Sommaire
Secrétaires :
Mme Sonia de La Provôté, Mme Patricia Schillinger.
2. Transformation d’un groupe de travail en commission spéciale
3. Indépendance des médias et protection des journalistes. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme Sylvie Robert, auteure de la proposition de loi, rapporteure de la commission de la culture
Mme Rachida Dati, ministre de la culture
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 12 rectifié de Mme Monique de Marco. – Rejet.
Amendement n° 13 rectifié de Mme Monique de Marco. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 14 rectifié de Mme Monique de Marco. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 15 rectifié de Mme Monique de Marco. – Rejet par scrutin public n° 14.
Amendement n° 2 rectifié quinquies de M. Michel Laugier. – Adoption par scrutin public n° 15.
Adoption de l’article modifié.
Articles 7 bis (nouveau) et 8 – Adoption.
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
Mme Sylvie Robert, rapporteure
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture
Suspension et reprise de la séance
4. Contribution des Ehpad privés. – Discussion d’une proposition de loi
M. Jean-Luc Fichet, auteur de la proposition de loi
M. Bruno Belin, rapporteur de la commission des finances
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Pierre Ouzoulias
5. Mise au point au sujet d’un vote
6. Contribution des Ehpad privés. – Suite de la discussion et rejet d’une proposition de loi
Clôture de la discussion générale.
M. Bruno Belin, rapporteur de la commission des finances
Rejet, par scrutin public n° 16, de l’article unique de la proposition de loi.
Suspension et reprise de la séance
7. Mécanisme de purge des nullités. – Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Texte élaboré par la commission
Mme Isabelle Florennes, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles
M. Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission.
Suspension et reprise de la séance
8. Gestion des compétences « eau » et « assainissement ». – Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi modifiée
M. Jean-Michel Arnaud, auteur de la proposition de loi
M. Alain Marc, rapporteur de la commission des lois
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité, du commerce et de l’artisanat
Clôture de la discussion générale.
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée
Amendement n° 8 de M. Jean-Michel Arnaud. – Retrait.
Amendement n° 1 de M. Pierre Jean Rochette. – Retrait.
Amendement n° 2 de M. Pierre Jean Rochette. – Retrait.
Amendement n° 17 de la commission. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.
Adoption de l’article modifié.
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée
Adoption, par scrutin public n° 18, de la proposition de loi, modifiée.
9. Modification de l’ordre du jour
10. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Loïc Hervé
vice-président
Secrétaires :
Mme Sonia de La Provôté,
Mme Patricia Schillinger.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Transformation d’un groupe de travail en commission spéciale
M. le président. Le projet de loi relatif à la résilience des infrastructures critiques et au renforcement de la cybersécurité ayant été déposé au Sénat, le groupe de travail sur ce texte, dont les membres ont été nommés en séance le 5 juin dernier, peut être transformé en commission spéciale, conformément à la décision de la conférence des présidents réunie le 10 juin 2024.
Il n’y a pas d’opposition ?
Il en est ainsi décidé.
3
Indépendance des médias et protection des journalistes
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, la discussion de la proposition de loi visant à renforcer l’indépendance des médias et à mieux protéger les journalistes, présentée par Mme Sylvie Robert et plusieurs de ses collègues (proposition n° 741 [2023-2024], texte de la commission n° 21, rapport n° 20, avis n° 16).
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Sylvie Robert, auteure de la proposition de loi et rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Sylvie Robert, auteure de la proposition de loi, rapporteure de la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Albert Camus, dans son Hommage à un journaliste exilé, en référence à Eduardo Santos, ancien président de la Colombie et ancien directeur de El Tiempo, qui avait refusé que son journal devienne un canal de propagande du gouvernement, expliquait : « La presse libre peut sans doute être bonne ou mauvaise, mais assurément, sans la liberté, elle ne sera jamais autre chose que mauvaise. » Il poursuivait : « Avec la liberté de la presse, les peuples ne sont pas sûrs d’aller vers la justice et la paix. Mais sans elle, ils sont sûrs de n’y pas aller. Car il n’est fait justice aux peuples que lorsqu’on reconnaît leurs droits et il n’y a pas de droit sans expression de ce droit. »
Il est une constante dans l’histoire : une presse libre a toujours suscité l’inquiétude des pouvoirs, singulièrement des pouvoirs autoritaires.
La France, pays politique par essence, n’échappe pas à cette règle : elle entretient une relation longue, passionnée, parfois tumultueuse avec la presse et les médias. Ainsi, le Premier consul Napoléon Bonaparte rétablit la censure dès sa désignation, le 17 janvier 1800 ; de même, la première ordonnance de Saint-Cloud signée par Charles X en 1830 suspend la liberté de la presse pour une période indéfinie, cause directe de sa chute.
C’est l’un des honneurs de notre République d’avoir adopté la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, jamais remise en cause depuis cette date, mais au contraire consolidée et constamment adaptée aux enjeux modernes.
Pour le dire très simplement, la liberté de la presse est toujours un combat ; elle n’est jamais acquise et ses premiers serviteurs, les journalistes, paient parfois un lourd tribut en son nom.
Aujourd’hui, nous sommes parvenus à un moment charnière où nous avons à la fois suffisamment de recul pour jauger la situation des médias et de l’information grâce aux nombreux travaux conduits ces dernières années, mais aussi l’obligation d’agir dans les pas de l’Union européenne.
Cette dernière a parfaitement intégré que la liberté, l’indépendance et la préservation des médias représentaient une question majeure, hautement sensible et vitale pour nos démocraties. Or elles traversent une zone de turbulences, secouées par la prolifération de la désinformation, qui mine littéralement notre débat public et qui nécessite que l’éducation aux médias soit d’urgence érigée au rang de grande cause nationale ; secouées aussi par les campagnes d’ingérence étrangère qui instrumentalisent l’information et jouent sur l’effet réseau des plateformes pour nous déstabiliser ; secouées enfin par la polarisation à outrance des débats.
Il appartient donc au législateur, alors que le paysage médiatique a profondément évolué, sans perdre en importance, de sauvegarder la liberté de la presse et des médias et de mieux protéger les journalistes.
Tel est l’objet de la proposition de loi que j’ai l’honneur de défendre devant vous aujourd’hui et que mon groupe, que je remercie, a choisi d’inscrire à notre ordre du jour réservé à l’orée de notre session ordinaire. Je ne prétends bien entendu pas résoudre en quelques articles un sujet virtuellement inépuisable et qui met littéralement en jeu notre contrat social. Nous cherchons cependant, avec ce texte, à tirer quelques enseignements des nombreux travaux que le Sénat, mais également l’Assemblée nationale, a consacrés aux médias.
Cette discussion est importante aujourd’hui. On m’a beaucoup objecté que ce texte n’arrivait pas au bon moment, qu’il serait inscrit trop tôt à notre ordre du jour par rapport aux conclusions des États généraux de l’information (EGI), aux décisions de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), à de futurs textes – on nous en annonce toujours de nouveaux ! –, ou bien trop tard pour restaurer une confiance sérieusement ébranlée envers les médias. J’entends ces arguments.
Il me semble pourtant que la situation justifie une réflexion urgente et, plus encore, la mise en œuvre de mesures adaptées.
Le constat est en effet implacable : dans nos sociétés, la presse et les médias traditionnels souffrent et menacent, pour certains, de s’effondrer, comme le souligne chaque année le rapporteur pour avis des crédits de la presse, notre collègue Michel Laugier.
Or une presse qui s’effondre entraîne avec elle la possibilité d’un débat public qui, pour être passionné, doit demeurer serein et reposer sur des faits. Nous en avons des exemples sur les deux rives de l’Atlantique. Ce que je qualifierais de conversation publique est maintenant dominé par le fracas des déclarations péremptoires, des fausses informations, des ingérences étrangères hostiles. Je vous renvoie à ce propos au travail – parfois angoissant – de la commission d’enquête que nous avons menée sur le sujet.
Les causes de cette situation sont diverses : la multiplication des supports d’information a contribué à la dilution des sources fiables, perdues au milieu d’un flot ininterrompu de faits non vérifiés et de propos haineux ; le modèle économique des médias en général, de la presse écrite en particulier, souffre énormément de la captation des ressources publicitaires par les grands acteurs du numérique ; enfin, la segmentation toujours plus poussée des publics conduit à l’émergence non pas de médias partagés entre tous, mais d’un média pour chacun, nous enfermant parfois dans des bulles de filtres.
Les défis sont donc nombreux et protéiformes, à tel point que l’on pourrait être tenté de baisser les bras. Ce que traduit ma proposition de loi, c’est le refus d’un tel abandon : ce n’est pas parce que c’est difficile qu’il ne faut rien faire, bien au contraire.
Le texte que nous examinons cherche à esquisser certaines solutions à des problèmes identifiés de longue date.
Les trois premiers articles de la proposition de loi traitent de la régulation dans le secteur audiovisuel. La loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication offre un cadre, que beaucoup trouvent suffisant.
Je profite cependant de l’occasion qui m’est donnée de m’exprimer pour réaffirmer la nécessité de réformer en profondeur ce texte, qui date d’une époque où il n’existait que cinq chaînes de télévision. Le rafistolage auquel nous nous livrons chaque année pour la compléter ne suffit plus en 2024, alors que les fréquences se comptent par dizaines et que le numérique se développe.
Plus modestement, nos ambitions ont été de prendre en compte et d’inscrire dans la loi, à l’article 1er, la jurisprudence du Conseil d’État du 13 février 2024 qui a contraint l’Arcom à faire évoluer ses pratiques.
L’article 2 vise à offrir de nouveaux outils aux régulateurs pour réagir plus vite en cas d’atteinte grave et manifeste à la vie démocratique de la Nation.
L’article 3 traite des comités d’éthique et de déontologie issus de la loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias, dite loi Bloche. Il convient de faire de ces instruments des leviers efficaces pour améliorer non seulement l’éthique, mais également la confiance en l’information livrée par les médias.
L’article 4 vise le même impératif : il tend à améliorer la visibilité et le contenu des chartes de déontologie dans la presse écrite.
Je ne m’étendrai pas sur l’article 5, qui relève de la compétence de la commission des lois. Je tiens cependant à adresser mes remerciements sincères à notre collègue rapporteure Lauriane Josende, qui a adopté une approche très constructive. Je forme le vœu, madame la ministre, que nous en reparlions, et que vous preniez l’engagement devant nous de traiter enfin dans sa globalité la question du secret des sources, pendante depuis 2016 et qui nous met en porte-à-faux vis-à-vis de l’Union européenne.
L’article 6 instaure un droit d’agrément des rédactions sur le choix de leur directeur. Je n’ignore pas que cette disposition a suscité, et suscite encore, le débat. J’entends les arguments des uns et des autres, avancés durant nos auditions et en commission. Il ne s’agit en aucun cas, ni de ma part ni de celle des journalistes qui demandent à en bénéficier, d’une marque de défiance envers les propriétaires des titres. Une entreprise de presse sera d’autant plus performante qu’il régnera de la confiance entre ses parties prenantes. Je pense que cette piste mérite réellement d’être étudiée.
Enfin, l’article 7 traite des droits voisins des éditeurs et des agences de presse, un sujet cher au cœur de notre ancien collègue David Assouline, présent dans nos tribunes et que je salue très chaleureusement pour son engagement jamais démenti en faveur d’une presse libre et indépendante. Les négociations n’ont en effet progressé qu’à coups d’injonctions et d’amendes colossales de l’Autorité de la concurrence, pour un montant de 750 millions d’euros, tout de même. Cinq ans après l’adoption de la loi du 24 juillet 2019 tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse, il est temps de tirer les enseignements d’une négociation déséquilibrée entre les parties prenantes.
Mes chers collègues, tel est donc le contenu initial de notre proposition de loi.
J’en ai été désignée rapporteure par la commission et j’ai cherché à mener un travail approfondi sur le texte. Pour des raisons de calendrier, nous avons dû l’examiner en un peu plus d’une semaine. Je tiens à remercier les collègues qui se sont associés aux seize auditions que nous avons menées tambour battant la semaine dernière. Ce temps limité a malgré tout donné l’occasion aux parties prenantes de faire valoir leurs points de vue et leurs préoccupations. Dans l’exercice de cette fonction, j’ai évolué sur plusieurs points et ainsi amélioré le texte.
À l’article 1er, nous avons adopté un amendement de réécriture plus fidèle à la décision du Conseil d’État du 13 février 2024, en mentionnant notamment de manière explicite la liberté éditoriale dont doivent bénéficier les chaînes de télévision. Nous sommes parvenus à un point d’équilibre, qui a le mérite de souligner qu’il appartient au législateur de fixer l’interprétation de la loi.
La commission a complété et amélioré très significativement les articles 3 et 4, qui traitent de la question de la déontologie et de l’éthique. Les comités d’éthique des chaînes seront rendus plus transparents et plus accessibles, leur indépendance comme les qualifications de leurs membres seront validées par l’Arcom. Ces mesures reprennent en grande partie les travaux de la commission d’enquête sur la concentration des médias en France, qui a vu dans ces comités un garde-fou efficace, mais qu’il convenait de revivifier.
Nous avons également assuré une meilleure diffusion des chartes de déontologie issues de la loi Bloche de 2016 et je renouvelle le souhait, que nous partageons tous, qu’elles puissent être généralisées à l’ensemble de la presse écrite. Ce chantier, je le sais, demeure ouvert.
À l’opposé, il nous a paru opportun de ne pas conserver le contrôle de conformité par le Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM), dont ce n’est, à l’évidence, pas la mission. Pour autant, nous souhaitons, selon une formule entendue durant une audition, lui confier le rôle de « chartothèque » afin qu’il serve de base de référence à la profession.
Enfin, la commission a considérablement renforcé l’article 7 sur les droits voisins. Nous avons précisé le contenu du décret qui doit fixer les éléments à transmettre et confié à l’Autorité de la concurrence le soin d’assurer le respect de ces dispositions par une procédure dont elle a la maîtrise.
Madame la ministre, mes chers collègues, ce texte ne manque pas d’ambition. J’insiste sur la nécessité dans laquelle nous nous trouvons d’agir, et vite, car le temps médiatique est infiniment bref. Chaque jour, les médias ploient un peu plus, et avec eux le débat démocratique. Agir relève donc de notre responsabilité à tous.
Madame la ministre, vous aurez l’occasion, durant notre discussion, de prendre des positions, voire, je le souhaite, des engagements devant notre assemblée. Soyez certaine que nous les attendons, que nous les entendrons, et que, sur toutes les travées, nous ferons valoir nos exigences. Nous serons au rendez-vous ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Christophe-André Frassa, en remplacement de Mme Lauriane Josende, rapporteure pour avis.
M. Christophe-André Frassa, en remplacement de Mme Lauriane Josende, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des lois est saisie pour avis avec délégation au fond de l’article 5 de cette proposition de loi.
L’objectif initial de cet article était triple : étendre le champ des immunités pénales en matière de secret des sources ; inclure dans le périmètre de cette protection tous les journalistes, y compris ceux qui exercent leur profession sans rémunération de manière ponctuelle ; et faire également bénéficier de cette protection les directeurs de publication et tout collaborateur d’une rédaction amenés à prendre connaissance d’informations permettant de découvrir une source.
L’article 5 prévoyait également de soumettre tout acte de procédure tendant à lever le secret des sources au juge des libertés et de la détention (JLD). Il visait enfin à augmenter le quantum de peine applicable en cas d’atteinte au secret des sources. Ces dispositions reprenaient en partie celles qui avaient été proposées dans le cadre de la loi Bloche de 2016 et censurées par le Conseil constitutionnel.
Notre régime de protection du secret des sources découle de la loi du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes qui a réformé l’article 2 de la loi de 1881 et le code de procédure pénale. Ce texte a mis le droit français en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, laquelle a consacré le secret des sources comme l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse.
Si elle est consacrée par le droit interne, la protection du secret des sources n’a pas valeur constitutionnelle en elle-même. L’immunité accordée à certaines personnes dans le cadre d’enquêtes ou de procès pour protéger les sources doit être proportionnée au regard de l’objectif constitutionnel de recherche des auteurs d’infractions et au droit à un procès équitable. C’est parce qu’elles ne respectaient pas cet équilibre que les dispositions de la loi de 2016 ont été censurées par le Conseil constitutionnel.
Aujourd’hui, deux éléments d’actualité doivent nous conduire à nous pencher de nouveau sur la protection des sources.
Le premier est le rendu des conclusions des États généraux de l’information du 12 septembre dernier, qui appelle notamment à une clarification des exceptions prévues au secret des sources.
Le second est l’adoption du règlement européen du 20 mars 2024 sur la liberté des médias, qui est entré en vigueur partiellement depuis le 7 mai 2024 et sera progressivement mis en place jusqu’au 8 août 2025. Ce texte conduira nécessairement à des évolutions législatives, notamment parce qu’il prévoit une extension des personnes protégées et la mise en place de nouvelles procédures de protection.
C’est donc au regard de ces principes et de cette actualité que la commission des lois a examiné l’article 5. Conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, elle a jugé que l’extension de la protection du secret des sources aux collaborateurs de rédaction était disproportionnée.
Par ailleurs, de manière constante, elle s’est opposée au transfert au juge des libertés et de la détention de la compétence sur les actes de procédure relatifs au secret des sources. Cette mission, qui ne relève pas du cœur des compétences des JLD, est assurée de manière efficace par les juges d’instruction et il serait malvenu d’alourdir encore la procédure pénale à l’heure où l’on souhaite plutôt la simplifier.
Enfin, l’alourdissement des peines en matière d’atteinte au secret des sources n’améliorera pas la protection dont ces dernières font l’objet.
Il est donc apparu, pour des raisons tant de constitutionnalité que d’opportunité et de cohérence de la procédure pénale, que ces différents points ne pouvaient être conservés.
À l’inverse, l’extension de la protection du secret des sources à tous les journalistes exerçant leur profession dans le cadre fixé par le code du travail et au directeur de publication est apparue proportionnée et conforme à l’évolution tant de la jurisprudence que du droit européen. La rapporteure de la commission, Lauriane Josende, en accord avec l’auteure de la proposition de loi, a donc soumis à la commission, qui l’a adoptée, une nouvelle rédaction de l’article 5, ne conservant que l’extension de la protection des sources à tous les journalistes exerçant leur profession conformément au code du travail et aux directeurs de publication.
Au-delà de ces dispositions, plusieurs sujets relatifs à la protection du secret des sources demeurent en suspens. Ils appellent, madame la ministre, un projet de loi pour tirer les conséquences du règlement européen sur la liberté des médias, mais aussi de la directive contre les procédures bâillons du 11 avril 2024, un sujet qui n’est pas abordé dans cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Monsieur le président, monsieur le président Laurent Lafon, monsieur le vice-président Christophe-André Frassa, madame la rapporteure Sylvie Robert, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi que nous allons examiner aujourd’hui porte sur deux sujets essentiels dans notre démocratie, vous l’avez tous rappelé : l’indépendance de nos médias et la protection des journalistes.
Nous partageons les mêmes objectifs, ne laissons pas subsister de malentendu à ce sujet : il n’y a pas de démocratie ni de débats publics équilibrés sans une information fiable, de qualité et sans pluralisme des idées. L’information est un bien public qu’il faut préserver.
La prédominance des réseaux sociaux et le fonctionnement obscur des algorithmes marginalisent de plus en plus le travail des journalistes et un sentiment de défiance ou de rejet s’installe chez certains de nos concitoyens dans le contexte que nous connaissons. Il les expose aux manœuvres de désinformation menées par des intérêts privés ou par des puissances étrangères. L’intelligence artificielle accentue ces risques, même si elle ouvre aussi de nouvelles possibilités. Les sujets sont donc nombreux.
Ce constat a conduit le Président de la République à prendre l’initiative des États généraux de l’information. Il nous fallait nous interroger sur la manière dont l’information est produite et diffusée face aux évolutions profondes de la mondialisation et du numérique et rechercher un nouveau modèle préservant le droit des citoyens d’accéder à une information fiable, pluraliste et de qualité. Cet exercice nous permet de susciter une prise de conscience collective.
Les travaux ont été d’une très grande qualité, et, pour avoir reçu Christophe Deloire bien avant leur conclusion, ils me sont apparus comme gigantesques. Les sujets étaient multiples et le résultat est à la hauteur des enjeux de l’information.
L’organisation a été confiée à un comité de pilotage indépendant qui a fait travailler de nombreux professionnels, des chercheurs et des citoyens. Ces États généraux de l’information ont été l’occasion de contributions, de rencontres et de débats sur l’ensemble du territoire.
Le résultat est une réflexion d’une très grande qualité. Il permet au pouvoir public de disposer d’une feuille de route ambitieuse, qui s’appuie sur quinze recommandations, pour préserver le droit à l’information à l’échelle de la France et de l’Europe. Celles-ci couvrent des sujets très divers : les programmes scolaires, la lutte contre les ingérences étrangères, la labellisation des producteurs d’information, le partage des recettes publicitaires.
Il s’agit d’un véritable plan d’action qui vise à apporter une réponse complète aux enjeux auxquels est confronté le monde de l’information. À mon sens, toutes les recommandations issues de ce travail colossal méritent que l’on s’y attarde.
Votre proposition de loi traite de sujets essentiels, mais elle n’aborde pas, par exemple, l’éducation aux médias ou la visibilité des contenus des médias, sujets importants pour notre démocratie ; elle aborde la question du modèle économique des médias traditionnels, mais uniquement sous l’angle des droits voisins, ce qui est assez réducteur. Je souhaite d’ailleurs saluer le travail de votre ancien collègue parlementaire, le député Laurent Esquenet-Goxes, qui avait déposé une proposition de loi sur ce sujet très important.
Les États généraux de l’information ont été l’occasion de mobiliser des citoyens et des professionnels pour aboutir à des propositions très équilibrées. Ce travail doit être pris en compte dans sa globalité. Si nous entendons élaborer un texte législatif, il nous faut considérer toutes ces recommandations.
Nous avons, en outre, besoin d’approfondir l’analyse, sur certains points, comme le contrôle des concentrations, un sujet majeur, absent de cette proposition de loi, ou la protection du secret des sources, qui a fait l’objet d’une censure constitutionnelle en 2016. Dès lors, le regard du Conseil d’État sera très utile pour sécuriser juridiquement un tel texte.
J’avais fait adopter en 2010 la loi sur la protection du secret des sources. En reprenant les débats de l’époque, nous avons pu confirmer que nous étions alors allés aussi loin que possible, en menant un travail de conviction en direction de toutes les familles politiques.
Aujourd’hui, le sujet mérite d’être réévalué, mais il faut le faire globalement, sans rester au milieu du gué, comme cela me semble être le cas aujourd’hui, car personne ne serait alors satisfait. Ne légiférons pas aujourd’hui en nous contentant de considérer qu’il nous faudra remettre l’ouvrage sur le métier dans quelques semaines ou dans quelques mois.
Le règlement européen sur la liberté des médias nous impose de réexaminer notre droit concernant la protection du secret des sources, comme sur d’autres sujets liés aux médias, et ce, avant le 8 août 2025. Dès lors, nous devons nous garder de multiplier les textes sur les médias.
Votre proposition de loi, madame la rapporteure, me semble arriver quelque peu à contretemps. Elle a été déposée avant la restitution des États généraux de l’information et n’en tire donc pas toutes les conséquences ; elle n’anticipe pas non plus l’entrée en vigueur prochaine du règlement européen sur la liberté des médias.
Je partage, certes, les objectifs de ce texte, ainsi que certaines de ses dispositions, notamment celles qui concernent les chartes déontologiques et les comités d’éthique dans les entreprises du secteur de la presse et de l’audiovisuel, ces propositions devançant d’ailleurs certaines recommandations des États généraux de l’information.
Pour autant, à mon sens, nous devons avoir une approche plus globale sur ces sujets et je souhaite, à cette fin, m’appuyer sur les travaux de l’ensemble des parlementaires, comme ceux des députés Violette Spillebout et Jérémie Patrier-Leitus.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’information est un bien commun. Il nous faut aboutir ensemble à une réponse équilibrée et aussi transpartisane que possible afin de relever les défis ambitieux que nous ont soumis les États généraux de l’information.
Je souhaite que nous puissions nous appuyer sur tous les travaux, y compris les vôtres, pour élaborer ces dispositions à partir d’un travail commun, qui sera très utile ; mais il nous faut apporter une réponse plus complète à la question du droit à l’information. Nous la construirons ensemble et nous en discuterons à l’occasion d’un prochain débat parlementaire, avec la contribution de tous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Michel Laugier applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Max Brisson.
M. Max Brisson. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, si vos intentions sont louables à l’heure de la désinformation, madame la rapporteure, je m’interroge néanmoins, à l’instar de Mme la ministre, sur la temporalité de cette proposition de loi, alors que les États généraux de l’information viennent à peine de rendre leur rapport. C’est un fait : ce texte arrive trop tôt ou trop tard. Mes interrogations portent surtout sur ses objectifs, affichés ou cachés.
Ainsi, l’article 1er prévoit de sanctuariser dans la loi la décision du Conseil d’État jugeant que le contrôle du pluralisme devait s’appliquer à tous les participants au programme, y compris les chroniqueurs, les animateurs et les invités. Cependant, pour prendre une telle décision, le juge ne s’est-il pas appuyé sur le droit existant ? N’est-ce pas sur cette base qu’il a enjoint à l’Arcom de prendre une nouvelle délibération ? Celle-ci a obtempéré et un équilibre a été trouvé. La situation est aujourd’hui apaisée et les craintes exprimées, y compris dans cet hémicycle, n’ont plus lieu d’être.
Dès lors, madame la rapporteure, pourquoi chercher à raviver le débat ? Est-il réellement nécessaire de légiférer sur une décision jurisprudentielle du Conseil d’État ? La légitimité d’une telle décision ne vous paraît-elle pas suffisante en elle-même ? Ne nourrissez-vous pas un autre dessein ? Ce travail semble révéler une conception singulière du rôle du juge administratif, alors que celui-ci, rappelons-le, est compétent pour interpréter la loi et créer du droit en s’appuyant sur elle.
L’article 2 suscite tout autant de réserves. Il renforce le pouvoir de sanction de l’Arcom en introduisant la notion d’atteinte grave et manifeste à la vie démocratique de la Nation.
Mes chers collègues, de quelle légitimité disposerait une autorité publique indépendante pour juger d’une telle atteinte ? Sur quels critères ce jugement reposerait-il ? Sur une simple interprétation ? Sur un contexte politique ? Ma conception de l’État de droit et de la souveraineté nationale m’interdit de me résoudre à attribuer le pouvoir de suspendre le droit d’antenne sur le seul fondement d’une interprétation subjective et d’un contexte politique ambiant.
M. Jean-Raymond Hugonet. Très bien !
M. Max Brisson. Enfin, l’article 6 confère aux journalistes des entreprises de presse et des médias audiovisuels un droit d’agrément sur la nomination du directeur. Si le rapport issu des États généraux suggère de revoir le fonctionnement des entreprises de médias, il ne préconise nullement une telle mesure, rejetée au demeurant en avril dernier par l’Assemblée nationale lors de l’examen de la proposition de loi de Mme Sophie Taillé-Polian.
De surcroît, cet article soulève un problème constitutionnel en portant atteinte au principe de liberté d’entreprendre lequel, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, implique la liberté pour l’employeur de choisir ses collaborateurs.
L’instauration d’un tel droit ne risquerait-elle pas, en outre, de dissuader les investisseurs dans un secteur fragile ? N’existe-t-il pas déjà de multiples dispositifs et de nombreuses pratiques garantissant la protection du personnel des rédactions contre les pressions extérieures ? Les journalistes ne bénéficient-ils pas déjà, à titre individuel, de la clause de conscience et de la clause de cession, lesquelles garantissent l’autonomie de la rédaction vis-à-vis des propriétaires des entreprises éditrices ? Est-il besoin d’en rajouter, alors que nul ne le demande ? La question est posée et dévoile la propension à la surenchère des tenants de cette proposition de loi.
Vous l’avez compris, je ne souscris ni à la philosophie ni aux axes principaux de cette proposition de loi. Ce texte fait peser de réelles menaces sur la liberté éditoriale des médias audiovisuels, liberté qui est pourtant au cœur de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.
Ce qui pourrait éventuellement subsister de votre proposition de loi est par ailleurs prématuré et peu utile. Les apports de ce texte restent limités, une fois dépassées les questions sur la liberté éditoriale que je viens d’évoquer.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains rejettera les articles 1er, 2 et 6 de cette proposition de loi. À ce stade du débat, il continue d’être réservé sur l’article 7.
Nous attendons en revanche du Gouvernement une prise en compte des recommandations des États généraux de l’information et nous comptons sur vous, madame la ministre, pour défendre une vision plus équilibrée et consensuelle que celle que traduit la proposition de loi que nous examinons ce matin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth.
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui a pour ambition de renforcer l’indépendance des médias et de mieux protéger les journalistes. Je tiens à saluer d’emblée le travail mené, malgré un calendrier perturbé, par son auteure, Sylvie Robert, et par la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport.
Nous faisons tous, en effet, sur ces travées, le même constat et nous avons une même ambition. Le même constat d’abord : la presse se porte mal, son modèle économique est menacé par les acteurs du numérique et son indépendance n’est pas assurée.
Une même ambition ensuite : celle d’offrir aux journalistes et aux médias pour lesquels ils travaillent un cadre juridique protecteur et adapté. Les nombreux travaux menés sur cette question par notre assemblée au cours de ces dernières années en sont la preuve.
Avant d’en venir au fond, permettez-moi d’exprimer un regret. Je le partage avec plusieurs de mes collègues. Ce texte, déposé en juillet dernier, arrive en séance alors que les conclusions des États généraux de l’information voulus par le Président de la République ont été présentées il y a tout juste un mois.
Les États généraux de l’information, je le rappelle, ce sont près d’un an de travaux, cinq groupes de travail, vingt-deux assemblées citoyennes, plus de cent soixante-dix auditions et, enfin, quinze propositions qui ont été formulées pour préserver l’espace public français et contribuer à la construction de l’espace public européen. Il nous semble aujourd’hui que c’est au Gouvernement d’en tirer les conclusions et de formuler les propositions législatives qui s’imposent.
Cette proposition de loi comporte cependant un certain nombre d’avancées que nous saluons. Elle vise notamment à faire évoluer la loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias, qui n’a pas permis d’atteindre tous les objectifs qui lui étaient fixés.
Je pense à l’article 3, qui vise à donner davantage de visibilité et de légitimité aux comités d’éthique des chaînes de télévision. Je pense également à l’article 4, qui tend à préciser et à améliorer le contenu des chartes de déontologie des journalistes qui régissent la profession. Je pense enfin à l’article 7, dont l’objet est de prendre en compte les problèmes soulevés par la loi du 24 juillet 2019 tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse, en prévoyant les conditions d’une négociation plus équilibrée de la rémunération entre éditeurs, agences de presse et plateformes.
D’autres propositions nous invitent en revanche à la prudence.
Il en est ainsi de celle qui vise à sanctuariser dans la loi la décision du Conseil d’État du 13 février 2024 et le changement de doctrine de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique dans son contrôle du pluralisme sur les antennes. Une telle sanctuarisation ne nous semble pas pertinente aujourd’hui au regard des engagements pris par l’Arcom et de la portée de la décision du Conseil d’État.
La proposition visant à renforcer les pouvoirs de sanction de l’Arcom pour lui permettre d’agir plus efficacement est un autre objet de désaccord. Il nous apparaît en effet que l’Autorité a démontré à plusieurs reprises, au cours de ces derniers mois, son pouvoir de sanction et sa capacité à faire respecter les principes d’indépendance et de pluralisme de l’information.
En ce qui concerne la protection du secret des sources, notre groupe souscrit aux conclusions de nos collègues de la commission des lois et de la rapporteure pour avis Lauriane Josende, qui ont souhaité circonscrire et consolider ce dispositif, en tenant compte notamment de la décision du Conseil constitutionnel du 28 octobre 2022.
Enfin, le droit d’agrément des rédactions dans la presse écrite et audiovisuelle pour le choix du directeur de la rédaction, tel qu’il est proposé dans le texte, nous semble soulever un certain nombre de questions, de nature notamment économique et juridique, qui nous invitent à la vigilance.
Ces réserves étant exprimées, les membres du groupe RDPI conditionneront leur vote à l’adoption des amendements déposés par plusieurs de leurs collègues.
M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Bernard Fialaire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la multiplication des supports de presse, la rapidité des flux de diffusion des contenus, le développement de l’intelligence artificielle (IA) invitent à une réflexion sur les conditions de collecte et de production de l’information. La protection des journalistes sous l’angle de la déontologie doit également être interrogée. En effet, l’on observe une défiance croissante à l’encontre des journalistes, comme en témoigne un sondage Ipsos de 2021 : 16 % des Français, seulement, leur feraient confiance.
La crédibilité des sources, l’indépendance de l’information et la probité des journalistes contribuent à entretenir la confiance dans la presse. C’est pourquoi il est important d’approfondir leur cadre déontologique. Selon une étude de l’Alliance des conseils de presse indépendants d’Europe (AIPCE), la confiance du public est en effet « plus importante envers les journalistes quand il existerait un conseil de déontologie ».
Cette proposition de loi de notre collègue Sylvie Robert vient donner un cadre aux chartes déontologiques accompagnant la signature d’un contrat de travail ou d’une convention entre un journaliste et un média, en renvoyant explicitement aux trois grands textes fondateurs. Elle leur offre également une plus grande visibilité en affirmant l’obligation de publicité par l’éditeur.
Si je salue cette mesure ainsi que celle qui vise à rendre plus visibles les comités d’éthique par la publicité de leurs avis et par le mécanisme de saisine en ligne, je propose d’aller au bout de cette logique.
Dans l’objectif de renforcer le cadre déontologique de la profession journalistique, je propose de créer un ordre des journalistes, composé de journalistes professionnels. Cet ordre veillerait au respect, par tous ses membres, des règles édictées par le code de déontologie des journalistes, dans lequel seraient fixés leurs missions et leurs devoirs.
Il me semble en effet que les membres d’une profession sont les plus compétents pour définir les principes qui la régissent et les critères pour y appartenir. C’est la garantie de leur indépendance et de leur protection vis-à-vis de leurs employeurs.
Cet ordre aura aussi pour responsabilité de délivrer la carte de presse. Aujourd’hui, la loi prévoit que celle-ci est accordée sur la base de critères essentiellement économiques. La personne y prétendant doit tirer au moins 50 % de ses ressources de son activité de journaliste. Or ce critère n’est plus cohérent au regard de la réalité économique de la profession de journaliste.
En effet, la chute des revenus liés au journalisme a pour conséquence d’empêcher de nombreux professionnels d’être titulaires de cette carte. C’est le cas par exemple des journalistes d’investigation, des réalisateurs de documentaires ou des photojournalistes.
Or la détention de la carte de presse est primordiale : c’est un gage de sérieux, qui permet d’obtenir des accréditations plus aisément, qui octroie une protection en cas de couverture d’événements dangereux et qui devrait aussi garantir le secret des sources.
En outre, la commission chargée de décerner la carte de presse est composée pour moitié de représentants des employeurs, ce qui semble discutable.
Je propose donc que la reconnaissance du statut de journaliste relève des pairs et que ce soit un conseil national de l’ordre des journalistes qui attribue la carte de presse et assure la discipline de la profession.
Madame la ministre, vous nous annoncez une grande loi sur les médias à l’issue des États généraux de l’information : définissons un cadre déontologique qui garantira la confiance dans la presse, la qualité de l’information et la protection des journalistes.
Espérant vous convaincre, madame la ministre, j’ai retiré avant la séance les amendements d’appel que j’avais déposés et qui visaient à instaurer une déontologie unique, alors que dans le contexte actuel, peu satisfaisant, les comités d’éthique sont à géométrie variable selon les médias. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Michel Laugier. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Michel Laugier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « La liberté de la presse présente des inconvénients. Mais moins que l’absence de liberté. » Dans cet hémicycle, nous pourrions tous faire nôtre cette citation de François Mitterrand, n’est-ce pas, chère Sylvie Robert ?
Nous sommes tous, ici, des défenseurs de la liberté de la presse. Nous sommes tous, ici, des défenseurs des 580 journalistes emprisonnés actuellement dans 70 pays à travers le monde. Nous défendons tous, ici, les intérêts des journalistes, comme le Sénat l’a montré en étant la première chambre parlementaire à transposer la directive européenne du 17 avril 2019 sur les droits d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique.
Nous ne pouvons que souscrire à l’objectif légitime de cette proposition de loi, qui vise à renforcer l’indépendance des médias et à mieux protéger les journalistes.
Oui, tous, ici, nous sommes des défenseurs de la liberté et de toutes les libertés.
Liberté du Parlement, tout d’abord, pour que les parlementaires puissent faire usage de leurs prérogatives législatives et ce, même si cette proposition de loi, aussi intéressante soit-elle, intervient à contretemps. Elle a en effet été déposée sur le bureau de notre chambre après que, en juillet dernier, l’Arcom a pris la décision de retirer des fréquences de télévision numérique terrestre (TNT) à deux opérateurs, ce qui prouve qu’elle exerce bien son autorité.
En outre, la proposition de loi a été déposée avant même que soient rendues publiques les conclusions des États généraux de l’information, de sorte que le texte ne peut naturellement pas en tirer les enseignements.
Ce vaste chantier, dans le cadre duquel cinq groupes de travail se sont réunis durant près d’un an pour mener cent soixante-quatorze auditions d’experts, a abouti à un point de situation particulièrement circonstancié et précieux sur le sujet. Celui-ci doit, selon moi, constituer le préalable de toute réflexion parlementaire sur les médias.
Le Gouvernement a par ailleurs annoncé un projet de loi pour 2025, dont il me semble important de connaître la teneur avant de lancer toute autre initiative.
Au-delà de ces considérations de calendrier, et même si certaines dispositions de la proposition de loi sont directement inspirées des conclusions du rapport de la commission d’enquête sénatoriale de 2022 sur la concentration des médias en France, auxquelles je ne peux que souscrire en ma qualité d’ancien membre, d’autres articles suscitent des questionnements.
Comme je l’ai rappelé, chacun d’entre nous est attaché à la liberté, notamment la liberté éditoriale des titres de presse et des médias.
Bien sûr, et c’est un journaliste de formation qui vous l’affirme, l’information n’est pas un bien de consommation comme les autres.
Bien entendu, une entreprise de presse a une responsabilité particulière : celle d’informer honnêtement, de rendre compte, de donner à voir, à connaître et à comprendre des faits, en somme d’être un médium entre ceux qui font l’actualité et les lecteurs, auditeurs et téléspectateurs.
Mais un titre ou un média ne pourrait-il pas exprimer une sensibilité particulière ? Les titres de presse ou les médias adoptent tous une ligne éditoriale, qu’elle soit philosophique, religieuse ou politique. Elle est tantôt libérale, européenne, conservatrice ou progressiste.
Notre rôle de parlementaires est de nous assurer que l’ensemble des idées puisse s’exprimer dans le respect de la loi.
Nous devons protéger cette liberté, tout comme notre rôle est de défendre la loi du 18 octobre 2019 relative à la modernisation de la distribution de la presse, dite loi Bichet. Et c’est celui qui en a été le rapporteur qui vous le dit. Cette loi permet à tout lecteur de trouver en kiosque l’éventail des publications, quelle que soit leur ligne éditoriale.
En tant que législateurs, nous sommes aussi les garants de l’indépendance du régulateur sectoriel et de sa liberté d’action.
À travers le texte qui est soumis à notre examen, il s’agit de graver dans la loi le contrôle du pluralisme exercé par l’Arcom. Mais pourquoi définir un cadre législatif alors que le Conseil d’État, plus haute juridiction administrative, a lui-même précisé les contours d’un tel contrôle dans sa décision du 13 février 2024 sur le respect du pluralisme ? La loi n’apporterait aucune protection supplémentaire et serait de ce fait superfétatoire.
De la même façon, la proposition de loi vise à renforcer les pouvoirs de sanction de l’Arcom, mais cette dernière dispose déjà d’une boîte à outils complète et dissuasive qu’elle sait pleinement mobiliser. Elle l’a montré récemment en utilisant pour la première fois le levier ultime du retrait de fréquences, comme je l’ai déjà rappelé.
Faisons donc confiance au régulateur et à sa rigueur, et laissons-le libre de mobiliser les moyens mis à sa disposition.
Dans cet hémicycle, je le répète, personne n’est un ennemi de la liberté de la presse, qui participe à l’essence même de la société démocratique. Mais la proposition qui vise à offrir aux rédactions un droit d’agrément sur la nomination du directeur de la rédaction outrepasse ce principe et entre en collision avec un autre droit, tout aussi essentiel : le droit de propriété de l’actionnaire.
Un patron de presse n’aurait pas le choix de nommer les cadres dirigeants de ses propres entreprises ? Quel serait l’intérêt pour un groupe d’entrer au capital d’une entreprise de presse s’il était corseté dans sa liberté d’entreprendre ? Demande-t-on au journaliste de faire valider son papier par son actionnaire ?
Un tel dispositif serait, en outre, de nature à affaiblir la valeur des titres de presse et des antennes. Il risquerait de freiner les initiatives d’industriels. Or leurs investissements sont essentiels à un secteur dont l’équilibre économique est fortement fragilisé. Une telle disposition risquerait de décourager les financements et de contribuer à la paupérisation de l’information.
N’oublions pas que, sur ce sujet aussi, des dispositifs existent déjà, à l’image du droit de veto, en vigueur dans plusieurs rédactions, du droit de cession ou de la clause de conscience. Ils permettent de garantir l’indépendance de tout journaliste qui ne serait pas en accord avec un nouveau propriétaire.
Avant de conclure, je souhaite rappeler l’attachement des membres du groupe Union Centriste à l’indépendance de la presse et à la liberté rédactionnelle de tout journaliste, lesquelles passent en premier lieu, selon nous, par la solidité du modèle économique.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe Union Centriste soutiendra ce texte, sous réserve des aménagements que je viens d’évoquer. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jérémy Bacchi.
M. Jérémy Bacchi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte dont nous débattons aujourd’hui intervient dans un contexte où le droit de chacune et de chacun d’accéder à une information libre, pluraliste et de qualité est remis en cause.
