Présidence de Mme Sylvie Robert
vice-présidente
Secrétaires :
M. François Bonhomme,
Mme Catherine Conconne.
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Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
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Interdiction du démarchage téléphonique
Adoption d'une proposition de loi modifiée
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Indépendants – République et Territoires, de la proposition de loi visant à interdire le démarchage téléphonique, présentée par M. Pierre-Jean Verzelen et plusieurs de ses collègues (proposition n° 782 [2023-2024], résultat des travaux de la commission n° 119, rapport n° 118.)
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Pierre-Jean Verzelen, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE et UC.)
M. Pierre-Jean Verzelen, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je ne développerai pas ici toutes les bonnes raisons qui m'ont amené à déposer cette proposition de loi. Vous avez tous, comme moi, un téléphone. Comme moi, vous avez une famille et des amis. Comme moi, vous avez rencontré dans vos permanences des personnes, souvent âgées ou isolées, qui ont été victimes de fraude ou d'escroquerie.
J'aimerais, en avant-propos, que l'on se mette d'accord sur les termes. En matière de définitions, je ne connais pas mieux que le Petit Larousse, selon lequel le démarchage téléphonique est une technique qui consiste, pour un commercial, à solliciter par téléphone quelqu'un qui n'a pas manifesté d'intérêt pour les produits ou services qu'il vend.
Cette proposition de loi vise à mettre fin au démarchage téléphonique tel qu'il vient d'être défini. Je sais, madame la rapporteure, que la définition du Petit Larousse n'est pas la même que celle du droit commercial ou du droit de la concurrence.
Ce sujet soulève une question qui traverse toutes les sociétés modernes : celle de la gestion de nos données personnelles, qui sont captées, légalement ou non, vendues, échangées, utilisées, stockées.
Les appels que nous recevons procèdent pour une grande part de ces données, mais pas seulement. Ils viennent aussi de robots, qui génèrent toute la journée des numéros de téléphone : quand un numéro existe, un appel est lancé et un téléconseiller, souvent installé de l'autre côté de la Méditerranée, essaie alors d'engager la conversation afin de nous vendre quelque chose.
Quelle est la situation ? Les spécialistes vous parleront de l'opt-out et de l'opt-in. J'emploierai des mots français : nous vivons actuellement, et j'espère pour peu de temps encore, dans l'ère de l'opt-out, ce qui signifie que chaque Français est considéré comme consentant au démarchage téléphonique.
Depuis un certain nombre d'années, des lois ont été votées, des décisions ont été prises, afin d'essayer de réguler, d'encadrer et de contraindre les acteurs du marché. Je pense à la création du dispositif Bloctel, qui s'est révélé inefficace, ou encore à l'aménagement des horaires d'appel et à l'interdiction du démarchage téléphonique dans certains secteurs d'activités, qui n'ont pas fonctionné non plus. Aujourd'hui, la situation aurait même tendance à empirer.
Vouloir trouver des solutions dans le cadre actuel revient à verser de l'eau dans du sable. Notre ambition, en déposant cette proposition de loi, est d'inverser le principe, en basculant dans le système de l'opt-in : chaque Français serait présumé non consentant pour être démarché téléphoniquement. Le consommateur ou le citoyen n'aurait plus à subir les choses.
Je voudrais dire un mot des conséquences économiques ou en termes d'emplois d'un tel basculement. Les craintes qu'il suscite à cet égard empêchent ce dossier d'avancer depuis des années.
Les chiffres qui sont avancés sont farfelus, ne reposent sur aucune étude crédible et ne décrivent en rien la réalité. Les plateformes téléphoniques installées en France proposent quasi exclusivement des services de relations commerciales « plus-plus ». Cette proposition de loi ne remet nullement en cause leur travail.
Je dénonce les méthodes de calcul selon lesquelles tous les salariés d'une société intervenant dans ce secteur seront affectés par cette proposition de loi, alors que le démarchage téléphonique ne représente parfois que 0,01 % du chiffre d'affaires des sociétés concernées– je pense notamment à l'assurance.
La vérité, c'est que le démarchage téléphonique à froid ne fonctionne plus. Comme dirait le dicton populaire : trop de démarchage tue le démarchage.
J'en veux pour preuve ce que beaucoup d'entreprises sérieuses nous ont dit au cours de nos travaux préparatoires : « Assainissez le secteur ! Plus personne ne décroche le téléphone, nous n'arrivons pas à joindre les prospects qui nous ont sollicités et nous avons même du mal à contacter nos propres clients. »
Au travers de cette proposition de loi, je souhaite inscrire dans la loi le principe selon lequel on ne peut être démarché par téléphone si l'on n'a pas donné au préalable son consentement éclairé à une entreprise pour le faire.
Je veux remercier l'ensemble de nos collègues qui se sont associés à cette démarche. Je remercie aussi sincèrement la rapporteure, Olivia Richard, pour son implication, pour son temps, pour sa maîtrise du travail législatif et son savoir-faire politique, grâce auxquels nous devrions pouvoir adopter un texte retravaillé, qui rendra le dispositif applicable.
Depuis que j'ai déposé cette proposition de loi, de nombreuses personnes me disent combien il leur tarde de voir ce dispositif mis en place, car ils n'en peuvent plus. Je prends tout de suite la précaution d'expliquer que les appels ne cesseront pas demain matin. J'ai bien conscience que nous ne devons pas susciter trop d'espoirs autour de ce texte, afin d'éviter tout risque de déception ultérieure.
Plusieurs étapes doivent encore être franchies. Nous devons commencer par nous accorder aujourd'hui sur l'inversion du principe, c'est à dire sur le basculement de l'opt-out à l'opt-in. Si nous adoptons le texte, il faudra ensuite qu'il soit inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale…
Nous pouvons nous réjouir de la dynamique parlementaire et de l'adoption, hier, par la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale, d'une proposition de résolution de la députée Louise Morel, invitant le Gouvernement à se prononcer en faveur de la modification du régime du démarchage téléphonique au niveau européen, afin d'harmoniser les régimes de démarchage téléphonique en Europe sur la base de l'opt-in. De même, la proposition de loi visant à renforcer les droits des consommateurs pour les protéger du démarchage téléphonique, déposée voilà quelques jours par le député Pierre Cordier, s'inscrit dans la droite ligne du présent texte.
Je me suis inspiré de quelques-uns de nos voisins, notamment du Portugal et de l'Allemagne, qui a inscrit le principe de l'opt-in dans son droit positif voilà une dizaine d'années. Les résultats commencent à se faire sentir : cela n'a pas été immédiat, il a fallu attendre que le Gouvernement décide de faire de ce sujet une priorité et d'utiliser les outils législatifs mis à sa disposition – en clair, il s'agit de taper vite et fort au porte-monnaie de ceux qui ne respectent pas la règle.
Vous l'avez compris, madame la secrétaire d'État, une fois que le Parlement aura adopté ce texte, il reviendra au Gouvernement de l'appliquer et de le faire vivre, afin qu'il soit effectif et utile.
Les opérateurs téléphoniques sont des acteurs essentiels pour la réussite de ce projet. Certains d'entre eux, d'ailleurs, ne sont pas les derniers à faire du démarchage téléphonique. Ils doivent désormais mettre en œuvre le mécanisme d'authentification des numéros (MAN), afin de mieux filtrer les appels abusifs et frauduleux.
Mes chers collègues, j'espère que vous souscrivez à l'objectif de cette proposition de loi. Il s'agit d'un sujet à bas bruit, qui concerne le quotidien des Français et qui exaspère à peu près 65 millions d'entre eux. Nous proposons de changer de braquet, de bâtir un outil législatif qui permette au Gouvernement d'obtenir des résultats significatifs dans le temps. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE et UC. – M. Antoine Lefèvre applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Olivia Richard, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, au moins une fois par semaine sept Français sur dix reçoivent sur leur téléphone, mobile ou fixe, un appel de démarchage. Pour presque quatre Français sur dix, ces appels sont quotidiens.
Ils n'ont pourtant rien demandé, ne comprennent pas comment leur numéro a pu être communiqué et sont impuissants à faire respecter leur tranquillité. Ils en ont marre, et nous sommes quelques-uns dans cet hémicycle à partager ce sentiment…
Selon l'UFC-Que Choisir, 97 % des Français sont exaspérés par le démarchage téléphonique. Les associations de consommateurs que j'ai auditionnées ont unanimement confirmé que ledit démarchage faisait partie de ces irritants du quotidien qui nous empoisonnent la vie.
C'est dans ce contexte que notre collègue Pierre-Jean Verzelen a déposé une proposition de loi visant à interdire cette pratique, du moins à en resserrer drastiquement l'encadrement.
Cette volonté de s'attaquer une nouvelle fois au fléau du démarchage téléphonique abusif doit être saluée, quatre ans après l'entrée en vigueur de la loi du 24 juillet 2020 visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux, dite loi Naegelen, qui avait elle-même succédé à la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite loi Hamon.
Nous disposons désormais de suffisamment de recul pour tirer un bilan du régime d'encadrement du démarchage téléphonique établi par ces lois. Je rappelle que celui-ci repose sur le principe de l'opt-out, à savoir qu'il appartient aux consommateurs d'indiquer a posteriori leur opposition au démarchage téléphonique. Pour ce faire, ils peuvent, depuis 2016, s'inscrire gratuitement sur la liste Bloctel. Les professionnels ont l'interdiction de contacter les consommateurs inscrits sur cette liste et doivent veiller à régulièrement expurger de leurs fichiers de démarchage les numéros qui y figurent.
Des exceptions subsistent pour les entités à caractère non commercial, comme les associations, pour la presse ou en cas d'une relation contractuelle – c'est l'exception client.
Eu égard aux fraudes massives observées par le passé, le démarchage est totalement interdit pour ce qui concerne le compte professionnel de formation (CPF) et la rénovation énergétique.
Les horaires et les fréquences d'appel sont limités. Depuis l'entrée en vigueur bien tardive du décret d'application du 13 octobre 2022, les appels sont autorisés en semaine de dix heures à treize heures, ainsi qu'entre quatorze heures et vingt heures. Il est interdit de recontacter un consommateur plus de quatre fois en trente jours. Si celui-ci a exprimé son opposition au démarchage au cours de la conversation, il ne peut plus être recontacté avant soixante jours.
En complément de ces règles inscrites dans le code de la consommation, le règlement général sur la protection des données (RGPD) s'applique pleinement. Les consommateurs doivent théoriquement être informés de l'usage qui sera fait de leurs données et pouvoir faire valoir à tout moment leur droit d'opposition.
Le démarchage téléphonique légal, mais non sollicité, doit être distingué de deux phénomènes connexes, qui lui sont pourtant largement associés dans l'esprit des consommateurs en raison de la similarité des nuisances qu'ils engendrent.
Il s'agit tout d'abord du démarchage électronique, par mail ou par SMS, qui est soumis à un régime juridique distinct et qui repose sur le principe de l'opt-in. La légalité de l'opération est alors conditionnée au consentement préalable du consommateur, que celui-ci exprime généralement en cochant ou non certaines cases sur internet.
Il s'agit ensuite du démarchage illégal ou des pratiques téléphoniques frauduleuses, sur lesquelles je reviendrai. Ce cadre législatif a été significativement renforcé en 2020, notamment grâce à l'apport de notre collègue André Reichardt. Hélas, la loi Naegelen n'a pas produit les résultats que nous espérions – c'est peu de le dire.
La commission des lois partage ainsi pleinement le constat de Pierre-Jean Verzelen sur les lacunes du système actuel, et ce pour au moins quatre raisons.
Premièrement, la liste Bloctel est méconnue et sous-utilisée. Elle ne compte que 6 millions d'inscrits et 12 millions de numéros de téléphone, ce qui ne représente que 9 % des Français et seulement 10 % des lignes téléphoniques ouvertes.
Certes, le nombre de signalements est en baisse sur la période récente. Toutefois, les services de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) l'expliquent soit par une lassitude des consommateurs, qui ont intégré la nuisance et qui se contentent de ne plus décrocher leur téléphone, soit par le report des signalements vers une plateforme de signalement destinée à la rénovation énergétique, SignalConso.
Deuxièmement, les infractions ne se sont pas taries. Si certains acteurs sont vertueux, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) et la DGCCRF s'accordent pour dire que nombre d'entre eux s'exonèrent encore de leurs obligations : 60 % des 5 300 établissements contrôlés en 2023 étaient ainsi en infraction.
Troisièmement, les sanctions sont insuffisantes. Certes, 200 amendes administratives ont été prononcées l'année dernière pour un montant total de 4,4 millions d'euros, mais les mailles du filet sont larges…
Sur ce point, ne nous leurrons pas : la persistance des nuisances résulte moins d'éventuelles lacunes du cadre juridique que d'une masse de comportements voyous de la part d'acteurs souvent situés à l'étranger et parfaitement indifférents à leurs obligations légales.
Quatrièmement, force est de constater que le déploiement des solutions techniques prescrites par le législateur pour limiter les nuisances est totalement embourbé.
La loi Naegelen imposait aux opérateurs de déployer un mécanisme d'authentification des appels avant le mois de juin 2023, afin d'assurer leur traçabilité et d'empêcher l'usurpation de numéro. Ce dispositif vient seulement d'être mis en œuvre en octobre dernier, pour les seuls numéros fixes. La suite devrait venir, nous dit-on, dans quelques mois…
En bref, nous sommes soumis au bon vouloir d'opérateurs, qui ont eux-mêmes abondamment recours au démarchage. Je me permets d'attirer votre attention, madame la secrétaire d'État, sur cette situation profondément regrettable.
C'est dans ce contexte que Pierre-Jean Verzelen nous propose de changer de paradigme, en inversant la charge de la preuve en ce qui concerne le consentement des consommateurs. Cette piste me semble intéressante.
En basculant dans un régime d'opt-in, seuls les consommateurs inscrits sur une liste de consentement spécifique pourraient être démarchés, tout en préservant les exceptions relatives à la presse ou aux appels liés à l'exécution d'un contrat en cours.
Conformément à la volonté de notre collègue, la commission des lois n'a pas adopté ce texte, afin de débattre, en séance publique, de la version originale de la proposition de loi. Cela ne signifie nullement que nous soyons hostiles à un passage à l'opt-in.
Le constat d'échec de la loi Naegelen nous conduit à amender la position que le Sénat avait adoptée il y a cinq ans. Il s'agissait alors de donner une dernière chance au système d'opt-out, quitte à se résoudre à basculer vers l'opt-in. Malheureusement, nous y sommes.
Alors que cette ultime tentative de sauvetage de l'opt-out a échoué, l'opt-in est désormais la seule solution qui nous reste. Nous devons prendre acte de l'épuisement de l'ensemble des autres options disponibles pour répondre à l'exaspération légitime de nos compatriotes.
J'ajoute qu'opt-in et sauvegarde de l'emploi ne sont pas nécessairement antinomiques. Je passe sur les incertitudes quant au nombre réel d'emplois concernés. Les centres d'appels emploieraient entre 29 000 et 40 000 personnes pour le traitement des appels sortants, mais cette activité ne se réduit pas au démarchage stricto sensu et inclut la relation client. C'est dire si cette estimation est plus qu'approximative.
La commission des lois rejoint donc pleinement l'esprit de la démarche de Pierre-Jean Verzelen. En revanche, il nous a semblé que les modalités pratiques du système proposé n'étaient pas nécessairement les plus adaptées.
L'établissement d'une liste de consentement universelle est problématique eu égard à la spécificité du consentement tel qu'il est défini par le RGPD : on consent non pas en général, mais en particulier.
Surtout, l'instauration de cette liste engendrerait un risque réel de destruction d'emplois dans la mesure où le nombre d'inscriptions serait probablement infime.
Pour surmonter ces obstacles, je vous soumettrai un amendement visant à aligner le régime du démarchage téléphonique sur celui du démarchage électronique. De la sorte, la lisibilité du cadre juridique d'ensemble sera renforcée, tandis que les effets sur l'emploi seront maîtrisés. Il reviendrait aux démarcheurs d'adapter leur processus opérationnel pour recueillir le consentement du consommateur en amont – je ne doute pas qu'ils y parviendront.
Je recommanderai par ailleurs une entrée en vigueur du dispositif en août 2026, ce qui correspond à la date d'échéance de la concession accordée pour la gestion du service Bloctel.
Enfin, la lutte contre les nuisances liées au démarchage téléphonique ne se réduit pas au choix entre l'opt-in et l'opt-out. Je vous proposerai donc d'adopter plusieurs amendements, qui visent quatre objectifs.
Premièrement, il s'agit de limiter encore davantage les désagréments provoqués par le démarchage légal. Je propose ainsi, d'une part, de réduire la fréquence et les horaires d'appel autorisés, de l'autre, d'interdire explicitement le rappel d'un consommateur ayant exprimé son refus d'être démarché au cours de la conversation.
Deuxièmement, il faut protéger les consommateurs les plus vulnérables. Les personnes âgées sont bien souvent les premières victimes de démarcheurs « cow-boys » peu scrupuleux. Pour les protéger, je propose d'introduire un délai de carence de vingt-quatre heures avant l'acceptation d'une offre commerciale transmise par téléphone. Je propose également de renforcer les sanctions pour les faits d'abus de faiblesse lorsqu'ils sont commis par l'entremise d'un démarchage téléphonique.
Troisièmement, il convient de mieux maîtriser l'utilisation des données des consommateurs. Je propose que leur consentement soit requis pour l'inscription de leur ligne fixe dans l'annuaire, comme c'est le cas pour les mobiles.
Enfin, je souhaite faciliter la tâche des administrations pour poursuivre et sanctionner. Toutes m'ont alertée sur les difficultés qu'elles rencontraient à se partager des informations pourtant cruciales, en raison du secret de l'instruction.
Je proposerai en outre de modifier le titre de la proposition de loi pour éviter tout risque de déception des consommateurs.
Vous l'aurez compris, la commission des lois est pleinement associée à la démarche de notre collègue Pierre-Jean Verzelen dans la lutte contre les nuisances associées au démarchage téléphonique abusif. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et RDPI, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC – M. Michel Masset applaudit également.)
Mme Laurence Garnier, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargée de la consommation. Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, nous serons tous d'accord pour dire que le démarchage téléphonique préoccupe un nombre important de Français. Il constitue aujourd'hui un irritant de la vie quotidienne sur lequel nous sommes, les uns et les autres, régulièrement interpellés.
Neuf Français sur dix se disent excédés par le démarchage téléphonique. Ce phénomène soulève aussi des enjeux d'information de la population : le maire d'une commune rurale me disait récemment qu'il n'arrivait plus à joindre certains de ses concitoyens en cas de difficultés particulières, par exemple météorologiques, parce que certaines personnes âgées ne décrochent plus leur téléphone du fait de ce harcèlement. Je remercie donc le sénateur Verzelen de mettre ce sujet à l'ordre du jour.
Je voudrais commencer par rappeler quelques points importants.
Le démarchage téléphonique en France est légal et autorisé ; par exception, il est interdit dans certains cas de figure, notamment lorsqu'il s'adresse à des personnes qui se sont inscrites sur la liste d'opposition Bloctel. Je ne peux d'ailleurs qu'encourager l'ensemble des Français qui ne souhaitent plus être démarchés à s'y inscrire. Le dispositif commence à être connu, mais il peut encore gagner en notoriété.
Comme l'a rappelé Mme la rapporteure, plusieurs évolutions législatives ont permis d'encadrer le démarchage téléphonique. Je pense notamment à la loi Naegelen de 2020.
Premièrement, la prospection téléphonique est interdite pour tout ce qui concerne la rénovation énergétique. Cette interdiction a ensuite été étendue aux appels relatifs au compte personnel de formation.
Deuxièmement, les jours, les horaires, les fréquences des appels sont désormais encadrés. Une entreprise ne peut appeler un prospect qu'entre dix heures et treize heures et entre quatorze heures et vingt heures, à l'exclusion des week-ends et des jours fériés.
Troisièmement, la loi a prévu des sanctions plus dissuasives en cas de manquement. Elle retient désormais la responsabilité du donneur d'ordre des appels émis.
Enfin, et peut-être avant tout, la loi a prévu la mise en place d'un mécanisme d'authentification des numéros, qui semble prometteur. Il incombe aux opérateurs téléphoniques d'installer sur leur réseau un dispositif d'authentification des numéros de téléphone : s'ils constatent que le numéro ne correspond pas à l'identité de celui à qui il a été attribué, c'est-à-dire qu'il y a usurpation, ils doivent bloquer l'appel. Ce dispositif, unique au monde, doit représenter une partie de la solution.
Tout cela étant rappelé, nous devons faire preuve d'honnêteté et reconnaître que le bilan de l'ensemble de ces mesures est en demi-teinte.
Bloctel permet aujourd'hui aux 5,7 millions de Français inscrits sur cette plateforme, ce qui représente 11 millions de numéros de téléphone, d'être moins démarchés. Des contrôles de la DGCCRF sont activement menés ; j'en profite pour rappeler à nos concitoyens qu'ils peuvent signaler, soit sur Bloctel, soit sur SignalConso, les appels frauduleux qu'ils reçoivent.
Les services de l'État sont pleinement mobilisés sur ce sujet, qui est particulièrement pénible pour nos compatriotes. En 2023 et en 2024, 8 000 établissements ont été contrôlés. Les contrôles seront encore renforcés en 2025, à ma demande.
Malgré cela, force est de constater que de nombreuses pratiques illégales perdurent. Je crois que nous devons d'abord mieux les connaître et les identifier pour pouvoir agir efficacement.
Ces pratiques illégales sont de plusieurs ordres.
Il s'agit tout d'abord de numéros usurpés : c'est le cas lorsque le numéro de votre banque s'affiche alors que la personne à l'autre bout du fil est en fait un fraudeur.
Il peut s'agir aussi d'opérateurs situés à l'étranger, donc difficiles à atteindre, qui utilisent pourtant des numéros de téléphone français, ce qui est interdit.
Il peut enfin s'agir d'opérateurs à l'étranger, qui n'ont aucun donneur d'ordre français, alors que c'est une obligation.
Tel est le premier champ des difficultés auxquelles nous faisons face.
Par ailleurs, le déploiement du mécanisme d'authentification des numéros, que j'évoquais à l'instant, accuse un retard important. Les opérateurs auraient dû être prêts à couper les appels à partir du 1er juillet 2023. Ils nous ont fait part de difficultés techniques ; le délai a donc été repoussé au 1er octobre 2024. Depuis cette date, vous avez suivi dans la presse un certain nombre d'évolutions : il semble que les opérateurs parviennent à bloquer les appels usurpés lorsqu'ils sont à destination d'un téléphone fixe. C'est une première avancée.
Pour autant, le mécanisme ne fonctionne pas lorsque l'appel se dirige vers un téléphone mobile. C'est bien évidemment un sujet de préoccupation essentielle compte tenu de l'équipement en téléphones mobiles de nos concitoyens…
La présente proposition de loi prévoit un changement majeur en la matière. Comme l'ont souligné son auteur et la rapporteure, il s'agit de basculer d'un système d'opt-out, dans lequel le consommateur exprimait son vœu de ne pas être contacté, vers un système d'opt-in, dans lequel le consommateur devrait exprimer son souhait d'être contacté – à défaut, le démarchage serait interdit.
Ce changement présente l'avantage de porter un message clair aux consommateurs : s'ils n'ont pas exprimé volontairement leur accord pour être démarchés, ils ne pourront plus l'être. De ce point de vue, ce texte présente une vertu pédagogique allant dans le bon sens.
Toutefois, le schéma envisagé soulève un certain nombre de difficultés non négligeables.
La première d'entre elles, c'est que les fraudeurs contre lesquels nous souhaitons tous lutter – et je rappelle que les services de l'État et de la DGCCRF sont déjà fortement mobilisés sur ce sujet – violent déjà la loi par définition. Il y a fort à parier qu'ils continueront de le faire, puisqu'ils se savent difficilement détectables parmi les millions d'appels réalisés.
Comme vous l'avez souligné, madame la rapporteure, le risque de déception de nos concitoyens est important, ce dont nous devons tenir compte. Dès lors, il me paraît plus efficace, dans un premier temps, de répondre à la situation que nous connaissons par un renforcement des contrôles et par l'utilisation de moyens techniques pertinents.
Deuxième difficulté, la proposition de loi présente un certain nombre de fragilités juridiques. Elle interdit rigoureusement tout démarchage téléphonique, y compris celui qui est effectué dans de bonnes conditions – cela existe.
Par ailleurs, elle semble contraire à certaines dispositions du RGPD. En vertu du droit européen, le consentement doit en effet être spécifique, éclairé et univoque. Or la proposition de loi prévoit un consentement non pas spécifique, mais global, quel que soit le domaine d'activité du démarcheur.
Troisième difficulté, la proposition de loi fait planer un risque sur plusieurs milliers d'emplois, même s'il est vrai que les chiffres sont difficiles à établir de manière précise, sans garantir la fin du démarchage abusif.
La rapporteure propose des modifications qu'il me semble pertinent d'étudier et d'approfondir. Je tiens d'ailleurs à la remercier des travaux qu'elle a menés.
Son amendement sur l'article unique vise à instaurer un consentement au cas par cas, c'est-à-dire un système d'opt-in décentralisé, qui serait davantage conforme aux dispositions du RGPD. Ce dispositif permettrait utilement de surmonter les difficultés pratiques et juridiques que poserait la mise en place d'une liste nationale, comme le prévoit la rédaction initiale. Un travail complémentaire serait toutefois nécessaire pour s'assurer de l'efficacité du dispositif.
L'adoption de cet amendement permettrait de supprimer certaines des interrogations que nous pouvions avoir sur le texte initial, notamment celles qui concernent les risques pour l'emploi. En revanche, la question de l'efficacité réelle reste en suspens. Le Gouvernement s'en remettra donc à la sagesse du Sénat sur cet amendement.
En conclusion, je souhaiterais évoquer la mise en œuvre du mécanisme d'authentification des numéros. La loi a été votée en 2020 ; quatre ans plus tard, le déploiement est partiellement engagé, mais chacun mesure les progrès qui restent à faire.
Nous devons apprécier la complexité technique à laquelle sont confrontés les opérateurs. Avec le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, Antoine Armand, nous réunirons très prochainement l'ensemble des opérateurs téléphoniques pour faire un point sur la mise en place du mécanisme, afin de comprendre précisément les difficultés rencontrées, de leur rappeler l'urgence d'un déploiement total et de les accompagner dans cette voie.
Le Gouvernement est bien évidemment très attaché à ce que les obligations déjà prévues par la loi soient pleinement respectées, à ce que les dispositifs existants soient mieux connus de nos concitoyens et à ce que les contrôles soient renforcés.
Nous partageons pleinement l'objectif visé par les auteurs du texte, raison pour laquelle nous nous en remettrons à la sagesse du Sénat.
J'indique enfin que certains des amendements de la rapporteure nous semblent constituer des avancées bienvenues, notamment pour faciliter les contrôles et renforcer les sanctions à l'égard de tous ceux qui ne respectent pas le cadre légal. Le Gouvernement les soutiendra pleinement. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains UC et INDEP.)