M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour explication de vote.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Je voterai des deux mains cette proposition de loi. Ce n’est pas la révolution : on propose de laisser 10 % de bénéfices aux Ehpad privés, ce qui n’est pas rien !
Ça me fait un peu sourire, car pratiquement tous les intervenants ont cité Victor Castanet. Tous se sont accordés à reconnaître que ce qui s’était produit dans certains Ehpad, notamment ceux d’Orpea, était scandaleux, qu’il s’agissait de maltraitance et que les tarifs pratiqués étaient exorbitants. Mais, à la fin, j’entends certains nous annoncer qu’ils ne voteront pas ce texte, car il ne faudrait tout de même pas prendre d’argent aux Ehpad privés…
Quelle autre solution proposez-vous ? Ces Ehpad privés, rappelons-le, bénéficient de fonds publics alors que 85 % des Ehpad publics sont en déficit. J’attends donc vos propositions !
Que propose aussi le Gouvernement ? Cela fait de longs mois qu’un projet de loi sur l’autonomie et le grand âge est annoncé, mais nous ne voyons toujours rien venir. Nous espérons qu’il verra le jour prochainement. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST. – Mme Maryse Carrère applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Bruno Belin, rapporteur. Je vous ai tous écoutés avec grande attention. Par-delà le débat, c’est un défi qui nous attend. En effet, mes chers collègues, tout cela fonctionne avec de l’argent public. L’ARS, c’est de l’argent public. Les dotations des départements, c’est aussi de l’argent public !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Exactement !
M. Bruno Belin, rapporteur. Cela fait vingt-cinq ans que je suis élu départemental, je sais de quoi je parle. D’ailleurs, comment donner aux départements les moyens d’agir à un moment où les conseils départementaux n’ont plus de ressources fiscales dynamiques ? Je ferai une proposition lors de l’examen du projet de loi de finances afin de doper un peu les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) en les augmentant de 1 point. Cela permettrait de dégager des ressources qui pourraient être fléchées, pourquoi pas, vers les compétences sociales des départements.
Quoi qu’il en soit, n’ayons pas le privé honteux. (M. Daniel Salmon proteste.) Au contraire, nous avons besoin de lui !
Je suis rapporteur spécial sur l’immobilier de la gendarmerie nationale : nous signons bien des partenariats public-privé. Quand on construit la ligne à grande vitesse (LGV) Tours-Bordeaux, on recourt aussi à des partenariats public-privé ! Pourquoi ne pas nous appuyer également sur le privé pour les Ehpad d’autant que les collectivités sont en situation de fragilité ? Nous le savons tous, les communes et les départements doivent trouver des solutions.
J’entends qu’il faudrait taxer les superprofits… Mais où sont-ils en 2024 ? Il ne faut pas s’intéresser à la météo d’hier, il faut s’intéresser à ce qui se passe aujourd’hui. Vous brandissez des moyennes, mais je connais tous les groupes et tous les Ehpad. Voyez la liquidation judiciaire de Medicharme !
Nous avons fait des propositions. Nous avons notamment évoqué une nouvelle journée de solidarité : pourquoi pas ? Je salue le courage de Jean-Pierre Raffarin qui, en 2004, avait pris cette initiative. (Protestations sur les travées des groupes SER et GEST.) Cela rapporte 2,4 milliards à la CNSA. La défiscalisation des achats de chambre en Ehpad est aussi un vrai sujet. Voilà autant de questions qu’il nous faudra mettre sur la table le moment venu.
En tout état de cause, une nouvelle taxe est une mauvaise idée au moment où l’on a besoin de tous. Nous devons relever le défi de créer 100 000 places supplémentaires dans les cinq ans à venir. Il faut s’en occuper maintenant, car cela implique également le recrutement de plus de 60 000 salariés en établissement. Or, aujourd’hui, le compte n’y est pas.
Vous avez parlé du qualitatif. Il va aussi falloir se préoccuper de former ces personnes et de financer leur formation.
J’en appelle au bon sens du ministre, dont je ne doute pas. Il faut un fonds de soutien aux établissements. J’espère que nous pourrons en reparler dans les semaines à venir.
Vous l’aurez compris, la commission des finances est défavorable à ce texte, même si j’ai pris connaissance de vos positions avec respect et intérêt.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Paul Christophe, ministre des solidarités, de l’autonomie et de l’égalité entre les femmes et les hommes. Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis ministre depuis seulement trois semaines : je me suis donc attaché à l’urgence !