Privatisation de l’audiovisuel public voulue par l’extrême droite pour donner les clés aux propagandistes du pire, prise de contrôle de titres, de chaînes de télévision ou de radio par des milliardaires au service de leurs intérêts… Oui ! Débattre et légiférer en faveur de l’indépendance des médias et de la protection des journalistes est plus que nécessaire et c’est la raison pour laquelle nous remercions nos collègues socialistes d’une telle initiative, notamment notre collègue Sylvie Robert.
Tout d’abord, nous saluons le renforcement des sanctions que peut prendre l’Arcom afin de les rendre davantage dissuasives.
Nous souhaitons tout de même alerter nos collègues sur la mesure visant à suspendre un média sans mise en demeure préalable afin de prévenir « toute ingérence malveillante, qu’elle soit nationale ou venue de l’extérieur ». Même si je comprends l’intention des auteurs de cette disposition, je rappelle que la décision du Conseil européen de décembre 2022 visant à interdire la diffusion dans l’ensemble des pays de l’Union européenne des médias russes Sputnik et Russia Today (RT) fut durement critiquée par la Fédération européenne des journalistes qui regroupe près de 61 organisations de journalistes dans 40 pays et qui représente près de 320 000 journalistes.
Son secrétaire général, Ricardo Guttiérrez, avait ainsi qualifié de « dangereux précédent » ladite décision, car si les règles de diffusion sont très claires, comme l’interdiction de l’incitation à la haine, en revanche qualifier tel ou tel propos de « propagandiste » relève d’une appréciation plus subjective, donc potentiellement dangereuse. Dans une démocratie, la liberté d’expression est protégée et ne vaut pas que pour ce qui fait consensus.
Ensuite, nous pouvons regretter qu’aucune disposition ne vise un conditionnement des aides financières de l’État et des collectivités locales. Certes, ce texte s’inscrit dans l’esprit de la loi Bloche, qui responsabilise davantage les groupes de médias qu’elle ne les contraint. Mais ce choix présente le risque d’atténuer l’efficacité des mesures du texte. En effet, la contrainte ne se réalise qu’a posteriori, une fois que le mal est fait, au travers des sanctions de l’Arcom.
Il eût été intéressant d’envisager un mécanisme de conditionnement du versement des aides au respect des conventions collectives, du code du travail et de la protection sociale des journalistes, afin de lutter concrètement contre la précarité du secteur.
Enfin, les États généraux de l’information ont rendu leurs conclusions le 12 septembre dernier, parmi lesquelles figure la modernisation des seuils anticoncentration.
En effet, les États généraux de l’information ont reconnu que la loi de 1986 était devenue obsolète et qu’il fallait désormais définir le « pouvoir d’influence » global d’un groupe plurimédias – entendez par là, chers collègues, sa capacité à atteindre les lecteurs ou les auditeurs –, ainsi qu’un seuil unique que les grands groupes ne pourront pas dépasser.
Nous considérons toutefois que cette proposition de loi contient des avancées qui contribueront à renforcer la protection des journalistes et l’indépendance des médias. C’est pourquoi, dans le contexte que j’ai évoqué, le groupe CRCE-K votera ce texte, qui produira à n’en pas douter des effets positifs. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à Mme Monique de Marco. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Monique de Marco. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous abordons l’examen de cette proposition de loi alors que le pays traverse une crise institutionnelle sans précédent. Cette crise nous impose de repenser nos manières de légiférer. La nouvelle configuration politique renforce l’importance du travail parlementaire et accroît aussi les responsabilités qui pèsent sur chacun d’entre nous. C’est dans cet état d’esprit que j’ai accompagné Sylvie Robert dans son travail de rapporteure, au cours d’un grand nombre des auditions qu’elle a conduites.
Ces auditions m’ont convaincue des limites du droit actuel pour garantir des conditions d’exercice satisfaisantes de la liberté de la presse. Il y avait déjà eu les travaux de la commission d’enquête sur la concentration des médias en France, en 2022, puis les conclusions des États généraux de l’information. Une fois encore, les professionnels que nous avons entendus nous ont rappelé les dangers d’un cadre éditorial imposé par les actionnaires aux rédactions. Ils ont évoqué, de nouveau, les menaces judiciaires qui pèsent sur eux et sur leurs sources : procédures bâillons, perquisitions et gardes à vue d’intimidation…
Ces auditions ont également permis de montrer que, après la révolution de l’internet, plusieurs de nos lois sont devenues complètement obsolètes. Ainsi, les seuils de concentration de la loi de 1986 sont totalement inadaptés aux nouveaux usages.
Les obligations qui pèsent sur les réseaux sociaux sont insuffisantes. À quoi bon renforcer, loi après loi, la déontologie des journalistes, si leur parole se retrouve noyée dans un océan de fausses informations et de post-vérités ? L’obligation de valoriser les contenus journalistiques dans les algorithmes me semble aujourd’hui incontournable pour garantir le droit de chacun à accéder à des informations fiables.
Il y a urgence à légiférer, alors qu’une nouvelle révolution de l’intelligence artificielle s’annonce. La mise en conformité avec le règlement européen sur la liberté des médias du 1er mai 2024 et la récente adoption du projet de directive de la Commission européenne sur les procédures bâillons d’avril 2022 ne nous en laisseront pas le choix, quoi que pensent certains de nos collègues dans cet hémicycle.
Mes chers collègues, si vous êtes des républicains, vous voterez les dispositions de ce texte, qui garantissent le pluralisme, l’indépendance et l’honnêteté de l’information. En effet, derrière les grands mots de « liberté d’entreprendre » et de « liberté d’expression », certains font leur miel de la désinformation généralisée. L’idée n’est pas nouvelle, elle se résume par « du pain et des jeux ».
Je ne me résous pas à réduire la liberté de la presse à la liberté d’entreprendre de quelques-uns. Je ne me résous pas à ce que, parmi nous, certains protègent des intérêts particuliers en les faisant passer devant la nécessité, bien plus grande, de garantir la qualité du débat public, qui est pourtant vitale pour notre démocratie. Vous connaissez tous la formule de Victor Hugo : « La liberté de la presse à côté du suffrage universel, c’est la pensée de tous éclairant le gouvernement de tous. Attenter à l’une, c’est attenter à l’autre. »
Le même consensus se dégage des États généraux de l’information qui se sont achevés en septembre dernier. Le rapport établi à partir de leurs travaux souligne d’emblée que l’inquiétude est générale et profonde, que l’heure est à la sauvegarde du droit à l’information pour ceux qui la font et au développement du droit à l’information pour ceux à qui elle est destinée. Ce rapport nous rappelle que l’information n’est pas un bien comme un autre, qu’elle est un bien public et que, philosophiquement, elle est notre bien commun : celui qui donne à la cité son unité.
Selon certains, ce texte arriverait trop tard ou trop tôt, il serait prématuré, peu utile et incomplet, mais ce ne sont là que des prétextes pour ne pas le voter.
Mes chers collègues, souvenons-nous des leçons du Conseil national de la Résistance : « Assurer la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’État, des puissances d’argent et des influences étrangères. »
Je vous appelle à légiférer, à voter pour garantir l’indépendance des rédactions, à voter pour mettre les journalistes à l’abri des procédures judiciaires utilisées pour les faire taire, à voter pour garantir le pluralisme des courants de pensée, ainsi que la sûreté et la fiabilité des sources, ces nourritures de l’esprit. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)
M. le président. La parole est à Mme Colombe Brossel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Colombe Brossel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après l’examen de la proposition de loi visant à assurer la mixité sociale et scolaire dans les établissements d’enseignement publics et privés sous contrat du premier et du second degrés et à garantir davantage de transparence dans les procédures d’affectation et de financement des établissements privés sous contrat, et avant celui de la proposition de loi visant à mettre à contribution les Ehpad privés à but lucratif réalisant des profits excessifs, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a une nouvelle fois inscrit, à son ordre du jour réservé, un texte qui résonnera fortement dans la société en raison de son objet : le renforcement de l’indépendance des médias et de la protection des journalistes. Notre groupe poursuit en cela les travaux menés par David Assouline, que je salue, lors des précédentes législatures.
À l’heure où de grands groupes utilisent des moyens économiques et financiers importants pour vampiriser le paysage médiatique et pour faire infuser leurs idées en irriguant les écrans et les ondes, y diffusant par exemple la présentation biaisée d’un sondage durant les récentes campagnes électorales, ou bien une séquence remettant en cause le droit fondamental que représente l’interruption volontaire de grossesse, les législateurs que nous sommes ont la responsabilité d’agir pour réguler ce qui est devenu un espace démocratique à préserver et à renforcer.
La loi Bloche du 14 novembre 2016 a permis de nombreuses avancées pour mieux protéger les journalistes et garantir davantage de pluralisme et de transparence dans les médias. Elle reste le dernier texte que nous avons adopté pour faire écho à ces préoccupations.
Mais, si les sujets soulevés par la présente proposition de loi résonnent aussi fort dans la société, c’est parce que celle-ci a changé. Certains médias sont apparus et d’autres n’existent plus… Surtout, les réseaux sociaux et les plateformes prennent une place toujours plus grande dans l’espace médiatique et la fabrique de l’information.
Un important travail mené sur l’initiative de la rapporteure, que je salue et remercie, notre collègue Sylvie Robert, a permis d’enrichir le texte initial. Cette proposition de loi est un texte utile, car il permet au Parlement de prendre la place qui doit être la sienne, au centre de ces enjeux, en tant que garant de la « liberté, du pluralisme et de l’indépendance des médias », conformément à l’article 34 de notre Constitution.
Permettez-moi de revenir sur ces enjeux et, tout d’abord, sur le renforcement de notre démocratie.
Dans un contexte de défiance toujours plus grand des citoyens envers les médias, alors que l’actualité foisonne, il est évident que la confiance ne peut reposer que sur une information de qualité et diversifiée. C’est pourquoi l’article 1er sanctuarise la jurisprudence du Conseil d’État du 13 février 2024 relative au pluralisme. La nouvelle rédaction de l’article proposée par la rapporteure va dans le bon sens et le groupe socialiste estime tout à fait cohérent d’inscrire cette jurisprudence dans la loi. C’est la raison pour laquelle nous nous opposerons à l’amendement de suppression de cet article.
Les assauts d’actionnaires avides d’exercer un pouvoir toujours plus étroit suscitent par ailleurs des interrogations sur le cadre d’exercice des journalistes. Au-delà des garanties professionnelles déjà existantes, la volonté d’un actionnaire pèse très lourd. Ainsi, la ligne éditoriale d’un média peut changer du tout au tout, d’un jour à l’autre.
Telle est la raison d’être de l’article 6, qui prévoit l’instauration d’un droit de validation du directeur de la rédaction par les rédactions. Bien que les points de vue varient sur ce sujet et que des questions se posent, notamment sur la nécessité de prendre en compte la taille des rédactions pour fixer les taux de validation requis, nous restons attachés à ce droit d’agrément. En effet, dans la mesure où il sous-tend un partage de la décision, il constitue un contrepoids nécessaire à la toute-puissance des actionnaires.
À ceux qui nous opposent que c’est un risque pour le secteur, nous répondons que ce droit de validation de la rédaction existe déjà dans certains grands médias et fonctionne bien, et qu’il témoigne surtout de la confiance entre journalistes, rédaction et actionnaires.
À ceux qui nous opposent l’existence de droits individuels, comme le droit de cession ou le droit de conscience, nous répondons en invoquant le droit collectif, la régulation et le bon fonctionnement des rédactions.
L’enjeu est ensuite la nécessité pour le secteur de la presse de répondre à une réalité économique. Je fais bien sûr référence à la problématique des droits voisins. Quoi de plus logique que de nous inscrire dans la tradition sénatoriale, à l’avant-garde sur ce sujet ?
Oui, il faut aller plus loin en matière de transparence des négociations. Et il faut permettre aux agences de presse, spécificité française au sein de l’Union européenne, de percevoir les droits qui leur reviennent, alors que les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon) les leur refusent au nom d’une définition de la publication de presse issue de la directive européenne de 2019, qui laisse planer un doute sur leur qualité de bénéficiaires. C’est peu dire que l’attente est forte au sein de l’écosystème – nous l’avons constaté au cours des auditions – afin de rééquilibrer les rapports et de mettre fin au combat entre le pot de fer et le pot de terre.
Enfin, en matière de protection des journalistes, l’enjeu est juridique.
L’article 5 renforce la protection du secret des sources des journalistes en l’étendant aux directeurs de publication et à tous les journalistes. Il modifie ainsi la loi sur la liberté de la presse de 1881. La contribution de la rapporteure pour avis prouve que plusieurs solutions sont envisageables pour avancer dans une seule et même direction.
Il y a quelques semaines étaient rendues les conclusions des États généraux de l’information en présence de l’ensemble des acteurs du secteur, professionnels des médias et de l’information, ainsi que des citoyens engagés dans cette démarche. La présente proposition de loi, déposée dès le mois de juillet dernier, anticipe de nombreuses propositions issues de ces états généraux, ce qui en confirme la pertinence.
Fake news, défiance populaire à l’égard de la presse et des médias audiovisuels, concentration économique, fragilisation du modèle économique, évolution des usages, développement des plateformes numériques, rôle et régulation de l’intelligence artificielle : tels sont les défis auxquels nous sommes confrontés en tant que citoyens et en tant que législateurs et auxquels les auteurs de ce texte se proposent d’apporter un début de réponse.
Je vous invite, mes chers collègues, à voter cette proposition de loi avec enthousiasme et gravité. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. Christopher Szczurek.
M. Christopher Szczurek. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je vous l’accorde, aujourd’hui, le rôle des médias consiste non plus uniquement à assurer le pluralisme des courants de pensée et à faire état de la réalité, mais, de plus en plus, à fabriquer l’opinion et à proposer leur propre interprétation de la réalité, ce qui – je l’admets – peut poser problème.
Évidemment, mes chers collègues, selon que l’on est systématiquement épargné ou mis en valeur, on ne voit pas les choses de la même manière, mais quand on est systématiquement accablé, coupable avant même que le papier soit écrit, je peux vous garantir que l’on voit les choses autrement…
Les journalistes sont un pilier essentiel à la bonne santé intellectuelle d’une nation, mais les droits fondamentaux sur lesquels reposent leur sécurité et le bon exercice de leur profession doivent être assortis du respect de devoirs tout aussi cruciaux, que certains bafouent pourtant allègrement.
Être journaliste, ce n’est pas bénéficier d’un totem d’immunité morale ou intellectuelle. On peut tout à la fois être journaliste d’opinion et respecter le contradictoire, vérifier ses sources et rechercher la vérité vraie, et non celle qui arrange, en somme suivre des principes qui sont loin d’être optionnels.
Certains s’émeuvent, parfois à juste titre, des affaires CNews et C8 ; il est vrai qu’il s’agit de chaînes privées, même si cela ne doit surtout pas les dédouaner de faire preuve de rigueur et de respecter les règles de déontologie.
Ces deux chaînes sont ici clairement visées, puisque les auteurs de ce texte souhaitent établir une classification politique des intervenants. Cela conduirait pourtant à prendre le risque de causer de sacrés dommages collatéraux : comment catégoriser un intervenant libéral-libertaire ? Estimez-vous, par exemple, que Pascal Praud est de gauche par intermittence quand il défend la gestation pour autrui (GPA) pendant cinq minutes ?
Vous voyez bien que cette démarche n’a aucun sens et qu’une telle typologie ne peut éventuellement procéder que d’éléments factuels et d’une appréciation générale du média concerné.
Que dire par ailleurs de l’audiovisuel public, qui ne propose, lui, que cinquante nuances de gauche et envers lequel nous devrions faire preuve de la même capacité d’indignation et avoir les mêmes exigences ?
Oui, l’audiovisuel public doit être encore plus neutre, plus impartial, et plus exemplaire sur un plan déontologique que le reste du paysage médiatique, parce qu’il est financé par les impôts de tous les Français, lesquels méritent le plus grand respect et attendent à juste titre une représentation de toutes les opinions.
De la même manière, renforcer le champ d’action de l’Arcom est louable à condition que cette autorité de régulation se préserve de toutes les turpitudes évoquées précédemment.
J’en profiterai, avant de conclure, pour saluer la nomination de mon cher ami et frère d’armes Bruno Bilde au conseil supérieur de l’Agence France-Presse. (Murmures désapprobateurs sur les travées du groupe SER.)
Mme Audrey Linkenheld. Ce n’est pas rassurant !
M. Christopher Szczurek. J’ai toute confiance en lui pour veiller au bon respect de la loi du 10 janvier 1957 qui dispose que l’AFP « ne peut en aucune circonstance tenir compte d’influences ou de considérations de nature à compromettre l’exactitude ou l’objectivité de l’information » et qu’elle « ne doit, en aucune circonstance, passer sous le contrôle de droit ou de fait d’un groupement idéologique, politique ou économique ». Vous imaginez bien que je ne douterai jamais de l’objectivité de l’Agence !
Pour le reste, même si cette proposition de loi prévoit le renforcement de la protection des sources, ce qui nous inciterait à voter pour l’article 5, elle nous paraît partiale, à dessein et, surtout, très politique. Elle nous semble de surcroît n’apporter aucune garantie en matière d’indépendance des journalistes et de pluralisme d’opinion. Aussi, nous nous y opposerons !
M. le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.
M. Pierre-Jean Verzelen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe socialiste nous présente une proposition de loi qui part d’un bon sentiment. Mais, comme le dit le proverbe, l’enfer est pavé de bonnes intentions…
Le texte comporte des mesures qui vont dans le bon sens : je pense aux dispositions concernant la protection des sources ou le renforcement des droits voisins, dont nous aimerions que le périmètre soit redéfini, afin qu’il s’applique non plus seulement à Google, mais aussi aux autres plateformes et réseaux sociaux qui partagent sans limites les productions des éditeurs de presse.
Mais le cœur du réacteur, la raison d’être de ce texte, l’article qui changerait tout, c’est celui qui reprend les termes de la décision du Conseil d’État du 13 février 2024 et qui enjoint à l’Arcom de prendre en compte les différentes sensibilités politiques de l’ensemble des intervenants, y compris les chroniqueurs, les animateurs et les invités.
Ne faisons pas semblant de ne pas avoir compris : il s’agit de s’attaquer à CNews, à C8, en résumé aux médias du groupe Bolloré.
M. Max Brisson. Voilà !
M. Olivier Paccaud. Tout à fait !
M. Pierre-Jean Verzelen. La proposition de loi du groupe socialiste traduit d’ailleurs une forme de cohérence, car elle s’inscrit dans la droite ligne des travaux de la commission d’enquête sur la concentration des médias en France.
Un certain nombre d’entre vous en conviendront ici, le Conseil d’État n’est pas non plus le gardien absolu de la vérité. On se demande bien du reste pourquoi celui-ci vient se mêler de l’organisation du débat public, politique et intellectuel au sein des chaînes de télévision ou des stations de radio.
En réalité, c’est injouable : avec un tel texte, nous mettrions le doigt dans un engrenage dont nous ne sortirions jamais. Imaginez le salarié de l’Arcom, derrière son écran, qui devrait, avec son chronomètre, décompter les minutes de tel ou tel et déterminer si les propos tenus sont de gauche, de droite ou d’ailleurs…
Je n’aimerais pas être à la place de celui qui devra, par exemple, se pencher sur l’émission de Michel Onfray.
M. Olivier Paccaud. C’est vrai !
M. Pierre-Jean Verzelen. Il faudrait distinguer parmi ses prises de position celles qui sont très à gauche et celles qui sont très à droite. Bon courage !
Quid des humoristes qui interviennent quotidiennement dans des matinales ? Une blague de Philippe Caverivière, comment faire pour savoir si elle est de droite ou de gauche ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Très bien !
M. Pierre-Jean Verzelen. C’est complètement lunaire !
Sur le fond, admettez qu’il est tout de même assez inquiétant de vouloir attribuer des étiquettes aux uns et aux autres. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) Tout propos n’est pas motivé par des intentions partisanes ou électorales.
Aujourd’hui, il existe une multitude de chaînes et de stations où sont émises des opinions différentes, divergentes, contradictoires, et c’est une chance ! Chacun a le droit de zapper et de changer de chaîne.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Bravo !
M. Pierre-Jean Verzelen. Moi-même, il m’arrive d’écouter France Inter,… (Rires sur les travées du groupe Les Républicains. – Exclamations sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. Roger Karoutchi. Non ! (Sourires.)
M. Pierre-Jean Verzelen. … et je reconnais volontiers que cela contribue à me forger une opinion ! J’espère que d’autres prennent le temps d’écouter des émissions comme L’Heure des pros, car cela les aiderait eux aussi à se forger un avis.
Mme Audrey Linkenheld. C’est ce qu’on fait. D’ailleurs, on lit Le Figaro tous les jours ! (M. Patrick Kanner brandit un exemplaire du journal.)
M. Pierre-Jean Verzelen. Il y a quelques semaines, l’Arcom a exclu les chaînes CNews et NRJ 12 de la TNT. À titre personnel, je vois dans ce choix une forme de mépris social, pour ne pas dire du mépris de classe. (Protestations sur les travées du groupe SER. – Bravo ! et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Qui sont ces personnes qui savent pour les autres ce qui est bon, ce qui est beau, ce qui est bien ? Qui sont ces personnes qui veulent imposer leur façon de penser, comme si les uns et les autres n’étaient pas capables de choisir ce qu’ils souhaitent écouter ou regarder ? Dans quelle démocratie décide-t-on de la disparition d’une chaîne de télévision nationale, de surcroît à capitaux français ?
Ce qui fait la saveur de l’audiovisuel, c’est sa diversité, sa complémentarité et sa pluralité. (Exclamations sur les travées du groupe SER.) Il y a quarante ans, on assistait à l’émergence des radios libres, à l’arrivée de Canal+ et à la création de nouvelles chaînes ; aujourd’hui, on a plutôt l’impression que certains n’ont d’autre projet politique pour l’audiovisuel qu’un retour à l’ORTF ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Christopher Szczurek applaudit également.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Très bien !
M. Olivier Paccaud. Très bien !
M. Pierre-Jean Verzelen. Ne faisons pas semblant de ne pas savoir que l’indépendance et la crédibilité de l’information se jouent désormais sur internet et sur les réseaux sociaux.
Vous l’aurez compris, une grande majorité des sénateurs du groupe Les Indépendants sont hostiles à ce texte. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Christopher Szczurek applaudit également.)
M. Pierre Ouzoulias. C’est beau l’union des droites ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Cédric Vial. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Cédric Vial. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis ce matin pour débattre d’une proposition de loi qui touche au cœur même de notre démocratie, car elle concerne les médias et leur indépendance.
La loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, sur laquelle repose une grande partie de notre cadre législatif dans ce domaine, a été élaborée à une époque où les défis et les enjeux dans ce secteur étaient profondément différents de ceux que nous connaissons aujourd’hui.
Nous vivons dans un monde où la manière dont l’information est produite, diffusée et consommée est radicalement différente. Les nouvelles technologies ont bouleversé notre façon de communiquer : les réseaux sociaux, les plateformes numériques et l’accès instantané à l’information ont profondément modifié le paysage médiatique et ont supprimé un certain nombre de filtres.
Face à ces transformations, je pense, comme beaucoup d’entre vous, qu’il est nécessaire d’ajuster notre législation. Mais je le dis avec gravité, cette tâche doit être menée avec précaution, « d’une main tremblante », pour reprendre une expression chère à notre histoire parlementaire.
Si je salue certaines des ambitions de Mme la rapporteure concernant le pluralisme ou la protection des sources, chacun sait bien ici que l’on ne légifère pas avec de bonnes intentions et, moins encore, avec de mauvaises intentions – l’exposé des motifs de votre proposition de loi, ma chère collègue, ne cherche pas à les dissimuler ! – à l’encontre d’un groupe médiatique qui semble particulièrement ciblé.
M. Olivier Paccaud. Tout à fait !
M. Cédric Vial. Avant toute modification législative touchant à la liberté de la presse ou à la liberté d’expression, il convient de veiller attentivement à ne pas compromettre les libertés fondamentales que nous devons protéger.
Le Conseil d’État, dans une récente décision, a en effet demandé qu’un contrôle plus poussé soit exercé. Il est indéniable que la régulation des médias et de la communication est devenue plus complexe à mesure que le paysage médiatique s’est fragmenté et que les dérives se sont multipliées, notamment avec l’émergence des fake news et une forme de désinformation à grande échelle.
M. Max Brisson. Exact !
M. Cédric Vial. Cependant, la recherche de l’équilibre est un art délicat. Nous devons veiller à ne pas franchir cette frontière ténue entre la régulation nécessaire et une restriction de la liberté d’information et de communication qui serait automatiquement excessive.
Je suis convaincu – chacun peut en convenir ici – que la loi de 1986 peut être complétée et adaptée aux enjeux actuels dans le secteur des médias. Nous ne pouvons pas ignorer les bouleversements qu’entraînent les nouvelles technologies. Nous sommes confrontés à un flux constant d’informations, qui est parfois déformé, qui fait parfois l’objet de manipulations et qui nécessite un cadre juridique adapté pour protéger à la fois les journalistes, les citoyens et la qualité de l’information.
Les véritables défis auxquels nous faisons face aujourd’hui sont nombreux. L’indépendance des journalistes est sans doute le plus important d’entre eux : c’est elle qui garantit que l’information diffusée est libre de toute influence extérieure, qu’elle soit économique ou politique. Cette indépendance est la clé de voûte d’une presse libre et d’une démocratie forte.
Si nous devons renforcer certains mécanismes de contrôle, ce doit être dans le respect absolu de cette indépendance, afin de ne pas menacer le rôle fondamental des journalistes et des médias dans notre société.
La lutte contre les fake news est un autre combat que nous devons mener. La désinformation prolifère à une vitesse inédite et sème la confusion, la méfiance, voire la haine au sein de nos sociétés. Lutter contre ce phénomène est une priorité absolue, mais, là encore, nous devons agir avec prudence. Le but est non pas de museler l’information, mais de permettre à chacun de disposer d’informations vérifiées, fiables et pluralistes.
Notre objectif devrait être de compléter la loi de 1986 sans pour autant tomber dans le bavardage législatif. L’Arcom a su démontrer qu’elle disposait, avec les pouvoirs qui lui ont été confiés, de moyens suffisants pour limiter et contrôler certaines dérives dans le secteur de la communication et de l’information.
M. Max Brisson. Exact !
M. Cédric Vial. Si je peux approuver votre démarche et certaines de vos ambitions, madame la rapporteure, je ne peux pas souscrire aux solutions que vous proposez, lesquelles me semblent, comme l’ont rappelé mon collègue Max Brisson et Mme la ministre elle-même, à contretemps des nécessaires conclusions qui mériteront d’être tirées après une phase de consultation et de concertation consécutive aux états généraux de l’information. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Pierre-Jean Verzelen et Vincent Capo-Canellas applaudissent également.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à renforcer l’indépendance des médias et à mieux protéger les journalistes
Chapitre Ier
DU RENFORCEMENT DE L’INDÉPENDANCE DES MÉDIAS
Article 1er
Le troisième alinéa de l’article 3-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication est complété par une phrase ainsi rédigée : « Elle apprécie le respect par les éditeurs de services, dans l’exercice de leur liberté éditoriale, de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion dans les programmes audiovisuels, notamment dans les programmes consacrés à l’information, en prenant en compte, dans l’ensemble de leur programmation, la diversité des courants de pensée et d’opinion exprimés par l’ensemble des participants aux programmes diffusés. »
M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, sur l’article.
M. Olivier Paccaud. C’est une noble ambition que de vouloir renforcer l’indépendance des médias et mieux protéger les journalistes, mais l’exposé des motifs de votre proposition de loi, ma chère collègue, m’a troublé : en ciblant le Journal du dimanche (JDD), Europe 1 et CNews, vous légiférez ad personam, ce qui est bien moins chevaleresque !
Dans votre texte, vous convoquez de grands principes comme la liberté d’expression. Au passage, c’est à l’article 11 et non à l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen que ce droit est reconnu. Un bon journaliste doit vérifier ses sources, un bon législateur aussi ! (Rires sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme la ministre rit également.)
Vous redéfinissez la liberté d’expression, en en faisant une sorte de vérité absolue, très inquiétante, parce qu’elle ne peut que ressusciter la censure et qu’elle nie la spécificité de la presse d’opinion.
Certes, il y a toujours eu des noces prodigues entre la presse et la politique. Et heureusement d’ailleurs ! Heureusement qu’en 1898 L’Aurore de Georges Clemenceau a publié le « J’accuse… ! » de Zola ! Heureusement, mon cher Pierre Ouzoulias, que de Jean Jaurès à Fabien Gay, L’Humanité exprime sa vérité, qui n’est pas la mienne !
M. Pierre Ouzoulias. Désolé, mais je suis lecteur de La Croix ! (Sourires.)
M. Olivier Paccaud. Heureusement que Le Figaro, que son propriétaire soit Hersant ou Dassault, exprime une vérité qui n’est pas la vôtre ! Heureusement que CNews fait entendre un son différent de certaines voix de France Télévisions ! Heureusement qu’Europe 1 contrebalance France Inter ! Heureusement que le JDD donne une autre version de l’information que Libération !
Mes chers amis, personne n’a le monopole du cœur et personne ne peut s’arroger celui d’une presse d’opinion sans impureté. Dans une démocratie, le droit au désaccord est fondamental.
Chacun connaît cette tirade de Beaumarchais, devenue la devise du Figaro : « Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur. » Sans le JDD, sans CNews, sans Europe 1, notre paysage démocratique perdrait de sa pluralité, de sa vitalité, de sa crédibilité. Un tout petit peu de bleu à côté du blanc et du rouge nous fait beaucoup de bien ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Christopher Szczurek applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Adel Ziane, sur l’article.
M. Adel Ziane. Mes chers collègues, je m’interroge également, car j’ai entendu un certain nombre de choses surprenantes au cours de la discussion générale. De notre point de vue, il n’est jamais trop tôt pour défendre la liberté d’expression, le pluralisme des courants de pensée, le cadre républicain et démocratique des débats et la diversité des opinions.
M. Max Brisson. Ils ne sont pas menacés !
M. Adel Ziane. Comme cela a été évoqué hier lors de l’audition du président de l’Arcom par la commission de la culture, cette autorité de régulation, qui a pris la suite du CSA, exerce une mission de contrôle depuis les années 1980. On ne comptait à cette époque que six chaînes de télévision et seuls quelques journaux étaient diffusés à horaires réguliers. Aujourd’hui, ce sont vingt-sept chaînes qui diffusent leurs programmes sur la TNT.
Il faut donc saluer et soutenir la décision du Conseil d’État du 13 février dernier. (M. Max Brisson proteste.) Le juge, après avoir été saisi de différentes polémiques, a fait évoluer l’interprétation de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, dite loi Léotard.
Cette décision met en lumière la nécessité de faire évoluer la régulation des médias audiovisuels, d’assurer une véritable pluralité et diversité des courants de pensée et d’opinion, y compris ceux qu’incarnent les chroniqueurs, animateurs et invités.
Aujourd’hui, l’Arcom attribue les fréquences de la TNT selon des règles précises. J’ai beaucoup entendu dire ici que C8 aurait été désignée à la vindicte populaire. Or, mes chers collègues, cette chaîne s’est vue retirer sa fréquence, non pas par pure vue de l’esprit : elle a été sanctionnée pour publicité clandestine,…
M. Max Brisson. Double peine !
M. Adel Ziane. … pour des propos stigmatisants et discriminatoires,…
M. Max Brisson. La chaîne a payé ses amendes !
M. Thomas Dossus. C’est de la récidive !
M. Adel Ziane. Monsieur le président, je souhaiterais que les interruptions de Max Brisson soient décomptées de mon temps de parole.
Je reprends : la chaîne a été sanctionnée pour des propos complotistes, des insultes et de la désinformation.
M. Roger Karoutchi. Il y en a pas mal aussi sur le service public !
M. Adel Ziane. On ne peut donc pas dire, comme certains intervenants l’ont laissé entendre, que cette chaîne a été injustement sanctionnée.
Aujourd’hui, les réseaux sociaux diffusent des fake news – ce terme a été employé. Dans un tel contexte, je considère qu’il est important, pour apaiser notre débat, de rappeler que cette sanction a été prise à la suite de manquements aux règles dont l’Arcom garantit le respect. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – M. Jérémy Bacchi applaudit également.)
M. Max Brisson. La chaîne a payé ses amendes !
M. Adel Ziane. Oui, plus de 8 millions d’euros en huit ans…
M. le président. L’amendement n° 10 rectifié, présenté par MM. Brisson, Piednoir et Paumier, Mmes Evren, P. Martin et Belrhiti, M. Grosperrin, Mmes Borchio Fontimp, Ventalon, Drexler et Joseph, M. Bruyen, Mmes Puissat et Micouleau, MM. Michallet, Klinger, Burgoa et D. Laurent, Mmes Dumont, Malet et Dumas, MM. Meignen et Paccaud, Mme Gruny, M. Reynaud, Mme Demas, MM. Reichardt, Belin, Milon, Lefèvre et E. Blanc, Mme Imbert, MM. Bouchet, Rojouan, Genet et Sido, Mme Eustache-Brinio et M. Le Rudulier, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Max Brisson.
M. Max Brisson. Je ne reviendrai pas sur les propos de mes collègues Pierre-Jean Verzelen et Olivier Paccaud, qui ont dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas sur ces travées. Cela dit, la délibération de l’Arcom a évité bien des pièges que vous avez décelés.
Rappel des faits : le recours de Reporters sans frontières a débouché sur une injonction du Conseil d’État à l’Arcom, qui a pris la forme d’une décision rendue le 13 février 2024. Il s’agit d’un véritable revirement de jurisprudence, puisque le respect de la diversité des courants de pensée et d’opinion n’est désormais plus cantonné aux seuls hommes et femmes politiques, mais étendu à tous les participants aux programmes diffusés, y compris les chroniqueurs, les animateurs et les invités. Il s’agit d’une tâche bien complexe, comme certains d’entre nous l’ont souligné lors de la discussion générale.
Le 13 juillet dernier, l’Arcom a pris une décision qui tient compte de ce revirement de jurisprudence et a proposé une approche équilibrée sur le temps long. La décision du Conseil d’État a été prise à droit constant. Sa mise en œuvre par l’Arcom a apaisé les craintes exprimées sur ces travées. La jurisprudence a fixé un nouveau cadre sans qu’il soit utile de l’inscrire dans la loi.
Aussi, il ne me semble pas nécessaire de légiférer sur la décision du Conseil d’État et la mise en application intelligente et équilibrée actée par l’Arcom. Il convient de supprimer l’article 1er, un article inutile et fruit d’une pensée quelque peu obsessionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur des travées du groupe SER.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Sylvie Robert, rapporteure. Sans surprise, la commission a émis un avis favorable sur cet amendement de suppression de l’article 1er.
Je resterai très calme, tout en précisant que je ne suis absolument pas obsessionnelle…
Permettez-moi simplement d’indiquer que, à titre personnel, je regrette la position de la commission, parce qu’il serait beaucoup plus prudent et plus respectueux des droits du Parlement de fixer notre propre interprétation de la loi de 1986 plutôt que de confier cette mission à une juridiction.
La décision du Conseil d’État a fait date. Elle n’est pas anodine et va, à mon sens, dans la bonne direction, pour peu que nous nous donnions les moyens de la consacrer.
Je reste persuadée, mes chers collègues, qu’il existe une excellente raison, surtout sur un plan symbolique, et puisqu’il est question de pluralisme, d’adopter l’article 1er, d’autant que j’avais fait en sorte d’en amender le dispositif en commission pour le rendre encore plus conforme qu’il ne l’était à la délibération de l’Arcom. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, ministre. Je partage tout à fait les arguments de M. le sénateur Brisson.
Comme vous l’avez dit vous-même, madame la rapporteure, la décision du Conseil d’État est très claire. J’ajoute qu’elle est aussi d’application directe et que l’intégration de cette jurisprudence dans un texte n’apporterait rien de plus. En outre, l’Arcom l’a mise en œuvre sans aucune difficulté.
Je suis donc favorable à la suppression de l’article 1er.
Mme Audrey Linkenheld. L’explication est loin d’être limpide !
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Je suis très surpris de votre argumentaire, mes chers collègues, parce que vous dénoncez très souvent ici, dans cet hémicycle, le gouvernement des juges, et très récemment encore les décisions du Conseil constitutionnel.
Or, dans le cas d’espèce, vous expliquez que, finalement, la jurisprudence du Conseil d’État serait quasiment équivalente à la loi. Je pense au contraire que, si l’on veut éviter ce que vous appelez le gouvernement des juges, il convient de préciser la loi autant que faire se peut.
Par ailleurs, je crains très fortement que ce que vous condamnez ici ne soit rien d’autre que l’article 3-1 de la loi de 1986, qui prévoit que l’autorité régulatrice veille « à ce que la programmation reflète la diversité de la société française ». Or cela vous ennuie.
Pour dire les choses franchement, vous défendez l’action de Vincent Bolloré, qui – il l’assume lui-même de façon forte et crue – mène un combat civilisationnel. C’est du reste son droit, même si nous le combattons. En réalité, ce qui est préjudiciable à la démocratie, c’est qu’il s’empare de la totalité des médias français…
M. Olivier Paccaud. Il ne possède pas encore Libération et L’Humanité… (Sourires.)
M. Pierre Ouzoulias. … pour assouvir cette ambition.
Mme Audrey Linkenheld. D’où la nécessité de cette loi !
M. Pierre Ouzoulias. Voilà ce dont nous discutons ce matin. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. Nous reconnaissons tous l’habileté de Mme la rapporteure. (Sourires.) Elle vient encore d’en faire la preuve en faisant dire à la commission quasiment le contraire de ce qu’elle avait exprimé. (Protestations sur des travées du groupe SER.)
Une telle habileté permet à notre collègue de camoufler largement…
M. Patrick Kanner. Un peu de respect !
M. Max Brisson. … le but caché de ce texte.
M. Thomas Dossus. Complotiste !
M. Jérémy Bacchi. Nous n’avons rien à cacher !
M. Max Brisson. Seulement, après quelques échanges et encore à l’instant, ce but apparaît au grand jour ! Vous vous en prenez obsessionnellement – ce sont des obsessions, je le confirme (Protestations sur les travées du groupe SER.) –…
Mme Sylvie Robert, rapporteure. C’est vous qui avez des obsessions !
M. Max Brisson. … aux médias qui ne se conforment pas à votre manière de penser et en qui vous ne voyez qu’une pensée unique !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Tout à fait !
M. Max Brisson. Contrairement à vous, nous défendons la diversité. Si vous la défendiez vraiment, vous manifesteriez davantage de tolérance à l’égard des personnes qui ne pensent pas comme vous.
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. Max Brisson. Madame la rapporteure, chère Sylvie Robert, vous avez dit une chose très forte tout à l’heure en déclarant qu’il nous fallait légiférer par symbole. Vous avez tout dit en quelque sorte, et votre symbole s’est matérialisé par la prise de position de Pierre Ouzoulias.
Sur ces travées, nous ne sommes pas d’accord avec vous. Du reste, vous nous excuserez de considérer qu’ici, au Sénat, on ne légifère pas par symbole ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sylvie Robert, rapporteure. Restons sereins !
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 10 rectifié.
J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe Les Républicains et, l’autre, du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 11 :
Nombre de votants | 330 |
Nombre de suffrages exprimés | 328 |
Pour l’adoption | 215 |
Contre | 113 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
En conséquence, l’article 1er est supprimé.
Article 2
La loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 précitée est ainsi modifiée :
1° L’article 42-1 est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa est ainsi modifié :
– après le mot : « celle-ci », sont insérés les mots : « ou si elle fait l’objet d’au moins deux mises en demeure, sur une période de trois ans, pour un manquement à ses obligations ou aux principes mentionnés aux articles 1er et 3-1 » ;
– les mots : « et à la condition que celui-ci repose sur des faits distincts ou couvre une période distincte de ceux ayant déjà fait l’objet d’une mise en demeure, » sont supprimés ;
b) Après le 4°, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu’une personne fait l’objet d’au moins trois mises en demeure, sur une période de trois ans, pour des manquements à ses obligations ou aux principes mentionnés aux articles 1er et 3-1 et qu’elle porte manifestement et gravement atteinte à la vie démocratique de la Nation, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle peut prononcer la sanction prévue au 4°. » ;
c) La première phrase de l’avant-dernier alinéa est ainsi rédigée : « Sans préjudice des secrets protégés par la loi, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique rend publique la sanction prononcée. » ;
2° La première phrase du premier alinéa de l’article 42-3 est complétée par les mots : « , ou en cas d’atteinte manifeste et grave à la vie démocratique de la Nation ».
M. le président. L’amendement n° 6 rectifié bis, présenté par MM. C. Vial, Belin et E. Blanc, Mme Borchio Fontimp, MM. Bouchet, Brisson, Bruyen et Burgoa, Mme Dumont, M. Genet, Mme Goy-Chavent, M. Houpert, Mme Joseph, MM. Meignen, Michallet, Milon, Paccaud, Paumier, Piednoir, Savin, Sido et J.P. Vogel, Mmes Demas et Pluchet et M. Gremillet, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Cédric Vial.
M. Cédric Vial. Mon amendement vise à supprimer l’article 2, qui prévoit de compléter le régime des sanctions applicables par l’Arcom.
À ce jour, en effet, cette autorité a démontré à plusieurs reprises que ses pouvoirs étaient suffisants pour faire respecter les principes d’indépendance et de pluralisme de l’information. De plus, l’Arcom rappelle régulièrement qu’il faut rester prudent lorsqu’il est question de sanctions dans le domaine de la liberté d’expression.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Sylvie Robert, rapporteure. Sans surprise, là encore, la commission a émis un avis favorable sur cet amendement.
Depuis le dépôt de ma proposition de loi, je reconnais bien volontiers, mon cher collègue, que l’Arcom a su démontrer sa capacité à réagir après des mises en demeure répétées.
J’estime cependant qu’il nous faudra réfléchir à des procédures susceptibles de préserver plus efficacement notre souveraineté audiovisuelle et de mieux faire respecter les engagements des différentes chaînes. (M. Yan Chantrel applaudit.)
Mme Rachida Dati, ministre. Le Gouvernement est favorable à cet amendement de suppression pour au moins deux raisons. Premièrement, l’article 2 remet en cause le principe de la mise en demeure préalable. Deuxièmement, l’obligation de publication de la sanction constitue une peine en soi, complémentaire : on ne peut pas la rendre automatique.
