M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Thani Mohamed Soilihi, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de la francophonie et des partenariats internationaux. Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, permettez-moi avant tout d'exprimer ma gratitude aux auteurs de cette proposition de résolution, à commencer par Nicole Duranton. (Mme Nicole Duranton apprécie.) C'est le premier texte sur lequel j'ai l'honneur d'intervenir, en tant que secrétaire d'État, dans cette maison qui m'est si chère.
Cette proposition de résolution s'inscrit dans la pleine continuité de l'action déterminée menée par le Gouvernement pour répondre aux attaques inacceptables perpétrées par les rebelles houthis en mer Rouge.
Depuis le début de la guerre à Gaza, ces combattants yéménites insurgés se réclamant de la cause palestinienne multiplient les assauts indiscriminés contre les navires de commerce internationaux battant pavillon au large du Yémen. Soutenus et armés par la République islamique d'Iran, ils portent la responsabilité de plus de 150 actes d'agression depuis le mois de novembre 2023. Ils ont, en outre, visé à de nombreuses reprises le territoire israélien.
Cette escalade belliqueuse fait planer une menace croissante sur la sécurité de la région. Dotés de moyens de plus en plus sophistiqués, grâce aux armes venues d'Iran, les Houthis ont franchi un cap supplémentaire dans la violence : le recours aux drones et aux missiles balistiques est devenu une réalité tristement ordinaire.
Le sort du cargo britannique Rubymar, en février dernier, illustre cette montée de la brutalité. Frappé par deux missiles, ce vraquier chargé de 22 000 tonnes d'engrais chimiques a fait naufrage, suscitant de vives inquiétudes environnementales. Aucune victime n'avait toutefois été déplorée parmi l'équipage.
Le bilan de l'attaque conduite contre le navire True Confidence, le 6 mars dernier, s'est malheureusement révélé plus lourd. Plusieurs marins y ont en effet trouvé la mort. Ces victimes innocentes témoignent de l'horreur et de la gravité de ces assauts, qui font régner la terreur sur les mers.
Parce qu'il entrave le commerce international, ce climat de peur porte directement atteinte aux intérêts de la France, ainsi qu'à ceux de l'Europe et de nos partenaires à travers le monde.
Au début de l'année 2024, le Fonds monétaire international (FMI) enregistrait une baisse de 30 % du trafic de conteneurs via la mer Rouge, tandis que la Commission européenne évoquait une diminution des flux de 22 % dans cette région stratégique.
La perturbation des chaînes d'approvisionnement fait pression sur les prix de consommation et risque d'aggraver l'inflation qui pèse sur nos concitoyens. Face à cet engrenage dangereux, la France appelle à l'arrêt immédiat des exactions commises par les Houthis.
Voilà des mois que nous dénonçons avec vigueur leur comportement irresponsable. En novembre 2023, ils ont notamment détourné le navire Galaxy Leader. Depuis lors, nous appelons sans relâche à sa libération ainsi qu'à celle de son équipage.
Face à l'ampleur de cette menace, nous ne nous contentons pas d'élever la voix : avec l'appui de nos partenaires européens, nous avons adopté une posture défensive en mer Rouge.
Le 19 février dernier, sous l'impulsion de la France, l'Union européenne a donné le coup d'envoi de l'opération maritime Aspides, dont l'objectif est de rétablir la sécurité maritime et de garantir la liberté de navigation au large du Yémen. Les résultats obtenus à ce titre sont significatifs : plus de 270 navires ont été escortés. De surcroît, de nombreux drones et missiles lancés par les Houthis ont été interceptés.
Cette opération est un témoignage fort de la volonté sans faille de la France et de l'Union européenne de restaurer la sécurité dans cette zone de passage cruciale. Le succès du remorquage du pétrolier Sounion, pris pour cible par les Houthis, a notamment permis d'éviter une catastrophe environnementale d'envergure.
Cette action coordonnée le confirme : l'Union européenne est déterminée à stabiliser cette région stratégique et à prévenir toute escalade.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, là où le droit international est menacé, la France, fidèle à son héritage et guidée par les idéaux qui la façonnent, s'érigera toujours pour le protéger.
La sûreté maritime et la liberté de navigation en mer Rouge, garanties fondamentales des échanges mondiaux et de la sécurité de nos partenaires, traduisent des principes intangibles qui mobilisent toute notre vigilance.