Mme Cathy Apourceau-Poly. On sait que cela va arriver !
M. Paul Christophe, ministre. La première urgence est de répondre à l’aspect financier de la crise des Ehpad, que vous avez tous souligné. Tout le ministère est mobilisé pour vous apporter des éléments de réponse d’ici à quelques semaines, monsieur le rapporteur.
La deuxième urgence est le projet de loi de financement de la sécurité sociale, dont vous aurez à vous saisir prochainement. J’entends que le président Patrick Kanner est déjà très motivé pour faire des propositions…
Je serai à l’écoute du Sénat, monsieur le rapporteur, car je sais à quel point vous maîtrisez le sujet – j’en veux pour preuve le rapport sur la situation des Ehpad qui a été présenté le 25 septembre dernier dans ces murs. Je sais également que vous avez, pour beaucoup d’entre vous, fait l’expérience de la gestion départementale.
Il existe en effet plusieurs axes de réflexion.
Comme cela est souligné dans le rapport, on enregistre une dégradation du taux de remplissage depuis la crise de la covid-19. Je vous l’accorde, les taux de remplissage sont très disparates selon les territoires : certains atteignent 100 % quand d’autres sont à des niveaux d’occupation bien inférieurs.
Je rappelle également que l’État a augmenté de 50 % depuis 2019 sa participation sur le volet sanitaire. Ce n’est pas neutre.
Par ailleurs, comme vous l’avez signalé à juste titre – car le Sénat, c’est sa force, est connecté avec les territoires –, il importe d’apporter des réponses à partir des besoins des territoires. Il ne s’agira pas forcément de l’hébergement. On voit bien d’ailleurs que les besoins sont connexes : certains ont besoin d’hébergement pour les personnes âgées vieillissantes, d’autres pour les étudiants, d’autres encore ont besoin de solutions de répit – on n’en a pas parlé aujourd’hui, mais je sais que vous vous saisissez du sujet.
Il faut donc aborder la question des Ehpad de manière plutôt horizontale et pas uniquement verticale. L’approche doit être celle des besoins des territoires. Comment transformer l’offre pour répondre à ces enjeux ?
Vous attendez une loi sur le bien vieillir. Pour ma part, je souhaiterais plutôt une loi sur le bien vivre ! (Murmures sur les travées du groupe SER.) Comment bien vivre au sein de sa commune, à partir d’un territoire, dans un Ehpad ? Telle est la problématique dans laquelle nous devrons nous inscrire collégialement. Je ne doute pas de votre volonté au vu de vos nombreuses prises de parole et de la justesse de vos propos. C’est en tout cas l’axe de travail sur lequel je veux m’engager.
On évoquait les moyens en personnel. Dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, 6 500 places supplémentaires seront financées. Bien sûr, il va falloir trouver des candidats : une communication de presse sera lancée à cet effet d’ici à la fin de l’année.
L’idée est aussi de redorer le blason de ces métiers. Je parlais tout à l’heure de diversifier l’offre ; je crois que c’est aussi une question de métier. Si vous dites aujourd’hui à un jeune qu’il va faire du soin à domicile toute sa vie, je ne suis pas sûr que cela le fasse rêver. En revanche, si on lui donne l’opportunité de passer du domiciliaire à l’Ehpad ou à la crèche, cela lui ouvre des perspectives plus intéressantes. Il s’agit de revaloriser les métiers afin de gagner aussi en visibilité. Il y a donc de nombreux points à travailler.
Au-delà d’une grande loi, je préfère me lancer des défis atteignables à court terme, car je suis pragmatique.
Mme Émilienne Poumirol. Oui, mais il faut des moyens !
M. Paul Christophe, ministre. Bien sûr ! J’ai compris que vous serez très proactifs lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. J’écouterai vos propositions avec beaucoup d’attention.
Quoi qu’il en soit, rien ne se fera sans moyens. Nous avons besoin de 100 000 places, mais n’oublions pas non plus la trajectoire du domiciliaire, car il importe d’avoir une vision globale.
Mme Émilienne Poumirol. Là aussi, il faut des moyens !
M. Paul Christophe, ministre. On est d’accord. Il faut des moyens, il faut redonner de l’attractivité aux métiers, il faut redorer leur blason et il faut parler de bien vivre plutôt que de bien vieillir.