M. le président. La parole est à Mme Mathilde Ollivier, pour explication de vote.
Mme Mathilde Ollivier. Pour ma part, je tiens à défendre cet article.
Les dernières années ont révélé plus que jamais la nécessité d’agir face aux atteintes répétées, décomplexées et même débridées que certaines chaînes infligent à leurs obligations.
Ainsi, pour des chaînes comme C8 ou CNews, le nombre de sanctions prononcées a considérablement augmenté depuis 2021. Or il a fallu plus de trois ans, quarante-sept amendes et, dans le cas de C8, des sanctions dépassant 7,6 millions d’euros cumulés en huit ans pour qu’une décision forte soit prise. C’est bien la preuve que les procédures actuelles sont insuffisantes.
Chers collègues de la majorité sénatoriale, durant toutes ces années, le mal a été fait. Non, la boîte à outils dont dispose l’Arcom n’est pas suffisante. L’explosion des sanctions observée ces dernières années en apporte la preuve.
Trop d’abus, trop d’excès : il est absolument nécessaire de légiférer. Je relève, à ce titre, que l’on a connu une droite bien plus prompte à réclamer ordre et autorité… Je suis surprise de constater, une fois encore, vos réticences en la matière.
La liberté d’expression ne saurait justifier les fausses informations, les violences, les discriminations ou encore les humiliations en direct à la télévision. Aujourd’hui, ces dérives affectent directement notre vie démocratique et notre cohésion nationale.
Nous voterons bien sûr contre cet amendement de suppression. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. le président. La parole est à M. Cédric Vial, pour explication de vote.
M. Cédric Vial. Madame la rapporteure, on peut en convenir : l’échelle des sanctions pourrait être revue, comme toutes les règles fondant notre système judiciaire, d’ailleurs.
Vous l’avez dit, on déplore des problèmes de délais. Mais, à cet égard, j’appelle précisément votre attention sur l’échelle des sanctions en vigueur. Le respect du droit de la défense et de l’indépendance du juge exige également du temps, même si certains ont pu le déplorer.
À l’époque où votre famille politique appartenait à la majorité, une ministre a ainsi pu citer en exemple la rapidité du système judiciaire chinois…
M. Christophe-André Frassa, rapporteur pour avis. Ah ! Ségolène…
M. Cédric Vial. En la matière, la Chine est effectivement plus rapide que la France,… (Protestations sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. Pierre Ouzoulias. On va bientôt la rattraper ! (Sourires sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. Cédric Vial. … mais son système judiciaire est-il plus juste et plus indépendant que celui que nous avons su bâtir ?
Madame Ollivier, nous ne prétendons pas que la situation actuelle soit parfaite. Nous observons simplement que, en l’état, cet article n’apporte pas de réelle solution, notamment au regard du respect des droits de la défense. Ces dispositions ressemblent plus à un tir ciblé – votre intervention le démontre une fois de plus – qu’à une nouvelle règle de droit de nature à défendre le pluralisme. (Mme Mathilde Ollivier proteste.)
Enfin, on présente la nouvelle grille de la TNT comme le résultat d’une sanction : ce n’est pas du tout le cas !
On peut tracer un parallèle avec le championnat de Ligue 1 de football. Si l’on part du principe que les vingt clubs…
M. Patrick Kanner. D’autant qu’ils ne sont que dix-huit ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe SER.)
M. Cédric Vial. … du championnat seront toujours les mêmes, l’intérêt de la compétition s’en trouvera quelque peu amoindri…
En l’occurrence, deux chaînes sortent, deux chaînes entrent, en vertu des règles démocratiques fixées par le législateur : celles de la TNT… (Protestations sur des travées des groupes GEST et SER.)
M. Roger Karoutchi. Au vote !
M. Cédric Vial. Entre autres critères, l’Arcom vérifie le respect d’un certain nombre de règles. Tel semble avoir été le cas en l’occurrence. Le système, aujourd’hui, fonctionne plutôt bien. Peut-être faudra-t-il procéder à tel ou tel ajustement ; quoi qu’il en soit, les dispositions de cet amendement ne permettent pas de mener ce travail.
M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. Chers collègues de gauche, quand il s’agit de la liberté de la presse, nous devons tous faire preuve de prudence.
Nous nous trouvons aujourd’hui à front renversé. Au cours de l’Histoire, la gauche s’est souvent posée en défenseur de cette liberté ; mais, aujourd’hui, c’est nous qui la défendons face à elle. (Protestations sur les travées des groupes SER et GEST. – M. Mickaël Vallet s’exclame.) On pensait pourtant que ce combat faisait partie de son héritage historique.
M. Thomas Dossus. Les propos racistes sont interdits !
M. Max Brisson. Votre obsession est telle que, par vos tirs ciblés, vous êtes en train de renier vos propres principes : quel retournement de situation !
Pour ma part, je dresse un simple constat. Au cours des derniers mois, l’Arcom a-t-elle pris des sanctions ? Oui ! Des amendes ont-elles été prononcées ? Oui !
Mme Colombe Brossel. Au bout de combien de temps ?
M. Mickaël Vallet. Les chaînes les budgétisent !
M. Max Brisson. Vous voulez encore en rajouter, au risque de menacer un jour la liberté de la presse. Votre obsession est vraiment mauvaise conseillère.
M. Thomas Dossus. En somme, vous prônez le laxisme !
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 6 rectifié bis.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 12 :
Nombre de votants | 333 |
Nombre de suffrages exprimés | 333 |
Pour l’adoption | 221 |
Contre | 112 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, l’article 2 est supprimé.
Après l’article 2
M. le président. L’amendement n° 12 rectifié, présenté par Mmes de Marco et Ollivier, MM. Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 42-7 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication est ainsi modifié :
1° Le second paragraphe du 3° est complété par une phrase ainsi rédigée : « Le cas échéant, l’engagement d’une procédure de sanction est notifié sans délai à la personne à l’origine de la saisine. » ;
2° Le premier alinéa du 6° est complété par une phrase ainsi rédigée : « Ce délai peut être réduit à quinze jours en cas d’urgence. » ;
3° Après le 7°, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …°À la suite d’une saisine en vue d’obtenir le prononcé d’une sanction, l’absence de notification d’engagement d’une procédure dans le délai de deux mois après la saisine, ou de quinze jours en cas d’urgence vaut rejet. »
La parole est à Mme Monique de Marco.
Mme Monique de Marco. Dans l’esprit de l’article 2 de cette proposition de loi, cet amendement vise à renforcer l’efficacité de la régulation assurée par l’Arcom. Il s’agit de réduire les délais de diverses procédures internes à cette instance afin de lui permettre d’être plus réactive quand l’urgence l’exige, notamment en période électorale.
En outre, cet amendement vise à expliciter l’articulation des saisines respectives de l’Arcom et du Conseil d’État. C’est pourquoi il tend à instaurer des délais dérogatoires à la règle selon laquelle le silence vaut rejet, notamment en cas d’urgence. Il s’agit, là encore, de renforcer la réactivité de l’Arcom.
Les représentants de l’Arcom me l’ont confirmé : cette instance mène actuellement une réorganisation interne afin d’étudier les saisines plus efficacement encore. L’objectif est de réduire à trois mois le délai de traitement de certaines d’entre elles.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Sylvie Robert, rapporteure. Ma chère collègue, je comprends bien sûr votre volonté d’obtenir des décisions dans des délais plus brefs. Toutefois, j’oppose trois objections à votre amendement.
Tout d’abord, ses dispositions sont juridiquement assez imprécises. J’observe notamment qu’elles ne définissent pas la notion d’urgence. Elles n’indiquent pas davantage les raisons pour lesquelles la notification devrait être adressée sans délai.
Ensuite, un tel dispositif ne me paraît pas ménager le temps nécessaire à l’élaboration de décisions finalement lourdes de conséquences : étant donné qu’elles touchent à la liberté d’expression, ces dernières doivent être entourées de nombreuses garanties.
Enfin, et peut-être surtout, l’accélération des procédures est aussi une question de moyens pour le régulateur. D’une manière ou d’une autre, nous devrons d’ailleurs revenir sur ce point.
Pour l’ensemble de ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur votre amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, ministre. La législation en vigueur n’empêche pas l’Arcom d’intervenir à la fois rapidement et efficacement. Le pouvoir d’appréciation qui lui est dévolu est ainsi gage d’efficacité.
Vous pourrez le constater en regardant le détail des décisions prises : toutes les sanctions ont été prononcées dans des délais tout à fait raisonnables eu égard à la nature des faits.
Le Gouvernement est évidemment défavorable à cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 12 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 3
L’article 30-8 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 précitée est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi modifié :
a) La deuxième phrase est complétée par les mots : « au moyen d’un mécanisme de saisine en ligne facilement accessible et garantissant, à leur demande, l’anonymat des personnes concernées et la confidentialité des échanges » ;
b) La dernière phrase est remplacée par deux phrases ainsi rédigées : « Il rend public l’ensemble de ses avis ainsi que son bilan annuel. Un membre du comité assiste aux conseils d’administration, aux conseils de surveillance ou, à défaut, pour les associations, aux assemblées générales des personnes titulaires des autorisations de diffusion de services dans des conditions fixées par décret. » ;
2° Le dernier alinéa est ainsi modifié :
a) À la deuxième phrase, les mots : « notifié sans délai à » sont remplacés par les mots : « soumise à l’accord du collège de » ;
b) Après la même deuxième phrase est insérée une phrase ainsi rédigée : « La liste des membres est rendue publique et facilement accessible. – (Adopté.)
Article 4
Le dernier alinéa de l’article 2 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est ainsi modifié :
1° La deuxième phrase est complétée par les mots : « , sur le fondement de la Déclaration des devoirs et des droits des journalistes de 1971, de la Charte d’éthique mondiale des journalistes de 2019 et de la Charte d’éthique professionnelle des journalistes de 2011 » ;
1° bis (nouveau) Après la même deuxième phrase sont insérées deux phrases ainsi rédigées : « Les chartes sont rendues publiques et facilement accessibles par les entreprises ou sociétés éditrices de presse ou audiovisuelles. Elles sont adressées au Conseil de déontologie journalistique et de médiation qui les met à disposition du public dans un standard ouvert. »
2° (Supprimé)
M. le président. L’amendement n° 13 rectifié, présenté par Mmes de Marco et Ollivier, MM. Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. - L’article 2 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est complété par cinq alinéas ainsi rédigés :
« Les opérateurs de plateformes tels que définis par la loi n° 2018-1202 du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information mettent en place des chartes déontologiques prévoyant des mesures portant sur :
« 1° La transparence de leurs algorithmes ;
« 2° La promotion algorithmique de contenus publiés via les comptes de journalistes professionnels, d’entreprises ou d’agences de presse, de services de communication audiovisuelle composés à majorité de journalistes professionnels certifiés, ainsi que la marginalisation algorithmique de contenus publiés sous pseudonyme ou sous anonymat ;
« 3° La suppression des comptes propageant systématiquement des contenus signalés ;
« 4° L’interdiction des contrats d’influence commerciale à caractère politique. Toute infraction au présent article est passible des peines prévues à l’article L. 90-1 du code électoral. »
La parole est à Mme Monique de Marco.
Mme Monique de Marco. Parce que les algorithmes des plateformes proposent aux lecteurs, en toute opacité, une priorisation de leurs contenus qui modulent la visibilité de ces derniers, nous entendons, conformément aux conclusions des États généraux de l’information, améliorer la visibilité des contenus journalistiques sur internet.
Nous prévoyons ainsi que les algorithmes des réseaux sociaux s’engagent, en vertu de chartes déontologiques, à identifier les contenus publiés par des journalistes professionnels, des entreprises ou des agences de presse, et à en faire la promotion.
Madame la ministre, vous prenez comme référence les conclusions des États généraux de l’information : cet amendement vise précisément à mettre en œuvre leur proposition 11, « Instaurer un pluralisme effectif des algorithmes ».
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Sylvie Robert, rapporteure. Ma chère collègue, j’approuve également l’inspiration de cet amendement, qui vise à donner davantage de clarté et de transparence aux contenus proposés par les plateformes en ligne. Toutefois, je me dois de vous signaler plusieurs problèmes de fond et de forme.
Tout d’abord, ces dispositions s’inséreraient dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse, laquelle ne concerne que la presse écrite. Or l’objet de votre amendement est plus large : les services de communication audiovisuelle, donc les plateformes, sont également visés.
Ensuite, le lien entre une charte de déontologie et les contenus cités dans l’objet de l’amendement n’a rien d’évident. Il peut même être source de contradictions.
En tout état de cause, une charte n’aurait, par nature, rien de contraignant pour ces services, alors même qu’elle devrait, selon vos propres termes, interdire « les contrats d’influence commerciale à caractère politique ». Vous le savez, l’absence de respect de cette interdiction est d’ailleurs passible de peines allant jusqu’à 75 000 euros.
De même, « la suppression des comptes propageant systématiquement des contenus signalés », qui n’est pas une affaire de déontologie, obéit déjà à des règles très strictes, fixées par la loi pour la confiance dans l’économie numérique.
Enfin, les dispositions de cet amendement me semblent incompatibles avec le droit européen. Je pense notamment au DSA (Digital Services Act), que nous venons d’adopter et qui fait déjà peser diverses obligations sur les plateformes ; les législations nationales ne peuvent malheureusement pas aller au-delà.
Pour l’ensemble de ces raisons, la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, ministre. J’abonde dans le sens de Mme la rapporteure.
Madame la sénatrice, l’amélioration de la visibilité des contenus journalistiques est bien notre objectif commun, repris notamment – vous l’avez rappelé – dans les conclusions des États généraux de l’information.
Toutefois, les dispositions que vous proposez sont contraires au droit communautaire, lequel nous interdit d’imposer des obligations supplémentaires aux plateformes. De telles mesures ne peuvent être adoptées qu’à l’échelle de l’Union européenne. C’est pourquoi le Gouvernement émet un avis défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l’article 4.
(L’article 4 est adopté.)
Chapitre II
DE LA PROTECTION DES JOURNALISTES
Article 5
I. – L’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 précitée est ainsi modifié :
1° Les deux premiers alinéas sont remplacés par cinq alinéas ainsi rédigés :
« Afin de garantir l’information du public, le secret des sources est protégé.
« A droit à la protection du secret des sources :
« 1° Toute personne qui, dans l’exercice de sa profession de journaliste pour le compte d’une ou de plusieurs entreprises de presse, de communication au public en ligne ou de communication audiovisuelle ou d’une ou de plusieurs agences de presse, pratique le recueil d’informations et leur diffusion au public ;
« 2° Toute personne qui exerce des fonctions de direction de la publication ou de la rédaction pour le compte de l’une des entreprises, publications ou agences mentionnées au 1°. » ;
« 3° (Supprimé)
2° Le troisième alinéa est ainsi modifié :
a) (Supprimé)
b) À la seconde phrase, les mots : « le journaliste » sont remplacés par les mots : « une des personnes mentionnées aux 1° ou 2° » ;
3° Au quatrième alinéa, les deux occurrences des mots « un journaliste » sont remplacées par les mots : « une des personnes mentionnées aux 1° ou 2° ».
II et III. – (Supprimés)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Alain Roiron, sur l’article.
M. Pierre-Alain Roiron. Avec cet article, dont la commission des lois a été saisie pour avis avec délégation au fond, nous abordons un sujet d’une haute importance : la protection des journalistes.
Nous saluons l’adoption de cet article par la commission de la culture. L’extension du secret des sources aux directeurs de publication et à l’ensemble des journalistes nous semble en effet particulièrement bienvenue. Néanmoins, nous regrettons que cet article n’assure plus, comme c’était le cas dans sa rédaction initiale, la protection des personnes susceptibles d’être touchées par les atteintes portées au secret des sources.
J’espère qu’aujourd’hui nous n’allons pas réduire encore la portée de cet article.
M. le président. L’amendement n° 14 rectifié, présenté par Mmes de Marco et Ollivier, MM. Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I. – L’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 précitée est ainsi modifié :
1° Les deux premiers alinéas sont remplacés par cinq alinéas ainsi rédigés :
« I. – Afin de garantir l’information du public, le secret des sources est protégé. Il ne peut y être porté atteinte que dans les conditions prévues au titre XXXIV du livre IV du code de procédure pénale.
« A droit à la protection du secret des sources :
« 1° Toute personne qui, dans l’exercice de sa profession de journaliste pour le compte d’une ou de plusieurs entreprises de presse, de communication au public en ligne ou de communication audiovisuelle ou d’une ou de plusieurs agences de presse, pratique le recueil d’informations et leur diffusion au public ;
« 2° Toute personne qui exerce des fonctions de direction de la publication ou de la rédaction pour le compte de l’une des entreprises, publications ou agences mentionnées au 1° ;
« 3° Tout collaborateur d’une rédaction, soit toute personne qui, par sa fonction au sein de la rédaction dans une des entreprises, publications ou agences mentionnées au 1°, est amenée à prendre connaissance d’informations permettant de découvrir une source et ce, à travers la collecte, le traitement éditorial, la production ou la diffusion de ces mêmes informations. » ;
2° Le troisième alinéa est ainsi modifié :
a) Au début de la première phrase, sont ajoutés les mots : « II. – Par dérogation au I, » ;
b) À la seconde phrase, les mots : « le journaliste » sont remplacés par les mots : « une des personnes mentionnées au I » ;
3° Au quatrième alinéa, les deux occurrences des mots « un journaliste » sont remplacées par les mots : « une des personnes mentionnées au I ».
II. – Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Après le mot : « pénal », la fin de la seconde phrase du deuxième alinéa de l’article 326 est supprimée ;
2° Le dernier alinéa de l’article 100-5, le deuxième alinéa de l’article 109 et le second alinéa de l’article 437 sont supprimés ;
3° Le livre IV est complété par un titre XXXIV ainsi rédigé :
« Titre XXXIV
« Dispositions relatives à la protection du secret des sources
« Art. 706-183. – Il ne peut être porté atteinte au secret des sources, directement ou indirectement, au cours d’une procédure pénale, qu’à titre exceptionnel, dans les conditions et selon les modalités prévues au présent titre.
« Pour l’application du présent titre, les informations protégées au titre du secret des sources, les personnes titulaires du droit à la protection du secret des sources et la notion d’atteinte directe ou indirecte au secret des sources sont celles définies à l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
« Art. 706-184. – Toute personne mentionnée au I de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, lorsqu’elle est entendue au cours de l’enquête de police judiciaire ou d’une instruction ou devant une juridiction de jugement, en tant que témoin ou personne suspectée ou poursuivie, sur des informations recueillies dans l’exercice de son activité, est libre de ne pas en révéler l’origine.
« Avant le début de toute audition ou de tout interrogatoire, elle est informée de son droit à ne pas révéler ses sources.
« Art. 706-185. – Aucun acte d’enquête ou d’instruction ne peut avoir pour objet de porter atteinte au secret des sources, directement ou indirectement, sauf si un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi. Cette atteinte ne peut en aucun cas consister en une obligation pour le journaliste de révéler ses sources.
« Pour apprécier la nécessité de l’atteinte au secret des sources, il est tenu compte de la gravité du crime ou du délit, de l’importance de l’information recherchée pour la répression ou la prévention de cette infraction et du fait que les mesures d’investigation envisagées sont indispensables à la manifestation de la vérité.
« À peine de nullité, l’acte d’enquête ou d’instruction doit être préalablement autorisé par ordonnance spécialement motivée au regard des conditions prévues au présent article, prise par le juge des libertés et de la détention, saisi, selon les cas, par requête motivée du procureur de la République ou par ordonnance motivée du juge d’instruction.
« Art. 706-186. – Lorsqu’elles ont pour objet de porter atteinte au secret des sources, les perquisitions prévues à l’article 56-2 doivent être préalablement autorisées par une ordonnance motivée du juge des libertés et de la détention.
« En cas d’opposition à la saisie en application du sixième alinéa de l’article 56-2, les attributions confiées au juge des libertés et de la détention, en application de ce même alinéa et des alinéas sept à dix du même article, sont exercées par le président de la chambre de l’instruction.
« Art. 706-187. – À peine de nullité, lorsqu’ils constituent une atteinte directe ou indirecte au secret des sources, les documents, images ou enregistrements sonores ou audiovisuels saisis au cours d’une perquisition ou obtenus à la suite d’une réquisition ne peuvent être conservés dans le dossier de la procédure. Les correspondances émises par voie de communication électronique ayant fait l’objet d’une interception ne peuvent être transcrites que si les conditions prévues à l’article 706-185 sont remplies. »
III. – Le code pénal est ainsi modifié :
1° L’article 226-4 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque les faits prévus au premier alinéa ont été commis dans l’intention de porter une atteinte directe ou indirecte au secret des sources défini à l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, l’amende est portée à 30 000 euros. » ;
2° L’article 226-15 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque les faits prévus aux deux premiers alinéas ont été commis dans l’intention de porter une atteinte directe ou indirecte au secret des sources défini à l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, l’amende est portée à 75 000 euros. » ;
3° Au dernier alinéa de l’article 323-1, après le mot : « État », sont insérés les mots : « ou lorsqu’elles ont été commises dans l’intention de porter une atteinte directe ou indirecte au secret des sources défini à l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 » ;
4° Au premier alinéa de l’article 413-11, le mot : « cinq » est remplacé par le mot : « sept » et le montant : « 75 000 euros » est remplacé par le montant : « 100 000 euros » ;
5° L’article 413-13 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, le mot : « cinq » est remplacé par le mot : « sept » et le montant : « 75 000 euros » est remplacé par le montant : « 100 000 euros » ;
b) Le deuxième alinéa est supprimé ;
c) Au troisième alinéa, après le mot : « causé », sont insérés les mots : « une atteinte à l’intégrité physique ou psychique ou » ;
6° Au premier alinéa de l’article 413-14, le mot : « cinq » est remplacé par le mot : « sept » et le montant : « 75 000 euros » est remplacé par le montant : « 100 000 euros » ;
7° L’article 432-8 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque les faits prévus au premier alinéa ont été commis dans l’intention de porter une atteinte directe ou indirecte au secret des sources défini à l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, l’amende est portée à 75 000 euros. » ;
8° L’article 432-9 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque les faits prévus aux deux premiers alinéas ont été commis dans l’intention de porter une atteinte directe ou indirecte au secret des sources défini à l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, l’amende est portée à 75 000 euros. »
La parole est à Mme Monique de Marco.
Mme Monique de Marco. L’adoption, le 7 mai 2024, de l’European Freedom Media Act modifie le cadre supralégal applicable à la protection du secret des sources. Elle rend ainsi obsolète l’interprétation que notre commission des lois a faite de cet article et nécessite, en conséquence, des adaptations législatives.
Madame la ministre, vous l’avez relevé vous-même : le règlement européen impose de réexaminer ce point avant le 8 août 2025. Dans cette perspective, je propose de rétablir l’article 5 dans sa version initiale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission des lois ?
M. Christophe-André Frassa, rapporteur pour avis. Ma chère collègue, dans le peu de temps qui m’était imparti au cours de la discussion générale, je me suis fort modestement efforcé de présenter l’excellent rapport de Mme Josende. Aussi, vous avez certainement noté les raisons qui ont conduit la commission des lois à modifier l’article 5, raisons qui ne sont pas celles que vous tentez de nous faire accroire.
Les arguments juridiques que vous invoquez pour rétablir cet article sont totalement erronés. Le règlement européen sur la liberté des médias et la directive sur les « procédures bâillons » appellent une évolution de notre droit ; mais cette dernière doit être menée dans le respect de la Constitution. Or, en la matière, nous sommes placés face à une grave question d’articulation des normes.
Madame la ministre, je me tourne à présent vers vous : c’est dans le cadre d’un projet de loi que cette question doit être traitée. Au sujet de ce travail, qui est devant nous, je souhaite recueillir votre avis.
La commission sollicite le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis particulièrement défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, ministre. Madame la sénatrice, c’est sur mon initiative que la protection des sources a été consacrée dans la loi. C’était en 2010 et il s’agissait bel et bien d’une première.
Vous pouvez vous référer aux débats de l’époque : j’étais déjà allée très loin dans la mise en œuvre de ce principe, et bien au-delà du texte initial, que j’avais présenté.
Aujourd’hui, un nouveau chantier est devant nous et il suppose à son tour un débat parlementaire exigeant ; un débat tout à fait apaisé, de la même qualité que celui de 2008 et 2009.
Ce travail devra tenir compte des conclusions des États généraux de l’information, lesquels ont formulé, sur ce sujet, une recommandation très détaillée et très argumentée. Il devra naturellement s’inscrire dans le cadre constitutionnel et respecter le règlement européen.
J’y insiste, le renforcement de cette protection exige un débat parlementaire plus large et plus poussé. Or les dispositions de votre amendement ne permettent pas de mener un tel travail. Voilà pourquoi le Gouvernement émet un avis défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l’article 5.
(L’article 5 est adopté.)
Article 6
I. – Après l’article 2 bis de la loi du 29 juillet 1881 précitée, il est inséré un article 2 ter ainsi rédigé :
« Art. 2 ter. – Un numéro d’inscription est attribué aux entreprises de presse imprimée et aux entreprises de presse en ligne par la Commission paritaire des publications et des agences de presse, dès lors que la nomination du directeur de la rédaction a fait l’objet d’une validation préalable, par un vote d’au moins la moitié des membres de la rédaction concernée, à la majorité de soixante pour cent.
« Un décret fixe les conditions d’application du présent article. »
II. – La loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 précitée est ainsi modifiée :
1° Après l’article 30-7, il est inséré un article 30-7-1 ainsi rédigé :
« Art. 30-7-1. – La nomination d’un responsable de la rédaction d’un service de communication audiovisuelle soumis à autorisation fait l’objet d’une validation préalable par un vote d’au moins la moitié des membres de la rédaction concernée, à la majorité de soixante pour cent, dans des conditions fixées par décret.
« Si le service ne se conforme pas à l’exigence mentionnée au premier alinéa, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique procède au retrait de son autorisation. » ;
2° Après le premier alinéa du I de l’article 34, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Dans les services distribués sur des réseaux n’utilisant pas une fréquence assignée par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique et qui ne consistent pas en la reprise d’un service autorisé diffusé par voie hertzienne, la nomination du responsable de la rédaction fait l’objet d’une validation préalable par un vote d’au moins la moitié des membres de la rédaction concernée, à la majorité de soixante pour cent, dans des conditions fixées par décret. Le défaut de mise en œuvre de cette procédure de validation par un service est sanctionné par l’application d’une sanction pécuniaire correspondant à 7 % du chiffre d’affaires mondial hors taxes de l’exercice précédent de la ou des personnes physiques ou morales détenant plus de vingt pour cent du capital ou des droits de vote du service. » ;
3° Après le premier alinéa de l’article 43-11, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les nominations des responsables de la rédaction des sociétés mentionnées au premier alinéa font l’objet d’une validation préalable par un vote d’au moins la moitié des membres de la rédaction concernée, à la majorité de soixante pour cent, dans des conditions fixées par décret. »
M. le président. L’amendement n° 1 rectifié quinquies, présenté par MM. Laugier et Levi, Mme Malet, MM. Henno, Canévet, Kern, Mizzon, Verzelen, Paccaud, Brisson, Lévrier, Fialaire, Bonneau, Wattebled et Longeot, Mmes Morin-Desailly et Joseph, MM. Delahaye, Duffourg, Paumier, Piednoir, Savin, Le Rudulier et Chauvet, Mme Saint-Pé et M. Courtial, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Michel Laugier.
M. Michel Laugier. Avant tout, je tiens à lever un malentendu : je ne suis évidemment pas un ennemi de l’indépendance de la presse – je suis d’ailleurs persuadé que personne, dans cet hémicycle, ne l’est. Mais il nous appartient comme législateur de retenir les moyens les mieux à même de la garantir. Or le droit d’agrément instauré par cet article me paraît aller à l’encontre de son objectif même.
Nous avons longuement débattu de ce point au sein de la commission d’enquête sur la concentration des médias : c’est bien la preuve qu’il s’agit d’un sujet complexe.
Les États généraux de l’information se sont à leur tour penchés sur la question : comme notre commission d’enquête, ils ont écarté cette piste, pour au moins trois raisons.
Tout d’abord, un tel droit d’agrément serait de nature à affaiblir économiquement la presse, alors qu’elle a plus que jamais besoin d’attirer des investisseurs. Qui irait se lancer dans une telle aventure sans l’assurance de pouvoir effectivement diriger le titre faisant l’objet de l’investissement ?
Le principal problème de la presse, aujourd’hui, c’est sa faiblesse économique. Permettez-moi de vous renvoyer au rapport d’information que j’ai rédigé, au nom de notre commission de la culture, au sujet de la presse quotidienne régionale (PQR) : cette dernière – mon rapport le démontre – est contrainte de se lancer dans une transition numérique par nature très coûteuse. Dans un tel contexte, il me semble particulièrement dangereux d’affaiblir l’attractivité de la presse.
Ensuite, le principe même d’un droit d’agrément me semble instaurer une forme de défiance généralisée entre la rédaction, d’une part, et la direction, d’autre part. Je ne nie pas que de tels cas puissent se produire ; mais ce n’est pas du tout ce que j’ai pu constater depuis sept ans que je suis rapporteur pour avis des crédits de la presse.
L’intérêt commun des journalistes et des actionnaires est bien que le titre ou l’antenne rencontre le succès. Malgré les conflits susceptibles d’éclater de temps à autre, cet objectif suppose nécessairement une relation confiante.
Enfin, j’attire votre attention sur la question de la compatibilité entre un droit d’agrément et les droits spécifiques des journalistes, qu’il s’agisse du droit de cession ou de la clause de conscience. Avec un droit d’agrément, ces protections auraient-elles encore leur légitimité ? Comment justifier l’usage d’une clause de conscience quand le choix du directeur de la rédaction a été validé par un vote ?
Mes chers collègues, d’autres solutions existent. La commission d’enquête sur la concentration des médias, confirmée sur ce point par de nombreux travaux, penchait ainsi pour une modulation des aides à la presse en fonction de critères d’indépendance des médias. Cette formule me semble bien préférable.
Madame la ministre, je vous invite à explorer cette piste pour renforcer la confiance entre rédactions et directions.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Sylvie Robert, rapporteure. Mes chers collègues, vous ne serez pas surpris : la commission est favorable à la suppression de cet article. Je le regrette, bien sûr, mais j’entends les arguments qui ont été avancés à cette occasion, repris par Michel Laugier.
Nous avons longuement débattu de ce point, notamment au sein de la commission d’enquête sur la concentration des médias.
De même, ce sujet a beaucoup mobilisé les États généraux de l’information ; j’ai d’ailleurs lu avec attention les travaux des différents groupes de travail, au sein desquels le droit de veto, de validation ou d’agrément – appelons-le comme vous le voudrez, madame la ministre – a été examiné avec soin.
Monsieur Laugier, mon intention n’était pas de susciter une quelconque défiance entre actionnaires et journalistes, bien au contraire. J’ajoute que ce mécanisme peut lui aussi constituer une piste. Il pourrait contribuer à créer les conditions d’un travail serein et apaisé.
Madame la ministre, j’ignore ce que vous pensez du mécanisme d’information préalable finalement validé par les États généraux de l’information. Quoi qu’il en soit, je déplore sincèrement que cette question continue de cliver ainsi. Loin de débats qui me semblent assez binaires, nous devons poursuivre un travail exigeant en misant sur l’intelligence collective. (Mme Colombe Brossel applaudit.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Sylvie Robert, rapporteure. Absolument.
Mme Rachida Dati, ministre. Dans tel ou tel cas – c’est la liberté de chacun –, il peut donc être mis en œuvre. Les États généraux de l’information n’ont toutefois pas souhaité en faire une règle générale.
Je suis donc évidemment favorable à cet amendement de suppression. Le cas échéant, nous reviendrons sur ce sujet lors de l’examen du texte issu des recommandations des États généraux de l’information.
M. le président. La parole est à M. Yan Chantrel, pour explication de vote.
M. Yan Chantrel. Mme la rapporteure l’a rappelé : cet article, que le Sénat s’apprête manifestement à supprimer, confère aux journalistes un droit d’agrément sur la nomination de leur directeur de rédaction. Le vote d’au moins la moitié des membres de la rédaction serait ainsi nécessaire.
Chers collègues de la majorité sénatoriale, plusieurs affaires récentes, dont vous avez nécessairement eu connaissance, ont mis en lumière la faculté pour un actionnaire de faire évoluer, de manière significative, la ligne éditoriale d’un titre après l’avoir racheté. (Mme Corinne Narassiguin acquiesce.)
Le droit d’agrément instauré par cet article fait partie des préconisations des États généraux de l’information. Surtout, une écrasante majorité des journalistes sont favorables à cet outil de démocratie interne.
L’urgence démocratique impose de reconnaître que la presse n’est pas un bien comme les autres. Ce droit d’agrément serait un marqueur fort ; en l’accordant, nous prendrions fait et cause pour le pluralisme des médias. Il s’agit non seulement de renforcer leur indépendance, mais aussi de protéger les journalistes au sein des rédactions.
Je pensais que vous étiez attachés à la défense du pluralisme des médias. Or – pardonnez-moi de vous le dire – j’ai plutôt l’impression du contraire et de trouver en face de moi les petits télégraphistes de Bolloré ; j’ai comme l’impression que vous vous chargez de porter sa parole au sein de notre hémicycle !
C’est tout à fait désolant. Cette proposition de loi concerne tous les médias, quels qu’ils soient, même ceux que vous montrez du doigt : si vous êtes pour la diversité, pour le pluralisme, vous devez rejeter cet amendement afin de conserver cet article. Mais aujourd’hui tel n’est pas le cas, si j’en crois vos prises de parole… (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1 rectifié quinquies.
J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe Les Républicains et, l’autre, du groupe Union Centriste.
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 13 :
Nombre de votants | 330 |
Nombre de suffrages exprimés | 330 |
Pour l’adoption | 220 |
Contre | 110 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, l’article 6 est supprimé.
Après l’article 6
M. le président. L’amendement n° 15 rectifié, présenté par Mmes de Marco et Ollivier, MM. Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel, est ainsi libellé :
Après l’article 6
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article 6 de la loi du 29 juillet 1881 précitée, il est inséré un article 6 … ainsi rédigé :
« Art. 6 …. – La rédaction est dotée de la personnalité juridique et organise un conseil de rédaction dont les modalités sont déterminées par décret.
« Le conseil de rédaction élabore un règlement intérieur qui détermine le nombre de ses représentants, leur fonction, la durée de leur mandat et leurs prérogatives. Il s’assure par ailleurs que :
« 1° Tous les journalistes de l’entreprise de presse concernée peuvent, au quotidien, exercer leur travail en toute indépendance des pouvoirs publics, des pouvoirs économiques, notamment ceux qui constituent l’actionnariat du média auquel ils contribuent ;
« 2° Les journalistes qui en sont membres sont à l’abri de pressions ou tentatives de pression au but d’altérer la pratique indépendante de leur mission d’informer ;
« 3° Les journalistes qui en sont membres ne se trouvent pas en situation de conflit d’intérêts.
« Le conseil de rédaction est consulté pour validation sur la désignation et sur la démission du directeur et de ses adjoints, lorsqu’elle advient du fait du propriétaire du titre selon les conditions fixées par son règlement intérieur.
« Il formule des avis préalables sur l’élaboration et sur la modification de l’organisation de la rédaction après avoir consulté l’ensemble des salariés de l’entreprise.
« Il assure, de manière indépendante de l’actionnaire et de la régie commerciale, la ligne éditoriale du média qui a été définie au préalable avec les cadres de direction représentant des actionnaires.
« Il se prononce sur la conformité des écrits ou des images publicitaires avec l’orientation éditoriale du titre.
« Il reçoit les déclarations d’intérêts des actionnaires de l’entreprise et veille à leur publicité.
« Il reçoit annuellement des informations sur le montant des aides à la presse et contribue à la qualité de l’information et au pluralisme.
« Le conseil de rédaction ne se substitue pas à la direction de la rédaction.
« Le conseil de rédaction peut ester en justice pour assurer la défense et le bon déroulement des missions mentionnées à l’article 2 de la présente loi.
« Le fait d’entraver la constitution, le fonctionnement régulier ou la mise en œuvre d’une des prérogatives d’un conseil de rédaction est puni des mêmes peines, assorties d’une suspension partielle ou totale des aides publiques directes et indirectes dont bénéficie l’entité ainsi que de l’obligation pour celle-ci de publier les sanctions judiciaires dont elle pourrait faire l’objet au titre de ces manquements. »
La parole est à Mme Monique de Marco.
Mme Monique de Marco. Jusqu’à présent, pour garantir la liberté de la presse et l’honnêteté de l’information, nos lois se sont bornées à reconnaître des droits individuels aux journalistes et à leur imposer un cadre déontologique. Je pense, par exemple, aux clauses contractuelles de cession ou de conscience.
Or, dans un contexte de forte précarisation de la profession, ces droits individuels ne sont plus suffisants.
À ce titre, le rapport Bloche de 2010 cite les explications apportées par la chercheuse Alexandrine Civard-Racinais : « Tous ces jeunes entrants dans la profession, les précaires, les isolés […] n’ont d’autres choix que d’accepter des conditions de production peu favorables à leur épanouissement professionnel et […] évoluent dans des environnements où la déontologie est un luxe. »
En conséquence, cet amendement vise à reprendre, en la renforçant, une proposition de Nathalie Goulet : accorder la personnalité juridique aux rédactions, afin de leur reconnaître des droits collectifs, et leur permettre de défendre leur indépendance face à d’éventuelles interventions d’actionnaires dans la ligne éditoriale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Sylvie Robert, rapporteure. Il s’agit d’un avis défavorable et, personnellement, je le regrette – j’ai d’ailleurs eu l’occasion de le dire en commission.
Madame la ministre, il s’agit là d’un amendement important. Depuis longtemps déjà, les journalistes réclament ce statut juridique des rédactions – ils l’ont d’ailleurs rappelé lors de nos auditions. En outre, je suis frappée de le constater : la défiance d’une partie de notre société envers les médias progresse de pair avec la défiance des journalistes envers les actionnaires. Et c’est préoccupant.
Madame de Marco, vous l’avez rappelé à juste titre, notre collègue centriste Nathalie Goulet avait elle aussi plaidé pour le statut juridique des rédactions. C’est là un sujet qu’il faut absolument continuer à travailler. Cela étant – je le répète –, la commission a émis un avis défavorable sur votre amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, ministre. À mon sens, la rédaction ne peut être considérée comme une entité juridique au sein d’une entreprise, d’autant que rien n’empêche les journalistes de s’organiser en association – ce qu’ils font déjà.
À une époque où l’on se plaint de l’affaiblissement des représentations syndicales, je crains que l’adoption de ce type d’amendement n’accentue encore la tendance. Voilà pourquoi je n’y suis pas favorable.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 15 rectifié.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 14 :
Nombre de votants | 330 |
Nombre de suffrages exprimés | 330 |
Pour l’adoption | 110 |
Contre | 220 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Article 7
Le chapitre VIII du titre unique du livre II de la première partie du code de la propriété intellectuelle est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa de l’article L. 218-1 est ainsi rédigé :
« On entend par publication de presse au sens du présent chapitre toute production journalistique, notamment rédactionnelle, photographique, sonore ou vidéographique, collectée, traitée et mise en forme à l’initiative, sous la responsabilité éditoriale et sous le contrôle d’un éditeur de presse ou d’une agence de presse, dans le but de fournir au public des informations sur l’actualité ou d’autres sujets. » ;
2° L’article L. 218-4 est ainsi modifié :
a) Le dernier alinéa est complété par deux phrases ainsi rédigées : « Après consultation des éditeurs, agences de presse et services de communication au public en ligne concernés, un décret en Conseil d’État détermine la liste des éléments devant nécessairement faire l’objet d’une transmission de la part des services de communication en ligne aux agences et éditeurs de presse. Ce décret détermine également les conditions permettant de garantir la fiabilité des éléments transmis. » ;
b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« L’Autorité de la concurrence est saisie au titre de l’article 464-1 du code de commerce par les éditeurs ou agences de presse en cas de refus exprès ou tacite d’un service de communication au public en ligne de transmettre les éléments déterminés par le décret mentionné au troisième alinéa du présent article. L’autorité peut infliger des astreintes dans les conditions prévues au II de l’article L. 464-2 du code de commerce. »
M. le président. L’amendement n° 2 rectifié quinquies, présenté par MM. Laugier et Levi, Mme Malet, MM. Henno, Canévet, Kern, Mizzon, Verzelen, Brisson, Lévrier, Fialaire, Bonneau, Wattebled et Longeot, Mmes Morin-Desailly et Joseph, MM. Delahaye, Duffourg, Paumier, Piednoir, Savin et Le Rudulier, Mme Vérien, M. Chauvet, Mme Saint-Pé et M. Courtial, est ainsi libellé :
Alinéas 2 et 3
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Michel Laugier.
M. Michel Laugier. Par cet amendement, je propose de supprimer la nouvelle définition de la publication de presse prévue au troisième alinéa de l’article 7.
La définition retenue dans la loi du 24 juillet 2019 tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse, votée sur l’initiative du Sénat et de notre ancien collègue David Assouline, reprenait très exactement celle qui figure à l’article 2 de la directive européenne du 17 avril 2019. Les autres pays ont d’ailleurs fait le même choix. Il me paraît donc dangereux de s’en éloigner, puisque cela risque de faire peser sur les négociations de forts risques contentieux.
Cependant, je vois bien derrière cette nouvelle définition la volonté de conforter la place des agences de presse, qui ont plus de difficultés à se faire reconnaître des droits. Je rappelle donc très solennellement que la loi de juillet 2019 est parfaitement claire sur l’éligibilité aux droits voisins des agences de presse, qui figurent dans l’intitulé même de cette loi. De plus, toute autre interprétation a été condamnée par la cour d’appel de Paris dans un arrêt du 8 octobre 2020. Dès lors, les agences de presse auront tout notre soutien et celui de la justice pour faire reconnaître leurs droits.
Au passage, madame la ministre, je rappelle que l’Autorité de la concurrence a condamné la société Google à 750 millions d’euros d’amende, lesquels sont allés abonder le budget de l’État, qui en a bien besoin. À tout le moins, une fraction de cette somme aurait pu revenir aux personnes lésées, qui n’ont donc rien touché tout en assumant de très lourds frais juridiques face à des plateformes riches à milliards.