À l'unisson des autres nations européennes, la France continuera de veiller sur ces eaux, afin qu'elles deviennent libres et sûres. C'est pourquoi, au nom du Gouvernement, je tiens de nouveau à saluer cette proposition de résolution, dont je souligne la parfaite cohérence avec les actions menées par la France.
Notre pays, qui peut compter sur l'appui indéfectible de ses partenaires et œuvre sous l'égide de l'envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies, Hans Grundberg, ne reculera devant aucun effort pour ranimer la flamme de la paix au Yémen. C'est notre devoir, au nom de la justice et de l'humanité. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.
proposition de résolution visant à condamner les actions des rebelles houthis en mer rouge et à appeler à une action internationale pour protéger le commerce maritime et l'environnement dans cette zone
Le Sénat,
Vu l'article 34-1 de la Constitution,
Vu la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution,
Vu le Chapitre XVI du Règlement du Sénat,
Vu la Charte des Nations unies du 26 juin 1945,
Vu la Convention des Nations unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982,
Vu les résolutions 2216 (2015), 2675 (2023), 2691 (2023), 2707 (2023) et 2722 (2024) du Conseil de sécurité des Nations unies sur le Yémen,
Vu la résolution du Parlement européen du 11 février 2021 (2021/2539(RSP)) sur la situation humanitaire et politique au Yémen,
Vu les conclusions du Conseil de l'Union européenne du 25 juin 2018 sur la situation au Yémen,
Vu les conclusions du Conseil de l'Union européenne du 19 février 2024 sur la sûreté maritime et la liberté de navigation en mer Rouge,
Considérant que les attaques des rebelles houthis sont une menace pour le commerce international, l'environnement, la stabilité régionale et la sécurité mondiale ;
Réaffirmant l'importance de l'exercice des droits et des libertés de navigation des navires dans la mer Rouge, y compris les navires marchands et les navires de commerce passant par le détroit de Bab el-Mandeb, conformément au droit international ;
Soulignant que la hausse du coût du transport des biens et des marchandises a des répercussions négatives sur la situation économique mondiale, et notamment sur l'économie française ;
Condamne avec la plus grande fermeté les attaques des rebelles houthis en mer Rouge contre des navires marchands et commerciaux, qui constituent une menace pour la sécurité maritime, l'environnement et le commerce international, et portent atteinte à la paix et à la sécurité régionales comme mondiales ;
Exprime sa solidarité aux victimes et aux pays touchés par ces attaques, notamment l'équipage retenu en otage du navire de marchandises Galaxy Leader capturé le 19 novembre 2023 ;
Réaffirme que le respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriales des États côtiers de la mer Rouge est une condition essentielle à la stabilité régionale, elle-même nécessaire à une cessation des violences en mer Rouge ;
Appelle à poursuivre les actions de la coalition internationale pour améliorer la sûreté et la sécurité des navires marchands et commerciaux en mer Rouge, ainsi que pour faire cesser les attaques houthies qui menacent la sécurité régionale, mondiale, l'environnement et le commerce global ;
Soutient les efforts diplomatiques visant à trouver une solution politique au conflit au Yémen, dans le respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale du pays ;
Appelle les États membres de l'Union européenne à réfléchir à des solutions permettant de protéger l'industrie et l'économie européennes des conséquences des actions des rebelles houthis en mer Rouge ;
Demande au Gouvernement français d'être attentif à la situation de la mer Rouge et de sa région afin d'éviter toute aggravation de la situation et dans le but de faire cesser les attaques ;
Demande au Gouvernement français de réfléchir à des solutions pour protéger l'économie de notre pays de sorte à ce que la situation en mer Rouge n'ait pas d'impact négatif sur le pouvoir d'achat des Français ;
Demande au Gouvernement français de continuer à jouer un rôle actif et constructif dans ce sens.
Vote sur l'ensemble
M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.
Je mets aux voix la proposition de résolution.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 36 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 322 |
Pour l'adoption | 322 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quarante,
est reprise à seize heures quarante-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
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Corrida et combats de coqs
Rejet d'une proposition de loi
M. le président. L'ordre du jour appelle, à la demande du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, la discussion de la proposition de loi visant à interdire la corrida et les combats de coqs en présence de mineurs de moins de seize ans, présentée par Mme Samantha Cazebonne et plusieurs de ses collègues (proposition n° 475 [2023-2024], résultat des travaux n° 116, rapport n° 115).