J’ai été heureux d’avoir pu aborder tous ces sujets avec vous aujourd’hui. Nous aurons, bien sûr, à y revenir, car c’est une question qui demandera d’autres rendez-vous.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi visant à mettre à contribution les Ehpad privés à but lucratif réalisant des profits excessifs.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 16 :
Nombre de votants | 330 |
Nombre de suffrages exprimés | 328 |
Pour l’adoption | 111 |
Contre | 217 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures cinquante, est reprise à quinze heures cinquante et une.)
M. le président. La séance est reprise.
7
Mécanisme de purge des nullités
Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande de la commission des lois, les explications de vote et le vote sur la proposition de loi visant à sécuriser le mécanisme de purge des nullités, présentée par MM. François-Noël Buffet, Philippe Bonnecarrère et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 660 [2023-2024], texte de la commission n° 25, rapport n° 24).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
La conférence des présidents a décidé que ce texte serait discuté selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre XIV bis du règlement du Sénat.
Au cours de cette procédure, le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission, la séance plénière étant réservée aux explications de vote et au vote sur l’ensemble du texte adopté par la commission.
Texte élaboré par la commission
M. le président. Je donne lecture du texte élaboré par la commission.
proposition de loi visant à sécuriser le mécanisme de purge des nullités
Article 1er
Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° (Supprimé)
2° Le second alinéa de l’article 178 est complété par les mots : « , hors le cas où les parties n’auraient pu les connaître » ;
3° Le dernier alinéa de l’article 179 est complété par les mots : « , hors le cas où les parties n’auraient pu les connaître » ;
4° Le quatrième alinéa de l’article 181 est complété par les mots : « et hors le cas où les parties n’auraient pu les connaître » ;
5° L’article 269-1 est ainsi modifié :
a) (Supprimé)
b) Au dernier alinéa, après les mots : « ce recours, », sont insérés les mots : « et hors le cas où les parties n’auraient pu les connaître, » ;
6° La première phrase de l’article 305-1 est ainsi rédigée : « L’exception entachant la procédure qui précède l’ouverture des débats et tirée d’une nullité autre que celles purgées par la décision de renvoi devenue définitive ou en application de l’article 269-1 ou d’une nullité qui n’aurait pu être connue antérieurement à la date à laquelle la décision de mise en accusation est devenue définitive doit, à peine de forclusion, être soulevée dès que le jury de jugement est définitivement constitué. » ;
7° Le premier alinéa de l’article 385 est ainsi modifié :
a) (Supprimé)
b) Est ajoutée une phase ainsi rédigée : « Lorsqu’il est saisi par le renvoi ordonné par le juge d’instruction ou la chambre de l’instruction, il ne peut connaître que de moyens de nullité qui n’ont pu être connus par la partie qui les soulève avant la clôture de l’instruction ou avant l’expiration des délais d’un mois ou de trois mois prévus par l’article 175. » ;
8° (nouveau) Au deuxième alinéa du même article 385, après les mots : « l’article 184 », sont insérés les mots : « , et lorsque cette défaillance ne procède pas d’une manœuvre de la partie concernée ou de sa négligence ».
Article 2
Le premier alinéa de l’article 804 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :
« Le présent code est applicable, dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … visant à sécuriser le mécanisme de purge des nullités, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna, sous réserve des adaptations prévues au présent titre et aux seules exceptions : ».
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du texte adopté par la commission, je vais donner la parole, conformément à l’article 47 quinquies de notre règlement, à la rapporteure de la commission des lois pendant sept minutes, puis au Gouvernement et, enfin, à un représentant par groupe pendant cinq minutes.
La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Isabelle Florennes, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi qui est soumise au Sénat aujourd’hui, après avoir été examinée par la commission des lois selon la procédure de législation en commission, traite d’un sujet aride, mais essentiel sur le plan opérationnel, à savoir le mécanisme de purge des nullités.
L’actualité le montre : les nullités peuvent avoir des effets dévastateurs sur une procédure, et leurs conséquences sont d’autant plus lourdes qu’elles sont découvertes tardivement.
La presse évoquait, encore récemment, le cas de personnes accusées de se livrer au trafic de drogue qui ont été libérées en raison de nullités affectant leur placement en détention provisoire.
Certes, il est parfaitement logique dans un État de droit que les vices graves de procédure se traduisent par l’annulation de l’acte concerné, mais il est tout aussi indispensable d’assurer la bonne administration de la justice en évitant les recours dilatoires ou les annulations prononcées au dernier moment.
C’est pour concilier ces deux objectifs apparemment contradictoires que le législateur a mis en place, dès le début des années 1990, des outils visant à purger les nullités.
Ils s’appliquent notamment dans le cadre des procédures d’information judiciaire puisque celles-ci permettent aux parties de soulever les nullités devant le juge d’instruction tout au long de ses investigations.
En contrepartie, l’ordonnance de renvoi de l’affaire devant une juridiction de jugement couvre toutes les nullités antérieures à la clôture de l’instruction.
Cette pratique peut paraître marginale dans un contexte où les informations judiciaires représentent moins de 2 % du total des dossiers qui passent devant le tribunal correctionnel.
Ce sont toutefois les affaires les plus graves, les plus techniques ou les plus complexes qui sont concernées – je pense, par exemple, aux « gros » dossiers de narcotrafic, ou encore à la délinquance économique et financière –, si bien que le sujet de la purge des nullités est tout sauf anecdotique.
Ces rappels étant faits, j’en arrive à la proposition de loi qui nous occupe aujourd’hui.
Déposé par Philippe Bonnecarrère et François-Noël Buffet en juin 2024, le texte trouve son origine dans une censure prononcée par le Conseil constitutionnel le 28 septembre 2023 à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur la purge des nullités en matière correctionnelle.
En pratique, le requérant avait découvert une cause potentielle de nullité après la clôture de l’instruction, alors même que le vice supposé s’était produit pendant l’instruction elle-même : ainsi, la purge était intervenue sans qu’il ait eu l’occasion de faire valoir ses arguments.
Le Conseil constitutionnel a estimé qu’une telle situation « méconnaissait le droit à un recours juridictionnel effectif et les droits de la défense » et qu’il appartenait au législateur de prévoir des exceptions à la purge des nullités « dans le cas où le prévenu n’aurait pu avoir connaissance de l’irrégularité éventuelle d’un acte ou d’un élément de la procédure que postérieurement à la clôture de l’instruction ».
C’est ainsi que le Conseil constitutionnel a censuré une partie de l’article 385 du code de procédure pénale, en reportant l’effet de cette abrogation au 1er octobre 2024. Or, faute pour le législateur d’avoir pu modifier la loi en temps utile, il n’y a plus, depuis cette date, de purge des nullités devant les tribunaux correctionnels.
Il nous appartient d’agir sans tarder pour combler cette lacune ; c’est ce que nous permet la présente proposition de loi.
Comme son intitulé l’indique, ce texte s’attache à sécuriser le mécanisme de purge des nullités dans l’ensemble de notre droit, et pas seulement en matière correctionnelle : on ne peut que s’en réjouir.
Concrètement, la proposition de loi prévoit d’exclure du mécanisme de purge des nullités tous les vices de procédure que les parties ne pouvaient pas connaître avant la clôture de l’instruction, ce qui répond directement à la décision du Conseil constitutionnel. Il est proposé d’appliquer ce principe non seulement à la matière correctionnelle, mais aussi dans les domaines contraventionnel et criminel.
Globalement, le texte constitue une réponse pertinente et équilibrée à la censure prononcée par le juge constitutionnel : nous en avons donc préservé l’économie générale.
Pour autant, nous avons souhaité apporter des correctifs sur deux sujets, grâce à des amendements que j’ai déposés et qui ont été adoptés par la commission avec l’assentiment du Gouvernement.
Ces amendements visent, notamment, à préciser que l’ignorance de la personne mise en cause pour un délit ne peut lui profiter qu’en l’absence de manœuvre ou de négligence de sa part : c’est une reprise de ce que nous avons prévu, depuis 2021, dans le domaine criminel, et c’est la retranscription d’un principe consacré par la jurisprudence de la Cour de cassation.
Ces amendements sont venus, par ailleurs, recentrer la gestion des nullités sur les juridictions du fond.
En effet, le texte initial de la proposition de loi créait involontairement des ambiguïtés ou des doublons en confiant cette compétence à la fois au juge du fond et aux chambres de l’instruction ou à leur président, ce qui n’était pas opportun pour la lisibilité de notre droit.
Mais, surtout, cela créait également un risque d’engorgement des juridictions d’instruction, déjà bien chargées. C’est pourquoi nous avons simplifié le dispositif et prévu que les juridictions du fond, et elles seules, seraient compétentes pour connaître des nullités que les parties ne pouvaient pas connaître avant la clôture de l’instruction : il me semble qu’il s’agit là d’une mesure de bonne administration de la justice.
Pour conclure, mes chers collègues, je me félicite que le Sénat prenne ses responsabilités en adoptant une proposition de loi urgente et nécessaire. Cet état d’esprit s’est exprimé en commission : le texte a été adopté dans un climat de large consensus, et je tiens à vous en remercier.
Monsieur le garde des sceaux, je vous l’ai dit lors de notre réunion : j’en appelle au Gouvernement pour assurer l’adoption rapide du texte par l’Assemblée nationale. Les juridictions nous regardent, elles attendent avec impatience que nous puissions agir : à nous d’être au rendez-vous de leurs légitimes attentes.
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, la proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui fait suite à la décision du Conseil constitutionnel du 28 septembre 2023, qui a censuré une partie de l’article 385 du code de procédure pénale.
Dans sa décision, le Conseil constitutionnel a jugé que le mécanisme de purge des nullités devant le tribunal correctionnel n’était pas conforme au droit à un recours juridictionnel effectif, ainsi qu’aux droits de la défense.
Ce mécanisme encadre en effet le droit, pour les parties, de soulever des nullités au cours de l’information judiciaire, puis devant le tribunal correctionnel.
En application de ce principe, aucune nullité relative aux actes de procédure réalisés durant l’information judiciaire ne peut être soulevée à l’audience dès lors que le tribunal a été saisi à l’issue de cette même information judiciaire.
Il s’agit de la contrepartie logique de la possibilité donnée aux parties de soulever des nullités au cours de l’information judiciaire : devant le tribunal, les parties ne sont plus recevables à les soulever, puisqu’elles ont la faculté de le faire tout au long de la procédure d’instruction.
Le Conseil constitutionnel a toutefois censuré l’article 385 du code de procédure pénale, au motif qu’il ne permettait pas à une partie de soulever une nullité devant le tribunal alors même qu’elle n’avait eu connaissance de cette nullité que postérieurement à la clôture de l’information.
Les effets de l’abrogation ont été reportés au 1er octobre 2024, d’où l’urgence de la présentation d’un texte devant le Parlement ! De fait, depuis cette date, le dispositif de purge des nullités devant le tribunal correctionnel n’est plus applicable.
Il apparaît indispensable de rétablir ce mécanisme. C’est précisément l’objet de la proposition de loi, et je tiens, à cet effet, à remercier le Sénat pour la qualité et la rapidité du travail mené au regard de l’échéance prévue par le Conseil constitutionnel.
Le mécanisme de purge des nullités est essentiel. Il permet de sécuriser les procédures en cours et de limiter les recours dilatoires, afin d’éviter une remise en cause tardive de la procédure, alors même que les parties disposent du droit de saisir la chambre de l’instruction tout au long de la procédure, et que cette chambre peut également relever d’office tout moyen de nullité à l’occasion de l’examen de la régularité de la procédure.
Ce dispositif est d’autant plus nécessaire que, lorsqu’un acte procédural est annulé, tous les actes subséquents le sont également, ce qui peut parfois conduire à l’annulation de pans entiers de dossiers de procédures longues et complexes.
Ce mécanisme contribue à la bonne administration de la justice, comme vous l’avez souligné, madame la rapporteure.
Il constitue l’une des spécificités de la procédure d’information judiciaire : il est le corollaire d’un cadre procédural qui accorde une place renforcée au principe du contradictoire, et sécurise davantage les procédures d’instruction que les enquêtes préliminaires ou de flagrance, pour lesquelles le contrôle des nullités ne s’exerce qu’au stade de l’audience de jugement.
La proposition de loi rétablit le mécanisme de purge des nullités devant le tribunal correctionnel, tout en ajoutant l’exception résultant de la décision du Conseil constitutionnel, c’est-à-dire en permettant qu’une nullité puisse toujours être soulevée si la partie n’a pas pu en avoir connaissance avant la clôture de l’instruction.
Par cohérence, et au-delà de ce que prévoit la décision du Conseil constitutionnel, qui ne porte que sur la matière délictuelle, la proposition de loi prévoit cette possibilité devant l’ensemble des juridictions répressives – cour d’assises, cour criminelle départementale, tribunal de police.
Par ailleurs, l’un des trois amendements de Mme la rapporteure adoptés par la commission tend à simplifier les règles relatives à l’examen des moyens de nullité qui n’auraient pas pu être invoqués avant l’expiration des délais faute d’avoir été connus, en le confiant à la juridiction correctionnelle ou criminelle compétente sur le fond de l’affaire concernée.
Cette modification simplifie le dispositif tout en assurant au justiciable la possibilité de soulever la nullité d’un acte non couverte par les purges, conformément aux exigences du Conseil constitutionnel.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est favorable à l’adoption de la proposition de loi, telle qu’elle est issue des travaux en commission des lois, et tout est fait, madame la rapporteure, pour que l’examen de ce texte soit inscrit rapidement à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.
M. le président. La parole est à M. Michel Masset, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Michel Masset. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, malgré un contexte contentieux et des requérants atypiques, nous voilà face à un texte qui appelle finalement peu de commentaires sur le fond. Nous comprenons très bien la motivation du Conseil constitutionnel qui a conduit à la censure du mécanisme de purge des nullités.
Comme l’ont souligné les orateurs précédents, l’article 385 du code de procédure pénale méconnaissait le droit à un recours juridictionnel effectif, ainsi que les droits de la défense. En effet, il ne prévoyait aucune exception à la purge des nullités dans le cas où un prévenu n’aurait pu avoir connaissance de l’irrégularité que postérieurement à la clôture de l’instruction.
Dès lors, il a été nécessaire de censurer le dispositif et, par conséquent, de laisser au législateur le soin d’en penser un nouveau. Pour le faire, cette proposition de loi reprend la solution esquissée par le Conseil constitutionnel.
Ainsi, les parties pourraient soulever, en matière correctionnelle, le moyen d’une nullité qui « n’aurait pu être connue antérieurement » à deux périodes alternatives : soit dès l’avis de fin d’information et jusqu’à l’ordonnance de règlement du juge d’instruction ; soit devant le tribunal correctionnel, lorsque la partie n’a pu avoir connaissance de la nullité qu’après la clôture de l’information.
Surtout, ce texte retient une rédaction large, visant tous les types de juridictions, afin d’écarter le risque d’une censure ultérieure fondée sur des motifs analogues.
Tout ce qui a été établi par notre assemblée, et plus spécifiquement par la commission des lois, va donc dans la bonne direction.
Je veux saluer l’initiative sénatoriale de François-Noël Buffet et Philippe Bonnecarrère, qui ont saisi l’occasion de s’emparer d’une problématique plutôt aride et peu accessible aux citoyens non juristes. Je veux également dire notre intérêt pour les travaux de notre rapporteure, Isabelle Florennes.
Aussi, notre groupe n’a pas d’observation particulière à faire sur ce nouveau dispositif. Nous le voterons sans difficulté.
Cela étant, il y a peut-être davantage à dire sur la façon dont s’est déroulé ce correctif constitutionnel, car il reste inquiétant de constater que la censure du Conseil constitutionnel est effective depuis maintenant quelque temps, alors que celui-ci avait laissé un délai d’un an pour légiférer. Combien de procédures pourraient être ainsi fragilisées ?
Nous entendons souvent les agacements exprimés à l’encontre du gouvernement des juges en général et du Conseil constitutionnel, qui se substituerait au législateur et à l’exécutif. Cette fois, c’est à notre tour de nous montrer critiques sur nos propres défaillances face à l’action des juridictions.
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’un tel vide est observé en matière de justice. Je pense, par exemple, à la proposition de loi de notre ancien président Jean-Claude Requier, qui visait à compléter les dispositions relatives aux modalités d’incarcération ou de libération à la suite d’une décision de cour d’assises.
Dans cet autre cas, il fallait combler une carence après l’adoption d’un projet de loi. Ce n’était pas exactement la même situation, mais le même sentiment en ressortait : celui d’une forme d’oubli, en même temps qu’un calendrier législatif mal agencé.
Depuis quelques semaines, nous avons un nouveau gouvernement, au sein duquel figurent d’anciens sénateurs et sénatrices. J’espère qu’il aura à cœur d’éviter des situations de ce genre à l’avenir !
Le groupe du RDSE, nourri de sa pluralité, votera évidemment en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)