Telle est la raison pour laquelle je vous propose de supprimer ces deux alinéas, mais sans rien lâcher sur notre objectif de garantir l’application pleine et entière du droit européen et français.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Sylvie Robert, rapporteure. La commission a émis un avis favorable sur cet amendement. J’entends les arguments de notre collègue Michel Laugier, qui m’invite à faire preuve de prudence en conservant la définition d’une publication de presse telle qu’elle figure dans la directive de 2019.
Cependant, la rédaction, peut-être trop large, que j’ai proposée ne vient pas de nulle part. En effet, de nombreuses questions sont apparues dans l’application de la loi sur les droits voisins, notamment au sujet des agences de presse. Puisque nous sommes l’un des rares pays à compter des agences de presse, j’espère que ce sujet sera repris dans un texte futur.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, ministre. Certes, il faut améliorer l’effectivité des droits voisins des éditeurs de presse. Cependant, la loi en vigueur n’est que la reprise intégrale de la définition qui nous est imposée par la directive de 2019. L’élargir, comme le prévoit cet amendement, nous ferait donc sortir du champ légal européen. Nous pouvons discuter de l’élargissement dans le cadre du droit européen, mais l’adoption de votre amendement, je le répète, nous placerait dans l’illégalité. Avis défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 2 rectifié quinquies.
J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe Union Centriste, l’autre, du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 15 :
Nombre de votants | 330 |
Nombre de suffrages exprimés | 330 |
Pour l’adoption | 220 |
Contre | 110 |
Le Sénat a adopté.
Je mets aux voix l’article 7, modifié.
(L’article 7 est adopté.)
Article 7 bis (nouveau)
I. – Au premier alinéa de l’article 108 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 précitée, les mots : « n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022 » sont remplacés par les mots : « n° … du … visant à renforcer l’indépendance des médias et à mieux protéger les journalistes ».
II. – Au premier alinéa de l’article 69 de la loi du 29 juillet 1881 précitée, les mots : « n° 2024-247 du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux » sont remplacés par les mots : « n° … du … visant à renforcer l’indépendance des médias et à mieux protéger les journalistes » – (Adopté.)
Article 8
Les conséquences financières résultant pour l’État de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services – (Adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Monique de Marco, pour explication de vote.
Mme Monique de Marco. En conclusion, que reste-t-il du texte initial, raboté, dépouillé, réduit, et voté par scrutins publics faute de participants du côté de la majorité sénatoriale ?
Je remercie le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, et en particulier Sylvie Robert, d’avoir inscrit ce texte à l’ordre du jour. Il a fait l’objet, comme nous l’avons vu, d’un débat contradictoire et sera, je l’espère, une première brique en vue d’un futur texte.
Madame la ministre, vous avez parlé d’un projet de loi ambitieux qui s’appuiera sur les conclusions des EGI. Nous l’attendons avec impatience et, dans l’attente, voterons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.
M. Patrick Kanner. La droite sénato-gouvernementale, dans sa diversité, aura donc décidé d’amoindrir pour le moins ce texte. Nous le regrettons. Nous voterons, bien sûr, le résultat du travail tout à fait remarquable de l’auteure et rapporteure de cette proposition de loi, Sylvie Robert.
Nous n’avons cependant apprécié que moyennement certaines formes d’attaques ad hominem à son égard, monsieur Brisson. C’est comme si j’avais dit de vous, mon cher collègue, que vous étiez le porte-parole de M. Bolloré – ce que vous n’êtes sûrement pas !
Cela étant, nous pensons que ce texte est un texte de responsabilité. Je rappelle son intitulé, à savoir « renforcer l’indépendance des médias et […] mieux protéger les journalistes ». Peut-être n’était-il pas parfait, madame la ministre, mais vous auriez pu vous en saisir davantage que vous ne l’avez fait. Que vous ayez soutenu la droite sénatoriale, au cours de vos différentes interventions, n’est pas une surprise pour nous. Mais nous espérons que vous reprendrez, à votre niveau, nos réflexions et propositions, parce qu’il y a un malaise dans la presse nationale. Nul ne saurait le nier, ce que démontre encore l’audition par la commission de la culture, hier, du président de l’Arcom.
Vous avez donc amoindri le texte. Dont acte. Nous allons le voter, même en l’état. Selon l’adage sud-américain, vous pensiez nous avoir enterrés, mais vous avez oublié que nous étions des graines. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Monique de Marco applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. Nous allons, bien sûr, voter les mesures consensuelles et équilibrées qui demeurent dans ce texte. Celles-ci figuraient d’ailleurs dans les conclusions de la commission d’enquête, créée à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, afin de mettre en lumière les processus ayant permis ou pouvant aboutir à une concentration dans les médias en France, et d’évaluer l’impact de cette concentration sur la démocratie – du moins, celles que nous avions conservées après bien des débats révélateurs de profondes divergences.
Cher président Kanner, n’y voyez aucune attaque contre la rapporteure. En effet, voilà bien longtemps que nous nous opposons sur ce sujet, en témoignent les nombreuses suspensions de séance au cours de la réunion d’adoption du rapport de la commission d’enquête, dont le rapporteur était David Assouline. Ce qui nous sépare ne correspond en rien à un rejet de la rapporteure et auteure de ce texte.
Si nous votons ce qu’il reste du texte, c’est parce qu’il s’agit du fruit d’un travail consensuel. Nous espérons – ce sera peut-être le seul point commun, ce matin, entre mes propos et ceux de Mme de Marco (Mme Monique de Marco sourit.) – que le Gouvernement se saisira pleinement des conclusions des EGI et présentera un texte consensuel et équilibré, ce que n’était pas la proposition de loi initiale de Mme Sylvie Robert, d’où notre rejet. Contrairement à vous, ce matin, nous avons cherché l’équilibre et le consensus. (Murmures sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi visant à renforcer l’indépendance des médias et à mieux protéger les journalistes.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Sylvie Robert, rapporteure. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je vous remercie d’avoir contribué au débat sur un enjeu absolument essentiel pour notre démocratie.
Je crois vous avoir convaincus par des arguments qui, au-delà de l’Hexagone, concernent aussi notre situation géopolitique. Je suis, bien sûr, peinée de voir mon texte aussi amoindri. En effet, si je ne me faisais pas d’illusion sur le devenir des articles 2 et 6, l’article 1er, qui a certes une dimension symbolique – mais le symbolique est souvent politique –, ne reprenait finalement que la jurisprudence du Conseil d’État et la recommandation de l’Arcom. J’espérais que cet article portant sur le pluralisme et réécrit, en commission, avec son président, serait voté par tous. Il n’en fut rien ! Ce n’est pas à la hauteur du Sénat que d’avoir refusé, dans le contexte actuel, de voter dans le sens du pluralisme – c’est même très grave. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)
J’ai ensuite appris, cher Max Brisson, que j’avais une personnalité obsessionnelle, des intentions cachées, que j’étais, disiez-vous, très habile. Je vous remercie de ce compliment… Mais arrêtons, surtout, avec de telles fixations : je ne saurais dire de quel côté l’on trouve davantage l’obsession… Aujourd’hui, l’enjeu démocratique est tel que nous devons dépasser cette question. En effet, comme vous l’avez dit, madame la ministre, ces sujets régissent notre espace public démocratique.
Madame la ministre, vous avez déploré une proposition de loi par trop réductrice. Mais ce n’est, précisément, qu’une proposition de loi ! Je m’en excuse, mais je ne pouvais pas aller plus loin. Nous aurions d’ailleurs pu en débattre bien plus que deux heures et demie, mais le temps nous est compté. (Mme la ministre en convient.)
Ce texte avait toutefois un mérite : celui de permettre l’inscription, à l’ordre du jour, de ce débat indispensable. En effet, cela fait un certain nombre d’années que, de commissions d’enquête en travaux législatifs et missions d’évaluation à l’Assemblée nationale, rien n’avance.
L’on m’a reproché une proposition de loi qui arrive trop tôt, ou trop tard. C’est pourquoi je vous le demande officiellement, madame la ministre : quand déposerez-vous, ce dont je serais ravie, un projet de loi qui ira bien au-delà – du fait même qu’il s’agira d’un projet de loi – des problématiques que j’ai abordées à mon niveau ? Agissons ! Car l’Europe agit quand la France attend, encore et encore. Des initiatives parlementaires, y compris à l’Assemblée nationale, ont été prises ; j’espère sincèrement qu’il y aura, très rapidement, une initiative gouvernementale. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Maryse Carrère applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport. Je remercie l’auteure et rapporteure de cette proposition de loi d’avoir suscité ce débat, duquel nous ne sortons pas sans rien (Mme la rapporteure manifeste son scepticisme.) : en est issu un texte qui suivra la navette parlementaire.
Tout d’abord, nous ne pouvons légiférer, aujourd’hui, sans prendre en compte les conclusions, il y a quelques jours, des EGI. Je faisais initialement partie de ceux qui, dubitatifs, ne pensaient pas que ces États généraux aboutiraient à de réelles avancées. Or force est de constater que les propositions formulées sont relativement consensuelles. Du reste, elles n’ont été critiquées sur aucune travée et sont souhaitées par la plupart des acteurs du secteur.
Je m’associe donc à la demande de notre rapporteure en me tournant vers Mme la ministre : je souhaite, moi aussi, un texte gouvernemental qui fasse la synthèse des propositions des EGI, ce qui nous permettrait d’avancer de façon calme, posée, mesurée, mais aussi efficace.
Nous observons des initiatives parlementaires, comme celle de Sylvie Robert et du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, mais aussi à l’Assemblée nationale, comme vous l’avez mentionné, madame la ministre. Toutefois, il serait utile que l’ensemble du sujet fasse l’objet d’un texte plus global.
Cela étant, la proposition de loi que nous venons de voter permet des avancées, notamment sur les points qu’a cités Max Brisson, qui avaient fait l’objet d’un vote à l’unanimité au sein de la commission d’enquête sur la concentration des médias : approfondir la loi Bloche, ou encore approfondir les droits voisins, sujet cher au Sénat et à la commission de la culture.
Tel est notre apport à la réflexion globale, mais il y en aura certainement d’autres.
La commission de la culture auditionnera, dans quelques jours, Bruno Patino, afin qu’il nous présente des résultats des EGI, dont il était chargé.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Rachida Dati, ministre. Tout d’abord, je voulais évidemment remercier l’auteure de cette proposition de loi. Dire qu’elle est réductrice n’est pas une critique ; simplement, le temps a manqué pour l’approfondir. Je rappelle que les conclusions des États généraux ont également été rendues après sa rédaction.
Tout cela renvoie donc à un débat plus large et plus consensuel. En effet, j’en sais quelque chose, chacun est conscient de l’enjeu démocratique de la qualité de l’information et de la liberté et du droit à l’information, fiable et certifiée, pour tous. On le constate à l’aune de la fracturation de la société française autour de ces enjeux.
Vous avez déploré qu’on dise de vous que vous étiez « obsessionnelle », madame la rapporteure. Cependant, j’ai aussi entendu dire que d’autres, siégeant de l’autre côté de l’hémicycle, étaient les télégraphistes d’un certain groupe médiatique, ce qui n’est pas non plus très agréable. (Mme la rapporteure s’en défend.) Personne, ici, n’est le télégraphiste de qui que ce soit. L’enjeu nous dépasse, il est assez important pour mériter d’être porté.
Je suis très fière d’avoir consacré le principe de la protection des sources des journalistes en 2010, lorsque j’étais garde des sceaux. Il faudra, bien sûr, aller plus loin, parce qu’il y a autour de cette protection des sources un enjeu lié au numérique et aux réseaux sociaux.
Mes services ont commencé la rédaction d’un projet de loi issu des recommandations des États généraux de l’information. Nous déterminerons ensemble son calendrier, car nous devrons procéder à des consultations, les uns et les autres, pour enrichir ce texte. J’espère une adoption la plus rapide possible, mais compte tenu du calendrier parlementaire, il ne sera probablement pas examiné avant le début de l’année 2025. Nous y travaillerons tous ensemble, parce que nous avons tous à y gagner. (M. Pierre-Antoine Levi applaudit.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante, est reprise à douze heures cinquante-deux.)
M. le président. La séance est reprise.
4
Contribution des Ehpad privés
Discussion d’une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi visant à mettre à contribution les Ehpad privés à but lucratif réalisant des profits excessifs, présentée par M. Jean-Luc Fichet et plusieurs de ses collègues (proposition n° 682 [2023-2024], résultat des travaux de la commission n° 23, rapport n° 22).
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est M. Jean-Luc Fichet, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Luc Fichet, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi qui me tient tout particulièrement à cœur, laquelle vise à mettre à contribution les Ehpad privés à but lucratif réalisant des profits excessifs.
Je remercie mon groupe politique de me permettre de la défendre, ainsi que M. le rapporteur de la commission des finances, Bruno Belin, pour la qualité de nos échanges lors de son travail préparatoire, malgré nos divergences d’analyse.
Cette proposition de loi est le fruit de remontées de terrain. Lors de mes différentes rencontres, ce sont les élus locaux, gestionnaires d’établissement, qui m’ont fait part de leurs revendications fortes d’encadrer les superprofits des Ehpad du secteur lucratif – je parle bien de superprofits. Il ne s’agit pas d’empêcher le secteur privé, dont nous avons besoin, de faire des bénéfices, mais les profits générés dans le domaine social doivent rester raisonnables.
Depuis 2018, une loi Grand Âge est annoncée, mais, malgré l’urgence et des engagements répétés devant la représentation nationale, rien ne bouge, et l’on peut craindre que rien ne bouge dans les prochains mois. La situation financière est due à l’incurie des différents gouvernements macronistes qui se sont succédé depuis sept ans en soutenant une néfaste politique de l’offre qui a désarmé fiscalement notre pays.
L’immobilisme gouvernemental sur le grand âge se retrouve également sur un autre enjeu primordial pour nos concitoyens : les déserts médicaux. Rien n’est fait, ou si peu, pour permettre un meilleur accès des Français à la santé, en particulier dans les zones périurbaines et rurales. Cette impossibilité de résoudre les problèmes du quotidien de nos concitoyens est malheureusement le terreau du vote pour l’extrême droite, comme l’ont montré les différents scrutins de cette année.
Les maires, partout sur notre territoire, et singulièrement dans le Finistère, en tant que gestionnaires de centre communal d’action sociale (CCAS) ou d’Ehpad, sont confrontés à des situations très difficiles. Ils n’ont plus les moyens de faire fonctionner leur établissement correctement et décemment. Récemment, seize maires du Finistère et des Côtes-d’Armor ont saisi le tribunal administratif de Rennes pour exiger un vrai financement des Ehpad publics, protestant ainsi contre l’inaction de l’État.
Nous pouvons tous être d’accord sur le fait que les établissements accueillant des personnes âgées puissent se développer et être accessibles à tous dans le respect et le bien-être des résidents. Sur toutes nos travées, nous entendons les mêmes remontées du terrain, nous faisons les mêmes constats, mais jusqu’à présent, rien ne bouge vraiment.
Nous avons tous, quelle que soit notre famille politique, été choqués par les révélations sur les pratiques scandaleuses d’Orpea et sa recherche effrénée et hors contrôle de superprofits liés à l’or gris. Rappelons que la recherche de superprofits a entraîné une maltraitance scandaleuse sur nos aînés hébergés dans certains Ehpad voyous. Privation de nourriture, rationnement des changes, douche seulement une fois par semaine, personnel en sous-effectif et sous-formé : toutes les barrières morales furent enfoncées dans cette recherche scandaleuse de superprofits.
Il faut mettre un coup d’arrêt définitif à ces pratiques. Le secteur de l’hébergement des personnes âgées n’est pas un secteur comme les autres. Lors de son discours de politique générale, le nouveau Premier ministre, Michel Barnier, a lui-même évoqué la taxation des superprofits, et la commission des finances de l’Assemblée nationale vient d’orienter les débats dans ce sens. Je vous rappelle, mes chers collègues, que les Ehpad privés à but lucratif touchent de l’argent de l’État, les subventions publiques représentant environ 40 % de leur chiffre d’affaires.
En France, il n’y a pas de liberté d’installation des Ehpad : l’État agrée l’ouverture des structures en fonction des besoins des populations, et cet agrément est totalement gratuit. Il me paraît donc logique de taxer les superprofits réalisés par les Ehpad privés à but lucratif.
Le seuil de déclenchement de cette nouvelle taxation est fixé au taux de 10 % de rentabilité financière. Les données de la Banque de France et de l’Insee indiquent que, en 2021, la rentabilité financière des petites et moyennes entreprises (PME) était de 11,5 %, celle des entreprises de taille intermédiaire (ETI) était de 8,3 % et celle des grandes entreprises de 11,2 %. Une rentabilité de 10 % peut donc être considérée comme satisfaisante et suffisante pour des entreprises à vocation sociale.
Cette contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés est progressive, avec deux tranches. Pour la première, la contribution est égale à 20 % du montant de l’impôt sur les sociétés acquitté par l’Ehpad privé à but lucratif lorsque le résultat net de l’établissement est supérieur à 10 % du montant des capitaux propres de l’entreprise. Ce taux est porté à 30 % en cas de rentabilité supérieure à 15 %. Il s’agit d’envoyer un signal très politique. Il faut stopper la course effrénée aux superprofits et se consacrer au qualitatif : s’occuper du bien-être des résidents.
Lors de l’examen du texte en commission des finances, mercredi dernier, il a été soulevé que le contexte économique de 2024 n’est pas le même que celui de 2018, année de révélation du scandale Orpea.
Il semble pourtant que certaines pratiques aient toujours cours, ce qui me surprend.
Les financements octroyés aux Ehpad par les agences régionales de santé (ARS) et les départements se fonderaient quasi exclusivement sur des documents budgétaires déposés par les gestionnaires d’établissement – les états prévisionnels des recettes et des dépenses (EPRD) et les états réalisés des recettes et des dépenses (ERRD) –, sans contrôle systématique des comptes déclaratifs.
Ainsi, certains gestionnaires pourraient présenter des comptes EPRD et ERRD déficitaires, contrastant parfois avec leurs bilans fiscaux excédentaires, voire très excédentaires.
Autre source d’étonnement : lorsqu’on regarde avec attention les déclarations des EPRD et ERRD, on constate que les établissements n’y présentent pas en détail leurs charges salariales réelles.
Si les crédits alloués pour salarier le personnel ne sont pas effectivement consommés, il ne faut pas que les excédents budgétaires restent à la disposition du gestionnaire, lequel pourrait engranger des bénéfices sur le dos des résidents.
Un récent rapport de la chambre régionale des comptes de Nouvelle-Aquitaine, examinant la gestion d’un groupe privé d’Ehpad, a révélé que les documents de présentation de réalisation budgétaire transmis aux tutelles n’étaient pas exhaustifs.
Autre anomalie relevée : l’application de frais de siège qui viennent majorer forfaitairement les dépenses couvertes par les financements publics – dotations dépendance et soins –, sans autorisation préalable.
Certes, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 a restauré la possibilité pour les autorités de tarification de récupérer certains des financements octroyés, mais non consommés. Toutefois, les dispositions en question demeurent souvent inappliquées, à ce qu’il semble.
L’adoption de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui permettrait de fluidifier les relations entre les Ehpad publics et privés, que ces derniers aient ou non un but lucratif. Le regard changerait sur ce secteur qui ne cesse de subir les répercussions du scandale Orpea.
Des pratiques encore plus vertueuses pourraient être mises en place. Plutôt que de subir cette contribution additionnelle, les dirigeants des Ehpad privés à but lucratif pourraient faire le choix stratégique d’améliorer la situation de leurs résidents. Il s’agirait alors d’instaurer un véritable cercle vertueux, à l’opposé des craintes exprimées en commission des finances par la majorité sénatoriale.
Pour ma part, je ne crois pas du tout que les gestionnaires des Ehpad privés réduiraient les prestations offertes aux résidents en répercussion de cette contribution additionnelle. Cela serait catastrophique pour l’image et l’attractivité du secteur.
Ne nous leurrons pas : les gestionnaires privés ont pour objectif de faire du profit, et les mesures éventuelles de réduction des coûts sont d’ores et déjà prises, indépendamment de l’instauration d’une taxation additionnelle.
Le produit de cette dernière serait affecté à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). Cela permettrait de garantir le financement des mesures en faveur des personnes handicapées ou des personnes âgées dépendantes.
En conclusion, je formulerai une remarque un peu plus générale.
La financiarisation du système de santé tend malheureusement à s’étendre, comme l’a récemment démontré un rapport sénatorial, et affecte également le secteur des crèches privées. Victor Castanet, déjà lanceur d’alerte sur le scandale Orpea, l’explique bien dans son dernier livre, Les Ogres.
Il est temps de faire cesser cette course aux superprofits, dont les victimes sont toujours nos concitoyens les plus fragiles : les aînés et les nouveau-nés.
Je vous appelle donc, mes chers collègues, à adopter cette proposition de loi. Nous enverrions ainsi un signal fort à nos concitoyens et aux élus locaux éprouvant les pires difficultés à gérer leurs structures.
Voter ce texte, c’est faire preuve de volontarisme et envoyer le signal que la France doit impérativement rester une république sociale et solidaire, ce qui passe par une lutte sans merci contre les superprofits, avatar d’un capitalisme débridé. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Bruno Belin, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie Jean-Luc Fichet d’avoir déposé cette proposition de loi, cosignée par plusieurs de ses collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Cela nous donne l’occasion de parler d’un sujet important : le bien vieillir, notamment au sein des Ehpad.
Le présent texte prévoit de taxer les superprofits réalisés par les Ehpad à but lucratif. Je sais que beaucoup de mes collègues, ainsi que M. le ministre, ont eu un parcours départemental et connaissent par cœur le sujet que nous évoquons aujourd’hui.
Je ferai tout de même ce rappel : en France, on compte à la fois Ehpad publics et privés, que ces derniers aient ou non un but lucratif.
Bien qu’ils soient soumis à des statuts différents, ces établissements bénéficient tous de financements publics via l’ARS, la sécurité sociale et les conseils départementaux, pour les dépenses d’hébergement, de soins ou celles qui sont liées à la dépendance.
Le présent texte entend mettre en place une taxation sur des bénéfices constitués en partie grâce à de l’argent public. Comme je l’ai indiqué en commission, je m’interroge sur la pertinence d’une telle taxe, ce à trois égards.
Premièrement, taxer une seule catégorie d’établissements, à savoir les Ehpad privés à but lucratif, pourrait être censuré par le Conseil constitutionnel – gardez-le bien à l’esprit.
Deuxièmement, le texte prévoit de cibler des résultats et des bilans qui, via les frais de siège et les prévisions d’investissement, seront adroitement habillés par les groupes gestionnaires d’Ehpad, si bien qu’ils ne correspondront plus à ce que vous attendiez.
De toute façon, la CNSA et le ministère de l’économie et des finances ont annoncé qu’il n’y aurait pas grand-chose à récupérer sur le volume imposable ou taxable.
Troisièmement, nous n’aimons pas trop créer de nouvelles taxes. Si celle que vous proposez était votée, il reviendrait aux résidents de la financer si les groupes n’en étaient pas capables eux-mêmes.
Il est un principe intangible que je suis prêt à rappeler chaque jour, s’il le faut : il n’y a que deux payeurs, le contribuable ou le consommateur. Or je crains que ce ne soit le second qui soit touché.
Cela étant, nous avons tous été choqués par le scandale Orpea. Disons-le au moins une fois : comment peut-on chercher à faire des profits sur le dos des personnes dépendantes et fragiles confiées à la puissance publique ?
La commission des affaires sociales du Sénat a illustré des cas de maltraitance qui nous ont tous choqués.
Cependant, la situation révélée par ce scandale n’est plus celle d’aujourd’hui.
D’une part, parce que la pandémie de covid-19 a causé un grand nombre de décès, y compris au sein de la génération de personnes pouvant éventuellement être accueillies dans les Ehpad à partir du début des années 2020.
D’autre part, parce que les établissements visés par le présent texte ont aujourd’hui un modèle totalement déséquilibré. Le rapport Ehpad : un modèle à reconstruire, coécrit par nos collègues Deseyne, Souyris et Nadille, l’a bien démontré.
À l’heure où nous parlons, deux établissements sur trois présentent une situation déficitaire. Même des groupes comme Medicharme ont été placés en liquidation judiciaire.
J’y insiste, la situation actuelle n’est plus du tout celle de la fin des années 2010.
Par ailleurs, nous devons faire très attention à ces partenaires que sont les groupes d’Ehpad privés, à but lucratif ou non, et les collectivités. Nous connaissons tous dans cette maison la forte responsabilité et la difficulté des collectivités, dans la mesure où un tiers des Ehpad sont soutenus par les centres communaux d’action sociale et les communes.
Les départements, eux aussi, interviennent massivement. La construction de leurs budgets dans les années à venir se fera de manière très rigoureuse. Or nous aurons besoin des Ehpad, plus qu’on ne l’imagine aujourd’hui.
Sur ce point, nous devons avoir un véritable débat avec le Gouvernement. Il y a quelques années, les programmes interdépartementaux d’accompagnement des handicaps et de la perte d’autonomie (Priac), que nous avons connus au même moment que les premiers conventionnements ou conventions tripartites, ont été asséchés par les ARS, au point qu’il n’y avait plus aucune création de places.
Le besoin de places est bien réel, d’autant que, dans les années 2030, nous devrons accueillir un volume important de personnes en état de dépendance parmi la génération née après-guerre.
Selon une estimation récente, nous aurions besoin de 100 000 places sur l’ensemble du territoire ; c’est considérable. Pourtant, nous sommes loin de les avoir créées. Qui va financer ces places ? Les collectivités en seront-elles capables ? Les rares groupes privés à but non lucratif en ont-ils l’envie, d’autant que leur répartition géographique est très ciblée ?
Aussi, les établissements privés à but lucratif devront forcément prendre leur part ; veillons donc à ne pas les pointer du doigt.
C’est la responsabilité commune du Parlement, du Gouvernement et des élus locaux, notamment ceux des conseils départementaux – j’en profite pour les saluer, car le bien vieillir est pour eux une question essentielle –, de se préoccuper de la France de 2030. Comment serons-nous capables d’accueillir une nouvelle génération nombreuse qui, pour partie, sera en situation de dépendance ?
Lors de son intervention, notre collègue Fichet a précisé que les difficultés actuelles étaient la conséquence de la multiplication des déserts médicaux. En ce domaine, nous n’allons pas en vouloir au gouvernement en place ; il n’y est pour rien. Ces déserts médicaux sont le résultat d’une mauvaise décision prise dans les années 1990, dont nous n’avons pas encore fini de payer les conséquences.
Si l’on veut bien vieillir, il faut être bien soigné et bien traité. Au-delà des déserts médicaux, on voit apparaître des déserts pharmaceutiques. Or n’oublions pas que les officines libérales sont celles qui gèrent bien souvent les pharmacies internes des Ehpad.
Vu votre expérience, monsieur le ministre, et considérant les besoins qui se profilent, votre responsabilité est de prendre toutes les mesures qui s’imposent au travers d’un texte sur le grand âge ou la santé.
La réalité, c’est que nous allons tous vieillir plus – c’est une bonne nouvelle –, mais, à l’évidence, le grand âge risque d’accroître le besoin de soins. Nous devrons donc donner aux Ehpad les moyens d’y répondre, à la fois en personnel, en équipements, en développement et en soins. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Paul Christophe, ministre des solidarités, de l’autonomie et de l’égalité entre les femmes et les hommes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi intervient dans le contexte de crise du modèle de financement des Ehpad que nous connaissons tous. Cela nous oblige, en effet, à trouver collectivement des solutions.
La situation financière dégradée concerne principalement les Ehpad habilités à l’aide sociale, mais elle affecte aussi les Ehpad privés lucratifs, quoique dans une moindre mesure, car on estime que 40 % d’entre eux sont en situation de déficit.
Je voudrais donc réaffirmer, s’il en est besoin, l’attention que le Gouvernement porte aux Ehpad, ainsi que toute sa mobilisation pour résoudre leurs difficultés structurelles en proposant des solutions pérennes.
Mesdames, messieurs les sénateurs, 90 % des Ehpad de demain existent déjà aujourd’hui. Considérant le vieillissement de notre population et la transition démographique qui s’annonce, nous devrons pouvoir compter sur eux et tous leurs professionnels.
Les Françaises et les Français ont besoin d’une offre accessible. C’est la raison pour laquelle nous avons porté une attention toute particulière aux Ehpad publics et associatifs, qui ont bénéficié plus fortement des différents crédits d’urgence.
Dans les Ehpad publics et associatifs, la possibilité de différencier les tarifs d’hébergement selon les résidents offrira plus de marges financières.
Pour l’heure, nous devons surtout nous interroger sur deux phénomènes, à commencer par le taux d’occupation. Celui-ci n’a pas retrouvé son niveau d’avant-covid et montre un besoin indéniable de diversification de l’offre. Je m’emploierai à résoudre ce problème.
Deuxième phénomène : les disparités de financement à l’échelle territoriale. Nous nous mettons en mesure d’y répondre via l’expérimentation d’un financement unifié des budgets relatifs aux soins et à la dépendance des établissements. Elle sera lancée dès l’année prochaine et nous en reparlerons lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Sans vous surprendre, conformément au vote de la commission des finances du Sénat, le Gouvernement n’est pas favorable à la présente proposition de loi, au regard non pas tant des objectifs fixés que des moyens proposés.
Les Ehpad privés lucratifs, comme les autres, ont besoin d’investissements pour moderniser et transformer leurs offres. Dans ce cadre, il n’est pas inconcevable que des profits puissent être engrangés à des fins de financement, à condition qu’ils soient uniquement – j’insiste sur ce point – réalisés sur la section hébergement.
Cette dernière regroupe des dépenses d’alimentation, de logement et de services annexes qui ne relèvent ni de la sécurité sociale ni des finances publiques. Les résidents en Ehpad qui font le choix de cette offre lucrative peuvent attendre des prestations supplémentaires ou plus haut de gamme, s’ils en ont les moyens.
Il n’est pas question de remettre en cause les Ehpad commerciaux. Au-delà de la taxation tout à fait ordinaire qui pèse sur leurs résultats, le nouveau vecteur fiscal proposé n’est pas exempt de défauts, comme cela a été rappelé en commission.
Ainsi, nous déplorons une prévision de recettes nulles pour la CNSA, compte tenu des déficits actuels, et un risque de report sur les prix payés par les résidents ou sur la qualité des prestations.
Cependant, entendons-nous bien : je vous confirme mon entière détermination à tirer toutes les conséquences du scandale Orpea.
Les lois votées, dont la loi du 8 avril 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir et de l’autonomie, font l’objet d’une application stricte, sans aucune naïveté de la part du ministère.
Dans cette période budgétaire difficile, l’usage défectueux des moyens publics ou privés, qui devraient assurer la qualité de l’accompagnement des personnes, ne sera pas toléré. Je serai en particulier intraitable avec les maltraitances qui pourraient survenir à la suite de ces détournements.
D’ici à la fin de l’année, chacun des 7 500 Ehpad aura été contrôlé, dont les Ehpad privés lucratifs. J’attends une synthèse de ces contrôles, dont je rendrai personnellement compte pour rassurer les personnes âgées concernées et leurs familles sur des structures si essentielles à l’accompagnement des plus fragiles.
J’ajoute que les résultats du nouveau référentiel national de la Haute Autorité de santé (HAS), qui pose un cadre d’évaluation de la qualité des établissements, sont encourageants.
En complément, je rappelle que, jusqu’au décret pris en 2022 à la suite du scandale Orpea, nous n’avions vue que sur le soin et l’entretien de l’autonomie dans les Ehpad commerciaux. Depuis l’entrée en vigueur de ce décret, il y a un an, les pouvoirs publics jouissent d’une vision analytique comptable sur l’ensemble du budget.
Cela nous permettra d’analyser finement l’usage des moyens et l’imputation des charges, mais aussi de tenir un discours exigeant sur l’efficience, au service des résidents.
Nous disposons par ailleurs de nouveaux outils pour contrôler les groupes. À la suite de l’enquête de M. Castanet, le contrôle mené par l’inspection générale des affaires sociales (Igas) et l’inspection générale des finances (IGF) a aussi mis en lumière les lacunes de nos outils antérieurs pour caractériser les pratiques frauduleuses.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 nous permet désormais d’agir. Quant à la loi Bien vieillir, elle nous donne plus de visibilité sur les pratiques de certains acteurs qui, via la prise de contrôle d’une personne morale, acquièrent de nouveaux Ehpad, alors qu’ils en mettent d’autres en cessation d’activité.
Nous pourrons désormais nous opposer, en amont, à ces prises de contrôle.
Enfin, parce que le secteur privé doit être concurrentiel – sans quoi il n’aurait pas de raison d’être –, la loi Bien vieillir nous donne une base légale pour rendre publics les nouveaux indicateurs sur le fonctionnement des Ehpad, le niveau des ressources humaines et l’évaluation de la qualité.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous pouvez compter sur moi pour appliquer toutes ces dispositions sans faiblir.
L’engagement de l’immense majorité de professionnels dévoués de ce secteur ne saurait être remis en cause. Ils partagent avec nous l’objectif d’aider les personnes et d’améliorer l’accompagnement, grâce à des solutions pertinentes qui tiennent compte de leurs droits, de leurs besoins et de leurs aspirations. Nous le leur devons. (Applaudissements au banc des commissions. – M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures cinquante.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures vingt, est reprise à quatorze heures cinquante, sous la présidence de M. Pierre Ouzoulias.)
PRÉSIDENCE DE M. Pierre Ouzoulias
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
5
Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Monsieur le président, ce matin, lors du scrutin n° 15 sur l’amendement n° 2 rectifié quinquies, présenté à l’article 7 de la proposition de loi visant à renforcer l’indépendance des médias et à mieux protéger les journalistes, ma collègue Laure Darcos souhaitait voter contre.
M. le président. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle figurera dans l’analyse politique du scrutin.
6
Contribution des Ehpad privés
Suite de la discussion et rejet d’une proposition de loi
M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi visant à mettre à contribution les Ehpad privés à but lucratif réalisant des profits excessifs.
Je vous rappelle que nous examinons ce texte dans le cadre d’un espace réservé au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain d’une durée de quatre heures, et pour lequel il reste une heure vingt.
Discussion générale (suite)
M. le président. Dans la discussion générale, nous en sommes parvenus aux interventions des orateurs des groupes.
La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth.
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je le reconnais volontiers : de prime abord, cette proposition de loi paraît séduisante. L’ouvrage Les Fossoyeurs, de Victor Castanet, a mis en exergue des défaillances importantes dans la gestion et le contrôle des Ehpad privés à but lucratif, qui recherchent de façon effrénée le profit au détriment de la qualité de vie des résidents.
De même, la mission flash sur la gestion financière des Ehpad a montré que les établissements privés à but lucratif pratiquaient un prix moyen du séjour supérieur de 40 % au secteur public.
De plus, le secteur des Ehpad rencontre des difficultés économiques d’une ampleur inédite. Elles sont dues aux tensions de recrutement, entraînant un plus faible niveau d’activité, à la perte de confiance du public, à la suite de la crise du covid-19 et du scandale Orpea, ainsi qu’à un « effet ciseaux », entre la forte inflation des coûts et la moindre évolution des tarifs.
Entre 2020 et 2023, la part des Ehpad déficitaires, tous statuts confondus, est ainsi passée de 27 % à 66 %.
Dans ce contexte, on pourrait penser qu’une taxation des Ehpad privés lucratifs serait utile pour financer des mesures de soutien au secteur, d’autant plus que les besoins iront croissant au vu du vieillissement de notre population.
Les Ehpad privés ne sont pas en reste, il nous faut regarder les choses en face. Le récent rapport d’information sur la situation des Ehpad, dont notre collègue du groupe RDPI Solanges Nadille a été corapporteure, le souligne : les Ehpad privés lucratifs ont subi la chute de leur taux de résultat net. En effet, il a pratiquement été divisé par deux entre 2017 et 2023, passant de 8,8 % à 4,7 % du chiffre d’affaires.
Le contexte est particulièrement défavorable aux Ehpad privés à but lucratif, ce qu’illustre d’ailleurs la liquidation en février 2024 de Medicharme, huitième groupe français d’Ehpad privés, ou la restructuration d’Orpea, troisième du secteur, passé sous le contrôle d’un groupement d’actionnaires mené par la Caisse des dépôts et consignations.
Alors que le secteur cherche à identifier des moyens pour stabiliser son modèle économique, cette proposition de loi semble peu opportune.
D’autant plus qu’elle tend à ignorer certaines disparités territoriales, notamment en outre-mer. En Guadeloupe, par exemple, l’offre d’hébergement en Ehpad est pourvue à 50 % par des structures privées à but lucratif.
En attendant un rattrapage de l’offre publique en outre-mer, ce que recommande le rapport d’information précité, y taxer les Ehpad privés à but lucratif se révélerait contre-productif, d’autant que les places manquent pour faire face au vieillissement accéléré de la population.
Afin d’assurer la pérennité du secteur, il nous paraît plus efficace de soutenir et de mettre en œuvre les recommandations du rapport d’information.
Parmi les propositions formulées par Solanges Nadille, Anne Souyris et Chantal Deseyne figurent la création d’une deuxième journée de solidarité pour financer la branche autonomie, l’instauration d’un plancher de revalorisation du tarif hébergement opposable à l’aide sociale, indexé sur l’inflation, ou encore l’intégration dans le périmètre des sections soins et dépendance des dépenses aujourd’hui financées par la section hébergement.
Vous l’aurez compris, le groupe RDPI votera contre cette proposition de loi.
Cela ne signifie pas pour autant que nous signons un chèque en blanc aux Ehpad privés à but lucratif. Nous considérons qu’il est nécessaire de continuer à mettre en œuvre les mesures d’encadrement décidées par les gouvernements successifs de la majorité présidentielle, tout en évaluant leur efficacité.
Tout d’abord, il sera nécessaire de poursuivre le plan de contrôle des 7 500 Ehpad français, grâce au renforcement récent et futur des moyens humains. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 permettra la création de 50 000 postes d’ici à 2030.
Il faudra ensuite s’assurer du respect des obligations de transparence renforcées dans les contrats de séjour des Ehpad.
Enfin, nous devrons évaluer les mesures de prévention et de lutte contre les maltraitances, dont le respect de l’effectivité du droit de visite quotidien.
Plutôt que de mettre en place une taxation sur un secteur en crise, qui limiterait encore les capacités d’hébergement, en particulier en outre-mer, nous préférons poursuivre le travail d’encadrement pour rétablir la qualité et regagner la confiance des citoyens.
Bref, nous appelons à repenser le modèle économique du secteur. Il faut donc, j’y insiste, mettre en œuvre les propositions du rapport d’information sur la situation des Ehpad pour assurer enfin leur pérennité financière. (M. Vincent Capo-Canellas applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens avant tout à saluer l’initiative de notre collègue Jean-Luc Fichet. Ce texte nous permet de débattre d’un sujet qui nous concerne tous, car il symbolise le traitement que nous réservons à nos aînés et le soutien que nous offrons à ceux qui les accompagnent au quotidien.
Cette question est d’autant plus prégnante que nous faisons face à un défi démographique majeur. D’ici à 2050, la France comptera près de cinq millions de personnes âgées de plus de 85 ans.
Le vieillissement de la population va inévitablement augmenter la demande de solutions d’hébergement adapté. Il est donc crucial de préparer l’avenir dès maintenant, en renforçant nos Ehpad, en adaptant leur modèle économique et en assurant leur viabilité.
Le récent rapport d’information de nos collègues Chantal Deseyne, Solanges Nadille et Anne Souyris rappelle combien la situation financière de ces établissements s’est fortement dégradée au cours des dernières années.
Les Ehpad traversent aujourd’hui une période de crise : les structures manquent de financement ; les conditions de travail y sont éprouvantes pour le personnel soignant ; leur coût est exorbitant pour les familles. Tous ces défis mettent à mal la dignité de nos aînés et de ceux qui les soignent.
Nous ne pouvons pas ignorer cette réalité : trop souvent, les établissements souffrent de sous-effectifs et les soins apportés ne sont pas à la hauteur de ce que méritent nos anciens. C’est une situation à laquelle nous devons faire face collectivement, avec responsabilité.
Cette crise a des conséquences profondes sur la vie des résidents des Ehpad. Les scandales récents, tels que celui d’Orpea, ont mis en lumière des pratiques inacceptables qui vont à l’encontre du respect et de la dignité des personnes âgées.
Ces dérives, bien que minoritaires, doivent être combattues. Elles ont rappelé l’importance de renforcer les contrôles, d’assurer une transparence totale et de faire de la qualité des soins une priorité.
N’oublions pas non plus l’impact humain sur les soignants. Ces femmes et ces hommes engagés et dévoués travaillent dans des conditions difficiles, souvent épuisantes. Alors qu’ils sont le cœur battant de nos Ehpad, ils sont souvent sous-payés et souffrent d’un manque de reconnaissance.
N’est-il pas essentiel de leur offrir des conditions de travail dignes, à la hauteur de leur engagement ?
Pour cela, des investissements massifs sont nécessaires. Nous devons réformer le secteur de l’aide à la dépendance, améliorer le ratio personnel-résidents et veiller à ce que les coûts pour les familles soient raisonnables. En effet, la prise en charge de la dépendance ne saurait être un fardeau financier insupportable.
Dans ce contexte, vouloir réformer le financement des Ehpad est une démarche tout à fait louable, et nous y souscrivons évidemment !
Pour autant, nous sommes plus réservés quant au « remède » proposé. Le texte de nos collègues vise en effet à créer une contribution additionnelle à la charge des Ehpad privés à but lucratif. Si j’en crois l’estimation faite par les services du ministère chargé des finances, cette mesure serait peu efficace, puisqu’aucun groupe privé n’aurait été assujetti à cette contribution additionnelle au titre de l’exercice 2023.
Nous entendons par ailleurs les craintes suscitées par une telle proposition, cette nouvelle taxation étant susceptible d’être compensée par une hausse des prix ou par une baisse des charges des établissements, ce qui n’est évidemment pas souhaitable, d’autant que le vieillissement de la population implique des besoins d’investissement dans les Ehpad qui pèsent notamment sur le secteur commercial.
Il conviendrait aussi que nous abordions un jour le sujet des résidences autonomie et des résidences seniors privées, qui pourraient être fortement concernées par le problème de la rentabilité financière.
M. Bruno Belin, rapporteur. Tout à fait !
Mme Maryse Carrère. Face au défi du vieillissement de la population, la situation du secteur de l’aide à la dépendance impose que le Gouvernement se saisisse rapidement de ce dossier, et cette proposition de loi est une occasion de le mettre une nouvelle fois en débat. Nous attendons beaucoup de vous, monsieur le ministre, car les Ehpad sont véritablement en grande difficulté. Les départements sont en train de faire des efforts pour les accompagner, mais l’État doit aussi participer au financement de nos Ehpad publics. Cette proposition de loi représente de ce point de vue un appel auquel le groupe RDSE souscrira majoritairement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe SER. – M. Akli Mellouli applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour discuter de cette proposition de loi visant à mettre à contribution les Ehpad privés à but lucratif réalisant des profits excessifs. Je tiens à saluer l’initiative de notre collègue Jean-Luc Fichet, que je remercie pour sa contribution sur un sujet qui nous touche tous de près ou de loin, celui du grand âge, de son accompagnement et de son financement.
La gestion privée des Ehpad en France est devenue à juste titre un sujet de débat de premier plan. Alors que le secteur privé était quasiment absent de ce secteur d’activité voilà deux décennies, il représente désormais un quart des places disponibles. De surcroît, les révélations du livre de Victor Castanet, Les Fossoyeurs, confirmées par le rapport de l’inspection générale des affaires sociales et de l’inspection générale des finances publié en 2022 et par les travaux de la commission des affaires sociales du Sénat, nous ont tous choqués. Ces révélations ont mis en lumière la financiarisation du milieu consécutive à l’arrivée du secteur privé à but lucratif, suscitant inquiétudes et indignation quant à la qualité des soins et des services fournis aux personnes âgées.
La sécurité et le bien-être des personnes âgées sont au cœur des préoccupations de toutes les familles. Les faits révélés et dénoncés dans le cadre des travaux que j’ai mentionnés sont d’autant plus insupportables qu’ils résultent d’une stratégie volontaire de rationalisation des coûts et de maximisation de la capacité d’accueil visant à diminuer la part des dépenses et à augmenter celle des profits.
La médiatisation de ce sujet a ébranlé le système tout entier, et ce fut heureux. Elle a aussi plongé certains établissements dans une situation financière et budgétaire très dégradée. Les Ehpad, on le sait et cela a été rappelé, sont indispensables à la prise en charge de la perte d’autonomie, et ce sous toutes leurs formes, y compris publique, évidemment. Le maintien à domicile, qui appellerait du reste des politiques spécifiques plus abouties, doit être autant que possible recherché, mais, nous le savons, le nombre de nos aînés accueillis en Ehpad est appelé à aller croissant.
Nous partageons le constat selon lequel les pouvoirs publics, sans doute pris de court par la financiarisation du secteur, n’ont pas réussi à le contrôler. Toutefois, le secteur privé reste nécessaire. Il doit apporter des garanties quant à la qualité de l’accueil de nos aînés : c’est bien le système dans son ensemble que l’on doit repenser et contrôler. Cela ne pourra se faire par une réduction des dépenses, laquelle risquerait de se traduire par une baisse des effectifs et de la qualité des soins.
Augmenter le reste à charge des usagers n’est pas non plus souhaitable, compte tenu de ce que représente déjà le coût mensuel moyen d’un hébergement, notamment dans les zones où le prix de l’immobilier est élevé.
La génération du baby-boom va entrer dans l’âge de la dépendance. Nous vivons de plus en plus longtemps et avec davantage de pathologies. Aussi sera-t-il nécessaire d’accroître de manière importante le nombre de places en Ehpad dans la décennie 2030, ce qui aura pour conséquence d’augmenter les besoins en personnel. Or les ouvertures de postes et les formations qu’il serait nécessaire d’envisager à cette fin n’ont pas été suffisamment planifiées.
Comme le rapporteur, je ne pense pas qu’assujettir les établissements privés à but lucratif à une nouvelle taxation permettrait de résoudre le problème de la financiarisation du grand âge ; le seul effet d’une telle disposition serait de réduire un peu plus les marges de manœuvre d’un secteur qui, en tout état de cause, est par trop affaibli.
Depuis 2020, une situation conjoncturelle dégrade la rentabilité économique et la situation financière de ces établissements. Des revalorisations salariales ont été décidées nationalement et insuffisamment financées ou compensées ; une crise sanitaire puis une crise médiatique ont conduit à une perte de confiance envers ces Ehpad ; les prix de l’alimentation et de l’énergie ont considérablement augmenté, cette inflation se répercutant sur toutes leurs dépenses ; le manque de professionnels engendre une baisse des recettes liée à la fermeture de lits et des difficultés à assurer une prise en charge correcte des personnes âgées, etc. L’ensemble de ces éléments est constitutif de l’état général de grande fragilité dans lequel se trouvent de nombreux Ehpad.
Alors que le secteur cherche plutôt à identifier des moyens de stabiliser son modèle économique, cette proposition de loi ne paraît pas apporter la garantie attendue. Même si l’on peut comprendre l’intention de ses auteurs, on peut douter de l’efficacité du dispositif proposé. Il serait sans doute plus efficace de mettre en œuvre les recommandations du rapport d’information des sénatrices Solanges Nadille, Chantal Deseyne et Anne Souyris.
Au vu des dérives du passé, il est impératif de mettre en place une réglementation plus stricte pour les Ehpad privés – M. le ministre a évoqué tout à l’heure les contrôles en cours. Les autorités doivent veiller à ce que les normes de qualité et de sécurité soient respectées et les droits des résidents protégés, et elles doivent permettre aux ARS de contrôler plus finement les budgets, pour davantage de transparence. Sur ce plan aussi, monsieur le ministre, vous nous avez rappelé les dispositions qui ont été prises ; nous serons évidemment attentifs à leur mise en œuvre.
Le vieillissement de la population française va se traduire par un besoin d’investissement évalué à 7 milliards d’euros d’ici à 2030 pour les seuls Ehpad. Le ministère de la santé estime qu’il est ainsi nécessaire de doubler le rythme d’ouverture des places afin d’accueillir en Ehpad, en 2050, 319 000 personnes de plus qu’en 2019.
Garantir la capacité d’investissement des Ehpad est déterminant pour construire les infrastructures nécessaires, dans un contexte de contrainte budgétaire durable pour les finances publiques. De moindres investissements ne feraient qu’accroître la pression pesant sur les secteurs privés à but non lucratif et public.
Pour toutes les raisons que je viens d’invoquer, et malgré l’utilité de la démarche lancée par notre collègue Fichet, le groupe Union Centriste ne votera pas ce texte, considérant que le dispositif a plus de chances d’affaiblir le secteur que de lui apporter une solution pérenne. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie mes collègues du groupe socialiste d’avoir inscrit ce texte à l’ordre du jour : cette initiative nous permet de débattre du modèle d’organisation et de financement du secteur médico-social, et particulièrement des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.
La commission des affaires sociales du Sénat a achevé à la fin du mois de septembre une mission d’information qui a permis de prendre une photographie de la situation des Ehpad.
Alors que 85 % des Ehpad publics sont actuellement en déficit, l’urgence est à une loi de programmation pluriannuelle sur le grand âge ; or un tel texte n’a toujours pas vu le jour. L’État doit prendre ses responsabilités, y compris à l’égard des départements, lesquels ne peuvent plus supporter des dépenses qui s’envolent.
Les gouvernements successifs ont tous pris des engagements, sans jamais les tenir. Les rares avancées ont été obtenues au détour de propositions de loi parcellaires, et celle qui nous occupe cet après-midi vient s’ajouter au tas hétéroclite des textes précédents.
Face aux dérives du secteur privé lucratif, au manque d’attractivité des métiers, à la perte de confiance du public consécutive à la crise de la covid-19 et à la scandaleuse affaire Orpea, il y a urgence à revoir les modèles d’organisation et de financement des Ehpad.
La régulation du secteur des Ehpad privés à but lucratif proposée par notre collègue Jean-Luc Fichet consiste à instaurer une contribution égale à 20 % de l’impôt sur les sociétés dû par les établissements dont la rentabilité financière dépasse un taux de 10 %.
À nos yeux, cette taxation est la moindre des choses au regard des dérives liées à la financiarisation de la santé et des bénéfices réalisés sur le dos de nos aînés.
En définitive, la question n’est pas celle du niveau de profits réalisé par les établissements ; elle est celle de l’existence d’un secteur privé lucratif dans la santé et le secteur médico-social. Dans son livre Les Fossoyeurs, Victor Castanet a démontré qu’il existait des contradictions indépassables entre l’exercice de missions de service public et la volonté de satisfaire des actionnaires par la recherche de rentabilité.
L’instauration d’une contribution sur les superprofits des Ehpad lucratifs n’est donc pour nous qu’une étape. Il nous faudra réfléchir au principe même de l’installation dans ce domaine d’activité du secteur privé lucratif, qui pose un véritable problème.
De la même manière, nous proposons la suppression des niches fiscales dont bénéficient les investissements immobiliers en Ehpad et la création d’une redevance sur les Ehpad commerciaux.
Cette proposition de loi constitue un petit pas sur le long chemin de la création d’un véritable service public de la perte d’autonomie.
Pour l’ensemble des raisons que j’ai exposées, les sénatrices et sénateurs du groupe CRCE-K voteront pour ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. Akli Mellouli. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Anne Souyris. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens pour commencer à remercier le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain de nous permettre de débattre de la proposition de loi de notre collègue Jean-Luc Fichet, que je salue.
Les Ehpad font face à une crise sans précédent : déficit chronique insoutenable, métiers en extrême tension, investissement en berne, risques de fermeture pour cessation de paiements. Nous avons documenté cette situation, avec nos collègues Solanges Nadille et Chantal Deseyne, dans un rapport d’information présenté il y a moins d’un mois au nom de la commission des affaires sociales : tous les Ehpad sont à bout de souffle.
Tous ?… Pas tout à fait. Si, en 2023, 84 % des Ehpad publics hospitaliers et 73 % des Ehpad privés solidaires sont en déficit, les Ehpad privés commerciaux, quant à eux, se maintiennent dans une relative bonne santé financière. Malgré les difficultés liées au contexte économique, le résultat net du secteur privé commercial était en effet de 4,7 % en 2023. La commission des finances souligne certes une réduction de la marge d’excédent brut d’exploitation des Ehpad privés commerciaux entre 2019 et 2023 ; reste que cette marge se maintient à 8,2 % cette dernière année.
Surtout, l’activité profitable des grands groupes privés lucratifs se fait au détriment de la sécurité sociale, des départements et de la justice fiscale. En effet, le budget des Ehpad se compose de trois parties, dont deux sont respectivement financées par les départements et par la sécurité sociale. Par ailleurs, les groupes privés optimisent leur profit via la spéculation immobilière au détriment des usagers et des contribuables, comme l’a démontré notre collègue Raymonde Poncet Monge dans sa contribution au rapport sénatorial sur le contrôle des Ehpad. Entendu que les Ehpad privés commerciaux fonctionnent donc grâce à de l’argent public, il est normal qu’ils participent à notre effort collectif pour faire face au défi du vieillissement de la population.
Mais, là encore, le bât blesse : 13 % seulement des places des Ehpad privés commerciaux sont habilitées à l’aide sociale, alors que ce taux est de 80 % pour les Ehpad privés solidaires et de 96 % pour les Ehpad publics. Et, au fil des travaux de la mission que nous avons conduite ces derniers mois, nous avons compris que les Ehpad privés commerciaux prenaient en charge les hébergements les moins médicalisés, donc les plus rentables. J’ai donc proposé, dans notre rapport d’information, la création d’un cahier des charges pour les Ehpad commerciaux, afin que ceux-ci prennent une juste part des places habilitées à l’aide sociale et des hébergements qui, bien que moins rentables, n’en sont pas moins nécessaires. Je me permets d’attirer votre attention, monsieur le ministre, sur cette proposition.
Par ailleurs, diverses missions parlementaires et les travaux de Victor Castanet ont montré, depuis le scandale Orpea, l’opacité des activités des Ehpad privés commerciaux. Le Gouvernement a en conséquence imposé, par un décret du 28 avril 2022, des obligations de transparence renforcées deux ans plus tard par la loi Bien vieillir du 8 avril 2024.
À cet égard, monsieur le ministre, je souhaite attirer votre attention sur l’article 32 de ladite loi, qui prévoyait la publication d’indicateurs portant sur l’activité, la gestion budgétaire et le taux d’encadrement des établissements. Le décret d’application de cette disposition n’a toujours pas été publié ; or il est urgent de faire de cette proposition une réalité et de construire des indicateurs publics relatifs aux modalités de prise en charge et à la gestion financière.
Les Ehpad privés commerciaux réalisent des profits et bénéficient de soutiens financiers de la part de la sécurité sociale et des départements, alors même que la tension budgétaire est considérable sur les comptes publics ; mais ils ne contribuent pas de manière juste à l’effort de prise en charge des personnes âgées dépendantes. Pour toutes ces raisons, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires soutient pleinement la proposition de loi visant à mettre à contribution les Ehpad privés commerciaux réalisant des profits excessifs. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Corinne Féret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à mon tour à remercier mon collègue Jean-Luc Fichet, auteur de cette proposition de loi visant à mettre à contribution les Ehpad privés à but lucratif réalisant des profits excessifs.
Celle-ci prévoit, dans son article unique, la création d’un nouveau prélèvement obligatoire dont les recettes seraient versées à la CNSA, sous la forme d’une contribution additionnelle à la charge de certains Ehpad. Cette dernière serait assise sur le montant d’impôt sur les sociétés acquitté par les gestionnaires d’Ehpad commerciaux. Son taux serait fixé à 20 % lorsque la rentabilité financière de l’entreprise, mesurée par le rapport entre le résultat net et les capitaux propres, est comprise entre 10 % et 15 % ; il serait fixé à 30 % lorsque ladite rentabilité est supérieure à 15 %.
Vous le voyez, mes chers collègues, notre proposition ne concerne que les établissements dont le résultat est tout à fait appréciable…
Pourquoi donc cette contribution ? Pour la simple raison que la population française est inscrite dans une trajectoire de vieillissement tendanciel, laquelle va s’accentuer au cours de la prochaine décennie du fait de l’importance des classes d’âge issues du baby-boom. Cette évolution démographique se traduira, en matière de politiques publiques de prise en charge de la dépendance, par un accroissement massif des besoins d’investissement dans les Ehpad, estimé à plus de 7 milliards d’euros à l’horizon 2030, et ce alors que la France est plongée dans un contexte qui fait peser des contraintes budgétaires durables sur les finances publiques, locales comme sociales.
Je rappelle que cela fait plus de six ans que nous attendons du Président de la République qu’il tienne sa promesse : annoncer enfin le dépôt d’un projet de loi visant à répondre aux défis du vieillissement. Un tel texte est espéré par toutes les parties prenantes, les Français et leur famille comme les professionnels des secteurs de la santé, du social et du médico-social. Voilà six ans que les gouvernements successifs nous présentent des écrans de fumée, ce qui engendre légitimement frustration et colère.
L’examen, ces derniers mois, de la proposition de loi portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir en France avait permis de souligner la nécessité d’adopter une loi de programmation pluriannuelle pour le grand âge, dotée d’une trajectoire financière, d’ici au 31 décembre de cette année – l’année 2024 ! Mme Élisabeth Borne, alors Première ministre, s’était engagée à ce qu’un texte soit déposé au plus tard à l’été, de manière à être définitivement adopté dans les délais. En fin de compte, tout cela n’était qu’une énième promesse non tenue de la part du gouvernement d’alors.
Monsieur le ministre, je profite de l’occasion qui m’est donnée aujourd’hui pour vous demander solennellement d’inscrire au plus vite ce projet de loi à l’agenda parlementaire.
Comme je l’ai moi-même indiqué dans le rapport d’information relatif à l’adaptation du bloc communal au vieillissement de la population, que j’ai présenté la semaine dernière avec mon collègue Laurent Burgoa au nom de la délégation aux collectivités territoriales, il y a pourtant urgence à préparer la société à la massification du vieillissement, et aussi à répondre, bien sûr, à la grave crise que connaissent en particulier les Ehpad publics, huit établissements sur dix étant en déficit. À défaut d’une telle action, parler du « bien vieillir » n’a aucun sens.
Que répond le Sénat, la chambre des collectivités territoriales, à tous ces maires qui, dans nos territoires, gestionnaires de centres communaux d’action sociale (CCAS) et d’Ehpad, se trouvent confrontés à des situations préoccupantes ? Que répondons-nous à tous ces élus qui n’ont plus les moyens de faire fonctionner leur établissement, donc d’héberger des personnes âgées dépendantes dans les meilleures conditions, et qui font face de surcroît à des problèmes de personnel ?
La majorité sénatoriale ne formule aucune proposition alternative à celle du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain – et le rapporteur a dit qu’il voterait contre cette proposition de loi –, alors même qu’elle reconnaît la prégnance du problème soulevé. Les lois de financement de la sécurité sociale se succèdent, tout comme les propositions de loi, mais rien ne se passe, alors que nous pourrions réinstaurer un équilibre entre Ehpad publics, Ehpad privés à but non lucratif et Ehpad privés à but lucratif en taxant les superprofits de ces derniers.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Exactement !
Mme Corinne Féret. Pour obvier à l’invisibilisation de nos aînés, une planification méthodique et le vote de moyens dédiés s’imposent. Gardons tous à l’esprit que le vieillissement ne signifie pas la fin de la vie. Les personnes âgées ont besoin d’un hébergement et d’un accompagnement adaptés pour vieillir dignement. Si j’osais, je dirais que nous tous ici compterons, un jour, parmi ces personnes âgées – je nous le souhaite à tous !
Nous sommes face à un défi majeur, auquel notre société doit répondre. Les enjeux du vieillissement, de la perte d’autonomie, de l’isolement, aussi, appellent des moyens d’ampleur. C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à voter en faveur de cette proposition de loi, comme le fera évidemment le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Daniel Salmon applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le vieillissement de la population française est un fait de société dont nos politiques publiques n’ont, pendant trop longtemps, pas pris la mesure. Pourtant, le baby-boom, l’allongement de la durée de vie de notre population et la baisse de la natalité sont connus de tous depuis des décennies.
Il n’empêche que s’occuper avec dignité et respect de nos aînés et des personnes souffrant de handicap est notre devoir.
Or, nous le savons déjà, nous allons, dans les années à venir, manquer cruellement de places en Ehpad pour satisfaire totalement les besoins de la population, dans la mesure où nous n’aurons pas anticipé cette situation. Je suis moi-même président bénévole d’un Ehpad associatif privé à but non lucratif ; dans mon département de l’Aveyron, nous nous sommes toujours refusés à voir s’installer des Ehpad privés à but lucratif ; et le prix d’une chambre en Ehpad y est franchement beaucoup plus bas que la moyenne nationale.
Quelles sont les dispositions contenues dans cette proposition de loi pour faire face aux retentissantes et scandaleuses affaires qu’a connues le secteur ?
Davantage de formation et d’accompagnement des professionnels ? Davantage d’investissement public pour augmenter la capacité d’accueil des Ehpad ? Davantage de contrôles pour déceler à la source les quelques comportements condamnés par toute la profession ? Voilà ce qu’il faudrait faire !
La solution n’est pas forcément la taxation des Ehpad privés à but lucratif. En effet, taxer davantage n’aura pour effets que de désinciter les Ehpad à investir, d’affecter la qualité des soins dont nos parents ont besoin et, peut-être – malheureusement –, de faire augmenter les tarifs de certains Ehpad.
Décider qu’une rentabilité financière de 10 % est quelque chose de franchement honteux, qui mérite d’être taxé, cela fait-il une bonne politique publique ? (M. Daniel Salmon ironise.)
M. Patrick Kanner. Qu’est-ce qu’on fait, alors ?
M. Alain Marc. Cela ne sera en tout cas jamais une façon de régler des problèmes qu’auront causés le baby-boom, l’allongement de la durée de vie de notre population et, surtout, le manque de vision de l’État – car, je me permets de le dire, mes chers collègues, en la matière, personne n’a vraiment anticipé, et aucun gouvernement n’a fait exception de ce point de vue.
Si nous devons revoir notre politique du grand âge et du handicap, faisons-le en parlant de formation du personnel, de coût de l’hébergement en Ehpad et d’isolement des résidents, mais ne commençons peut-être pas par taxer.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, s’ils comprennent l’émoi qu’ont suscité les divers scandales liés au fonctionnement des Ehpad privés à but lucratif, les sénateurs du groupe Les Indépendants ne voteront pas cette proposition de loi. (M. Akli Mellouli s’exclame.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel.
M. Stéphane Sautarel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi de nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a pour objet la création, pour les Ehpad commerciaux, d’une contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés. Elle s’inscrit dans une actualité humainement douloureuse et, financièrement, de plus en plus tendue. Je remercie nos collègues de mettre cette question en débat à travers un prisme financier.
Cette contribution serait de 20 % du montant de l’impôt quand le résultat financier de l’Ehpad est compris entre 10 % et 15 % du montant de ses capitaux propres, ce qui porterait le taux d’imposition sur les bénéfices de 25 % à 30 %.
Si le résultat est supérieur à 15 %, le taux de cette contribution additionnelle serait de 30 %, soit un taux d’imposition porté de 25 % à 32,5 %.
Notre commission des finances, sur proposition de notre rapporteur Bruno Belin, dont je tiens à saluer la qualité du rapport, s’est opposée à cette nouvelle taxe, estimant qu’elle serait contre-productive – cet argument a déjà été largement exposé.
Le groupe Les Républicains partage la position de la commission des finances et rejettera donc le texte.
Les besoins en places d’hébergement en Ehpad vont exploser ces prochaines années : ils devraient passer d’environ 600 000 actuellement à 700 000 en 2030 et à plus de 900 000 en 2050.
Les Ehpad à but lucratif, au même titre que les autres Ehpad, de toute nature et relevant de tous statuts, vont jouer un rôle majeur dans la réponse à ces besoins, comme d’ailleurs d’autres types d’établissements, dans le cadre des parcours d’hébergement que nous connaissons.
À ce défi, il s’agit de répondre en veillant à la qualité de la prise en charge des résidents et en contrôlant les établissements – vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, dans votre propos liminaire.
Je rappelle que les établissements à but lucratif représentent actuellement presque un quart des places, soit près de 140 000 places. Nous ne saurions nous substituer à eux en compensant le désengagement de ce secteur par l’investissement public, lequel est déjà bien en peine. Les taxes proposées obéreraient les capacités d’investissement de ces établissements dans la création de nouvelles places, d’autant plus qu’ils sont eux aussi confrontés à des difficultés. L’adoption de votre proposition de loi, mes chers collègues, serait même susceptible de renforcer les difficultés qui sont les nôtres en la matière.
Comme l’a souligné notre rapporteur, les Ehpad à but lucratif sont confrontés à une baisse de leur taux d’occupation et à une hausse de leurs charges liée à l’inflation, notamment en matière d’alimentation et d’énergie – l’inflation énergétique, en particulier, est estimée à 57 % depuis 2015.
Ce cumul d’une baisse des recettes et d’une hausse des dépenses produit un « effet ciseaux », qui rend de surcroît l’utilité de cette taxe assez limitée dans le contexte actuel : aucun Ehpad commercial ne serait vraisemblablement taxé, car aucun n’est suffisamment rentable.
Pour toutes ces raisons, je le répète, le groupe Les Républicains, conformément à la position de notre commission, votera contre ce texte.
Bien sûr, par-delà la question dont il nous est proposé de débattre, la situation des Ehpad, de tous les Ehpad, est plus que préoccupante dans notre pays. Elle nécessite des moyens considérables que seule une réforme en profondeur du financement de la dépendance peut permettre de mobiliser. Des propositions sont sur la table, comme l’instauration d’une deuxième journée de solidarité. La démographie est têtue et la procrastination dans laquelle nous sommes enfermés depuis bientôt quinze ans sur ce sujet est une faute. (M. le rapporteur applaudit.)
M. le président. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de l’article unique de la proposition de loi initiale.
proposition de loi visant à mettre à contribution les ehpad privés à but lucratif réalisant des profits excessifs
Article unique
La section XVIII du chapitre III du titre Ier de la première partie du code général des impôts est ainsi rétablie :
« Section XVIII
« Contribution additionnelle à la charge de certains établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes privés à but lucratif
« Art. 235 ter ZB. – I. – Les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes mentionnés au I de l’article L. 313-12 du code de l’action sociale et des familles gérés par un organisme de droit privé à but lucratif sont assujettis à une contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés dont le taux varie en fonction du niveau de leur rentabilité financière.
« La contribution additionnelle correspond à une fraction de cet impôt calculé sur leurs résultats imposables, aux taux mentionnés à l’article 219 du présent code, au titre du dernier exercice clos.
« Elle est égale à 20 % de l’impôt sur les sociétés dû, déterminé avant imputation des réductions et crédits d’impôt et des créances fiscales de toute nature, lorsque le résultat net de l’établissement est supérieur à 10 % du montant des capitaux propres de l’entreprise. Le taux est porté à 30 % lorsque le résultat net est supérieur à 15 % des capitaux propres.
« Pour les redevables qui sont placés sous le régime prévu à l’article 223 A ou à l’article 223 A bis, la contribution est due par la société mère. Elle est assise sur l’impôt sur les sociétés afférent au résultat d’ensemble et à la plus-value nette d’ensemble définis aux articles 223 B, 223 B bis et 223 D, déterminé avant imputation des réductions et crédits d’impôt et des créances fiscales de toute nature.
« II. – La contribution est établie, contrôlée et recouvrée comme l’impôt sur les sociétés et sous les mêmes garanties et sanctions.
« III. – Le produit de la contribution est affecté à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie définie à l’article L. 223-6 du code de la sécurité sociale. »
M. le président. Sur l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi, je n’ai été saisi d’aucun amendement.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.
M. Daniel Salmon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il s’agit là d’un sujet éminemment sérieux. J’ai été alerté dans mon département, comme beaucoup d’entre vous l’ont également été, par plusieurs maires en extrême difficulté face aux déficits de leurs Ehpad publics. La perte est en moyenne de 145 000 euros selon la fédération professionnelle des directeurs de ces établissements. C’est un déficit colossal.
Ce sont toujours les mêmes mécanismes qui sont à l’œuvre : les établissements privés lucratifs prennent en charge les patients les plus rentables pour faire du profit, laissant aux Ehpad publics ceux qui demandent le plus de soins et qui sont donc les plus coûteux. Idem pour le système hospitalier français où les cliniques privées récupèrent les bénéfices, laissant aux hôpitaux publics les déficits.
À droite de cet hémicycle, on entend souvent parler de la dette de l’État et de la dette sociale. Mais cette dette, on la creuse en permanence !
Cette proposition de loi va donc dans le bon sens puisqu’il s’agit simplement de créer une contribution pour ceux qui font des profits éhontés, contribution qui irait vers le public. On me dit que cette taxation pourrait être contre-productive. En quoi faire œuvre de justice et de solidarité serait-il contre-productif ?
Le groupe GEST votera pour cette proposition de loi, car elle est une première marche pour traiter ce problème d’égalité. Nous faisons face aujourd’hui à un vrai séparatisme, le privé accaparant tous les profits ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour explication de vote.
Mme Émilienne Poumirol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre collègue Maryse Carrère l’a rappelé tout à l’heure, le ministère chargé des finances a affirmé qu’en 2023 cette proposition de loi n’aurait pas rapporté un centime et que la contribution n’aurait touché personne.
Pour moi, cela traduit en premier lieu la faiblesse des contrôles effectués. Aujourd’hui, les mécanismes de financiarisation de plus en plus nombreux à l’œuvre dans le domaine de la santé, du social ou du médico-social sont souvent extrêmement complexes, en particulier sur le plan juridique. Comme on le constate dans d’autres domaines, ces établissements à but lucratif peuvent présenter des comptes à l’équilibre, voire en déficit, alors qu’ils bénéficient très largement de l’argent public, de l’argent de la sécurité sociale et de l’argent des départements.
Les contrôles doivent être plus complets. Il faut notamment examiner précisément la nature des montages financiers. Par exemple, certains organismes créent des sociétés civiles immobilières (SCI) en étant propriétaires des bâtiments pour ensuite facturer des loyers exorbitants.
Les investisseurs proposent régulièrement aux citoyens lambda de faire un placement financier dans une chambre d’Ehpad en garantissant un taux de rentabilité aux alentours de 5 %. On a évoqué tout à l’heure les niveaux de rendement, qui sont actuellement de 4,7 %, ce qui n’est pas négligeable au vu des sommes en jeu.
Au-delà de la réalité du déficit des Ehpad publics, qui ont effectivement besoin de réformes structurelles, il est nécessaire selon moi de contrôler les Ehpad privés à but lucratif. Ces derniers sont toujours extrêmement nombreux. C’est donc qu’ils y trouvent un avantage, contrairement à ce qu’ils affirment. On nous dit tout le temps que si on les fait payer, ils vont fermer : cette menace ne tient pas ! Ces grands groupes ne sont pas des philanthropes. La santé, le social et le médico-social ne font pas partie du domaine du commerce.
Nous sommes évidemment très favorables à cette proposition de loi, qui émane de notre groupe. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour explication de vote.
M. Jean-Luc Fichet. Je suis surpris, car il s’agit simplement, au travers de ce texte, de relayer l’appel au secours des maires et des élus locaux, qui n’ont plus les moyens de faire fonctionner leurs établissements.
Ces établissements accueillent des personnes âgées qui sont en souffrance alors qu’elles devraient au contraire être heureuses. Elles sont en souffrance parce que, faute de moyens, on appauvrit leur environnement, on opère des restrictions de personnel, on diminue les programmes d’animation et on les laisse souvent abandonnées à elles-mêmes dans la journée.
J’aurais voulu que le débat porte sur l’aspect qualitatif et que l’on s’interroge sur les moyens pour compenser les déficits budgétaires. Cette proposition de loi, dont je suis l’auteur, laisse tout de même aux établissements privés lucratifs une marge de 10 % puisque la taxe additionnelle ne s’appliquerait qu’au-delà de ce taux de rentabilité financière, ce qui maintient la possibilité d’investir !
Je suis très étonné d’entendre dire que les établissements privés sont moins sollicités que les autres et que des places y sont souvent disponibles. Ce n’est pas le cas dans mon territoire où beaucoup de familles n’osent même pas critiquer ces établissements au vu des difficultés qu’elles ont eues à trouver une place : une fois que leur parent est confié à un établissement, elles ont au moins une réponse à un gros problème.
Dans les années à venir, il faudra créer 100 000 places supplémentaires. Aujourd’hui, c’est le privé qui investit massivement : 85 % des nouvelles places y ont été créées. C’est bien la preuve qu’il ne faut pas trop s’inquiéter de la bonne santé des groupes qui investissent dans le secteur de l’accueil des personnes âgées !
Cette proposition de loi en appelle d’autres. Nous espérons qu’elle s’inscrira dans une loi Grand Âge qui devrait voir le jour très rapidement. Pour ma part, je reste convaincu qu’il est tout à fait possible aux financements privés de venir au secours du public.
M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette, pour explication de vote.
M. Pierre Jean Rochette. Je ne prendrai pas part au vote, mais je voulais apporter un élément au débat.
Chacun le sait, les financements des Ehpad sont calculés en prenant à la fois en compte la pathologie des résidents – le Pathos – et la dépendance. Le pathos moyen pondéré (PMP) est multiplié par un coefficient qui détermine la dotation soins de l’ARS et du département.
La base de calcul est la même pour tous les Ehpad, qu’ils soient privés ou publics. Aussi, comment se fait-il que certains Ehpad arrivent à fonctionner et d’autres non ?
Je comprends l’objet de ce texte. Rien dans cette proposition de loi ne me choque. Pour autant, il me semble que nous prenons le problème sous un mauvais angle. Plutôt que de pointer du doigt les uns ou les autres, il faudrait réfléchir différemment en se disant que l’Ehpad est une nécessité dans l’organisation de nos territoires. Quand de nouveaux appels à projets sont lancés par les ARS ou les départements, il vaudrait donc mieux consolider les Ehpad qui sont en souffrance au lieu de confier de nouvelles missions à des organismes fraîchement créés sur le territoire.
Je crois profondément, mes chers collègues, que l’Ehpad doit être renforcé et non davantage encadré ou contrôlé. C’est dans ce sens que nous devrions légiférer. L’Ehpad doit sortir de ses murs et être en contact avec son territoire, qu’il s’agisse de la prise en charge à domicile, de l’accompagnement social à domicile, de l’hospitalisation à domicile ou des soins palliatifs plus poussés.
De mon point de vue, la bonne alternative consiste à aller vers des seuils plus larges qui permettront aux Ehpad, y compris ruraux – car le problème se pose principalement en zones faiblement densifiées –, d’avoir une base plus solide. Qu’on le veuille ou non, c’est un secteur dont il faut pouvoir pérenniser l’activité.
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour explication de vote.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Je voterai des deux mains cette proposition de loi. Ce n’est pas la révolution : on propose de laisser 10 % de bénéfices aux Ehpad privés, ce qui n’est pas rien !
Ça me fait un peu sourire, car pratiquement tous les intervenants ont cité Victor Castanet. Tous se sont accordés à reconnaître que ce qui s’était produit dans certains Ehpad, notamment ceux d’Orpea, était scandaleux, qu’il s’agissait de maltraitance et que les tarifs pratiqués étaient exorbitants. Mais, à la fin, j’entends certains nous annoncer qu’ils ne voteront pas ce texte, car il ne faudrait tout de même pas prendre d’argent aux Ehpad privés…
Quelle autre solution proposez-vous ? Ces Ehpad privés, rappelons-le, bénéficient de fonds publics alors que 85 % des Ehpad publics sont en déficit. J’attends donc vos propositions !
Que propose aussi le Gouvernement ? Cela fait de longs mois qu’un projet de loi sur l’autonomie et le grand âge est annoncé, mais nous ne voyons toujours rien venir. Nous espérons qu’il verra le jour prochainement. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST. – Mme Maryse Carrère applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Bruno Belin, rapporteur. Je vous ai tous écoutés avec grande attention. Par-delà le débat, c’est un défi qui nous attend. En effet, mes chers collègues, tout cela fonctionne avec de l’argent public. L’ARS, c’est de l’argent public. Les dotations des départements, c’est aussi de l’argent public !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Exactement !
M. Bruno Belin, rapporteur. Cela fait vingt-cinq ans que je suis élu départemental, je sais de quoi je parle. D’ailleurs, comment donner aux départements les moyens d’agir à un moment où les conseils départementaux n’ont plus de ressources fiscales dynamiques ? Je ferai une proposition lors de l’examen du projet de loi de finances afin de doper un peu les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) en les augmentant de 1 point. Cela permettrait de dégager des ressources qui pourraient être fléchées, pourquoi pas, vers les compétences sociales des départements.
Quoi qu’il en soit, n’ayons pas le privé honteux. (M. Daniel Salmon proteste.) Au contraire, nous avons besoin de lui !
Je suis rapporteur spécial sur l’immobilier de la gendarmerie nationale : nous signons bien des partenariats public-privé. Quand on construit la ligne à grande vitesse (LGV) Tours-Bordeaux, on recourt aussi à des partenariats public-privé ! Pourquoi ne pas nous appuyer également sur le privé pour les Ehpad d’autant que les collectivités sont en situation de fragilité ? Nous le savons tous, les communes et les départements doivent trouver des solutions.
J’entends qu’il faudrait taxer les superprofits… Mais où sont-ils en 2024 ? Il ne faut pas s’intéresser à la météo d’hier, il faut s’intéresser à ce qui se passe aujourd’hui. Vous brandissez des moyennes, mais je connais tous les groupes et tous les Ehpad. Voyez la liquidation judiciaire de Medicharme !
Nous avons fait des propositions. Nous avons notamment évoqué une nouvelle journée de solidarité : pourquoi pas ? Je salue le courage de Jean-Pierre Raffarin qui, en 2004, avait pris cette initiative. (Protestations sur les travées des groupes SER et GEST.) Cela rapporte 2,4 milliards à la CNSA. La défiscalisation des achats de chambre en Ehpad est aussi un vrai sujet. Voilà autant de questions qu’il nous faudra mettre sur la table le moment venu.
En tout état de cause, une nouvelle taxe est une mauvaise idée au moment où l’on a besoin de tous. Nous devons relever le défi de créer 100 000 places supplémentaires dans les cinq ans à venir. Il faut s’en occuper maintenant, car cela implique également le recrutement de plus de 60 000 salariés en établissement. Or, aujourd’hui, le compte n’y est pas.
Vous avez parlé du qualitatif. Il va aussi falloir se préoccuper de former ces personnes et de financer leur formation.
J’en appelle au bon sens du ministre, dont je ne doute pas. Il faut un fonds de soutien aux établissements. J’espère que nous pourrons en reparler dans les semaines à venir.
Vous l’aurez compris, la commission des finances est défavorable à ce texte, même si j’ai pris connaissance de vos positions avec respect et intérêt.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Paul Christophe, ministre des solidarités, de l’autonomie et de l’égalité entre les femmes et les hommes. Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis ministre depuis seulement trois semaines : je me suis donc attaché à l’urgence !
Mme Cathy Apourceau-Poly. On sait que cela va arriver !
M. Paul Christophe, ministre. La première urgence est de répondre à l’aspect financier de la crise des Ehpad, que vous avez tous souligné. Tout le ministère est mobilisé pour vous apporter des éléments de réponse d’ici à quelques semaines, monsieur le rapporteur.
La deuxième urgence est le projet de loi de financement de la sécurité sociale, dont vous aurez à vous saisir prochainement. J’entends que le président Patrick Kanner est déjà très motivé pour faire des propositions…
Je serai à l’écoute du Sénat, monsieur le rapporteur, car je sais à quel point vous maîtrisez le sujet – j’en veux pour preuve le rapport sur la situation des Ehpad qui a été présenté le 25 septembre dernier dans ces murs. Je sais également que vous avez, pour beaucoup d’entre vous, fait l’expérience de la gestion départementale.
Il existe en effet plusieurs axes de réflexion.
Comme cela est souligné dans le rapport, on enregistre une dégradation du taux de remplissage depuis la crise de la covid-19. Je vous l’accorde, les taux de remplissage sont très disparates selon les territoires : certains atteignent 100 % quand d’autres sont à des niveaux d’occupation bien inférieurs.
Je rappelle également que l’État a augmenté de 50 % depuis 2019 sa participation sur le volet sanitaire. Ce n’est pas neutre.
Par ailleurs, comme vous l’avez signalé à juste titre – car le Sénat, c’est sa force, est connecté avec les territoires –, il importe d’apporter des réponses à partir des besoins des territoires. Il ne s’agira pas forcément de l’hébergement. On voit bien d’ailleurs que les besoins sont connexes : certains ont besoin d’hébergement pour les personnes âgées vieillissantes, d’autres pour les étudiants, d’autres encore ont besoin de solutions de répit – on n’en a pas parlé aujourd’hui, mais je sais que vous vous saisissez du sujet.
Il faut donc aborder la question des Ehpad de manière plutôt horizontale et pas uniquement verticale. L’approche doit être celle des besoins des territoires. Comment transformer l’offre pour répondre à ces enjeux ?
Vous attendez une loi sur le bien vieillir. Pour ma part, je souhaiterais plutôt une loi sur le bien vivre ! (Murmures sur les travées du groupe SER.) Comment bien vivre au sein de sa commune, à partir d’un territoire, dans un Ehpad ? Telle est la problématique dans laquelle nous devrons nous inscrire collégialement. Je ne doute pas de votre volonté au vu de vos nombreuses prises de parole et de la justesse de vos propos. C’est en tout cas l’axe de travail sur lequel je veux m’engager.
On évoquait les moyens en personnel. Dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, 6 500 places supplémentaires seront financées. Bien sûr, il va falloir trouver des candidats : une communication de presse sera lancée à cet effet d’ici à la fin de l’année.
L’idée est aussi de redorer le blason de ces métiers. Je parlais tout à l’heure de diversifier l’offre ; je crois que c’est aussi une question de métier. Si vous dites aujourd’hui à un jeune qu’il va faire du soin à domicile toute sa vie, je ne suis pas sûr que cela le fasse rêver. En revanche, si on lui donne l’opportunité de passer du domiciliaire à l’Ehpad ou à la crèche, cela lui ouvre des perspectives plus intéressantes. Il s’agit de revaloriser les métiers afin de gagner aussi en visibilité. Il y a donc de nombreux points à travailler.
Au-delà d’une grande loi, je préfère me lancer des défis atteignables à court terme, car je suis pragmatique.
Mme Émilienne Poumirol. Oui, mais il faut des moyens !
M. Paul Christophe, ministre. Bien sûr ! J’ai compris que vous serez très proactifs lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. J’écouterai vos propositions avec beaucoup d’attention.
Quoi qu’il en soit, rien ne se fera sans moyens. Nous avons besoin de 100 000 places, mais n’oublions pas non plus la trajectoire du domiciliaire, car il importe d’avoir une vision globale.
Mme Émilienne Poumirol. Là aussi, il faut des moyens !
M. Paul Christophe, ministre. On est d’accord. Il faut des moyens, il faut redonner de l’attractivité aux métiers, il faut redorer leur blason et il faut parler de bien vivre plutôt que de bien vieillir.
J’ai été heureux d’avoir pu aborder tous ces sujets avec vous aujourd’hui. Nous aurons, bien sûr, à y revenir, car c’est une question qui demandera d’autres rendez-vous.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi visant à mettre à contribution les Ehpad privés à but lucratif réalisant des profits excessifs.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 16 :
Nombre de votants | 330 |
Nombre de suffrages exprimés | 328 |
Pour l’adoption | 111 |
Contre | 217 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures cinquante, est reprise à quinze heures cinquante et une.)
M. le président. La séance est reprise.
7
Mécanisme de purge des nullités
Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande de la commission des lois, les explications de vote et le vote sur la proposition de loi visant à sécuriser le mécanisme de purge des nullités, présentée par MM. François-Noël Buffet, Philippe Bonnecarrère et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 660 [2023-2024], texte de la commission n° 25, rapport n° 24).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
La conférence des présidents a décidé que ce texte serait discuté selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre XIV bis du règlement du Sénat.
Au cours de cette procédure, le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission, la séance plénière étant réservée aux explications de vote et au vote sur l’ensemble du texte adopté par la commission.
Texte élaboré par la commission
M. le président. Je donne lecture du texte élaboré par la commission.
proposition de loi visant à sécuriser le mécanisme de purge des nullités
Article 1er
Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° (Supprimé)
2° Le second alinéa de l’article 178 est complété par les mots : « , hors le cas où les parties n’auraient pu les connaître » ;
3° Le dernier alinéa de l’article 179 est complété par les mots : « , hors le cas où les parties n’auraient pu les connaître » ;
4° Le quatrième alinéa de l’article 181 est complété par les mots : « et hors le cas où les parties n’auraient pu les connaître » ;
5° L’article 269-1 est ainsi modifié :
a) (Supprimé)
b) Au dernier alinéa, après les mots : « ce recours, », sont insérés les mots : « et hors le cas où les parties n’auraient pu les connaître, » ;
6° La première phrase de l’article 305-1 est ainsi rédigée : « L’exception entachant la procédure qui précède l’ouverture des débats et tirée d’une nullité autre que celles purgées par la décision de renvoi devenue définitive ou en application de l’article 269-1 ou d’une nullité qui n’aurait pu être connue antérieurement à la date à laquelle la décision de mise en accusation est devenue définitive doit, à peine de forclusion, être soulevée dès que le jury de jugement est définitivement constitué. » ;
7° Le premier alinéa de l’article 385 est ainsi modifié :
a) (Supprimé)
b) Est ajoutée une phase ainsi rédigée : « Lorsqu’il est saisi par le renvoi ordonné par le juge d’instruction ou la chambre de l’instruction, il ne peut connaître que de moyens de nullité qui n’ont pu être connus par la partie qui les soulève avant la clôture de l’instruction ou avant l’expiration des délais d’un mois ou de trois mois prévus par l’article 175. » ;
8° (nouveau) Au deuxième alinéa du même article 385, après les mots : « l’article 184 », sont insérés les mots : « , et lorsque cette défaillance ne procède pas d’une manœuvre de la partie concernée ou de sa négligence ».
Article 2
Le premier alinéa de l’article 804 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :
« Le présent code est applicable, dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … visant à sécuriser le mécanisme de purge des nullités, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna, sous réserve des adaptations prévues au présent titre et aux seules exceptions : ».
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du texte adopté par la commission, je vais donner la parole, conformément à l’article 47 quinquies de notre règlement, à la rapporteure de la commission des lois pendant sept minutes, puis au Gouvernement et, enfin, à un représentant par groupe pendant cinq minutes.
La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Isabelle Florennes, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi qui est soumise au Sénat aujourd’hui, après avoir été examinée par la commission des lois selon la procédure de législation en commission, traite d’un sujet aride, mais essentiel sur le plan opérationnel, à savoir le mécanisme de purge des nullités.
L’actualité le montre : les nullités peuvent avoir des effets dévastateurs sur une procédure, et leurs conséquences sont d’autant plus lourdes qu’elles sont découvertes tardivement.
La presse évoquait, encore récemment, le cas de personnes accusées de se livrer au trafic de drogue qui ont été libérées en raison de nullités affectant leur placement en détention provisoire.
Certes, il est parfaitement logique dans un État de droit que les vices graves de procédure se traduisent par l’annulation de l’acte concerné, mais il est tout aussi indispensable d’assurer la bonne administration de la justice en évitant les recours dilatoires ou les annulations prononcées au dernier moment.
C’est pour concilier ces deux objectifs apparemment contradictoires que le législateur a mis en place, dès le début des années 1990, des outils visant à purger les nullités.
Ils s’appliquent notamment dans le cadre des procédures d’information judiciaire puisque celles-ci permettent aux parties de soulever les nullités devant le juge d’instruction tout au long de ses investigations.
En contrepartie, l’ordonnance de renvoi de l’affaire devant une juridiction de jugement couvre toutes les nullités antérieures à la clôture de l’instruction.
Cette pratique peut paraître marginale dans un contexte où les informations judiciaires représentent moins de 2 % du total des dossiers qui passent devant le tribunal correctionnel.
Ce sont toutefois les affaires les plus graves, les plus techniques ou les plus complexes qui sont concernées – je pense, par exemple, aux « gros » dossiers de narcotrafic, ou encore à la délinquance économique et financière –, si bien que le sujet de la purge des nullités est tout sauf anecdotique.
Ces rappels étant faits, j’en arrive à la proposition de loi qui nous occupe aujourd’hui.
Déposé par Philippe Bonnecarrère et François-Noël Buffet en juin 2024, le texte trouve son origine dans une censure prononcée par le Conseil constitutionnel le 28 septembre 2023 à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur la purge des nullités en matière correctionnelle.
En pratique, le requérant avait découvert une cause potentielle de nullité après la clôture de l’instruction, alors même que le vice supposé s’était produit pendant l’instruction elle-même : ainsi, la purge était intervenue sans qu’il ait eu l’occasion de faire valoir ses arguments.
Le Conseil constitutionnel a estimé qu’une telle situation « méconnaissait le droit à un recours juridictionnel effectif et les droits de la défense » et qu’il appartenait au législateur de prévoir des exceptions à la purge des nullités « dans le cas où le prévenu n’aurait pu avoir connaissance de l’irrégularité éventuelle d’un acte ou d’un élément de la procédure que postérieurement à la clôture de l’instruction ».
C’est ainsi que le Conseil constitutionnel a censuré une partie de l’article 385 du code de procédure pénale, en reportant l’effet de cette abrogation au 1er octobre 2024. Or, faute pour le législateur d’avoir pu modifier la loi en temps utile, il n’y a plus, depuis cette date, de purge des nullités devant les tribunaux correctionnels.
Il nous appartient d’agir sans tarder pour combler cette lacune ; c’est ce que nous permet la présente proposition de loi.
Comme son intitulé l’indique, ce texte s’attache à sécuriser le mécanisme de purge des nullités dans l’ensemble de notre droit, et pas seulement en matière correctionnelle : on ne peut que s’en réjouir.
Concrètement, la proposition de loi prévoit d’exclure du mécanisme de purge des nullités tous les vices de procédure que les parties ne pouvaient pas connaître avant la clôture de l’instruction, ce qui répond directement à la décision du Conseil constitutionnel. Il est proposé d’appliquer ce principe non seulement à la matière correctionnelle, mais aussi dans les domaines contraventionnel et criminel.
Globalement, le texte constitue une réponse pertinente et équilibrée à la censure prononcée par le juge constitutionnel : nous en avons donc préservé l’économie générale.
Pour autant, nous avons souhaité apporter des correctifs sur deux sujets, grâce à des amendements que j’ai déposés et qui ont été adoptés par la commission avec l’assentiment du Gouvernement.
Ces amendements visent, notamment, à préciser que l’ignorance de la personne mise en cause pour un délit ne peut lui profiter qu’en l’absence de manœuvre ou de négligence de sa part : c’est une reprise de ce que nous avons prévu, depuis 2021, dans le domaine criminel, et c’est la retranscription d’un principe consacré par la jurisprudence de la Cour de cassation.
Ces amendements sont venus, par ailleurs, recentrer la gestion des nullités sur les juridictions du fond.
En effet, le texte initial de la proposition de loi créait involontairement des ambiguïtés ou des doublons en confiant cette compétence à la fois au juge du fond et aux chambres de l’instruction ou à leur président, ce qui n’était pas opportun pour la lisibilité de notre droit.
Mais, surtout, cela créait également un risque d’engorgement des juridictions d’instruction, déjà bien chargées. C’est pourquoi nous avons simplifié le dispositif et prévu que les juridictions du fond, et elles seules, seraient compétentes pour connaître des nullités que les parties ne pouvaient pas connaître avant la clôture de l’instruction : il me semble qu’il s’agit là d’une mesure de bonne administration de la justice.
Pour conclure, mes chers collègues, je me félicite que le Sénat prenne ses responsabilités en adoptant une proposition de loi urgente et nécessaire. Cet état d’esprit s’est exprimé en commission : le texte a été adopté dans un climat de large consensus, et je tiens à vous en remercier.
Monsieur le garde des sceaux, je vous l’ai dit lors de notre réunion : j’en appelle au Gouvernement pour assurer l’adoption rapide du texte par l’Assemblée nationale. Les juridictions nous regardent, elles attendent avec impatience que nous puissions agir : à nous d’être au rendez-vous de leurs légitimes attentes.
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, la proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui fait suite à la décision du Conseil constitutionnel du 28 septembre 2023, qui a censuré une partie de l’article 385 du code de procédure pénale.
Dans sa décision, le Conseil constitutionnel a jugé que le mécanisme de purge des nullités devant le tribunal correctionnel n’était pas conforme au droit à un recours juridictionnel effectif, ainsi qu’aux droits de la défense.
Ce mécanisme encadre en effet le droit, pour les parties, de soulever des nullités au cours de l’information judiciaire, puis devant le tribunal correctionnel.
En application de ce principe, aucune nullité relative aux actes de procédure réalisés durant l’information judiciaire ne peut être soulevée à l’audience dès lors que le tribunal a été saisi à l’issue de cette même information judiciaire.
Il s’agit de la contrepartie logique de la possibilité donnée aux parties de soulever des nullités au cours de l’information judiciaire : devant le tribunal, les parties ne sont plus recevables à les soulever, puisqu’elles ont la faculté de le faire tout au long de la procédure d’instruction.
Le Conseil constitutionnel a toutefois censuré l’article 385 du code de procédure pénale, au motif qu’il ne permettait pas à une partie de soulever une nullité devant le tribunal alors même qu’elle n’avait eu connaissance de cette nullité que postérieurement à la clôture de l’information.
Les effets de l’abrogation ont été reportés au 1er octobre 2024, d’où l’urgence de la présentation d’un texte devant le Parlement ! De fait, depuis cette date, le dispositif de purge des nullités devant le tribunal correctionnel n’est plus applicable.
Il apparaît indispensable de rétablir ce mécanisme. C’est précisément l’objet de la proposition de loi, et je tiens, à cet effet, à remercier le Sénat pour la qualité et la rapidité du travail mené au regard de l’échéance prévue par le Conseil constitutionnel.
Le mécanisme de purge des nullités est essentiel. Il permet de sécuriser les procédures en cours et de limiter les recours dilatoires, afin d’éviter une remise en cause tardive de la procédure, alors même que les parties disposent du droit de saisir la chambre de l’instruction tout au long de la procédure, et que cette chambre peut également relever d’office tout moyen de nullité à l’occasion de l’examen de la régularité de la procédure.
Ce dispositif est d’autant plus nécessaire que, lorsqu’un acte procédural est annulé, tous les actes subséquents le sont également, ce qui peut parfois conduire à l’annulation de pans entiers de dossiers de procédures longues et complexes.
Ce mécanisme contribue à la bonne administration de la justice, comme vous l’avez souligné, madame la rapporteure.
Il constitue l’une des spécificités de la procédure d’information judiciaire : il est le corollaire d’un cadre procédural qui accorde une place renforcée au principe du contradictoire, et sécurise davantage les procédures d’instruction que les enquêtes préliminaires ou de flagrance, pour lesquelles le contrôle des nullités ne s’exerce qu’au stade de l’audience de jugement.
La proposition de loi rétablit le mécanisme de purge des nullités devant le tribunal correctionnel, tout en ajoutant l’exception résultant de la décision du Conseil constitutionnel, c’est-à-dire en permettant qu’une nullité puisse toujours être soulevée si la partie n’a pas pu en avoir connaissance avant la clôture de l’instruction.
Par cohérence, et au-delà de ce que prévoit la décision du Conseil constitutionnel, qui ne porte que sur la matière délictuelle, la proposition de loi prévoit cette possibilité devant l’ensemble des juridictions répressives – cour d’assises, cour criminelle départementale, tribunal de police.
Par ailleurs, l’un des trois amendements de Mme la rapporteure adoptés par la commission tend à simplifier les règles relatives à l’examen des moyens de nullité qui n’auraient pas pu être invoqués avant l’expiration des délais faute d’avoir été connus, en le confiant à la juridiction correctionnelle ou criminelle compétente sur le fond de l’affaire concernée.
Cette modification simplifie le dispositif tout en assurant au justiciable la possibilité de soulever la nullité d’un acte non couverte par les purges, conformément aux exigences du Conseil constitutionnel.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est favorable à l’adoption de la proposition de loi, telle qu’elle est issue des travaux en commission des lois, et tout est fait, madame la rapporteure, pour que l’examen de ce texte soit inscrit rapidement à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.
M. le président. La parole est à M. Michel Masset, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Michel Masset. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, malgré un contexte contentieux et des requérants atypiques, nous voilà face à un texte qui appelle finalement peu de commentaires sur le fond. Nous comprenons très bien la motivation du Conseil constitutionnel qui a conduit à la censure du mécanisme de purge des nullités.
Comme l’ont souligné les orateurs précédents, l’article 385 du code de procédure pénale méconnaissait le droit à un recours juridictionnel effectif, ainsi que les droits de la défense. En effet, il ne prévoyait aucune exception à la purge des nullités dans le cas où un prévenu n’aurait pu avoir connaissance de l’irrégularité que postérieurement à la clôture de l’instruction.
Dès lors, il a été nécessaire de censurer le dispositif et, par conséquent, de laisser au législateur le soin d’en penser un nouveau. Pour le faire, cette proposition de loi reprend la solution esquissée par le Conseil constitutionnel.
Ainsi, les parties pourraient soulever, en matière correctionnelle, le moyen d’une nullité qui « n’aurait pu être connue antérieurement » à deux périodes alternatives : soit dès l’avis de fin d’information et jusqu’à l’ordonnance de règlement du juge d’instruction ; soit devant le tribunal correctionnel, lorsque la partie n’a pu avoir connaissance de la nullité qu’après la clôture de l’information.
Surtout, ce texte retient une rédaction large, visant tous les types de juridictions, afin d’écarter le risque d’une censure ultérieure fondée sur des motifs analogues.
Tout ce qui a été établi par notre assemblée, et plus spécifiquement par la commission des lois, va donc dans la bonne direction.
Je veux saluer l’initiative sénatoriale de François-Noël Buffet et Philippe Bonnecarrère, qui ont saisi l’occasion de s’emparer d’une problématique plutôt aride et peu accessible aux citoyens non juristes. Je veux également dire notre intérêt pour les travaux de notre rapporteure, Isabelle Florennes.
Aussi, notre groupe n’a pas d’observation particulière à faire sur ce nouveau dispositif. Nous le voterons sans difficulté.
Cela étant, il y a peut-être davantage à dire sur la façon dont s’est déroulé ce correctif constitutionnel, car il reste inquiétant de constater que la censure du Conseil constitutionnel est effective depuis maintenant quelque temps, alors que celui-ci avait laissé un délai d’un an pour légiférer. Combien de procédures pourraient être ainsi fragilisées ?
Nous entendons souvent les agacements exprimés à l’encontre du gouvernement des juges en général et du Conseil constitutionnel, qui se substituerait au législateur et à l’exécutif. Cette fois, c’est à notre tour de nous montrer critiques sur nos propres défaillances face à l’action des juridictions.
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’un tel vide est observé en matière de justice. Je pense, par exemple, à la proposition de loi de notre ancien président Jean-Claude Requier, qui visait à compléter les dispositions relatives aux modalités d’incarcération ou de libération à la suite d’une décision de cour d’assises.
Dans cet autre cas, il fallait combler une carence après l’adoption d’un projet de loi. Ce n’était pas exactement la même situation, mais le même sentiment en ressortait : celui d’une forme d’oubli, en même temps qu’un calendrier législatif mal agencé.
Depuis quelques semaines, nous avons un nouveau gouvernement, au sein duquel figurent d’anciens sénateurs et sénatrices. J’espère qu’il aura à cœur d’éviter des situations de ce genre à l’avenir !
Le groupe du RDSE, nourri de sa pluralité, votera évidemment en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-Michel Arnaud. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, avant tout chose, je tiens à féliciter Mme la rapporteure pour la qualité du travail réalisé, poursuivant ce qu’avait fait notre collègue Philippe Bonnecarrère au sein de notre groupe.
Le mercredi 9 octobre dernier, la commission des lois a examiné, selon la procédure de législation en commission, la proposition de loi visant à sécuriser le mécanisme de purge des nullités.
Qu’est-ce qu’une nullité en droit ? En matière pénale, dès lors qu’un acte est affecté d’un vice grave de procédure, il peut être déclaré nul, c’est-à-dire qu’il est interdit de faire référence, dans toute la suite des investigations et du jugement, non seulement à cet acte lui-même, mais aussi à l’ensemble des actes associés. C’est pourquoi a été créé un mécanisme visant à purger ces nullités, lequel revient à considérer que toute nullité antérieure à la clôture d’une instruction est couverte par l’ordonnance de renvoi devant une juridiction de jugement.
En ce sens, l’article 385 du code de procédure pénale prévoyait que le tribunal correctionnel a qualité pour constater les nullités qui lui sont soumises, « sauf lorsqu’il est saisi par le renvoi ordonné par le juge d’instruction ou la chambre de l’instruction ».
Néanmoins, dans sa décision du 28 septembre 2023, déjà évoquée, le Conseil constitutionnel a censuré la dernière partie de phrase, au motif que cette exception méconnaissait le droit à un recours juridictionnel effectif et les droits de la défense. Malgré cette censure, il a reporté l’effet de cette abrogation au 1er octobre 2024, l’abrogation immédiate de ces dispositions étant de nature à « entraîner des conséquences manifestement excessives ».
Par conséquent, depuis cette date, le régime transitoire ayant pris fin, le mécanisme de purge des nullités n’est plus opérant, ce qui représente un réel risque de fragilité procédurale et d’instabilité juridique pour un ensemble d’affaires souvent complexes. Il s’agit, en somme, de préserver la bonne administration de la justice.
Le présent texte, déposé par nos anciens collègues François-Noël Buffet et Philippe Bonnecarrère, s’attache ainsi à sécuriser le mécanisme de purge des nullités dans l’ensemble de notre droit.
Pour ce faire, l’article 1er prévoit d’exclure du mécanisme de purge des nullités tous les vices de procédure que les parties ne pouvaient pas connaître avant la clôture de l’instruction, ce qui répond directement à la décision du Conseil constitutionnel.
L’article 2 prévoit l’application du texte en outre-mer, ce qui est tout de même la moindre des choses.
Alors que la commission des lois a adopté trois amendements de Mme la rapporteure visant à prévenir tout risque de nouvelle censure, le Sénat doit désormais prendre ses responsabilités, en adoptant cette proposition de loi pertinente et équilibrée.
Vous l’aurez compris, sans suspense, le groupe Union Centriste votera en faveur de son adoption. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Ian Brossat, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
M. Ian Brossat. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, à la suite de l’abrogation de dispositions du code de procédure pénale par le Conseil constitutionnel il y a un peu plus d’un an, nous avons aujourd’hui à nous prononcer sur un texte permettant de sécuriser le mécanisme de purge des nullités.
Pour revenir sur le contexte de cette décision, rappelons que les sages de la rue de Montpensier avaient été saisis à l’époque par un ancien Premier ministre, pour des motifs que je n’ai pas besoin de rappeler ici.
Dans sa décision du 28 septembre 2023, le Conseil constitutionnel avait jugé que le mécanisme de purge des nullités en matière constitutionnelle prévue par l’article 385 du code de procédure pénale n’était pas conforme au droit à un recours juridictionnel effectif et aux droits de la défense. La juridiction constitutionnelle avait alors censuré une partie de cet article, nous donnant un an pour voter une loi afin de corriger les effets de cette abrogation.
Le gouvernement précédent ayant tardé à se saisir de ce dossier, il est désormais urgent que nous nous emparions de la question des purges de nullité.
La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, socle de notre État de droit, dispose, en son article 16, que « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».
Découle de ce principe fondateur le droit à un recours juridictionnel effectif et le droit à un procès équitable, droits sur lesquels s’est appuyé le Conseil constitutionnel pour rendre sa décision précitée qui nous pousse à légiférer aujourd’hui.
Le Conseil contrôle, en effet, les dispositions législatives déjà en application qui portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution. Il œuvre ainsi au respect de l’État de droit.
En dépit des apparences, le mécanisme de purge des nullités est loin d’être anecdotique.
Notre État de droit a été acquis par le peuple au moyen de luttes politiques et sociales nous permettant aujourd’hui de connaître des droits fondamentaux protégés et des pouvoirs séparés. Il est important de se battre encore et toujours pour le défendre, pour le protéger, et force est de constater que ce combat demeure d’actualité.
Nous voterons naturellement ce texte, soucieux de ne pas mettre à mal nos juridictions déjà abîmées par tant d’années de détérioration, mais nous resterons évidemment vigilants sur la protection de notre État de droit, que nous continuerons à défendre.
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, avant toute chose, je souhaite mettre fin au suspense (Sourires.) et confirmer que le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera cette proposition de loi.
J’aimerais remercier François-Noël Buffet, Philippe Bonnecarrère et leurs collègues, ainsi que Mme la rapporteure, pour leur travail méticuleux.
Comme vous l’avez dit, madame la rapporteure, le sujet de cette proposition de loi relative au mécanisme de purge des nullités est relativement aride.
Mes collègues l’ayant très bien fait, je ne reviendrai pas sur les raisons pour lesquelles notre code de procédure pénale contenait une disposition potentiellement contraire au droit à un recours effectif ou pour lesquelles le Conseil constitutionnel l’avait invalidée en 2023, non plus que sur celles pour lesquelles la sécurisation de ce mécanisme est utile aujourd’hui.
Je veux simplement dire deux choses.
La première est que le législateur avait un an pour résoudre ce problème. Nous nous félicitons que ce soit fait aujourd’hui, mais peut-être le Gouvernement aurait-il pu inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour d’une semaine gouvernementale : cela aurait pu libérer du temps précieux pour des initiatives sénatoriales un peu moins arides…
Si le second point que je souhaite évoquer à l’occasion de cette intervention est, à première vue, anodin, il en dit long sur l’état de notre système judiciaire.
Alors que les auteurs de la proposition de loi avaient prévu de laisser aux juridictions d’instruction le soin d’examiner les moyens de nullité dans certains cas, l’un des amendements adoptés assigne cette responsabilité à la juridiction compétente au fond. Puisque les juridictions d’instruction sont déjà surchargées, il est impossible de leur assigner cette compétence, explique l’exposé des motifs !
Désormais, nous adaptons la procédure pénale non pas tant pour tenir compte des droits des justiciables que pour intérioriser le sous-financement chronique de l’institution judiciaire. Cela nous dit bien que le moment ne doit pas être aux coupes budgétaires, bien au contraire !
J’en profite pour saluer l’engagement du garde des sceaux pour obtenir une hausse des crédits du ministère de la justice ; je veux l’assurer du soutien évident des écologistes sur ce point. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Christophe Chaillou, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Christophe Chaillou. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons résulte de la décision rendue en septembre 2023 par le Conseil constitutionnel en réponse à une question prioritaire de constitutionnalité relative au mécanisme dit de purge des nullités en matière correctionnelle.
Sans se prononcer sur le fond, le Conseil a en effet décidé de censurer une partie de l’article 385 du code de procédure pénale, considérant qu’il ne pouvait être conforme à la Constitution dès lors qu’il ne permettait pas à la défense de soulever un vice de procédure qu’elle ne pouvait connaître au moment de l’instruction.
Cette décision s’inscrit dans la volonté de renforcer le droit à un recours juridictionnel effectif et à garantir les droits de la défense. Elle permet une meilleure conformité de notre droit avec l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).
Pour éviter des conséquences excessives, l’abrogation décidée par le Conseil constitutionnel ne devait prendre effet qu’à partir du 1er octobre 2024, c’est-à-dire un an après la décision, ce qui laissait un temps raisonnable au Gouvernement pour agir.
Or le précédent gouvernement ne s’est jamais saisi de ce sujet. Nous le regrettons – vous n’y êtes pour rien, monsieur le garde des sceaux –, car la définition d’un cadre régissant le mécanisme des nullités est indispensable pour sécuriser les procédures judiciaires et les droits de la défense dans les affaires correctionnelles, mais également criminelles ou contraventionnelles.
Étant en quelque sorte acculé, à l’approche de la date butoir, le Gouvernement a finalement décidé de soutenir la proposition de loi de nos anciens collègues François-Noël Buffet et Philippe Bonnecarrère, texte qui proposait de corriger l’inconstitutionnalité du premier alinéa de l’article 385 du code de procédure pénale et de préciser un cadre plus clair et plus contraignant pour soulever les nullités de procédure.
Comme pour de nombreux autres textes, la dissolution décidée par le Président de la République a interrompu le processus législatif. Nous sommes donc confrontés à une situation d’urgence, avec la perspective d’un vide juridique qui n’était de toute évidence pas acceptable.
La proposition de loi qui nous est présentée apparaît comme une réponse pertinente et adaptée à la décision du Conseil constitutionnel. Elle permet un équilibre entre le droit à un recours juridictionnel effectif, en laissant la possibilité à la défense de soulever une nullité qu’elle ne pouvait connaître au moment de l’instruction, et la nécessité, parallèlement, de renforcer la sécurité juridique et l’efficacité des procédures.
Son dispositif a vocation à s’appliquer en matière correctionnelle, contraventionnelle et criminelle.
Mes chers collègues, permettez-moi de saluer le travail de Mme la rapporteure, qui, par ses amendements, a saisi l’opportunité de ce texte de loi pour harmoniser et simplifier le dispositif, en confiant l’examen des vices de procédure à la seule juridiction compétente au fond. Cela s’inscrit dans une volonté de simplification attendue et dans le respect complet de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
La présente proposition de loi doit permettre de limiter les abus procéduraux, d’encadrer plus strictement les délais pour invoquer les nullités et de normaliser les irrégularités sans porter atteinte aux droits fondamentaux des justiciables. Il est en effet indispensable de sécuriser les décisions de justice et le droit des victimes, tout en garantissant des procédures rapides et justes.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, et, comme je l’ai indiqué en commission, nonobstant l’origine de cette procédure – je pense notamment à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité –, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera pour ce texte, dans un esprit de responsabilité et d’efficacité, en souhaitant, monsieur le garde des sceaux, que nous puissions avancer rapidement dans l’aboutissement de cette proposition de loi particulièrement bienvenue. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Pierre Jean Rochette. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l’inflation normative est un fléau. Il n’y a sans doute pas de meilleure illustration de cela que la procédure pénale : de 2008 à 2022, le code de procédure pénale est passé de 1 700 articles à 2 400.
L’accumulation de petites réformes successives finit, hélas ! par nuire à la cohérence de l’ensemble. Cette inflation s’accompagne également d’une complexité croissante des procédures. Nous devons à nos concitoyens, particulièrement à ceux qui y sont confrontés, de simplifier ce code.
La refonte du code de procédure pénale devient de plus en plus urgente à mesure qu’elle se fait attendre.
Les États généraux de la justice insistaient déjà sur la nécessité de conduire une étude d’impact sur la faisabilité et l’opportunité de la fusion des cadres d’enquête.
Plus largement, nous devons harmoniser et simplifier l’ensemble de la procédure. Tant que ce chantier ne sera pas mené à bien, nous continuerons d’avoir une procédure pénale juridiquement vulnérable et difficilement praticable. Les manquements sont, dès lors, inévitables.
La sanction prévue pour les manquements les plus graves à la procédure est la nullité des actes concernés. Ce mécanisme est souvent la cible de vives critiques de nos concitoyens, qui n’acceptent pas que la justice relâche un suspect en raison d’un vice de forme. On peut largement les comprendre !
Les citoyens ont raison de s’indigner : la justice devrait être en mesure de respecter les règles de la procédure. L’État de droit est une nécessité absolue : la justice ne peut pas poursuivre les délinquants qui violent la loi si elle ne s’impose pas à elle-même de la respecter.
Benjamin Constant disait que « ce qui préserve de l’arbitraire, c’est l’observance des formes ». C’est bien la procédure qui garantit la tenue d’un procès équitable et qui fonde, ainsi, la légitimité de la justice !
Le mécanisme de purge des nullités est nécessaire, mais la bonne administration de la justice commande également que les motifs de nullité soient soulevés au plus tôt. Cela permettra à certaines d’entre elles d’être régularisées, si cela est encore possible, ou, à défaut, que les conséquences en soient tirées au plus vite, afin que la justice ne travaille pas en vain. Toutes les parties au procès y ont intérêt.
Voilà pourquoi il est prévu que la clôture de la phase de l’instruction purge la procédure des nullités qui n’ont pas été soulevées durant cette phase et qui ne pourront plus l’être ultérieurement.
Depuis le 1er octobre – il en ira ainsi jusqu’à la promulgation du présent texte –, notre système pénal ne connaît plus ce mécanisme de purge des nullités en matière correctionnelle.
Les justiciables sont donc libres de soulever tous les motifs de nullité, à n’importe quel moment de la procédure, avec tous les inconvénients que cela présente. Les affaires concernées ne sont pas nombreuses, mais elles sont les plus graves ou les plus complexes.
La décision du Conseil constitutionnel de septembre 2023, dans la droite ligne de celle de 2021, rappelle que la défense ne peut pas être privée du droit de soulever des motifs de nullité, alors même qu’elle les ignore encore. C’est le caractère équitable du procès qui est en jeu.
Il est néanmoins urgent de rétablir le régime de purge, tout en l’adaptant, pour retrouver l’équilibre entre les droits de la défense et la bonne administration de la justice. C’est précisément l’objet de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui. La rédaction retenue par les auteurs, puis améliorée par Mme la rapporteure, est tout à fait satisfaisante.
Le texte répond aux exigences constitutionnelles et a le mérite d’uniformiser, autant que faire se peut, le régime de purge des nullités sur ce point.
La procédure de législation en commission a démontré son utilité lorsqu’il s’agit d’adopter un texte consensuel et urgent.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires soutiendra, bien entendu, l’adoption de cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Di Folco, pour le groupe Les Républicains.
Mme Catherine Di Folco. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je vous prie de m’excuser si je répète un certain nombre de choses qui ont déjà été énoncées, mais c’est souvent le lot de ceux qui interviennent en fin de discussion générale…
Nous examinons cet après-midi un texte visant à sécuriser le mécanisme de purge des nullités, déposé en juin dernier par nos anciens collègues François-Noël Buffet, alors président de la commission des lois, et Philippe Bonnecarrère.
Cette proposition de loi intervient à la suite de deux décisions du Conseil constitutionnel portant sur le régime de purge des nullités dans le cadre des procédures correctionnelle et criminelle.
Le mécanisme de purge des nullités permet, dans certaines conditions, de rendre irrecevable, devant la juridiction de jugement, toute exception tirée de la nullité de la procédure antérieurement à sa saisine.
La purge, qui peut intervenir de manière progressive, durant l’instruction, ou globalement, à son terme, permet de stabiliser le dossier à l’approche du procès, en évitant l’invocation tardive et/ou à titre purement dilatoire de nullités procédurales. Plus concrètement, cela signifie que l’ordonnance de mise en accusation « couvre » les éventuels vices de procédure qui lui sont antérieurs.
Ce mécanisme, bien que très utile, voire indispensable pour certains dossiers hautement complexes, a été déclaré contraire à la Constitution dans deux décisions récentes du Conseil constitutionnel, fragilisant de nombreuses procédures en cours.
En 2021, le Conseil avait une première fois censuré plusieurs dispositions figurant aux articles 181 et 305-1 du code de procédure pénale, au motif que la personne mise en accusation ne pouvait pas contester les irrégularités en cas de défaut d’information sur la procédure criminelle en cours, c’est-à-dire en cas de défaut de communication d’un acte. Selon le juge, une telle situation portait atteinte aux droits de la défense et au droit au recours juridictionnel.
En réaction à cette première censure, le Parlement avait adopté, à la fin de l’année 2021, une procédure légèrement modifiée afin de permettre, dans certains cas limités, l’invocation de la nullité en matière criminelle après le délai normal de purge.
Or, à la suite d’une décision QPC du Conseil constitutionnel du 28 septembre 2023 relative à la purge des nullités en matière correctionnelle, il est apparu que les garanties offertes par cette exception n’étaient pas suffisantes et ne couvraient pas les cas où la personne intéressée aurait été dans l’incapacité même de connaître, avant la clôture de l’instruction, les informations susceptibles d’avoir une incidence sur la régularité des actes.
À l’occasion de cette décision, le juge constitutionnel a censuré les dispositions de l’article 385 du code de procédure pénale permettant la purge des nullités devant le tribunal correctionnel.
La proposition de loi vise à tirer les conséquences de ces deux censures, en rétablissant le mécanisme de purge des nullités sous une forme compatible avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
La rédaction retenue est suffisamment large et flexible pour couvrir les différents types de juridictions concernés, afin de régler durablement la question. Il s’agit donc d’un texte opérationnel et efficace, destiné à entrer rapidement en vigueur.
Le Conseil constitutionnel avait en effet reporté le plein effet de sa censure d’un an, jusqu’au 1er octobre 2024, date désormais passée. Les circonstances politiques ont malheureusement fait que la présente proposition de loi n’a pu être adoptée avant cette échéance.
De nouvelles questions prioritaires de constitutionnalité portées devant le juge constitutionnel pourraient encore faire tomber d’autres pans du régime des nullités. Il est donc essentiel d’agir vite, avant que les effets collatéraux de cette annulation n’endommagent trop de dossiers.
Pour conclure, je salue la qualité du travail de perfectionnement du texte initial mené par notre rapporteure, Isabelle Florennes, dans le cadre de la procédure de législation en commission.
Monsieur le garde des sceaux, je vous ai entendu nous assurer que ce texte poursuivrait son chemin de façon rapide. Nous comptons sur vous pour qu’il soit examiné à l’Assemblée nationale.
Pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, le groupe Les Républicains votera ce texte.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui aborde un sujet technique et fondamental pour le bon fonctionnement de notre justice : le mécanisme de purge des nullités.
Bien que le sujet puisse sembler complexe, il revêt une importance cruciale pour la sécurité juridique et le bon déroulement des enquêtes et des procès sur l’ensemble du territoire, y compris dans les outre-mer, pris en compte par le texte pour en garantir la bonne application.
Il s’agit ici de trouver un équilibre entre la protection des droits de la défense et la nécessité de clore les procédures judiciaires dans des délais raisonnables.
Il est aujourd’hui impératif de légiférer de nouveau, car, depuis le 1er octobre 2024, il n’existe plus de mécanisme de purge des nullités en matière correctionnelle. Et cela va plus loin : l’ensemble des procédures de purge pourraient être remises en cause, comme l’illustre une question prioritaire de constitutionnalité récemment transmise à la Cour de cassation, qui envisage d’étendre cette jurisprudence au domaine criminel.
C’est dans ce contexte que s’inscrit cette proposition de loi, qui vise à sécuriser le mécanisme en excluant de la purge de nullité les vices que les parties n’auraient pu connaître avant la clôture de l’instruction. Ce dispositif s’appliquera non seulement en matière correctionnelle, mais aussi aux domaines contraventionnel et criminel, pour couvrir l’ensemble des contentieux concernés.
De manière plus détaillée, le texte prévoit que les tribunaux de police, les tribunaux correctionnels et les cours d’assises seront compétents pour examiner ces nullités dans leur domaine respectif, tout en garantissant une procédure simplifiée et conforme aux exigences constitutionnelles.
Le mécanisme proposé est donc à la fois équilibré et adapté aux exigences de notre temps. Les ajustements techniques qui ont été apportés en commission ont permis de clarifier certaines dispositions, notamment pour ce qui concerne l’application dans les collectivités d’outre-mer ou encore pour éviter des chevauchements de compétences entre les juridictions. L’objectif est de simplifier le dispositif tout en assurant son efficacité.
Mes chers collègues, ce texte est une réponse nécessaire à la décision du Conseil constitutionnel, et son adoption permettra de restaurer la stabilité de nos procédures judiciaires. Urgent et essentiel, il répond aux impératifs de justice, dans le respect des droits des parties. Je salue le travail réalisé au Sénat et j’exhorte le Gouvernement et le Parlement à adopter promptement ce texte.
Le groupe RDPI se prononcera en faveur de cette proposition de loi, car il est de notre responsabilité d’agir et de s’accorder au profit du bon fonctionnement de nos juridictions.
M. le président. Je mets aux voix, dans le texte de la commission, la proposition de loi visant à sécuriser le mécanisme de purge des nullités.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. Je constate que la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à seize heures trente-cinq.)
8
Gestion des compétences « eau » et « assainissement »
Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi modifiée
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à assouplir la gestion des compétences « eau » et « assainissement », présentée par M. Jean-Michel Arnaud et plusieurs de ses collègues (proposition n° 556 [2023-2024], résultat des travaux de la commission n° 666 [2023-2024], rapport n° 665 [2023-2024]).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Michel Arnaud, auteur de la proposition de loi.
M. Jean-Michel Arnaud, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour certains, nous vivons aujourd’hui la fin de la guerre de Cent Ans ; pour d’autres, c’est plutôt le début de la guerre de Troie, mais avec une issue heureuse…
Pour ma part, il me semble que l’inscription à l’ordre du jour de ce texte marque la conclusion d’un long chemin. Nous arrivons au terme d’un combat mené par le Sénat depuis plus de dix ans, largement alimenté par les élus locaux de l’ensemble du territoire national. J’ai moi-même porté ce combat dans mon département, en tant que président de l’Association des maires et présidents de communautés des Hautes-Alpes, mais aussi, depuis 2020, en tant que sénateur.
C’est également la fin d’un long cheminement parlementaire. Plusieurs textes ont été déposés ces dix dernières années en vue d’obtenir la suppression de l’obligation de transfert des compétences. Je pense à la proposition de loi de Jean-Yves Roux, sénateur des Alpes-de-Haute-Provence, à la première proposition de loi que j’ai déposée sur le sujet en 2022, et, enfin, au texte que nous examinons aujourd’hui, lequel a permis de conduire un travail législatif qui, je l’espère, aboutira.
Ce texte est également l’aboutissement d’un long engagement transpartisan. Je salue en particulier le travail de Mathieu Darnaud, de Cécile Cukierman, de Jean-Yves Roux, de Marie-Pierre Monier, de Bernard Delcros, de Stéphane Sautarel, d’Alain Marc et de Franck Menonville.
Avec le rapporteur Alain Marc, nous avons mené un important effort de négociation avec les gouvernements successifs. La proposition de loi qui vous est soumise, mes chers collègues, est le fruit d’un compromis amorcé avec Christophe Béchu sous le gouvernement de Gabriel Attal. Grâce à l’écoute et à la détermination de Michel Barnier, qui, outre sa volonté de réduire le déficit, veut renforcer le dialogue entre l’État et les collectivités locales, nous sommes aujourd’hui sur le point de franchir une nouvelle étape en matière de libertés locales.
Je salue également, au-delà de la proposition faite par le Premier ministre de rouvrir la discussion sur le sujet qui nous occupe aujourd’hui, l’engagement de la ministre Françoise Gatel qui, ces dernières heures encore, a fait preuve d’une écoute attentive à l’égard de chacune et de chacun d’entre nous.
Les mesures de ce texte de compromis qui vous est ainsi proposé, et que le rapporteur Alain Marc vous exposera en détail, se déclinent de la manière suivante.
Elles reprennent la ligne constamment défendue par le Sénat, à savoir la suppression de l’obligation de transfert au 1er janvier 2026 pour les communes encore titulaires des compétences « eau » et « assainissement ». Elles pourront ainsi, si elles le souhaitent, les exercer seules.
Nous avons également tranché un autre débat important. Pour trouver une forme d’équilibre, nous avons décidé de nous opposer à tout retour en arrière dans le cas où les compétences auraient déjà été transférées à la communauté de communes lorsque le texte dont nous discutons aura été promulgué.
J’en viens à un autre point, qui était l’un des acquis de la phase de négociation engagée avec Christophe Béchu. Nous avons maintenu la possibilité pour des communes ayant conservé les deux compétences de les déléguer à un syndicat. Après l’entrée en vigueur de la future loi, si des communes transfèrent volontairement ces compétences à des communautés de communes, celles-ci pourront alors les subdéléguer à une commune ou à un syndicat supracommunal – terme qui me paraît préférable à celui d’infracommunautaire. Pour les communes qui sont aujourd’hui en subdélégation, il n’y aura pas de changement.
Enfin – et je crois que c’était là encore un point important dans le dispositif –, il n’est pas question, au travers de ce texte, de revenir en arrière sur l’esprit de coopération intercommunale, de mutualisation, en ce qui concerne des compétences stratégiques comme l’eau et l’assainissement. Il s’agit plutôt de laisser les compromis émerger et les coopérations s’organiser en fonction de la réalité du terrain.
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Jean-Michel Arnaud. Un cours d’eau ne se limite pas à un périmètre administratif : il est soumis à des facteurs d’une autre nature, qui relèvent de l’hydrographie et de l’organisation de son bassin versant.
Pour reprendre les mots de la ministre Françoise Gatel, « l’égalité n’est pas l’uniformité ». On ne gère pas les ressources en eau de la même manière en Île-de-France, en Ille-et-Vilaine, dans les Landes ou dans les Hautes-Alpes, dans un territoire de plaine ou de montagne. L’intercommunalisation forcée de ces compétences a clairement montré ses limites dans un grand nombre de territoires. Nous devons faire preuve d’une souplesse accrue pour améliorer l’efficacité de la gestion de l’eau et de l’assainissement.
En outre, il nous paraît d’autant plus important de mettre en place une gouvernance différenciée de l’eau qu’à l’avenir le réchauffement climatique pourrait conduire à la raréfaction de la ressource. Nous devons nous assurer de la pérennisation de l’exercice de cette compétence.
Au-delà du texte que nous examinons, je veux répondre à un argument que j’ai souvent entendu. Les points noirs cartographiés dans le plan Eau du Gouvernement révèlent des situations d’urgence dans des territoires dans lesquels la ressource semble mal gérée. Mais je le dis avec force : l’expérience du terrain montre que ces situations sont liées non pas au mode de gouvernance, mais à la situation hydrographique du territoire.
Des solutions opérationnelles peuvent être déployées au travers d’une gouvernance communale, tandis que la mutualisation peut être source, dans d’autres situations, d’une gestion bien plus efficace et efficiente. Nous devons donc laisser la main aux collectivités pour qu’elles s’organisent comme elles le souhaitent. L’objectif est de parvenir à une gestion de qualité, sécurisée, qui optimise la ressource.
Pour cela, les différents acteurs doivent engager une phase de réflexion commune. Celle-ci peut se dérouler de manière apaisée, sans anathème, en accordant toute confiance aux élus locaux – ce qui signifie aussi leur reconnaître des responsabilités, qui sont le pendant de la liberté.
Cette responsabilisation doit être partagée. Au travers de ce texte, nous proposons ainsi de donner une mission quelque peu originale aux commissions départementales de coopération intercommunale (CDCI), afin que se noue un débat entre élus pour discuter des situations locales.
Il existe des cas dans lesquels une commune, pour des raisons historiques – un sous-investissement durant des décennies –, apparaît comme le mouton noir d’un territoire : il faut la conduire vers la coopération et la mutualisation. Ce type de commune ne peut en effet rester isolée. Elle doit être accompagnée et encouragée à travailler avec ses voisins, en fonction des moyens et de la disponibilité de la ressource.
Ce débat doit se dérouler dans le cadre de la CDCI. Oui, il est aussi possible de créer de nouveaux syndicats intercommunaux à vocation unique (Sivu). Là aussi, les périmètres doivent être discutés d’abord par les élus, avec les élus, et non pas contre eux – pourquoi pas sous impulsion préfectorale, à condition que celle-ci ne tienne pas lieu d’oukase. Il s’agit de tendre vers un débat apaisé et constructif.
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Jean-Michel Arnaud. C’est la proposition qui est formulée dans ce texte, au travers d’un amendement que le rapporteur présentera de manière plus détaillée.
Enfin, la question des moyens peut être dissociée de celles de la gestion et de l’organisation des compétences.
Oui, nous avons devant nous un mur d’investissements.
Oui, dans certaines communes, le taux de fuite apparaît insupportable alors que la ressource se raréfie.
Oui, nous devons envoyer un signal aux agences de l’eau. Nous devons discuter d’ingénierie territoriale avec elles, et avec les agences départementales, quand elles existent. Il faut aussi mobiliser les supports techniques des intercommunalités, voire en créer. Tout cela doit se faire dans un esprit de coconstruction.
Enfin, nous proposons de rendre possible l’intervention des départements au sein de syndicats mixtes. Avec le conseil départemental, acteur historique de la coopération intercommunale, il sera envisageable de parvenir à des solutions territoriales, en particulier en zone rurale, en encourageant la dynamique partenariale.
En conclusion, la proposition de loi que nous vous soumettons marque d’abord une avancée pour les libertés locales. Elle est également un signe d’apaisement envers les territoires qui ont mal compris qu’on leur impose, dès 2017, certaines dispositions de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), sans évaluation préalable, sans effort de projection ni discussion sur les conséquences d’un transfert dur.
Cette proposition parlementaire vise ainsi à l’apaisement. Nous souhaitons garantir durablement aux communes l’exercice de leurs compétences, dans un rapport de coopération ou de mutualisation avec l’intercommunalité qui soit voulu et non subi. C’est ainsi qu’un dialogue fructueux et constructif pourra se renouer entre les communes et le Gouvernement.
D’autres rendez-vous suivront cette proposition de loi : je pense, notamment, au sujet du « zéro artificialisation nette » (ZAN) et à la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi).
En mettant aujourd’hui le pied à l’étrier, par ce travail de collaboration et de restauration de la confiance, nous contribuons à traiter de nombreuses difficultés à venir pour nos collectivités territoriales. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – MM. Bernard Buis et Daniel Chasseing applaudissent également.)
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Alain Marc, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà bientôt dix ans que notre assemblée s’oppose au transfert obligatoire des compétences « eau » et « assainissement » aux communautés de communes imposé par la loi NOTRe de 2015 et qu’elle cherche à en atténuer les conséquences.
L’examen de la proposition de loi déposée par notre collègue Jean-Michel Arnaud nous offre l’occasion historique de clore ce chapitre et de rendre enfin leur liberté aux communes dans la gestion de l’eau et de l’assainissement, conformément à la position constamment défendue par le Sénat.
L’évolution du contexte politique, dont attestent les récentes déclarations du Premier ministre dans cet hémicycle, nous permet d’envisager la reconstruction d’une relation de confiance que l’intercommunalisation forcée des compétences « eau » et « assainissement » avait fragilisée.
En tant que conseiller municipal d’une petite commune de 215 habitants et conseiller d’une communauté de communes de 5 200 habitants, dont j’ai également été le président, je mesure combien, dans nos territoires ruraux et de montagne, ce sujet suscite inquiétude et incompréhension.
En effet, les attentes des élus locaux sur le terrain nous obligent : l’échéance du 1er janvier 2026, date à compter de laquelle doit intervenir le transfert obligatoire des compétences, approche à grands pas. Plus que jamais, nous avons le devoir d’apporter une réponse sans équivoque à leurs inquiétudes légitimes.
C’est dans cette perspective que s’est placée la commission des lois pour conduire ses travaux sur ce texte, travaux qui ont débuté il y a plus de quatre mois.
Vous l’aurez compris, je partage pleinement l’objectif exprimé par le texte de Jean-Michel Arnaud : il nous faut redonner de la souplesse aux communes, qui sont les mieux placées pour juger de l’échelle la plus pertinente pour l’exercice des compétences « eau » et « assainissement ».
Permettez-moi, mes chers collègues, de rappeler quelques éléments de contexte de ce dossier.
En matière d’eau et d’assainissement, le Gouvernement a brutalement remis en cause la liberté des communes par le biais de simples amendements déposés à l’Assemblée nationale lors de l’examen du projet de loi NOTRe en 2015. L’objectif était de rendre obligatoire le transfert de ces compétences aux communautés de communes et d’agglomération, à l’instar de ce qui était déjà prévu pour les communautés urbaines et les métropoles.
Consciente des difficultés que cette obligation de transfert allait causer aux communes rurales et de montagne, notre assemblée s’y était alors opposée, et elle avait obtenu, en commission mixte paritaire, un report au 1er janvier 2020. Il s’agissait du premier aménagement obtenu par le Sénat, et il a été suivi d’une longue série.
En 2018, la loi relative à la mise en œuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes, dite loi Ferrand, a permis le report de l’échéance au 1er janvier 2026, sous réserve que les communes parviennent à réunir une minorité de blocage.
En 2019, la loi relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, dite loi Engagement et Proximité, a créé un mécanisme très encadré de subdélégation, permettant aux communautés de communes de déléguer les compétences « eau » et « assainissement » à une commune membre ou à un syndicat infracommunautaire, à condition que ce syndicat soit existant au 1er janvier 2019.
En 2022, la loi 3DS, relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, a apporté un assouplissement supplémentaire en permettant le maintien par principe des syndicats infracommunautaires existant lors de la prise de compétence de l’intercommunalité au 1er janvier 2026.
Or les assouplissements successifs consentis pour atténuer les effets d’un transfert obligatoire imposé aux communes, en méconnaissance des réalités du terrain, ont conduit à une situation d’une grande complexité. Les associations d’élus m’ont notamment fait part de l’incompréhension et de la confusion suscitées par les conventions de délégation.
Le risque d’une augmentation de la facture pour les usagers, l’affaiblissement du lien entre le maire et ses administrés, la nécessité de maintenir une fine connaissance des réseaux existants ou encore l’absence de correspondance entre les périmètres intercommunaux et les bassins hydrographiques, évoquée par l’auteur de la proposition de loi, sont autant d’arguments qui plaident en faveur d’une gestion différenciée des compétences « eau » et « assainissement ».
La coexistence de communautés de communes ne souhaitant pas exercer ces compétences et de communes désireuses de préserver une gestion au plus proche des réalités de leur territoire démontre, s’il le fallait encore, le non-sens que constitue ce transfert obligatoire dont l’échéance est désormais très proche.
Si le cadre législatif n’évolue pas, le transfert des compétences aura lieu le 1er janvier 2026, avec d’importantes conséquences pour les 3 600 communes qui exercent seules les compétences et les syndicats de communes, qui seront obligés de recourir à une subdélégation défaillante.
La proposition de loi que nous examinons repose sur deux principaux axes.
L’article 1er vise à créer une dérogation au bénéfice des communes membres d’une communauté de communes ou d’une communauté d’agglomération située en zone de montagne. Pour ces intercommunalités, les compétences « eau » et « assainissement » redeviendraient facultatives et les communes ayant déjà transféré les compétences pourraient en obtenir la restitution.
Pour les communes membres d’une communauté de communes dont le territoire n’est pas situé en zone de montagne, le transfert des compétences « eau » et « assainissement » demeurerait obligatoire, mais serait assorti de nouveaux assouplissements, prévus aux articles 2 et 3.
En substance, le texte rendrait possible la création de nouveaux syndicats et remplacerait l’obligation de transfert à l’intercommunalité par une obligation de mutualisation des compétences dans des structures syndicales.
Par ailleurs, l’article 4 vise à étendre les possibilités d’intervention des départements en matière de gestion et d’approvisionnement en eau potable, afin de faciliter une gestion à une échelle dépassant les frontières de l’intercommunalité.
Comme je vous l’indiquais en préambule, nous avons mené un intense travail collectif afin de trouver la voie la plus satisfaisante pour nos communes, compte tenu de l’imminence de l’échéance de 2026 et des intentions nouvellement exprimées par le Gouvernement.
Je tiens particulièrement à remercier mes collègues Mathieu Darnaud, Jean-Michel Arnaud, Cécile Cukierman, Jean-Yves Roux, Franck Menonville et Paul Toussaint Parigi pour leur précieuse contribution aux discussions qui ont conduit à la solution d’équilibre que je m’apprête à vous présenter.
Ainsi, mes chers collègues, je vous proposerai d’adopter un amendement de réécriture globale de l’article 1er qui repose sur deux piliers.
D’une part, les communes qui n’ont pas encore transféré les compétences « eau » et « assainissement » à leur communauté de communes ne seront plus obligées de procéder à ce transfert au 1er janvier 2026. Elles retrouveront leur entière liberté.
D’autre part, le dispositif ne permettra pas aux communes qui ont déjà transféré les compétences de revenir en arrière. Les transferts déjà effectués ne seront pas remis en cause.
Parallèlement, je vous proposerai un autre amendement visant à organiser un dialogue territorial régulier sur l’exercice des compétences « eau » et « assainissement » au sein de la CDCI. Redonner leur liberté aux communes n’empêche pas de les accompagner, et de rechercher les meilleures solutions de mutualisation au regard des enjeux de qualité et de quantité d’eau.
En somme, mes chers collègues, les orientations que vous propose la commission des lois reposent sur trois principes : la liberté, la stabilité et la responsabilité.
La liberté, car le cœur de notre engagement a toujours consisté à faire confiance à l’intelligence locale. Les maires sont les mieux placés pour déterminer l’échelle de mutualisation la plus pertinente.
La stabilité, car nous souhaitons clore ce chapitre et prévenir l’émergence des nouveaux contentieux qui risqueraient de naître si nous permettions la remise en cause des transferts déjà effectués.
La responsabilité, enfin, car nous sommes résolus à faire aboutir ce texte de bon sens et d’équilibre. J’en appelle donc à la volonté du Gouvernement, à qui il appartiendra de le faire prospérer en l’inscrivant rapidement à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, lors d’une semaine gouvernementale. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée auprès de la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation, chargée de la ruralité, du commerce et de l’artisanat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà peut-être aujourd’hui la fin d’un feuilleton qui a débuté en 2015 et qui connut de nombreux épisodes, au Sénat et dans nos territoires. Cette longue histoire trouve son origine dans la loi NOTRe, qui a parfois corseté et uniformisé notre pays sans tenir compte de la diversité de ses territoires et de la nature des sujets.
L’injonction très vertueuse de la préservation de la ressource en eau a, pour partie, oublié que celle-ci ne s’enferme pas dans un périmètre administratif, mais qu’elle coule au fil des bassins versants.
Alors que la loi doit protéger la nature comme les hommes, elle a tenté d’uniformiser la première, voulant à tout prix faire d’un jardin à l’anglaise un jardin à la française.
Tirons des leçons de cette erreur, et mettons fin aux lois qui contraignent, obligent et interdisent. Préférons les lois qui assouplissent et facilitent, en ayant comme boussole la confiance en nos élus locaux et en leur sens des responsabilités.
M. Loïc Hervé. Excellent !
M. Jean-Raymond Hugonet. Très bien !
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. C’est dans cet esprit que le Premier ministre a affirmé devant vous, ici, sa volonté de travailler en partenariat avec les parlementaires et les élus locaux, en mettant l’écoute et le dialogue au cœur de celui-ci. Ce texte est la preuve que nous joignons les actes aux paroles.
Cela fait dix ans, mesdames, messieurs les sénateurs, que les compétences « eau » et « assainissement » ne cessent de faire l’objet de débats nourris, de propositions alternatives et d’échanges entre le Parlement et les gouvernements successifs.
Si la tension grandissante sur la ressource en eau nous appelle collectivement à une exigence accrue de sécurisation des approvisionnements, au bénéfice de nos agriculteurs, de nos entreprises et de nos concitoyens, elle invite également à un effort inédit d’investissement dans nos infrastructures, afin d’assurer une qualité et une plus grande efficience du service public de l’eau. Face aux enjeux qualitatifs autant que quantitatifs de la ressource en eau, il nous faut conjuguer au mieux liberté et responsabilité de choix pour les communes, et facilitation des mutualisations, car celles-ci restent souhaitables.
L’examen de cette proposition de loi nous donne l’occasion d’avancer sur ce sujet. Il est un signal clair de la volonté du Gouvernement qui, dès le 9 octobre dernier, a enclenché la procédure accélérée sur ce texte.
Je veux remercier le Sénat et son président, Gérard Larcher, ainsi que le président Darnaud, la présidente Cukierman, Jean-Michel Arnaud, Jean-Yves Roux et Alain Marc pour leur engagement sans faille. Ils nous ont permis de converger pas à pas vers une position d’équilibre. Je salue également l’excellent travail du rapporteur, avec lequel nous avons pu cheminer dans un esprit de dialogue et d’écoute mutuelle.
Rappelons brièvement l’état du droit en la matière. L’eau et l’assainissement sont une compétence obligatoire pour les métropoles et les communautés urbaines. Le transfert de leur exercice des communes vers les communautés d’agglomération est obligatoire depuis le 1er janvier 2020. Concernant les communautés de communes, ce transfert devenait obligatoire à compter du 1er janvier 2026.
Attentif aux retours d’expérience, aux difficultés rencontrées et aux propositions formulées, le Gouvernement entend répondre en conciliant pérennisation des transferts d’ores et déjà effectifs et reconnaissance d’une nécessaire liberté locale et d’une responsabilité.
Compte tenu de l’important travail préparatoire effectué en vue du transfert des compétences et des considérables moyens techniques et financiers mobilisés, il serait déraisonnable de remettre en cause les transferts déjà réalisés.
Concernant les communautés de communes où le transfert a déjà été effectué, elles pourront, grâce aux amendements portés par le rapporteur, déléguer leurs compétences « eau » et « assainissement » à des syndicats, quelle que soit la date de leur création. Cela paraît constituer une solution de bon sens.
Aussi, le Gouvernement soutient la réécriture de l’article 1er telle qu’elle a été proposée par le rapporteur Alain Marc, qui reprend ces principes et rend facultatif l’exercice de la compétence de gestion de l’eau et de l’assainissement pour les communautés de communes qui n’ont pas encore reçu cette compétence.
Concrètement, une commune n’ayant pas transféré cette compétence à sa communauté de communes à la date de la promulgation de cette loi disposera de trois possibilités : conserver la compétence à l’échelon municipale ; déléguer ou transférer à un syndicat intercommunal ou supracommunal auquel elle aura librement choisi de participer ; transférer la compétence à la communauté de communes. Ainsi, deux communes d’un même établissement public de coopération intercommunale (EPCI) pourront donc choisir une option différente.
En matière d’eau et d’assainissement, comme ailleurs, nous ne sommes pas favorables au mariage forcé : nous prônons plutôt l’union choisie.
M. Michel Masset. Très bien !
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. Toutefois – je l’ai évoqué, tout comme le rapporteur et l’auteur de la proposition de loi –, je sais qu’est partagée sur vos travées cette conviction : les enjeux de préservation, de sécurisation et de qualité de la ressource sont primordiaux, et la liberté donnée s’accompagne d’une responsabilité majeure vis-à-vis des usagers.
Le Gouvernement soutiendra donc l’amendement du rapporteur relatif au dialogue territorial, qui vise à instituer une réunion annuelle de la CDCI spécifiquement dédiée à l’eau. Cet espace de discussion, qui ne constitue en aucun cas une instance normative à l’égard des communes, permettra de favoriser les échanges autour de ces enjeux.
La CDCI pourra formuler, si cela lui paraît pertinent, des propositions tendant à renforcer la mutualisation de la compétence « eau » et « assainissement » à l’échelle départementale. Cette solution permettra de répondre aux objectifs visés au travers de ses amendements par le sénateur Pierre Jean Rochette, que je remercie pour sa contribution au débat.
Je suis intimement persuadée que l’échange de bonnes pratiques est toujours vertueux et que le partage d’expérience dans un cadre de discussion départemental, notamment sur ces enjeux, est bienvenu.
Enfin, la proposition de loi nous invite à nous pencher, à l’article 4, sur la question du mandat de maîtrise d’ouvrage confié au département pour des projets de production, de transport ou de stockage d’eau destinée à la consommation.
Le Gouvernement est favorable à ce dispositif, qui illustre la pertinence du rôle du département en appui aux communes, dans un objectif de mutualisation et d’efficacité. Il soutiendra donc cette proposition, dans la rédaction amendée par le sénateur Franck Menonville, que je remercie également, afin d’assurer sa mise en cohérence avec le projet de loi d’orientation agricole.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur l’auteur de la proposition de loi, mesdames, messieurs les sénateurs, je crois vous avoir exposé avec franchise et conviction le choix du Gouvernement d’une position responsable, souple, respectueuse des spécificités de nos territoires et à la hauteur des enjeux de ce sujet si essentiel. Elle est le fruit d’échanges constructifs entre un gouvernement à l’écoute des élus et un Sénat exigeant mais sage. Je souhaite que cette discussion se déroule dans le même esprit et que nous puissions aboutir ensemble.
Selon un dicton que l’on entend dans certains territoires, « face à la roche, le ruisseau l’emporte toujours, non par la force mais par la persévérance ». Je crois que, sur ce sujet de l’eau, vous avez su être un ruisseau au service de l’océan des possibles, en fonction des nécessités.
Comme l’a dit un grand acteur qui nous a quittés récemment, puissions-nous conclure ce soir ! (Sourires. – Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDPI, INDEP et Les Républicains.)
M. Loïc Hervé. Le bon sens montagnard !
M. le président. La parole est à M. Paul Toussaint Parigi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Paul Toussaint Parigi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le sujet que nous abordons ce jour me tient particulièrement à cœur.
Maire d’une commune pendant vingt ans, président d’une communauté de communes et sénateur d’un territoire essentiellement rural et montagneux, j’ai été, comme nombre d’entre vous, le témoin des grandes inquiétudes qu’a suscité parmi nos élus locaux le projet de transfert forcé des compétences « eau » et « assainissement » d’ici à 2026.
Faisant suite aux reports multiples de cette mesure adoptée dans la loi NOTRe en 2015, et au chemin parlementaire difficile des précédents textes visant à rendre optionnelle la délégation de cette compétence, il nous est aujourd’hui donné l’occasion, grâce à la proposition de loi de notre collègue Jean-Michel Arnaud, d’adapter cette mesure aux réalités concrètes de nos territoires, et de faire entendre la voix des maires en leur laissant le pouvoir de choisir.
Oui, il est temps de réaffirmer, par là même, que la commune reste l’échelon central de la démocratie locale, de montrer aux élus locaux que leur voix porte lorsqu’ils nous alertent sur les problématiques qui les mettent en grande difficulté et lorsqu’ils défendent l’intérêt final de leurs administrés.
S’il n’est pas question de remettre en cause le fait intercommunal, nécessaire à la dynamique territoriale, il s’agit d’apporter de la souplesse et de l’agilité à la mise en œuvre d’une compétence extrêmement technique, dont le transfert à marche forcée dans la ruralité et dans les zones de montagne serait préjudiciable.
Un tel transfert serait préjudiciable, d’abord, parce que les communautés de communes regroupent des territoires n’ayant pas les mêmes bassins hydrauliques. Or la mutualisation calquée sur des périmètres inappropriés, loin de favoriser les économies d’échelle, induira, hélas ! des dépenses coûteuses, voire faramineuses, nécessaires à la mise en réseau. Ce serait regrettable alors que les territoires de montagne connaissent aujourd’hui une qualité d’eau remarquable pour un coût modéré.
Il serait préjudiciable, ensuite, parce que les communes se sont déjà organisées en syndicats, quand cela leur semblait pertinent, pour gérer au mieux la compétence « eau » selon des logiques topographiques, et non au gré des frontières intercommunales.
Il serait préjudiciable, enfin, parce qu’il ferait peser sur le consommateur final un risque réel de surfacturation, induit par les moyens techniques, administratifs et financiers que devront mobiliser les intercommunalités pour la mise en œuvre de cette compétence.
Ayant été témoin du transfert de la compétence « déchets », je peux attester qu’à ce jour la facture a été multipliée par quatre pour nos administrés. Nous conviendrons tous qu’à l’heure de la rigueur budgétaire, dans une logique de rationalisation des dépenses publiques et d’inflation généralisée, mettre en place un tel transfert serait un contresens.
Par ailleurs, je tiens également à alerter sur le risque, à terme, de dépossession de la gestion de l’eau au profit de logiques financières, voire quasi monopolistiques, que nous connaissons déjà dans certaines régions.
Faisons donc confiance aux maires qui, face aux sécheresses répétées, ont encore démontré cet été leur formidable réactivité afin de pourvoir aux besoins en eau des habitants de leurs communes.
Faisons confiance aux maires qui, sur mon territoire, ont, du nord au sud – mon collègue Jean-Jacques Panunzi vous le confirmera –, voté en défaveur de ce transfert obligatoire.
Avançons de manière pragmatique et dépassionnée, loin de toute idéologie, et convenons que la spécificité des situations impose ici de repenser l’action publique locale.
Le risque d’une augmentation de la facture pour les usagers, l’affaiblissement du lien entre le maire et ses administrés, la nécessité de maintenir une fine connaissance des réseaux existants, ou encore l’absence de correspondance entre les périmètres intercommunaux et les bassins hydrographiques sont autant d’arguments qui plaident en faveur d’une gestion différenciée de ces compétences.
Encore une fois, faisons confiance aux maires, car ils connaissent leur territoire et sont en mesure de faire un choix qui répondra à l’intérêt des citoyens. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, RDPI, et Les Républicains.)
M. Jean-Jacques Panunzi. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant de débuter l’examen de cette proposition de loi, dont je remercie l’auteur, j’ai cherché, comme beaucoup d’entre vous certainement, quelle expression populaire sur l’eau – car il en est de nombreuses – pourrait le mieux résumer le combat sénatorial qui nous a rassemblés au fil des années, dans notre diversité, sur la question du transfert des compétences « eau » et « assainissement ».
J’ai finalement retenu cette réplique de cinéma adressée voilà trente-six ans par un fils de bonne famille à sa mère accablée par les turpitudes de la vie : « La vie n’est pas un long fleuve tranquille ! » (Sourires.)
En effet, madame la ministre, et ancienne présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, le parcours des compétences « eau » et « assainissement » dans les communes – et, au-delà, au sein de notre République – n’est pas un long fleuve tranquille ! (Marques d’assentiment.)
En 2014 et 2015, je dénonçais, avec mes collègues du groupe CRCE, les dispositions de la loi NOTRe visant à imposer, de manière autoritaire, la remontée de ces compétences.
En 2017, Mathieu Darnaud déposait une proposition de loi dont l’objet était de revenir sur lesdites dispositions, afin de redonner aux communes qui le souhaitaient les compétences « eau » et « assainissement ».
En 2023, Jean-Yves Roux déposait à son tour une proposition de loi allant dans le même sens.
Et nous voilà réunis aujourd’hui pour examiner la proposition de loi présentée par Jean-Michel Arnaud.
Je me permets de citer chacun de ces collègues sénateurs, comme lors de ces cérémonies d’inauguration où l’on remercie de nombreuses personnes ; ces remerciements, qui peuvent paraître un peu lourds et protocolaires, ont cependant le mérite de mettre en avant les indispensables partenariats ayant permis la réalisation de projets.
Il est en effet indispensable de rappeler le partenariat mis en œuvre pour faire aboutir nos travaux. Cela nous permet d’expliquer à celles et ceux qui nous ont écrit depuis quelques jours et semaines que notre objectif n’est pas de détruire un quelconque processus intercommunal ou de remettre en cause l’existence des communes.
M. Jean-Michel Arnaud. Très bien !
Mme Cécile Cukierman. Qu’un tel projet soit ainsi partagé, au Sénat, peut surprendre ; pour autant, il s’agit d’un engagement réel, qui demain sera utile à notre pays.
Nous voulons rappeler que, pour faire République, un pacte social et politique très fort doit lier nos concitoyens et les élus, que ceux-ci représentent les communes ou qu’ils soient, comme nous, parlementaires. Ce pacte doit être scellé dans la plus grande des proximités, celle qui s’exerce à l’échelon communal.
Nous avons coutume de dire que la commune est la cellule de base de la République parce que c’est dans l’engagement des femmes et des hommes élus que se traduit ce lien. Si nous voulons, demain, répondre collectivement à la crise politique qui nous touche toutes et tous, nous devons préserver la commune, non pas en l’opposant à d’autres collectivités, mais en redonnant ce pouvoir de proximité à tous les élus locaux. (Très bien ! et applaudissements sur de nombreuses travées.) C’est ainsi que nous pourrons refonder ensemble le pacte social de notre République !
Cette proposition de loi, que certains commentateurs qualifieront peut-être de « petite loi », est finalement essentielle parce qu’elle nous permettra de dépasser nos divergences politiques – celles-ci existeront toujours demain, c’est la démocratie –, pour préserver l’intérêt général.
Nous n’avons donc pas voulu ce soir opérer de retour en arrière, détricoter quelque dispositif que ce soit, ou faire courir à notre pays un risque sanitaire…
Notre pays est formidable, contrairement à ce que j’ai pu lire et entendre ces dernières semaines. Ainsi, une commune du département de la Loire, Thélis-la-Combe, qui compte quelques centaines d’habitants et qui exerce directement la compétence « eau », se voit imposer les mêmes normes sanitaires que la Ville de Paris.
Notre pays est formidable parce qu’il accorde la liberté à l’échelon local, tout en garantissant à chacune et chacun d’entre nous, quelle que soit sa condition sociale et territoriale, la sécurité, celle qui permet de vivre sa vie.
Notre pays est formidable, enfin, parce que nous allons voter ce soir, à une très large majorité, cette proposition de loi. Nous comptons sur vous, madame la ministre, pour qu’elle suive son cours, tranquillement et sans débordement (Sourires.) à l’Assemblée nationale, afin que nous puissions redonner aux communes la place qui est la leur. (Applaudissements sur de très nombreuses travées.)
M. Loïc Hervé. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Akli Mellouli. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Akli Mellouli. Je remplace pour cette intervention mon irremplaçable collègue et ami Guy Benarroche. (Sourires.)
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce n’est pas la première fois que notre assemblée se penche sur la question de la gestion des compétences « eau » et « assainissement ».
La gestion de l’eau, qu’il s’agisse de l’échelon de prise de décision, de la gouvernance ou du processus de répartition de la ressource, est un point central de la vision écologiste.
Nous avons été attentifs, la semaine dernière, aux propos du Premier ministre en réponse à une question d’actualité de notre collègue Cécile Cukierman. Il disait ainsi : « Il n’y aura plus de transfert obligatoire pour les communes qui n’ont pas encore transféré la compétence. » Dont acte.
La proposition de loi, présentée par Jean-Michel Arnaud, traite, au-delà de la question de l’eau, d’un sujet que notre assemblée connaît bien, et qui est souvent au cœur de l’engagement des sénateurs : le besoin qu’ont nos collectivités territoriales, dont les situations sont si disparates, de libertés locales et de compétences différenciées.
En l’occurrence, il s’agit d’évoquer la question récurrente du partage des compétences « eau » et « assainissement ». Cette proposition de loi n’est pas le premier texte sur le sujet. M. Barnier rappelait ainsi que, depuis l’adoption de la loi NOTRe en 2015, « cette question […] est une vraie difficulté, peut-être une blessure dans la confiance entre l’exécutif et le Sénat ».
En mars 2023, nous avions déjà examiné une proposition de loi sur le sujet, celle-là relative à la nécessité de gestion différenciée des compétences « eau » et « assainissement ».
Sans remettre en cause les avantages et les nécessités de l’échelon intercommunal, de nombreux territoires rechignent, depuis l’entrée en vigueur de la loi NOTRe, devant l’application indifférenciée de cette remontée de compétences. Ceux qui refusent la brutalité et l’inadéquation de ces décisions ne sont pas des Gaulois réfractaires, bien au contraire ; ils ne font qu’exprimer les besoins de leur territoire ! (M. Jean-Michel Arnaud opine.)
Par respect du principe de subsidiarité, notre groupe juge légitime que des élus puissent choisir librement de mettre en commun, ou non, les compétences « eau » et « assainissement », et décider des modalités de cette mise en commun selon les particularités de leur territoire.
Cette proposition de loi démontre que bien légiférer est une question de timing. Corriger les erreurs et améliorer les dysfonctionnements, en faisant trop peu et trop tard, peut avoir des effets néfastes.
Au moment où les finances des collectivités sont en danger du fait de coupes rendues nécessaires par des années de gestion pour le moins hasardeuse, sous la présidence Macron, qu’adviendra-t-il des charges d’investissement destinées aux infrastructures vieillissantes ? Sur ce point, l’exemple de la Guadeloupe est édifiant.
En agissant seulement maintenant sur ce dossier, les collectivités ont pris du retard dans leurs politiques d’investissement relatives aux réseaux d’eau et d’assainissement.
Nous entendons qu’il existe un besoin de simplification, mais nous redoutons la simplicité avec laquelle serait détricotée l’idée même de solidarité au sein de nos intercommunalités.
Notre discussion sur ce texte doit être pour nous l’occasion de connaître la vision du gouvernement Barnier sur l’organisation territoriale de notre pays.
Nos collectivités sont en attente de nombreuses évolutions : règles comptables nouvelles, transition écologique, démocratie renouvelée, etc.
Notre ancien collègue Daniel Breuiller, un camarade du Val-de-Marne que je salue, rappelait ceci : « On a longtemps cru, en France, que l’accès à l’eau serait garanti à tous et pour tous les usages. Cette affirmation n’est plus d’actualité : nous avons connu des sécheresses estivales redoutables, et nous connaissons aujourd’hui des sécheresses hivernales dont la réalité brutale annonce de nouveau des étés difficiles. […] Que l’on se place à l’échelle communale ou intercommunale, le problème demeure le même. Aujourd’hui, la politique de l’eau est sous-financée dans une fourchette de 800 millions à 3 milliards, voire 4 milliards d’euros par an. On est loin du compte ! »
À la veille de discussions budgétaires qui s’annoncent complexes au vu de l’état des finances publiques, et face au perpétuel argument de la dette, lequel phagocyte toutes les politiques que nous devons mener, nous soutenons un cap clair pour lever les incertitudes qui ont pu mener jusqu’à présent à une inaction certaine.
Cette loi, si elle est loin de résoudre le problème de l’eau, est un pas de plus vers la différenciation locale, à condition que celle-ci soit adossée à une réelle stratégie nationale de l’eau imposée par la raréfaction de ce bien qui doit rester commun.
Au vu des amendements déposés par le rapporteur, notre groupe votera ce texte. J’aurais pu commencer par là, mais ce n’est pas une surprise… (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Michel Arnaud. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Pierre-Alain Roiron.
M. Pierre-Alain Roiron. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, aujourd’hui, comme chaque année ou presque, nous examinons dans cet hémicycle une proposition de loi portant sur les compétences « eau » et « assainissement ». Ce sujet, à la fois technique et politique, soulève des questions centrales sur l’organisation de nos territoires et la gestion de l’eau, une ressource de plus en plus précieuse et stratégique.
Permettez-moi de commencer par rappeler le contexte.
La loi NOTRe du 7 août 2015 a rendu obligatoire le transfert des compétences « eau » et « assainissement » aux communautés de communes et d’agglomération, suscitant de nombreux débats et ajustements. Le législateur a en effet cherché à adapter cette obligation par plusieurs textes de loi successifs. En atteste la loi du 3 août 2018 relative à la mise en œuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes, dite loi Ferrand-Fesneau, qui a permis de reporter au 1er janvier 2026 le transfert obligatoire pour certaines intercommunalités. Ce report offrait une souplesse nécessaire pour tenir compte des spécificités locales.
De même, la loi Engagement et Proximité de 2019 a introduit un mécanisme de délégation partielle de ces compétences aux communes ou syndicats existants. Ces ajustements, qui avaient reçu notre soutien, visaient à renforcer la proximité et l’efficacité de la gestion de ces compétences, sans pour autant revenir sur leur caractère obligatoire.
Aujourd’hui, nous sommes invités à examiner une nouvelle proposition d’assouplissement. Nous voyons bien que cette proposition suscite un intérêt certain, tant sur le fond que sur la forme. En témoignent les déclarations récentes, faites ici même, du Premier ministre et l’engagement de la procédure accélérée.
Mes chers collègues, nous sommes ouverts aux adaptations, mais nous ne souhaitons pas défaire l’architecture de la loi NOTRe.
La gestion intercommunale des compétences « eau » et « assainissement » reste un modèle efficace pour répondre aux enjeux financiers et techniques liés à cette gestion. Nous l’avons dit à plusieurs reprises, et l’avons prouvé au travers de nos différents votes : des adaptations aux réalités locales sont nécessaires, mais il ne peut être question de revenir en arrière.
Ce texte appelle aujourd’hui à aller plus loin dans la décentralisation de ces compétences, notamment en zone de montagne où les spécificités géographiques et démographiques nécessitent des ajustements supplémentaires. Notre groupe entend ces préoccupations, mais nous devons veiller à ne pas ouvrir la porte à une remise en cause généralisée des acquis.
En effet, nous considérons que les dérogations au transfert de ces compétences ne doivent pas entraîner un détricotage du dispositif. Nous préférons ajuster de manière mesurée, comme cela a été fait jusqu’à présent, à l’article 1er.
Nous prenons note de l’amendement du rapporteur, lequel ne revient pas sur les transferts de compétences déjà effectués par nombre de communes. Néanmoins, la possibilité laissée à toutes les communes qui n’ont pas encore transféré ces compétences de le faire, en excluant celles qui n’ont pas fait l’usage de la minorité de blocage pour reporter le transfert en 2026, constitue selon nous une atteinte au principe d’égalité devant la loi, principe constitutionnel applicable aux collectivités territoriales et centre de gravité de la souveraineté interne de l’État.
Par ailleurs, nous saluons la possibilité accordée aux départements de jouer un rôle plus actif dans les politiques locales de l’eau.
Cette disposition, qui découle des travaux de la mission d’information sénatoriale sur la gestion durable de l’eau et reprend en fait le dispositif de l’article 5 de la proposition de loi visant à faciliter une gestion durable et apaisée de l’eau, portée par notre collègue Hervé Gillé, est particulièrement pertinente dans le contexte de raréfaction des ressources et des défis climatiques auxquels nous faisons face.
Mes chers collègues, il est temps de prendre de la hauteur. Le transfert des compétences « eau » et « assainissement » ne se limite pas au petit cycle de l’eau ; il faut envisager aussi le grand cycle de l’eau. Il s’inscrit dans une vision globale où nous devons articuler la gestion des ressources en tenant compte des enjeux environnementaux.
Face aux défis posés par le réchauffement climatique – les sécheresses, les incendies –, la gestion de cette ressource est devenue une priorité pour nos territoires. Elle implique une responsabilité collective, et il est de notre devoir d’assurer une gestion cohérente, au niveau tant local qu’intercommunal et départemental. Ne sous-estimons pas les conséquences d’un mauvais encadrement de cette compétence !
Je tiens à rappeler que dans l’ensemble des 170 services au taux de rendement le plus faible, 116 sont des services communaux, et donc non mutualisés. La mise en commun des ressources dans certaines zones géographiques est plus que jamais nécessaire ; je pense aux zones montagneuses, qui sont directement confrontées aux enjeux climatiques.
L’Union nationale des industries et entreprises de l’eau chiffre le déficit d’investissement pour l’eau potable entre 776 millions et 3,6 milliards d’euros ; 40 % des réseaux d’eau potable ont plus de cinquante ans – pour rappel, leur durée de vie oscille entre soixante et quatre-vingts ans.
La question de l’ingénierie territoriale est au centre des préoccupations des élus. Vous le savez, les coûts liés à cette compétence ne peuvent pas être supportés individuellement. Les investissements nécessaires pour entretenir et moderniser nos réseaux d’eau sont colossaux. Cela demande une gestion mutualisée. C’est pourquoi nous devons conserver une approche globale intercommunale.
Il est important de rappeler que, selon les dernières données, 50 % des intercommunalités exercent déjà la compétence « eau », couvrant plus de 80 % de la population française. Pour l’assainissement, ce chiffre est de 56 %, représentant 84 % de la population. Ces chiffres témoignent d’un mouvement positif, incarnant une réelle dynamique intercommunale qui s’affirme d’année en année.
Seulement 14 % des communes appartenant à une communauté de communes exercent encore la compétence « eau » sans aucune forme de mutualisation : une proportion dont il est possible de se féliciter, ou qui amène à considérer, à l’inverse, que nous connaissons encore des difficultés d’adaptation.
Notre approche, aujourd’hui, consiste à s’assurer que ces ajustements se font dans le respect de l’intérêt général, sans remettre en cause les principes qui ont déjà fait leurs preuves. Nous devons veiller à ne pas déstabiliser un dispositif qui fonctionne bien dans la majorité des territoires. Les élus ont plus que jamais besoin de stabilité au regard des récentes annonces budgétaires…
En conclusion, je nous invite à rester fermes sur le maintien du cadre intercommunal, qui garantit la cohérence de notre action en matière de gestion de l’eau. Accompagnons nos intercommunalités dans le développement d’une ingénierie ambitieuse, plutôt que de repousser sans cesse une échéance à laquelle ces établissements publics ont déjà répondu présent.
C’est dans cet esprit de responsabilité que notre groupe aborde cette proposition de loi, et c’est pour cette raison que nous ne la soutiendrons pas majoritairement. (Dommage ! sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – MM. Loïc Hervé et Jean-Raymond Hugonet applaudissent également.)
M. Pierre Jean Rochette. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant d’aborder la proposition de loi, j’ai d’abord une pensée pour les Ligériens, qui subissent actuellement des inondations importantes, notamment au sud du département.
Enfin la liberté pour les communes ! Si un sujet peut être qualifié de sénatorial, c’est bien celui de l’exercice des compétences « eau » et « assainissement ». Pour cause : la Haute Assemblée ne cesse depuis bientôt dix ans de soutenir les élus locaux afin que ceux-ci récupèrent pleinement et entièrement leur liberté en la matière.
En 2015, la loi NOTRe imposait aux communes le transfert obligatoire de ces compétences vers les communautés de communes ou d’agglomération, et ce dès 2020.
En 2017, le Sénat tentait, en adoptant une première proposition de loi déposée par des sénateurs, de rétablir le caractère optionnel de ce transfert de compétences, mais le texte n’est malheureusement pas allé au bout de la navette parlementaire.
Les inquiétudes légitimes des élus ayant persisté, la loi du 3 août 2018 a permis, sous certaines conditions, le report de cette obligation jusqu’en 2026.
Plus récemment, le Sénat a adopté le 16 mars 2023 une autre proposition de loi visant à revenir sur le caractère obligatoire de ce transfert en rendant les deux compétences optionnelles pour les communautés de communes.
Pourquoi une telle détermination de notre part ? Parce que la gestion de l’eau et celle de l’assainissement sont deux compétences fondamentales pour les communes, et que leur organisation doit être optimale.
La loi NOTRe affichait certes des objectifs tout à fait louables : réduire le nombre d’acteurs intervenant dans ces domaines de compétence afin de les renforcer, mutualiser les moyens, améliorer les investissements et harmoniser les prix – même si l’on sait depuis longtemps que les mutualisations ne conduisent pas nécessairement à une harmonisation ou à une baisse des prix.
Ces objectifs se sont toutefois heurtés à deux réalités.
La première, c’est que cette loi n’a pas respecté le principe fondamental de libre administration des collectivités territoriales, en contraignant les élus locaux, lesquels étaient largement opposés à cette mesure de transfert des compétences. Aucun des pseudo-assouplissements suivants n’a par ailleurs réellement permis de restaurer leur liberté en la matière : au mieux, ils n’ont que reporté l’échéance et, au pire, ils ont complexifié les choses.
M. Loïc Hervé. C’est vrai !
M. Pierre Jean Rochette. La seconde réalité, c’est que cette mesure apparaît aujourd’hui tout aussi inadaptée qu’elle ne l’était déjà il y a bientôt dix ans.
Risque d’un affaiblissement de la connaissance des réseaux, absence d’identité entre le périmètre hydrique des communes et celui de l’intercommunalité, possibilité d’une augmentation des tarifs – c’est ce que vivent nombre de nos concitoyens – ou, encore, souhait de nombreuses communautés de communes de ne pas exercer ces compétences : autant de raisons qui démontrent la parfaite incohérence de la mesure avec la réalité du terrain. Rappelons-le, seulement 33 % des communautés de communes exercent encore aujourd’hui la compétence « eau ».
Depuis la première fois où le groupe Les Indépendants a pris position sur le sujet, il n’a cessé d’affirmer une position claire en faveur des élus locaux, en demandant l’annulation pure et simple du caractère obligatoire de ce transfert de compétences, et en soutenant son caractère optionnel.
Nous ne souhaitons pas empêcher les communes et les intercommunalités qui le souhaitent de procéder au transfert de compétences, mais nous ne voulons pas non plus les y contraindre. Nous voulons une solution pragmatique et réaliste, qui laisse le choix, la liberté, à ceux qui connaissent le mieux le terrain : les élus locaux.
C’est pourquoi notre groupe s’est profondément réjoui de l’annonce du Premier ministre Michel Barnier de revenir sur le caractère obligatoire du transfert de compétences.
C’est la preuve que les élus locaux ont enfin été entendus par le Gouvernement et par la ministre Françoise Gatel, qui les connaît parfaitement. La détermination du Sénat a fini par payer !
Cette proposition de loi de notre collègue Jean-Michel Arnaud est pertinente, car elle redonne aux communes un peu de liberté et de souplesse en rendant facultatif le transfert des compétences « eau » et « assainissement », ce que la Haute Assemblée demande depuis longtemps.
Toutefois, elle ne vise que les communes situées en zone de montagne. Une telle exception nous paraît difficilement justifiable vis-à-vis de toutes les autres communes, que nous, ici au Sénat, représentons.
Par conséquent, nous voterons en faveur de ce texte, à condition que les assouplissements proposés par l’excellent Alain Marc, rapporteur et membre du groupe Les Indépendants, soient acceptés. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)
M. Christophe-André Frassa, vice-président de la commission des lois. Ils le seront !
M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Mathieu Darnaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Théocrite disait « en persévérant, on arrive à tout » ; il disait également que « l’eau, goutte à goutte, creuse le roc ».
Nous sommes réunis pour saluer la persévérance sénatoriale. Il s’agit d’une œuvre collective : je rends hommage à Jean-Michel Arnaud, qui est l’auteur de cette proposition de loi, et à Jean-Yves Roux, qui a déposé il y a un peu plus d’un an une autre proposition de loi sur le même sujet, adoptée par le Sénat. J’y associe également l’immense majorité des groupes de la Haute Assemblée, ainsi que de Mme la ministre, chère Françoise Gatel, qui a été un relais très utile et qui a travaillé depuis plusieurs années à mes côtés sur ce sujet.
Mon groupe et moi-même sommes satisfaits par cette proposition de loi, mais nous ressentons également un sentiment de frustration : que de temps perdu !
M. Alain Marc, rapporteur. Absolument !
M. Mathieu Darnaud. En 2017, Bruno Retailleau était le premier signataire d’une proposition de loi visant à faire entendre la voix des communes, lesquelles répétaient à l’envi que la loi NOTRe était perfectible en de nombreux points.
En effet, cette loi censurait une forme de liberté communale : qui mieux que les élus des territoires connaît leurs ressources en eau ? Qui mieux que les maires, singulièrement dans les territoires ruraux et de montagne, peut dire ce qui est bon pour les communes ?
Nous avons également été alertés par les présidents d’intercommunalité. Certains estiment que nous essayons d’œuvrer contre la construction intercommunale. Pas du tout ! Nous entendons les élus des territoires, à commencer par les présidents de certaines communautés de communes, qui nous confient ne pas pouvoir exercer les compétences « eau » et « assainissement ».
Au bout de toutes ces années, nous avons, je le crois, fait œuvre utile pour redonner de la liberté aux communes.
Mes chers collègues, permettez-moi de remercier le Premier ministre, de saluer son action et son courage politique. Il n’est jamais évident de reconnaître, une fois le transfert engagé vers certaines communautés de communes, qu’il faut revenir à la raison et rester attaché à la liberté communale, à la France des communes.
Sur le fond, les questions liées à la ressource en eau démontrent qu’il est nécessaire d’organiser la répartition des compétences en fonction des bassins hydrographiques et des bassins versants. Nous l’avons dit à de multiples reprises : l’eau, plus qu’aucune autre compétence, est avant tout affaire non de limites administratives intercommunales, mais de bassins hydrographiques et versants.
Ma collègue Anne Ventalon et moi-même avons une pensée particulière pour les nombreux Ardéchoises et Ardéchois qui sont actuellement frappés par des inondations et des épisodes cévenols. Néanmoins, nous voulons voir la question de l’eau de façon positive, car la liberté communale est enfin consacrée.
Je me félicite qu’à force de persévérance nous puissions aujourd’hui dire aux maires de France qui éprouvaient toutes les difficultés à envisager le transfert de leurs compétences qu’ils pourront désormais, grâce à la présente proposition de loi, faire en conscience le choix de la raison et de l’avenir, en prenant en compte les contraintes environnementales.
Il est temps de faire confiance aux maires et aux élus locaux de France. Je les remercie, et je remercie le Gouvernement de leur rendre cette liberté. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. Loïc Hervé. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Bernard Buis.
M. Bernard Buis. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au moment même où la trente-quatrième convention d’Intercommunalités de France est en cours, nous sommes réunis pour discuter d’un sujet les concernant, à savoir la gestion des compétences « eau » et « assainissement ».
Lorsqu’on échange avec les élus locaux, a fortiori les maires, force est de constater que l’eau, cette ressource vitale, est au cœur de nombreuses préoccupations.
Il suffit d’observer les conséquences du dérèglement climatique : l’évolution de la pluviométrie conduit à la multiplication et à l’intensification d’épisodes de sécheresse ou d’inondations. Nous le constatons actuellement en Ardèche, et nous avons une pensée pour tous les sinistrés qui ont subi des précipitations de 600 millimètres en 48 heures et je crains, hélas ! que cet épisode ne soit pas terminé.
Le sujet est particulièrement inquiétant, puisque ces dérèglements peuvent dégrader la qualité de l’eau potable et l’assainissement des eaux usées, ce qui engendre parfois des coûts non négligeables pour les collectivités concernées.
Je pense notamment aux territoires qui ont dû être approvisionnés en eau potable par des camions-citernes, notamment en outre-mer, mais également dans la Drôme, par exemple à Clansayes durant l’été 2023 ; je pense aussi aux dépenses d’entretien liées à l’endommagement des réseaux ou des ouvrages de prélèvement.
Nous n’oublions pas non plus les investissements qu’il faudra réaliser pour tenir compte des besoins en matière d’interconnexion des réseaux, de stockage d’eau brute et de nouvelles techniques de captage.
Autant de raisons qui expliquent pourquoi, en matière de gestion de l’eau et d’assainissement, la mutualisation des moyens techniques et financiers peut se révéler stratégique et bénéfique tant pour nos concitoyens que pour les élus locaux.
L’article 64 de la loi NOTRe a rendu obligatoire le transfert des compétences « eau » et « assainissement » des communes vers les communautés de communes, en fixant une date limite au 1er janvier 2020.
Compte tenu de l’importance des réorganisations territoriales qu’impliquait un tel transfert, de nombreux élus avaient fait part de leurs inquiétudes. C’est la raison pour laquelle la loi du 3 août 2018 relative à la mise en œuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes avait instauré un mécanisme de minorité de blocage permettant à certaines communes d’obtenir le report d’un tel transfert jusqu’au 1er janvier 2026.
Pourquoi la loi devrait-elle contraindre et forcer les communes à transférer leurs compétences ? Alors que les élus locaux souhaitent davantage de liberté et de différenciation, pourquoi ce transfert devrait-il demeurer obligatoire, alors qu’il ne l’était pas avant l’entrée en vigueur de la loi NOTRe ?
Je suis convaincu du bien-fondé de la présente proposition de loi, car il faut davantage de souplesse en la matière, ainsi que le Sénat le propose de manière constante ces dernières années.
Je n’ai donc pu que me réjouir en entendant, lors de la séance de questions d’actualité au Gouvernement du 9 octobre dernier, le Premier ministre se prononcer, en réponse à notre collègue Cécile Cukierman, en faveur du caractère facultatif du transfert des compétences « eau » et « assainissement » pour les communes.
J’ai naturellement souhaité déposer un amendement à l’article 1er qui vise à rendre le transfert de ces compétences non plus obligatoire, mais bel et bien facultatif. Dans le même esprit que le vôtre, monsieur le rapporteur, il me paraît important de permettre à toutes les communes membres d’une communauté de communes qui n’ont pas encore transféré leurs compétences à l’intercommunalité d’en conserver l’exercice.
Ainsi, ces communes pourront librement choisir soit de continuer à exercer seules ces compétences, soit de les confier, en tout ou partie, à un syndicat ou à leur communauté de communes.
Par ailleurs, je ne suis pas convaincu de la pertinence d’une rétroactivité des transferts de compétences. Autrement dit, nous ne devons pas permettre l’annulation de transferts déjà réalisés, car cela serait difficilement faisable d’un point de vue comptable.
Concrètement, les communes qui n’ont pas fait usage de leur minorité de blocage pour reporter le transfert des compétences au 1er janvier 2026 ne pourront pas obtenir la restitution des compétences. Il en va de même pour les agglomérations.
Bien entendu, les communes qui ont choisi de reporter le transfert au 1er janvier 2026, qui ont engagé ou qui ont été associées à des études de préparation du transfert ne sont pas concernées par ces restrictions. Dans la mesure où le transfert n’a pas encore eu lieu, nous devons leur permettre de conserver leur liberté de gestion en la matière.
Mes chers collègues, il est nécessaire que l’assouplissement de la gestion des compétences « eau » et « assainissement » soit synonyme de différenciation et de liberté pour les élus locaux. J’espère que les amendements en ce sens seront adoptés par notre assemblée.
Par conséquent, le groupe RDPI votera en faveur de l’adoption de ce texte, afin de marquer la fin d’un long épisode. Néanmoins, si la voie de l’assouplissement est nécessaire, je suis convaincu qu’il nous faut également à tout prix éviter de laisser les communes isolées, et travailler ensemble pour davantage de mutualisation.
Madame la ministre, faites en sorte que cette proposition de loi puisse cheminer rapidement après son adoption par le Sénat, afin qu’elle puisse s’appliquer avant le 1er janvier prochain. (Applaudissements sur de nombreuses travées.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Jean-Michel Arnaud applaudit également.)
M. Jean-Yves Roux. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, un 2 février, jour de la marmotte dans une petite ville rurale de Pennsylvanie, Phil Connors, interprété par Bill Murray, se retrouve piégé dans une boucle temporelle. Chaque matin, son réveil sonne et il revit toujours la même journée, jusqu’à devenir fou de ne pas savoir comment s’en sortir. Voilà le synopsis d’un film de 1993, Un jour sans fin, comédie légère et familiale qui occupera très agréablement l’une de vos prochaines soirées pluvieuses !
J’imagine qu’en découvrant l’inscription à l’ordre du jour d’un nouveau texte sur le transfert des compétences « eau » et « assainissement », certains ont dû se sentir comme Bill Murray, bloqué dans un jour de la marmotte sénatorial. (Sourires.) Sauf qu’ici il n’y a ni comédie ni légèreté !
Depuis l’adoption de la loi NOTRe, nous revenons presque tous les ans sur le même sujet avec pugnacité, mais en ressentant peut-être une pointe de lassitude.
Pêle-mêle, le Sénat avait adopté le 23 février 2017 la proposition de loi de Bruno Retailleau et Mathieu Darnaud pour le maintien des compétences « eau » et « assainissement » dans les compétences optionnelles des communautés de communes, puis la loi du 3 août 2018 relative à la mise en œuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes, puis la loi Engagement et Proximité du 27 décembre 2019, puis la loi 3DS du 21 février 2022 et, enfin, le 16 mars dernier la proposition de loi que j’avais déposée visant à permettre une gestion différenciée des compétences « eau » et « assainissement ».
Nous voilà réunis aujourd’hui, le 17 octobre 2024, pour l’examen de la proposition de loi déposée par Jean-Michel Arnaud afin d’essayer, de nouveau, de sortir de l’impasse qui dure depuis l’adoption du fameux amendement gouvernemental lors de l’examen de la loi NOTRe.
Le diagnostic est connu : l’inadéquation d’un dispositif pensé de manière uniforme, quels que soient les territoires, qui transforme des compétences optionnelles des communautés de communes et d’agglomération en compétences obligatoires.
Les remontées du terrain sont sans équivoque : le recours forcé à l’intercommunalité pose de réelles difficultés, notamment dans les communes rurales et de montagne. Nous sommes sans cesse alertés par des municipalités, qui s’opposent via des motions et des délibérations à ce qui est perçu comme une délégation de compétences beaucoup trop technocratique.
Il semble donc absolument nécessaire de revenir une nouvelle fois sur ce dispositif rigide, d’autant que la date butoir du 1er janvier 2026 approche, et que les occasions de nous rattraper vont devenir rares.
La semaine dernière, le Premier ministre s’est engagé devant le Sénat à agir. Il s’agit évidemment d’une grande satisfaction, mais nous attendons de connaître les modalités précises d’application de cette annonce. Michel Barnier le sait, les montagnards sont pragmatiques.
À ce titre, madame la ministre, sentez-vous libre de vous inspirer de nos plus récents travaux !
Le Sénat avait adopté à une large majorité la proposition de loi visant à permettre une gestion différenciée des compétences « eau » et « assainissement » que j’avais déposée, dont la rédaction avait été perfectionnée par Alain Marc, qui en était également rapporteur. Je remercie par ailleurs mes collègues députés du groupe Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires (Liot), qui ont jugé la thématique suffisamment importante pour l’inscrire à deux reprises dans leur niche parlementaire.
En parallèle, le Sénat a élaboré un compromis avec la ministre Dominique Faure, qui permettait de préserver à la fois la liberté des communes, la spécificité des zones rurales et de montagne et l’intérêt général.
Sur le fond, nous ne voulons pas revenir en arrière, ce qui serait coûteux financièrement et humainement, en plus d’être psychologiquement usant. Nous continuons de nous concentrer sur les communautés de communes, car c’est là que se trouve le nœud du problème.
En ce qui concerne la méthode, nous insistons sur la nécessité de prendre des mesures claires et simples. Dans les communes rurales et de montagne, les élus ne disposent pas des moyens administratifs adéquats pour se permettre des fantaisies technocratiques.
Le rapporteur a évoqué son amendement tendant à réécrire l’article 1er, que nous examinerons dans quelques minutes. La solution qu’il propose se présente comme une résolution après une décennie d’égarements.
Pour conclure mon propos, je remercie tous les sénateurs avec qui nous travaillons depuis des mois sur un compromis. Madame la ministre, après le congrès des maires ruraux se tiendra dans quelques semaines le Congrès des maires. Ce sera l’occasion de mettre en musique l’intelligence territoriale puisque les élus, selon une formule que quelques-uns reconnaîtront, sont bien les « inventeurs du possible ». (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Bernard Delcros. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, certains domaines exigent des directives et un cadre nationaux. Tel est assurément le cas pour l’eau et l’assainissement, tant les enjeux qui les concernent sont vitaux, qu’il s’agisse de santé publique, d’environnement ou de préservation d’une ressource naturelle toujours plus rare et fragile.
Néanmoins, une fois ce cadre national fixé, faut-il imposer de Paris un modèle unique déterminant de manière purement administrative le périmètre géographique de gestion et de mutualisation des services de l’eau et de l’assainissement ? Faut-il imposer un périmètre purement administratif, celui des intercommunalités, qui plus est des intercommunalités parfois immenses issues de la loi NOTRe ? Faut-il imposer un modèle s’appliquant uniformément partout en France, en zone fortement urbanisée comme en milieu hyperrural ? Un tel modèle ne peut garantir ni l’efficacité des services ni la maîtrise des coûts, bien au contraire !
Nous pensons, à l’inverse, que pour déterminer le bon périmètre de gestion des services il faut tenir compte de la diversité des territoires, de leur géographie, des bassins de vie et plus encore des bassins versants. Il faut surtout tenir compte de l’avis des maires et des conseils municipaux, qui vont sur le terrain, connaissent parfaitement leurs territoires, sont quotidiennement en relation directe avec leurs habitants et ont à cœur de leur offrir des services de qualité sans que les coûts pour nos concitoyens s’envolent – et ce point n’est pas anodin.
Nous connaissons le sens de l’engagement, du service public et des responsabilités des maires. Mes chers collègues, ne les dépossédons pas de ces prérogatives, alors qu’ils sont les mieux placés, sur le terrain, pour déterminer la bonne échelle de gestion et de mutualisation – car il faut mutualiser ! – des services de l’eau et de l’assainissement.
Certains maires ont déjà transféré ces compétences, car ils estimaient qu’il s’agissait de la bonne échelle de mutualisation. Les communes ne l’ayant pas encore fait doivent, premièrement, avoir la liberté de créer des syndicats de gestion de l’eau et de l’assainissement à l’échelle que les élus locaux jugeront la plus pertinente et, deuxièmement, pouvoir mutualiser les compétences humaines et les moyens matériels, en déléguant directement la gestion des services de l’eau et/ou de l’assainissement à l’échelon le plus adapté : syndicat ou intercommunalité. Bref, il faut de la souplesse.
Pour cela, il faut revenir sur le caractère obligatoire du transfert de ces compétences au 1er janvier 2026, et les maintenir dans le champ des compétences facultatives.
Tel est l’objet de la présente proposition de loi et de plusieurs amendements en faveur desquels le groupe Union Centriste votera.
Je remercie Jean-Michel Arnaud pour le travail qu’il a réalisé, ainsi que le rapporteur Alain Marc et tous nos collègues qui s’investissent depuis longtemps sur ce sujet. Madame la ministre, je vous remercie également de votre écoute, de votre ouverture et de votre bienveillance. Vous connaissez parfaitement cette question importante, sur laquelle nous attendent les maires de France, en particulier ceux des communes rurales. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains. – Mme Marie-Pierre Monier applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mon propos ne détonnera pas : j’estime moi aussi que l’examen de la présente proposition de loi est assurément un moment important. Cependant, ma joie est teintée d’un peu d’amertume et de peine au souvenir des débats passés, qui nous conduisent aujourd’hui à devoir apporter une correction qui est nécessaire.
En effet, je me souviens parfaitement des interventions de nos collègues Jacques Mézard et Jean-Jacques Hyest lors de l’examen de la loi NOTRe. Cette loi, qui devait nous permettre d’atteindre la parousie (Sourires.), était présentée comme un grand moment de redécoupage et de réorganisation des compétences et des territoires, guidé par la recherche d’économies d’échelle et d’efficacité, dans un contexte de clarification des compétences. En réalité, ce fut plutôt un grand barnum !
Je me souviens aussi des auditions de la ministre de la décentralisation Marylise Lebranchu et du secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale André Vallini, à qui nous avions expliqué les nombreux problèmes posés par la réforme, mais qui semblaient animés de certitudes définitives.
Nous revenons aujourd’hui sur une mesure emblématique de cette réforme, celle de l’exercice d’une compétence essentielle : le service public de l’eau et de l’assainissement.
Nous l’avions rappelé à l’époque, cette compétence, construite après la Deuxième Guerre mondiale, est le fruit d’un rapprochement entre les communes qui prenait généralement la forme de syndicats, et ce sur la base d’un consentement éclairé. Ce service à la population était le produit d’ententes locales parfois très anciennes – datant de cinquante ou soixante ans –, qui avaient donné toute satisfaction.
La loi NOTRe a remis toute cette organisation en cause, en créant une obligation et en forçant le transfert des compétences, initialement prévu en 2017 – ne l’oublions pas, l’échéance de 2020 correspond à un premier report obtenu par le Sénat.
La loi de 2018, dont j’étais le rapporteur, avait ensuite permis un aménagement du calendrier et un report de l’échéance de six années supplémentaires. À cette occasion, nous avions déjà essayé d’introduire le caractère facultatif du transfert de ces compétences.
Je me souviens également des auditions préparatoires à l’examen de cette loi, pendant lesquelles l’administration centrale pressait le mouvement de manière presque sournoise, en expliquant, force histogrammes à la clé, que plus les communes étaient grandes, meilleur était le rendement.
Évidemment, il y avait un biais essentiel : on ne tenait pas du tout compte des caractéristiques territoriales, notamment des zones de montagne, dans lesquelles les difficultés pour assurer le service sont nombreuses. (M. le rapporteur acquiesce.) Je me souviens que l’on se fondait sur ces données pseudo-scientifiques pour justifier de passer à une autre échelle.
Je me réjouis que le Gouvernement retrouve la voie de la sagesse, que cette surdité prolongée prenne fin, et que nous corrigions la faute originelle de la loi NOTRe. Les communes s’en porteront beaucoup mieux. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE. – M. Louis Vogel et Mme Cécile Cukierman applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet.
M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, puisque j’interviens en onzième position dans la discussion générale, je crains de ne pas être très original. Mais ne dit-on pas que la pédagogie est l’art de la répétition ?
Dans la vie législative, nous ne le savons que trop, de simples amendements peuvent avoir une immense portée.
En 2015, c’est en effet par un simple amendement gouvernemental au funeste projet de loi NOTRe, sans étude d’impact ni avis préalable du Conseil d’État, que le gouvernement d’alors avait fait adopter le transfert obligatoire des compétences « eau » et « assainissement » aux EPCI, y compris dans les communautés de communes.
De haute lutte, le Sénat avait obtenu un certain nombre d’assouplissements, mais le mal était fait. Nonobstant différentes mesures d’adaptation législatives, le résultat final n’a pas répondu totalement aux inquiétudes des élus, notamment dans les communes rurales et de montagne, mais également dans d’autres territoires.
En effet, ce résultat ne résout pas le problème de fond : la loi oblige toujours les communes à transférer l’eau et l’assainissement à leur communauté de communes au 1er janvier 2026.
La mise en place de cette communautarisation généralisée a été voulue, nous dit-on, pour éviter une trop forte dispersion des modalités d’exercice de ces compétences, celle-ci étant supposée engendrer un manque de rationalisation des services, selon les législateurs de l’époque. La loi NOTRe se donnait ainsi pour objectif une mutualisation efficace des moyens techniques et financiers nécessaires à une meilleure maîtrise des réseaux de distribution d’eau potable et d’assainissement, notamment dans les zones rurales.
Nous y voilà, les mots magiques sont lâchés : rationalisation, maîtrise, mutualisation ! Combien d’inepties, mes chers collègues, débouchant invariablement sur de l’incurie en matière de gestion d’argent public, ont été inventées sur la base de ce mirage ? Comment un principe aussi général peut-il être opérant, au vu de la très grande hétérogénéité des situations locales ?
À l’évidence, la fixation du niveau d’exercice de ces compétences ne saurait être uniforme et déconnectée du terrain ; elle doit, au contraire, relever de considérations matérielles et techniques propres à chaque territoire.
Fort heureusement, ici même, le 9 octobre dernier, Michel Barnier, nouveau Premier ministre au parcours d’élu local éprouvé et particulièrement robuste, a déclaré : « Nous ne reviendrons pas sur les transferts déjà réalisés, mais il n’y aura plus de transferts obligatoires en 2026. »
Il est temps de clôturer ce qui constitue, depuis la loi NOTRe de 2015, une véritable difficulté, et peut-être une blessure dans la confiance entre le Gouvernement et le Sénat.
Je salue donc la sagesse de ces propos et la vôtre, madame la ministre, vous qui avez longtemps milité pour cette évolution.
Je tiens également à remercier tout spécialement notre président de groupe, Mathieu Darnaud, qui n’a jamais cessé de défendre cette position de bon sens, ainsi que notre collègue Jean-Michel Arnaud, auteur de la proposition de loi. Arnaud, Darnaud, même combat, d’autant que M. Pernot va me succéder à la tribune ! (Sourires.)
Il ne s’agit donc pas d’opposer les collectivités entre elles, mais de rappeler le principe de subsidiarité, qui doit permettre aux communes de décider du niveau d’exercice de leurs compétences. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE. – Mme Cécile Cukierman applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Clément Pernot.
M. Clément Pernot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est jour de fête au Sénat ! (Sourires.) La demande des maires, relayée par de nombreux sénateurs, va aboutir aujourd’hui : l’adhésion à un groupement pour la gestion de l’eau et de l’assainissement va devenir facultative, elle ne sera plus obligatoire ni en 2026 ni plus tard.
En supprimant cette obligation, le Sénat s’apprête à reconnaître le travail réalisé par les nombreuses générations de maires pour fournir en eau potable leurs administrés. Heureux habitants, qui jouissent journellement de ce bien de vie sans se soucier, pour la plupart d’entre eux, du pourquoi ou du comment, en considérant comme naturel l’accès au précieux liquide.
Voilà pourquoi la gestion de l’eau est viscéralement ancrée dans la mission du maire ; voilà pourquoi la loi imposant des regroupements était considérée comme un signe de défiance, comme une mesure insultante.
L’histoire de la gestion de l’eau a donné naissance à une multitude de situations individuelles très locales dont une mutualisation autoritaire aurait certainement altéré la qualité, la structure accueillante héritant d’une complexité ne pouvant être gérée efficacement à marche forcée.
C’est pourquoi il faut rendre grâce à tous les sénateurs qui, déjà conscients de ces difficultés, ont reporté l’exécution des premiers textes de 2020 à 2026.
C’est pourquoi il faut également saluer la belle écoute de notre Premier ministre Michel Barnier, qui a promis en ces lieux, lors de la séance des questions au Gouvernement du 9 octobre 2024 – qui deviendra une date anniversaire, n’en doutons pas ! (Sourires.) –, que la liberté pour les communes serait maintenant la règle en termes de gestion de l’eau et de l’assainissement.
L’adoption de ce texte sera un signal fort à destination de nos collectivités, qui attestera d’une volonté nouvelle d’organiser notre vie publique de manière plus respectueuse, moins verticale et plus partenariale.
C’est de cette manière qu’il nous faudra œuvrer pour accompagner les communes, les communautés de communes et les syndicats à relever les nouveaux défis nés de la raréfaction de la ressource. Il convient donc de laisser les territoires s’organiser librement, d’acter, de favoriser, d’inciter, d’inventer des collaborations entre eux, lesquelles devront être les plus circonstanciées possible afin d’obtenir, pour chaque commune, une gestion collective ou autonome idéale des compétences « eau » et « assainissement ».
L’ampleur de la mission nécessite des solidarités d’ingénierie, de financement et de moyens en général. L’État, via les préfectures et les agences de l’eau, avec les départements, doit se tenir réellement aux côtés des intervenants locaux dans un acte de décentralisation moderne et pertinent pour assurer à chaque citoyen une ressource pérenne, qualitative et quantitative en eau. La réussite de cet objectif passe par une confiance retrouvée entre tous les acteurs.
Le vote de cette proposition de loi est une première étape ; elle fait souffler un vent de liberté pour la vie publique locale. J’ose former le vœu que, dans le même esprit, puissent être réécrits les textes relatifs à l’urbanisme, en particulier au ZAN.
Les chers collègues, il me semble qu’un soleil se lève sur les exécutifs de nos territoires, et vous n’y êtes pas pour rien, madame la ministre ! (Exclamations amusées.) Depuis le Sénat, mes chers amis, veillons à ce que cela dure. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI et INDEP. – Mme Cécile Cukierman applaudit également.)
M. le président. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
proposition de loi visant à assouplir la gestion des compétences « eau » et « assainissement »
Article 1er
I. – Le I de l’article L. 5214-16 du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :
1° Le 6° est complété par les mots : « , sauf si tout ou partie de la communauté de communes est situé en zone de montagne au sens de l’article 3 de la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne » ;
2° Le 7° est complété par les mots : « , sauf si tout ou partie de la communauté de communes est situé en zone de montagne au sens de l’article 3 de la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne » ;
3° Après le 7°, sont insérés trois alinéas ainsi rédigés :
« La communauté de communes dont tout ou partie du territoire est situé en zone de montagne peut, à tout moment et en tout ou partie, restituer à chacune de ses communes membres les compétences mentionnées aux 6° et 7° du présent I, après accord de la moitié au moins des conseils municipaux des communes membres, ou à une ou plusieurs de ses communes membres après délibérations concordantes de l’organe délibérant de la communauté de communes et des conseils municipaux des communes membres concernées. Les articles L. 1321-1 à L. 1321-6 sont applicables à ces restitutions de compétences.
« Les délibérations mentionnées au treizième alinéa du présent I définissent le coût des dépenses liées aux compétences restituées ainsi que les taux représentatifs de ce coût pour l’établissement public de coopération intercommunale et chacune de ses communes membres dans les conditions prévues au 4 du 3° du B du III de l’article 85 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006.
« La restitution de compétences est prononcée par arrêté du ou des représentants de l’État dans le ou les départements concernés. »
II. – Le I de l’article L. 5216-5 du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :
1° Le 8° est complété par les mots : « , sauf si tout ou partie de la communauté d’agglomération est situé en zone de montagne au sens de l’article 3 de la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne » ;
2° Le 9° est complété par les mots : « , sauf si tout ou partie de la communauté d’agglomération est situé en zone de montagne au sens de l’article 3 de la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne » ;
3° Après le 10°, sont insérés trois alinéas ainsi rédigés :
« La communauté d’agglomération dont tout ou partie du territoire est situé en zone de montagne peut, à tout moment et en tout ou partie, restituer à chacune de ses communes membres les compétences mentionnées aux 8° et 9° du présent I, ainsi que la compétence relative à la gestion des eaux pluviales urbaines définie à l’article L. 2226-1, après accord de la moitié au moins des conseils municipaux des communes membres, ou à une ou plusieurs de ses communes membres après délibérations concordantes de l’organe délibérant de la communauté d’agglomération et des conseils municipaux des communes membres concernées. Les articles L. 1321-1 à L. 1321-6 sont applicables à ces restitutions de compétences.
« Les délibérations mentionnées au treizième alinéa du présent I définissent le coût des dépenses liées aux compétences restituées ainsi que les taux représentatifs de ce coût pour l’établissement public de coopération intercommunale et chacune de ses communes membres dans les conditions prévues au 4 du 3° du B du III de l’article 85 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006.
« La restitution de compétences est prononcée par arrêté du ou des représentants de l’État dans le ou les départements concernés. »
M. le président. La parole est à Mme Anne Ventalon, sur l’article.
Mme Anne Ventalon. Ne nous y trompons pas, ce jeudi 17 octobre est un moment déterminant pour l’avenir de nos communes. Le Sénat a l’occasion de corriger une injustice qui dure depuis plusieurs années et qui se décline en trois volets.
Premièrement, une injustice démocratique liée à une erreur de jugement originelle qui a grandement entamé la confiance de nos élus locaux dans toutes les régions de France. Dans mon département de l’Ardèche, comme dans tant d’autres, plusieurs réalités coexistent. Tandis que beaucoup se sont résignés face à la contrainte du transfert, au moins quatre-vingt-dix communes souhaitent encore rester libres de prendre la décision de conserver ou non les compétences « eau » et « assainissement ».
Une injustice géographique, deuxièmement, liée aux spécificités territoriales de chaque commune. Certaines, bien que limitrophes, ne sont pas situées sur le même bassin versant. D’autres ne peuvent tout simplement pas exercer la compétence « assainissement », trop coûteuse au regard de leurs moyens, mais souhaitent rester seules détentrices de la compétence « eau », qu’elles exercent depuis leur création. Enfin, quelques-unes souhaitent transférer intégralement les deux compétences.
Toutes les communes doivent ainsi pouvoir bénéficier d’une plus grande souplesse dans leur gestion, car, au-delà de la compétence communale, des préoccupations quotidiennes transparaissent : le coût de l’eau, la disponibilité de la ressource et sa distribution à nos concitoyens.
La troisième injustice, enfin, est écologique, face aux sécheresses à venir, plus récurrentes et plus violentes.
Soyons réalistes : l’échelon d’exercice des compétences « eau » et « assainissement » ne peut être tranché que localement, en fonction des besoins de chaque commune.
Ce texte nous offre ainsi la meilleure opportunité depuis l’adoption de la loi NOTRe de corriger ces trois injustices. Il consacre un pas décisif vers plus de liberté communale. Il permet enfin le retour à une gestion différenciée et offre à chaque commune la possibilité de trancher définitivement cette question.
Pour toutes ces raisons, nous devons soutenir cette proposition de loi sans réserve. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, sur l’article.
M. Olivier Paccaud. Certains textes sont plus symboliques que d’autres, et cette proposition de loi en est un bel exemple. Elle traite, évidemment, d’eau et d’assainissement, mais son histoire et ses conséquences débordent nettement le seul périmètre aquatique.
Il s’agit ici d’une certaine idée de l’intercommunalité et de la décentralisation. La question est non pas d’être pour ou contre le transfert, mais de valoriser la vertu principale de la philosophie intercommunale : la liberté de choix. Nulle obligation, mais nul empêchement.
De nombreuses intercommunalités ont déjà franchi le pas du transfert, certaines s’y apprêtent, mais beaucoup encore le refusent, parce que leurs syndicats fonctionnent très bien et à moindre coût, et parce que la course au gigantisme, très à la mode dans les années 2010, a montré ses limites.
Les grandes régions, les méga-cantons, les intercommunalités XXL ou les syndicats géants ont-ils conduit à optimiser l’action publique ? Non ! Ont-ils permis de réaliser des économies ? Non ! En revanche, ils ont éloigné l’échelon de proximité, gage d’efficacité.
S’il existe aujourd’hui dans notre pays, malheureusement, une désillusion intercommunale, c’est parce que nous avons trop voulu intégrer ; l’ogre communautaire, tel Cronos, a été tenté d’avaler ses enfants municipaux au risque de subir une indigestion de compétences.
Il est loin le temps de l’identité intercommunale heureuse, quand, malheureusement ou heureusement, on choisissait à la carte.
En supprimant l’obligation, qui rime avec recentralisation, le Sénat, constant dans ses positions depuis 2017, se montre fidèle à sa vocation de défenseur des libertés des collectivités et, en quelque sorte, de la démocratie.
Vive la liberté de choix et vive la décentralisation ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Yves Roux applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, sur l’article.
Mme Marie-Pierre Monier. Cette proposition de loi de notre collègue Jean-Michel Arnaud est issue d’un travail collectif de longue haleine mené par des sénateurs et sénatrices de tous bords. Son objectif était de parvenir à un compromis avec le précédent gouvernement pour assouplir les modalités du transfert des compétences et revenir sur son caractère obligatoire pour les communes de montagne. Le texte aurait dû être examiné après la dissolution de l’Assemblée nationale : il est important de le rappeler pour comprendre le contexte de sa rédaction initiale.
Il s’agissait pour nous, signataires de cette proposition de loi, d’être pragmatiques et de trouver le chemin pour aller aussi loin que possible dans le cadre qui existait alors. Les annonces du nouveau Premier ministre changent la donne et nous permettent à présent d’espérer aller bien plus loin, jusqu’au retour à un caractère facultatif du transfert des compétences « eau » et « assainissement » pour les communes qui ne l’ont pas encore opéré.
L’article 1er de ce texte a donc vocation à évoluer ; à cette fin, plusieurs amendements ont été déposés. J’ai cosigné l’un d’entre eux, dont mes collègues Maryse Carrère et Jean-Yves Roux sont à l’initiative.
S’il est vrai que la gestion de la ressource en eau constitue un enjeu primordial pour notre avenir et que cela nécessite de la coopération et de la solidarité, c’est, à mon sens, le libre choix des communes qui permettra d’aboutir à des solutions de mutualisation choisie, cohérentes avec la réalité des territoires et des bassins versants.
Loin des postures caricaturales, beaucoup d’élus y réfléchissent concrètement. Certains d’entre eux étudient des mutualisations entre bassins versants, mais avec une coordination sur toute l’intercommunalité pour garantir le dialogue et une cohérence dans la stratégie d’ensemble ; d’autres envisagent de transférer une des deux compétences, mais pas l’autre ; certains, enfin, conçoivent des outils de coordination intercommunale qui ne s’opposent pas au libre choix des communes.
Les idées ne manquent pas, et en redonnant la liberté de choisir aux communes nous favoriserons leur mise en œuvre. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme Cécile Cukierman et M. Jean-Yves Roux applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Panunzi, sur l’article.
M. Jean-Jacques Panunzi. C’est la troisième fois que j’interviens dans cet hémicycle sur ce sujet qui est devenu un serpent de mer imposé de façon descendante contre l’avis des élus locaux, lesquels veulent garder la maîtrise des compétences « eau » et « assainissement ».
La déclaration du Premier ministre Michel Barnier sonne le glas de cette hérésie qui témoignait de la méconnaissance du rural, de ses contraintes et de ses réalités. Comme beaucoup d’entre nous, j’applaudis des deux mains sa prise de position, qui doit désormais se traduire au niveau législatif, madame la ministre.
Le transfert doit tout simplement être optionnel, basé sur le principe d’une volonté concordante des communes et des EPCI qui le souhaitent, et ne doit en aucun cas être contraint. C’est ce que prévoyait déjà la proposition de loi portée par notre collègue Bruno Retailleau en 2017.
Plus de sept années ont été nécessaires pour que la raison l’emporte et le Sénat, une fois de plus, s’est montré clairvoyant. Il s’agit d’un changement de cap salutaire pour les communes, pour la ruralité en général, et pour la Corse en particulier : notre île profondément rurale dispose d’un maillage communal aussi dense qu’éparpillé. L’obligation de transférer la compétence aurait été désastreuse pour les administrés et pour tous les élus locaux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l’article.
Mme Cécile Cukierman. Cette intervention vaudra explication de vote sur les différents amendements.
À l’heure où nous parlons, le tiers méridional de notre pays traverse un épisode cévenol d’une intensité sans précédent. En ce moment même, des habitants sont contraints d’évacuer leur maison. Permettez-moi d’avoir une pensée émue pour celles et ceux qui, dans mon département, et plus particulièrement au cœur de la vallée du Gier, sont obligés depuis quelques heures de quitter leur domicile et ne pourront y passer la nuit.
Je souhaite également exprimer ma solidarité envers ceux qui ne peuvent emprunter la ligne de transport entre Lyon et Saint-Étienne, pourtant la plus fréquentée de France après celles d’Île-de-France, qui est interrompue. Mes pensées vont aussi à ceux qui rentreront chez eux très tardivement, les routes, autoroutes et déviations étant coupées entre ces deux villes.
J’évoque ces faits après avoir entendu les interventions de certains de nos collègues. La gestion de l’eau est un sujet dont nous devons tous nous préoccuper. Depuis l’aube de l’humanité, la maîtrise de l’eau et du feu est un défi permanent. Pour autant, ne nous méprenons pas : le texte que nous nous apprêtons à voter ce soir, qui préserve la possibilité d’exercer cette compétence au niveau communal, n’est pas directement lié à cet enjeu en particulier.
Dans les territoires que je viens de mentionner, la compétence « eau » a été transférée à l’échelon supérieur, c’est-à-dire aux métropoles de Lyon ou de Saint-Étienne. Lorsque l’eau déborde, elle déborde ; la question n’est pas de savoir qui doit la gérer. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Marie-Pierre Monier applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, sur l’article.
M. Daniel Chasseing. Je m’associe à ce qui vient d’être dit au sujet des sinistrés de nombreux départements.
Je tiens à remercier Jean-Michel Arnaud, l’auteur de cette proposition de loi, Alain Marc, le rapporteur, et tous ceux qui ont travaillé sur ce sujet depuis longtemps. Merci également à Mme la ministre Françoise Gatel, qui a bien accompagné cette proposition de loi, ainsi qu’au Premier ministre.
Le Sénat s’est montré persévérant. Ce texte vise à ne plus rendre obligatoire le transfert des compétences « eau » et « assainissement » aux communautés de communes dès 2026. Les maires pourront ainsi être libres de leur choix, ce qu’ils souhaitent dans leur immense majorité – ceux que j’ai rencontrés durant l’été me l’ont confirmé. S’ils n’ont pas déjà effectué ce transfert, ils pourront conserver la gestion de l’eau et de l’assainissement de leur commune, ou la transférer à un syndicat infracommunal.
Les maires sont responsables. S’ils veulent conserver cette gestion, c’est parce qu’ils ne rencontrent pas de problème de ressources en eau, et qu’ils peuvent assurer ce service à moindre coût. Ils pourront eux-mêmes proposer des mutualisations ou des interconnexions, et bénéficier des conseils du département, pour une gestion pragmatique du territoire.
Faisons confiance aux maires, qui sont attachés à cette compétence et connaissent parfaitement les réseaux et les ressources en eau de leur commune. De plus, que feraient-ils de leurs personnels en cas de transfert ?
Par ailleurs, la prise en charge du transfert s’avérerait très compliquée pour les plus petites communautés de communes.
Merci pour ce débat constructif qui, grâce à une modification de la loi NOTRe, rend aux maires leur responsabilité en leur faisant confiance. Il est nécessaire de renforcer les compétences des communes, qui sont plébiscitées par nos concitoyens.
Le Sénat avait donc eu raison de voter le report de l’obligation à 2026 ! (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville, sur l’article.
M. Franck Menonville. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je m’associe aux propos de nos collègues concernant les sinistrés.
Le texte que nous examinons ce soir concrétise dix années d’engagement de notre Haute Assemblée pour corriger la loi NOTRe et le transfert de compétences « eau » et « assainissement » à marche forcée, redonnant ainsi des libertés locales aux communes.
Le Sénat s’est pleinement mobilisé sur ce sujet, qui a suscité tant d’inquiétudes chez nos élus locaux. À ce titre, je tiens à saluer le travail remarquable d’Alain Marc, rapporteur, de Jean-Michel Arnaud, auteur de la loi, de Mathieu Darnaud, rapporteur de la loi Engagement et Proximité et de Jean-Yves Roux, auteur de la proposition de loi visant à permettre une gestion différenciée des compétences « eau » et « assainissement ». Je me félicite, enfin, de l’implication de nos collègues Cécile Cukierman et Marie-Pierre Monier.
Cette énumération, certes incomplète, témoigne du travail transpartisan accompli au sein de notre assemblée pour apporter des solutions satisfaisantes et adaptées aux réalités des territoires.
Aujourd’hui, le travail des élus locaux doit être guidé par une logique de résultat adaptée à leur territoire et à ses spécificités, et non par des moyens imposés d’en haut, afin de disposer d’une eau de qualité, en quantité suffisante et avec des rendements satisfaisants. Il n’existe pas de schéma efficace imposant une gestion rigide et un transfert obligatoire.
Ce texte et les amendements que nous allons examiner constituent une véritable reconnaissance des libertés locales qui vous sont chères, madame la ministre.
Il s’agit d’une loi de liberté et de responsabilité pour les élus et les territoires de France. Je tenais donc à saluer votre action, ainsi que le courage politique du Premier ministre. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et Les Républicains. – