense pas. Et c'est bien notre devoir que de défendre les citoyens de ce pays, notamment les plus vulnérables d'entre eux.

Par conséquent, si ce texte conserve le même esprit protecteur, le groupe CRCE-K le votera. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et RDSE. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Mélanie Vogel.

Mme Mélanie Vogel. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, pour commencer, permettez-moi de remercier Pierre-Jean Verzelen pour sa proposition de loi, ainsi que la rapporteure, Olivia Richard, pour le travail de grande qualité qu'elle a effectué sur ce texte.

Je le répète après tous les orateurs qui m'ont précédée – c'est le problème de passer en dernier (Sourires.) –, le démarchage téléphonique est incontestablement une nuisance. Les appels non sollicités viennent interrompre des tâches quotidiennes, dérangent lors d'un dîner ou pendant les congés. Lorsque vous êtes en dehors de l'Espace économique européen – j'ai une pensée pour nos compatriotes à l'étranger –, la frustration est encore plus grande, car, dans de nombreux cas, l'appel vous est facturé dès la première seconde.

Il est ainsi peu surprenant que 97 % de la population soit agacée par le démarchage téléphonique. Certes, plusieurs initiatives ont été prises pour tenter de l'encadrer : Pacitel, puis Bloctel, ainsi que des lois et décrets.

Pourtant, nous sommes toutes et tous toujours démarchés. Pourquoi ? Est-ce parce qu'il serait impossible d'interdire le démarchage téléphonique ? Non, un seul article de loi suffit. D'ailleurs, de nombreux pays européens, comme le Portugal et l'Allemagne, l'ont interdit depuis longtemps.

Est-ce parce que nous manquons de volonté politique ? Non plus ! De nombreuses propositions de loi, parfois transpartisanes, ont prévu une interdiction, seule manière de lutter efficacement contre cette nuisance. Des parlementaires communistes, socialistes, écologistes, de Renaissance, de l'Union Centriste et des Républicains ont aussi demandé en différentes occasions l'interdiction du démarchage téléphonique.

À chaque fois, cependant, un seul argument majeur a été opposé pour contrecarrer les tentatives d'interdire : cela va entraîner la suppression de milliers d'emplois. Curieusement, ce n'est pas arrivé au Portugal, en Allemagne et dans tous les pays qui l'ont fait.

Je ne vais pas balayer cet argument d'un revers de main ; je vais plutôt essayer de l'analyser. Le problème, c'est que cette analyse, qui devrait comprendre une étude des conditions de travail des opératrices et des opérateurs téléphoniques travaillant dans les centres d'appels, n'est pas souvent fournie par celles et ceux qui avancent cet argument.

Quand on s'intéresse à cette question, on ne peut que constater que ces opérateurs, quand ils bénéficient du statut de salarié, sont extrêmement mal payés, subissent une pression énorme de leur hiérarchie, souffrent du manque de sens de leur activité et d'un mal-être au travail qui les conduit bien souvent à la dépression. À cela s'ajoutent les réactions hostiles unanimes à l'autre bout du fil, les personnes appelées s'agaçant, voire insultant les opérateurs téléphoniques. C'est totalement dénigrant !

Interdire le démarchage téléphonique ne va pas détruire l'emploi. Notre économie a juste beaucoup mieux à offrir que des emplois d'une précarité inacceptable, consistant à accomplir des tâches dont personne ne veut et qui incommodent au contraire tout le monde.

Nous ne manquons pas de potentialités. Ces personnes pourraient travailler dans les services après-vente, par exemple, un domaine qui doit et va croître, du fait de la réparabilité des produits et de la responsabilité des entreprises, plutôt que d'ennuyer des gens, souvent les plus précaires, pour tenter péniblement de leur vendre des produits dont ils n'ont pas besoin.

Pour toutes ces raisons, le groupe GEST votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et RDSE.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La commission n'ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de l'article unique de la proposition de loi initiale.

proposition de loi visant à interdire le démarchage téléphonique

Article unique

Le chapitre III du titre II du livre II du code de la consommation est ainsi modifié :

1° Au début de l'intitulé, le mot : « Opposition » est remplacé par le mot : « Consentement » ;

2° L'article L. 223-1 est ainsi modifié :

a) Les trois premiers alinéas sont remplacés par cinq alinéas ainsi rédigés :

« I. – Il est interdit à un professionnel de démarcher téléphoniquement un consommateur, directement ou par l'intermédiaire d'un tiers agissant pour le compte du même professionnel.

« L'interdiction prévue au premier alinéa n'est pas applicable dans les cas suivants :

« 1° Lorsque le consommateur a explicitement consenti à être démarché en s'inscrivant sur une liste de consentement au démarchage téléphonique ;

« 2° Lorsque le démarchage intervient dans le cadre de l'exécution d'un contrat en cours et a un rapport avec l'objet de ce contrat, y compris lorsqu'il s'agit de proposer au consommateur des produits ou des services afférents ou complémentaires à l'objet du contrat en cours ou de nature à améliorer ses performances ou sa qualité ;

« 3° Lorsque le démarchage porte sur la fourniture de journaux, de périodiques ou de magazines. » ;

b) Le quatrième alinéa est ainsi modifié :

– au début, est ajoutée la mention : « II. – » ;

– les mots : « d'opposition » sont remplacés par les mots : « de consentement » ;

c) Le septième alinéa est ainsi modifié :

– au début, est ajoutée la mention : « III. – » ;

– les mots : « non sollicitée » sont supprimés ;

– les mots : « deuxième alinéa » sont remplacés par la référence : « I » ;

d) Le huitième alinéa est ainsi modifié :

– au début, est ajoutée la mention : « IV. – » ;

– à la première phrase, les mots : « quatrième alinéa » sont remplacés par la référence : « I » ;

e) Le dernier alinéa est ainsi modifié :

– au début, est ajoutée la mention : « V. – » ;

– les mots : « d'opposition » sont remplacés par les mots : « de consentement » ;

3° L'article L. 223-2 est abrogé ;

4° L'article L. 223-3 est ainsi modifié :

a) Après le mot : « consommateurs », sont insérés les mots : « qui ne sont pas » et les mots : « d'opposition » sont remplacés par les mots : « de consentement » ;

b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Cette interdiction ne s'applique pas à la prospection en vue de la fourniture de journaux, de périodiques ou de magazines. » ;

5° Aux premier et dernier alinéas de l'article L. 223-4, les mots : « d'opposition » sont remplacés par les mots : « de consentement » ;

6° L'article L. 223-5 est abrogé.

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

Les deux premiers sont identiques.

L'amendement n° 2 rectifié bis est présenté par M. Reichardt, Mme Schalck, M. Daubresse, Mme N. Goulet, M. Henno, Mme Herzog, M. Grosperrin, Mmes Belrhiti et Lavarde, MM. Panunzi et Anglars, Mmes Muller-Bronn et Micouleau, MM. Burgoa et Kern, Mme M. Mercier, MM. Frassa, Cadec, Gremillet et Houpert, Mmes Goy-Chavent et Dumont et M. Saury.

L'amendement n° 6 est présenté par Mme O. Richard, au nom de la commission.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Rédiger ainsi cet article :

I.- Le code de la consommation est ainsi modifié :

1° La seconde phrase du premier alinéa de l'article L. 221-16 est supprimée ;

2° Le chapitre III du titre II du livre II est ainsi modifié :

a) Au début de l'intitulé, le mot : « Opposition » est remplacé par le mot : « Consentement » ;

b) L'article L. 223-1 est ainsi modifié :

les deux premiers alinéas sont remplacés par trois alinéas ainsi rédigés :

« Il est interdit, directement ou par l'intermédiaire d'un tiers agissant pour son compte, de démarcher téléphoniquement un consommateur qui n'a pas exprimé préalablement son consentement pour faire l'objet de prospections commerciales par ce moyen.

« Pour l'application du présent article, on entend par consentement toute manifestation de volonté libre, spécifique et informée par laquelle une personne accepte que des données à caractère personnel la concernant soient utilisées à fin de prospection commerciale par voie téléphonique.

« L'interdiction prévue au premier alinéa n'est pas applicable lorsque la sollicitation intervient dans le cadre de l'exécution d'un contrat en cours et ayant un rapport avec l'objet de ce contrat, y compris lorsqu'il s'agit de proposer au consommateur des produits ou des services afférents ou complémentaires à l'objet du contrat en cours ou de nature à améliorer ses performances ou sa qualité. » ;

- au troisième alinéa, le mot : « deuxième » est remplacé par le mot : « troisième » ;

- les quatrième à sixième alinéas sont supprimés ;

- après le mot : « téléphonique », la fin du septième alinéa est ainsi rédigée : « peut avoir lieu, lorsque le consommateur a exprimé préalablement son consentement ou en application du troisième alinéa du présent article » ;

à la première phrase du huitième alinéa, les mots : « Le professionnel mentionné au quatrième alinéa respecte » sont remplacés par les mots : « Les professionnels respectent » ;

- le dernier alinéa est ainsi rédigé :

« Les modalités d'application du présent article sont précisées par décret en Conseil d'État. » ;

c) Les articles L. 223-2 à L. 223-4 sont abrogés ;

d) Au premier alinéa de l'article L. 223-5, les mots : « Les interdictions prévues aux articles L. 223-1 et L. 223-3 ne s'appliquent » sont remplacés par les mots : « L'interdiction prévue à l'article L. 223-1 ne s'applique » ;

3° Le second alinéa du 1° de l'article L. 224-27-1 est supprimé.

II.- Le présent article entre en vigueur le 11 août 2026.

La parole est à Mme Elsa Schalck, pour présenter l'amendement n° 2 rectifié bis.

Mme Elsa Schalck. Nous voyons bien depuis le début du débat les difficultés que pose le démarchage téléphonique et la nécessité de faire évoluer le système existant. Je pense que tout le monde en convient. À cet égard, je tiens à saluer l'initiative de l'auteur de la proposition de loi, ainsi que le travail de notre rapporteure, Olivier Richard.

Cet amendement a été élaboré par mon collègue André Reichardt, qui avait déjà travaillé sur cette question en tant que rapporteur du texte de 2020. Malheureusement, le système d'opt-out avec inscription sur Bloctel pour signifier son refus du démarchage a montré ses limites. En conséquence, il convient désormais de passer à un système d'opt-in généralisé, qui suppose d'obtenir le consentement préalable du consommateur.

Néanmoins, les modalités de ce nouveau système, telles qu'elles ont été définies initialement dans le texte, soulèvent des difficultés. C'est notamment le cas pour l'établissement d'une liste de consentement, et ce pour plusieurs raisons.

D'abord, qui s'inscrirait sur une liste pour consentir à être démarché ? Personne ! Une telle liste entraînerait donc la mort totale du démarchage et provoquerait des milliers de suppressions d'emplois. Nous sommes tous d'accord, il est indispensable de protéger les consommateurs, mais il ne faut pas non plus pénaliser à la fois les entreprises et les consommateurs qui souhaitent être appelés, parce qu'il en existe.

Ensuite, si la liste de refus n'a pas fonctionné, je crains qu'une autre liste, de consentement cette fois-ci, ne soit guère plus opérante. Celle-ci serait par ailleurs particulièrement coûteuse à mettre en place et risquerait de complexifier considérablement le système. Or tout le monde sur ces travées souhaite une simplification.

Enfin, nous opposons à cette proposition un argument juridique indéniable de conformité avec la directive européenne Vie privée, ainsi qu'avec le RGPD.

Nous sommes favorables, mes chers collègues, à une évolution vers un système avec consentement préalable, mais nous souhaitons un encadrement, ainsi que l'a également proposé notre rapporteure.

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure, pour présenter l'amendement n° 6.

Mme Olivia Richard, rapporteure. Cet amendement de la commission est identique à celui de notre collègue Reichardt, brillamment défendu par Elsa Schalck.

André Reichardt, vous l'avez rappelé, a été rapporteur de la loi Naegelen en 2020. Je suis très heureuse de voir que nous faisons le même constat. Nous souhaitons nous aussi supprimer la liste de consentement proposée par M. Verzelen au profit d'un système de consentement donné au cas par cas.

Nous répondons ainsi d'abord à des préoccupations économiques : il convient de trouver un juste milieu entre préservation de l'emploi et respect des droits des consommateurs. Par ailleurs, nous nous appuyons sur un dispositif juridique solide en matière de consentement en nous rapprochant de celui du RGPD, lequel exige un consentement non pas général, mais bien spécifique.

Mme la présidente. Le sous-amendement n° 16, présenté par Mmes Linkenheld et de La Gontrie, MM. Durain, Bourgi et Chaillou, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Narassiguin, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Amendement n° 6, alinéas 8 à 10

Rédiger ainsi ces alinéas :

« Il est interdit à un professionnel de démarcher par voie téléphonique, directement ou par l'intermédiaire d'un tiers agissant pour son compte, un consommateur qui n'a pas exprimé préalablement et expressément son consentement à faire l'objet de prospections commerciales par ce moyen.

« Pour l'application du présent article, on entend par consentement toute manifestation de volonté libre, spécifique, éclairée et univoque par laquelle une personne accepte que des données à caractère personnel la concernant soient utilisées aux fins de prospection commerciale par voie téléphonique.

« L'interdiction prévue au premier alinéa n'est pas applicable lorsque la sollicitation intervient dans le cadre de l'exécution d'un contrat en cours et ayant un rapport direct avec l'objet de ce contrat. » ;

La parole est à Mme Audrey Linkenheld.

Mme Audrey Linkenheld. Ce sous-amendement s'inscrit dans le droit fil des amendements qui viennent d'être présentés et auxquels nous souscrivons puisqu'ils nous permettent de trouver des modalités opérantes pour passer du droit d'opposition au consentement préalable.

Par ce sous-amendement, notre groupe propose simplement deux clarifications.

La première porte sur le RGPD. Il nous semble que nous ne sommes pas totalement alignés sur les éléments de protection tels qu'ils figurent dans ce règlement. Nous proposons donc de clarifier le dispositif en y ajoutant très exactement tous les critères entourant le recueil du consentement dans le RGPD.

La seconde fait davantage débat. Elle concerne la relation client. Nous le savons, une grande partie des appels intempestifs qui dérangent nos concitoyens, malgré leur inscription sur Bloctel, sont aujourd'hui dus au fait que nous avons une acception assez large, peut-être trop, de la relation client. C'est pourquoi nous essayons d'en donner une définition plus stricte.

Je précise que ce sous-amendement a été travaillé avec UFC-Que choisir.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission sur ce sous-amendement ?

Mme Olivia Richard, rapporteure. Sur la définition du consentement, nous ne sommes pas hostiles à l'évolution que vous proposez. Néanmoins, la commission n'ayant pas pu se prononcer sur ce sous-amendement, qui a été déposé très récemment, je vous propose d'y revenir au cours de la navette.

En revanche, je ne suis pas très favorable à votre conception de l'exception client. Le dispositif actuel est le fruit d'un consensus qui a déjà quatre ans. C'est moins l'interprétation de cette exception qui pose problème que le comportement des fraudeurs, qui ne la respectent pas du tout. Je ne suis donc pas sûre que l'adoption de ce sous-amendement soit de nature à régler le problème.

Aussi, j'émets un avis défavorable sur ce sous-amendement et vous propose d'y revenir au cours de la navette.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Laurence Garnier, secrétaire d'État. Les deux amendements nos 2 rectifié bis et 6 sont au cœur du changement de paradigme proposé dans ce texte, qui prévoit de passer à un système d'opt-in décentralisé. S'ils étaient adoptés, chaque professionnel devrait recueillir préalablement le consentement du consommateur avant de le démarcher.

Il s'agit là d'une grande différence par rapport au texte initial, puisque le consentement sera donné au cas par cas par le consommateur. Ce régime nous semble plus conforme au RGPD et moins pénalisant pour les acteurs vertueux qui pratiquent le démarchage dans le respect du cadre légal.

Cela étant dit, comme je l'ai indiqué dans la discussion générale, la véritable solution est avant tout technique. Ainsi, nous souhaitons relancer avec le ministre de l'économie tout le travail sur le mécanisme d'authentification des numéros. À cet effet, nous rassemblerons prochainement tous les opérateurs téléphoniques pour faire un point d'étape sur ce sujet.

Pour autant, ces deux amendements nous semblent ouvrir une perspective utile. Le Gouvernement émet donc un avis de sagesse.

Madame la sénatrice Linkenheld, le sous-amendement que vous proposez comporte deux volets. Nous n'avons pas eu la possibilité de l'expertiser dans le détail, car il a été déposé très récemment.

Vous souhaitez tout d'abord préciser le dispositif de l'amendement de la rapporteure en reprenant les termes relatifs au recueil du consentement figurant dans le RGPD. Ensuite, vous souhaitez introduire une approche plus restrictive de la relation client. Nous suivons Mme la rapporteure et émettons un avis défavorable sur votre sous-amendement, tout en renvoyant le sujet à la navette parlementaire.

Mme la présidente. Je mets aux voix le sous-amendement n° 16.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 2 rectifié bis et 6.

J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Je rappelle que le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 32 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 340
Pour l'adoption 322
Contre 18

Le Sénat a adopté.

En conséquence, l'article unique de la proposition de loi est ainsi rédigé et les amendements n° 4 rectifié bis et 5 rectifié n'ont plus d'objet.

Après l'article unique

Mme la présidente. L'amendement n° 3, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, M. Jadot, Mme de Marco, M. Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :

Après l'article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au troisième alinéa de l'article L. 121-11 du code de la consommation, après le mot : « vendu » sont insérés les mots : « ou au consentement au démarchage téléphonique conformément à la procédure prévue au chapitre III du titre II du livre II ».

La parole est à Mme Mélanie Vogel.

Mme Mélanie Vogel. En adoptant cet article, nous venons d'interdire le démarchage téléphonique. C'est une très bonne nouvelle.

Néanmoins, cette interdiction peut être levée avec le consentement du consommateur. Il est donc à peu près évident que certaines entreprises vont tenter par tous les moyens imaginables d'obtenir que leur clientèle consente au démarchage téléphonique. Pis, de petits malins pourraient faire du consentement au démarchage téléphonique une condition préalable à l'achat de leurs produits et l'introduire dans leurs conditions générales de vente.

C'est pour éviter cela et pour que l'article que nous venons d'adopter soit pleinement efficace que nous proposons de compléter la liste des pratiques commerciales interdites. Il serait ainsi interdit, conformément à la volonté que nous venons d'exprimer, de conditionner l'achat d'un bien ou d'un service au consentement au démarchage téléphonique.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Olivia Richard, rapporteure. L'amendement vise à interdire le conditionnement de la vente d'un bien ou d'un service à un consentement au démarchage téléphonique.

Il n'est pas impossible que cette mesure soit satisfaite par l'article 4 du RGPD. La Cnil précise bien qu'une « personne doit se voir offrir un choix réel sans avoir à subir de conséquences négatives en cas de refus. »

Cependant, le passage à l'opt-in va engendrer un bouleversement important. Il n'est donc pas inutile de faire œuvre de clarté sur ce sujet, comme l'a souligné Mélanie Vogel. À cet égard, l'adoption de cet amendement serait positive. La commission y est donc favorable.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Laurence Garnier, secrétaire d'État. Madame la sénatrice, je comprends bien votre intention. Ce genre de pratique peut en effet permettre à des professionnels de vendre de la donnée à d'autres à des fins de démarchage téléphonique.

Pour autant, il nous semble que votre amendement est satisfait par le RGPD, comme Mme la rapporteure l'a indiqué. Aussi, sans remettre en cause la pertinence de vos arguments, je vous demande de le retirer ; à défaut, j'émettrai un avis de sagesse.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 3.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article unique.

L'amendement n° 9, présenté par Mme O. Richard, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Après l'article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article L. 132-14 du code de la consommation, il est inséré un article L. 132-14-… ainsi rédigé :

« Art. L. 132-14-…. – Lorsque l'abus de faiblesse ou d'ignorance est commis dans les conditions mentionnées au 1° de l'article L. 121-9, les peines prévues au premier alinéa de l'article L. 132-14 sont portées à cinq ans d'emprisonnement et 500 000 euros d'amende. 

« Le montant de l'amende peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du délit, à 20 % du chiffre d'affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d'affaires annuels connus à la date des faits. »

La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Olivia Richard, rapporteure. Par cet amendement, nous vous proposons de sanctionner plus fortement l'abus de faiblesse commis par voie téléphonique en portant les peines, pour les personnes physiques, à cinq ans d'emprisonnement et 500 000 euros d'amende. Pour les personnes morales, les amendes pourraient atteindre jusqu'à 20 % du chiffre d'affaires.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Laurence Garnier, secrétaire d'État. Nous partageons l'objectif de sanctionner davantage les abus de faiblesse. Pour autant, nous émettons deux réserves sur cet amendement.

D'abord, le montant des amendes et des peines d'emprisonnement proposées excède largement les quantum prévus dans le code de la consommation. Les pratiques commerciales trompeuses et agressives sont en effet punies d'une peine d'emprisonnement de deux ans et d'une amende de 300 000 euros.

Votre amendement pose donc un problème de cohérence globale : il existerait, d'un côté, un régime général des peines pour les pratiques commerciales trompeuses ; de l'autre, un régime spécifique pour l'abus de faiblesse en cas de démarchage téléphonique.

Ensuite, l'abus de faiblesse n'est jamais réellement constaté lors de démarchages téléphoniques, lors desquels on peut mettre fin à l'échange à tout moment facilement, tout simplement en raccrochant. C'est différent d'un démarchage à domicile.

Votre proposition ne me paraissant pas opportune, j'émets un avis de sagesse.

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Olivia Richard, rapporteure. J'entends parfaitement vos arguments, madame la secrétaire d'État, mais au cours des auditions que nous avons menées, il nous est apparu que les cibles principales des entreprises, notamment des centres d'appels, sont les personnes en situation d'illectronisme – 18 % de la population est concernée –, et, parmi elles, bien sûr, les personnes âgées. Or qui dit personnes âgées dit potentiellement abus de faiblesse.

Aussi, il me semble important de souligner qu'il n'est pas acceptable que les personnes plus faibles et plus vulnérables soient la cible privilégiée du démarchage. C'est pourquoi nous avons voulu frapper un grand coup en sanctionnant plus durement ces pratiques.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 9.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article unique.

L'amendement n° 7, présenté par Mme O. Richard, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Après l'article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le titre II du livre II du code de la consommation est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa de l'article L. 221-16 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Si le consommateur s'oppose à la poursuite de la communication, le professionnel met fin à l'appel sans délai et s'abstient de le contacter à nouveau » ;

2° Le septième alinéa de l'article L. 223-1 est ainsi modifié :

a) Après le mot : « horaires », sont insérés les mots : «, qui ne peuvent excéder sept heures par jour, » ;

b) Après le mot : « fréquence », sont insérés les mots : « , qui ne peut excéder deux appels ou tentatives d'appel d'un consommateur par un même professionnel au cours d'une période de soixante jours calendaires, ».

La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Olivia Richard, rapporteure. Cet amendement vise à renforcer la prise en compte du droit d'opposition qui est exprimé lors de conversations téléphoniques.

Aujourd'hui, lorsqu'une personne fait part de son opposition au démarchage, il faut attendre soixante jours avant de pouvoir la recontacter, ce qui me semble contraire au principe même du consentement fixé dans le RGPD et par la Cnil. Pourquoi seulement soixante jours, alors même que rien de tel n'était prévu dans la loi initiale ?

Nous proposons donc, d'une part, de mieux prendre en compte l'expression du droit d'opposition au cours de la conversation téléphonique, et, d'autre part, de réduire les horaires et fréquences d'appel autorisés à sept heures par jour maximum, contre neuf heures aujourd'hui, ce qui est très libéral, et à deux tentatives au maximum en soixante jours, contre quatre tentatives en trente jours actuellement.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Laurence Garnier, secrétaire d'État. C'est un amendement de bon sens. Il nous paraît normal que chacun puisse s'opposer à la poursuite d'un appel téléphonique en obligeant le professionnel à y mettre un terme et qu'il puisse refuser qu'on le contacte de nouveau. Le Gouvernement émet donc un avis favorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 7.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article unique.

Mme la présidente. L'amendement n° 8, présenté par Mme O. Richard, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Après l'article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le dernier alinéa de l'article L. 221-16 du code de la consommation est complété par une phrase ainsi rédigée : « Cette signature ne peut intervenir moins de vingt-quatre heures après la réception de l'offre. » 

La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Olivia Richard, rapporteure. Il s'agit d'instaurer un délai de carence de vingt-quatre heures avant l'acceptation d'une offre commerciale transmise à la suite d'un démarchage par téléphone, sur le modèle de ce qui existe dans le domaine des assurances, et ce afin de préserver les personnes vulnérables.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Laurence Garnier, secrétaire d'État. Bien qu'il tende a priori à renforcer la protection des consommateurs, cet amendement, s'il est adopté, est susceptible de poser un problème de conformité au droit européen. La directive européenne relative aux droits des consommateurs laisse en effet une faible marge de manœuvre, l'article 8 ne prévoyant pas la possibilité d'imposer un tel délai.

Si le Gouvernement partage l'objectif de cet amendement, il semble néanmoins plus prudent de ne pas l'adopter, compte tenu des réserves que je viens d'émettre. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement s'en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 8.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article unique.

L'amendement n° 10, présenté par Mme O. Richard, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Après l'article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au III de l'article L. 32-3 du code des postes et des communications électroniques, après le mot : « correspondance » sont insérés les mots : « échangée dans le cadre de services de messagerie textuelle et de services de courrier électronique ».

La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Olivia Richard, rapporteure. Cet amendement vise à autoriser explicitement le déploiement d'un filtre anti-spam pour les SMS, afin de sécuriser la possibilité juridique pour les opérateurs téléphoniques d'y avoir recours, sur le modèle de ce qui existe déjà, avec succès, pour les courriels.

L'Arcep comme les opérateurs considèrent toutefois que la rédaction figurant actuellement dans le code de la consommation est trop restrictive pour étendre ces dispositifs de filtrage automatisé aux SMS. Il convient donc de lever cet obstacle, étant entendu que les opérateurs demeureront libres de proposer ou non de tels filtres.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Laurence Garnier, secrétaire d'État. Le Gouvernement partage l'objectif de permettre le traitement automatisé des SMS par les opérateurs pour qu'ils puissent mettre en place des dispositifs anti-spam. Il est donc favorable à l'objet de cet amendement.

Néanmoins, la rédaction actuelle empêcherait le déploiement de boucliers anti-spam pour des correspondances en ligne non textuelles, c'est-à-dire des images, des messages audio ou vidéo. Il serait dommage de proposer un dispositif incomplet.

Le Gouvernement émet donc un avis favorable sur cet amendement, sous réserve qu'il soit rectifié afin de corriger cette imprécision rédactionnelle.

Mme la présidente. Madame la rapporteure, acceptez-vous de rectifier cet amendement dans le sens suggéré par le Gouvernement ?

Mme Olivia Richard, rapporteure. Oui, madame la présidente.

Mme la présidente. Je suis donc saisie de l'amendement n° 10 rectifié, présenté par Mme O. Richard, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Après l'article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au III de l'article L. 32-3 du code des postes et des communications électroniques, après le mot : « ligne », sont insérés les mots : « ou de messages textuels ».

Je le mets aux voix.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article unique.

L'amendement n° 11, présenté par Mme O. Richard, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Après l'article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au troisième alinéa de l'article L. 34 du code des postes et des communications électroniques, avant la première et la seconde occurrence du mot : « mobile », sont insérés les mots : « fixe ou ».

La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Olivia Richard, rapporteure. Il s'agit de basculer les numéros de téléphone fixe vers un régime d'opt-in pour leur publication dans des annuaires libres d'accès. Pour l'instant, seuls les numéros de mobile sont inscrits d'office sur liste rouge.

Une telle évolution est requise par une jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne de 2022. Outre qu'elle permettrait une meilleure maîtrise de leurs données par les consommateurs, elle pourrait contribuer à réduire, certes à la marge, le volume d'appels de démarchage non sollicités, les annuaires restant une source primaire d'accès aux données pour les démarcheurs.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Laurence Garnier, secrétaire d'État. Il semble très utile que les numéros de téléphone fixe figurent également sur liste rouge. Même si cela aura des effets à la marge, il est pleinement justifié d'éviter que les consommateurs ne reçoivent des appels non sollicités.

Par conséquent, le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 11.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article unique.

L'amendement n° 12, présenté par Mme O. Richard, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Après l'article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – Les dispositions de l'article 11 du code de procédure pénale ou celles relatives au secret professionnel ne font pas obstacle à la communication entre les agents de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse et la Commission nationale de l'informatique et des libertés, d'informations et de documents détenus ou recueillis dans l'exercice de leurs missions et strictement nécessaires à la recherche et à la constatation des infractions et manquements mentionnés :

1° À la section 5 du chapitre Ier et au chapitre III du titre II du livre II ainsi qu'aux articles L. 242-12, L. 242-14 et L. 242-16 du code de la consommation ;

2° Aux articles L. 34-5 et L. 44 du code des postes et des communications électroniques.

Les modalités d'application du présent I sont précisées par décret en Conseil d'État.

II. – L'article 18 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés est complété un alinéa ainsi rédigé :

« Par dérogation au deuxième alinéa, le secret professionnel ne fait pas obstacle à la communication à la Commission nationale de l'informatique et des libertés de l'identité de la personne physique ou morale affectataire d'un numéro du plan de numérotation par les opérateurs mentionnés au 15° de l'article L. 32 du code des postes et des communications électroniques ou de celle des responsables de traitement destinataires de leurs services par les opérateurs mentionnés au 1° et 2° du I de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique. »

La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Olivia Richard, rapporteure. Cet amendement vise à renforcer les moyens de lutte contre la fraude des opérateurs que sont l'Arcep, la Cnil et la DGCCRF. C'est une demande très forte de la part de ces instances. En effet, aujourd'hui, le secret de l'instruction fait obstacle à la communication d'informations pourtant cruciales pour le contrôle de la fraude.

Ainsi, la DGCCRF ne peut pas signaler à l'Arcep la situation d'un opérateur situé à l'étranger qui utilise un numéro français, en violation du plan national de numérotation.

Cet amendement vise également à imposer une obligation de communication à la Cnil des données détenues par les opérateurs, notamment l'identité des affectateurs des lignes téléphoniques. La Cnil se voit régulièrement opposer le secret professionnel dans ses enquêtes, ce qui met un coup d'arrêt à ses investigations.

Madame la secrétaire d'État, je profite de la discussion de cet amendement pour appeler votre attention sur un défaut d'information du site de la DGCCRF. J'y ai cherché hier soir la démarche à suivre pour signaler un démarchage téléphonique abusif, notamment en matière de rénovation énergétique : c'est noyé dans le reste. Il m'est seulement proposé d'essayer dans un premier temps de régler mon problème avec l'entreprise, ce qui ne paraît pas tout à fait à la hauteur des enjeux.

Je salue votre mobilisation pour régler ce problème, qui est pénible pour nombre de nos concitoyens. Je ne doute pas qu'en réunissant les opérateurs téléphoniques vous parviendrez à faire pression sur ceux qui peuvent changer la donne. En attendant, améliorer l'information des consommateurs peut aussi être un bon levier.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Laurence Garnier, secrétaire d'État. J'ai bien noté vos remarques concernant le site de la DGCCRF, madame la rapporteure.

Pour autant, j'invite l'ensemble des consommateurs à signaler ces dysfonctionnements sur SignalConso, qui est un outil ergonomique facile d'utilisation. Lorsqu'ils rencontrent ce type de difficultés, c'est plus vers cette plateforme téléchargeable sur les téléphones portables qu'ils peuvent se tourner que vers le site de la DGCCRF lui-même.

Madame la rapporteure, vous avez extrêmement bien décrit les difficultés liées au secret de l'instruction. Celui-ci empêche en effet une bonne communication entre la DGCCRF, la Cnil et l'Arcep. C'est pourquoi le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement. Son adoption permettra à ces trois autorités de contrôle de mieux partager les données recueillies, donc de mieux caractériser l'existence de manquements ou d'infractions.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 12.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article unique.

L'amendement n° 13, présenté par Mme O. Richard, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Après l'article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le VI de l'article L. 44 du code des postes et des communications électroniques est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« L'interdiction prévue au premier alinéa du présent VI n'est pas applicable aux appels émis par des systèmes automatisés pour réaliser des études statistiques, des enquêtes d'opinion et des sondages. »

La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Olivia Richard, rapporteure. Il s'agit de restaurer une exception à l'obligation d'utilisation de numéros dédiés pour les sondeurs, qui réalisent bien souvent une mission de service public, puisque c'est à la demande de l'Insee qu'ils réalisent leurs enquêtes d'opinion. Une erreur de rédaction dans la loi du 15 novembre 2021 visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France les a mis dans une grande difficulté.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Laurence Garnier, secrétaire d'État. Là encore, je comprends la volonté de la commission. Toutefois, accorder une dérogation au secteur des sondages pose problème : les opérateurs téléphoniques, qui s'appuient sur le diagnostic d'appels automatisés pour les bloquer le cas échéant, ne pourront plus faire une distinction entre les appels puisqu'il leur est impossible de connaître par avance leur finalité – s'agit-il d'un démarchage ou d'un sondage ?

Nous craignons que, dans le doute, ils puissent ne plus filtrer aucun appel automatisé. Un appel automatisé affichant un numéro normal serait susceptible d'émaner d'un sondeur et non pas d'un fraudeur.

Même si, je le répète, le Gouvernement comprend l'objectif de la commission, l'adoption de cet amendement pourrait finalement desservir l'ensemble du dispositif. C'est pourquoi il émet un avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Olivia Richard, rapporteure. Madame la secrétaire d'État, vos préoccupations me semblent tout à fait légitimes.

La commission a auditionné les sondeurs et leur démarche m'a paru intéressante à plus d'un titre.

Les sondeurs soulignent que les sondés sont très contents qu'on leur demande leur opinion et qu'on les entende. Cela participe, disent-ils, au « faire société ». D'ailleurs, le taux de satisfaction est très important.

Qui plus est, lorsque quelqu'un exprime sa volonté de ne plus être appelé par un sondeur, il est systématiquement inscrit sur une liste qui est établie par les sondeurs et qui leur appartient – celle-là même que voulait instaurer Pierre-Jean Verzelen – et il n'est plus jamais recontacté.

Tout cela témoigne d'un respect et d'une écoute qui m'ont plu. C'est pourquoi je maintiens cet amendement afin de laisser la navette parlementaire trancher ce débat.

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Laurence Garnier, secrétaire d'État. Madame la rapporteure, vous avez raison : il ne s'agit pas de mettre en cause les sondeurs, pas plus que les Français qui sont très contents qu'on leur demande leur avis.

Reste que, si cet amendement est adopté, les opérateurs ne pourront plus distinguer si l'appel émane d'un sondeur ou d'un démarcheur. Par conséquent, ils auront cette réaction simple : soit ils bloqueront tous les appels, ce qui desservira à tort les sondeurs, soit ils n'en bloqueront aucun, ce qui desservira la cause qui nous réunit ce matin, à savoir la limitation du démarchage téléphonique.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Chaize, pour explication de vote.

M. Patrick Chaize. Ayant été le rédacteur et le premier signataire de la proposition de loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France, je me souviens que ces difficultés avaient été soulevées lors des débats parlementaires. Comme l'a rappelé Mme la secrétaire d'État, il s'agit d'un réel problème technique de mise en œuvre.

Pour ma part, je trouve très dangereux de conserver cet amendement, dont l'objet écrasera toutes les autres dispositions du texte. En effet, son adoption créerait une faille et ouvrirait une porte qui ne manquera pas d'être utilisée par tous ceux qui veulent faire du démarchage.

C'est pourquoi je voterai contre cet amendement, et je conseille à mes collègues de faire de même !

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 13.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article unique.

Intitulé de la proposition de loi

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.

L'amendement n° 1 rectifié bis est présenté par M. Reichardt, Mme Schalck, M. Daubresse, Mme N. Goulet, M. Henno, Mme Herzog, M. Grosperrin, Mmes Belrhiti et Lavarde, MM. Panunzi et Anglars, Mmes Muller-Bronn et Micouleau, MM. Burgoa et Kern, Mme M. Mercier, MM. Frassa, Cadec, Gremillet et Houpert, Mmes Goy-Chavent et Dumont et M. Saury.

L'amendement n° 14 est présenté par Mme O. Richard, au nom de la commission.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Remplacer les mots :

visant à interdire le démarchage téléphonique

par les mots :

pour un démarchage téléphonique consenti et une protection renforcée des consommateurs contre les abus

La parole est à Mme Elsa Schalck, pour présenter l'amendement n° 1 rectifié bis.

Mme Elsa Schalck. Cet amendement déposé par André Reichardt vise à modifier l'intitulé de cette proposition de loi, afin que son libellé corresponde aux modifications que nous avons adoptées.

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure, pour présenter l'amendement n° 14.

Mme Olivia Richard, rapporteure. Il s'agit de mieux souligner la démarche de l'auteur de cette proposition de loi et d'éviter toute déception liée à un intitulé trop général.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Laurence Garnier, secrétaire d'État. Il semble intéressant et pertinent d'adapter l'intitulé de la proposition de loi aux votes qui ont été émis ce matin.

Par conséquent, le Gouvernement émet un avis favorable sur ces amendements identiques.

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1 rectifié bis et 14.

(Les amendements sont adoptés.)

Mme la présidente. En conséquence, l'intitulé de la proposition de loi est ainsi rédigé.

Vote sur l'ensemble

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Pierre-Jean Verzelen, pour explication de vote.

M. Pierre-Jean Verzelen. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, on appellera cela comme on veut – interdiction, opt-in, inversement du principe –, mais un pas a été franchi. J'en remercie mes collègues.

Je remercie une nouvelle fois Mme la rapporteure qui a transformé, pour l'améliorer, une proposition de loi avec ses certitudes, mais aussi ses faiblesses et ses manques, afin d'en faire un texte législatif.

En revanche, je suis un peu déçu de l'attitude du Gouvernement. Je suis très étonné de n'avoir jamais été sollicité par les trois grands opérateurs téléphoniques et les grands énergéticiens tout au long du travail qu'a effectué la rapporteure, depuis que cette proposition de loi a été inscrite à l'ordre du jour de nos travaux. C'est tout de même étonnant : ils appellent tout le temps, mais ils ne nous ont pas contactés.

Peut-être n'ont-ils pas trouvé mon numéro de téléphone…

M. Laurent Somon. Vous êtes sur liste rouge ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Pierre-Jean Verzelen. En revanche, j'ai bien compris qu'ils avaient trouvé celui de Bercy et que le Gouvernement était sensible à leur démarchage.

Pour ma part, je conteste vivement les arguments qui ont été avancés sur l'emploi. En effet, ces emplois ne sont même pas installés sur le sol français, quand bien même les opérateurs téléphoniques sont l'employeur.

Les entreprises énergétiques que le démarchage téléphonique fait tourner ne font pas partie du tissu des PME locales : ce sont des boîtes qui ouvrent le 1er janvier, qui font des travaux d'isolation à 1 euro et qui déposent le bilan le 30 juin. C'est cette économie-là que le démarchage téléphonique fait tourner.

Comme je suis optimiste et que je crois en l'avenir, je ne doute pas que le Gouvernement changera de position et qu'il se battra pour que ce texte soit inscrit à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale, pour que, enfin, nous inversions le principe relatif au démarchage téléphonique.

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix, modifié, l'ensemble de la proposition de loi, dont le Sénat à rédigé ainsi l'intitulé : proposition de loi pour un démarchage téléphonique consenti et une protection renforcée des consommateurs contre les abus.

J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Indépendants – République et Territoires.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 33 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 340
Pour l'adoption 340

Le Sénat a adopté à l'unanimité. (Applaudissements.)

La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Laurence Garnier, secrétaire d'État. Je salue de nouveau le travail de la rapporteure sur ce texte qui tend à répondre à un enjeu complexe et à une attente forte de nos concitoyens.

Monsieur le sénateur Verzelen, Bercy n'a été démarché ni par les énergéticiens ni par les opérateurs téléphoniques ! (M. Pierre-Jean Verzelen fait une moue dubitative.)

Au contraire, je crois avoir bien précisé lors de la discussion générale que le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et moi-même comptions recevoir prochainement les opérateurs pour faire un point très précis sur le niveau d'avancement du mécanisme d'authentification des numéros et pour nous assurer que les choses vont dans le bon sens afin de répondre aux attentes des Français.

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Olivia Richard, rapporteure. Mes chers collègues, je vous remercie d'avoir adopté cette proposition de loi très importante, puisqu'elle met en lumière un véritable problème.

Les solutions ne sont pas simples. Si un article pouvait résoudre d'un coup toutes les questions que ce sujet soulève, cela se saurait et nous l'aurions voté depuis longtemps.

Madame la secrétaire d'État, je vous remercie de votre implication. Nous comptons sur vous et sur votre détermination pour convoquer les différents acteurs de ce secteur.

Je remercie également Patrick Chaize de son intervention très pertinente. Nous n'avons en effet peut-être pas mesuré l'effet technique de l'amendement que la commission a proposé. Nous approfondirons cette question au cours de la navette parlementaire.

3

Redressement des finances publiques

Rejet d'une proposition de loi constitutionnelle

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Indépendants – République et Territoires, de la proposition de loi constitutionnelle visant à accélérer le redressement des finances publiques, présentée par Mme Vanina Paoli-Gagin et plusieurs de ses collègues (proposition n° 783 [2023-2024], résultat des travaux n° 112, rapport n° 111).

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, auteur de la proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme Vanina Paoli-Gagin, auteur de la proposition de loi constitutionnelle. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « on ne peut pas résoudre un problème avec le même mode de pensée que celui qui a généré le problème ». Alors que nous nous apprêtons à examiner le projet de loi de finances pour 2025, je ne crois pas inutile de rappeler cette maxime d'Einstein.

Cette année encore, nous voterons un budget en déficit, comme nous le faisons déjà depuis un demi-siècle.

Cette année encore, nous trouverons en chaque économie un sujet de débat, quand chaque dépense fera l'objet d'un consensus.

Cette année encore, nous alerterons sur la dérive de nos finances, mais, au fond, rien ne sera fait pour inverser la donne et engager pour de bon le rétablissement de nos comptes.

Au mieux, ce budget permettra d'éviter une crise financière à court terme, mais il ne contrecarrera pas sa survenue à long terme, si aucun changement systémique n'est engagé.

Je suis bien marrie de jouer ainsi les Cassandre, mais comment se satisfaire de cette triste pantomime qui, chaque année, se répète et qui, un jour, finira mal ?

À mon sens, nous faisons aujourd'hui face à une triple impasse : une impasse financière, une impasse économique et, j'ose le dire, une impasse démocratique.

Nous sommes face à une impasse financière, d'abord. Avec une dette publique qui dépasse les 110 % du PIB et un déficit durablement installé au-dessus de 5 % du PIB, nous avons renié nos engagements européens, que nous respections encore au début du siècle.

La succession des crises depuis 2020 n'explique qu'en partie cette dérive : additionnées, les dépenses exceptionnelles, engagées pendant la crise sanitaire, dans le cadre du plan de relance et durant la crise énergétique dépassent à peine les 250 milliards d'euros, soit un quart de l'augmentation de notre dette publique depuis 2017. La France est devenue le cancre de l'Union européenne, vous le savez, mes chers collègues, et emprunte désormais à un taux supérieur à celui du Portugal.

Nous faisons face à une impasse économique, ensuite, qui résulte de cette impasse financière.

Le gouvernement actuel est contraint de proposer un budget de crise, qui ne satisfait personne. Ne lui en tenons pas rigueur : il a dû composer avec la réalité.

Aujourd'hui, cette réalité déçoit tout le monde. Augmenter les impôts du pays le plus fiscalisé du monde, pour tenir un déficit à 5 % du PIB, tout en rabotant les dispositifs de soutien à l'innovation, c'est mettre notre économie sous forte pression et saper fortement le moral des troupes.

Résultat, les investissements et les recrutements sont gelés. La seule chose que les entreprises redoutent plus que les hausses d'impôt, ce sont les hausses d'impôt imprévues, qui plus est dans un contexte international marqué par une guerre concurrentielle de haute intensité.

Nous sommes face à une impasse démocratique, enfin, et cette dernière est d'une tout autre nature. Nous entamerons sous peu l'examen du projet de budget, mais nous ignorons si nous pourrons l'achever, alors même que l'Assemblée nationale n'en a même pas adopté la première partie.

Est en cause l'inflation chronique du nombre d'amendements, dans le calendrier contraint par la loi organique relative aux lois de finances (Lolf). La seule façon d'y échapper, en tant que parlementaires, c'est de renoncer à notre droit le plus souverain, à savoir le droit d'amendement.

Voilà qui explique cette impasse démocratique. Le Parlement pourrait ne plus voter le budget, ce qui est pourtant l'une de ses prérogatives essentielles. En d'autres termes, pour continuer à exercer ses missions, le Parlement devrait en quelque sorte renoncer à exercer son pouvoir.

Monsieur le garde des sceaux, vous avez beaucoup œuvré, dans vos précédentes fonctions, au renforcement des mécanismes juridiques, singulièrement organiques, pour améliorer le pilotage de nos finances publiques.

Votre rôle aujourd'hui est aussi de veiller au bon fonctionnement de nos institutions. Je me permets donc d'insister sur cette impasse démocratique. En effet, les excellents arguments juridiques que nous entendrons tout à l'heure conduiront de fait à justifier cette situation.

Face au constat de cette triple impasse, il serait irresponsable de ne rien faire. Je suis convaincue qu'il est indispensable de changer la méthode par laquelle on élabore le budget. À cet égard, je remercie mes collègues du groupe Les Indépendants d'avoir inscrit ce texte à l'ordre du jour de nos travaux.

La solution que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui vise à renforcer dans notre constitution la programmation des finances publiques. Le principe en est assez simple. Il s'agit, en matière budgétaire, de donner la primauté à la pluriannualité sur l'annualité.

Aujourd'hui, les lois de programmation des finances publiques, prévues par la Constitution, fixent une trajectoire budgétaire que le Gouvernement et le Parlement ont tout loisir, chaque année, de ne pas respecter.

Je propose d'inverser la logique, en interdisant l'adoption d'une loi de finances annuelle qui ne respecterait pas la loi de programmation. Cette super loi de programmation pourrait s'intituler « loi portant cadre financier pluriannuel ».

Nous connaissons assez bien une telle dénomination, elle fait référence au cadre financier pluriannuel européen, lequel fixe pour l'Union européenne des plafonds de dépenses et prévoit des mécanismes d'ajustement annuels. La crise sanitaire l'a montré : un consensus politique permet tout à fait de s'affranchir de ce cadre.

Renforcer la programmation des finances publiques, c'est surtout une mesure de bon sens – et nos concitoyens ont fortement besoin de bon sens. Il s'agit de graver l'engagement au moment où l'ambition est la plus élevée. Le rapporteur général nous le démontre régulièrement : chaque année, les lois de finances s'écartent un peu plus de la trajectoire prévue en loi de programmation.

L'adoption d'une telle loi-cadre aurait trois principaux effets. Le premier effet serait de contraindre les écarts par rapport à la trajectoire prévue. Le deuxième effet, qui découle du premier, serait de restreindre les débats annuels au périmètre fixé par la loi-cadre. Le troisième effet, exigence qui résulte des deux premiers, serait d'améliorer les prévisions macroéconomiques.

Ces effets ne sont pas nécessairement souhaitables per se, mais ils ont leur vertu pour faire face à la triple impasse que j'ai décrite. Ce sont davantage des expédients que des objectifs.

En commission, plusieurs questions ont été soulevées, auxquelles je tiens à apporter quelques éléments de réponse.

Quid des marges de manœuvre prévues par le texte ? Je le répète, tout cadre implique une forme de rigidité. La condamner, c'est refuser le principe même d'un cadre. Nous assumons clairement le fait d'appeler à davantage de rigidité.

Il faut bien sûr pouvoir ajuster le cadre à une situation exceptionnelle et imprévue. Lors de mes échanges avec des économistes, de hauts fonctionnaires et des professeurs de droit public, la question est apparue comme centrale.

Le principal problème, c'est de décider qui peut déterminer, et par quel processus, qu'une situation doit être qualifiée d'exceptionnelle et, par conséquent, qu'elle appelle des mesures dérogatoires.

Faut-il s'en remettre à des experts, à des organismes indépendants, comme le Haut Conseil des finances publiques ? L'hypothèse est séduisante, mais elle pose un sérieux problème de légitimité démocratique. C'est pourquoi j'ai privilégié l'option d'un consensus politique, en retenant le mécanisme d'un vote à la majorité qualifiée.

En 2020, au plus fort de la crise sanitaire, les budgets rectificatifs ont bien été adoptés en commission mixte paritaire. C'est donc bien par un consensus politique que la situation économique a été reconnue comme exceptionnelle et que des mesures exceptionnelles ont été prises pour y répondre.

Il a également été dit que ce texte conduirait à renforcer le prétendu « gouvernement des juges », en conférant au Conseil constitutionnel la faculté de juger la conformité des lois de finances annuelles à la loi-cadre.

Mes chers collègues, le Conseil constitutionnel contrôle déjà la constitutionnalité des lois de finances ! Son rôle ne changerait donc pas. En revanche, son jugement serait éclairé par l'avis et l'expertise du Haut Conseil des finances publiques. C'est tout l'intérêt d'inscrire cet organisme dans la loi fondamentale.

Enfin, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, vous avez soulevé des points d'indétermination du texte qui, je l'avoue, n'avaient pas été relevés auparavant. Je tiens donc à saluer votre travail rigoureux d'analyse et d'investigation sur cette proposition.

Je regrette toutefois vivement que vous n'ayez pas voulu amender le texte. Lors de nos échanges, vous avez évoqué plusieurs pistes pertinentes, mais n'en avez approfondi aucune. La vérité, c'est que vous rejetez le principe même de ce texte, car, là où il y a une volonté, il y a toujours un chemin. (Sourires.)

Je n'ai pas la prétention d'apporter aujourd'hui un remède miracle contre le mal, non plus chronique, mais structurel, dont souffre la France.

D'ailleurs, je m'en suis remise aux travaux déjà accomplis par ceux qui nous ont précédés. Ma proposition de loi constitutionnelle reprend ainsi la rédaction et l'architecture du projet de loi constitutionnelle de 2011, qui n'est pas allé à son terme.

Ne rien faire ou faire comme si, un beau jour, bientôt, comme dans un conte de fées, la tendance lourde qui conduit à la dégradation de nos comptes publics allait soudainement s'inverser, par un heureux retournement de tendance, me semble irresponsable.

Renoncer à un pilotage sur le long terme, c'est accepter d'être gouverné par le court terme, c'est préférer pour nos concitoyens la fragilité à la robustesse. Sans inverser le rapport entre annualité et pluriannualité, nous finirons toujours par être rattrapés par nos propres démons, que nous devons aujourd'hui regarder en face. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, cette proposition de loi constitutionnelle soulève un débat essentiel et porte sur un sujet hautement sensible dans la conjoncture actuelle. La question est de savoir si la révision constitutionnelle constitue un outil indispensable au redressement de nos finances publiques.

Certes, on ne peut que s'alarmer, comme l'auteur de ce texte, de leur situation extrêmement dégradée. Le déficit pour 2024, je le rappelle, est estimé à 6,1 % du PIB, et la dette cumulée atteint 113 % du PIB.

Mais cette situation résulte surtout d'un double échec : un échec politique, d'abord, et l'auteur de ce texte a bien rappelé l'absence de volonté de prendre des mesures concrètes afin de redresser nos finances publiques ; un échec juridique, ensuite, puisque cette proposition de loi constitutionnelle s'inspire grandement d'un projet de loi constitutionnelle de 2011.

Ce projet de loi avait été déposé dans un contexte dont chacun se souvient, en pleine crise des dettes souveraines. Son adoption n'a pas eu d'effet, le Conseil constitutionnel ayant indiqué qu'il n'était pas nécessaire de modifier la Constitution pour transposer les exigences du Pacte européen et de stabilité de 2012.

Alors, face à la dégradation actuelle, est-il pertinent de modifier la Constitution ?

Cette proposition de loi constitutionnelle vise en fait trois objectifs.

Le premier est de créer une nouvelle catégorie de lois portant cadre financier pluriannuel. Ces textes se substitueraient aux lois de programmation annuelles, la différence, notable, étant que leurs dispositions s'imposeraient ensuite aux lois de finances annuelles, ainsi qu'aux lois de financement de la sécurité sociale. Le deuxième objectif est d'instaurer un monopole des lois de finances sur les dispositions fiscales. Le troisième est de consacrer dans la Constitution le rôle du Haut Conseil des finances publiques tout en élargissant ses prérogatives.

Le premier objectif, donc, est de créer des lois portant cadre financier pluriannuel. Ces textes porteraient sur la durée de la législature et ils présenteraient un degré de précision assez important, dans leurs critères, autour de quatre missions principales.

Premièrement, la terminologie employée est éclairante puisqu'elle reprend la notion de cadre financier pluriannuel utilisée pour le budget de l'Union européenne, qui doit respecter des plafonds fixés pour une période de sept ans. Le droit de l'Union européenne a sans aucun doute été une source d'inspiration pour l'auteur.

Cette comparaison, toutefois, doit être manipulée avec la plus grande prudence, puisqu'il y a une différence de nature et de forme entre l'Union européenne et ses pays membres. L'Union européenne n'est pas un État souverain et ne joue pas un rôle majeur dans le fonctionnement des services publics.

Deuxièmement, cette proposition de loi constitutionnelle induit une profonde remise en cause du principe de l'annualité budgétaire, qui constitue un grand acquis du parlementarisme, consacré par notre ordre juridique constitutionnel depuis la Constitution de 1791. Ce principe permet le consentement à l'impôt et l'exercice d'un contrôle régulier de la dépense. De fait, cette proposition de loi constitutionnelle remet en cause la garantie des droits budgétaires du Parlement.

Troisièmement, ces lois portant cadre financier pluriannuel pourraient être adoptées en ayant recours à l'article 49.3 de la Constitution, puisque ce seraient des lois ordinaires. Comment peut-on imaginer une situation dans laquelle une trajectoire budgétaire – le budget de l'État – pourrait être fixée pour cinq ans sans avoir été votée par l'Assemblée nationale ?

De surcroît, la procédure proposée pour la modification de ces lois portant cadre financier pluriannuel est extrêmement rigide : il faudrait réunir le Parlement en Congrès et obtenir la majorité qualifiée des trois cinquièmes. Cela romprait le parallélisme des formes puisque ces lois, ordinaires, seraient adoptées à la majorité simple. D'un point de vue philosophique, la majorité des trois cinquièmes est destinée à imposer des exigences dont la portée excède des engagements partisans. Or le budget, par essence, est un acte politique.

Quatrièmement, le texte comporte des risques de remise en cause de la libre administration des collectivités territoriales et de leur autonomie financière. En effet, les lois-cadres comporteraient des dispositions relatives à la trajectoire des prélèvements obligatoires, qui incluent évidemment les impôts locaux, et à la stratégie d'investissement public, portée, on le sait, à plus de 50 % par les collectivités territoriales.

Cinquièmement, graver dans le marbre constitutionnel des critères de finances publiques pourrait engendrer des risques de contradiction avec le cadre européen. Ce dernier est assez mouvant en la matière, quand notre loi fondamentale a vocation à demeurer stable. Ainsi, nous devrions effectuer une révision constitutionnelle à chaque modification du cadre budgétaire européen afin d'harmoniser les critères.

Sixièmement, il est délicat de donner une portée contraignante à une norme de déficit, ou à tout autre critère comportant une dimension prévisionnelle. Comment le Conseil constitutionnel pourrait-il censurer une loi de finances sur la base d'un indicateur prévisionnel ?

Se pose également un problème de périmètre : le Conseil constitutionnel pourrait-il censurer une loi de finances qui porte sur le fonctionnement de l'État, sur la base d'un indicateur relatif à l'ensemble de la sphère publique ?

Le deuxième objectif du texte est l'institution d'un monopole des lois de finances sur les dispositions fiscales. Actuellement, ces dispositions relèvent du domaine partagé entre lois de finances ou lois ordinaires.

Cantonner les mesures fiscales aux lois de finances pourrait paraître tout à fait pertinent d'un point de vue doctrinal, afin de garantir la cohérence de la politique budgétaire. Du reste, ce principe est déjà respecté, puisque seules deux ou trois mesures fiscales sont adoptées en dehors des textes financiers chaque année. Pour autant, je pense qu'il faut laisser une certaine souplesse aux législateurs. Cela peut être utile. Cette proposition de loi porte atteinte de façon importante à l'initiative parlementaire, déjà fortement contrainte par l'article 40 de la Constitution.

La proposition de loi constitutionnelle prévoit également la constitutionnalisation et l'élargissement des prérogatives du Haut Conseil des finances publiques. Cette instance, créée en 2013, fonctionne parfaitement. Une telle évolution n'apparaît donc pas nécessaire, d'autant que le Haut Conseil est une émanation de la Cour des comptes, qui figure elle-même dans la Constitution. Enfin, les auditions nous l'ont montré, le Haut Conseil n'a ni les moyens financiers ni les moyens humains de faire face à un élargissement de ses prérogatives. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Stéphane Sautarel, rapporteur pour avis de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, notre commission des finances s'est saisie pour avis de cette proposition de loi, dont le contenu rejoint parfaitement nos préoccupations et concerne l'objet principal de notre travail.

J'ai conduit des auditions conjointement avec le rapporteur au fond, Stéphane Le Rudulier, et le rapport qu'il vient de faire reflète très bien les conclusions que j'ai moi-même tirées de nos travaux.

Depuis 1975, pas un seul budget n'a été voté à l'équilibre en France. La dégradation des comptes s'accélère, voire se banalise : depuis vingt ans, le déficit public n'a été inférieur à 3 % du PIB qu'à trois reprises. Chaque crise a fait franchir un nouveau palier à l'endettement public, qui ne parvient jamais à diminuer durablement : alors qu'il représentait 20 % à 40 % du PIB jusqu'au début des années 1990, 60 % après la récession de 1993, 80 % après la crise financière de 2009, il dépasse les 100 % depuis la crise de 2020.

Reconnaissons-le, cette situation reflète un manque de volonté politique, surtout lorsque cette évolution perdure en sortie de crise ! En 2008, les lois de programmation des finances publiques ont été instituées afin d'infléchir cette tendance, mais les trajectoires qu'elles ont tracées n'ont pas été suivies.

Face à l'échec des outils existants, je salue l'initiative de Vanina Paoli-Gagin, qui nous amène à poser la question du redressement des finances publiques.

La charge de la dette sera dans quelques années le premier poste de dépenses de l'État. Elle ampute ses marges de manœuvre et sa capacité à financer les transitions écologique, numérique ou démographique.

Notre collègue nous propose d'instituer, pour la durée d'une législature, une loi portant cadre financier pluriannuel visant l'équilibre budgétaire et dont les dispositions s'imposeraient ensuite aux lois de finances annuelles, ainsi qu'aux lois de financement de la sécurité sociale.

Sans reprendre toutes les analyses du rapporteur au fond, que je partage dans l'ensemble, je souligne que notre pays dispose déjà d'une Constitution financière, en quelque sorte : la loi organique relative aux lois de finances. Cette loi organique est même issue d'une initiative parlementaire, alors que, auparavant, les règles budgétaires étaient encadrées par une simple ordonnance. Elle a prouvé depuis vingt ans sa capacité à s'adapter aux crises successives comme aux évolutions des règles européennes.

Je crains qu'une inscription dans la Constitution de principes aussi précis que ceux qui sont proposés dans ce texte pour les lois-cadres ne casse cet outil important qu'est la Lolf, d'autant que le contexte a changé depuis 2011 et que nous avons désormais transposé le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire (TSCG). Il serait plus difficile d'adapter la Constitution, texte plus rigide, aux évolutions des règles européennes.

En outre, en faisant statuer le Conseil constitutionnel sur le respect par la loi de finances de la trajectoire des prélèvements obligatoires, par exemple, ou de la stratégie d'investissements publics fixées par la loi-cadre, nous donnerions au juge de la Constitution le rôle d'un juge financier, voire d'un juge d'opportunité de la politique budgétaire. Ce n'est pas son rôle.

Je comprends la volonté de faire peser une sorte de contrainte sur les lois de finances, mais les années récentes ont montré la nécessité, dans certaines circonstances, de changer de cap budgétaire en urgence. D'ailleurs, nos voisins allemands, qui disposent d'un cadre plus rigide, s'interrogent sur l'opportunité de le faire évoluer.

La procédure proposée ici aurait-elle permis d'ouvrir des crédits en moins d'une semaine au mois de mars 2020 ? Je ne le pense pas. À l'inverse, une loi-cadre votée en période d'euphorie pourrait acter des plafonds de dépenses excessifs. C'est précisément le cas de la dernière loi de programmation des finances publiques, ce qui nous oblige à inscrire dans le projet de loi de finances pour 2025 des dépenses assez nettement inférieures à ce qui était prévu dans ce texte.

Disons-le : les règles juridiques ne peuvent pas remplacer la volonté politique. Ce débat nous permet de réaffirmer notre volonté de parvenir à infléchir la courbe du déficit et de l'endettement, mais la commission des finances ne vous propose pas d'adopter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, personne ne l'ignore, notre pays traverse un épisode budgétaire préoccupant. Le Premier ministre a rappelé que la réduction du déficit public constitue une priorité absolue pour le Gouvernement. C'est l'objectif du projet de loi de finances pour 2025, que votre assemblée examinera bientôt. C'est dans ce contexte particulier que vous débattez de la proposition de loi constitutionnelle visant à accélérer le redressement des finances publiques.

Ce texte ambitieux vise à modifier en profondeur les bases constitutionnelles de notre droit financier. Il prévoit de remplacer les actuelles lois de programmation des finances publiques par des lois portant cadre financier pluriannuel à caractère contraignant.

Ces lois détermineraient pour une législature des plafonds de charge des administrations, des trajectoires de prélèvements obligatoires, des objectifs de solde public annuel et une stratégie d'investissement. Elles s'imposeraient aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale, qui devraient, sous peine d'inconstitutionnalité, en respecter les orientations. Et ces lois-cadres, dont la procédure d'adoption serait proche de celle des lois de finances actuelles, ne pourraient être modifiées qu'à la majorité des trois cinquièmes des membres du Parlement réunis en Congrès.

Cette proposition de loi constitutionnelle interdit également l'adoption définitive d'un projet de loi de finances ou d'un projet de loi de financement de la sécurité sociale en l'absence de loi portant cadre financier pluriannuel. Elle renforce aussi les lois de finances en leur réservant le monopole des dispositions fiscales. Elle constitutionnalise les prérogatives du Haut Conseil des finances publiques et lui donne pour mission d'effectuer des prévisions économiques indépendantes. Elle impose un contrôle du Conseil constitutionnel sur tous les projets de loi financiers.

Mme la sénatrice Vanina Paoli-Gagin, auteur de ce texte, souhaite ainsi répondre à l'urgence du long terme en donnant enfin, en matière budgétaire, la primauté à la pluriannualité sur l'annualité.

L'idée d'inscrire les choix budgétaires dans le temps long, et donc dans des normes d'application pluriannuelles, n'est pas nouvelle. Elle figure dans de nombreuses réflexions, auxquelles j'ai pu moi-même participer au titre de précédentes fonctions, sur les moyens de concilier le principe d'annualité budgétaire avec la nécessaire prise en compte du temps long.

Avant même l'apparition des lois de programmation, la pratique des débats d'orientation budgétaire permettait au Parlement de débattre des perspectives économiques et budgétaires des trois années suivantes et de fixer des objectifs d'évolution des dépenses. Nous avions voulu, avec Alain Lambert, conserver ce moment, utile à l'information du Parlement en matière budgétaire : il est désormais consacré par l'article 48 de la Lolf, qui prévoit la tenue d'un débat d'orientation des finances publiques en juillet devant les deux assemblées.

Le pacte de stabilité et de croissance (PSC) adopté en 1997 inscrit également les prévisions budgétaires dans un cadre pluriannuel, notamment au moyen du programme de stabilité transmis chaque année par le Gouvernement au Parlement et à la Commission européenne.

Mais l'outil de programmation pluriannuelle le plus abouti a vu le jour avec la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, qui a introduit à l'article 34 de la Constitution les lois de programmation des finances publiques. Ces textes, en effet, définissent les orientations pluriannuelles des finances publiques, dans le respect de l'objectif d'équilibre des comptes des administrations publiques. Cette formulation a fait l'objet, à l'époque, de nombreux échanges… Je m'en souviens bien et puis vous dire qu'elle est le fruit d'un compromis qui avait fini par s'imposer.

Les lois de programmation définissent une trajectoire pluriannuelle, fixent des objectifs d'évolution du solde public et de la dette publique, en décrivant les perspectives relatives aux recettes et aux dépenses pour l'ensemble des administrations publiques, notamment des plafonds de crédits par mission du budget de l'État.

L'importance de ces lois s'est encore accrue à la suite de l'adoption du TSCG, signé le 2 mars 2012 et mis en œuvre par la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques.

Cette loi organique a confié aux lois de programmation pluriannuelle des finances publiques le soin de fixer une trajectoire pluriannuelle. Elle a également créé le Haut Conseil des finances publiques, que j'ai eu l'honneur de présider, et qui veille au respect du principe de sincérité budgétaire consacré par l'article 32 de la Lolf.

Placé auprès de la Cour des comptes, sans en être une émanation, le Haut Conseil des finances publiques se prononce sur les prévisions macroéconomiques des projets de loi de finances et il est chargé d'alerter publiquement le Parlement et le Gouvernement en cas d'écart avec la trajectoire fixée en loi d'orientation.

Sur un plan juridique, donc, les lois de programmation des finances publiques sont aujourd'hui des instruments reconnus, à la fois utiles et nécessaires.

Certes, ce sont aussi des instruments qui présentent certaines limites. En effet, par un saisissant paradoxe, les lois de programmation, qui ont vocation à traduire une vision de long terme, sont souvent celles qui sont le plus rapidement dépassées. Force est de le constater, les objectifs de déficit public inscrits dans les lois de programmation sont rarement atteints.

Pourtant, comme cela est dit dans le rapport public thématique de la Cour des comptes intitulé Les finances publiques : pour une réforme du cadre organique et de la gouvernance publié en novembre 2020, « l'affirmation du temps long comme horizon [est] indispensable à la conduite des politiques publiques et à la bonne gouvernance des finances publiques ». C'est incontestable.

Mais la prise en compte du temps long dans l'élaboration de la délibération démocratique, en particulier dans le domaine budgétaire, est particulièrement complexe. Elle doit en particulier être conciliée avec le principe de l'annualité budgétaire, ancré dans notre tradition politique et que je crois indispensable.

Héritage de la révolution, ce principe permet à notre droit financier de se conformer aux exigences d'un régime démocratique représentatif. Le vote annuel des textes financiers garantit le respect des prérogatives du Parlement et l'effectivité de son contrôle. Et l'annualité permet d'ajuster les finances publiques à l'évolution de la croissance.

Le Conseil constitutionnel a fait du principe d'annualité budgétaire un principe constitutionnel, qui découle des articles 34 et 47 de la Constitution. La nécessité de projeter la trajectoire financière dans un temps long, ou au moins sur le moyen terme, doit donc être conciliée avec ce principe. Cela pose inévitablement la question du rapport qui doit exister entre la loi de finances et la loi de programmation.

En l'état du droit, le constituant a préféré faire des lois de programmation des instruments de pilotage et ne pas contraindre le Parlement dans le vote des lois de finances.

Il faut dire que l'exercice est délicat. Les trajectoires fixées par les lois de programmation sont soumises par la suite à des contingences, notamment sociales, économiques, voire sanitaires récemment, qui ne peuvent être prises en compte au moment de leur élaboration, car elles ne sont pas toujours connues. Ainsi, la trajectoire prévue par une loi de programmation est davantage une information sur la stratégie prévue à un moment donné par le pouvoir politique qu'une prévision de ce qui sera assurément et concrètement réalisé. Cette trajectoire constitue néanmoins un engagement qui lie politiquement le Gouvernement, en particulier aux yeux de nos partenaires européens.

Faut-il pour autant donner à ces instruments de programmation un caractère obligatoire et contraignant, comme le prévoit la présente proposition de loi constitutionnelle ? C'est ce qu'avait proposé le Président Nicolas Sarkozy dans le projet de loi constitutionnelle relatif à l'équilibre des finances publiques déposé à l'Assemblée nationale le 16 mars 2011, que les deux assemblées ont voté dans les mêmes termes, mais qui n'a finalement pas été soumis au référendum ou au Parlement réuni en Congrès.

Aujourd'hui, cette idée connaît un regain d'intérêt, alors que la situation de nos finances publiques est plus que préoccupante : la dette publique, vous l'avez rappelé, s'élève à plus de 3 000 milliards d'euros, soit plus de 110 % de notre PIB. Cette idée est séduisante en apparence, mais je ne peux pas y être favorable, et ce pour deux raisons.

Premièrement, je pense qu'il ne faut pas minorer les inconvénients d'un système qui contraindrait juridiquement le Parlement et le Gouvernement dans leurs choix politiques. Ces dernières années l'ont démontré avec une vigueur particulière, tant sur le plan national qu'international : en dépit de toutes les prévisions et de tous les engagements, la politique financière reste tributaire des soubresauts de notre époque. Crises financières, pandémies, catastrophes naturelles ou encore guerres sont autant d'aléas que les politiques publiques doivent être capables d'appréhender.

Le caractère non contraignant des lois de programmation des finances publiques offre une souplesse nécessaire au Parlement et au Gouvernement pour répondre rapidement à des situations d'urgence ou mettre en œuvre des politiques contracycliques, comme durant l'année 2020.

Les solutions proposées dans cette proposition de loi constitutionnelle me paraissent affecter directement la capacité d'adaptation des pouvoirs publics. En définissant des indicateurs pour la durée de la législature, la loi-cadre se révélerait fortement contraignante, notamment vis-à-vis de la politique budgétaire, qui reste utile en cas de ralentissement économique comme de récession.

Par exemple, avec un plafond de charge fixé pour une législature, aucune réorientation ne serait possible sauf à convoquer le Congrès. La fixation de l'objectif de solde public pour une législature, alors que celui-ci dépend pour beaucoup de la croissance, pourrait avoir un impact récessif. D'ailleurs, le nombre d'indicateurs susceptibles d'être modifiés au regard des aléas socio-économiques souligne par lui-même que le niveau constitutionnel n'est pas adapté pour un tel texte.

De plus, il ne paraîtrait pas acceptable, en particulier pour nos concitoyens, que la représentation nationale se trouve privée de sa capacité de réaction parce qu'un texte programmatique aurait été voté des mois, voire des années plus tôt.

La procédure d'adoption des lois-cadres, et des textes financiers à leur suite, elle-même rigide, ne permettrait pas de faire face à des situations d'urgence. Que serait-il passé en mars 2020 si une loi-cadre nous avait empêchés de tirer parti de la décision européenne de suspendre l'application des règles du pacte de stabilité et de croissance ? Nous n'aurions pas pu prendre en urgence des mesures de soutien de l'économie et du secteur de la santé.

Enfin, la procédure de révision par les trois cinquièmes des membres du Parlement est particulièrement contraignante, sans que cela constitue une garantie de sérieux budgétaire.

Je souscris pleinement, vous le savez, à l'objectif d'une plus grande maîtrise de nos finances publiques. Je porte même une appréciation sévère sur la façon dont nous les gérons. Mais le dispositif juridique ne doit pas être un carcan pour le pouvoir politique, qui doit garder la capacité de mener la politique budgétaire qu'il a déterminée et pouvoir réagir très rapidement si la situation l'impose. Les choix budgétaires demeurent avant tout des choix de nature politique, qui ne doivent pas être contraints par des outils juridiques excessivement rigides.

Deuxièmement, je ne peux pas être favorable à ce texte pour une raison de principe, que j'ai déjà exprimée par le passé : une norme, quelle qu'elle soit, restera toujours inefficace sans réelle volonté politique de rétablir nos comptes publics. La Lolf en est le meilleur exemple. De bons instruments juridiques ne peuvent suffire à faire baisser le niveau de déficit public et à assainir nos finances publiques : cela se saurait ! Il ne suffit malheureusement pas de changer les textes pour changer la réalité.

Permettez-moi de prendre l'exemple de deux de nos voisins les plus proches. L'Allemagne n'a pas attendu l'entrée en vigueur de l'interdiction constitutionnelle de voter un budget en déséquilibre, en 2016, pour redresser ses comptes publics. D'ailleurs, depuis qu'elle s'en est dotée, elle peut trouver le moyen de la contourner. L'Italie, malgré l'adoption d'une règle d'or budgétaire en 2012, affiche aujourd'hui une dette équivalente à 140 % de son PIB. Cherchez l'erreur ! Il ne suffit pas de modifier les textes pour changer la réalité.

Mesdames, messieurs les sénateurs, c'est d'une culture de la pluriannualité dont nous avons besoin. Ce besoin, j'ai pu largement le rappeler dans le cadre de mes précédentes fonctions. En ce sens, je ne peux que saluer le vote de la loi organique du 28 décembre 2021, qui a précisé et modifié la Lolf et développe cette culture. Depuis l'année dernière, les projets annuels de performance doivent être assortis d'une trajectoire triennale.

Si je suis favorable au renforcement du rôle du Haut Conseil des finances publiques, je ne suis pas sûr que son inscription dans la Constitution puisse avoir un quelconque effet positif sur le rétablissement de nos finances publiques.

Ayant eu l'honneur de présider cette instance, je connais la qualité de ses travaux et de ses contributions au débat public. Le Haut Conseil des finances publiques serait-il plus entendu s'il était constitutionnalisé ? Honnêtement, je ne le pense pas.

Depuis sa création en 2014, il a déjà permis, par son influence et son expertise, de faire converger les prévisions du Gouvernement et celles du consensus économique, en particulier pour les prévisions de croissance, sans qu'il soit nécessaire de lui donner un cadre plus élevé dans la hiérarchie des normes. Son rôle pourrait toutefois, je le répète, être renforcé.

Je suis persuadé que le redressement des comptes publics doit avant tout procéder de la volonté des acteurs politiques. Il nous appartient collectivement, membres du Gouvernement et du Parlement, de nous saisir de cette question cruciale.

Les outils sont là. Il suffit de s'en saisir pour insuffler au sein des administrations une culture de la performance et de la responsabilisation des gestionnaires publics.

Vous l'aurez compris, plutôt qu'à un nouveau big-bang budgétaire, ou plus exactement de son cadre juridique, j'appelle bien plus volontiers à continuer les efforts qui ont été déployés dans le sillage de la Lolf et qui, pour beaucoup, restent à poursuivre, et à revenir à l'esprit de cette loi organique.

La Lolf est fondée sur une philosophie simple : promouvoir l'efficacité de l'action publique, afin que chaque euro dépensé soit un euro bien employé. Permettez-moi de dire que nous avons des marges de progrès considérables pour que cela corresponde à une réalité. (M. le rapporteur de la commission des lois sourit.)

À l'heure où les marges de manœuvre budgétaires semblent de plus en plus réduites, cet objectif me semble plus que jamais d'actualité. Nous devons nous efforcer de l'atteindre, bien sûr, sous le contrôle du Parlement.

Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai toujours été attaché au renforcement des prérogatives du Parlement en matière budgétaire et les fonctions que j'exerce aujourd'hui ne m'ont pas fait changer d'avis.

Le rôle du Parlement dans le rétablissement de nos comptes publics me semble incontournable. Il possède à cet égard de puissants moyens d'information et de contrôle de l'action du Gouvernement, qui ne demandent qu'à être davantage utilisés.

Je suis convaincu que nous pouvons faire œuvre utile pour améliorer notre procédure d'adoption des lois de finances. Nous sommes d'ailleurs le seul pays au monde à consacrer autant de temps à l'examen de notre loi de finances initiale.

En revanche, nous passons très peu de temps sur le contrôle de son exécution. Lorsque les gels et les coups de rabot se multiplient, la réalité d'une politique budgétaire s'apprécie davantage dans l'exécution que dans l'affichage d'une loi de finances.

Pour toutes ces raisons, et tout en saluant le travail ambitieux réalisé par Mme la sénatrice Paoli-Gagin, j'émets sur cette proposition de loi constitutionnelle un avis défavorable.

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures,

est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Dominique Théophile.)

PRÉSIDENCE DE M. Dominique Théophile

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion de la proposition de loi constitutionnelle visant à accélérer le redressement des finances publiques.

Dans la discussion générale, nous en sommes parvenus à l'intervention des orateurs des groupes.

La parole est à M. Marc Laménie. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Marc Laménie. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, rien de grand ne s'est jamais fait sans l'intuition du temps long. En France, on le voit dans tout ce qui structure encore nos territoires et notre économie. Je pense particulièrement à un secteur cher à mon cœur et qui m'anime depuis de nombreuses années : le domaine ferroviaire.

Le développement du réseau ferré dans l'Hexagone a permis l'essor de nos territoires, en reliant les petits villages de nos campagnes aux grandes villes et aux grands ports. Tout ce pan de l'histoire n'aurait jamais été possible avec une approche à court terme des politiques publiques, dans laquelle chaque budget est remis en cause chaque année.

Nous pourrions tout à fait en dire de même du nucléaire, de l'industrie, de la recherche fondamentale, ou encore de notre patrimoine et de nos savoir-faire artisanaux.

Nous sommes nombreux ici à souhaiter un renforcement de la planification. Il s'agit non pas de faire l'éloge des méthodes soviétiques pour organiser l'économie et la société, mais simplement, comme l'ont rappelé notre collègue Vanina Paoli-Gagin puis M. le garde des sceaux, d'organiser l'action publique sur le temps long, en bâtissant des consensus politiques par-delà les cycles électoraux.

C'est pourquoi je tiens à saluer cette proposition de loi constitutionnelle, qui nous invite à renouer avec le temps long.

L'inversion du rapport entre annualité et pluriannualité pourrait constituer une révolution budgétaire que je crois indispensable.

À cet égard, j'ai l'honneur d'affirmer faire preuve de constance. En effet, le texte que le groupe Les Indépendants présente aujourd'hui s'inspire assez largement, dans sa rédaction et dans son architecture, du projet de loi constitutionnelle relatif à l'équilibre des finances publiques, adopté par le Sénat en 2011.

Je fais partie de ceux qui, à l'époque déjà, l'avaient voté, tout comme nombre d'entre vous. Malheureusement, certains de ceux qui l'ont alors voté ne siègent plus au Sénat. J'espère que les autres confirmeront leur vote aujourd'hui.

Bien sûr, la situation de 2011 n'est pas celle de 2024. Les rapporteurs ont expliqué pourquoi ce qui nous apparaissait alors comme nécessaire et salutaire leur semble aujourd'hui superfétatoire et contre-productif.

Bien sûr, il y a eu le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, adopté par l'Union européenne en 2012. Bien sûr, il y a eu, sous François Hollande, la création du Haut Conseil des finances publiques, que vous connaissez très bien, monsieur le garde des sceaux. Mais qui peut dire que tout cela a permis de résoudre la crise budgétaire ? Qui peut dire que la situation s'est globalement améliorée depuis 2011 ?

Nos rapporteurs sont-ils bien certains que la situation de nos finances publiques n'aurait pas été meilleure si le projet de loi constitutionnelle avait été finalement promulgué ? En serions-nous là où nous en sommes si la programmation des finances publiques avait été ainsi renforcée ?

Mes chers collègues de la majorité sénatoriale, nous souhaitons tous le rétablissement de nos comptes publics.

Bien sûr, il est sain, et même nécessaire, que nous débattions des moyens d'atteindre cet objectif. Nous le ferons longuement à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2025. Mais il est aussi indispensable de changer la méthode par laquelle nous votons le budget, et donc de réviser la Constitution.

Nous en avons aujourd'hui l'occasion. Saisissons-la. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Vincent Delahaye applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Husson. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui la proposition de loi constitutionnelle visant à accélérer le redressement des finances publiques.

Il s'agit, à n'en pas douter, d'une priorité unanimement partagée au sein de cet hémicycle.

Comme je l'ai rappelé, nous sommes en effet confrontés à une situation d'état d'urgence budgétaire qui impose d'agir : agir d'abord pour empêcher le décrochage de la France à l'échelle européenne ; agir aussi pour garantir la soutenabilité de la dette publique pour les prochaines générations.

Certes, notre action au service du redressement des finances publiques se traduit déjà, en recettes comme en dépenses, par des mesures budgétaires fortes visant à réduire notre déficit primaire. Mais cet effort n'est pas suffisant.

Pour redresser efficacement nos finances, nous devons conduire dans le même temps des réformes de structure. Nous nous y attelons également.

Les grands principes budgétaires qui font la force du modèle français sont aujourd'hui mis à l'épreuve. Il nous incombe, en conséquence, de proposer un cadre plus performant et plus lisible.

Trois grands enjeux m'apparaissent prioritaires. Il faut d'abord réduire la fragmentation budgétaire, qui contribue à rendre le budget illisible et empêche une vision intégrée des finances publiques, pourtant nécessaire.

Il faut ensuite renforcer le rôle du Parlement, aujourd'hui trop concentré sur la budgétisation, alors qu'il mérite d'être davantage mobilisé sur le contrôle de l'exécution et sur la responsabilisation, afin de redonner tout son sens au « chaînage vertueux ».

Il faut enfin introduire une véritable logique de pluriannualité transversale, au moment où l'on parle beaucoup de planification et de la nécessité d'assurer un contrôle plus strict de nos trajectoires, assorti d'une réelle vision de long terme.

La présente proposition de loi constitutionnelle vise à répondre à ces enjeux par la création d'une nouvelle catégorie de texte financier. Une loi portant cadre financier pluriannuel remplacerait les actuelles orientations pluriannuelles des finances publiques définies dans la loi de programmation des finances publiques.

Le dispositif proposé se rapproche ainsi de celui qui avait été adopté voilà un peu plus d'une décennie, en réponse à des enjeux similaires de modernisation du cadre financier, et conformément aux exigences européennes.

La solution défendue dans ce texte vise donc à défendre un objectif à la pertinence renouvelée. Toutefois, elle se heurte ce faisant à des obstacles juridiques et pratiques d'importance.

En premier lieu, cette solution présente un risque de rigidification excessive du pilotage budgétaire, en particulier de l'action parlementaire en la matière.

Le cadre pluriannuel des finances publiques qui est proposé et qui remplacerait les lois de programmation des finances publiques s'imposerait systématiquement et pendant toute la législature aux autres textes financiers, qu'il s'agisse du projet de loi de finances ou du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Cela reviendrait à remettre en cause le principe constitutionnel d'annualité budgétaire, pourtant essentiel à l'expression du consentement démocratique à l'impôt et au contrôle de l'utilisation de ce dernier. Les droits du Parlement s'en trouveraient nécessairement endommagés.

Le cadre budgétaire, d'ailleurs, ne pourrait être révisé qu'au moyen d'une procédure quelque peu complexe nécessitant l'accord des trois cinquièmes des membres du Congrès. Sa révision serait donc délicate et difficile et tout ajustement rapide de la trajectoire budgétaire du pays en cas de crise serait ainsi empêché, en l'absence d'un improbable quasi-consensus sur ses modalités.

Ce risque de paralysie institutionnalisée me semble aller à l'encontre de l'esprit de nos institutions.

Le basculement de la fiscalité dans le domaine réservé des lois de finances contribuerait également à amoindrir le pouvoir budgétaire du Parlement et, de manière plus large, la capacité d'initiative des parlementaires dans ce domaine.

En deuxième lieu, la solution proposée serait susceptible d'entraver la libre administration et l'autonomie financière de nos collectivités territoriales.

Ainsi, la fixation pour cinq ans dans une loi-cadre de la trajectoire des prélèvements obligatoires aurait nécessairement un effet par ricochet et de long terme sur les ressources des collectivités.

En troisième lieu, enfin, le renforcement du rôle du Conseil constitutionnel et la constitutionnalisation de celui du Haut Conseil des finances publiques suscitent des interrogations.

En chargeant explicitement le Conseil constitutionnel d'une mission d'évaluation de la conformité des lois de finances au cadre financier pluriannuel, cette proposition de loi constitutionnelle risque de transformer en partie l'office du juge constitutionnel : ce dernier deviendrait en quelque sorte un juge financier, exerçant un quasi-contrôle d'opportunité sur les décisions, au regard d'indicateurs chiffrés complexes, essentiellement étrangers au droit constitutionnel et remontant parfois à plusieurs années. Cela pourrait contribuer à dénaturer le rôle de cette institution.

La décision en matière budgétaire est en effet avant tout de nature politique ; elle doit donc revenir au Parlement et au Gouvernement.

Par ailleurs, compte tenu de la présence de la Cour des comptes dans la Constitution, l'inscription du Haut Conseil des finances publiques n'apparaît pas indispensable.

Pour conclure, je rappellerai que la rigidité des procédures n'est pas synonyme de rigueur dans la gestion des affaires publiques. Nous pouvons donc identifier des voies moins contraignantes que celles qui sont proposées dans ce texte et dénuées d'obstacles institutionnels et juridiques. Je partage donc l'analyse prudente du rapporteur pour avis.

Néanmoins, nous devons poursuivre notre réflexion sur ce sujet. Les propositions formulées par la commission sur l'avenir des finances publiques qu'a présidée Jean Arthuis apparaissent à cet égard très opportunes, tout en permettant d'agir à cadre constitutionnel constant.

Pour ces raisons, et dans la continuité de la position qu'il a exprimée en commission, le groupe Les Républicains votera contre cette proposition de loi constitutionnelle.

M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.

Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi constitutionnelle que nous examinons aujourd'hui soulève des questions fondamentales sur la gestion de nos finances publiques, à un moment où notre déficit atteint des niveaux alarmants.

Plus précisément, ce texte a pour but d'inscrire dans la Constitution la primauté d'un cadre budgétaire pluriannuel sur le principe d'annualité.

Depuis 1974, aucun budget n'a en effet été voté à l'équilibre et la dette publique s'élève désormais à plus de 113 % du PIB.

Ce texte vise donc à instaurer des lois-cadres financières pluriannuelles, qui fixeraient pour chaque législature des plafonds de charges et des objectifs budgétaires contraignants dans les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale.

Ses auteurs proposent aussi d'attribuer le monopole des dispositions fiscales aux lois de finances et de constitutionnaliser le Haut Conseil des finances publiques en élargissant ses missions.

Cette proposition de loi constitutionnelle suscite toutefois des réticences, lesquelles ont été exprimées lors de l'examen du texte en commission. Celles-ci tiennent notamment aux implications de ce texte sur les prérogatives budgétaires du Parlement et sur l'autonomie des collectivités territoriales.

La remise en cause du principe d'annualité budgétaire paraît particulièrement problématique. Ce principe, garant du consentement à l'impôt et du contrôle régulier des dépenses, permet au Parlement d'adapter chaque année les budgets aux réalités économiques. L'imposer sur toute une législature risquerait de rigidifier notre cadre budgétaire, compromettant ainsi notre réactivité en cas de crise.

De plus, la rigidité de la loi-cadre que ce texte propose d'instaurer, dont la révision devrait être adoptée par une majorité des trois cinquièmes du Parlement réuni en Congrès, soulève des questions démocratiques. Cette majorité qualifiée, habituellement réservée aux réformes d'ampleur dépassant les enjeux partisans, pourrait contraindre les futurs gouvernements, y compris en cas de changement de contexte.

Cette proposition de loi constitutionnelle soulève également des inquiétudes légitimes au regard de l'autonomie des collectivités territoriales.

Alors que ces dernières sont à l'origine de la majorité des investissements publics, leur imposer des plafonds de prélèvements obligatoires et des orientations d'investissement centralisées pourrait compromettre leur libre administration financière.

Enfin, la constitutionnalisation de critères budgétaires évolutifs imposés par des règles européennes régulièrement révisées pourrait contraindre notre cadre budgétaire de façon disproportionnée. Le Conseil constitutionnel serait chargé de juger la conformité de ces critères en fonction de prévisions, un rôle délicat qui pourrait mettre en péril la cohérence de notre politique budgétaire.

Si le groupe RDPI partage l'objectif d'un redressement des finances publiques, nous restons convaincus que c'est avant tout par une volonté politique que nous pourrons instaurer et tenir la discipline financière nécessaire à la résorption du déficit des comptes publics.

Nous voterons donc contre ce texte, dont nous tenons toutefois à saluer l'ambition louable de maîtrise des déficits. (Mme Maryse Carrère applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire.

M. Bernard Fialaire. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi constitutionnelle que nous examinons vise à inscrire dans notre norme fondamentale le principe de pluriannualité budgétaire, qui prévaudrait sur l'actuel principe d'annualité.

Les motivations avancées par l'auteure du texte sont tout à fait louables et ne devraient pas faire l'objet d'une contestation large dans notre assemblée, particulièrement dans le contexte que nous connaissons. S'il n'y a pas lieu de rentrer dans les détails de cette situation, je tiens à souligner que l'instabilité politique participe de ce phénomène qui plonge le monde économique dans l'incertitude.

À ce titre, renforcer la visibilité sur la trajectoire budgétaire de la France pourrait contribuer à améliorer la situation économique de notre pays tout en nous permettant de nous rapprocher des objectifs européens.

En 2020, dans un rapport intitulé Finances publiques : pour une réforme du cadre organique et de la gouvernance, la Cour des comptes, que vous connaissez bien, monsieur le garde des sceaux (Sourires.), constatant le bilan décevant des lois de programmation des finances publiques, préconisait de renforcer la programmation pluriannuelle. Ces lois de programmation, dont l'adoption repose sur des prévisions souvent optimistes et dont le suivi est peu lisible, ne sont que rarement respectées. Il s'agit là avant tout d'un problème politique auquel le droit constitutionnel ne saurait apporter une réponse satisfaisante.

Le principe d'annualité budgétaire peut paraître désuet, mais il garantit le contrôle parlementaire du budget, impératif démocratique issu de la Révolution française. La délibération parlementaire annuelle permet à la fois aux citoyens de constater le projet défendu par leurs représentants et au Gouvernement de soumettre sa vision à l'épreuve de la représentation nationale.

Sanctuariser une volonté politique dont les conséquences sont aussi lourdes pour une période de cinq années me paraît disproportionné au regard des exigences démocratiques.

En outre, le principe d'annualité n'est pas incompatible avec les exigences de programmation imposées par le droit européen et le rythme économique. Il doit au contraire être associé à une surveillance accrue de ladite programmation, comme le préconise le rapport de la Cour des comptes susvisé.

Je m'inscris en accord avec la philosophie de cette proposition de loi constitutionnelle, qui vise à réaffirmer la responsabilité politique qu'emportent les choix budgétaires et à renforcer la programmation des finances publiques. En l'état, le texte conduirait toutefois, au contraire, à dépolitiser les débats que nous menons en dessaisissant le Parlement de ses pouvoirs budgétaires.

Le texte prévoit de plus une procédure de révision des lois-cadres bien trop stricte, dont la mise en œuvre semble quasi impossible. Si la programmation doit être un guide sérieux et réaliste dans la préparation du budget, elle ne peut devenir un carcan qui rendrait nos discussions actuelles accessoires.

M. le rapporteur, dont je salue le travail, a très justement identifié les difficultés juridiques et politiques posées par ce texte, au regard tant de la libre administration des collectivités territoriales que de la contraction de notre Constitution qui pourrait découler des évolutions du droit européen.

En définitive, ce texte apporte une pierre supplémentaire au débat légitime et nécessaire relatif à nos finances publiques et à la meilleure manière d'en assurer la soutenabilité. J'estime toutefois que la solution viendra davantage des élus de la République que de la contrainte du droit.

Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe du RDSE se positionnera majoritairement contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)

M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je salue l'initiative de notre collègue Vanina Paoli-Gagin et du groupe Les Indépendants et les propositions de contraintes budgétaires supplémentaires qu'ils formulent.

De fait, convient-il ou non d'introduire des contraintes budgétaires supplémentaires ? Si j'ai entendu de nombreuses critiques et des objections parfois légitimes lors des interventions précédentes, j'ai entendu très peu de propositions – certes, nous sommes peu nombreux… L'objectif que ses auteurs assignent à ce texte est unanimement reconnu comme excellent, mais l'on estime que face à un déficit de 35 % et à une dette qui représente les recettes perçues au titre de l'impôt pendant dix ans, la volonté politique suffira.

M. le garde des sceaux, qui a souscrit à cette idée lors de son intervention, a même qualifié la période actuelle d'« épisode budgétaire ». Dans la mesure où cela fait quarante ans que cela dure, je parlerai plutôt d'une longue série, monsieur le garde des sceaux ! Or, pour ma part, je suis lassé de cette situation.

M. Didier Migaud, garde des sceaux. Cela fait plutôt cinquante ans !

M. Vincent Delahaye. Je vous accorde que cela fait près de cinquante ans, même s'il faut reconnaître qu'au départ, les déficits étaient assez faibles.

Reste qu'il faut agir.

L'une des objections formulées tient à l'atteinte à la libre administration financière des collectivités territoriales. Or celle-ci a été largement rognée ces dernières années. Aujourd'hui, chaque année, les budgets des collectivités locales sont bouclés avec un déficit de 0 %, et contrairement au garde des sceaux, je considère, non pas le tendanciel, mais le réel. Or les collectivités en sont à se demander comment elles pourraient aller plus loin, plutôt que l'inverse.

Les collectivités locales n'ayant donc pas de réelle autonomie financière, je ne vois pas en quoi ce texte pourrait restreindre cette autonomie.

Une autre objection tient à la restriction des pouvoirs budgétaires du Parlement. Avez-vous le sentiment, messieurs les rapporteurs, que le Parlement détient de forts pouvoirs en la matière ? Notre intervention se borne à changer 1 %, voire 2 %, du budget les bonnes années. C'est le Gouvernement qui fait le budget, comme il le fera encore cette année en activant l'article 43.3 de la Constitution.

Si elles sont nombreuses, les propositions des parlementaires ne prospèrent que minoritairement. L'argument selon lequel ce texte restreindrait les prérogatives budgétaires du Parlement me paraît donc de peu de poids.

Comme je l'ai indiqué lors des travaux de la commission des finances à notre rapporteur pour avis, que j'apprécie, j'aurais souhaité que nous fassions des propositions. Nous aurions pu, en effet, nous saisir de cette proposition de loi constitutionnelle et créer un groupe de travail commun à la commission des lois et à la commission des finances. Notre assemblée, dont la sagesse est reconnue, s'honorerait à souligner que, sur un sujet comme celui-ci – j'en suis désolé, monsieur le garde des sceaux –, la volonté politique ne suffit pas, car comme nous l'avons constaté dans le passé, elle ne dure pas. Si le Gouvernement et vous-même avez aujourd'hui cette volonté, monsieur le garde des sceaux, nous ne savons pas ce qu'il en sera dans six mois ou dans un an.

Telle est la raison pour laquelle j'estime qu'il faut nous doter de contraintes, comme l'ont fait la plupart des pays qui ont redressé leurs finances publiques : la Suède, la Finlande récemment, et avant eux le Canada, la Nouvelle-Zélande, l'Irlande ou le Danemark. Ces pays, qui ne sont du reste en rien antisociaux, se sont engagés dans la réduction de la masse salariale avec des contraintes fortes.

J'ai hélas ! le sentiment que, sans contrainte, notre pays ne sera pas capable de s'imposer la rigueur qui sied à la gestion de l'argent public. Au-delà des propositions de Mme Paoli-Gagin, nous devons donc trouver une voie.

Or, avec mon collègue Olivier Cadic, nous sommes les seuls à avoir formulé des propositions – je les présenterai dans la suite de la discussion. J'aurais aimé que nous soyons plus nombreux à le faire. En tout état de cause, ce débat est nécessaire et il doit avoir lieu.

Les pays étrangers qui ont redressé leurs comptes publics se sont dotés d'un cadre contraignant, mais ils ont aussi emprunté un chemin qui n'est pas le nôtre, monsieur le garde des sceaux.

Dans notre pays, chaque fois que nous voulons redresser les comptes publics, nous faisons un choc fiscal, comme nous sommes en train de le faire. Or l'expérience des pays étrangers montre que la réduction de la dépense publique a des effets récessifs à la fois moins forts et moins longs.

Les priorités sont donc la réduction de la dépense publique et l'arrêt des zigzags fiscaux auxquels nous nous adonnons. Après avoir baissé l'impôt sur les sociétés pendant plusieurs années pour essayer de nous rapprocher de la norme européenne et mondiale, nous sommes en train de remettre cette baisse en question. Or, comme vous le savez, les acteurs économiques, et plus généralement notre pays, ont besoin de stabilité. Je défendrai tout à l'heure les propositions de mon collègue Olivier Cadic qui vont dans le sens d'une plus grande stabilité fiscale.

Le groupe Union Centriste votera contre ce texte en raison des objections légitimes que l'on peut lui opposer. Je m'abstiendrai, pour ma part, comme plusieurs collègues, car j'estime qu'il nous faut mener un travail collectif. (Marques d'approbation au banc des commissions.) Si je me réjouis que nos collègues au banc des commissions approuvent cette idée, les propos tenus précédemment par le rapporteur général de la commission des finances n'allaient pas dans ce sens. J'espère toutefois que les deux commissions représentées au banc répondront à cet appel. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme Annick Billon applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.

M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous discutons, au Sénat, d'une proposition de loi constitutionnelle de droite dont les auteurs, considérant que l'article 49.3 de la Constitution ne suffit pas, proposent de limiter encore la démocratie parlementaire.

Une orientation des plus libérales sous-tend cette proposition de loi constitutionnelle. Il s'agit de dépolitiser le débat budgétaire et de supprimer toute forme de controverse et d'option progressiste sur les finances publiques.

Cette proposition de loi constitutionnelle intervient au moment même où la droite tend à imposer une nouvelle austérité sans majorité à l'Assemblée nationale.

Enfin, cette proposition de loi constitutionnelle laisse à penser que le Parlement serait responsable de la dette publique. Nous savons tous ici que ce n'est pas vrai.

Pour toutes ces raisons, je vous invite à voter contre ce texte, mes chers collègues. D'ailleurs, par un cheminement politique différent – je vous rassure –, le garde des sceaux et les rapporteurs partagent cet avis. En tout état de cause, nous espérons une opposition la plus large possible à cette tentative de rationaliser le Parlement, et partant, de nous contraindre à une démission démocratique.

Ce texte portera un coup fatal au débat démocratique, pourtant déjà bien limité. Je citerai l'article 40 de la Constitution, qui rend irrecevable toute proposition de financement d'un service public ; l'article 47-1, instauré en 1996 pour cadenasser la démocratie sociale et l'héritage du Conseil national de la Résistance (CNR) ; l'article 49.3, qui symbolise à lui seul la crise démocratique, plus particulièrement la crise de confiance envers nos institutions.

La loi-cadre qu'il est proposé d'instaurer irait encore plus loin, puisque son adoption serait le préalable obligatoire au débat sur le projet de loi de finances, ce qui rendrait illégitimes les écarts par rapport à ce carcan, sans que les modalités d'une telle disposition soient du reste précisées.

Il n'y aurait au fond de véritable débat budgétaire que tous les cinq ans, tandis que la loi-cadre, qui serait inscrite dans le marbre et ne pourrait plus être modifiée à la majorité simple, pourrait être adoptée – tant qu'à faire ! – par ordonnance ou par activation de l'article 49.3 de la Constitution.

Enfin, une telle loi priverait les parlementaires de toute initiative fiscale. Le Gouvernement aurait donc le monopole de la fiscalité, moyennant quelques amendements qui seraient conformes à la trajectoire.

C'est en somme une règle, non pas d'or, mais de plomb qu'il nous est proposé d'adopter. Vous auriez même pu aller, ma chère collègue, jusqu'à demander que les parlementaires votent en bloc le budget plutôt que de l'étudier mission par mission !

La pluriannualité existe d'ores et déjà, même s'il faut reconnaître qu'elle n'a jamais été respectée. Les lois de programmation pluriannuelle sont caduques dès leur adoption. La dernière de ces lois a été durcie par la majorité sénatoriale. Un mois plus tard, lors de l'examen du premier projet de loi de finances qui a suivi, cette même majorité sénatoriale semblait avoir oublié ses engagements et, par ses amendements, proposait déjà de déroger à la trajectoire de rigueur tout juste programmée.

Il y a un enjeu de crédibilité. Or il n'est pas crédible, de surcroît en temps de crise, de supprimer 60 milliards d'euros de fiscalité non financés. Ces baisses d'impôt se retrouvent d'ailleurs à l'euro près dans les déficits publics.

Pour sa part, le groupe CRCE-K prône la planification comme mode de gouvernance budgétaire, non pas pour introduire des rigidités et annihiler le débat parlementaire, mais pour proposer une orientation politique claire, conforme aux besoins de la Nation et non centrée sur les besoins des marchés financiers.

À rebours de la proposition que nous examinons aujourd'hui, les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky proposaient il y a un an d'abroger l'article 40 de la Constitution.

Une telle réforme aurait contribué à introduire un renouveau dans la procédure budgétaire et aurait constitué une respiration pour la démocratie parlementaire. Par son rejet, les élus que nous sommes se trouvent malmenés – cela se vérifiera encore dans les prochaines semaines. Le rejet de cette proposition entrave également l'intervention populaire dans les choix budgétaires de la Nation. Le Gouvernement décide de ce qu'il faut dépenser, et le Parlement se borne à en prendre acte.

Nous gardons notre cohérence, mes chers collègues. Le peuple français n'est pas irresponsable ; la représentation nationale ne l'est pas non plus. Notre société a besoin, non pas de nouvelles limites à l'intervention parlementaire, mais bien d'un nouveau souffle démocratique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus.

M. Thomas Dossus. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous débattons aujourd'hui d'une proposition de loi présentée par notre collègue Vanina Paoli-Gagin visant à inscrire dans la Constitution un cadre plus strict pour nos débats budgétaires au travers de lois-cadres financières pluriannuelles.

Cette initiative, inspirée par la tentative de réforme constitutionnelle de 2011, cherche à ancrer dans notre Constitution des plafonds de dépenses pour contraindre notre approche des finances publiques, dans l'espoir d'éviter les dérapages et les sorties de route.

La préoccupation majeure qui a présidé au dépôt de cette proposition de loi peut être partagée sur toutes les travées, en particulier dans le contexte actuel : face à la détérioration phénoménale que connaissent les finances publiques de notre pays, il est essentiel d'en garantir la viabilité.

Mais cet état de fait est-il le fruit d'un cadre législatif trop laxiste ? Au groupe GEST, nous ne le pensons pas. Nous estimons qu'il est le résultat de choix politiques assumés et, ces dernières années, souvent imposés au Parlement via l'activation de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution.

La méthode proposée aujourd'hui n'est pas la garantie d'un redressement vertueux. Elle pourrait en revanche entraîner des effets de bord délétères, sur les plans tant budgétaire que démocratique.

Ce texte porte en lui la réduction de la capacité de l'État et du Parlement à répondre aux défis socio-économiques et environnementaux. Cette nouvelle rigidité introduite dans l'élaboration du budget pourrait se révéler nuisible pour notre démocratie et pour notre politique économique.

Si la pluriannualité budgétaire est un cadre sécurisant qui peut être promu, notamment dans le respect des lois de programmation, elle doit aussi permettre une certaine flexibilité, notamment en cas de crise. En 2020, face à la pandémie de covid-19, la France a déployé des moyens financiers massifs pour protéger l'économie et les citoyens, montrant ainsi la nécessité de pouvoir intervenir rapidement sans entraves excessives.

La règle pluriannuelle stricte prévue par ce texte, en dépit de ce qu'affirme à tort l'exposé des motifs, aveugle aux circonstances, interdit des écarts budgétaires trop importants, puisque ceux-ci devront être obligatoirement rattrapés à un rythme peu soutenable.

De plus – c'est à notre sens le plus grave –, cette proposition de loi ne fait aucune distinction entre les dépenses courantes et les dépenses d'investissement. L'intégration d'une règle verte dans le calcul des déficits publics aurait par exemple permis d'exclure les dépenses d'investissement écologique du champ des restrictions. Une telle règle permettrait de satisfaire à un objectif de soutenabilité des finances publiques sans nous faire renoncer à notre engagement écologique, car notre avenir vital est en jeu.

La rigidification des règles d'équilibre budgétaire pourrait par ailleurs emporter un affaiblissement de la souveraineté démocratique. Nous vivons déjà, depuis 2022, un appauvrissement du débat budgétaire du fait du recours immodéré à l'article 49.3. Le temps dévolu à l'examen du budget est de plus si bien corseté par la Constitution que des débats pourtant cruciaux pour le quotidien des Français et l'avenir de notre pays sont parfois conduits au pas de charge. Resserrer encore le cadre constitutionnel régissant la politique budgétaire en rigidifiant certains impératifs comptables aboutirait à dévitaliser totalement notre débat parlementaire.

Cette nouvelle rigidité budgétaire ancrerait dans la Constitution une règle d'or qui s'imposerait de facto à toutes nos politiques. Une telle révolution copernicienne n'arrive pas en tête des préoccupations de nos concitoyens, contrairement à l'affaissement généralisé des services publics ou aux besoins de base que sont se loger, se nourrir dignement ou vivre en sécurité dans un environnement sain.

Bien que cette proposition parte du constat, partagé dans cet hémicycle, de la dégradation continue de nos comptes publics, je rappelle que des baisses d'impôt et des exonérations de cotisations ont largement été votées sur les travées de la majorité sénatoriale. La dégradation des finances publiques est le fruit de choix politiques dont certains ont été soutenus ici même, au Sénat.

Ne nous dédouanons donc pas de notre propre responsabilité, mes chers collègues : sans garantir le moindre redressement financier, l'instauration de contraintes dans le cadre de nos discussions budgétaires entravera notre capacité collective à répondre aux enjeux de notre temps et pose de sérieux risques démocratiques que nous ne pouvons pas accepter.

Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe GEST votera contre ce texte.

M. le président. La parole est à M. Thierry Cozic. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Thierry Cozic. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, invoquant la nécessité de « changer la méthode par laquelle on élabore le budget » pour « reprendre la maîtrise de nos comptes », cette proposition de loi constitutionnelle, déposée par notre collègue Vanina Paoli-Gagin, vise à modifier ou à compléter les dispositions budgétaires et financières de la Constitution.

Les modifications proposées par cette proposition de loi constitutionnelle sont de trois ordres.

Ce texte crée tout d'abord une nouvelle catégorie de loi, les lois portant cadre financier pluriannuel, qui se substitueraient aux lois de programmation des finances publiques et dont certaines dispositions auraient une force supérieure à celle des lois de finances et de financement de la sécurité sociale.

Cette proposition de loi constitutionnelle confère ensuite aux lois de finances et de financement de la sécurité sociale le monopole des dispositions relatives aux prélèvements obligatoires.

Enfin, elle constitutionnalise l'existence du Haut Conseil des finances publiques aux côtés de la Cour des comptes, institution auprès de laquelle le Haut Conseil est placé.

Ce texte s'inspire d'un projet de loi constitutionnelle, déposé en 2011 dans un contexte de crise de la dette souveraine dans la zone euro, qui n'a finalement jamais été soumis au référendum ni au Congrès. Une décision du Conseil constitutionnel disposant qu'il n'est pas nécessaire de modifier la Constitution pour transposer les exigences européennes a temporairement clos ce débat.

Face à la situation dégradée que nous connaissons, il est légitime de nous interroger de nouveau sur la pertinence d'une modification de notre loi fondamentale pour atteindre nos objectifs.

Comme le président Raynal l'a indiqué devant la commission des finances, l'on entend trop souvent des arguments éculés. Certains, par exemple, avancent que les comptes publics ne sont plus à l'équilibre depuis 1974, alors qu'il faudrait en finir avec cette référence datée. Le monde a changé. Aujourd'hui, presque aucun État ne vote un budget à l'équilibre, et le modèle du « zéro emprunt » n'a aucune crédibilité. Un emprunt est bon dès lors qu'il est lié aux dépenses d'avenir, et la question est d'avoir une dette soutenable et bien orientée.

Aujourd'hui, comme en 2008 ou en 2020, la dégradation massive et soudaine des finances publiques résulte d'une crise – celle des subprimes en 2008, celle de la covid en 2020 –, mais pas uniquement : les choix budgétaires et fiscaux des gouvernements d'hier et d'aujourd'hui, privant l'État de dizaines de milliards d'euros de recettes, ont largement contribué à alourdir la charge de la dette.

Pour le dire clairement, je ne suis pas convaincu que ce texte aurait empêché la dégradation récente de nos finances publiques. La responsabilité première dans cette dégradation est à chercher, me semble-t-il, du côté de ceux qui écrivent le budget, à savoir le Gouvernement. On pourrait évidemment incriminer ceux qui le votent et l'amendent, mais le parlementarisme rationalisé fournit à mes yeux un alibi convaincant.

Je ne veux cependant pas me faire juge et partie. Je relève que cette proposition de loi n'enlève rien au parlementarisme rationalisé – elle l'aggrave plutôt. Avec l'instauration de lois-cadres pluriannuelles, ce sont bien les marges de manœuvre financières du législateur, déjà faibles, qui seraient encore amoindries.

Les lois de finances et de financement de la sécurité sociale devraient en effet nécessairement s'inscrire dans le cadre pluriannuel qui aura été déterminé en début de législature. Certes, ce serait au Parlement de voter ce cadre pluriannuel, mais le texte prévoit que la loi-cadre pourrait être adoptée selon les mêmes procédures aujourd'hui applicables aux projets de loi de finances – 49.3, ordonnances, vote bloqué. Concrètement, le Parlement pourrait se voir imposer un cadre financier pluriannuel qu'il n'aurait jamais approuvé, et ce pour toute la durée de la législature.

La loi-cadre pluriannuelle, dans son principe même, paraît particulièrement inadaptée aux temps de crise, qui exigent réactivité et adaptabilité. Quand un gouvernement peut aujourd'hui faire adopter dans les meilleurs délais une loi de finances rectificative, il serait désormais contraint de réviser le cadre financier pluriannuel, selon des modalités particulièrement lourdes exigeant la convocation du Congrès, avant de pouvoir procéder aux ajustements budgétaires et fiscaux nécessaires par le dépôt d'un projet de loi de finances rectificative.

Vous l'aurez compris, mes chers collègues, les sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ne sont guère convaincus par cette proposition de loi constitutionnelle – ils ne l'étaient pas non plus par le projet de réforme déposé en 2011 par le gouvernement de François Fillon.

Les conclusions des travaux de la mission d'information sur la dégradation des finances publiques depuis 2023, son suivi par l'administration et le Gouvernement et les modalités d'information du Parlement sur la situation économique, budgétaire et financière de la France nous paraissent bien plus utiles pour éclairer l'incurie budgétaire qui règne parfois dans notre pays.

M. le président. La discussion générale est close.

La commission n'ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi constitutionnelle.

proposition de loi constitutionnelle visant à accélérer le redressement des finances publiques

Article 1er

L'article 34 de la Constitution est ainsi modifié :

1° Au cinquième alinéa, les mots : « l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ; » sont supprimés ;

2° Au dix-septième alinéa, après le mot : « et », sont insérés les mots : « , sous réserve du vingtième alinéa, » ;

3° Les dix-neuvième et vingtième alinéas sont remplacés par les sept alinéas suivants :

« En vue d'assurer l'équilibre des comptes des administrations publiques, les lois portant cadre financier pluriannuel déterminent, pour la durée d'une législature :

« – des plafonds de charges des administrations publiques et de sécurité sociale sur la période couverte, ainsi que des plafonds annuels de dépenses ;

« – la trajectoire des prélèvements obligatoires pour la période couverte ;

« – un objectif de solde public à la fin de la période couverte, ainsi que des objectifs de solde public annuels ;

« – la stratégie d'investissements publics.

« Une loi organique précise le contenu des lois portant cadre financier pluriannuel et celles de leurs dispositions qui s'imposent aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale. Elle définit les conditions dans lesquelles sont compensés les écarts constatés lors de l'exécution des lois de finances et de l'application des lois de financement de la sécurité sociale.

« Une loi portant cadre financier pluriannuel ne peut être modifiée avant l'expiration de la période qu'elle couvre que si un projet de révision est adopté à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés par le Parlement réuni en Congrès. Toutefois, cette loi devient caduque lorsqu'une nouvelle législature est ouverte avant la fin de la période couverte par une loi portant cadre financier pluriannuel. »

4° L'avant-dernier alinéa est supprimé.

M. le président. L'amendement n° 4 rectifié, présenté par MM. Cadic, Cambier, Courtial et Delahaye, Mme Devésa, M. Fargeot et Mmes Jacquemet et Sollogoub, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Rédiger ainsi cet alinéa :

1° Au cinquième alinéa, après les mots : « impositions de toutes natures », sont insérés les mots : « qui, pour celles qui relèvent de la fiscalité directe, ne sauraient avoir de portée confiscatoire en dépassant la moitié des revenus du contribuable perçus l'année précédant celle du paiement des impositions » ;

La parole est à M. Vincent Delahaye.

M. Vincent Delahaye. Le présent amendement vise à constitutionnaliser un bouclier fiscal plafonnant à 50 % le taux individuel global d'imposition directe.

Le bouclier fiscal créé en 2006 fut l'occasion pour le Conseil constitutionnel de se référer expressément à la notion, jusqu'alors inédite, de confiscation, et partant, d'amorcer explicitement l'exigence du caractère non confiscatoire de l'impôt.

L'on observe toutefois que cette disposition n'est pas forcément bien appliquée. Notre collègue Olivier Cadic, que je rejoins, propose donc que la Constitution garantisse à chaque Français qu'il pourra jouir d'au moins 50 % des revenus de l'année, sans que la fiscalité puisse dépasser ce seuil.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. J'estime que le débat sur le niveau de prélèvements obligatoires et le caractère confiscatoire de l'impôt dans notre pays est parfaitement légitime.

Je doute toutefois que le présent texte soit le bon véhicule législatif pour une telle disposition. Par ailleurs, pourquoi inscrire dans le marbre de la Constitution une contrainte, alors que le juge constitutionnel censure d'ores et déjà toute atteinte à celle-ci ?

L'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen garantit en effet l'égalité des contributions des citoyens aux charges publiques. Dans une décision du 6 octobre 2017, le Conseil constitutionnel a estimé que cette exigence « ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives ».

La jurisprudence du Conseil constitutionnel étant très claire, l'avis est défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Didier Migaud, garde des sceaux. J'estime qu'il faut conserver de la souplesse, d'autant que l'inscription d'une telle disposition dans la Constitution limiterait les pouvoirs du Parlement.

L'avis est donc défavorable.

M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour explication de vote.

M. Thomas Dossus. Il s'agit plutôt d'une interrogation.

Nous avons déjà été témoins de l'application du « couperet » de l'article 40 de la Constitution pour des motifs quelque peu alambiqués. Or un tel amendement ne serait pas recevable s'il était, par exemple, adopté dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances que nous allons étudier prochainement puisque la limitation de l'imposition d'un individu à 50 % de son revenu aurait un impact direct sur nos finances publiques – lequel n'est en outre pas du tout évalué. Il devrait donc, selon moi, relever de l'article 40 et ne même pas être étudié ici. Mais je me trompe peut-être…

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. S'agissant d'une proposition de loi constitutionnelle, les articles 40 ou 45 de la Constitution ne sont pas applicables.

M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, pour explication de vote.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Je rappelle que nous sommes le pays le plus imposé au monde. Résultat : ce que nous offrons à nos concitoyens, ce sont le surendettement et l'incurie budgétaire. Par conséquent, je voterai pour cet amendement tendant à introduire un bouclier fiscal.

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.

M. Pascal Savoldelli. Cet amendement justifie tout à fait les propos que j'ai tenus il y a quelques instants. Cette proposition de loi constitutionnelle et cet amendement traduisent clairement – c'est d'ailleurs un choix tout à fait respectable – un projet politique.

Qu'est-ce que signifie en effet une telle disposition ? Que l'on mettrait en place un plafond constitutionnel individualisé de prélèvements fiscaux. Mais il faut y regarder de plus près, il y a un loup derrière ! Cela correspond à votre projet de société, mon cher collègue, mais ce n'est pas le nôtre.

Pour ma part, je considère que l'impôt est la garantie de l'égalité de tous face au droit et dans l'accès aux services publics. Or, si l'on suit votre raisonnement, que va-t-il se passer ? Les ménages, et non pas seulement l'État, devront s'endetter pour pouvoir se payer des services privés. Voilà le projet qu'il y a derrière cette mesure ! Ce n'est pas seulement un encadrement du débat parlementaire, fiscal ou encore financier, c'est un projet de société !

Ce projet rejoint d'ailleurs le projet de loi de finances que nous allons examiner prochainement : il s'agit de transférer une partie de l'action publique vers l'action privée, vers le secteur marchand. Dès lors, pour obtenir certains services, il faudra prévoir une capitalisation individualisée, sans quoi on ne pourra pas y accéder.

Bref, c'est tout à fait respectable, mais cette proposition de loi constitutionnelle est éminemment politique.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 4 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Indépendants – République et Territoires.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 34 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 339
Pour l'adoption 18
Contre 321

Le Sénat n'a pas adopté.

Après l'article 1er

M. le président. L'amendement n° 3 rectifié, présenté par MM. Cadic, Cambier, Courtial et Delahaye, Mme Devésa, M. Fargeot et Mmes Jacquemet et Sollogoub, est ainsi libellé :

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le cinquième alinéa de l'article 34 de la Constitution sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :

« Un même impôt ne peut être modifié plus d'une fois au cours d'une même législature, sauf dans le cas où cette modification aurait pour objet de réduire le taux ou l'assiette de cet impôt.

« Les dispositions relatives à l'assiette et au taux des impositions de toute nature ne peuvent avoir un caractère rétroactif ni remettre en cause une situation considérée comme acquise par le contribuable sauf dans le cas où elles visent à réduire l'assiette ou à diminuer le taux de ces impositions. »

La parole est à M. Vincent Delahaye.

M. Vincent Delahaye. Le précédent amendement concernait la pression fiscale et le niveau maximal d'impôt qu'un individu serait amené à payer au regard de ses revenus ; celui-ci porte sur la stabilité fiscale, car – je le disais à la tribune précédemment – notre instabilité fiscale permanente fait également partie des défauts de notre pays. Je crois que nous pouvons, les uns et les autres, le reconnaître.

L'idée de notre collègue Olivier Cadic consiste donc, au travers de cet amendement, à empêcher le législateur de modifier plus d'une fois par législature un même impôt, sauf s'il s'agit d'en diminuer le taux ou l'assiette, et à proscrire la rétroactivité de la loi fiscale – ce qui arrive –, sauf, là encore, si les modifications apportées ont pour objet de réduire le taux ou l'assiette de l'impôt. Cela me paraît clair.

Une telle disposition représenterait un progrès pour la stabilité fiscale, qui est nécessaire pour que les acteurs économiques soient plus entreprenants.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. On peut adhérer à l'objectif des auteurs de l'amendement, mais la première mesure proposée constituerait une atteinte au droit du Parlement de chercher des recettes supplémentaires. Pour ce qui concerne la seconde, je rappelle que, en vertu d'une jurisprudence constante, et assez claire, du Conseil constitutionnel, on ne peut porter atteinte aux situations légalement acquises, ce qui répond, a fortiori, à la question relative à l'assiette et au taux, et à la notion de rétroactivité.

Avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Didier Migaud, garde des sceaux. Même avis, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 3 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article 2

Le début de la deuxième phrase du deuxième alinéa de l'article 39 de la Constitution est ainsi rédigé : « Les projets de loi portant cadre financier pluriannuel, les projets de loi de finances et les projets de loi de financement (le reste sans changement). »

M. le président. Je mets aux voix l'article 2.

(L'article 2 n'est pas adopté.)

Article 3

L'article 42 de la Constitution est ainsi modifié :

1° Au deuxième alinéa, après le mot : « constitutionnelle, », sont insérés les mots : « des projets de loi portant cadre financier pluriannuel » ;

2° À la seconde phrase du dernier alinéa, après les mots : « non plus », sont insérés les mots : « aux projets de loi portant cadre financier pluriannuel, ».

M. le président. Je mets aux voix l'article 3.

(L'article 3 n'est pas adopté.)

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle visant à accélérer le redressement des finances publiques
Article 4

Article 4

Après l'article 46 de la Constitution, il est inséré un article 46-1 ainsi rédigé :

« Art. 46-1. – Le Parlement vote les projets de loi portant cadre financier pluriannuel dans les conditions prévues par une loi organique. Si le Gouvernement le décide, il est fait application de la procédure prévue au troisième alinéa de l'article 47. »

M. le président. Je mets aux voix l'article 4.

(L'article 4 n'est pas adopté.)

Article 5

L'article 47 de la Constitution est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « Une loi de finances ne peut être adoptée définitivement en l'absence de loi portant cadre financier pluriannuel applicable à l'exercice concerné. » ;

2° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Le projet de loi de finances fixant les ressources et les charges d'un exercice est déposé au plus tard le 15 septembre de l'année qui précède cet exercice. » ;

3° À la première phrase du deuxième alinéa, après le mot : « projet », sont insérés les mots : « de loi de finances » ;

4° Le quatrième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « Il est procédé de même en l'absence de loi portant cadre financier pluriannuel applicable à l'exercice concerné. »

M. le président. L'amendement n° 1 rectifié, présenté par MM. Delahaye, Longeot, Perrion et Cadic, Mmes Jacquemet et Tetuanui, MM. Courtial et Cambier, Mme Devésa et M. Fargeot, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

I. – Le premier alinéa de l'article 47 de la Constitution est complété par une phrase ainsi rédigée : « Il est interdit de présenter et d'adopter une loi de finances dont la section de fonctionnement est en déficit. »

II. – Le I entre en vigueur à compter de la loi de finances initiale pour 2030.

La parole est à M. Vincent Delahaye.

M. Vincent Delahaye. C'est moi qui suis à l'origine de cet amendement.

Il me paraît important de faire des propositions pour atteindre l'objectif de redressement des comptes publics, en nous fixant quelques contraintes, puisque la volonté politique seule ne suffit pas, attendu qu'elle est rarement suivie d'effets…

L'idée, ici, est non pas de prévoir une contrainte pluriannuelle, comme le fait cette proposition de loi constitutionnelle, mais de fixer un objectif garanti dans la Constitution de retour à l'équilibre, en imposant à l'État d'avoir, à compter de 2030, comme les collectivités locales le font depuis toujours, un budget dont la section de fonctionnement est équilibrée. Je parle bien ici, monsieur Dossus, de fonctionnement et non d'investissement.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. On comprend bien l'objectif : il s'agit de se comparer aux collectivités territoriales, auxquelles s'applique la double règle d'or – équilibre de la section de fonctionnement et de la section d'investissement –, et d'empêcher l'État d'emprunter pour sa section de fonctionnement.

D'abord, sur le fond, considérons ce qu'il s'est passé lors de la crise sanitaire : il a fallu adopter en urgence des mesures, qui ont certes été coûteuses pour le budget de l'État – je pense notamment au soutien au tissu économique –, mais qui étaient, force est de le constater, indispensables pour le maintien de l'activité économique. En cas de retournements conjoncturels, on serait totalement bloqué par cette disposition.

Ensuite, sur la forme, dans les lois de finances, il n'y a pas de section de fonctionnement et de section d'investissement. On se prononce sur des programmes, des missions, dans lesquels tout est mélangé. Par conséquent, c'est la philosophie même de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (Lolf) qui serait remise en cause par l'adoption de cet amendement.

La commission émet donc un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Didier Migaud, garde des sceaux. Je comprends bien l'objectif de l'auteur de l'amendement, mais, pour ce qui concerne le budget de l'État, une telle mesure n'est pas praticable, puisque, vous le savez, les sections d'investissement et de fonctionnement ne constituent pas l'unité de vote soumise au Parlement.

En outre, cela exigerait de définir ce que sont, pour l'État, le fonctionnement et l'investissement, et alors, que de débats !

M. Vincent Delahaye. Je le sais bien !

M. Didier Migaud, garde des sceaux. Par exemple, les dépenses pour l'université ou l'éducation constituent-elles des dépenses de fonctionnement ou d'investissement ?

Bref, je ne suis pas sûr que cela règle votre souci de mieux maîtriser les finances publiques.

Avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour explication de vote.

M. Vincent Delahaye. Je cherche à faire des propositions.

Monsieur le rapporteur, monsieur le garde des sceaux, vous me dites chaque fois que nous sommes d'accord sur les objectifs, mais que mes propositions ne permettent pas de les atteindre.

Prenons l'exemple du « n'importe quoi qu'il en coûte », pour reprendre l'expression de M. Baverez ; il est vrai, c'était tout de même un peu ça… Étaient-ce des dépenses de fonctionnement ? Non ! C'étaient des dépenses exceptionnelles ! Il s'agissait, face à une crise ponctuelle, d'autoriser des dépenses exceptionnelles. Cela ne relève pas de dépenses courantes de fonctionnement.

M. le garde des sceaux nous invite à avoir un débat ; dont acte ! Nous avons plein de débats ici, donc nous pouvons très bien avoir celui, très intéressant, qui consiste à distinguer, d'une façon ou d'une autre, les dépenses d'investissement des dépenses de fonctionnement de l'État. Les entreprises arrivent très bien à le faire, je ne vois pas pourquoi ce serait si compliqué que cela pour l'État. Ce n'est pas compliqué, il y a des règles, des principes, à appliquer ; on peut peut-être les adapter à la sphère publique, mais ce n'est pas hors de portée, c'est une question de volonté.

On parle beaucoup de volonté politique ; eh bien, si on l'a, on y arrivera. Il y a suffisamment de cerveaux à la commission des finances, même si M. Karoutchi l'a quittée, ce qui l'a un peu et même beaucoup appauvrie (Sourires. – M. Roger Karoutchi lève les bras au ciel.), il y a suffisamment de cerveaux, disais-je, pour travailler à cette distinction entre dépenses de fonctionnement, dépenses d'investissement et dépenses exceptionnelles. Et, s'il faut budgéter des dépenses exceptionnelles, on trouvera toujours un moyen de sortir du cadre.

Voilà pourquoi je reste partisan d'un cadre. Celui que je propose n'est peut-être pas le meilleur, je ne sais pas, mais travaillons-y et faisons en sorte que le Sénat montre l'exemple pour redresser les finances publiques de ce pays.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 5.

(L'article 5 n'est pas adopté.)

Article 6

L'article 47-1 de la Constitution est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « Une loi de financement de la sécurité sociale ne peut être adoptée définitivement en l'absence de loi portant cadre financier pluriannuel applicable à l'exercice concerné. » ;

2° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Le projet de loi de financement de la sécurité sociale qui détermine les conditions générales de son équilibre financier pour un exercice est déposé au plus tard le 1er octobre de l'année qui précède cet exercice. » ;

3° À la première phrase du deuxième alinéa, après le mot : « projet », sont insérés les mots : « de loi de financement de la sécurité sociale ».

M. le président. L'amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Delahaye, Longeot, Perrion et Cadic, Mmes Jacquemet et Tetuanui, MM. Courtial et Cambier, Mme Devésa et M. Fargeot, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

I. – Le premier alinéa de l'article 47-1 de la Constitution est complété par une phrase ainsi rédigée : « Il est interdit de présenter et d'adopter une loi de financement de la sécurité sociale dont l'ensemble des charges dépasse l'ensemble des recettes. »

II. – Le I entre en vigueur à compter de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2030.

La parole est à M. Vincent Delahaye.

M. Vincent Delahaye. Veuillez m'excuser, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, d'animer ainsi la séance (Sourires.), mais je vous propose ici un amendement analogue au précédent, portant cette fois-ci sur les comptes de la sécurité sociale.

La sécurité sociale investit-elle beaucoup, monsieur le garde des sceaux ? Je n'en sais rien, mais je ne suis pas sûr que, dans les plus de 600 milliards d'euros qu'elle dépense, il y ait beaucoup de dépenses d'investissement ; en tout cas, s'il y en a, c'est sans doute très faible.

Or, selon moi, chaque génération devrait assumer ses propres dépenses ; je ne vois pas pourquoi les dépenses de sécurité sociale d'aujourd'hui reposeraient en partie sur les générations futures : ce n'est ni sain ni moral.

C'est pourquoi le présent amendement a pour objet d'inscrire dans la Constitution une règle d'or interdisant, à compter de 2030, tout déséquilibre global entre recettes et dépenses dans les lois de financement de la sécurité sociale.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. J'aurai le même raisonnement que pour l'amendement précédent.

Encore une fois, on peut partager la philosophie de cet amendement, mais faut-il graver ce principe dans le marbre constitutionnel et faire du juge constitutionnel un juge financier ?

En outre, attention aux retournements de conjoncture, parce que des baisses de recettes dans le budget de la sécurité sociale impliquent des arbitrages au sein des dépenses sociales. Faut-il baisser les retraites ? Diminuer en partie le chômage partiel ? Tout cela exige un véritable débat sur la maîtrise de nos dépenses publiques et, encore une fois, il s'agit essentiellement à mes yeux d'une question de volonté politique.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Didier Migaud, garde des sceaux. À titre personnel, je suis beaucoup plus sensible à cet amendement : je pense qu'une règle d'or pourrait être instaurée pour les comptes de la sécurité sociale, puisque ce sont effectivement des dépenses courantes, de fonctionnement, et qu'il est anormal qu'il existe un déséquilibre dans ce cadre.

En revanche, il ne serait pas possible de le faire sur une année ; il faudrait établir une telle règle sur trois ans, par exemple, parce que les comptes s'ajustent en fonction de la conjoncture.

Par conséquent, même s'il peut être considéré comme tout à fait raisonnable de prévoir, pour les dépenses courantes de la sécurité sociale, des règles plus fortes que pour le budget de l'État, l'avis du Gouvernement ne peut être que défavorable à cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.

M. Pascal Savoldelli. Notre collègue Delahaye a raison d'animer le débat !

Mon cher collègue, en défendant votre amendement n° 1 rectifié, vous nous disiez, si j'ai bien compris, qu'il faudrait aligner le management de l'action publique sur celui des entreprises.

M. Vincent Delahaye. Non, pas vraiment.

M. Pascal Savoldelli. On n'en est pas loin !

Maintenant, vous nous présentez un amendement similaire sur la protection sociale, mais vous oubliez de nous dire deux choses : d'une part – c'est factuel –, qu'il y a des exonérations de cotisations sociales patronales de plus en plus importantes et, d'autre part, que ce fameux management, censé être performant, enthousiaste, efficace, doit tout de même 20 milliards d'euros à la sécurité sociale en raison de cotisations non payées !

Voilà une petite clarification sur nos deux points de vue, qui, en l'occurrence, divergent.

M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour explication de vote.

M. Vincent Delahaye. Monsieur le garde des sceaux, j'ai bien aimé votre réponse, qui ouvre des perspectives. Je ne vais pas rectifier mon amendement pour prévoir un encadrement sur trois années, quoique je sois bien tenté de le faire, mais, en tout état de cause, vos propos ouvrent une voie à l'instauration de contraintes supplémentaires.

Pour répondre à mon collègue Savoldelli, que j'apprécie particulièrement même s'il nous arrive d'avoir des divergences (Sourires.), il ne s'agit pas de manager de la même façon dans le privé et dans le public. Simplement, il y a un certain nombre de règles générales qui s'appliquent tant au privé qu'au public et j'ai le sentiment que, dans le secteur public, on a tendance à les oublier plus facilement.

Le fait d'adopter des lois de programmation – pour ma part, je ne les vote pas – prévoyant des dépenses qui ne sont pas financées pose un véritable problème. Selon moi, nous devrions réfléchir à l'instauration de l'obligation de présenter des études d'impact dignes de ce nom – honnêtement, la plupart du temps elles sont indigentes –, d'évaluer le coût de chaque mesure proposée et de prévoir son financement. Ce serait déjà un progrès, même si ce n'est pas inscrit dans la Constitution, sur le chemin de la responsabilité financière et cela permettrait sans doute de s'engager dans la voie du redressement de nos finances publiques.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 2 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 6.

(L'article 6 n'est pas adopté.)

Article 7

L'article 47-2 de la Constitution est ainsi modifié :

1° À la deuxième phrase du premier alinéa, après le mot : « contrôle », sont insérés les mots : « de la mise en œuvre des lois portant cadre financier pluriannuel, » ;

2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Le Haut Conseil des finances publiques est chargé d'effectuer des prévisions économiques indépendantes relatives aux finances publiques. Il est également chargé d'apprécier les prévisions économiques et les choix budgétaires effectués par le Gouvernement. Ses travaux éclairent le Parlement en amont de la discussion des textes financiers. Une loi organique fixe les prérogatives et la composition du Haut Conseil des finances publiques. »

M. le président. Je mets aux voix l'article 7.

(L'article 7 n'est pas adopté.)

Article 8

Au troisième alinéa de l'article 48 de la Constitution, après les mots : « l'examen », sont insérés les mots : « des projets de loi portant cadre financier pluriannuel, ».

M. le président. Je mets aux voix l'article 8.

(L'article 8 n'est pas adopté.)

Article 9

À la première phrase du troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution, après le mot : « loi », sont insérés les mots : « portant cadre financier pluriannuel, ».

M. le président. Je mets aux voix l'article 9.

(L'article 9 n'est pas adopté.)

Article 10

L'article 61 de la Constitution est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, après le mot : « organiques », sont insérés les mots : « et les lois portant cadre financier pluriannuel » ;

2° Après le deuxième alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :

« Les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale, avant leur promulgation, doivent être soumises au Conseil constitutionnel qui se prononce sur leur conformité à la loi portant cadre financier pluriannuel en vigueur.

« Le Conseil constitutionnel examine conjointement, avant le 31 décembre de l'année au cours de laquelle elles ont été adoptées, la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale fixant les ressources et les charges d'un exercice. » ;

3° Au début de la première phrase du troisième alinéa, les mots : « Dans les cas prévus aux deux alinéas précédents, » sont remplacés par les mots : « Sauf dans le cas prévu à l'alinéa précédent, » ;

4° Au début du dernier alinéa, les mots : « Dans ces mêmes cas, » sont supprimés.

M. le président. Je mets aux voix l'article 10.

(L'article 10 n'est pas adopté.)

Article 11

À la fin de la deuxième phrase de l'article 70 de la Constitution, les mots : « de programmation définissant les orientations pluriannuelles des finances publiques » sont remplacés par les mots : « portant cadre financier pluriannuel ».

M. le président. Je mets aux voix l'article 11.

(L'article 11 n'est pas adopté.)

Article 12

Les articles 34, 39, 42, 46-1, 47, 47-1, 47-2, 48, 49, 61 et 70 de la Constitution, dans leur rédaction résultant de la présente loi constitutionnelle, entrent en vigueur dans les conditions fixées par les lois organiques nécessaires à leur application.

M. le président. Je vais mettre aux voix l'article 12.

Mes chers collègues, je vous rappelle que, si l'article 12 n'était pas adopté, il n'y aurait plus lieu de voter sur l'ensemble de la proposition de loi constitutionnelle, dans la mesure où les douze articles qui la composent auraient été rejetés. Aucune explication de vote sur l'ensemble du texte ne pourrait donc être admise.

Je vous invite donc à prendre la parole maintenant, si vous souhaitez vous exprimer sur ce texte.

Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix l'article 12.

En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 35 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 339
Pour l'adoption 34
Contre 305

Le Sénat n'a pas adopté.

Les douze articles de la proposition de loi constitutionnelle ayant été successivement rejetés par le Sénat, je constate qu'un vote sur l'ensemble n'est pas nécessaire, puisqu'il n'y a plus de texte.

En conséquence, la proposition de loi constitutionnelle n'est pas adoptée.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures trente-cinq, est reprise à quinze heures trente-six.)

M. le président. La séance est reprise.

4

Protection du commerce maritime en mer Rouge

Adoption d'une proposition de résolution

M. le président. L'ordre du jour appelle l'examen, à la demande du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, de la résolution visant à condamner les actions des rebelles houthis en mer Rouge et à appeler à une action internationale pour protéger le commerce maritime et l'environnement dans cette zone, présentée, en application de l'article 34-1 de la Constitution, par Mme Nicole Duranton, MM. François Patriat, Jean-Baptiste Lemoyne et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 1 rectifiée).

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Nicole Duranton, auteur de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Nicole Duranton, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État – cher Thani –, mes chers collègues, au travers de la présente proposition de résolution, nous entendons condamner fermement les actions des Houthis en mer Rouge.

Pour rappel, les Houthis sont un mouvement politique et militaire fondé dans les années 1990. À l'origine, suivant la mouvance chiite, ils avaient principalement des revendications religieuses. Ils s'opposaient également à l'influence étrangère au Yémen, visant en particulier l'Arabie saoudite et les États-Unis. C'est en 2014 qu'ils sont devenus un acteur majeur au Yémen et dans la région, après avoir pris le contrôle de la capitale, Sanaa, et contraint le gouvernement yéménite à fuir au sud du pays.

Les Houthis, soutenus par l'Iran, contrôlent aujourd'hui une grande partie du Yémen, notamment le littoral donnant sur la mer Rouge. La situation qui s'y présente actuellement dépasse le simple cadre régional ; elle a des implications multiples et profondes, à la fois économiques, écologiques et sécuritaires.

La mer Rouge est une voie de passage essentielle par laquelle transite plus de 10 % du transport maritime international. Chaque année, elle voit circuler 25 % du trafic mondial de porte-conteneurs. C'est une voie particulièrement stratégique, sachant que plus de 90 % du commerce international en volume passe par la mer.

Elle est traversée par des navires qui transportent des marchandises diverses et du pétrole, acheminés vers plusieurs continents, comme l'Europe et l'Asie, dont environ 40 % des échanges transitent par cette voie.

Depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas, en octobre 2023, les Houthis ont mené plusieurs attaques contre Israël et contre des navires qui lui seraient liés au large du Yémen, affirmant agir en solidarité avec les Palestiniens. Mais pas uniquement ; il s'avère que le terrorisme maritime des Houthis a également un objectif économique. Selon une enquête menée au nom du comité des sanctions du Conseil de sécurité de l'ONU sur le Yémen, les Houthis perçoivent des « taxes » d'environ 180 millions de dollars par mois auprès de certaines agences maritimes, en échange du renoncement à attaquer leurs navires commerciaux lors du passage de ceux-ci en mer Rouge et dans le golfe d'Aden.

Les Houthis utilisent des drones et des missiles pour cibler indistinctement des navires civils et militaires, y compris des navires français. Ces exactions ont souvent causé de lourds dégâts matériels et mettent perpétuellement en danger les femmes et les hommes qui sont présents sur les navires pris pour cible. Elles ont également contraint de nombreuses grandes compagnies maritimes, telles que l'armateur français Compagnie maritime d'affrètement Compagnie générale maritime (CMA CGM), à suspendre leur circulation en mer Rouge, afin de protéger les équipages et les marchandises des navires. Un navire coulé ou capturé par les Houthis entraîne une perte économique liée à la marchandise volée, en moyenne 1 milliard d'euros par bateau, pour les entreprises concernées.

En conséquence, de grandes entreprises telles que la CMA CGM, MSC, Maersk ou encore British Petroleum (BP) ont dû modifier leurs routes commerciales, afin de passer par le cap de Bonne-Espérance, au sud de l'Afrique. Un cadre de la CMA CGM, que j'ai entendu en audition dans le cadre de mes travaux préparatoires, m'a fait l'état des lieux des répercussions de la situation en mer Rouge sur l'armateur français. Les déviations représentent des coûts opérationnels supplémentaires de plusieurs millions de dollars. Les délais de livraison sont allongés de douze à quinze jours en moyenne. Il a fallu financer davantage de bateaux pour continuer d'assurer l'import et l'export de marchandises dans le monde entier, sans oublier le coût de la main-d'œuvre et du carburant nécessaires pour faire fonctionner ces bateaux.

Au-delà de leurs impacts économiques dévastateurs sur le commerce maritime, les agressions des Houthis représentent une menace écologique alarmante. L'exemple le plus flagrant est celui du naufrage du navire Rubymar en mars 2024, qui transportait 22 000 tonnes d'engrais chimiques et des centaines de tonnes de carburant. Ces substances se sont déversées dans la mer Rouge, créant une nappe toxique de plusieurs kilomètres de long, avant que le navire ne soit définitivement coulé.

Je souhaite rappeler, pour mémoire, la catastrophe provoquée par l'Exxon Valdez en 1989, lorsque ce pétrolier déversa plus de 40 000 tonnes de pétrole brut dans les eaux de l'Alaska. Cet événement entraîna l'une des pires marées noires de l'Histoire, ravageant plus de 2 000 kilomètres de côtes, tuant des centaines de milliers d'oiseaux marins, de poissons et d'autres types d'animaux et occasionnant des impacts écologiques durables sur l'environnement.

Si les attaques des Houthis continuent, nous risquons de voir se répéter de telles catastrophes à une échelle similaire, mettant en péril les écosystèmes marins sensibles de la mer Rouge.

En outre, le détournement du trafic maritime de la mer Rouge jusqu'au cap de Bonne-Espérance contribue à polluer davantage cette zone. Plus de navires signifie plus de gaz à effet de serre déversés dans l'atmosphère et plus de pollution marine.

Je tiens à rappeler que la France est la première concernée par cette situation. En effet, les côtes de l'île de La Réunion sont longées par les navires. Son port et celui de Mayotte sont pleinement mobilisés pour les accueillir, dans des conditions parfois difficiles. Par ailleurs, l'augmentation du volume du trafic maritime accroît les risques de collisions et, par conséquent, le risque connexe de déversements de pétrole dans des zones marines sensibles, y compris sur le littoral français.

Des efforts importants pour assurer la sécurisation du détroit de Bab el-Mandeb impliquent de grandes puissances mondiales, dont la France. Dès le mois de décembre 2023, les États-Unis ont lancé l'opération Gardien de la prospérité, fondée sur une grande coalition de sécurisation maritime, dont la France est partie prenante. Après avoir envoyé la frégate Languedoc, la France a également rejoint l'opération Aspides. Cette opération, créée en février 2024 par l'Union européenne, vise aussi à répondre aux agressions houthies à l'encontre des navires commerciaux qui transitent par la mer Rouge. Les frégates européennes sont mobilisées quotidiennement pour protéger les rares navires transitant encore par cette zone, qui n'est toujours pas assez sécurisée pour permettre une reprise du trafic maritime mondial.

Au-delà de ce trafic, c'est notre sécurité à tous qui est en jeu, car la situation actuelle en mer Rouge a des implications et des conséquences qui la dépassent.

Depuis 2015, les Houthis dirigent de facto le nord du Yémen, alors que le gouvernement yéménite, internationalement reconnu, s'est réfugié au sud du pays.

Comme je l'ai mentionné précédemment, les rebelles ont commencé à attaquer des navires commerciaux après les événements du 7 octobre 2023, prétendant agir par solidarité avec le peuple palestinien. Soutenus par l'Iran, ils affirment être les seuls acteurs au Yémen à opérer au profit de la cause palestinienne.

Cherchant à discréditer le gouvernement yéménite et à s'en prendre aux soutiens réels ou supposés d'Israël, les Houthis sont en réalité un atout pour « l'axe de la résistance ». Ils font le jeu de la stratégie régionale iranienne contre l'État hébreu.

Téhéran joue un rôle déterminant dans le renforcement des capacités militaires des Houthis. Ces derniers ont acquis un arsenal sophistiqué, comprenant des missiles balistiques et des drones capables de cibler des infrastructures stratégiques.

Il est évident que la situation en mer Rouge est intrinsèquement liée au conflit israélo-palestinien. L'implication de l'Iran dans ce conflit fait de cette zone un terrain d'affrontement indirect entre la République islamique et Israël.

Au début d'octobre, nous avons appris que l'Iran servait d'intermédiaire dans des négociations ouvertes en vue de livrer des missiles antinavires supersoniques russes aux rebelles houthis.

Le conflit en mer Rouge va donc bien au-delà de son ancrage territorial immédiat, au vu notamment de cette implication de la Russie, qui essaie de renforcer ses alliés face aux Occidentaux soutenant l'Ukraine. Chaque attaque houthie est ainsi à réinscrire dans un contexte plus large, dont les répercussions affectent des millions de personnes dans toute la région et au-delà.

Je fais écho aux propos qu'a tenus le Président de la République lors de sa dernière intervention à l'Assemblée générale des Nations unies. Bien qu'il n'ait pas directement évoqué la situation en mer Rouge, sa volonté de trouver une solution diplomatique au conflit israélo-palestinien résonne profondément avec ce que nous y observons.

Emmanuel Macron a rappelé que la recherche de la paix et d'une solution diplomatique est le seul chemin viable pour mettre fin au conflit. Il est de notre responsabilité de suivre cette boussole pour désamorcer la crise en mer Rouge et éviter l'escalade.

Mes chers collègues, les actions des Houthis sont intolérables : elles mettent en péril des vies humaines ; elles déstabilisent notre industrie maritime ; elles menacent des écosystèmes vitaux ; elles mettent en danger la stabilité internationale.

La présente proposition de résolution s'inscrit pleinement dans une logique que nous partageons tous, celle qui consiste à trouver une issue diplomatique à cette crise protéiforme, qui n'a que trop duré.

Compte tenu du retour de Donald Trump à la tête des États-Unis et de l'incertitude qui pèse sur sa vision géopolitique de cette région, la France doit rappeler et renforcer son rôle moteur dans l'action internationale menée en mer Rouge.

C'est pour réaffirmer la position de notre pays et sa détermination à poursuivre ses efforts diplomatiques que j'espère, mes chers collègues, que le Sénat adoptera à l'unanimité cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Grand. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Roger Karoutchi applaudit également.)

M. Jean-Pierre Grand. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, par son soutien, Téhéran a vassalisé le mouvement insurrectionnel des Houthis. Engagés dans une guerre civile au Yémen, ces rebelles servent également les intérêts de l'Iran et de ses alliés. C'est ainsi qu'ils ont participé à des attaques visant Israël.

Les Houthis entreprennent également de porter atteinte à la liberté de navigation en mer Rouge, afin notamment de perturber le commerce international. Comme les gardiens de la révolution avant eux, ils se livrent à des actes de piraterie à des fins de rançon, quand ils ne détruisent pas tout simplement leur cible.

Ni la France ni la communauté internationale ne peuvent les laisser faire !

Hélas ! ces attaques entraînent parfois la mort de membres d'équipage des navires marchands. Nous pensons à ceux qui sont tombés, ainsi qu'à leur famille. Nous ne devons pas oublier ces crimes ; les victimes méritent qu'on leur rende justice.

Non seulement les attaques houthies menacent des vies humaines, mais elles exposent aussi la région à des catastrophes écologiques, les pétroliers figurant parmi les cibles privilégiées des rebelles.

Jusqu'à l'an dernier, 12 % du commerce international passait en effet par la mer Rouge, entre le canal de Suez et le détroit de Bab el-Mandeb. Or, depuis le début des attaques, le trafic y a chuté de 20 %. Les actions des Houthis ont un coût élevé, qui ne peut manquer de se répercuter sur notre économie dans son ensemble.

Les primes d'assurance payées par les propriétaires de navires continuant à passer par la mer Rouge ont explosé. Ceux des navires qui préfèrent éviter la zone et passent par le cap de Bonne-Espérance voient la durée de leur trajet augmenter de moitié. Cela a pour conséquence de doubler le prix d'un conteneur partant de Chine pour atteindre l'Europe.

Depuis plusieurs mois, les femmes et les hommes de la Marine nationale tentent de préserver la liberté de navigation en mer Rouge. Sous le feu des rebelles houthis, ils protègent les navires contre leurs attaques ; ils détruisent leurs drones et leurs missiles balistiques. Cette situation démontre l'engagement et les capacités de nos armées, qu'il convient de saluer. Elle renforce également notre conviction que leurs moyens doivent encore être augmentés.

Les Houthis ont annoncé vouloir étendre leurs opérations à l'océan Indien. Nous devons souhaiter qu'ils n'y parviennent pas, mais nous devons surtout nous donner les moyens de les entraver.

Voici plusieurs années que nos marins nous signalent une montée généralisée des tensions. Tout comme le renforcement des arsenaux, celle-ci est plus évidente en mer, dans la mesure où les acteurs s'y rencontrent armés. Parfois, cette course aux armements s'accompagne hélas ! d'une forme de désinhibition.

Dans ce contexte tendu, nous devons veiller à doter nos armées des moyens suffisants pour défendre la France et ses intérêts, mais aussi pour lui permettre d'apporter son concours aux opérations internationales de sécurité – cela passera, naturellement, par les débats que nous aurons dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances.

La proposition de résolution présentée par notre collègue Nicole Duranton et inscrite à l'ordre du jour de l'espace réservé au groupe RDPI appelle le Gouvernement à poursuivre son action dans cette région, tant diplomatiquement que militairement.

Nous ne pouvons qu'être favorables à son adoption. L'ensemble du groupe Les Indépendants – République et Territoires votera donc cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous allons bien sûr voter cette proposition de résolution, mais sans aucune illusion, car une résolution n'arrêtera jamais la guerre…

Je tiens d'emblée à dire à ma collègue Nicole Duranton que je ne suis pas tout à fait d'accord avec elle, non pas à propos de la proposition de résolution en elle-même, mais au sujet des origines de cette crise en mer Rouge.

Vous nous expliquez, ma chère collègue, que, depuis le 7 octobre 2023, les Houthis se sont mis à interdire le passage des navires qui, d'une manière ou d'une autre, auraient un lien avec Israël. Or, en réalité, les causes de ces attaques sont à chercher dans la guerre civile au Yémen entre, d'une part, le gouvernement officiel, légitime, soutenu par l'Arabie saoudite et l'Égypte et, d'autre part, les rebelles chiites houthis soutenus, quant à eux, par l'Iran, une guerre qui a provoqué des centaines de milliers de morts.

Résultat des courses : les Houthis ont commencé à se livrer à ce qui se pratiquait depuis le XIXsiècle au niveau du détroit de Bab el-Mandeb, c'est-à-dire des actes de piratage.

Les Houthis sont des pirates, mes chers collègues, qui nous signifient tout simplement que, si nous voulons commercer et faire passer nos navires, il va falloir payer…

Mme Valérie Boyer. Exactement !

M. Roger Karoutchi. Du reste, l'argent récolté par les rebelles sert à payer les armes que l'Iran leur livre : la boucle est bouclée et le cercle infernal s'est enclenché.

Téhéran fournit des armes en contrepartie des rançons tirées de ces actes de piratage, tout en dissimulant cela, depuis un an, derrière un prétendu soutien aux mouvements palestiniens, alors que chacun sait bien que ce type d'opérations préexistait au conflit israélo-palestinien et n'avait, par définition, aucun lien avec celui-ci.

Nous avons donc affaire à des miliciens dont la stratégie, non seulement nuit à la libre circulation des navires, mais s'apparente à une rébellion contre le gouvernement officiel.

Cette proposition de résolution est intéressante, si bien que, je le redis, nous allons la voter.

Pour autant, je serais tenté de dire que, si l'on veut vraiment couper les deux têtes de l'hydre, il faut manier plusieurs haches ! Car, en réalité, l'une de ces deux têtes se trouve à Téhéran, et sûrement pas au Yémen !

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Roger Karoutchi. Aussi, si ce texte est bienvenu, il va de soi que l'action diplomatique et militaire de la France doit davantage se concentrer sur l'Iran, comme l'a d'ailleurs déclaré à plusieurs reprises, et à juste titre, le ministre des affaires étrangères. Notre pays appelle en effet l'Iran à cesser de soutenir, de quelque manière que ce soit, ses « proxy », que ce soit le Hezbollah, le Hamas ou les Houthis, ces trois « H » qui sont en réalité à la solde de Téhéran et contribuent au désordre politique, militaire, diplomatique de l'ensemble de la région.

Sommes-nous capables de négocier des accords renforçant l'unité et la solidarité, ainsi que la paix dans la région ? Je n'en suis pas sûr, mais, en tout cas, cette initiative, cet appel à ce que la France soit plus ferme à l'égard des Houthis est à saluer.

À cet égard, Jean-Pierre Grand a bien fait de rappeler que la marine française contribue à ce combat, même si – soyons francs – ce sont surtout les Américains et les Britanniques, qui œuvrent pour détruire les installations des Houthis, avec l'aide ponctuelle de l'aviation israélienne pour que ces derniers cessent de s'imaginer qu'ils pourront continuer à envoyer indéfiniment des missiles sur l'État hébreu.

Oui, il faut tout faire pour que les Houthis arrêtent de bloquer le détroit et de se livrer à des actes de piratage, qui n'ont d'autre objet que de leur permettre de s'armer contre le gouvernement officiel de Sanaa.

Oui, il faut faire en sorte que la situation se rétablisse, mais ne nous faisons pas trop d'illusions : tant que nous ne parviendrons pas à un accord, qui ne peut que résulter du rapport de force que nous aurons établi avec Téhéran, il y aura des Houthis, il y aura le Hezbollah et le Hamas et, par conséquent, il y aura la guerre dans toute cette région. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP, UC et RDPI.)

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne. (Mme Patricia Schillinger applaudit.)

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, au préalable, permettez-moi de remercier notre collègue Nicole Duranton pour l'ensemble de son travail et cette proposition de résolution, ainsi que le président de notre groupe, François Patriat, l'ensemble des membres du groupe RDPI, qui ont souhaité l'inscription de ce texte à l'ordre du jour de notre espace réservé, et les quarante-deux cosignataires du texte, dont le président Claude Malhuret et la présidente Maryse Carrère.

C'est évidemment à tort que les sujets abordés par notre collègue peuvent sembler éloignés du quotidien de nos concitoyens et des Européens, car il y va non seulement de la sécurité régionale au niveau du golfe d'Aden et de la mer Rouge, mais aussi de la stabilité au Proche et Moyen-Orient, de la sécurité des routes maritimes et, donc, du commerce mondial et de l'approvisionnement des entreprises comme des particuliers qui, un jour, pourraient faire face à des ruptures de stock.

La situation en mer Rouge et les actions menées par les Houthis nous rappellent que ces crises persistent et ne datent pas d'hier – Roger Karoutchi vient de le dire. En vérité, elles ne font que prendre de nouveaux visages au travers de l'hybridation des menaces et du développement d'armes low cost.

Revenons à l'horreur des massacres du 7 octobre 2023, ce jour où l'inhumanité a fauché une partie de l'humanité. S'est ensuivie la nouvelle guerre menée par Israël contre le Hamas.

Les Houthis sont alors entrés en scène en utilisant leurs missiles et leurs drones et en menant des assauts héliportés contre des navires constituant des proies faciles. Depuis lors, le détroit de Bab el-Mandeb porte bien son nom de « Porte des Pleurs ».

Résultat : les rebelles sont parvenus à optimiser leurs actions et, donc, leur « reconnaissance » internationale, à telle enseigne que certains pays renoncent à faire traverser la zone par – tenez-vous bien – leurs bâtiments militaires ! Le ministre allemand de la défense a ainsi annoncé il y a quinze jours qu'une frégate éviterait le secteur pour rentrer en Europe à l'issue d'un exercice dans la zone indo-pacifique.

Cela montre bien que l'importance stratégique des détroits n'a d'égale que leur vulnérabilité. L'Histoire nous l'a enseigné et le présent nous invite à une vigilance extrême – je pense au détroit de Taïwan, en particulier.

Les dirigeants du mouvement houthi ont fait le lien entre leur action et la guerre à Gaza. Ainsi, en février dernier, Mohammed Ali al-Houthi a conditionné le sauvetage des cargos à l'acheminement de l'aide humanitaire à Gaza. Ces mêmes dirigeants ont également fait le lien entre les agissements des rebelles et le théâtre d'opérations libanais, lorsqu'un missile a été tiré sur l'aéroport David-Ben-Gourion au lendemain de l'élimination d'Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah.

Mais gardons-nous, comme Roger Karoutchi nous y a invités – et même si mon appréciation diverge quelque peu de celle de notre collègue –, de faire des Houthis de simples exécutants de commanditaires extérieurs et de l'Iran. Nous observons un alignement d'intérêts, une coopération, mais il existe aussi une dynamique propre à ce mouvement, qui résulte de la création de l'État yéménite lui-même – j'y reviendrai.

Dans l'exposé des motifs de sa proposition de résolution, notre collègue Nicole Duranton évoque « le spectre d'un embrasement et d'une généralisation du conflit au Proche-Orient et au-delà ».

En ce qui concerne le Yémen, le mouvement houthi n'a pu y émerger comme force politique puis militaire, dans les années 1990, que parce que les gouvernements de l'époque ont refusé de reconnaître les spécificités de la minorité zaydite, au nord-ouest du pays. Celle-ci s'est alors muée en force politique ayant une visée nationale.

Résultat : c'est aujourd'hui le peuple yéménite qui trinque, puisqu'il se trouve dans une situation humanitaire déplorable.

Seule une authentique voie fédérale permettrait au Yémen de se stabiliser, mais cela supposerait aussi que les États voisins de la région renoncent à instrumentaliser tel ou tel acteur de la scène politique yéménite. Nous en sommes loin hélas ! quand on voit lesdites puissances déployer un nouveau « grand jeu » de la Libye au Yémen en passant par le Soudan.

Pour ce qui est de la crise au Proche-Orient, les voies et moyens pour en sortir sont bien connus : il faut mettre en œuvre la fameuse solution à deux États et garantir la sécurité d'Israël. Hélas ! force est de constater que, chaque jour qui passe, on s'en éloigne : il n'est qu'à écouter le ministre israélien Bezalel Smotrich, qui souhaite l'annexion de la Cisjordanie, ce qui est, j'y insiste, inacceptable et irresponsable.

On est bien loin de la résolution 242 des Nations unies qui appelait au retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés au lendemain de la guerre des Six Jours. Ce sont ces mêmes Nations unies qui, en 1947, en adoptant la résolution 181, avaient pourtant fait en sorte qu'un « rêve vieux de deux mille ans [devienne] une réalité », pour reprendre un commentaire figurant sur la page commémorant cet événement sur le site de l'ambassade d'Israël en France.

Je crains que les événements actuels ne nourrissent une soif de revanche des générations palestiniennes à venir, qui ne serait à l'avantage de personne.

Dans ce monde où les crises sont à la fois permanentes et multiples, Français et Européens doivent muscler leur jeu, non seulement en matière de défense, ce à quoi la France s'emploie avec sa loi de programmation militaire (LPM) et en renforçant sa présence dans la zone – je me réjouis que notre partenariat avec Djibouti ait été renouvelé –, mais aussi en matière de diplomatie des mers et des océans, car nous disposons du deuxième espace maritime au monde et devons, à ce titre, défendre la liberté de navigation – c'est du reste dans cet esprit que notre pays accueillera dans quelques mois, à Nice, la prochaine conférence des Nations unies sur l'océan.

Mes chers collègues, c'est à la lumière de tous ces éléments que je vous invite plus que jamais à vous réunir autour de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)

M. François Patriat. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Sophie Briante Guillemont. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, depuis novembre 2023, les attaques houthies contre les navires marchands se sont intensifiées et se caractérisent par un recours accru aux drones et aux missiles.

L'un des incidents les plus graves a consisté en la capture du pétrolier Galaxy Leader, dont les vingt-cinq membres d'équipage sont toujours retenus en otage.

Au début de mars, le cargo Rubymar a aussi été la cible de plusieurs missiles : il a coulé au large des côtes yéménites, relâchant dans les eaux des milliers de tonnes de carburant et d'engrais. Cette attaque et la pollution qu'elle a engendrée ont eu un impact évident, non seulement sur l'écosystème marin du détroit, mais aussi, évidemment, sur les communautés de la côte yéménite, dont beaucoup dépendent de la pêche.

D'autres attaques ont également touché deux villes égyptiennes en octobre 2023, faisant six blessés.

Enfin, de nombreux missiles ont ciblé Israël, faisant un mort et plusieurs blessés à Tel-Aviv, en juillet dernier.

Ces attaques ont mis le Yémen, l'un des berceaux de notre civilisation, sur le devant de la scène internationale.

Je souhaiterais attirer votre attention, mes chers collègues, sur le fait que ce conflit en mer Rouge s'inscrit dans une histoire plus large, celle du Yémen et celle du sud de la péninsule arabique dans son ensemble.

Depuis 2014 et l'insurrection menée par les rebelles houthis, qui formaient à l'origine une communauté ethnique, idéologique, puis religieuse, le Yémen est en effet en proie à un conflit particulièrement meurtrier.

Le mouvement rebelle a fini par prendre la voie des armes à la suite de l'assassinat de son leader en 2004. Dix ans plus tard, en septembre 2014, les Houthis, toujours en conflit avec le gouvernement, ont lancé une insurrection qui a scindé le pays en deux, et qui a contraint les autorités officielles à se retrancher dans le nord-est du pays, abandonnant d'ailleurs la capitale, Sanaa.

Ce conflit, marqué par de très nombreuses interventions d'acteurs régionaux, dont l'Arabie saoudite et l'Iran, a provoqué l'une des plus graves famines que le monde ait connues depuis un siècle, selon les Nations unies.

En effet, comme souvent, ce sont les civils qui paient le prix fort de ce terrible conflit. Les enfants, tout particulièrement, vivent un cauchemar depuis que la guerre civile a éclaté en 2014 : 5 millions d'enfants de moins de 5 ans souffrent de malnutrition au Yémen, ainsi que 1,3 million de femmes enceintes et allaitantes. J'ajoute que 70 % de la population a besoin de l'aide humanitaire.

Au total, l'ONU estime que plus de 11 000 enfants ont été tués ou gravement blessés, quand 4 000 d'entre eux ont été enrôlés par les milices houthies.

Les attaques récentes contre les civils et les navires marchands passant dans le détroit de Bab el-Mandeb s'inscrivent dans ce contexte. Leurs conséquences sont connues : 75 % des exportations européennes transitaient par ce détroit avant novembre 2023 ; sept des dix principales compagnies maritimes internationales ont cessé d'emprunter cette route.

Depuis février dernier, l'Union européenne a lancé une mission de protection des routes maritimes dans la péninsule, à laquelle la France participe.

La présente proposition de résolution nous invite à soutenir les efforts sécuritaires de notre pays pour préserver nos intérêts face à une escalade incontrôlable dans la région, mais aussi à promouvoir les efforts diplomatiques visant à trouver une solution politique au conflit au Yémen.

Nous pensons effectivement que la seule réponse militaire n'est pas une option. La preuve en est qu'elle n'a pas permis jusqu'à présent de résoudre cette grave crise. Elle n'a pas non plus permis de rétablir la stabilité en mer Rouge.

La France doit donc jouer un rôle plus actif, afin de poser les fondements d'une solution durable à ce conflit, laquelle doit impérativement garantir la souveraineté de tous les États de la région, ce qui implique la mise en œuvre d'une stratégie concertée et la multiplication des échanges avec nos partenaires européens et régionaux, Djibouti au premier chef.

Le groupe du RDSE votera cette proposition de résolution, qui rappelle que l'issue politique est essentielle pour sortir le Yémen et la région de l'impasse. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – MM. Akli Mellouli, Jean-Pierre Grand et Roger Karoutchi applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. François Bonneau. (M. Laurent Somon et Mme Valérie Boyer applaudissent.)

M. François Bonneau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la mer Rouge est une voie de passage stratégique pour le transport des marchandises, notamment les produits énergétiques, entre l'Europe, l'Asie et l'Afrique.

Depuis novembre 2023, dans un contexte marqué par les affrontements entre Israël et le Hamas, la région est fortement déstabilisée par les exactions menées par la milice rebelle houthie. Depuis lors, plus de 150 incidents ont été rapportés : on dénombre notamment quatorze navires touchés par un missile ou un drone et dix-huit navires détournés par des pirates somaliens.

Le trafic en mer Rouge représente près de 13 % du trafic mondial, environ 30 % du trafic des conteneurs et 21 % du trafic énergétique. Depuis le début des attaques houthies, ce trafic a été divisé par deux.

Le Conseil de sécurité de l'ONU a publié le 1er novembre dernier un rapport nous alertant sur le fait que la milice houthie devenait progressivement « une puissante organisation militaire ». La rébellion disposerait désormais de 350 000 combattants, soit dix fois plus qu'il y a dix ans. Cette augmentation est à mettre au crédit d'une campagne de recrutement inédite, ainsi qu'à celui d'un puissant soutien extérieur, comme chacun le sait.

De quels leviers la France dispose-t-elle pour répondre aux défis que représente le renforcement inédit de cette milice, compte tenu notamment des conséquences humanitaires qu'entraîne ce conflit ? Ces attaques mettent en péril la vie de nombreux civils, notamment sur les navires, et constituent une entrave à la liberté de navigation et au droit international.

Le 19 février 2024, l'Union européenne a lancé l'opération Aspides, une opération qui a un double objectif : protéger le trafic maritime et contribuer à la liberté de navigation dans la région. Vingt et un États membres participent à cette mission ; trois d'entre eux – dont la France – mobilisent dans ce cadre des bâtiments de premier rang.

Monsieur le secrétaire d'État, le mandat de l'opération Aspides court jusqu'au mois de février 2025. Alors que plus de 15 % des navires transitant par la mer Rouge demandent protection et que la situation dans la région reste extrêmement tendue, pourriez-vous nous indiquer quelles sont les discussions engagées au niveau européen pour poursuivre cette opération ? Le regroupement des opérations Atalante, Agénor et Aspides est-il envisagé ?

Notre groupe votera évidemment cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDPI et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le 8 octobre 2023, au lendemain des attaques terroristes du Hamas contre l'État israélien, que nous condamnons fermement, Washington a déployé en Méditerranée orientale un groupe aéronaval visant à dissuader l'Iran de toute intervention directe.

Les actes de piraterie des Houthis pour rançonner les navires commerciaux en mer Rouge ont commencé le même jour. Les États-Unis ont alors pris l'initiative de créer une coalition internationale, afin de bombarder, sans mandat, les positions houthies et de protéger les navires commerciaux passant dans ce secteur.

L'Union européenne lancera une opération similaire, sous mandat onusien, à l'exception près que cette intervention n'aura pas vocation à bombarder le Yémen.

Avec près de 190 attaques depuis la fin de 2023, les Houthis restent aujourd'hui capables de mener de nouveaux assauts.

Nous aurions pu, forts de l'expérience de la sale guerre menée par l'Arabie saoudite qui, armée par la France en violation totale des traités interdisant toute exportation d'armement, se casse les dents depuis plus d'une décennie sur ces rebelles houthis, prévoir sans grande difficulté l'échec d'une approche militaire au Yémen.

C'est du reste pourquoi nous émettons une première réserve sur cette proposition de résolution : d'un côté, elle invite notre pays à contribuer à la désescalade ; de l'autre, elle encourage une approche belliciste, en soutenant une coalition militaire vouée à l'échec, qui déstabilisera encore davantage la région.

De notre côté, nous plaidons pour la force de la diplomatie : nous pensons au trop grand nombre de victimes qu'a faits cette sale guerre au Yémen.

Comme les auteurs de cette proposition de résolution, nous savons que la mer Rouge voit transiter 12 % du trafic mondial, dont 75 % des exportations européennes. Les attaques entraînent un allongement de quelques jours du temps d'acheminement de nos conteneurs et tendent à rogner les marges de nos grands industriels européens.

C'est vrai, et cela pose question.

Comme les auteurs de cette proposition de résolution, nous pensons que chaque conflit armé est un désastre, d'abord humain, mais aussi écologique. Les armes tuent directement, mais aussi indirectement en empoisonnant pour des dizaines, voire des centaines d'années, l'environnement.

Par exemple, la sale guerre que mène Poutine en Ukraine a déjà fait plus de 300 000 morts des deux côtés, mais elle a aussi rayé de la carte plus de 100 000 mètres carrés de forêts, qui ont été ravagées par des incendies, et provoqué l'enfouissement dans les sols de milliers de mines remplies de métaux lourds, qui contamineront les nappes phréatiques durant plusieurs décennies.

Pour autant, et c'est sur ce point que porte notre plus grand désaccord, le texte fait totalement l'impasse sur la question qui déstabilise actuellement la région et perturbe grandement cette route commerciale : je parle des crimes de guerre et du risque plausible de génocide commis en ce moment même, à Gaza, par Netanyahou et son gouvernement d'extrême droite.

Il s'agit d'un véritable massacre : des dizaines de milliers de morts et de blessés, des destructions entières de bâtiments,…

M. Fabien Gay. … sur un territoire qui subit déjà, depuis vingt ans, un triple blocus, pourtant contraire au droit international.

Si nous souhaitons, comme vous, mes chers collègues, que la paix triomphe au Yémen, et partout dans le monde, nous la voulons aussi pour les peuples israélien et palestinien. Nous demandons que s'applique enfin le droit international en Israël, ce qui implique l'arrêt de la colonisation.

Cela étant, nous ne sommes pas naïfs et savons que le régime théocratique iranien instrumentalise le conflit et soutient des groupes terroristes partout dans la région.

Seule une solution politique permettra de faire reculer l'usage de la force, de rétablir la confiance entre les États et de marginaliser les groupes paramilitaires qui gangrènent cette zone.

Là encore, la France doit œuvrer à faire entendre sa voix pour imposer un cessez-le-feu immédiat, contribuer à l'ouverture d'un couloir humanitaire, à la libération des otages détenus par le Hamas et des prisonniers politiques palestiniens, et au respect du droit international en reconnaissant, enfin, l'État de Palestine.

Nous estimons que cette proposition de résolution rate sa cible : on ne peut s'émouvoir qu'une route commerciale soit perturbée du fait des tensions dans une région sans chercher à résoudre l'ensemble des problèmes qui s'y posent.

Pour toutes ces raisons, nous nous abstiendrons.

M. le président. La parole est à M. Akli Mellouli. (Mme Hélène Conway-Mouret applaudit.)

M. Akli Mellouli. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires considèrent, eux aussi, qu'il est urgent de mettre fin aux attaques ciblant les navires commerciaux dans les eaux de la mer Rouge et du golfe d'Aden. De même, nous condamnons toutes les attaques, d'où qu'elles viennent, quelles qu'elles soient, et défendons tous les peuples opprimés. Nous apporterons donc notre soutien à cette proposition de résolution.

En tant que vice-président du groupe sénatorial d'amitié France-Yémen, je saisis cette occasion pour évoquer les origines profondes des crises qui secouent la région, tout particulièrement le Yémen.

Soyons lucides. Depuis 2014, ce pays est plongé dans le chaos par une guerre civile meurtrière. Nourri de rivalités internes exacerbées par certaines puissances régionales, le conflit a causé des souffrances humaines inimaginables : à ce jour, on déplore plus de 400 000 morts et près de 200 000 réfugiés.

Cette guerre oppose les rebelles houthis, soutenus par l'Iran, au pouvoir central, appuyé par l'Arabie saoudite et sa coalition. On retrouve, en toile de fond, la rivalité historique entre ces deux puissances régionales.

Les superlatifs sont, hélas ! insuffisants pour décrire la catastrophe humanitaire qui accable le Yémen aujourd'hui. Selon l'Unicef, 70 % de la population a besoin d'une aide humanitaire et 17 millions de personnes sont en situation d'insécurité alimentaire. En outre, d'après l'Organisation mondiale de la santé (OMS), plus de 17,8 millions d'habitants vivent sans accès à l'eau potable, sans installations sanitaires décentes ou, plus largement, dans des conditions d'hygiène insatisfaisantes.

Les infrastructures essentielles ont atteint un point de rupture. Les réseaux d'eau et d'électricité cèdent et l'écrasante majorité des familles en sont réduites à survivre ; seule l'aide humanitaire leur évite, pour l'heure, de sombrer dans la famine.

La jeunesse yéménite n'est pas épargnée : plus de 4,5 millions d'enfants, soit 40 % des enfants du pays, ne vont plus à l'école. Quel avenir envisager pour cette génération ? Comment éviter que le désespoir ne forme le terreau de conflits futurs ?

Aujourd'hui, alors que nos intérêts économiques sont touchés, l'attention internationale s'est réveillée. Mais n'oublions pas que, pendant près de dix ans, l'Occident a répondu par un silence assourdissant aux appels de détresse du peuple yéménite.

La communauté internationale a une responsabilité en la matière. Il est impératif de se poser les bonnes questions pour éviter que la situation, déjà catastrophique, ne dégénère totalement.

Ainsi, comment justifier certaines frappes de la coalition occidentale sur le territoire yéménite ? Ces dernières ne risquent-elles pas d'aggraver une situation qui est déjà explosive ?

Un nouveau seuil de tension a été franchi avec l'opération militaire israélienne au Liban. Cette intervention, si elle se poursuivait, aggraverait indéniablement l'instabilité de zones maritimes déjà très fragilisées.

Mes chers collègues, la région est devenue une véritable poudrière. Seule une approche diplomatique globale, prenant en compte les conflits enchevêtrés au Moyen-Orient, et particulièrement la question palestinienne, peut garantir une paix durable.

J'y insiste : la paix dans la région passera nécessairement par une résolution du conflit israélo-palestinien fondée sur le respect mutuel et le droit international. C'est à cette condition que nous pourrons espérer un avenir pacifié pour les peuples du Moyen-Orient.

Enfin, si la France veut jouer un rôle digne de ce nom dans cette crise, elle doit veiller à rester impartiale et juste. Elle doit s'engager de manière inébranlable en faveur de la justice et de la dignité humaine, sans parti pris, pour rester fidèle aux principes du droit international.

Nous aspirons à une paix véritable, fondée sur le respect et la coopération entre tous les acteurs. Forts de cette conviction, nous apportons notre soutien à cette proposition de résolution, en espérant qu'elle contribue à tracer la voie d'une paix durable. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI. – Mme Sophie Briante Guillemont applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe RDPI.)

Mme Hélène Conway-Mouret. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, avant tout, je tiens à remercier les auteurs de cette proposition de résolution, à commencer par Nicole Duranton. Leur texte contient un message politique fort, d'apaisement et de solidarité, dans un contexte géopolitique très préoccupant pour la région.

De plus – j'y reviendrai –, le détournement du commerce maritime international affecte gravement une économie mondiale déjà très fragilisée.

Ce n'est pas la première fois que cette région du monde attire notre attention. La dernière crise de piraterie dans la Corne de l'Afrique, et plus particulièrement dans le golfe d'Aden, remonte aux années 2008 à 2012. Elle découlait principalement de la déstabilisation de la Somalie, État failli s'il en est.

À l'époque déjà, une réponse internationale avait été apportée à cette menace contre la libre circulation. En 2008, l'Union européenne a lancé l'opération Atalante, à laquelle notre pays a pris toute sa part. En parallèle, de 2009 à 2016, l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (Otan) a conduit l'opération Ocean Shield, dont les résultats se sont révélés concluants : l'éradication des actes de piraterie a permis de réorienter les missions de l'Otan vers la lutte contre les trafics d'armes et de stupéfiants.

En guerre depuis 2014 et sans gouvernance depuis la trêve négociée par l'ONU en 2022, le Yémen est aujourd'hui à l'origine d'une nouvelle déstabilisation du commerce maritime mondial.

Les Houthis ont choisi leur camp dans la guerre entre Israël et le Hamas. Toutefois, leur position n'est plus le fruit d'une volonté de prédation économique ; elle résulte d'une logique politique.

Les attaques lancées en novembre 2023 ont entraîné une diminution drastique du passage des grandes compagnies d'armateurs, comme la CMA CGM et MSC. Elles ont malheureusement mis fin au passage de Hapag-Lloyd et Maersk.

Dès décembre 2023, la France s'est engagée contre ces attaques, et deux coalitions de nature différente ont été créées pour y répondre.

La première est de nature offensive : c'est l'opération Gardiens de la prospérité, lancée en ce même mois de décembre 2023 et rassemblant vingt pays sous l'égide des États-Unis.

La seconde est de nature défensive : c'est l'opération Aspides, engagée en février 2024, dont le mandat est d'intercepter les assauts et d'escorter les navires commerciaux entre le golfe d'Aden et la mer Rouge. Formée sur l'initiative de l'Italie, elle réunit les marines de sept États européens, dont trois ont un bateau présent sur place : la Grèce, l'Italie et la France. Notre pays a fait le choix politique de s'impliquer activement dans cette coalition, laquelle a déjà fait ses preuves. Non seulement 300 escortes ont été menées à bien, mais un certain nombre de drones aériens et maritimes ont pu être détruits, ainsi que des missiles balistiques.

Mes chers collègues, j'en viens au volet économique, en espérant vous convaincre de la nécessité de renforcer cette mission.

Les différents États participants et, au-delà, l'Union européenne tout entière doivent accroître leur effort budgétaire : la contribution de 8 millions d'euros est bel et bien inférieure aux besoins.

Les chiffres parlent d'eux-mêmes, puisque le détroit voit passer 40 % du commerce maritime mondial, soit 12 % du commerce mondial total. Il s'agit majoritairement de biens provenant d'Asie et d'hydrocarbures des États du Golfe, transportés, chaque année, par 20 000 navires prenant la route de l'Europe.

Le détournement du trafic par l'Afrique affecte particulièrement les ports européens de la Méditerranée. L'Italie, dont le commerce dépend à 54 % des voies commerciales maritimes, a perdu 9 milliards d'euros en 2024. En Grèce, Le Pirée a connu une baisse de 15 % de son activité : de ce fait, il a perdu son rang de premier port méditerranéen.

De leur côté, Russes et Chinois préfèrent dorénavant les voies ferroviaires aux voies maritimes.

Les États riverains de la mer Rouge sont eux aussi touchés. Je pense en particulier à l'Égypte, le canal de Suez représentant 7 % à 8 % du PIB de ce pays. Les armateurs font désormais le tour du continent africain, saturant les ports d'Afrique du Sud. L'augmentation des frais de transport fait exploser le coût du container, lequel atteint désormais 1 000 à 5 000 euros, cependant que les assureurs ont doublé leurs tarifs.

Cette situation a également un lourd impact environnemental. Je pense à cet égard aux navires coulés. Heureusement, comme le rappellent les auteurs de cette proposition de résolution, le pétrolier Sounion a pu être remorqué en août dernier : ainsi a-t-on évité qu'il ne coule. Entre août et septembre, ce navire transportant 1 million de barils ne s'en est pas moins consumé. C'est seulement cette semaine qu'a commencé le transfert de son carburant à bord d'un autre pétrolier.

Au-delà des dégâts matériels, n'oublions pas que les vies des marins eux-mêmes sont menacées. En août 2024, on estimait à une centaine le nombre de navires attaqués. De surcroît, les vingt-cinq marins du pétrolier Galaxy Leader sont toujours retenus en otages.

Enfin, je tiens à rendre un hommage appuyé à la marine française, acteur exemplaire dans la région grâce à la présence permanente de ses navires. Je pense notamment à la frégate qui, le 22 août dernier, a évité qu'un second drone chargé d'explosifs ne frappe le Sounion, alors à la dérive. Ces hommes et ces femmes, qui s'engagent à bord des bateaux comme à quai, contribuent à notre sécurité et permettent à l'économie mondiale de tenir malgré tout.

Mes chers collègues, notre discussion met en lumière les défis géopolitiques et économiques que soulèvent les menaces pesant sur la liberté de circulation maritime.

Elle nous permet également de réaffirmer notre position avec force : la France, résolument solidaire de ses partenaires européens et internationaux, continuera de répondre présent pour restaurer la stabilité dans cette région essentielle à l'équilibre mondial. Cet engagement passe non seulement par son soutien militaire, mais aussi et surtout – les précédents orateurs l'ont rappelé – par son action diplomatique, en vue de désamorcer durablement les tensions et de trouver une issue pacifique à cette crise.

C'est pourquoi les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain voteront cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDPI. – Mme Sophie Briante Guillemont et M. Akli Mellouli applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Valérie Boyer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, depuis 2008, la France mène à Djibouti l'opération Atalante, pour lutter contre les pirates, qui, se livrant à de nombreux pillages, entravent la circulation dans le golfe d'Aden, passage clé du commerce mondial. Or, depuis plusieurs mois, l'opération engagée se heurte à de grandes difficultés.

En effet, les rebelles yéménites houthis, en conflit avec l'Arabie saoudite et soutenus par l'Iran, dont ils sont les « proxys », multiplient les assauts contre les navires occidentaux. La France se doit donc de lutter, non seulement contre les actes de piraterie, mais contre ces attaques à caractère politique.

Lundi dernier, les Houthis ont attaqué deux destroyers américains à l'aide de drones et de missiles dans le détroit de Bab el-Mandeb. Des navires de la CMA-CGM, ainsi que la frégate Languedoc, avaient déjà été directement ciblés il y a quelques mois.

À l'heure actuelle, plusieurs compagnies maritimes sont contraintes de contourner cette zone. Violant à la fois la liberté du commerce et le droit international, ces attaques menacent notre sécurité. Elles portent atteinte à notre économie nationale et, au-delà, à l'économie européenne. Elles empêchent les liaisons maritimes avec nos territoires de l'océan Indien, Mayotte et La Réunion, déjà fortement perturbées.

Dans ce contexte, le Sénat doit se prononcer sur une proposition de résolution du groupe RDPI condamnant les méfaits des Houthis en mer Rouge et appelant à une action internationale pour protéger le commerce maritime.

Madame Duranton, je ne reviendrai pas sur les conséquences écologiques et surtout économiques que vous détaillez dans ce texte. Vous avez raison d'appeler l'attention sur ces réalités préoccupantes, mais je regrette que vous n'insistiez pas davantage sur la menace internationale que représentent les Houthis.

Il s'agit là d'un sujet plus grave encore que les atteintes infligées au commerce. Alors que l'ombre du danger islamiste plane sur Israël, les Houthis, qui contrôlent de vastes régions du Yémen, appartiennent, comme le Hamas et le Hezbollah, à ce que l'Iran appelle l'axe de résistance contre Israël.

Ce sont les trois H de la terreur. Ce sont les trois H du terrorisme : Hezbollah, Hamas, Houthis.

Mme Nathalie Goulet. Exactement !

Mme Valérie Boyer. La devise que les Houthis ont adoptée en 2003 en dit long de leurs intentions et de la menace qu'ils incarnent : « Dieu est grand. Mort à l'Amérique. Mort à Israël. Maudits soient les Juifs. Victoire à l'Islam. » Dans plusieurs rapports, l'ONU a d'ailleurs démontré que l'Iran a fourni divers matériels militaires aux Houthis.

Je regrette donc la portée quelque peu limitée de cette proposition de résolution : ses auteurs se contentent de demander des mesures économiques compensatoires et d'adresser au Gouvernement des requêtes assez vagues. On pourrait aller plus loin.

Mes chers collègues, alors même que nous dénonçons le traitement réservé aux femmes afghanes et iraniennes, nous restons bien trop silencieux quant au sort des femmes yéménites dans les territoires tenus par les Houthis, lesquelles, à l'instar des enfants, endurent de grandes souffrances.

Ces femmes doivent porter de longues tenues couvrantes. Pour voyager dans les gouvernorats contrôlés par les Houthis ou dans d'autres régions du Yémen, elles doivent être accompagnées d'un tuteur masculin ou munies de son autorisation écrite.

Les Houthis empêchent de nombreuses femmes yéménites de travailler, en particulier celles qui doivent se déplacer au titre de leurs activités professionnelles.

Mes chers collègues, je précise que les contraintes liées au tutorat masculin s'étendent aux travailleuses humanitaires yéménites, qui luttent pour mener à bien leurs missions de terrain. En résultent des conséquences directes sur l'aide à la population, notamment pour les femmes, les jeunes filles et les enfants.

Le Yémen se trouve aujourd'hui dans une situation humanitaire extrêmement préoccupante. Au sein de la population, ce sont les petites filles, les jeunes filles et les femmes qui sont les plus menacées. Et je ne parle pas des mariages forcés, qui concernent souvent de très jeunes femmes, ou des grossesses précoces, qui sont malheureusement le lot des femmes yéménites.

La France doit être la porte-parole de ces femmes. Elle doit demander à la communauté internationale de faire pression sur les Houthis pour qu'ils mettent immédiatement fin à ces procédés.

Même si nous regrettons que l'on n'aille pas plus loin, nous voterons bien sûr cette proposition de résolution déposée par le groupe RDPI sur l'initiative de Mme Duranton. Dénoncer les actes de piraterie des Houthis est une manière de lutter contre la pieuvre iranienne, dont les tentacules s'étendent désormais un peu partout ; de combattre l'Iran, qui mène cette guerre de déstabilisation et porte, avec d'autres, une lourde responsabilité dans les récentes entreprises terroristes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, tout d'abord, je tiens à saluer l'ambassadeur du Yémen, présent dans nos tribunes. Je le remercie de sa confiance et de son amitié, sur laquelle je peux compter depuis de nombreuses années.

De même, je salue l'auteure de cette proposition de résolution. Roger Karoutchi et Valérie Boyer l'ont souligné avec raison : le Hamas, le Hezbollah et les Houthis font partie de la même internationale du terrorisme.

Dernier orateur de cette discussion générale, je tiens à rappeler que les Houthis ne se sont pas improvisés pirates au lendemain du 7 octobre 2023.

Ces mercenaires, qui sont absolument prêts à tout et pratiquent la piraterie depuis très longtemps,…

Mme Nathalie Goulet. … ont mis le Yémen à feu et à sang.

Lorsque la coalition menée par l'Arabie saoudite a commencé à lutter contre ces milices, elle a suscité énormément de réactions. Mais vous comprenez bien que l'Arabie saoudite, comme les Émirats arabes unis, n'a aucun intérêt à avoir un Hezbollah bis à ses frontières. C'est exactement de cela qu'il s'agit. (Mme Nicole Duranton le confirme.)

Je me suis rendue au Yémen à de très nombreuses reprises – ma dernière visite remonte à 2017. Ce pays est placé dans une situation tragique. À tout le moins, cette proposition de résolution permettra d'attirer l'attention sur son sort, et c'est déjà une très bonne chose.

Il faut surtout faire preuve du plus grand volontarisme pour engager un certain nombre de procédures et, notamment, prononcer des sanctions financières. Il faut décréter un embargo. Il faut lutter contre le trafic de drogue. Il faut veiller à ce que l'argent de la piraterie ne vienne pas alimenter le terrorisme : c'est ainsi que nous devons agir, pour que cette piraterie endogène ne déstabilise pas davantage encore l'ensemble de la région. Je le répète, ces flux financiers doivent être interrompus.

Chère Nicole Duranton, je vous invite donc à déposer une autre proposition de résolution, détaillant un certain nombre de sanctions financières. À cet égard, je vous recommande l'excellent ouvrage que j'ai consacré au financement du terrorisme : vous y trouverez un chapitre relatif à la piraterie, traitant entre autres des Houthis.

Monsieur le secrétaire d'État, nous disposons en la matière d'un faisceau d'indices à la fois denses et concordants. Il faut adopter des sanctions financières, en particulier pour lutter contre le trafic de drogues – la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France nous a récemment permis d'insister sur cet enjeu.

Aujourd'hui, cette proposition de résolution nous permet de parler du Yémen. L'ensemble des orateurs l'ont rappelé : ce pays est essentiel à la stabilité régionale et même mondiale. Je crois pouvoir affirmer que M. l'ambassadeur du Yémen est à votre disposition pour travailler avec vous.

C'est une chance que cette proposition de résolution ait été inscrite à l'ordre du jour, et les élus du groupe Union Centriste ne manqueront évidemment pas de la voter. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et RDPI.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Thani Mohamed Soilihi, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de la francophonie et des partenariats internationaux. Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, permettez-moi avant tout d'exprimer ma gratitude aux auteurs de cette proposition de résolution, à commencer par Nicole Duranton. (Mme Nicole Duranton apprécie.) C'est le premier texte sur lequel j'ai l'honneur d'intervenir, en tant que secrétaire d'État, dans cette maison qui m'est si chère.

Cette proposition de résolution s'inscrit dans la pleine continuité de l'action déterminée menée par le Gouvernement pour répondre aux attaques inacceptables perpétrées par les rebelles houthis en mer Rouge.

Depuis le début de la guerre à Gaza, ces combattants yéménites insurgés se réclamant de la cause palestinienne multiplient les assauts indiscriminés contre les navires de commerce internationaux battant pavillon au large du Yémen. Soutenus et armés par la République islamique d'Iran, ils portent la responsabilité de plus de 150 actes d'agression depuis le mois de novembre 2023. Ils ont, en outre, visé à de nombreuses reprises le territoire israélien.

Cette escalade belliqueuse fait planer une menace croissante sur la sécurité de la région. Dotés de moyens de plus en plus sophistiqués, grâce aux armes venues d'Iran, les Houthis ont franchi un cap supplémentaire dans la violence : le recours aux drones et aux missiles balistiques est devenu une réalité tristement ordinaire.

Le sort du cargo britannique Rubymar, en février dernier, illustre cette montée de la brutalité. Frappé par deux missiles, ce vraquier chargé de 22 000 tonnes d'engrais chimiques a fait naufrage, suscitant de vives inquiétudes environnementales. Aucune victime n'avait toutefois été déplorée parmi l'équipage.

Le bilan de l'attaque conduite contre le navire True Confidence, le 6 mars dernier, s'est malheureusement révélé plus lourd. Plusieurs marins y ont en effet trouvé la mort. Ces victimes innocentes témoignent de l'horreur et de la gravité de ces assauts, qui font régner la terreur sur les mers.

Parce qu'il entrave le commerce international, ce climat de peur porte directement atteinte aux intérêts de la France, ainsi qu'à ceux de l'Europe et de nos partenaires à travers le monde.

Au début de l'année 2024, le Fonds monétaire international (FMI) enregistrait une baisse de 30 % du trafic de conteneurs via la mer Rouge, tandis que la Commission européenne évoquait une diminution des flux de 22 % dans cette région stratégique.

La perturbation des chaînes d'approvisionnement fait pression sur les prix de consommation et risque d'aggraver l'inflation qui pèse sur nos concitoyens. Face à cet engrenage dangereux, la France appelle à l'arrêt immédiat des exactions commises par les Houthis.

Voilà des mois que nous dénonçons avec vigueur leur comportement irresponsable. En novembre 2023, ils ont notamment détourné le navire Galaxy Leader. Depuis lors, nous appelons sans relâche à sa libération ainsi qu'à celle de son équipage.

Face à l'ampleur de cette menace, nous ne nous contentons pas d'élever la voix : avec l'appui de nos partenaires européens, nous avons adopté une posture défensive en mer Rouge.

Le 19 février dernier, sous l'impulsion de la France, l'Union européenne a donné le coup d'envoi de l'opération maritime Aspides, dont l'objectif est de rétablir la sécurité maritime et de garantir la liberté de navigation au large du Yémen. Les résultats obtenus à ce titre sont significatifs : plus de 270 navires ont été escortés. De surcroît, de nombreux drones et missiles lancés par les Houthis ont été interceptés.

Cette opération est un témoignage fort de la volonté sans faille de la France et de l'Union européenne de restaurer la sécurité dans cette zone de passage cruciale. Le succès du remorquage du pétrolier Sounion, pris pour cible par les Houthis, a notamment permis d'éviter une catastrophe environnementale d'envergure.

Cette action coordonnée le confirme : l'Union européenne est déterminée à stabiliser cette région stratégique et à prévenir toute escalade.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, là où le droit international est menacé, la France, fidèle à son héritage et guidée par les idéaux qui la façonnent, s'érigera toujours pour le protéger.

La sûreté maritime et la liberté de navigation en mer Rouge, garanties fondamentales des échanges mondiaux et de la sécurité de nos partenaires, traduisent des principes intangibles qui mobilisent toute notre vigilance.

À l'unisson des autres nations européennes, la France continuera de veiller sur ces eaux, afin qu'elles deviennent libres et sûres. C'est pourquoi, au nom du Gouvernement, je tiens de nouveau à saluer cette proposition de résolution, dont je souligne la parfaite cohérence avec les actions menées par la France.

Notre pays, qui peut compter sur l'appui indéfectible de ses partenaires et œuvre sous l'égide de l'envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies, Hans Grundberg, ne reculera devant aucun effort pour ranimer la flamme de la paix au Yémen. C'est notre devoir, au nom de la justice et de l'humanité. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.

proposition de résolution visant à condamner les actions des rebelles houthis en mer rouge et à appeler à une action internationale pour protéger le commerce maritime et l'environnement dans cette zone

Le Sénat,

Vu l'article 34-1 de la Constitution,

Vu la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution,

Vu le Chapitre XVI du Règlement du Sénat,

Vu la Charte des Nations unies du 26 juin 1945,

Vu la Convention des Nations unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982,

Vu les résolutions 2216 (2015), 2675 (2023), 2691 (2023), 2707 (2023) et 2722 (2024) du Conseil de sécurité des Nations unies sur le Yémen,

Vu la résolution du Parlement européen du 11 février 2021 (2021/2539(RSP)) sur la situation humanitaire et politique au Yémen,

Vu les conclusions du Conseil de l'Union européenne du 25 juin 2018 sur la situation au Yémen,

Vu les conclusions du Conseil de l'Union européenne du 19 février 2024 sur la sûreté maritime et la liberté de navigation en mer Rouge,

Considérant que les attaques des rebelles houthis sont une menace pour le commerce international, l'environnement, la stabilité régionale et la sécurité mondiale ;

Réaffirmant l'importance de l'exercice des droits et des libertés de navigation des navires dans la mer Rouge, y compris les navires marchands et les navires de commerce passant par le détroit de Bab el-Mandeb, conformément au droit international ;

Soulignant que la hausse du coût du transport des biens et des marchandises a des répercussions négatives sur la situation économique mondiale, et notamment sur l'économie française ;

Condamne avec la plus grande fermeté les attaques des rebelles houthis en mer Rouge contre des navires marchands et commerciaux, qui constituent une menace pour la sécurité maritime, l'environnement et le commerce international, et portent atteinte à la paix et à la sécurité régionales comme mondiales ;

Exprime sa solidarité aux victimes et aux pays touchés par ces attaques, notamment l'équipage retenu en otage du navire de marchandises Galaxy Leader capturé le 19 novembre 2023 ;

Réaffirme que le respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriales des États côtiers de la mer Rouge est une condition essentielle à la stabilité régionale, elle-même nécessaire à une cessation des violences en mer Rouge ;

Appelle à poursuivre les actions de la coalition internationale pour améliorer la sûreté et la sécurité des navires marchands et commerciaux en mer Rouge, ainsi que pour faire cesser les attaques houthies qui menacent la sécurité régionale, mondiale, l'environnement et le commerce global ;

Soutient les efforts diplomatiques visant à trouver une solution politique au conflit au Yémen, dans le respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale du pays ;

Appelle les États membres de l'Union européenne à réfléchir à des solutions permettant de protéger l'industrie et l'économie européennes des conséquences des actions des rebelles houthis en mer Rouge ;

Demande au Gouvernement français d'être attentif à la situation de la mer Rouge et de sa région afin d'éviter toute aggravation de la situation et dans le but de faire cesser les attaques ;

Demande au Gouvernement français de réfléchir à des solutions pour protéger l'économie de notre pays de sorte à ce que la situation en mer Rouge n'ait pas d'impact négatif sur le pouvoir d'achat des Français ;

Demande au Gouvernement français de continuer à jouer un rôle actif et constructif dans ce sens.

Vote sur l'ensemble

M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.

Je mets aux voix la proposition de résolution.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 36 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 322
Pour l'adoption 322

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quarante,

est reprise à seize heures quarante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

5

Corrida et combats de coqs

Rejet d'une proposition de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle, à la demande du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, la discussion de la proposition de loi visant à interdire la corrida et les combats de coqs en présence de mineurs de moins de seize ans, présentée par Mme Samantha Cazebonne et plusieurs de ses collègues (proposition n° 475 [2023-2024], résultat des travaux n° 116, rapport n° 115).

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Samantha Cazebonne, auteure de la proposition de loi.

Mme Samantha Cazebonne, auteure de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous nous réunissons aujourd'hui pour aborder une question qui transcende les clivages politiques et les traditions, celle de la protection de nos enfants contre l'exposition à la violence, en particulier à l'occasion de spectacles tels que les corridas et les combats de coqs.

Ces pratiques sont reconnues comme des actes de cruauté aux termes de l'article 521-1 du code pénal, mais bénéficient d'une exception pénale lorsqu'une tradition locale est invoquée. Ce motif dérogatoire, d'ordre culturel, ne saurait pour autant atténuer leur caractère cruel et violent.

Il est indéniable que, ces dernières années encore, l'État et le législateur ont exprimé la volonté de protéger les mineurs de l'exposition à la violence, en raison de leur vulnérabilité, laquelle a été reconnue par des dispositions légales. Je pense en particulier aux articles 226-14 et 434-3 du code pénal.

L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) encadre, quant à elle, la diffusion de la tauromachie à la télévision afin d'éviter de heurter la sensibilité des téléspectateurs, en imposant une signalétique jeunesse et en interdisant la diffusion de la mise à mort.

Selon un sondage mené par l'Institut français d'opinion publique (Ifop), une écrasante majorité des Français soutient cette proposition de loi qui vise à interdire l'accès des mineurs de moins de 16 ans à des spectacles violents : 80 % dans les territoires taurins et 86 % sur l'ensemble du territoire.

Ce soutien transcende les divisions partisanes, même dans les départements taurins, et témoigne d'une conscience collective, qui appelle une action législative cohérente en faveur de la protection de nos enfants sur l'ensemble du territoire national.

Je me permets d'insister sur l'importance d'assurer une cohérence entre le droit et certaines recommandations. Comment comprendre que, comme le préconisent les experts de l'enfance dans un souci de protection, on demande à des parents d'empêcher leurs enfants de regarder une corrida sur un écran, mais que ceux-ci puissent assister aux mêmes scènes de cruauté in vivo ? Pourquoi, dans ce cas-là, les recommandations et la loi s'effaceraient-elles ?

Qui parmi nous – j'y insiste – peut comprendre que l'Arcom et le législateur demandent aux parents de ne pas exposer leurs enfants à des scènes violentes et de cruauté à la télévision, mais les affranchissent dans le même temps de leurs obligations s'il s'agit de voir les mêmes scènes dans la réalité ?

Pour ceux d'entre vous qui ne connaissent pas la corrida, je me permets de vous livrer le témoignage d'une femme, qui a assisté, alors qu'elle était une petite fille de 6 ans, à une course de taureaux, pour la première et dernière fois. J'appelle votre attention sur le fait que ce témoignage a été fait à l'âge adulte, donc bien des années après : il montre l'impact du traumatisme, encore vif aujourd'hui.

« Vers l'âge de 6 ans, en vacances, j'assiste à un divertissement qui me refroidira pour le reste de ma vie : la mise à mort d'un animal, dont l'incapacité de s'enfuir, cloîtré dans cette arène close, et la compréhension d'une fin proche le rendent agressif envers les hommes à cheval et ceux qui se trouvent dans l'arène. On le fait donc courir dans tous les sens, on le pousse, on le pique, on le harcèle jusqu'à son épuisement. Et la foule qui hurle, massée autour de moi, des ″olé″ à qui mieux mieux... C'est donc ça, une corrida ? Hurler de manière insensée, fatiguer un animal, jusqu'à lui enfoncer des piques dans son corps meurtri ? C'est donc ça, une fête, pour certaines personnes ? Regarder, jusqu'à être obnubilé, la mort d'un taureau ? Le taureau s'est effondré sur ses pattes avant, et le coup de grâce est venu, mettant fin à ce carnage. Je n'arrive même pas à trouver un mot plus fort exprimant ma colère, mon impuissance et mon étonnement face à ce spectacle. Tout se mélange, tout le monde hurle de joie, l'animal meurt, et je suis dégoûtée. »

C'est parce qu'elle était forcée d'assister à cette cruauté que, dans son livre intitulé Grand-père, Marina Ruiz Picasso évoquait avec franchise les traumatismes douloureux qu'elle a subis pendant l'enfance et qui sont encore bien présents.

Quelle place doit avoir une scène de violence, pendant laquelle un taureau souffre, pour un enfant de cinq ou de quatorze ans ? Est-il acceptable que des mineurs soient témoins de la souffrance d'un être vivant, alors que leur compréhension des valeurs de compassion et de bienveillance est encore en pleine formation ?

Nous avons le devoir de protéger leur innocence.

Par ailleurs, il faut prendre en compte le conflit de loyauté auquel nos enfants peuvent être confrontés. En effet, combien d'entre eux osent dire non lorsqu'ils se trouvent sous l'influence d'un parent enthousiaste et déterminé à l'idée d'assister à une telle atrocité ? Cette pression émotionnelle peut les pousser à participer à des spectacles qui violent les normes fondamentales fondant le respect pour la vie.

Les traumatismes résultant de l'exposition à des images de violence ne doivent pas être sous-estimés. De nombreuses études documentent leur impact négatif sur le développement moral et comportemental de nos jeunes.

Comment, alors, justifier une exposition réelle à de telles violences ?

Le Comité des droits de l'enfant des Nations unies, chargé de surveiller la mise en œuvre de la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE), laquelle a été ratifiée par la France, a recommandé depuis 2016 à notre pays de redoubler d'efforts pour interdire l'accès des enfants aux spectacles de tauromachie, soulignant l'importance de préserver l'intérêt supérieur de l'enfant.

Les États signataires de cette convention doivent rendre des comptes et veiller à ce que toute recommandation soit suivie. L'absence de mention de ces pratiques dans les rapports fournis au Comité témoigne d'une complaisance que nous ne pouvons plus accepter.

Mes chers collègues, nous qui ratifions régulièrement des conventions internationales, comment pouvons-nous, en toute conscience, ignorer les recommandations de ce comité ?

Nous le savons, en ratifiant une convention, nous nous engageons. Nous ressentons une fierté collective et individuelle chaque fois que les droits des enfants progressent et que nous votons en leur faveur.

Alors, pourquoi ne serions-nous pas tout aussi fiers de voir l'interdiction d'exposer les enfants à la violence et à la cruauté appliquée sans exception ? Pourquoi une exception existerait-elle ici, en France, pays de l'égalité ?

Là encore, Arnaud Bazin, l'ensemble des sénateurs qui ont cosigné ce texte dans un esprit transpartisan et moi-même ne demandons qu'une seule chose : de la cohérence pour protéger les enfants.

Je tiens aussi à souligner qu'Élisabeth Badinter et Simone Veil ont soutenu une telle interdiction. Ce soutien de femmes si estimables, dont l'engagement et les convictions sont remarquables, constitue un puissant appel à agir : nous ne pouvons l'ignorer.

Enfin, permettez-moi de saluer l'engagement de toutes celles et de tous ceux qui se battent pour protéger les enfants et faire reconnaître la souffrance imposée à des êtres vivants, y compris aux animaux, que nous sommes nombreux, ici, à respecter. Ils défendent depuis des années la demande que je porte aujourd'hui et s'élèvent avec force contre la cruauté. Leur mobilisation est un exemple de courage et de détermination.

Mes chers collègues, j'ai suivi avec attention le travail que vous avez effectué au sein de la commission des lois. Celle-ci a estimé que « le dispositif proposé était inapplicable en l'état », que le texte « n'apportait pas de solution adaptée au renforcement de la protection des mineurs et était susceptible de poser d'importantes difficultés de droit et de fait ».

Ceux qui nous écoutent pourraient en déduire que le présent texte n'aurait pas été rédigé dans les règles et que le fond du débat serait détourné au prétexte de mettre l'accent sur la forme.

La forme devient soudainement primordiale dans l'argumentation de la commission. Pourtant, le recours à des contorsions juridiques pour maintenir un état d'exception permettant d'exposer des enfants à une pratique que nous interdisons partout ailleurs semble paradoxal.

L'argument selon lequel la proposition de loi serait inapplicable en l'état pourrait bien dévoiler une énième stratégie consistant à éviter de voter ce texte, ou, pire encore, à ne pas lui donner une chance d'être débattu. C'est pourtant ce que réclament 80 % des Français.

En outre, pourquoi ne pas avoir réfléchi à la question des peines, jugées surdimensionnées ? Pourquoi, si la forme est le problème, monsieur le rapporteur, n'a-t-il pas été proposé une solution de substitution, d'autant qu'elle est envisageable ? C'est ce que mon collègue Arnaud Bazin et moi-même avons fait, dans une logique de coconstruction, en déposant un amendement. Nous espérons qu'il permettra la tenue du débat, que de nombreux citoyens, je le redis, attendent aujourd'hui.

Dans cette perspective, nous vous demandons, mes chers collègues, de bien vouloir retirer vos amendements de suppression.

J'y insiste, ce débat de société doit avoir lieu, comme le souhaite une écrasante majorité de Français.

M. Laurent Burgoa. Je pense que nous avons compris !

Mme Samantha Cazebonne. Quel message leur enverrions-nous si la discussion ne devait pas avoir lieu ? En tant que représentants de la Nation, nous ne pouvons pas ignorer leur souhait.

M. Laurent Burgoa. Le temps est écoulé !

Mme Samantha Cazebonne. À ceux qui me disent que ce texte est un premier pas vers l'abolition de la corrida, ou qu'il limite l'accès à ces spectacles avant d'interdire la chasse, je répondrai ceci : il nous incombe, à nous, législateurs, de regarder la loi, toute la loi, rien que la loi.

Comment, en toute bonne foi, pourriez-vous affirmer que leurs craintes se trouvent confirmées par ce texte ? Il n'y est à aucun moment fait mention de la chasse ni d'une quelconque abolition de la corrida.

Je fais appel à votre honnêteté intellectuelle, mes chers collègues. Je sais pouvoir compter dessus.

En conclusion, il est de notre devoir de refuser toute forme de complaisance face à cette réalité. (Marques d'impatience sur les travées des groupes Les Républicains et SER, ainsi qu'au banc des commissions.)

Nous devons agir avec conviction et voir la réalité en face, sans laisser penser ou dire que cette proposition de loi n'aurait pas lieu d'être, au prétexte que le canal législatif ne serait pas le bon, alors que nous n'avons que celui-ci.

M. Laurent Burgoa. Et le respect du temps de parole, monsieur le président ?

Mme Samantha Cazebonne. Invoquer la forme pour faire échec au fond serait un mauvais procès : nous sommes là pour écrire la loi et l'amender, si nécessaire.

Je le répète, ce véhicule législatif est le bon, car il s'agit de modifier un régime dérogatoire. La loi ne doit faire aucune exception quand elle entend protéger les enfants. (Nouvelles marques d'impatience.)

La proposition de loi ne mérite pas d'être présentée comme étant hors sujet, monsieur le rapporteur.

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue !

Mme Samantha Cazebonne. Je termine, monsieur le président !

Protéger nos enfants contre la violence n'est pas uniquement une question de législation, c'est un impératif moral.

M. Laurent Burgoa. Déjà deux minutes de dépassement !

Mme Samantha Cazebonne. Ensemble, faisons en sorte que notre engagement mène à un avenir où les droits des enfants sont respectés sur l'ensemble du territoire national, sans exception. (C'est terminé ! sur les travées des groupes Les Républicains et SER.)

M. le président. Vous avez excédé votre temps de parole de deux minutes, ma chère collègue !

Mme Samantha Cazebonne. Je conclus, si vous me le permettez. (Exclamations.)

En une phrase, le Comité des droits de l'enfant des Nations unies et les Français nous regardent : je vous prie donc de faire en sorte que le débat ait lieu. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et GEST. – M. Christopher Szczurek applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Louis Vogel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi soumise à l'examen du Sénat vise à interdire la présence des mineurs de seize ans aux courses de taureaux et aux combats de coqs.

La commission des lois n'a pas adopté le dispositif proposé, considérant qu'il n'était pas adapté à l'objectif du texte. Les auteurs de la proposition de loi ont pris en compte une partie des remarques juridiques formulées par la commission et proposent, par voie d'amendement, un dispositif de substitution.

Permettez-moi de rappeler très brièvement les éléments qui fondent la position de la commission des lois. Ils se situent sur deux plans.

D'abord, le texte a vocation à couvrir des situations très différentes au moyen d'un dispositif unique, fondé sur la notion de sévices faits aux animaux. Voilà qui est source d'incohérences, à la fois formelles et substantielles – j'y reviendrai.

Ensuite, il ne semble pas opportun que la loi se substitue aux parents dans le cadre d'un régime juridique reposant sur des traditions locales avérées.

La proposition de loi entend couvrir à la fois les combats de coqs et les courses de taureaux. Or il est apparu impossible à la commission des lois de traiter les deux situations de la même façon.

Alors que la tradition des combats de coqs semble sur le déclin dans les communes du Nord et du Pas-de-Calais, où elle est autorisée, elle demeure très vivante dans les outre-mer.

M. Louis Vogel, rapporteur. Les combats de coqs y sont liés à la pratique de paris, assimilables aux paris hippiques. De ce fait, il s'agit d'une activité réservée aux adultes.

Même s'il existe des exceptions, la pratique générale est celle d'un accès libre, sans vente de billets. Le dispositif proposé nécessiterait donc, pour être applicable, la mise en place d'un contrôle de l'accès et une implication très forte des pouvoirs publics, alors même que le nombre de mineurs présents à ces spectacles reste très limité.

La pratique traditionnelle des combats de coqs, en particulier dans les outre-mer, s'en trouverait fortement affectée, sans qu'il y ait eu de concertation préalable avec les acteurs de terrain.

Outre le risque d'un déport vers des pratiques de combats illégaux, il est à craindre que cette mesure soit perçue comme une remise en cause des traditions locales et une source de tensions inutile, surtout dans le contexte actuel.

En ce qui concerne les courses de taureaux, je voudrais formuler différentes observations, qui ne relèvent pas de questions de forme.

Tout d'abord, la proposition de loi interdirait la présence de mineurs de seize ans, y compris pour les courses de taureaux sans mise à mort, dès lors qu'il sera considéré que des sévices sont exercés sur des taureaux. : au-delà des corridas, cela ne pourra que rendre très complexe l'organisation de courses de taureaux landaises ou camarguaises.

M. Laurent Burgoa et Mme Monique Lubin. Absolument !

M. Louis Vogel, rapporteur. Ensuite, le texte prévoit d'interdire deux situations distinctes : celle dans laquelle le mineur de moins de seize ans assiste à la course ou au combat – cette hypothèse est visée dans l'exposé des motifs –, mais également celle dans laquelle il participe à une telle activité.

Pour la clarté de la loi, il faudrait, d'un point de vue juridique, que les deux circonstances soient explicitement visées et distinguées, surtout s'agissant d'un texte pénal, lequel devrait instituer des sanctions différentes selon les cas.

À l'inverse, la proposition de loi ne dit rien des écoles taurines. Si l'effet des mesures proposées est d'interdire aux mineurs de seize ans de participer aux corridas, la question de l'apprentissage de ces pratiques dans les écoles de tauromachie reste entière.

Je note qu'un amendement de Mme Poncet Monge entend répondre à cette difficulté.

En effet, la loi pénale étant d'interprétation stricte, les écoles qui forment à la tauromachie n'entrent pas dans le champ d'application de ce texte, qui ne vise que les courses de taureaux.

Le dispositif proposé interdirait donc aux mineurs de seize ans d'assister aux corridas, mais permettrait aux parents d'inscrire leurs enfants, dès l'âge de six ou de huit ans, dans les quelques écoles de tauromachie que compte notre pays.

Plus grave encore du point de vue du droit, la proposition de loi entend traiter la question de la protection des mineurs, en l'insérant dans deux articles du code pénal relatifs au bien-être animal.

Le texte n'apportant aucune modification au régime pénal, il fait reposer sur l'organisateur la responsabilité liée à la présence d'un mineur de seize ans.

En effet, il ne prévoit de régime de responsabilité ni pour les parents – adultes ou mineurs de seize à dix-huit ans – qui auraient facilité la présence du mineur de seize ans ni, a fortiori, pour le mineur lui-même qui se serait introduit malgré les contrôles et les interdictions.

On peut faire un parallèle entre le régime de responsabilité de l'organisateur et, par exemple, celui qui pèse sur les exploitants de salles de cinéma. Néanmoins, la responsabilité de ces derniers s'exerce conjointement à celle des parents et n'est sanctionnée que par une contravention. La peine paraît plus adaptée à la gravité des faits.

La proposition de loi, dans sa rédaction actuelle, laisse entendre que la présence d'un seul mineur de seize ans transformerait, du point de vue pénal, un spectacle légal en sévices graves infligés à un animal, avec plusieurs circonstances aggravantes, dont celle d'avoir commis un acte ayant entraîné la mort de l'animal en présence d'un mineur.

Cela aurait pour effet d'exposer les personnes physiques à la peine maximale de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende – contre, je le rappelle, une simple contravention pour les exploitants de salles de cinéma – et les personnes morales à l'interdiction d'exercer une activité professionnelle, en application de l'article 131-39 du code pénal.

De fait, si elles étaient mises en œuvre par le juge, de telles sanctions aboutiraient, sans le dire, à interdire les corridas. En outre, elles ne paraissent pas conformes à l'échelle des peines, si l'on se place sur le terrain de la protection des mineurs.

J'en viens maintenant à la question de fond : la loi doit-elle déterminer, à la place des parents, l'âge auquel il est possible de voir une corrida ?

Mme Samantha Cazebonne. C'est déjà le cas dans d'autres domaines !

M. Louis Vogel, rapporteur. La commission des lois n'a pas trouvé de cause déterminante justifiant de retenir l'âge de 16 ans.

Ce seuil correspond à la fin de l'obligation scolaire et à la possibilité d'émancipation, ainsi qu'à l'une des limites d'âge prévues par le système de classification des œuvres cinématographiques.

L'âge retenu dans le texte a été critiqué par les personnes que nous avons entendues.

Certains le jugent trop bas, pour des raisons juridiques. Notons que l'article 521-1 du code pénal considère les sévices sur animaux en présence de mineurs comme une circonstance aggravante sans distinction d'âge, donc jusqu'à l'âge de 18 ans. L'argument selon lequel il est nécessaire de protéger le développement cognitif et psychologique des adolescents jusqu'à bien au-delà de l'âge de seize ans a également été invoqué.

À l'inverse, ce seuil est apparu à d'autres comme élevé au regard de celui de la majorité sexuelle, fixée à 15 ans. Des personnes auditionnées ont évoqué, par exemple, des seuils de 14 ans ou 12 ans.

Vous l'aurez compris, mes chers collègues, il n'existe pas de consensus sur le seuil de 16 ans.

En prévoyant une telle interdiction, la proposition de loi tend à substituer l'appréciation du législateur à celle des collectivités concernées. Or ce choix pose question, étant donné le régime juridique spécifique qui s'applique aux courses de taureaux et aux combats de coqs.

Les traditions locales ininterrompues sont la condition prévue par le législateur pour faire exception au régime des sévices prévu par le code pénal et organiser des corridas. D'un point de vue juridique, elles sont identifiables à des coutumes.

En conséquence, le législateur ne saurait intervenir en matière de traditions locales reconnues comme légitimes sans toucher à la nature même du régime des corridas ou des combats de coqs, qui suppose la possibilité pour les parents de transmettre une coutume établie à leurs enfants.

Dans ces conditions, les règlements taurins adoptés par chacune des municipalités concernées par l'organisation de corridas me semblent un véhicule bien mieux adapté pour encadrer le fonctionnement des écoles taurines et faire évoluer les conditions de présence et de participation des mineurs, en fonction du contexte local et du souhait des collectivités concernées, lesquelles ont des niveaux d'attachement divers à ce type de spectacles.

Enfin, la commission des lois a estimé inopportun de substituer l'appréciation du législateur à celle des parents. Eux seuls, dans le cadre de l'exercice de l'autorité parentale, elle-même encadrée par le code civil et, éventuellement, par le juge aux affaires familiales, déterminent si leurs enfants mineurs peuvent assister ou non à un spectacle fondé sur une tradition reconnue par la loi.

Pour toutes ces raisons, sans nier le caractère intrinsèquement violent des spectacles de combats d'animaux, la commission des lois a estimé que la proposition de loi était inapplicable et que ses effets juridiques étaient disproportionnés au regard de l'objectif visé.

Aussi la commission vous propose-t-elle de ne pas adopter ce texte. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE. – M. Marc Laménie, Mme Monique Lubin et M. Denis Bouad applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, en tant que garde des sceaux, je partage la préoccupation légitime des auteurs de cette proposition de loi relative à la protection des enfants. Elle traite en particulier du risque de surexposition des mineurs à des images violentes, en direct ou diffusées via différents supports de communication.

L'intérêt supérieur de l'enfant doit toujours être la boussole qui nous guide. Le ministère de la justice est certes celui qui sanctionne, mais c'est aussi celui qui protège, notamment les plus vulnérables.

Toutefois, cet objectif bien légitime de protection des enfants ne doit pas nous faire perdre de vue que les premiers protecteurs de l'intérêt de ceux-ci sont ses propres parents.

L'autorité parentale est définie par le code civil comme « un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l'intérêt de l'enfant ». Ses titulaires sont donc, j'y insiste, les premiers gardiens de l'intérêt supérieur de l'enfant : c'est à eux que revient la tâche d'apprécier, à chaque instant, si telle ou telle activité va dans le sens de la protection de leur enfant.

Il est très rare que le législateur se substitue aux parents dans cette appréciation casuistique.

Ainsi, il est de la liberté de chacun de choisir sa culture, ses coutumes, ses pratiques. L'État ne doit pas intervenir, sous peine de se montrer paternaliste, voire invasif, et in fine de déresponsabiliser les parents. À chacun son rôle.

Le moyen de la pénalisation, en outre, n'apparaît pas adapté. Va-t-on pénaliser les parents qui laissent leur enfant regarder des vidéos sur les réseaux sociaux ou jouer à des jeux vidéo violents ?

Cela ne viendrait à l'idée de personne, non pas parce que l'intérêt poursuivi n'est pas compréhensible, mais parce que ce n'est pas en sanctionnant que nous pourrons résoudre le problème. Au contraire, on risquerait de braquer, qui plus est lorsque la question est culturelle. Une politique de prévention est bien plus efficace en la matière.

De la même manière, je comprends l'objectif général de lutte contre la maltraitance animale de cette proposition de loi.

Un ensemble de dispositions du code rural et de la pêche maritime, du code pénal et du code de procédure pénale répriment déjà les sévices graves, les actes de cruauté, l'abandon, les expériences illicites, les atteintes volontaires et involontaires à la vie de l'animal, ainsi que les mauvais traitements. Nous nous assurons de fixer les orientations et suivons la bonne application de cette politique pénale sur l'ensemble du territoire français.

La proposition de loi dont l'examen nous réunit aujourd'hui prévoit de modifier les articles 521-1 et 522-1 du code pénal.

L'article 521-1 tend à réprimer les sévices graves et les actes de cruauté envers un animal : « Le fait, publiquement ou non, d'exercer des sévices graves ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. » Il prévoit un certain nombre de circonstances aggravantes, en particulier si ces actes sont commis en présence d'un mineur.

Quant à l'article 522-1, il sanctionne « le fait, sans nécessité, publiquement ou non, de donner volontairement la mort à un animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité ».

Ces deux articles excluent néanmoins l'application de ces infractions pour les courses de taureaux et les combats de coqs en cas de « tradition locale ininterrompue ». Cette notion est strictement encadrée, notamment par un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 10 juin 2004, qui a fait date.

Ainsi, l'exigence d'une tradition « locale » doit faire l'objet d'une appréciation relativement stricte, qui nécessite de constater l'existence de la tradition non pas dans la localité voisine, mais bien dans celle qui est en cause.

Quant au terme « ininterrompue », il implique que l'organisation de courses de taureaux soit régulière, ce qui interdit de constater cette tradition lorsqu'aucune course n'a été organisée depuis un grand nombre d'années.

La persistance d'une tradition taurine peut toutefois être déduite de l'intérêt que lui porte un nombre suffisant de personnes, comme l'a décidé la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 7 février 2006.

Une tradition locale ininterrompue permettant la tenue de courses de taureaux a ainsi été reconnue pour certaines communes des régions Nouvelle-Aquitaine, Occitanie et Sud – Provence-Alpes-Côte-d'Azur.

Les territoires concernés par les combats de coqs couvrent une cinquantaine de communes des départements du Nord et du Pas-de-Calais, mais aussi La Réunion, la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et la Polynésie française.

C'est bien la preuve du caractère circonscrit du périmètre géographique concerné.

Le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur cette question. Dans une décision du 21 septembre 2012, il a jugé que l'exclusion de responsabilité pénale applicable uniquement dans les parties de territoire national où une tradition ininterrompue est établie ne méconnaissait pas le principe d'égalité devant la loi pénale, dès lors que « la différence de traitement instaurée par le législateur entre agissements de même nature accomplis dans des zones géographiques différentes est en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ».

L'étude attentive de la jurisprudence démontre, de même, que le Conseil constitutionnel a entendu exercer un contrôle sur la nature même de la pratique.

À l'occasion de l'examen de l'incrimination de la création de nouveaux gallodromes, prévue au huitième alinéa de l'article 521-1 du code pénal, le juge constitutionnel a déclaré une telle incrimination conforme à la Constitution, considérant que « si le législateur a entendu, tant pour les courses de taureaux que pour les combats de coqs, fonder l'exclusion de responsabilité pénale sur l'existence d'une tradition ininterrompue, il s'agit toutefois de pratiques distinctes par leur nature ; qu'il ressort des travaux préparatoires de la loi du 8 juillet 1964 susvisée que le législateur a entendu encadrer plus strictement l'exclusion de responsabilité pénale pour les combats de coqs afin d'accompagner et de favoriser l'extinction de ces pratiques ; qu'en interdisant la création de nouveaux gallodromes, le législateur a traité différemment des situations différentes ».

Là aussi, la jurisprudence est venue encore restreindre le périmètre concerné et trouver un point d'équilibre qu'il serait préjudiciable de venir bousculer.

La proposition de loi tend à interdire aux mineurs de seize ans l'accès aux courses de taureaux et aux combats de coqs, alors que le droit en vigueur ne contient aucune restriction d'âge.

Il est nécessaire d'avoir à l'esprit le fait que cette disposition, au-delà du bouleversement de l'équilibre jurisprudentiel évoqué, pourrait avoir un effet secondaire important, puisqu'elle sous-tendrait un contrôle de l'âge légal des participants, mesure lourde, contraignante, qui n'existe – je le redis – nullement jusqu'à présent et qui n'apparaît pas proportionnée. Cet effet de bord serait d'autant plus marqué que, s'agissant des combats de coqs, l'accès est libre, sans vente de billets.

En conclusion, le Gouvernement, s'il partage les préoccupations légitimes liées à l'intérêt supérieur de l'enfant et à la lutte contre la maltraitance animale, n'estime pas que les dispositions proposées soient à même d'atteindre l'objectif visé. Au contraire, celles-ci remettent en question l'équilibre jurisprudentiel et pourraient entraîner des effets de bord non négligeables. C'est pourquoi le Gouvernement est défavorable à l'adoption de cette proposition de loi. (Applaudissements sur des travées des groupes RDPI, SER, INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Laurent Burgoa. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Burgoa. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, quelle ne fut pas ma surprise de voir qu'une telle proposition de loi avait été déposée alors même que notre pays connaît bien des difficultés.

Vous l'aurez compris à mon accent : je vous parlerai surtout de la corrida. Je conçois parfaitement, et je le dis sans ironie aucune, qu'une personne qui n'a pas été initiée à la tauromachie puisse être troublée. C'est d'ailleurs ce trouble qui en fait un art aussi populaire, comme en témoigne la fréquentation de nos arènes.

La corrida et ses acteurs ont pour tutelle le ministère de la culture. Ce n'est pas anodin, car il s'agit là d'un pan de notre culture que l'on voudrait pouvoir librement transmettre aux jeunes générations. Comme toute culture, elle nécessite que l'on s'y intéresse sans préjugés afin de l'apprécier pleinement ; or je doute qu'elle soit connue d'un grand nombre de ses détracteurs. Les arènes sont l'aspect le plus connu de la tauromachie, mais il faut savoir que celle-ci est née d'un culte du taureau, qui remonte à l'Antiquité.

J'invite chacun d'entre vous à visiter un élevage de toros bravos, lieu où les jeunes aficionados se familiarisent avec cette culture. Vous y verrez des taureaux qui ne sont pas ceux du salon de l'agriculture : sans les férias, leur race ne serait jamais parvenue jusqu'à nous. Ils vivent en semi-liberté en terre de Camargue, choyés par les éleveurs – à qui je souhaite rendre hommage tant ils sont en proie à d'importantes difficultés.

Bien qu'ils se battent régulièrement entre eux, ces taureaux mènent une vie bien plus paisible, et surtout plus libre, que leurs congénères destinés à l'abattoir. Leur mort, nous la souhaitons digne d'eux ; nous ne détournons pas le regard, mais cherchons, autant que possible, à la magnifier. Étrangement, dans une société toujours plus aseptisée et numérisée, où l'on parle de plus en plus de transhumanisme, la corrida et son récit trouvent davantage de sens et nous interrogent sur notre rapport à la mort, et donc à la vie.

Les aficionados, dont je fais partie, n'ont jamais manifesté une quelconque volonté de prosélytisme dans les différents départements où ils se trouvent. Ils souhaitent simplement que cette culture soit respectée et puisse être transmise, comme cela a toujours été le cas.

Les collectivités membres de l'Union des villes taurines françaises (UVTF) n'ont d'ailleurs pas attendu le législateur pour prévoir, à l'article 30 du règlement taurin, que les mineurs de moins -de 12 ans doivent être accompagnés.

Notre pays rencontre de nombreuses difficultés, mais je vous prie de croire, mes chers collègues, que la culture taurine n'en est pas une. Si vous souhaitiez souligner une certaine impuissance à régler les difficultés quotidiennes des Français, si vous souhaitiez nous diviser davantage, du nord au sud en passant par les outre-mer – je pense aux combats de coqs –, vous ne vous y seriez pas pris autrement ! Respectons nos identités et notre culture, et laissons aux parents le choix de celles qu'ils veulent transmettre.

Je me réjouis du rejet de ce texte par notre commission des lois et remercie sincèrement M. le rapporteur Louis Vogel de son écoute. Passons à des sujets plus préoccupants pour notre pays et rejetons ce texte, ce que fera très majoritairement le groupe Les Républicains, même si quelques-uns de ses membres auront un vote différent. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE. – MM. Jean-Pierre Grand, Denis Bouad et Pierre Ouzoulias applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi présentée par mes collègues Samantha Cazebonne et Arnaud Bazin, que nous examinons aujourd'hui, permet d'aborder des sujets de société qui, malgré les apparences, ne sont pas foncièrement opposés : la protection des mineurs et le respect des traditions culturelles de notre pays.

Je sais que beaucoup d'entre vous se positionnent contre l'interdiction de la corrida et des combats de coqs en présence de mineurs de moins de seize ans. Je remercie mes collègues d'avoir déposé leur texte, qui nous permet d'avoir un débat démocratique sur ces enjeux dans notre hémicycle. L'ayant moi-même cosigné, je commencerai par exposer les raisons pour lesquelles il mérite d'être débattu.

Comme l'exposé des motifs de la proposition de loi l'indique, le code pénal comporte de nombreuses dispositions protégeant les mineurs de messages ou d'images, quels qu'ils soient, à caractère violent. Or les corridas et les combats de coqs peuvent être violents et sanglants, et débouchent généralement sur la mise à mort d'un animal.

L'encadrement de la diffusion de ces pratiques auprès des mineurs existe lorsque ces événements sont diffusés à la télévision ou en ligne, mais pas dans la vie réelle. Pourquoi ne pas protéger nos enfants de cette violence, alors que le droit français prémunit déjà les mineurs contre une trop grande exposition à la violence virtuelle dans les films ou les jeux vidéo ?

Bien que je sois favorable à la mise en cohérence de notre législation, je comprends les réticences de celles et ceux qui craignent que le texte porte atteinte à l'autorité parentale, et surtout à la liberté de chaque parent d'éduquer ses enfants comme il l'entend.

La tauromachie et les combats de coqs sont des pratiques profondément ancrées dans le patrimoine culturel français. Il est légitime de vouloir préserver cet héritage ; par conséquent, il est fondé de ne pas chercher à s'ingérer dans le parcours éducatif des familles, et de laisser le choix plein et entier aux parents de transmettre ces traditions à leurs enfants.

Je reconnais aussi la complexité soulevée par l'argument de la discrimination. Interdire aux mineurs l'accès aux arènes tout en leur permettant de participer à d'autres activités impliquant la mise à mort d'animaux, comme la chasse, pourrait ainsi être perçu comme une atteinte au principe d'égalité. Cette contradiction mérite notre attention, ne serait-ce parce qu'elle pourrait nuire à la crédibilité du texte.

D'un point de vue économique, il est indéniable que les écoles de tauromachie et les élevages de taureaux représentent un secteur d'activité qui crée des emplois dans nos territoires. En outre, les écoles taurines ne se contentent pas de former de futurs toreros : elles transmettent également des valeurs de discipline, de courage et de respect et participent à l'ancrage culturel de nos territoires. Nous ne pouvons pas ignorer l'impact financier de l'interdiction de la corrida aux mineurs pour ces écoles et pour les passionnés qui, depuis des générations, font vivre cette culture.

Cela vaut également pour les combats de coqs, encore autorisés dans certains départements comme la Guadeloupe, où de nombreuses personnes se réunissent chaque année, lorsque c'est la saison, pour des moments conviviaux.

Cependant, mes chers collègues, il est essentiel de se demander si une tradition peut justifier l'exposition des enfants à des scènes montrant parfois une violence crue. Nos sociétés évoluent, et il est parfois nécessaire de réévaluer certaines pratiques culturelles à l'aune des valeurs que nous défendons aujourd'hui. Encourager l'évolution de nos traditions n'est pas synonyme d'une éradication de notre patrimoine ; c'est, au contraire, leur offrir une voie de renouvellement et leur permettre de s'inscrire dans la modernité.

Cette question délicate nous incite à trouver un équilibre entre la préservation de notre patrimoine culturel et la nécessité de protéger nos mineurs et de favoriser le bien-être animal.

Malgré les avis contradictoires, qu'il convient de considérer avec respect, j'espère que nous débattrons de manière éclairée des enjeux de ce texte.

Le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants est partagé. Chacun aura la liberté de vote sur ce texte et suivra la boussole de sa conscience. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – MM. Laurent Somon et Christopher Szczurek applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Sophie Briante Guillemont. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la corrida et les combats de coqs sont définis, en droit français, comme des actes de cruauté bénéficiant d'une exception pénale en cas de tradition locale ininterrompue.

Je sais à quel point cette assemblée est attachée à la défense des territoires et de leurs traditions locales, dont la corrida fait incontestablement partie. Ainsi, les fêtes taurines sont devenues des corridas ritualisées à partir du XVIe siècle, à la faveur d'une convergence entre facteurs sociaux et volonté politique. Ce sont en réalité les rois catholiques espagnols qui, les premiers, ont utilisé ce spectacle comme un outil d'unification de leurs différents royaumes.

N'oublions donc pas que ce que l'on nomme tradition a des racines politiques, et que la forme actuelle de la corrida est le résultat de son adaptation aux multiples prohibitions, venant aussi bien de l'Église que des autorités qui se sont succédé, auxquelles elle a été confrontée au cours des siècles.

Car la corrida n'a jamais fait l'unanimité. Elle a toujours eu ses détracteurs, et c'est parce qu'elle a eu des détracteurs qu'elle s'est transformée.

Ainsi, la proposition de loi portée par notre collègue Samantha Cazebonne – je tiens d'ailleurs à saluer son initiative, ne serait-ce que parce qu'elle nous permet de débattre de ce sujet – prévoit une nouvelle forme d'adaptation. Il s'agit non pas d'interdire une tradition, mais de l'encadrer et de la mettre en conformité avec notre sensibilité actuelle, ce qui est singulièrement différent.

Je ne crois pas, comme certains d'entre vous ici, que le fait de s'intéresser à la perception des mineurs soit une excuse ou un précédent pour aller vers une interdiction généralisée.

Je trouve d'ailleurs étrange, après le vote hier, dans cet hémicycle, d'un texte en faveur de la protection des enfants, que l'on crie aujourd'hui que cette protection ne serait qu'un leurre. Et quand bien même, qu'est-ce qui est le plus important ? Pour le législateur, compte tenu des mœurs d'aujourd'hui, ce devrait être l'enfant, toujours l'enfant.

Je comprends, et je partage, les inquiétudes que soulève ce texte – je pense surtout à ses insuffisances juridiques. Plusieurs amendements tendent à les corriger. Mais, au fond, le sens du dispositif proposé est très simple : modifier le code pénal afin que seules les personnes de plus de 16 ans puissent assister aux spectacles de tauromachie et aux combats de coqs.

Pourquoi ? Car assister à ces spectacles, d'une violence certaine et d'une cruauté déjà reconnue par la loi, n'a absolument rien d'anodin. Comme nous y invite la CIDE, un seul commandement doit nous guider : l'intérêt supérieur de l'enfant.

De fait, le Comité des droits de l'enfant de l'ONU a fait part de sa préoccupation concernant l'état émotionnel des enfants spectateurs exposés à la violence de la tauromachie. C'est à la demande de ce comité que l'Équateur a interdit l'accès des mineurs à ces spectacles, de même que plusieurs États du Mexique, dont celui de Veracruz, ou encore le Portugal. Cette question est donc loin de faire l'unanimité parmi les pays de tradition taurine.

S'il est vrai qu'aucune analyse poussée n'a été réalisée spécifiquement sur ce sujet, de nombreuses études démontrent les conséquences délétères sur les plus jeunes de la vue d'actes de cruauté envers les animaux, ce qu'ont confirmé les pédopsychiatres auditionnés par le rapporteur.

Toutefois, j'interviens au nom de mon groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE). Aussi me dois-je de défendre les arguments contraires de mes collègues, qui rejoignent largement ceux que nous avons déjà entendus.

Tout d'abord, l'on voudrait encore une fois se substituer à l'autorité parentale, qui ne cesse de reculer alors que nous devrions faire confiance aux parents, lesquels savent mieux que nous ce qui est bon pour leurs enfants. D'ailleurs, il serait préférable que nous réglementions l'accès aux écrans plutôt qu'aux spectacles.

Ensuite, l'on relève l'absence de logique à vouloir voter un texte sur des pratiques qui concernent uniquement les taureaux et les coqs. Pourquoi ne pas légiférer sur le bien-être animal dans son ensemble ?

Enfin, l'on cite l'absence de concertation avec les principaux intéressés.

Ces arguments ne m'ont pas convaincue. J'y insiste, le seul intérêt de ce texte réside dans une meilleure protection des enfants.

Pour toutes les raisons que je viens d'évoquer, les membres du groupe du RDSE voteront, comme à leur habitude, librement sur ce texte, qui aura eu le mérite de nous faire débattre franchement. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, RDPI et GEST. – MM. Arnaud Bazin et Christopher Szczurek applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Florennes. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Isabelle Florennes. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, 3 228 milliards d'euros de dette publique, les ravages du narcotrafic, les enjeux migratoires et écologiques : je pourrais évidemment continuer la liste des défis majeurs qui sont devant nous et qui donnent déjà lieu à des échanges vifs et animés.

Dans une période où le débat public est souvent très tendu, avec une Assemblée nationale morcelée, y avait-il urgence à se préoccuper de l'accès des mineurs aux corridas et aux combats de coqs ? Avant d'aborder le fond du débat, je pense qu'il est légitime de se poser cette question.

Mme Isabelle Florennes. À une très large majorité, notre groupe considère que, non, cela n'est pas le plus urgent et que, oui, cela pourrait raviver des tensions dont nous n'avons pas besoin en ce moment.

M. Christopher Szczurek. C'est absurde !

Mme Isabelle Florennes. Ces tensions sont d'autant plus certaines que le débat est en réalité semé de faux semblants.

En effet, la cible n'est pas celle qui nous a été présentée par les auteurs de la proposition de loi. In fine, le véritable enjeu – chacun ici l'a bien compris –, c'est l'interdiction des corridas et des combats de coqs, moins par souci de protection des mineurs que pour défendre une certaine vision de la condition animale. Cette position peut être défendue par certains et est parfaitement légitime, mais encore faut-il le dire clairement et l'assumer.

Si nous partageons de toute évidence la volonté de protéger les enfants, les mesures présentées ne constituent pas, en tout état de cause, la voie adéquate pour atteindre cet objectif.

Bien entendu, il ne s'agit en aucun cas de nier le caractère violent des spectacles de combats d'animaux. Cependant, nous partageons les nombreux griefs exprimés par le rapporteur Louis Vogel, qui a rappelé, comme il l'avait fait la semaine passée en commission, les importantes difficultés de droit et de fait que soulève le texte, le rendant inadapté et inopportun.

Je vois plusieurs raisons à cela.

Tout d'abord, nous regrettons que la proposition de loi mêle plusieurs situations qui, pourtant, sont distinctes à bien des égards. Ainsi, nous ne saurions appliquer un dispositif pénal identique aux corridas et aux combats de coqs, dans la mesure où ces activités présentent des différences non seulement pratiques, mais aussi territoriales et culturelles. Par exemple, si l'extinction du combat de coqs représente un objectif pour le législateur, les courses de taureaux font l'objet d'un régime moins restrictif – en témoigne la possibilité de construire de nouvelles infrastructures taurines.

Par ailleurs, comme cela a été évoqué en commission, le combat de coqs, spécialement dans les outre-mer, correspond à une activité d'adultes : c'est en tout cas ce que montrent les travaux de notre rapporteur. En outre, il s'agit généralement de manifestations en libre accès, souvent associées à des paris. En contrôler l'accès serait coûteux et difficile alors même que nous ne disposons d'aucune certitude quant à l'intérêt d'un tel dispositif, puisqu'il est fait état d'une très faible présence de mineurs.

Mais, de manière plus pragmatique, l'on voit bien qu'un tel encadrement pourrait, tout simplement, aboutir au développement de combats illégaux. Tentons d'éviter de favoriser de telles dérives, mes chers collègues…

De même, il conviendrait de distinguer les courses de taureaux avec ou sans mise à mort, là où le texte, de manière peu subtile, prévoit une interdiction globale.

Enfin, nous pourrions dissocier les cas du mineur spectateur de celui qui participe au spectacle, car ces deux situations ont des conséquences différentes sur l'enfant.

Sur le plan pénal, plusieurs difficultés se posent, à commencer par la question de la responsabilité, qui incomberait de manière disproportionnée à l'organisateur de l'événement en cas de présence d'un mineur. Qu'en est-il du jeune qui aurait enfreint la loi et de ses parents ?

En outre, la présence d'un mineur aurait pour conséquence de requalifier les corridas et les combats de coqs en sévices graves envers les animaux, entraînant de fait de lourdes peines et ouvrant la voie à une interdiction de principe. Cela n'est tout simplement pas entendable, sauf à assumer clairement qu'il s'agit bel et bien là de l'objectif recherché.

Par ailleurs, au-delà de la problématique de la responsabilité des parents, se pose la question de leur appréciation, puisqu'une telle interdiction limiterait de facto l'exercice de l'autorité parentale.

Enfin, ainsi que nous l'avons évoqué en commission, comment pouvons-nous envisager d'intervenir dans des traditions locales sans consulter les acteurs de terrain ? Cela vaut pour les régions métropolitaines de tradition taurine, mais aussi, bien sûr, pour les nombreux territoires ultramarins où la tradition des combats de coqs est encore très implantée. Le Sénat, chambre des territoires, enverrait alors un message totalement en décalage par rapport à ce qu'il tente toujours de faire : privilégier le dialogue et la concertation locale. Ce serait la caricature d'une décision venue d'en haut, sans concertation.

Si des adaptations doivent être trouvées, notamment pour protéger les mineurs, cela ne peut que s'accompagner, j'y insiste, d'une concertation au niveau local, ce qui ne nécessite pas de modification du code pénal.

Je terminerai en saluant le travail précis et éclairant de notre collègue Louis Vogel. Sa mission n'était pas aisée, mais il a su trouver les arguments aussi bien juridiques que politiques pour nous démontrer le caractère inopportun de la proposition de loi.

Pour l'ensemble de ces raisons, les sénateurs du groupe Union Centriste voteront très majoritairement contre le texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Loïc Hervé. Évidemment !

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, spectacle culturel pour certains, infâme torture pour d'autres, la corrida et les combats de coqs sont de ces sujets qui font débat, parfois jusque tard dans la nuit, qui divisent et qui, en occupant notre ordre du jour de ce soir, nous invitent à nous poser une question différente de celle à laquelle beaucoup souhaiteraient pourtant répondre.

La dérogation introduite dans le code pénal en 1951 autorise ces représentations, lesquelles font partie intégrante de la culture catalane, de celle du Sud-Ouest, de l'Occitanie et de la Provence pour la corrida, sans pour autant obliger les habitants de ces régions à y assister tous les week-ends. Nous pourrions nous interroger sur la pertinence de maintenir une telle dérogation. Pour celles et ceux qui y sont attachés, la réponse sera forcément affirmative. Conformément à la loi, sont concernés les territoires où l'on retrouve une « tradition locale ininterrompue ».

Les corridas sont d'ailleurs plus facilement encadrées que les combats de coqs, pour la simple raison qu'il est plus facile d'organiser ces derniers au fond de son jardin ou dans un vieil entrepôt, et qu'il est plus simple de dissimuler un coq dans un sac qu'un taureau… (Sourires.) De là naît une certaine incompréhension autour de ce texte qui, en mélangeant deux pratiques différentes, saute du coq au taureau. (Nouveaux sourires.) N'oublions d'ailleurs pas que les combats de coqs n'intègrent pas de participation humaine.

Mais la question d'aujourd'hui n'est pas celle de la culture, puisque les auteurs du texte abordent davantage la composition du public que le spectacle proprement dit. Faut-il interdire aux mineurs d'être présents ? Derrière cette question, il y en a une autre : est-ce à nous de l'interdire, plutôt qu'aux parents qui le souhaiteraient ?

Si nous légiférons sur ce point, comme cela nous est demandé, nous déciderions alors à leur place de ce qui est une bonne ou une mauvaise activité pour leur famille, en partant du principe qu'il y aurait un danger pour les enfants à assister à une corrida ou un combat de coqs. Or le danger est d'abord pour ceux qui se trouvent dans l'arène : le taureau bien sûr, mais aussi les toreros.

Le sujet de l'empreinte psychologique que laisse une corrida, même occasionnelle, est semblable à celui de l'accusation faite aux jeux vidéo pratiqués quotidiennement de rendre les enfants violents. Sans trancher dans un sens ou dans l'autre, une chose est certaine : les jeux vidéo sont toujours autorisés, et même considérés comme des œuvres culturelles, faisant l'objet de nombreux salons.

Là aussi, nous faisons confiance aux parents pour encadrer, réguler et décider de la pratique de leurs enfants, et nous ne mettons pas au même niveau les actes de violence sexuelle et ce qui se produit durant une corrida ou un combat de coqs.

Certes, le fait d'assister à une corrida peut parfois conduire à un rejet de cette pratique, mais cela peut aussi éveiller des passions et pousser certains enfants à vouloir entrer plus tard dans l'arène, après être passés par une école et avoir appris les règles de cette culture. C'est d'ailleurs ainsi que s'est perpétuée la tradition qui justifie l'inscription de cette exception dans la loi.

Dans les communes où l'on trouve des arènes, les enjeux touristiques sont aussi centraux, pour les corridas d'abord, mais aussi pour tout ce qu'il y a autour et pour les retombées économiques qui en découlent. Priver les familles de ces spectacles auxquels elles souhaitent se rendre, que ce soit par passion, par curiosité ou pour se forger une opinion, c'est aussi priver ces territoires d'une forme d'attractivité, sans les avoir consultés.

Dans l'ensemble, vous l'aurez compris, mes chers collègues, ce texte ne nous a pas convaincus. La question posée n'est pas à la hauteur des enjeux auxquels est confronté notre pays, qui se fracture et s'oppose, du nord au sud, entre jeunes et vieux, entre villes et campagnes.

Le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky votera majoritairement contre cette proposition de loi, même si la liberté de vote, inscrite dans les statuts de notre groupe, reste la règle. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées des groupes SER, UC et Les Républicains. – M. Henri Cabanel applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, est-il bien légitime de défendre l'intérêt supérieur de l'enfant en le préservant d'un spectacle cruel, s'interrogeait une oratrice précédente, alors que notre dette dépasse les 3 000 milliards d'euros ? Bien plus, il me semble, que de s'interroger sur l'interdiction du voile chez les accompagnateurs scolaires… (M. Max Brisson ironise.)

Alors que le code pénal condamne l'exposition d'un enfant à des contenus violents impliquant des animaux et le commerce de tels contenus, ces mêmes enfants, censés être protégés, peuvent assister à une corrida, dont le droit ne nie pas qu'elle constitue un acte de maltraitance et de cruauté, mais le tolère au nom de la tradition.

Ainsi, j'y insiste, alors qu'une disposition protège les enfants de l'exposition à la violence, une autre, qui ne réfute pas la violence de la corrida, la permet. Comment accepter cette contradiction ?

D'autres pays, comme l'Équateur, ont fait un choix clair en interdisant les corridas aux mineurs, se conformant ainsi aux recommandations du Comité des droits de l'enfant de l'ONU, qui s'est dit « préoccupé par l'état de santé mentale des enfants exposés à la violence de la tauromachie ».

En 2016, le même comité demandait à la France de « redoubler d'efforts pour faire évoluer les traditions et les pratiques violentes qui ont un effet préjudiciable sur le bien-être des enfants, et notamment d'interdire l'accès des enfants aux spectacles de tauromachie ». Or cela n'a pas abouti à la disparition totale de la corrida dans ces régions, à l'inverse de ce que prétend l'UVTF, qui n'hésite pas à parler d'« ethnocide » : il s'agit simplement de respecter les fondamentaux de la protection de l'enfance.

Contrairement aux dires de l'UVTF, ces recommandations s'appuient sur de nombreux travaux qui ont démontré un lien entre l'exposition à des actes de cruauté envers les animaux et le fait d'en commettre – le risque est multiplié par huit, selon une étude de l'Université de New York. Cette probabilité que les enfants ou les adolescents perpétuent des actes violents résulte d'un apprentissage par l'observation de faits de maltraitance réalisés ou approuvés par leurs proches.

Des études, comme celle de l'université de Madrid en 2009, montrent clairement que la majorité des enfants réprouvent spontanément la corrida. Ces derniers sont soumis à un conflit émotionnel, source d'anxiété, lorsque leurs émotions de chagrin, d'empathie et de réprobation morale face à la souffrance infligée à l'animal sont confrontées à l'approbation et à la joie manifestées par leurs proches de référence. Tout cela est bien documenté.

Une fois passé le traumatisme initial, l'exposition répétée à ces spectacles peut s'avérer préjudiciable, car l'attitude approbatrice des proches de référence produit l'effet d'une forme d'apprentissage. Cela entraîne, selon les études, une perturbation des valeurs, une diminution de l'empathie et une fragilisation du sens moral, qui peuvent les pousser à réaliser eux-mêmes des actes répréhensibles envers les animaux ou même les humains. Des études ont ainsi démontré que « le fait d'être témoin de maltraitance animale est un facteur prédictif […] pour […] le harcèlement scolaire chez les enfants ».

Allons-nous continuer d'ignorer ces éléments, bien documentés, et le droit pénal sous le seul prétexte de l'existence de traditions ?

La protection de l'enfance repose sur le fait, avéré, que l'exposition à des actes de violence contrevient au bon développement de l'enfant. Il n'est plus acceptable que la corrida, dont la seule justification légale est d'être une tradition ininterrompue, échappe à l'ensemble des prescriptions morales et juridiques de la protection de l'enfance : celle-ci doit pouvoir s'appliquer en toute chose et partout.

Le groupe écologiste avait récemment déposé une proposition de loi semblable à celle que nous examinons. Dans notre exposé des motifs, nous développions longuement nos arguments.

C'est donc sans surprise, par souci de défendre les principes qui fondent la protection de l'enfance et la lutte contre la maltraitance animale, que nous voterons ce texte. Nous remercions le groupe RDPI de l'avoir inscrit dans sa niche parlementaire aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe RDPI. – Mme Sophie Briante Guillemont et M. Christopher Szczurek applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, …

M. Loïc Hervé. Vous allez nous parler des corridas à Paris ?

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. … je m'exprime au nom de mon groupe, le groupe socialiste, qui, une fois n'est pas coutume, ne votera pas de manière unanime puisqu'il est partagé, de manière quasi parfaite, entre ceux qui sont favorables à cette proposition de loi et ceux qui y sont défavorables.

On peut regretter que nous n'assumions pas de débattre du véritable sujet. J'ai salué, en commission, le grand talent d'équilibriste de notre collègue Louis Vogel, qui a trouvé des arguments juridiques pour s'opposer à cette proposition de loi. Certains l'ont salué, mais cela nous amène à contourner le vrai sujet, qui est – soyons francs ! – de savoir si l'on est pour ou contre la corrida.

Je me permettrai de parler également des combats de coq, mais de manière moins enflammée, même si, au fond, le raisonnement est le même.

Mme Laurence Rossignol. Vous n'en avez jamais vu !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Pour ma part, je voterai ce texte, mais je souhaite présenter les arguments de mes collègues, dont certains sont présents et s'exprimeront sans doute tout à l'heure, qui s'opposent à cette proposition de loi.

Les orateurs précédents ont évoqué – je n'y reviendrai donc pas – la tradition, l'identité locale, l'activité économique.

Qui n'a jamais vu de corrida ne peut pas comprendre de quoi on parle. Pour ma part, j'y ai assisté : ces spectacles sont absolument époustouflants, et l'ambiance est inouïe. J'ai presque envie de dire, y compris à ceux qui ne sont pas favorables aux corridas, qu'il faut un jour y assister pour voir comment cela se passe, assister à l'entrée des toreros, les regarder faire avec le pied un signe de croix et porter la coiffe s'ils ont déjà toréé dans cette arène. Et je ne parle pas de l'ambiance générale, des fanfares, des paso doble, etc.

On peut aussi évoquer l'argument de l'activité économique. En revanche, je mettrai de côté l'argument relatif à l'autorité parentale. Nous avons débattu hier d'un texte sur la protection des enfants. On ne peut pas, à la fois, trouver normal que la vente d'alcool ou les jeux de hasard soient interdits aux mineurs, que l'accès à certains films soit réservé aux plus de 16 ans, et considérer que, en l'espèce, l'autorité parentale serait toute puissante. À chaque fois que nous nous sommes efforcés d'agir pour la protection des enfants, nous avons défendu l'idée que la société devait parfois s'intéresser à la façon dont les mineurs sont traités par leurs propres parents.

Cependant, rien ne peut se faire sans discussion, sans partage, avec les populations concernées. Je le répète, même si cela paraîtra paradoxal car je voterai ce texte, il faut avoir assisté à une corrida pour se faire une opinion sur le sujet.

Les arguments en faveur de la proposition de loi sont importants : la protection des enfants, la prévention de l'accoutumance à la violence. Nous cherchons constamment au Sénat à faire en sorte que les enfants ne considèrent pas comme normales les agressions en tous genres, quelles qu'elles soient. Cette acclimatation à la violence passe notamment par les jeux vidéo, les films, les comportements.

La proposition de loi soulève évidemment la question de la condition animale, qui a émergé dans le débat public de manière beaucoup plus prégnante depuis un certain nombre d'années. Cet argument a toutefois ses limites. Lorsque l'on assiste à une corrida, il y a des moments pénibles, en effet, mais c'est un combat entre un animal et un homme, lequel risque aussi sa vie. Il est important de prendre en compte la condition animale, mais je dirai aussi à ceux qui considèrent que toute mise à mort d'un animal est insupportable qu'ils doivent, dans ce cas, aller jusqu'au bout de leur raisonnement et devenir véganes.

Le sujet est compliqué ; c'est pourquoi je préférerais qu'on assume franchement d'en débattre, plutôt que de nous livrer à des contorsions juridiques difficiles à suivre.

Certains pays ont réussi à modérer ces pratiques. C'est d'ailleurs d'ores et déjà le cas en France, puisque les corridas sont interdites, sauf lorsqu'elles sont autorisées au nom des traditions locales. Celles-ci sont parfaitement identifiées territorialement : certains représentants des régions concernées sont d'ailleurs présents dans cet hémicycle.

Voilà pourquoi les membres du groupe socialiste, selon qu'ils sont attachés à tel ou tel aspect, voteront de manière différenciée.

Ce sujet, dit-on, ne semble pouvoir donner lieu qu'à des positions inconciliables. Mais peut-être trouvera-t-on une solution avec le temps.

Notre vote sera donc partagé. Pour ma part, il sera favorable, et je remercie les collègues de mon groupe qui m'ont fait confiance pour traiter cette proposition de loi, dont la présentation était, d'ailleurs, extrêmement aisée… (Sourires. –  Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDPI.)

M. Loïc Hervé. C'était parfait !

M. le président. La parole est à M. Christopher Szczurek.

M. Christopher Szczurek. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, pour une fois je m'exprimerai à titre personnel, et non pas au nom de la formation politique que je représente habituellement ici.

J'ai des convictions animalistes profondes et ancrées. Si je n'ai, par exemple, jamais assimilé la chasse à de la violence gratuite, il me paraît délicat de mettre les pratiques visées par ce texte dans le même sac.

J'ai un profond problème avec les violences inutiles et symboliques. Si l'usage de celles-ci peut évidemment se comprendre dans la fiction, pour des raisons d'expression et d'illustration du propos, il me semble que l'ultraviolence est déjà suffisamment présente dans notre société pour que l'on fasse l'économie d'un esthétisme morbide, à plus forte raison lorsqu'est en jeu l'exposition des mineurs.

Évitons d'utiliser des exutoires sensibles et vivants, qui n'ont rien demandé. Les mêmes qui nous disent qu'il ne faut pas humaniser l'animal à outrance sont ceux qui nous expliquent qu'il est glorifié et honoré dans la corrida, afin de chercher à parer celle-ci de noblesse.

Vous admettrez toutefois qu'une fois qu'il a été dépecé, débité et servi dans les barquettes de la grande distribution, l'animal n'éprouve qu'une faible reconnaissance à l'honneur qui lui a été rendu !

Ce débat soulève la question du rapport à la tradition, considérée par certains comme un ennemi systématique, par d'autres comme un dogme à préserver quoi qu'il en coûte. À mon sens, celle-ci n'est ni l'un ni l'autre : la tradition n'est pas bonne par nature. Ce qui fait une civilisation, c'est aussi la manière dont elle garde les traditions bienfaitrices et écarte progressivement les autres. Le législateur a évidemment son mot à dire en la matière.

Après tout, les ordalies et l'écartèlement ont été des traditions judiciaires : on peut se féliciter qu'elles n'aient pas été préservées. Même la pensée conservatrice, dont je ne me réclame pas à titre personnel, sépare le bon grain de l'ivraie et ne voit pas dans toute tradition une sainte chose incontestable.

On pourrait par ailleurs s'interroger sur la réalité du caractère historique et traditionnel de la corrida en France, mais, vous l'admettrez, il ne me sera pas possible de le faire aujourd'hui puisque je ne dispose que de trois minutes de temps de parole.

Les auteurs du texte ont délibérément voulu aborder la corrida et les combats de coqs sous le prisme de la protection de l'enfance. Il me paraît dès lors délicat de ne pas souligner l'importance de la dignité animale.

Je ne suis ni végane ni antichasse, parce que je reconnais l'utilité sociale, alimentaire et régulatrice de certaines pratiques. Il ne me paraît toutefois pas honnête, là encore, d'avancer l'argument d'ordre économique et culturel de la préservation de la race des taureaux de combat pour justifier leur mise à mort.

Alors que des solutions de substitution, sans souffrance et sans mise à mort, existent, qui permettraient de maintenir les aspects culturels et économiques de cette pratique, elles sont systématiquement rejetées avec mépris et condescendance.

Quoi qu'il en soit, soyez assurés, mes chers collègues auteurs de la proposition de loi, de mon soutien personnel en cette occasion. Aucune formation politique n'est monolithique et la mienne respecte la liberté de conscience de chacun de ses membres. J'ai pu exprimer mon opinion, qui me semble rejoindre celui d'une forte majorité de nos compatriotes.

En conclusion, je profite de cette tribune pour féliciter et remercier tous ceux qui œuvrent quotidiennement, et souvent bénévolement, à faire en sorte que la dignité et la souffrance animales soient mieux prises en considération. (Mmes Samantha Cazebonne et Nicole Duranton, ainsi que M. Arnaud Bazin, applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Grand.

M. Jean-Pierre Grand. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, cette proposition de loi, dont le dispositif est juridiquement contestable, comme l'a brillamment démontré notre rapporteur, est perçue comme un texte d'abolition de la corrida et des combats de coqs.

Même si je respecte la liberté des groupes et si j'ai de la considération pour l'auteure de la proposition de loi, on peut s'interroger sur l'opportunité de débattre d'un tel texte. Celui-ci me semble déconnecté, et son examen nous oblige à consacrer un temps précieux pour aborder un sujet clivant, et surtout non prioritaire, dans un contexte politique, économique et social où le bloc parlementaire central doit faire face à l'activisme des extrêmes, lesquels n'ont qu'un seul but : celui de paralyser le fonctionnement normal de la Nation et de ses institutions.

Les partisans de l'abolition des corridas, un thème qui transparaît au travers de ce texte, ont un porte-parole, non pas dans notre hémicycle, mais à l'Assemblée nationale, en la personne du député de La France Insoumise Aymeric Caron, adversaire acharné de nos traditions taurines.

Cette proposition de loi est perçue par les populations de notre sud populaire – j'insiste sur le terme « populaire » – comme un texte discriminant, et non comme un dispositif à visée éducative pour les enfants.

Je suis élu de l'une des trois régions – l'Occitanie, la Nouvelle-Aquitaine et Provence-Alpes-Côte d'Azur – dans lesquelles les traditions taurines sont sacrées. Le droit français, et notamment le code pénal, que vous cherchez à modifier, mes chers collègues, reconnaît qu'il s'agit là d'une exception culturelle et tolère la corrida lorsqu'une tradition locale ininterrompue peut être invoquée.

Ne nous y trompons pas : sous couvert d'interdire l'entrée des arènes aux mineurs de moins de 16 ans, au prétexte de les protéger, cette proposition de loi n'est, en réalité, qu'un faux-nez pour interdire la corrida en France.

Depuis le milieu du XIXe siècle, la jeunesse du sud de la France assiste aux corridas et participe aux manifestations taurines. J'indique d'ailleurs, pour les historiens, que c'est la pratique de la corrida qui a permis de sauver les arènes d'Arles ou de Nîmes – il est bon de le rappeler !

Les territoires où perdurent ces traditions ne se distinguent aucunement par un surcroît de violences de la part des jeunes aficionados, qui libéreraient ainsi leur agressivité et qui auraient subi en plus des traumatismes… Aucune étude scientifique n'a démontré que les spectacles taurins présentaient un quelconque danger pour les enfants ni qu'ils avaient un impact négatif sur eux.

La vraie violence s'exprime ailleurs : sur internet, sur les réseaux sociaux, dans les jeux vidéo, dans les films – rien n'empêche ainsi les enfants de 12 ans de regarder Terminator à la télévision, un film horrible, dont on fait pourtant la promotion ! Tout cela pervertit le discernement d'une jeunesse au point de l'inciter à la violence, et même parfois à la criminalité. (M. Yan Chantrel, Mme Laurence Rossignol et M. Thomas Dossus ironisent.)

Laissons donc aux parents le droit sacré d'exercer leur autorité parentale et de juger si leurs enfants peuvent les accompagner aux arènes pour assister à une corrida, organisée dans le cadre juridique dérogatoire qui reconnaît cette tradition comme un patrimoine culturel immatériel.

Ne détruisons pas, par l'adoption de cette proposition de loi, la pratique de la tauromachie, qui irrigue toute une culture populaire dans nos territoires, entre la région des Garrigues et la Méditerranée, entre les Pyrénées et la Gascogne.

Les deux amendements de suppression que nous avons déposés constituent la traduction juridique logique du rapport adopté par la commission des lois, sur l'initiative de notre rapporteur.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera, dans sa totalité, contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – MM. Henri Cabanel et Denis Bouad applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Arnaud Bazin. (Mme Samantha Cazebonne applaudit.)

M. Arnaud Bazin. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, permettez-moi d'abord de remercier Samantha Cazebonne, dont la ténacité a permis l'inscription à l'ordre du jour de ce texte. Je remercie également notre rapporteur, qui a eu l'honnêteté de reconnaître que le dispositif proposé visait à protéger l'enfance. Je remercie enfin le président Patriat, qui a permis que l'on utilise la niche parlementaire de son groupe pour débattre de cette question.

Je voudrais immédiatement faire pièce à une critique, assez désagréable, qui a été formulée à plusieurs reprises, selon laquelle l'objectif des auteurs de cette proposition de loi serait en fait, de manière hypocrite, d'interdire la corrida.

Bien sûr, la plupart des cosignataires de ce texte sont hostiles à la corrida. Cependant, nous sommes lucides et conscients du rapport de force qui s'est manifesté à l'Assemblée nationale – chacun sait que la navette est obligatoire entre les deux chambres –, à tel point que le débat n'a même pas pu y avoir lieu sur cette question.

Doit-on pour autant s'interdire de limiter au moins les dégâts en faisant en sorte d'éviter que les mineurs ne soient exposés à des pratiques ? Je ne le crois pas. Nous pouvons chercher à agir en toute bonne foi. L'accusation d'atteinte à la sincérité me paraît donc singulièrement déplacée.

Je voudrais ensuite mener une analyse raisonnée, basée sur des faits, des constats statistiques, une analyse clinique, et m'extraire des aspects passionnels.

Évoquons l'aspect juridique. Aux termes de l'article 521-1 du code pénal, le fait d'exercer des sévices graves ou de commettre un acte de cruauté envers les animaux est passible de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. Ce n'est pas rien ! Des circonstances aggravantes sont également prévues, parmi lesquelles figure la présence de mineurs. Dans ce cas, mes chers collègues, on n'a pas eu de problème à introduire la protection des mineurs dans un texte visant à protéger les animaux... (Mme Samantha Cazebonne applaudit.) Je vous laisse méditer sur ce point.

Le code pénal prévoit également des dérogations pour la corrida dans dix départements, ce qui représente une soixantaine de communes.

La conclusion logique que nous pouvons en tirer est que les corridas sont considérées comme des actes de cruauté, des sévices graves. La présence de mineurs est reconnue comme nocive, puisqu'elle entraîne une aggravation des peines. La corrida est donc clairement caractérisée pour ce qu'elle est.

On nous oppose l'argument relatif à l'autorité parentale, mais celle-ci a déjà été battue en brèche, car le législateur est intervenu à plusieurs reprises pour protéger les mineurs. Les orateurs précédents ont déjà rappelé de nombreux éléments. J'ajouterai simplement que l'article D. 4153-37 du code du travail interdit d'affecter des mineurs de moins de 18 ans à des travaux d'abattage, d'euthanasie et d'équarrissage des animaux. Cela montre que le législateur avait la conviction qu'assister à de tels actes est vraiment nocif pour le développement psychologique des mineurs.

En outre, je tiens à apporter une petite précision juridique, car certains essaient de nous faire croire que l'adoption de la proposition de loi aboutirait à l'interdiction des courses de taureaux camarguaises ou landaises. Le terme « course de taureaux » est une traduction littérale de l'expression « corrida de toros », qui désigne la pratique des corridas espagnoles. En 1951, lorsque la dérogation a été votée, il a été acté qu'elle ne concernait que la course de taureaux. Les courses camarguaises et landaises ne donnent lieu à aucun acte de cruauté. Il n'y a donc aucun problème à légiférer comme nous proposons de le faire.

En ce qui concerne l'argument de la nocivité, je rappellerai simplement les statistiques. Plus de quinze études démontrent que lorsqu'un mineur est exposé de manière répétée à des actes de cruauté et de sévices, il est statistiquement davantage susceptible de commettre de tels faits. J'y insiste, c'est un acquis statistique.

Les psychiatres ont détaillé les mécanismes psychologiques à l'œuvre. On sait très bien comment cela se passe. Le mineur est soumis à un conflit de loyauté : un contexte joyeux se conjugue à la réalisation d'actes qui sont habituellement réprouvés par la société. Cela pose un problème psychique pour le développement de l'enfant. Les psychiatres que vous avez auditionnés, mes chers collègues, l'ont largement démontré.

Enfin, il y a le bon sens des parents, tout simplement ! Qui emmènerait spontanément son enfant voir des actes de cruauté ?

Mme Monique Lubin. Justement !

M. Arnaud Bazin. L'argument selon lequel interdire l'accès des mineurs à la corrida irait à l'encontre de cette pratique est totalement réversible : nous disons simplement que si l'on ne conditionne pas les mineurs à assister à des corridas, ils n'auront pas d'intérêt à aller en voir une fois devenus adultes. (Applaudissements sur des travées des groupes RDPI et du GEST – Mme Sophie Briante Guillemont et M. Yan Chantrel applaudissent également.)

M. le président. La discussion générale est close.

La commission n'ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.

proposition de loi visant à interdire la corrida et les combats de coqs en présence de mineurs de moins de seize ans

Article 1er

Le onzième alinéa de l'article 521-1 du code pénal est remplacé par trois alinéas ainsi rédigés :

« Le présent article n'est pas applicable, dès lors que les personnes présentes sont âgées de plus de seize ans :

« 1° Aux courses de taureaux lorsqu'une tradition locale ininterrompue peut être invoquée ;

« 2° Aux combats de coqs dans les localités où une tradition ininterrompue peut être établie. »

M. le président. La parole est à M. Arnaud Bazin, sur l'article.

M. Arnaud Bazin. Nous avons tenu compte de l'argument principal de la commission, qui est que la peine prévue dans la proposition de loi est disproportionnée.

Il y avait une logique, comme j'espère l'avoir démontré dans le temps qui m'était imparti lors de la discussion générale, à supprimer la dérogation prévue pour les courses de taureaux en présence de mineurs, en modifiant l'article 521-1 du code pénal.

Nous vous soumettrons donc dans quelques instants un amendement qui prévoit, en cas d'infraction, une amende de 7 500 euros, identique à celle encourue en cas de vente d'alcool à des mineurs. J'espère que cette peine paraîtra plus proportionnée à la commission ; sinon, j'aimerais que le rapporteur explique de manière argumentée pourquoi il s'y oppose.

Il est donc très important que nous puissions repousser l'examen de l'amendement de suppression de l'article 1er afin que l'on puisse débattre de l'amendement que nous proposons, lequel vise, je le redis, à limiter à une amende raisonnable la peine encourue en cas de présence de mineurs. Je rappelle qu'il est établi que cette présence est tout à fait néfaste pour leur développement psychique.

M. le président. La parole est à M. Max Brisson, sur l'article.

M. Max Brisson. Il n'est pas dans mon intention de défendre la corrida au titre d'une tradition, car les plus grands progrès moraux se sont faits contre les traditions. Je préfère défendre une culture, une identité, une sensibilité.

L'article 1er vise non pas à interdire aux moins de 16 ans d'accéder aux corridas, mais à interdire la corrida en présence de mineurs de moins de 16 ans, tout en faisant porter le risque de condamnation pour cette infraction pénale sur les organisateurs, et non sur le mineur ou ses parents.

Il suffirait en effet, si le texte était adopté, de faire entrer dans une arène un mineur pour qu'une infraction pénale soit constituée et que l'organisation des corridas soit ainsi mise à mal. Ce n'est donc pas la santé mentale de l'enfant qui est recherchée par les auteurs du texte, mais bien l'interdiction in fine de ces pratiques.

L'UVTF a travaillé sur la notion d'accompagnement. La plupart des règlements taurins prévoient déjà qu'un mineur de moins de 12 ans ne peut pas assister à une corrida sans être accompagné. Les corridas, en effet, sont régies par des règlements municipaux. La proposition de loi que nous examinons porterait atteinte, si elle était adoptée, au droit de différenciation des collectivités.

Si la démarche qui le sous-tend est plus habile que celle mise en œuvre dans les propositions de loi d'interdiction totale, l'article 1er vise néanmoins le même objectif : empêcher toute transmission aux jeunes générations et donc condamner, demain, la corrida à une mort certaine.

C'est la raison pour laquelle je m'opposerai à cet article et voterai l'amendement visant à le supprimer. (M. Laurent Burgoa et Mme Elsa Schalck applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, sur l'article.

M. Pierre Ouzoulias. Je m'interroge sur le choix du titre de la proposition de loi. Vous nous dites, mes chers collègues auteurs de ce texte, que vous voulez interdire la corrida en présence de mineurs de moins de 16 ans. Mais si vous vouliez vraiment protéger les mineurs, pourquoi n'avez-vous pas inversé les termes et interdit la présence de mineurs de moins de 16 ans aux corridas ? Cela aurait été plus pertinent au regard de votre projet.

Je partage totalement le point de vue de Max Brisson : ce qui est visé, c'est la corrida. Il aurait été plus simple de le dire ! Car le discours qui est tenu n'a pas de sens.

Par ailleurs, vous voulez protéger les enfants, mais savez-vous que la chasse accompagnée est possible en France à partir de 15 ans ? C'est le cas notamment de la grande vénerie. (M. Laurent Burgoa renchérit.) Un mineur de 15 ans pourrait donc assister à la mise à mort d'un cerf lors d'une chasse à courre, mais ne pourrait pas assister à la mort d'un taureau dans une arène ! Je ne comprends pas la logique…

Mme Laurence Rossignol. J'avais déposé une proposition de loi contre la chasse à courre...

M. Pierre Ouzoulias. Je ne suis pas favorable à la chasse à courre, mais je relève le manque de logique.

Par ailleurs, si vous souhaitez lutter contre la souffrance animale, ce que je comprends, je vous indique que la France importe chaque année 1,2 million de têtes de bétail : des bovins et des porcs. Avez-vous la certitude que, dans certains pays étrangers que je ne citerai pas, l'abattage se fait dans des règles de respect de la souffrance animale ? Je n'en suis pas sûr, et je pense même que, dans certains pays, des mineurs participent à la mise à mort dans les abattoirs.

M. Pierre Ouzoulias. On pourrait élaborer des textes plus responsables et moins hypocrites, qui traiteraient à la fois de la protection des enfants et de la souffrance animale, et éviter ce faux débat sur la corrida.

M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, sur l'article.

M. Henri Cabanel. Je fais partie de ces parlementaires qui disent souvent que nous faisons des lois bavardes et que l'on pourrait mieux dépenser notre énergie à voter des lois que les Français attendent. Tel n'est pas le cas du texte qui nous est proposé lorsque l'on connaît la situation du pays…

J'ai écouté attentivement les uns et les autres. Je partage les propos qui viennent d'être tenus : il y a une espèce d'hypocrisie dans ce texte. L'exposition à la violence des mineurs de moins de 16 ans est mise en avant, mais il s'agit en fait de lutter contre la corrida. Il aurait été beaucoup plus simple de déposer un texte pour interdire cette pratique, comme l'a fait Aymeric Caron, plutôt que d'utiliser cet artifice.

Cette proposition de loi me gêne énormément, car la responsabilité des organisateurs serait engagée. Voilà qui les affaiblirait encore davantage alors qu'ils se trouvent dans une situation économique difficile.

Permettez-moi aussi de reprendre les propos du garde des sceaux et de notre rapporteur : les parents ne sont-ils pas les meilleurs gardiens de l'intérêt supérieur de l'enfant ?

M. Henri Cabanel. Il faut donc les laisser exercer leurs responsabilités.

Dans les villes taurines, la corrida est une fête. Aujourd'hui, plus que jamais, les Français en ont besoin. Laissons-les tranquilles ! (Mme Isabelle Florennes, M. Laurent Burgoa et Mme Elsa Schalck applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus, sur l'article.

M. Thomas Dossus. Les auteurs de la proposition de loi souhaitent interdire aux organisateurs de corridas d'accueillir des mineurs dans leurs spectacles.

Il y a quelques mois, nous avons travaillé sur la régulation de l'industrie du porno. Nous avons pointé le laxisme des exploitants de plateformes pornographiques dans la manière dont ils empêchaient, ou pas, les mineurs d'accéder à leurs sites. C'est bien la société qui doit fixer les limites : on ne se réfugie pas derrière l'autorité parentale pour interdire aux mineurs d'accéder à de tels sites. C'est la même chose pour les sites de paris en ligne.

Et ce n'est pas pour autant qu'on veut interdire la pornographie ou les paris en ligne ! Nous voulons juste protéger les mineurs.

C'est, encore une fois, la même chose pour les bars : les gérants ne doivent pas vendre de l'alcool à des mineurs, ils ont une responsabilité et peuvent être sanctionnés.

Vous le voyez, c'est bien la société qui intervient dans ces différentes situations, pas seulement l'autorité parentale. Nous avons donc bien besoin de fixer un cadre et des limites, en particulier pour les enfants.

En l'espèce, il n'est pas acceptable d'exposer un mineur à un spectacle de torture animale.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, sur l'article.

Mme Laurence Rossignol. Le bien-être animal est une question philosophique tout à fait passionnante, qui interroge les rapports entre l'homme et le reste du vivant. Cette question est apparue au moment de la révolution industrielle lorsque l'animal a été réifié, totalement annexé dans le contexte d'une activité industrielle, alors qu'auparavant il s'intégrait dans un cadre agricole.

Notre droit a progressivement construit les notions de bien-être animal, de protection des animaux et de sensibilité animale. Et même ceux qui défendent la corrida doivent avoir le courage de dire que celle-ci est uniquement une dérogation à l'ensemble de nos règles de droit sur la protection des animaux.

Sommes-nous prêts, au nom des traditions ou de la culture – la différence entre ces notions me semble subtile… –, à continuer de défendre cette dérogation ?

Je peux comprendre ceux de nos collègues qui estiment qu'il y a déjà suffisamment d'incendies dans leur département pour en allumer un autre. Mais, selon le code civil, les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Cela concernerait-il tous les animaux, par exemple un labrador, à l'exception des taureaux ?

Il me paraît important d'éduquer les enfants à refuser de faire de la cruauté et de la souffrance animale un sujet de réjouissance et de spectacle. Les défenseurs de cette position ne me paraissent pas devoir être traités comme ils l'ont été par certains intervenants…

J'aborderai tout à l'heure la question des dérogations à l'autorité parentale.

M. le président. La parole est à Mme Samantha Cazebonne, sur l'article.

Mme Samantha Cazebonne. Je veux moi aussi défendre cet article. C'est justement parce que nous avons entendu les arguments du rapporteur que nous ne voulons pas que ce débat cesse.

Je rappelle que 80 % des Français attendent que nous nous emparions de ce sujet. Comme mon nom l'indique, je suis originaire du Sud-Ouest et j'en suis fière, mais je fais partie d'une génération qui veut que les choses évoluent, en particulier en matière de protection de l'enfance.

Lorsque le législateur a pris la décision de rendre obligatoire le port de la ceinture de sécurité à l'arrière, il a sauvé la vie d'enfants. J'étais enfant à cette époque et je remercie le Parlement d'avoir pris cette décision – certains d'entre vous étaient peut-être déjà parlementaires. C'est dans cet esprit que nous avons déposé ce texte.

Nous souhaitons faire entendre la voix des enfants qui ont été traumatisés par ces spectacles. Laissez-nous débattre, arguments contre arguments ! C'est d'autant plus juste de débattre que, je le disais, 80 % des Français soutiennent cette proposition de loi. Ils sont donc nombreux, et il y en aussi dans les territoires taurins.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, sur l'article.

M. Guillaume Gontard. Je veux d'abord remercier mes collègues qui sont à l'initiative de cette proposition de loi, parce que le sujet est important. Il y a quelques années, nous avions déposé un texte différent, visant à complètement interdire la corrida.

J'entends beaucoup parler des traditions, mais heureusement qu'on ne s'autorise pas tout en leur nom ! Il arrive que nous regardions les choses différemment avec le temps, parce qu'elles évoluent. Je crois que c'est le cas pour les corridas.

On a évoqué le rapport à la mort. J'ai été élevé en milieu rural, j'ai vu tuer le cochon et dépecer un lapin, par mon grand-père. Je sais ce que c'est et je conviens qu'il est important de savoir d'où vient notre nourriture.

Mais nous parlons de tout autre chose avec la corrida. Je suis allé en voir une et je dois dire que j'ai été traumatisé – j'y pense encore ! C'est une mise en scène de la mort, de la cruauté ; c'est même une célébration de la mort. Les gens se lèvent et applaudissent le sang ; il y a là une symbolique tout à fait particulière.

Que des adultes y aillent, à la rigueur, mais pas les enfants ! Il est de la responsabilité des adultes de les protéger.

La notion de mineur est d'ailleurs importante. On ne fait pas voir à des enfants la même chose qu'à des adultes et notre responsabilité est, je le redis, de les protéger. Tel est le sens de cette proposition de loi.

M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, sur l'article.

Mme Monique Lubin. Je partage l'idée, déjà avancée par plusieurs collègues, que cette proposition de loi est uniquement un faux-nez et que ce que veulent réellement certains parlementaires, c'est l'extinction de la corrida ou des combats de coqs. En ce qui me concerne, je connais la corrida, mais pas les combats de coqs.

En tout cas, nos débats donnent parfois l'impression – imaginons quelqu'un qui arriverait d'une autre galaxie… – que nous vivons dans un pays où tous les enfants sont soumis chaque jour à la vue d'une corrida !

Comme le rappelait M. le garde des sceaux, la corrida, comme le combat de coqs d'ailleurs, est une pratique extrêmement encadrée et limitée à certaines régions. En outre, il y a peu d'arènes, et elles organisent seulement quelques prestations par an.

J'assiste de temps à temps à une corrida et je peux témoigner du fait que le nombre d'enfants présents est infinitésimal. (Protestations sur les travées du groupe GEST.) C'est une réalité, mes chers collègues ! (MM. Pierre Ouzoulias et Henri Cabanel opinent.) D'ailleurs, il me semble vraiment que ceux qui en parlent le plus sont ceux qui connaissent le moins le sujet.

En outre, comme le disait mon collègue du Sud-Ouest, avec lequel je ne suis pourtant pas souvent d'accord, les jeunes mineurs qui assistent à une corrida sont accompagnés d'adultes qui leur ont auparavant expliqué certaines choses.

Et, de grâce, ne mettez pas cela sur le dos de la protection de l'enfance et ne nous faites pas passer pour des gens qui ne veulent pas protéger les enfants ! Nous devons évidemment protéger ces derniers, par exemple contre l'actualité qui, chaque jour, les agresse.

J' y insiste, les enfants ne sont quasiment jamais exposés à un spectacle de corrida. (MM. Max Brisson, Laurent Burgoa et Henri Cabanel applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, sur l'article.

M. Éric Kerrouche. Pour l'instant, nous avons évité la caricature alors qu'il s'agit d'un sujet passionnel, sur lequel il est difficile de faire preuve de modération.

Je pense moi aussi que ce texte est hypocrite, parce qu'il vise, au fond, la fin de la corrida – et pas autre chose ! Le travail du rapporteur montre d'ailleurs qu'il n'est pas opérationnel d'un point de vue juridique parce que son objectif est différent des motifs invoqués.

Je ne suis pas un aficionado, mais je vais à des corridas et je reconnais que c'est un spectacle particulier qui peut être dur. Il est d'autant plus dur que notre société a tendance à mettre la mort de côté. Nous cachons souvent la mort, y compris celle de la plupart des animaux.

Néanmoins, si je peux entendre que ce spectacle est dur, la corrida reste un combat et il ne faut pas en nier l'essence.

La corrida n'existe pas parce qu'il y a une tradition ; elle existe là où il y a une tradition. Elle est donc limitée à une partie du pays. Contrairement à ce que semble penser Laurence Rossignol, je crois qu'il existe une différence entre tradition – un mot que je n'aime pas – et culture : la corrida fait partie des cultures locales.

Certains semblent dire qu'ils veulent s'arrêter là, mais ce n'est pas vrai : avec ce texte, on dit à une partie de la population que la diversité culturelle, un élément fondateur de notre pays, n'a pas de sens et qu'il ne doit y avoir qu'un seul mode de vie. Je ne peux pas entendre un tel discours. C'est pourquoi je voterai la suppression de cet article. (MM. Max Brisson et Laurent Burgoa, ainsi que Mme Elsa Schalck, applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l'article.

Mme Cécile Cukierman. Je veux à mon tour rassurer les auteurs de ce texte et ceux qui le défendent.

On ne peut que respecter la proposition qui nous est faire, mais il faut tout de même noter le nombre particulièrement élevé de courriers que chacun de nous a reçus et le déchaînement – je crois qu'on peut le dire ainsi – qu'on a constaté sur les réseaux sociaux.

Cela nous amène nécessairement à nous poser la question du sens véritable de ce texte : est-ce vraiment la protection de l'enfance ou plutôt l'interdiction des corridas et des combats de coqs ?

On peut d'autant plus se poser cette question après avoir entendu certains propos cet après-midi. La corrida et le combat de coqs sont aujourd'hui reconnus comme des actes de culture, non comme une tradition. Il ne s'agit pas du respect d'une ancienne tradition de combat animalier qui remonterait à une vieille origine humaine ! Ce sont, j'y insiste, des actes de culture.

Est-ce violent d'emmener un enfant de 6 ans au Louvre voir des statues grecques nues ? (Exclamations ironiques sur les travées du groupe SER. – Mme Raymonde Poncet Monge mime une brasse coulée.) On peut s'interroger, parce que chacun a sa propre définition de la violence.

M. Thomas Dossus. Ce n'est pas la même chose !

Mme Cécile Cukierman. Si ce n'est pas la même chose, pourquoi avoir comparé la corrida à un accident de la route, et rapporter l'interdiction dont nous discutons à l'obligation de porter la ceinture à l'arrière d'une voiture ? (MM. Max Brisson et Laurent Burgoa applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Laurent Burgoa, sur l'article.

M. Laurent Burgoa. Je soutiendrai moi aussi l'amendement de suppression de l'article que nous présentera Jean-Pierre Grand.

Mais permettez-moi de répondre à Samantha Cazebonne. Jusqu'à présent, notre débat a permis d'avancer des arguments pour ou contre la proposition de loi, ce qui est normal – cela s'appelle la démocratie !

Ma chère collègue, vous dites que vous avez assisté à des corridas. Je suis d'accord avec ce que soulignait Monique Lubin : il n'y a pas de mineurs seuls, ils viennent avec leurs parents. Dans mon cas, mes parents m'ont emmené pour la première fois voir un spectacle taurin à l'âge de 5 ans. Est-ce que je suis plus agressif ou traumatisé que d'autres ? J'y ai emmené mes deux enfants : mon garçon a tout de suite adhéré, ma fille non et elle est ensuite restée à la maison avec ses grands-parents. C'est cela l'éducation !

Enfin, est-ce que la corrida est un spectacle plus violent qu'un combat de boxe, que ce soit entre deux hommes ou entre deux femmes ?

Mme Cécile Cukierman. Exactement !

M. Laurent Burgoa. Si on interdit aux mineurs d'assister à une corrida, il faudrait également leur interdire les combats de boxe, parce que la violence y est très dure. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – MM. Henri Cabanel et Pierre Ouzoulias applaudissent également.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Bonne idée ! On va y penser…

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, sur l'article.

Mme Raymonde Poncet Monge. J'avoue que j'ai du mal à suivre certains arguments qui sont avancés… En arriver à parler des statues grecques du Louvre !

Mme Cécile Cukierman. Et la comparaison avec les accidents de voiture ?

Mme Raymonde Poncet Monge. En ce qui me concerne, j'ai déposé une proposition de loi identique à celle qui nous est soumise aujourd'hui, et je n'autorise personne à dire que je pensais à autre chose, par exemple à interdire la corrida.

Les écologistes ont déposé une proposition de loi pour interdire la corrida ; son auteur est Daniel Salmon et elle a été cosignée par des membres du groupe.

Pour préparer la proposition de loi que j'ai déposée et qui vise uniquement les mineurs, je me suis documentée. Pourquoi l'aurais-je fait si j'avais simplement voulu interdire la corrida, alors qu'il existait déjà une proposition de loi allant dans ce sens ? J'ai lu les écrits de scientifiques, de psychologues, de pédopsychiatres, etc. Tous ces gens doivent sûrement dire n'importe quoi et veulent certainement eux aussi interdire la corrida… Ce serait donc uniquement pour cela qu'ils se disent préoccupés par l'état émotionnel des enfants spectateurs de ces violences !

Des tas de pays, le Portugal, le Venezuela,…

Mme Raymonde Poncet Monge. … certains États du Mexique, ont interdit aux mineurs d'assister à une corrida, alors qu'il y existe également cette tradition. L'âge peut varier, mais tous ces pays ont pris cette décision sans pour autant supprimer la corrida ! C'est la même chose que pour les films.

Les autorités de ces pays se sont interrogées sur l'âge en dessous duquel on ne peut pas être confronté, sans que cela cause des dégâts émotionnels ou des conflits intrapsychiques, à la cruauté gratuite envers un animal, cruauté qui, de surcroît, devient un spectacle de joie et de bonne humeur pour les gens qui y assistent.

J'y insiste, ma proposition de loi n'avait pour objet que la protection de l'enfant.

M. le président. L'amendement n° 1 rectifié sexies, présenté par MM. Grand, Burgoa et H. Leroy, Mme N. Goulet, MM. A. Marc, Chasseing, Brisson, V. Louault, Verzelen, Frassa et Brault, Mme Lermytte, M. Wattebled, Mme Saint-Pé et M. Rochette, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jean-Pierre Grand.

M. Jean-Pierre Grand. Comme l'a souligné le rapporteur Louis Vogel, l'instrument juridique retenu est inadapté au but poursuivi. L'objectif présenté est non pas le bien-être animal, mais la protection des enfants.

Il est proposé de modifier l'article 521-1 du code pénal, qui sanctionne le fait d'exercer des sévices graves ou de commettre un acte de cruauté envers un animal, pour rendre inapplicables aux mineurs de moins de 16 ans les dispositions du onzième alinéa, lesquelles prévoient une dérogation pour les courses de taureaux et les combats de coqs lorsqu'une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. Un tel dispositif n'aurait comme effet que d'interdire purement et simplement les courses de taureaux et les combats de coqs.

Je ferai remarquer que toutes les courses de taureaux n'aboutissent pas à la mise à mort de l'animal. Ainsi, comme chacun le sait, les courses camarguaises ou landaises sont des jeux sportifs.

Par ailleurs, il est impossible de traiter de la même manière les corridas et les combats de coqs car ils relèvent d'une organisation et d'une philosophie totalement différentes.

Enfin, cette proposition de loi ne dit rien des écoles taurines. C'est ainsi que, de façon incohérente, les enfants pourraient aller dans ces écoles, mais ne pourraient pas assister aux corridas.

Pour l'ensemble de ces raisons, il nous paraît opportun de supprimer l'article 1er de ce texte.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Louis Vogel, rapporteur. La commission est favorable à cet amendement.

J'ai analysé ce texte d'un point de vue strictement juridique, sans me demander si la question posée n'était pas de savoir si on était pour ou contre la corrida. Je ne suis pas d'un pays de corrida, mais d'un pays de droit, la France !

D'un strict point de vue juridique, donc, insérer un texte lié à la protection de l'enfance au sein de dispositions du droit pénal relatives à la protection des animaux contre les sévices et la cruauté entraîne nécessairement des dysfonctionnements.

Ensuite, pour un juriste, l'expression « tradition locale ininterrompue » signifie usage. Or, quand un usage existe dans notre pays, on le laisse généralement vivre et évoluer de lui-même, sous l'influence des habitants et des acteurs locaux, par exemple les municipalités, pour les règlements des écoles taurines. Parmi ces habitants, il y a naturellement des parents.

Dans ce type de situation, le législateur se retient d'intervenir et ne prévoit des exclusions que dans des cas exceptionnels. Portalis disait d'ailleurs (M. le rapporteur montre du doigt la statue de Portalis érigée dans l'hémicycle.) qu'il fallait avoir la main tremblante et ne déranger un système juridique que si des motifs tout à fait exceptionnels le justifiaient.

L'exclusion des mineurs des casinos vise à empêcher un état de dépendance par rapport aux jeux d'argent. Pour un spectacle, les choses sont tout à fait différentes : on peut fixer une limite d'âge qu'on fait appliquer par les parents, mais on ne peut pas exclure. (Mmes Marie-Pierre de La Gontrie, Laurence Rossignol et Samantha Cazebonne protestent.)

Nous avons la chance d'avoir du droit en la matière, ce qui n'est pas le cas pour tous les sujets. Il faut le respecter et l'appliquer, sauf motif exceptionnel. Et je n'ai pas pu trouver un tel motif dans le cas présent. (MM. Max Brisson et Laurent Burgoa applaudissent.)

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Didier Migaud, garde des sceaux. Comme je l'ai indiqué, le Gouvernement est défavorable à cette proposition de loi. Sur la façon d'arriver à un rejet – amendement de suppression des articles ou vote final négatif sur le texte –, je m'en remets à la sagesse du Sénat... (Sourires.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Mme Laurence Rossignol. Je veux rassurer les collègues qui se sont interrogés sur le sens de cette proposition de loi : il n'y a pas de but caché ! Notre débat le prouve d'ailleurs très bien.

En interdisant aux enfants des spectacles dans lesquels les animaux souffrent et sont mis à mort, qui ne sont donc pas conformes à nos règles communes telles qu'elles sont traduites dans le code pénal et dans le code civil – l'interdiction d'exercice de la cruauté sur les animaux et le respect de la sensibilité animale –, nous voulons souligner le caractère dérogatoire du droit à la perpétuation des corridas ou des combats de coqs.

Nous disons que ce type de spectacle n'est pas destiné à des enfants – il n'y a pas de sens caché, je le répète. Si les corridas ou les combats de coqs ont été épargnés lorsque nous avons construit ce qu'on appelle le droit des animaux, c'est en raison du rapport de force politique.

Certains ont par ailleurs évoqué une atteinte à l'autorité parentale ou à la liberté éducative. Mais tout le droit de la protection de l'enfance s'est construit sur des dérogations à la liberté éducative et à l'autorité parentale ! Nous protégeons les enfants, y compris, bien entendu, contre leurs parents.

Les casinos sont interdits aux mineurs même si leurs parents veulent les y emmener, parce que nous considérons que c'est une question non pas de liberté éducative, mais de protection des enfants.

C'est la même chose pour l'accès aux vidéos pornos ou à la pornographie sur internet. Je vous rappelle que nous avons voté ici même des dispositions, quasiment à l'unanimité, fondées sur le fait que les sites pornographiques ne sont pas bons pour les mineurs, y compris si leurs parents les laissent les regarder. Exposer des enfants à des images pornographiques est même une défaillance de l'exercice de l'autorité parentale.

Je vous rappelle enfin que le législateur a limité la liberté éducative, en posant le principe que l'autorité parentale s'exerce sans violence, qu'elle soit physique ou psychologique. Le jour où on a débattu du fait que les parents ne pouvaient pas frapper leurs enfants, certains collègues arguaient déjà que cela limitait la liberté éducative… (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Arnaud Bazin et Mme Samantha Cazebonne applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Arnaud Bazin, pour explication de vote.

M. Arnaud Bazin. Si cet amendement de suppression de l'article est voté, le débat s'interrompt et nous ne pourrons pas examiner les autres amendements. Je vous demande donc de bien réfléchir avant de voter, mes chers collègues.

C'est d'autant plus important que nous avons déposé un amendement qui prend en compte la position de la commission sur la proportion de la sanction. Nous proposons une simple amende de 7 500 euros, et j'aimerais entendre pourquoi une telle proposition ne serait pas recevable.

Au fond, la question qui nous est posée est simple : peut-on, sans risque pour la sécurité psychique de l'enfant, l'exposer à un spectacle répété d'actes de cruauté et de sévices graves conduisant à la mort d'un animal ? Je ne reviens pas sur tous les éléments qui ont été évoqués, la réponse est clairement non. On ne peut pas accepter de confronter des enfants à de tels spectacles sans prendre un risque. Certains enfants peuvent évidemment le supporter ; d'autres non. Doit-on alors prendre ce risque, alors que les études montrent qu'il est bien réel ?

Pourquoi est-il si difficile, finalement, d'adopter une mesure – interdire aux enfants de moins de 16 ans d'assister à une corrida – somme toute assez bénigne et de bon sens ? Parce que cela touche un mécanisme psychique profond : quand on a considéré comme moralement acceptable quelque chose pendant très longtemps, changer de perception demande une grande élévation et ouverture d'esprit. C'est à cela, mes chers collègues, que je vous invite. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Laurence Rossignol applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.

M. Max Brisson. Nous ne sommes pas ici pour accuser les uns ou les autres d'avoir des idées sous-jacentes. Mais il n'empêche que, au moment de la discussion générale, le débat était d'une certaine tenue et concernait bien le texte et qu'au fur et à mesure de l'avancée des débats c'est l'interdiction de la corrida qui ressort...

Je ne suis pas un juriste, contrairement aux membres de la commission des lois, mais je vais vous dire comment je ressens les choses. Nous sommes dans un pays tellement jacobin que nous avons beaucoup de mal avec le droit local. La protection des enfants dans les règlements taurins existe bien, et les municipalités ont beaucoup travaillé en ce sens.

La corrida est une dérogation. Les acteurs locaux, en particulier les municipalités qui organisent les corridas, ont été à l'écoute de la société et ont observé ses évolutions. Toutes les municipalités qui accueillent des arènes – elles sont peu nombreuses, comme le disait tout à l'heure Monique Lubin – traitent cette question avec une grande précaution, en prenant évidemment en compte la protection des mineurs.

D'ailleurs, lorsque des alternances politiques se produisent dans les municipalités, cet usage, qui est assis sur un droit local, n'est jamais remis en question ; au contraire, il est constamment abondé et retravaillé.

Nous sommes l'assemblée qui représente les collectivités territoriales et les communes de France. Dans ce débat, il faut aussi respecter le travail des maires et des conseillers municipaux des villes et villages qui accueillent des corridas et qui ont tout à fait conscience de la nécessité de protéger les mineurs.

Les corridas méritent d'être questionnées, mais les règlements taurins doivent aussi être lus. (M. Laurent Burgoa applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. Mes chers collègues, je ne vais pas reprendre les arguments qui ont déjà été développés pour vous convaincre que nous visons seulement l'interdiction pour les mineurs de moins de 16 ans.

J'ai cependant été étonnée par la démonstration de M. le rapporteur, qui a conclu en distinguant les notions de limite d'âge et d'exclusion. Mais c'est bien une limite d'âge que nous voulons poser avec ce texte !

La marche était-elle trop haute ? Nombre de pays ne prévoient l'interdiction qu'en dessous de 12 ans, c'est-à-dire pour les enfants et non pour les adolescents. C'est le cas du Mexique, de l'Espagne et du Portugal. Dans tous ces pays, les corridas continuent, mais simplement sans les enfants de moins de 12 ans. On pourrait faire le parallèle avec les films pornographiques, qui continuent d'être produits, mais qui ne peuvent pas être vus en deçà d'un certain âge. Monsieur le rapporteur, je n'ai donc pas bien compris votre conclusion.

Je tiens à rassurer ceux qui nous suspectent d'avoir des arrière-pensées : nous souhaitons simplement imposer une limite d'âge.

M. le président. La parole est à Mme Samantha Cazebonne, pour explication de vote.

Mme Samantha Cazebonne. Je veux redire que c'est bien un texte de protection de l'enfance que nous examinons aujourd'hui. (MM. Laurent Burgoa et Max Brisson protestent.)

Lorsque la Catalogne, le Portugal, l'Équateur ou même les Baléares, où je réside – outre mon nom du Sud-Ouest, je revendique de vivre en Espagne –, ont légiféré…

M. Laurent Burgoa. Ils sont revenus plus tard sur la question !

Mme Samantha Cazebonne. Certes, monsieur Burgoa, le pouvoir central est malheureusement revenu sur ce qu'avaient décidé les pouvoirs régionaux. Mais ce que vous ne dites pas, c'est que plus aucun enfant n'a assisté depuis lors à une corrida en Catalogne ou aux Baléares. (M. Laurent Burgoa s'exclame.)

Mme Frédérique Espagnac. Et pour cause, car on n'en organise plus dans ces régions !

Mme Samantha Cazebonne. Pour finir, je regrette que vous ayez voulu rendre hors sujet cette proposition de loi en nous prêtant des intentions que nous n'avions pas, de même que je déplore que vous n'ayez que cet argument à nous opposer.

Je suis désolée pour les experts du Comité des droits de l'enfant de l'ONU, lesquels auront forcément vent de nos échanges, que nous ne soyons pas aujourd'hui au rendez-vous qu'ils nous avaient fixé. J'aurais aimé que notre assemblée fasse entendre un autre son de cloche. (MM. Max Brisson et Laurent Burgoa s'exclament.)

M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour explication de vote.

M. Henri Cabanel. Je pense que nous sommes tous d'accord sur la nécessité de protéger les enfants, mais si l'exposition à la violence est vraiment votre argument majeur, mes chers collègues, il me semble que vous auriez dû établir des priorités. Il y a en effet bien d'autres domaines dans lesquels les enfants sont exposés à la violence ! (Protestations sur les travées des groupes GEST et SER.)

Mme Raymonde Poncet Monge. On s'en occupe !

Mme Laurence Rossignol. Nous n'arrêtons pas de penser à cela !

M. Henri Cabanel. Prenez votre téléphone portable et tapez « jeux très violents » dans son moteur de recherche : la première des réponses qui apparaît est « jeux sanglants ». Sur ces sites, on propose aux joueurs des armes, le but étant de tuer le maximum de gens. N'importe qui peut avoir accès à ces contenus. Et là, on ne fait rien !

Mme Laurence Rossignol. Ce n'est pas cela protéger les enfants ! Vous ignorez le travail de fond qui est réalisé dans cet hémicycle et ce que font les acteurs de la protection de l'enfance ! (MM. Laurent Burgoa et Max Brisson protestent.)

M. le président. Mes chers collègues, M. Cabanel a seul la parole !

M. Henri Cabanel. Si nous étions vraiment soucieux de protection de l'enfance, il me semble que nous ferions mieux de travailler en priorité sur ce sujet. (MM. Laurent Burgoa et Max Brisson applaudissent.)

Mme Samantha Cazebonne. L'un n'empêche pas l'autre !

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Espagnac, pour explication de vote.

Mme Frédérique Espagnac. Je souhaite rebondir sur les exemples des Baléares et de la Catalogne, qui ont été cités ; je pourrais également parler du Pays basque espagnol.

L'interdiction des corridas dans ces régions autonomes avait un objectif très politique. Il s'agissait à l'époque de s'inscrire contre le pouvoir central espagnol, et cela n'avait rien à voir avec les corridas en tant que telles. (MM. Laurent Burgoa et Max Brisson applaudissent.)

Je rappelle qu'elles ont été interdites dans ces régions en 2011 et que l'État espagnol est revenu sur ces interdictions en 2016. Depuis lors, en effet, il ne s'est rien passé, notamment en Catalogne, ce qui s'explique par la situation politique très particulière qui y prévaut.

J'y insiste, il s'agissait bien d'un acte politique face à l'État centralisateur espagnol, et cela n'avait rien à voir avec la corrida. (M. Max Brisson applaudit.)

M. Laurent Burgoa. Très bien !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1 rectifié sexies.

J'ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, et, l'autre, du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.

Je rappelle que l'avis de la commission est favorable et que le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 37 :

Nombre de votants 322
Nombre de suffrages exprimés 309
Pour l'adoption 254
Contre 55

Le Sénat a adopté.

En conséquence, l'article 1er est supprimé, et les amendements nos 6 et 4 n'ont plus d'objet.

Après l'article 1er

M. le président. L'amendement n° 3 rectifié, présenté par Mme Poncet Monge, M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. Salmon, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli et Mmes Ollivier, Senée et Souyris, est ainsi libellé :

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article 521-1 du code pénal, il est inséré un article 521-1-… ainsi rédigé : 

« Art. 521-1-…..- Un mineur de moins de seize ans ne peut participer aux formations ou activités proposées par une école taurine.

« Le fait de produire un mineur de moins de seize ans dans une corrida ou de le faire participer aux activités ou formations proposées par une école taurine est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

« Les personnes physiques coupables de l'une des infractions mentionnées au deuxième alinéa encourent la peine complémentaire prévue au 1° de l'article 222-44.

« Les personnes morales coupables de l'une des infractions mentionnées au deuxième alinéa encourent la peine complémentaire prévue au 2° de l'article 131-39. »

La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. En cohérence avec les arguments soulevés lors de nos travaux en commission, nous souhaitons interdire les écoles taurines aux mineurs de moins de 16 ans.

Il existe en effet en France plusieurs écoles taurines, qui sont ouvertes dès l'âge de 6 ans et où des enfants peuvent s'entraîner, par exemple, à tuer des veaux dès l'âge de 13 ans. Ces écoles proposent donc des activités ouvertes aux mineurs, au cours desquelles ceux-ci sont incités et entraînés à commettre des actes de cruauté sur un animal.

Or, selon l'article 521-1 du code pénal, introduit à raison dans notre droit, les actes de cruauté ou la mise à mort, sans nécessité, d'animaux, qu'ils soient domestiques, apprivoisés ou tenus en captivité, constituent des infractions passibles d'amende et d'emprisonnement.

Par ailleurs, selon l'article 227-21 du code pénal, le fait de provoquer directement un mineur à commettre un crime ou un délit est également puni d'amende ou d'emprisonnement.

Il nous paraît totalement injustifié que les écoles taurines ne soient pas soumises à ces dispositions pénales. De plus, il serait contradictoire d'interdire aux mineurs de moins de 16 ans d'assister à une mise à mort en public, mais de laisser faire, dès l'âge de 13 ans, quand il s'agit d'un cadre privé, c'est-à-dire d'une école taurine. Les dispositions de cet amendement se veulent donc cohérentes avec l'esprit de la proposition de loi.

Rien ne justifie que l'on autorise, voire que l'on incite, un enfant à tuer un animal de façon gratuite, à enfoncer plusieurs fois dans l'échine d'un veau son épée ou ses banderilles, jusqu'à le poignarder dans la nuque pour l'achever. Cela mérite-t-il d'être appelé une école ? Peut-on qualifier ces agissements d'activités extrascolaires comme les autres ? Il s'agit pour nous d'un entraînement à la cruauté gratuite envers un animal.

En toute logique et par cohérence, nous proposons donc d'interdire les écoles taurines pour les mineurs de moins de 16 ans.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Louis Vogel, rapporteur. Cet amendement vise à compléter la proposition de loi sur un point qu'elle ne traitait pas, mais qui s'inscrit dans le dispositif initial.

Or tous les reproches que j'ai pu faire au texte en général s'appliquent évidemment dans ce cas précis. Le cadre idéal pour encadrer les pratiques des écoles taurines, ce sont les règlements taurins municipaux, auxquels nous avons fait allusion tout à l'heure. Proposer l'interdiction de s'inscrire dans ces écoles avant 16 ans me paraît tout à fait disproportionné. Ce serait méconnaître le rôle qu'elles jouent dans les territoires.

L'avis de la commission est donc défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Didier Migaud, garde des sceaux. Même avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Laurent Burgoa, pour explication de vote.

M. Laurent Burgoa. Je remercie M. le garde des sceaux et M. le rapporteur de leur avis.

Depuis tout à l'heure, on nous dit qu'il n'est pas question de porter atteinte à la corrida. Or, des dispositions visant à interdire les corridas aux moins de 16 ans, on est passé à un amendement tendant à interdire aux mineurs de fréquenter les écoles taurines…

Madame Poncet Monge, vous êtes-vous déjà rendue une seule fois dans une école taurine ? Avant d'interdire à des mineurs de les fréquenter, je vous invite à y aller, pour voir comment les choses s'y passent.

Des jeunes apprennent dans les arènes le samedi après-midi, de quatorze heures à dix-sept heures, au lieu d'être dans la rue. (M. Thomas Dossus s'esclaffe.) Eh oui, cher collègue, c'est la réalité ! Ces jeunes suivent des cours où leur est enseigné le respect des uns et des autres.

Je le répète, je vous invite, madame Poncet Monge, à passer un samedi après-midi avec moi pour découvrir l'école taurine de Nîmes. Vous verrez que ces jeunes-là sont comme tous ceux de notre pays : ils sont normaux ! Pourquoi voulez-vous interdire leur activité ?

Je trouverais terrible que le législateur empêche ces jeunes de vivre leur passion.

M. le président. La parole est à M. Arnaud Bazin, pour explication de vote.

M. Arnaud Bazin. L'amendement de Mme Poncet Monge ne nous avait pas paru nécessaire. En effet, dans le texte que nous défendions, les écoles taurines sont bien évidemment visées.

Pourquoi ? Soit on considère qu'elles ne pratiquent pas de courses de taureaux et elles sont interdites de facto, puisqu'elles ne sont pas concernées par la dérogation et tombent sous le coup de l'article 521-1 du code pénal, car il y a évidemment des actes de cruauté, des sévices graves sur des animaux suivis de mort qui sont commis ; soit on considère qu'elles pratiquent des courses de taureaux, et, alors, l'interdiction que nous prévoyons pour les moins de 16 ans s'applique de plein droit.

Le texte, tel que nous l'avions envisagé, avait toute sa cohérence autour de l'article 1er, lequel s'appuyait sur l'article 521-1 du code pénal. Je ne voterai donc pas l'amendement n° 3.

M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.

M. Max Brisson. Sur ce point, je suis d'accord avec mon collègue et ami Arnaud Bazin. Je pense en effet que le texte que nous examinons mettait en péril, même sans l'amendement de Mme Poncet Monge, les écoles taurines.

Je ne doute pas des convictions de Mme Poncet Monge. Elle a parlé avec son cœur ; je voudrais parler avec le mien. Une école taurine n'est pas une école de la barbarie, contrairement à ce que nous avons pu entendre voilà un instant. C'est une école de règles, une école de codes, un apprentissage de la vie, d'une histoire et d'une culture.

Bien sûr, progressivement, il y a la confrontation avec le taureau, accompagnée par des professionnels. Sans vouloir choquer ceux qui sont opposés à la corrida – c'est leur droit, et nous les respectons –, j'oserais même dire que les écoles taurines sont de formidables écoles de la vie.

Comme l'a très bien dit Laurent Burgoa, ce sont des structures qui permettent aujourd'hui à des jeunes de vivre une passion, d'apprendre la vie, des règles, un certain nombre de codes, ainsi que la discipline. Aussi, il faut adresser un message positif à ces écoles taurines, qui, dans nos villes et dans nos régions – nous ne cherchons pas à ce qu'elles soient implantées ailleurs –, jouent un rôle social absolument essentiel. (M. Laurent Burgoa applaudit.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 3.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 38 :

Nombre de votants 318
Nombre de suffrages exprimés 306
Pour l'adoption 47
Contre 259

Le Sénat n'a pas adopté.

Article 2

Le second alinéa de l'article 522-1 du code pénal est remplacé par trois alinéas ainsi rédigés :

« Le présent article n'est pas applicable, dès lors que les personnes présentes sont âgées de plus de seize ans :

« 1° Aux courses de taureaux lorsqu'une tradition locale ininterrompue peut être invoquée ;

« 2° Aux combats de coqs dans les localités où une tradition ininterrompue peut être établie. »

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 2 rectifié quinquies est présenté par MM. Grand, Burgoa et H. Leroy, Mme N. Goulet, MM. A. Marc, Chasseing, Brisson, V. Louault, Verzelen, Frassa et Brault, Mme Lermytte, M. Wattebled, Mme Saint-Pé et M. Rochette.

L'amendement n° 7 est présenté par M. Bazin et Mme Cazebonne.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jean-Pierre Grand, pour présenter l'amendement n° 2 rectifié quinquies.

M. Jean-Pierre Grand. Mes chers collègues, je vous ferai grâce de l'exposé des motifs, qui est identique à celui de mon amendement précédent, sauf qu'il s'agit là de la suppression de l'article 2. Soyons brefs et cohérents !

M. le président. La parole est à M. Arnaud Bazin, pour présenter l'amendement n° 7.

M. Arnaud Bazin. Il est défendu, monsieur le président.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Louis Vogel, rapporteur. Par cohérence avec sa position sur l'article 1er, la commission émet un avis favorable sur ces amendements identiques de suppression de l'article 2.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Didier Migaud, garde des sceaux. Le Gouvernement est défavorable à cette proposition de loi. Toutefois, comme sur l'article 1er, il s'en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que, si ces amendements de suppression étaient adoptés, il n'y aurait plus lieu de voter sur l'ensemble de la proposition de loi, dans la mesure où les deux articles qui la composent auraient été supprimés.

Aucune explication de vote sur l'ensemble du texte ne pourrait donc être admise.

La parole est à M. Arnaud Bazin, pour explication de vote.

M. Arnaud Bazin. J'avais déposé l'amendement n° 7 en lien avec l'amendement n° 6 visant à réécrire l'article 1er, dont l'adoption aurait requis la suppression de l'article 2. Toutefois, l'adoption de l'amendement de suppression de l'article 1er a rendu ce montage caduc.

Il va de soi que je n'ai évidemment pas la même position que notre collègue qui a déposé l'autre amendement identique de suppression de l'article 2.

Je tenais à le préciser, pour éviter toute mécompréhension.

M. le président. La parole est à M. Laurent Burgoa, pour explication de vote.

M. Laurent Burgoa. Je voterai évidemment en faveur de la suppression de l'article 2.

Madame Cazebonne, ce soir, le Sénat a pris position – on peut en effet imaginer que le vote sur l'article 2 sera identique à celui sur l'article 1er. À mon avis, si vous preniez acte de cette position majoritaire, quand bien même vous ne la partagez pas, et si vous retiriez votre proposition de loi avant le vote final, cela vous honorerait.

Je dois vous le dire, dans mon département, j'ai dû prendre la défense du président de votre groupe, le RDPI, face aux chasseurs et aux taurins, qui pour beaucoup le vilipendaient, car je connais ses convictions.

Je sais que le président Patriat est un homme qui aime la chasse, qui aime les traditions, qui aime le territoire, qui aime la ruralité et nos cultures locales.

M. François Patriat. C'est vrai ! (Sourires.)

M. Laurent Burgoa. À ce titre, je l'ai défendu avec plaisir. (Mme Samantha Cazebonne s'exclame.)

Je le répète, ma chère collègue, conformément à l'esprit du Sénat, puisque les jeux sont faits, dans l'intérêt de tous, retirer ce texte vous honorerait et honorerait notre assemblée.

Mme Muriel Jourda, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Non, ce ne serait pas correct !

M. le président. La parole est à Mme Samantha Cazebonne, pour explication de vote.

Mme Samantha Cazebonne. Vous parlez d'honneur, cher collègue ?...

Pour ma part, je fais honneur au Comité des droits de l'enfant des Nations unies. C'est peut-être ce qui nous distingue aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Sophie Briante Guillemont applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. Pour ma part, madame Cazebonne, je vous invite à ne pas retirer cette proposition de loi, car nous déposerions un texte identique à l'occasion de la prochaine niche parlementaire réservée au groupe GEST – il est déjà prêt !

Nous sommes nous aussi convaincus de l'utilité de fixer une limite d'âge à la corrida, ce spectacle de cruauté gratuite qu'il ne faut absolument pas offrir aux enfants.

Monsieur Burgoa, je veux bien aller dans l'une de vos écoles taurines, mais pas le jour où l'on massacre un veau pour apprendre à massacrer plus tard un taureau !

M. Laurent Burgoa. Venez, je vous expliquerai !

Mme Raymonde Poncet Monge. Si, ce jour-là, des enfants de 13 ans ne mettent pas à mort un veau, pourquoi pas !

M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.

M. Max Brisson. Madame Cazebonne, le débat n'a pas été agressif. La remarque de Laurent Burgoa vis-à-vis du président Patriat était tout à fait cordiale, amicale et sympathique. Un peu d'humour n'empêche pas des débats sérieux et de qualité.

Tous les groupes sont divisés sur le sujet,…

M. Max Brisson. … et c'est bien normal.

M. Thomas Dossus. Non, pas le nôtre !

M. Max Brisson. Sur cette matière, toutes les positions qui s'expriment sur ces travées sont respectables. Chacun parle avec sa sensibilité, avec ce qu'il a pu vivre, avec son parcours, avec sa vision de la corrida et de l'ensemble des activités taurines.

Un peu de respect serait donc bienvenu. J'ai trouvé votre intervention bien brutale par rapport à la sortie amicale et pleine d'humour de notre collègue.

M. Max Brisson. Quant à votre référence permanente à l'ONU, permettez-moi de vous dire que l'on peut ne pas être toujours d'accord avec les positions de cette instance. En ce qui me concerne, bien des fois, je les accueille avec beaucoup de réticence !

Les positions de l'ONU ne sont pas l'alpha et l'oméga de ce que nous devons décider en France. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.

Mme Monique Lubin. Je respecte toutes les positions et comprends très bien que tout le monde n'apprécie pas les corridas ou les combats de coqs.

Toutefois, je suis quelque peu étonnée par ces très nombreuses études auxquelles mes collègues ont fait référence et qui démontreraient que les enfants allant voir des corridas seraient en danger. Qui les produit ? Qui les commande ? Qui les paie ? Combien d'enfants concernent-elles ? J'aimerais bien le savoir, car, pour que ces études aient une valeur scientifique, il faut que l'échantillon soit significatif.

Je le redis, le nombre des mineurs qui assistent à des corridas est infinitésimal ; et ils le font d'ailleurs à de très rares occasions.

Je conclurai en m'adressant à ma collègue auteure de cette proposition de loi : je n'aime pas que l'on me soupçonne de ne pas avoir d'honneur. (Mme Samantha Cazebonne s'exclame.)

Personne n'a considéré ici que quelqu'un manquait d'honneur. Or ce sont les mots que vous avez prononcés. (Mme Samantha Cazebonne fait un signe de dénégation.)

Pour ma part, je ne manque pas d'honneur. Tout comme vous, nous respectons les droits des enfants et nous nous battons bien évidemment pour leur promotion. Ce n'est pas parce que, pour un certain nombre de raisons, je ne souhaite pas cette interdiction que je perds mon honneur. (Applaudissements sur des travées du groupe INDEP. – MM. Laurent Burgoa et Loïc Hervé applaudissent également.)

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 2 rectifié quinquies et 7.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.

Je rappelle que l'avis de la commission est favorable et que le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 39 :

Nombre de votants 319
Nombre de suffrages exprimés 301
Pour l'adoption 237
Contre 64

Le Sénat a adopté.

En conséquence, l'article 2 est supprimé, et l'amendement n° 5 n'a plus d'objet.

Mes chers collègues, les articles de la proposition de loi ayant été successivement rejetés par le Sénat, je constate qu'un vote sur l'ensemble n'est pas nécessaire, puisqu'il n'y a plus de texte.

En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.

6

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au lundi 18 novembre 2024 :

À seize heures :

Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, dont le Sénat est saisi en application de l'article 47-1, alinéa 2, de la Constitution (texte n° 129, 2024-2025) : discussion générale.

Le soir et la nuit :

Suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, dont le Sénat est saisi en application de l'article 47-1, alinéa 2, de la Constitution (texte n° 129, 2024-2025) : discussion des articles.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures vingt.)

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER