On peut faire un parallèle entre le régime de responsabilité de l'organisateur et, par exemple, celui qui pèse sur les exploitants de salles de cinéma. Néanmoins, la responsabilité de ces derniers s'exerce conjointement à celle des parents et n'est sanctionnée que par une contravention. La peine paraît plus adaptée à la gravité des faits.

La proposition de loi, dans sa rédaction actuelle, laisse entendre que la présence d'un seul mineur de seize ans transformerait, du point de vue pénal, un spectacle légal en sévices graves infligés à un animal, avec plusieurs circonstances aggravantes, dont celle d'avoir commis un acte ayant entraîné la mort de l'animal en présence d'un mineur.

Cela aurait pour effet d'exposer les personnes physiques à la peine maximale de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende – contre, je le rappelle, une simple contravention pour les exploitants de salles de cinéma – et les personnes morales à l'interdiction d'exercer une activité professionnelle, en application de l'article 131-39 du code pénal.

De fait, si elles étaient mises en œuvre par le juge, de telles sanctions aboutiraient, sans le dire, à interdire les corridas. En outre, elles ne paraissent pas conformes à l'échelle des peines, si l'on se place sur le terrain de la protection des mineurs.

J'en viens maintenant à la question de fond : la loi doit-elle déterminer, à la place des parents, l'âge auquel il est possible de voir une corrida ?

Mme Samantha Cazebonne. C'est déjà le cas dans d'autres domaines !

M. Louis Vogel, rapporteur. La commission des lois n'a pas trouvé de cause déterminante justifiant de retenir l'âge de 16 ans.

Ce seuil correspond à la fin de l'obligation scolaire et à la possibilité d'émancipation, ainsi qu'à l'une des limites d'âge prévues par le système de classification des œuvres cinématographiques.

L'âge retenu dans le texte a été critiqué par les personnes que nous avons entendues.

Certains le jugent trop bas, pour des raisons juridiques. Notons que l'article 521-1 du code pénal considère les sévices sur animaux en présence de mineurs comme une circonstance aggravante sans distinction d'âge, donc jusqu'à l'âge de 18 ans. L'argument selon lequel il est nécessaire de protéger le développement cognitif et psychologique des adolescents jusqu'à bien au-delà de l'âge de seize ans a également été invoqué.

À l'inverse, ce seuil est apparu à d'autres comme élevé au regard de celui de la majorité sexuelle, fixée à 15 ans. Des personnes auditionnées ont évoqué, par exemple, des seuils de 14 ans ou 12 ans.

Vous l'aurez compris, mes chers collègues, il n'existe pas de consensus sur le seuil de 16 ans.

En prévoyant une telle interdiction, la proposition de loi tend à substituer l'appréciation du législateur à celle des collectivités concernées. Or ce choix pose question, étant donné le régime juridique spécifique qui s'applique aux courses de taureaux et aux combats de coqs.

Les traditions locales ininterrompues sont la condition prévue par le législateur pour faire exception au régime des sévices prévu par le code pénal et organiser des corridas. D'un point de vue juridique, elles sont identifiables à des coutumes.

En conséquence, le législateur ne saurait intervenir en matière de traditions locales reconnues comme légitimes sans toucher à la nature même du régime des corridas ou des combats de coqs, qui suppose la possibilité pour les parents de transmettre une coutume établie à leurs enfants.

Dans ces conditions, les règlements taurins adoptés par chacune des municipalités concernées par l'organisation de corridas me semblent un véhicule bien mieux adapté pour encadrer le fonctionnement des écoles taurines et faire évoluer les conditions de présence et de participation des mineurs, en fonction du contexte local et du souhait des collectivités concernées, lesquelles ont des niveaux d'attachement divers à ce type de spectacles.

Enfin, la commission des lois a estimé inopportun de substituer l'appréciation du législateur à celle des parents. Eux seuls, dans le cadre de l'exercice de l'autorité parentale, elle-même encadrée par le code civil et, éventuellement, par le juge aux affaires familiales, déterminent si leurs enfants mineurs peuvent assister ou non à un spectacle fondé sur une tradition reconnue par la loi.