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Samantha Cazebonne, auteure de la proposition de loi.
Mme Samantha Cazebonne, auteure de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous nous réunissons aujourd'hui pour aborder une question qui transcende les clivages politiques et les traditions, celle de la protection de nos enfants contre l'exposition à la violence, en particulier à l'occasion de spectacles tels que les corridas et les combats de coqs.
Ces pratiques sont reconnues comme des actes de cruauté aux termes de l'article 521-1 du code pénal, mais bénéficient d'une exception pénale lorsqu'une tradition locale est invoquée. Ce motif dérogatoire, d'ordre culturel, ne saurait pour autant atténuer leur caractère cruel et violent.
Il est indéniable que, ces dernières années encore, l'État et le législateur ont exprimé la volonté de protéger les mineurs de l'exposition à la violence, en raison de leur vulnérabilité, laquelle a été reconnue par des dispositions légales. Je pense en particulier aux articles 226-14 et 434-3 du code pénal.
L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) encadre, quant à elle, la diffusion de la tauromachie à la télévision afin d'éviter de heurter la sensibilité des téléspectateurs, en imposant une signalétique jeunesse et en interdisant la diffusion de la mise à mort.
Selon un sondage mené par l'Institut français d'opinion publique (Ifop), une écrasante majorité des Français soutient cette proposition de loi qui vise à interdire l'accès des mineurs de moins de 16 ans à des spectacles violents : 80 % dans les territoires taurins et 86 % sur l'ensemble du territoire.
Ce soutien transcende les divisions partisanes, même dans les départements taurins, et témoigne d'une conscience collective, qui appelle une action législative cohérente en faveur de la protection de nos enfants sur l'ensemble du territoire national.
Je me permets d'insister sur l'importance d'assurer une cohérence entre le droit et certaines recommandations. Comment comprendre que, comme le préconisent les experts de l'enfance dans un souci de protection, on demande à des parents d'empêcher leurs enfants de regarder une corrida sur un écran, mais que ceux-ci puissent assister aux mêmes scènes de cruauté in vivo ? Pourquoi, dans ce cas-là, les recommandations et la loi s'effaceraient-elles ?
Qui parmi nous – j'y insiste – peut comprendre que l'Arcom et le législateur demandent aux parents de ne pas exposer leurs enfants à des scènes violentes et de cruauté à la télévision, mais les affranchissent dans le même temps de leurs obligations s'il s'agit de voir les mêmes scènes dans la réalité ?
Pour ceux d'entre vous qui ne connaissent pas la corrida, je me permets de vous livrer le témoignage d'une femme, qui a assisté, alors qu'elle était une petite fille de 6 ans, à une course de taureaux, pour la première et dernière fois. J'appelle votre attention sur le fait que ce témoignage a été fait à l'âge adulte, donc bien des années après : il montre l'impact du traumatisme, encore vif aujourd'hui.
« Vers l'âge de 6 ans, en vacances, j'assiste à un divertissement qui me refroidira pour le reste de ma vie : la mise à mort d'un animal, dont l'incapacité de s'enfuir, cloîtré dans cette arène close, et la compréhension d'une fin proche le rendent agressif envers les hommes à cheval et ceux qui se trouvent dans l'arène. On le fait donc courir dans tous les sens, on le pousse, on le pique, on le harcèle jusqu'à son épuisement. Et la foule qui hurle, massée autour de moi, des ″olé″ à qui mieux mieux... C'est donc ça, une corrida ? Hurler de manière insensée, fatiguer un animal, jusqu'à lui enfoncer des piques dans son corps meurtri ? C'est donc ça, une fête, pour certaines personnes ? Regarder, jusqu'à être obnubilé, la mort d'un taureau ? Le taureau s'est effondré sur ses pattes avant, et le coup de grâce est venu, mettant fin à ce carnage. Je n'arrive même pas à trouver un mot plus fort exprimant ma colère, mon impuissance et mon étonnement face à ce spectacle. Tout se mélange, tout le monde hurle de joie, l'animal meurt, et je suis dégoûtée. »
C'est parce qu'elle était forcée d'assister à cette cruauté que, dans son livre intitulé Grand-père, Marina Ruiz Picasso évoquait avec franchise les traumatismes douloureux qu'elle a subis pendant l'enfance et qui sont encore bien présents.