Pour toutes ces raisons, sans nier le caractère intrinsèquement violent des spectacles de combats d'animaux, la commission des lois a estimé que la proposition de loi était inapplicable et que ses effets juridiques étaient disproportionnés au regard de l'objectif visé.

Aussi la commission vous propose-t-elle de ne pas adopter ce texte. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE. – M. Marc Laménie, Mme Monique Lubin et M. Denis Bouad applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, en tant que garde des sceaux, je partage la préoccupation légitime des auteurs de cette proposition de loi relative à la protection des enfants. Elle traite en particulier du risque de surexposition des mineurs à des images violentes, en direct ou diffusées via différents supports de communication.

L'intérêt supérieur de l'enfant doit toujours être la boussole qui nous guide. Le ministère de la justice est certes celui qui sanctionne, mais c'est aussi celui qui protège, notamment les plus vulnérables.

Toutefois, cet objectif bien légitime de protection des enfants ne doit pas nous faire perdre de vue que les premiers protecteurs de l'intérêt de ceux-ci sont ses propres parents.

L'autorité parentale est définie par le code civil comme « un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l'intérêt de l'enfant ». Ses titulaires sont donc, j'y insiste, les premiers gardiens de l'intérêt supérieur de l'enfant : c'est à eux que revient la tâche d'apprécier, à chaque instant, si telle ou telle activité va dans le sens de la protection de leur enfant.

Il est très rare que le législateur se substitue aux parents dans cette appréciation casuistique.

Ainsi, il est de la liberté de chacun de choisir sa culture, ses coutumes, ses pratiques. L'État ne doit pas intervenir, sous peine de se montrer paternaliste, voire invasif, et in fine de déresponsabiliser les parents. À chacun son rôle.

Le moyen de la pénalisation, en outre, n'apparaît pas adapté. Va-t-on pénaliser les parents qui laissent leur enfant regarder des vidéos sur les réseaux sociaux ou jouer à des jeux vidéo violents ?

Cela ne viendrait à l'idée de personne, non pas parce que l'intérêt poursuivi n'est pas compréhensible, mais parce que ce n'est pas en sanctionnant que nous pourrons résoudre le problème. Au contraire, on risquerait de braquer, qui plus est lorsque la question est culturelle. Une politique de prévention est bien plus efficace en la matière.

De la même manière, je comprends l'objectif général de lutte contre la maltraitance animale de cette proposition de loi.

Un ensemble de dispositions du code rural et de la pêche maritime, du code pénal et du code de procédure pénale répriment déjà les sévices graves, les actes de cruauté, l'abandon, les expériences illicites, les atteintes volontaires et involontaires à la vie de l'animal, ainsi que les mauvais traitements. Nous nous assurons de fixer les orientations et suivons la bonne application de cette politique pénale sur l'ensemble du territoire français.

La proposition de loi dont l'examen nous réunit aujourd'hui prévoit de modifier les articles 521-1 et 522-1 du code pénal.

L'article 521-1 tend à réprimer les sévices graves et les actes de cruauté envers un animal : « Le fait, publiquement ou non, d'exercer des sévices graves ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. » Il prévoit un certain nombre de circonstances aggravantes, en particulier si ces actes sont commis en présence d'un mineur.

Quant à l'article 522-1, il sanctionne « le fait, sans nécessité, publiquement ou non, de donner volontairement la mort à un animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité ».

Ces deux articles excluent néanmoins l'application de ces infractions pour les courses de taureaux et les combats de coqs en cas de « tradition locale ininterrompue ». Cette notion est strictement encadrée, notamment par un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 10 juin 2004, qui a fait date.

Ainsi, l'exigence d'une tradition « locale » doit faire l'objet d'une appréciation relativement stricte, qui nécessite de constater l'existence de la tradition non pas dans la localité voisine, mais bien dans celle qui est en cause.

Quant au terme « ininterrompue », il implique que l'organisation de courses de taureaux soit régulière, ce qui interdit de constater cette tradition lorsqu'aucune course n'a été organisée depuis un grand nombre d'années.

La persistance d'une tradition taurine peut toutefois être déduite de l'intérêt que lui porte un nombre suffisant de personnes, comme l'a décidé la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 7 février 2006.

Une tradition locale ininterrompue permettant la tenue de courses de taureaux a ainsi été reconnue pour certaines communes des régions Nouvelle-Aquitaine, Occitanie et Sud – Provence-Alpes-Côte-d'Azur.

Les territoires concernés par les combats de coqs couvrent une cinquantaine de communes des départements du Nord et du Pas-de-Calais, mais aussi La Réunion, la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et la Polynésie française.

C'est bien la preuve du caractère circonscrit du périmètre géographique concerné.

Le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur cette question. Dans une décision du 21 septembre 2012, il a jugé que l'exclusion de responsabilité pénale applicable uniquement dans les parties de territoire national où une tradition ininterrompue est établie ne méconnaissait pas le principe d'égalité devant la loi pénale, dès lors que « la différence de traitement instaurée par le législateur entre agissements de même nature accomplis dans des zones géographiques différentes est en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ».

L'étude attentive de la jurisprudence démontre, de même, que le Conseil constitutionnel a entendu exercer un contrôle sur la nature même de la pratique.

À l'occasion de l'examen de l'incrimination de la création de nouveaux gallodromes, prévue au huitième alinéa de l'article 521-1 du code pénal, le juge constitutionnel a déclaré une telle incrimination conforme à la Constitution, considérant que « si le législateur a entendu, tant pour les courses de taureaux que pour les combats de coqs, fonder l'exclusion de responsabilité pénale sur l'existence d'une tradition ininterrompue, il s'agit toutefois de pratiques distinctes par leur nature ; qu'il ressort des travaux préparatoires de la loi du 8 juillet 1964 susvisée que le législateur a entendu encadrer plus strictement l'exclusion de responsabilité pénale pour les combats de coqs afin d'accompagner et de favoriser l'extinction de ces pratiques ; qu'en interdisant la création de nouveaux gallodromes, le législateur a traité différemment des situations différentes ».

Là aussi, la jurisprudence est venue encore restreindre le périmètre concerné et trouver un point d'équilibre qu'il serait préjudiciable de venir bousculer.

La proposition de loi tend à interdire aux mineurs de seize ans l'accès aux courses de taureaux et aux combats de coqs, alors que le droit en vigueur ne contient aucune restriction d'âge.

Il est nécessaire d'avoir à l'esprit le fait que cette disposition, au-delà du bouleversement de l'équilibre jurisprudentiel évoqué, pourrait avoir un effet secondaire important, puisqu'elle sous-tendrait un contrôle de l'âge légal des participants, mesure lourde, contraignante, qui n'existe – je le redis – nullement jusqu'à présent et qui n'apparaît pas proportionnée. Cet effet de bord serait d'autant plus marqué que, s'agissant des combats de coqs, l'accès est libre, sans vente de billets.

En conclusion, le Gouvernement, s'il partage les préoccupations légitimes liées à l'intérêt supérieur de l'enfant et à la lutte contre la maltraitance animale, n'estime pas que les dispositions proposées soient à même d'atteindre l'objectif visé. Au contraire, celles-ci remettent en question l'équilibre jurisprudentiel et pourraient entraîner des effets de bord non négligeables. C'est pourquoi le Gouvernement est défavorable à l'adoption de cette proposition de loi. (Applaudissements sur des travées des groupes RDPI, SER, INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Laurent Burgoa. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Burgoa. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, quelle ne fut pas ma surprise de voir qu'une telle proposition de loi avait été déposée alors même que notre pays connaît bien des difficultés.

Vous l'aurez compris à mon accent : je vous parlerai surtout de la corrida. Je conçois parfaitement, et je le dis sans ironie aucune, qu'une personne qui n'a pas été initiée à la tauromachie puisse être troublée. C'est d'ailleurs ce trouble qui en fait un art aussi populaire, comme en témoigne la fréquentation de nos arènes.

La corrida et ses acteurs ont pour tutelle le ministère de la culture. Ce n'est pas anodin, car il s'agit là d'un pan de notre culture que l'on voudrait pouvoir librement transmettre aux jeunes générations. Comme toute culture, elle nécessite que l'on s'y intéresse sans préjugés afin de l'apprécier pleinement ; or je doute qu'elle soit connue d'un grand nombre de ses détracteurs. Les arènes sont l'aspect le plus connu de la tauromachie, mais il faut savoir que celle-ci est née d'un culte du taureau, qui remonte à l'Antiquité.

J'invite chacun d'entre vous à visiter un élevage de toros bravos, lieu où les jeunes aficionados se familiarisent avec cette culture. Vous y verrez des taureaux qui ne sont pas ceux du salon de l'agriculture : sans les férias, leur race ne serait jamais parvenue jusqu'à nous. Ils vivent en semi-liberté en terre de Camargue, choyés par les éleveurs – à qui je souhaite rendre hommage tant ils sont en proie à d'importantes difficultés.

Bien qu'ils se battent régulièrement entre eux, ces taureaux mènent une vie bien plus paisible, et surtout plus libre, que leurs congénères destinés à l'abattoir. Leur mort, nous la souhaitons digne d'eux ; nous ne détournons pas le regard, mais cherchons, autant que possible, à la magnifier. Étrangement, dans une société toujours plus aseptisée et numérisée, où l'on parle de plus en plus de transhumanisme, la corrida et son récit trouvent davantage de sens et nous interrogent sur notre rapport à la mort, et donc à la vie.

Les aficionados, dont je fais partie, n'ont jamais manifesté une quelconque volonté de prosélytisme dans les différents départements où ils se trouvent. Ils souhaitent simplement que cette culture soit respectée et puisse être transmise, comme cela a toujours été le cas.

Les collectivités membres de l'Union des villes taurines françaises (UVTF) n'ont d'ailleurs pas attendu le législateur pour prévoir, à l'article 30 du règlement taurin, que les mineurs de moins -de 12 ans doivent être accompagnés.

Notre pays rencontre de nombreuses difficultés, mais je vous prie de croire, mes chers collègues, que la culture taurine n'en est pas une. Si vous souhaitiez souligner une certaine impuissance à régler les difficultés quotidiennes des Français, si vous souhaitiez nous diviser davantage, du nord au sud en passant par les outre-mer – je pense aux combats de coqs –, vous ne vous y seriez pas pris autrement ! Respectons nos identités et notre culture, et laissons aux parents le choix de celles qu'ils veulent transmettre.

Je me réjouis du rejet de ce texte par notre commission des lois et remercie sincèrement M. le rapporteur Louis Vogel de son écoute. Passons à des sujets plus préoccupants pour notre pays et rejetons ce texte, ce que fera très majoritairement le groupe Les Républicains, même si quelques-uns de ses membres auront un vote différent. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE. – MM. Jean-Pierre Grand, Denis Bouad et Pierre Ouzoulias applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi présentée par mes collègues Samantha Cazebonne et Arnaud Bazin, que nous examinons aujourd'hui, permet d'aborder des sujets de société qui, malgré les apparences, ne sont pas foncièrement opposés : la protection des mineurs et le respect des traditions culturelles de notre pays.

Je sais que beaucoup d'entre vous se positionnent contre l'interdiction de la corrida et des combats de coqs en présence de mineurs de moins de seize ans. Je remercie mes collègues d'avoir déposé leur texte, qui nous permet d'avoir un débat démocratique sur ces enjeux dans notre hémicycle. L'ayant moi-même cosigné, je commencerai par exposer les raisons pour lesquelles il mérite d'être débattu.

Comme l'exposé des motifs de la proposition de loi l'indique, le code pénal comporte de nombreuses dispositions protégeant les mineurs de messages ou d'images, quels qu'ils soient, à caractère violent. Or les corridas et les combats de coqs peuvent être violents et sanglants, et débouchent généralement sur la mise à mort d'un animal.

L'encadrement de la diffusion de ces pratiques auprès des mineurs existe lorsque ces événements sont diffusés à la télévision ou en ligne, mais pas dans la vie réelle. Pourquoi ne pas protéger nos enfants de cette violence, alors que le droit français prémunit déjà les mineurs contre une trop grande exposition à la violence virtuelle dans les films ou les jeux vidéo ?

Bien que je sois favorable à la mise en cohérence de notre législation, je comprends les réticences de celles et ceux qui craignent que le texte porte atteinte à l'autorité parentale, et surtout à la liberté de chaque parent d'éduquer ses enfants comme il l'entend.

La tauromachie et les combats de coqs sont des pratiques profondément ancrées dans le patrimoine culturel français. Il est légitime de vouloir préserver cet héritage ; par conséquent, il est fondé de ne pas chercher à s'ingérer dans le parcours éducatif des familles, et de laisser le choix plein et entier aux parents de transmettre ces traditions à leurs enfants.

Je reconnais aussi la complexité soulevée par l'argument de la discrimination. Interdire aux mineurs l'accès aux arènes tout en leur permettant de participer à d'autres activités impliquant la mise à mort d'animaux, comme la chasse, pourrait ainsi être perçu comme une atteinte au principe d'égalité. Cette contradiction mérite notre attention, ne serait-ce parce qu'elle pourrait nuire à la crédibilité du texte.

D'un point de vue économique, il est indéniable que les écoles de tauromachie et les élevages de taureaux représentent un secteur d'activité qui crée des emplois dans nos territoires. En outre, les écoles taurines ne se contentent pas de former de futurs toreros : elles transmettent également des valeurs de discipline, de courage et de respect et participent à l'ancrage culturel de nos territoires. Nous ne pouvons pas ignorer l'impact financier de l'interdiction de la corrida aux mineurs pour ces écoles et pour les passionnés qui, depuis des générations, font vivre cette culture.

Cela vaut également pour les combats de coqs, encore autorisés dans certains départements comme la Guadeloupe, où de nombreuses personnes se réunissent chaque année, lorsque c'est la saison, pour des moments conviviaux.

Cependant, mes chers collègues, il est essentiel de se demander si une tradition peut justifier l'exposition des enfants à des scènes montrant parfois une violence crue. Nos sociétés évoluent, et il est parfois nécessaire de réévaluer certaines pratiques culturelles à l'aune des valeurs que nous défendons aujourd'hui. Encourager l'évolution de nos traditions n'est pas synonyme d'une éradication de notre patrimoine ; c'est, au contraire, leur offrir une voie de renouvellement et leur permettre de s'inscrire dans la modernité.

Cette question délicate nous incite à trouver un équilibre entre la préservation de notre patrimoine culturel et la nécessité de protéger nos mineurs et de favoriser le bien-être animal.

Malgré les avis contradictoires, qu'il convient de considérer avec respect, j'espère que nous débattrons de manière éclairée des enjeux de ce texte.

Le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants est partagé. Chacun aura la liberté de vote sur ce texte et suivra la boussole de sa conscience. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – MM. Laurent Somon et Christopher Szczurek applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Sophie Briante Guillemont. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la corrida et les combats de coqs sont définis, en droit français, comme des actes de cruauté bénéficiant d'une exception pénale en cas de tradition locale ininterrompue.

Je sais à quel point cette assemblée est attachée à la défense des territoires et de leurs traditions locales, dont la corrida fait incontestablement partie. Ainsi, les fêtes taurines sont devenues des corridas ritualisées à partir du XVIe siècle, à la faveur d'une convergence entre facteurs sociaux et volonté politique. Ce sont en réalité les rois catholiques espagnols qui, les premiers, ont utilisé ce spectacle comme un outil d'unification de leurs différents royaumes.

N'oublions donc pas que ce que l'on nomme tradition a des racines politiques, et que la forme actuelle de la corrida est le résultat de son adaptation aux multiples prohibitions, venant aussi bien de l'Église que des autorités qui se sont succédé, auxquelles elle a été confrontée au cours des siècles.

Car la corrida n'a jamais fait l'unanimité. Elle a toujours eu ses détracteurs, et c'est parce qu'elle a eu des détracteurs qu'elle s'est transformée.

Ainsi, la proposition de loi portée par notre collègue Samantha Cazebonne – je tiens d'ailleurs à saluer son initiative, ne serait-ce que parce qu'elle nous permet de débattre de ce sujet – prévoit une nouvelle forme d'adaptation. Il s'agit non pas d'interdire une tradition, mais de l'encadrer et de la mettre en conformité avec notre sensibilité actuelle, ce qui est singulièrement différent.

Je ne crois pas, comme certains d'entre vous ici, que le fait de s'intéresser à la perception des mineurs soit une excuse ou un précédent pour aller vers une interdiction généralisée.

Je trouve d'ailleurs étrange, après le vote hier, dans cet hémicycle, d'un texte en faveur de la protection des enfants, que l'on crie aujourd'hui que cette protection ne serait qu'un leurre. Et quand bien même, qu'est-ce qui est le plus important ? Pour le législateur, compte tenu des mœurs d'aujourd'hui, ce devrait être l'enfant, toujours l'enfant.

Je comprends, et je partage, les inquiétudes que soulève ce texte – je pense surtout à ses insuffisances juridiques. Plusieurs amendements tendent à les corriger. Mais, au fond, le sens du dispositif proposé est très simple : modifier le code pénal afin que seules les personnes de plus de 16 ans puissent assister aux spectacles de tauromachie et aux combats de coqs.

Pourquoi ? Car assister à ces spectacles, d'une violence certaine et d'une cruauté déjà reconnue par la loi, n'a absolument rien d'anodin. Comme nous y invite la CIDE, un seul commandement doit nous guider : l'intérêt supérieur de l'enfant.

De fait, le Comité des droits de l'enfant de l'ONU a fait part de sa préoccupation concernant l'état émotionnel des enfants spectateurs exposés à la violence de la tauromachie. C'est à la demande de ce comité que l'Équateur a interdit l'accès des mineurs à ces spectacles, de même que plusieurs États du Mexique, dont celui de Veracruz, ou encore le Portugal. Cette question est donc loin de faire l'unanimité parmi les pays de tradition taurine.

S'il est vrai qu'aucune analyse poussée n'a été réalisée spécifiquement sur ce sujet, de nombreuses études démontrent les conséquences délétères sur les plus jeunes de la vue d'actes de cruauté envers les animaux, ce qu'ont confirmé les pédopsychiatres auditionnés par le rapporteur.

Toutefois, j'interviens au nom de mon groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE). Aussi me dois-je de défendre les arguments contraires de mes collègues, qui rejoignent largement ceux que nous avons déjà entendus.

Tout d'abord, l'on voudrait encore une fois se substituer à l'autorité parentale, qui ne cesse de reculer alors que nous devrions faire confiance aux parents, lesquels savent mieux que nous ce qui est bon pour leurs enfants. D'ailleurs, il serait préférable que nous réglementions l'accès aux écrans plutôt qu'aux spectacles.

Ensuite, l'on relève l'absence de logique à vouloir voter un texte sur des pratiques qui concernent uniquement les taureaux et les coqs. Pourquoi ne pas légiférer sur le bien-être animal dans son ensemble ?

Enfin, l'on cite l'absence de concertation avec les principaux intéressés.

Ces arguments ne m'ont pas convaincue. J'y insiste, le seul intérêt de ce texte réside dans une meilleure protection des enfants.

Pour toutes les raisons que je viens d'évoquer, les membres du groupe du RDSE voteront, comme à leur habitude, librement sur ce texte, qui aura eu le mérite de nous faire débattre franchement. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, RDPI et GEST. – MM. Arnaud Bazin et Christopher Szczurek applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Florennes. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Isabelle Florennes. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, 3 228 milliards d'euros de dette publique, les ravages du narcotrafic, les enjeux migratoires et écologiques : je pourrais évidemment continuer la liste des défis majeurs qui sont devant nous et qui donnent déjà lieu à des échanges vifs et animés.

Dans une période où le débat public est souvent très tendu, avec une Assemblée nationale morcelée, y avait-il urgence à se préoccuper de l'accès des mineurs aux corridas et aux combats de coqs ? Avant d'aborder le fond du débat, je pense qu'il est légitime de se poser cette question.

Mme Isabelle Florennes. À une très large majorité, notre groupe considère que, non, cela n'est pas le plus urgent et que, oui, cela pourrait raviver des tensions dont nous n'avons pas besoin en ce moment.

M. Christopher Szczurek. C'est absurde !

Mme Isabelle Florennes. Ces tensions sont d'autant plus certaines que le débat est en réalité semé de faux semblants.

En effet, la cible n'est pas celle qui nous a été présentée par les auteurs de la proposition de loi. In fine, le véritable enjeu – chacun ici l'a bien compris –, c'est l'interdiction des corridas et des combats de coqs, moins par souci de protection des mineurs que pour défendre une certaine vision de la condition animale. Cette position peut être défendue par certains et est parfaitement légitime, mais encore faut-il le dire clairement et l'assumer.

Si nous partageons de toute évidence la volonté de protéger les enfants, les mesures présentées ne constituent pas, en tout état de cause, la voie adéquate pour atteindre cet objectif.

Bien entendu, il ne s'agit en aucun cas de nier le caractère violent des spectacles de combats d'animaux. Cependant, nous partageons les nombreux griefs exprimés par le rapporteur Louis Vogel, qui a rappelé, comme il l'avait fait la semaine passée en commission, les importantes difficultés de droit et de fait que soulève le texte, le rendant inadapté et inopportun.

Je vois plusieurs raisons à cela.

Tout d'abord, nous regrettons que la proposition de loi mêle plusieurs situations qui, pourtant, sont distinctes à bien des égards. Ainsi, nous ne saurions appliquer un dispositif pénal identique aux corridas et aux combats de coqs, dans la mesure où ces activités présentent des différences non seulement pratiques, mais aussi territoriales et culturelles. Par exemple, si l'extinction du combat de coqs représente un objectif pour le législateur, les courses de taureaux font l'objet d'un régime moins restrictif – en témoigne la possibilité de construire de nouvelles infrastructures taurines.

Par ailleurs, comme cela a été évoqué en commission, le combat de coqs, spécialement dans les outre-mer, correspond à une activité d'adultes : c'est en tout cas ce que montrent les travaux de notre rapporteur. En outre, il s'agit généralement de manifestations en libre accès, souvent associées à des paris. En contrôler l'accès serait coûteux et difficile alors même que nous ne disposons d'aucune certitude quant à l'intérêt d'un tel dispositif, puisqu'il est fait état d'une très faible présence de mineurs.

Mais, de manière plus pragmatique, l'on voit bien qu'un tel encadrement pourrait, tout simplement, aboutir au développement de combats illégaux. Tentons d'éviter de favoriser de telles dérives, mes chers collègues…

De même, il conviendrait de distinguer les courses de taureaux avec ou sans mise à mort, là où le texte, de manière peu subtile, prévoit une interdiction globale.

Enfin, nous pourrions dissocier les cas du mineur spectateur de celui qui participe au spectacle, car ces deux situations ont des conséquences différentes sur l'enfant.

Sur le plan pénal, plusieurs difficultés se posent, à commencer par la question de la responsabilité, qui incomberait de manière disproportionnée à l'organisateur de l'événement en cas de présence d'un mineur. Qu'en est-il du jeune qui aurait enfreint la loi et de ses parents ?

En outre, la présence d'un mineur aurait pour conséquence de requalifier les corridas et les combats de coqs en sévices graves envers les animaux, entraînant de fait de lourdes peines et ouvrant la voie à une interdiction de principe. Cela n'est tout simplement pas entendable, sauf à assumer clairement qu'il s'agit bel et bien là de l'objectif recherché.

Par ailleurs, au-delà de la problématique de la responsabilité des parents, se pose la question de leur appréciation, puisqu'une telle interdiction limiterait de facto l'exercice de l'autorité parentale.

Enfin, ainsi que nous l'avons évoqué en commission, comment pouvons-nous envisager d'intervenir dans des traditions locales sans consulter les acteurs de terrain ? Cela vaut pour les régions métropolitaines de tradition taurine, mais aussi, bien sûr, pour les nombreux territoires ultramarins où la tradition des combats de coqs est encore très implantée. Le Sénat, chambre des territoires, enverrait alors un message totalement en décalage par rapport à ce qu'il tente toujours de faire : privilégier le dialogue et la concertation locale. Ce serait la caricature d'une décision venue d'en haut, sans concertation.

Si des adaptations doivent être trouvées, notamment pour protéger les mineurs, cela ne peut que s'accompagner, j'y insiste, d'une concertation au niveau local, ce qui ne nécessite pas de modification du code pénal.