Quelle place doit avoir une scène de violence, pendant laquelle un taureau souffre, pour un enfant de cinq ou de quatorze ans ? Est-il acceptable que des mineurs soient témoins de la souffrance d'un être vivant, alors que leur compréhension des valeurs de compassion et de bienveillance est encore en pleine formation ?
Nous avons le devoir de protéger leur innocence.
Par ailleurs, il faut prendre en compte le conflit de loyauté auquel nos enfants peuvent être confrontés. En effet, combien d'entre eux osent dire non lorsqu'ils se trouvent sous l'influence d'un parent enthousiaste et déterminé à l'idée d'assister à une telle atrocité ? Cette pression émotionnelle peut les pousser à participer à des spectacles qui violent les normes fondamentales fondant le respect pour la vie.
Les traumatismes résultant de l'exposition à des images de violence ne doivent pas être sous-estimés. De nombreuses études documentent leur impact négatif sur le développement moral et comportemental de nos jeunes.
Comment, alors, justifier une exposition réelle à de telles violences ?
Le Comité des droits de l'enfant des Nations unies, chargé de surveiller la mise en œuvre de la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE), laquelle a été ratifiée par la France, a recommandé depuis 2016 à notre pays de redoubler d'efforts pour interdire l'accès des enfants aux spectacles de tauromachie, soulignant l'importance de préserver l'intérêt supérieur de l'enfant.
Les États signataires de cette convention doivent rendre des comptes et veiller à ce que toute recommandation soit suivie. L'absence de mention de ces pratiques dans les rapports fournis au Comité témoigne d'une complaisance que nous ne pouvons plus accepter.
Mes chers collègues, nous qui ratifions régulièrement des conventions internationales, comment pouvons-nous, en toute conscience, ignorer les recommandations de ce comité ?
Nous le savons, en ratifiant une convention, nous nous engageons. Nous ressentons une fierté collective et individuelle chaque fois que les droits des enfants progressent et que nous votons en leur faveur.
Alors, pourquoi ne serions-nous pas tout aussi fiers de voir l'interdiction d'exposer les enfants à la violence et à la cruauté appliquée sans exception ? Pourquoi une exception existerait-elle ici, en France, pays de l'égalité ?
Là encore, Arnaud Bazin, l'ensemble des sénateurs qui ont cosigné ce texte dans un esprit transpartisan et moi-même ne demandons qu'une seule chose : de la cohérence pour protéger les enfants.
Je tiens aussi à souligner qu'Élisabeth Badinter et Simone Veil ont soutenu une telle interdiction. Ce soutien de femmes si estimables, dont l'engagement et les convictions sont remarquables, constitue un puissant appel à agir : nous ne pouvons l'ignorer.
Enfin, permettez-moi de saluer l'engagement de toutes celles et de tous ceux qui se battent pour protéger les enfants et faire reconnaître la souffrance imposée à des êtres vivants, y compris aux animaux, que nous sommes nombreux, ici, à respecter. Ils défendent depuis des années la demande que je porte aujourd'hui et s'élèvent avec force contre la cruauté. Leur mobilisation est un exemple de courage et de détermination.
Mes chers collègues, j'ai suivi avec attention le travail que vous avez effectué au sein de la commission des lois. Celle-ci a estimé que « le dispositif proposé était inapplicable en l'état », que le texte « n'apportait pas de solution adaptée au renforcement de la protection des mineurs et était susceptible de poser d'importantes difficultés de droit et de fait ».
Ceux qui nous écoutent pourraient en déduire que le présent texte n'aurait pas été rédigé dans les règles et que le fond du débat serait détourné au prétexte de mettre l'accent sur la forme.
La forme devient soudainement primordiale dans l'argumentation de la commission. Pourtant, le recours à des contorsions juridiques pour maintenir un état d'exception permettant d'exposer des enfants à une pratique que nous interdisons partout ailleurs semble paradoxal.
L'argument selon lequel la proposition de loi serait inapplicable en l'état pourrait bien dévoiler une énième stratégie consistant à éviter de voter ce texte, ou, pire encore, à ne pas lui donner une chance d'être débattu. C'est pourtant ce que réclament 80 % des Français.
En outre, pourquoi ne pas avoir réfléchi à la question des peines, jugées surdimensionnées ? Pourquoi, si la forme est le problème, monsieur le rapporteur, n'a-t-il pas été proposé une solution de substitution, d'autant qu'elle est envisageable ? C'est ce que mon collègue Arnaud Bazin et moi-même avons fait, dans une logique de coconstruction, en déposant un amendement. Nous espérons qu'il permettra la tenue du débat, que de nombreux citoyens, je le redis, attendent aujourd'hui.
Dans cette perspective, nous vous demandons, mes chers collègues, de bien vouloir retirer vos amendements de suppression.
J'y insiste, ce débat de société doit avoir lieu, comme le souhaite une écrasante majorité de Français.
M. Laurent Burgoa. Je pense que nous avons compris !
Mme Samantha Cazebonne. Quel message leur enverrions-nous si la discussion ne devait pas avoir lieu ? En tant que représentants de la Nation, nous ne pouvons pas ignorer leur souhait.
M. Laurent Burgoa. Le temps est écoulé !
Mme Samantha Cazebonne. À ceux qui me disent que ce texte est un premier pas vers l'abolition de la corrida, ou qu'il limite l'accès à ces spectacles avant d'interdire la chasse, je répondrai ceci : il nous incombe, à nous, législateurs, de regarder la loi, toute la loi, rien que la loi.
Comment, en toute bonne foi, pourriez-vous affirmer que leurs craintes se trouvent confirmées par ce texte ? Il n'y est à aucun moment fait mention de la chasse ni d'une quelconque abolition de la corrida.
Je fais appel à votre honnêteté intellectuelle, mes chers collègues. Je sais pouvoir compter dessus.
En conclusion, il est de notre devoir de refuser toute forme de complaisance face à cette réalité. (Marques d'impatience sur les travées des groupes Les Républicains et SER, ainsi qu'au banc des commissions.)
Nous devons agir avec conviction et voir la réalité en face, sans laisser penser ou dire que cette proposition de loi n'aurait pas lieu d'être, au prétexte que le canal législatif ne serait pas le bon, alors que nous n'avons que celui-ci.
M. Laurent Burgoa. Et le respect du temps de parole, monsieur le président ?
Mme Samantha Cazebonne. Invoquer la forme pour faire échec au fond serait un mauvais procès : nous sommes là pour écrire la loi et l'amender, si nécessaire.
Je le répète, ce véhicule législatif est le bon, car il s'agit de modifier un régime dérogatoire. La loi ne doit faire aucune exception quand elle entend protéger les enfants. (Nouvelles marques d'impatience.)
La proposition de loi ne mérite pas d'être présentée comme étant hors sujet, monsieur le rapporteur.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue !
Mme Samantha Cazebonne. Je termine, monsieur le président !
Protéger nos enfants contre la violence n'est pas uniquement une question de législation, c'est un impératif moral.
M. Laurent Burgoa. Déjà deux minutes de dépassement !
Mme Samantha Cazebonne. Ensemble, faisons en sorte que notre engagement mène à un avenir où les droits des enfants sont respectés sur l'ensemble du territoire national, sans exception. (C'est terminé ! sur les travées des groupes Les Républicains et SER.)
M. le président. Vous avez excédé votre temps de parole de deux minutes, ma chère collègue !
Mme Samantha Cazebonne. Je conclus, si vous me le permettez. (Exclamations.)
En une phrase, le Comité des droits de l'enfant des Nations unies et les Français nous regardent : je vous prie donc de faire en sorte que le débat ait lieu. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et GEST. – M. Christopher Szczurek applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Louis Vogel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi soumise à l'examen du Sénat vise à interdire la présence des mineurs de seize ans aux courses de taureaux et aux combats de coqs.
La commission des lois n'a pas adopté le dispositif proposé, considérant qu'il n'était pas adapté à l'objectif du texte. Les auteurs de la proposition de loi ont pris en compte une partie des remarques juridiques formulées par la commission et proposent, par voie d'amendement, un dispositif de substitution.
Permettez-moi de rappeler très brièvement les éléments qui fondent la position de la commission des lois. Ils se situent sur deux plans.
D'abord, le texte a vocation à couvrir des situations très différentes au moyen d'un dispositif unique, fondé sur la notion de sévices faits aux animaux. Voilà qui est source d'incohérences, à la fois formelles et substantielles – j'y reviendrai.
Ensuite, il ne semble pas opportun que la loi se substitue aux parents dans le cadre d'un régime juridique reposant sur des traditions locales avérées.
La proposition de loi entend couvrir à la fois les combats de coqs et les courses de taureaux. Or il est apparu impossible à la commission des lois de traiter les deux situations de la même façon.
Alors que la tradition des combats de coqs semble sur le déclin dans les communes du Nord et du Pas-de-Calais, où elle est autorisée, elle demeure très vivante dans les outre-mer.
M. Christopher Szczurek. Et alors ?
M. Louis Vogel, rapporteur. Les combats de coqs y sont liés à la pratique de paris, assimilables aux paris hippiques. De ce fait, il s'agit d'une activité réservée aux adultes.
Même s'il existe des exceptions, la pratique générale est celle d'un accès libre, sans vente de billets. Le dispositif proposé nécessiterait donc, pour être applicable, la mise en place d'un contrôle de l'accès et une implication très forte des pouvoirs publics, alors même que le nombre de mineurs présents à ces spectacles reste très limité.
La pratique traditionnelle des combats de coqs, en particulier dans les outre-mer, s'en trouverait fortement affectée, sans qu'il y ait eu de concertation préalable avec les acteurs de terrain.
Outre le risque d'un déport vers des pratiques de combats illégaux, il est à craindre que cette mesure soit perçue comme une remise en cause des traditions locales et une source de tensions inutile, surtout dans le contexte actuel.
En ce qui concerne les courses de taureaux, je voudrais formuler différentes observations, qui ne relèvent pas de questions de forme.
Tout d'abord, la proposition de loi interdirait la présence de mineurs de seize ans, y compris pour les courses de taureaux sans mise à mort, dès lors qu'il sera considéré que des sévices sont exercés sur des taureaux. : au-delà des corridas, cela ne pourra que rendre très complexe l'organisation de courses de taureaux landaises ou camarguaises.
M. Laurent Burgoa et Mme Monique Lubin. Absolument !
M. Louis Vogel, rapporteur. Ensuite, le texte prévoit d'interdire deux situations distinctes : celle dans laquelle le mineur de moins de seize ans assiste à la course ou au combat – cette hypothèse est visée dans l'exposé des motifs –, mais également celle dans laquelle il participe à une telle activité.
Pour la clarté de la loi, il faudrait, d'un point de vue juridique, que les deux circonstances soient explicitement visées et distinguées, surtout s'agissant d'un texte pénal, lequel devrait instituer des sanctions différentes selon les cas.
À l'inverse, la proposition de loi ne dit rien des écoles taurines. Si l'effet des mesures proposées est d'interdire aux mineurs de seize ans de participer aux corridas, la question de l'apprentissage de ces pratiques dans les écoles de tauromachie reste entière.
Je note qu'un amendement de Mme Poncet Monge entend répondre à cette difficulté.
En effet, la loi pénale étant d'interprétation stricte, les écoles qui forment à la tauromachie n'entrent pas dans le champ d'application de ce texte, qui ne vise que les courses de taureaux.
Le dispositif proposé interdirait donc aux mineurs de seize ans d'assister aux corridas, mais permettrait aux parents d'inscrire leurs enfants, dès l'âge de six ou de huit ans, dans les quelques écoles de tauromachie que compte notre pays.
Plus grave encore du point de vue du droit, la proposition de loi entend traiter la question de la protection des mineurs, en l'insérant dans deux articles du code pénal relatifs au bien-être animal.
Le texte n'apportant aucune modification au régime pénal, il fait reposer sur l'organisateur la responsabilité liée à la présence d'un mineur de seize ans.
En effet, il ne prévoit de régime de responsabilité ni pour les parents – adultes ou mineurs de seize à dix-huit ans – qui auraient facilité la présence du mineur de seize ans ni, a fortiori, pour le mineur lui-même qui se serait introduit malgré les contrôles et les interdictions.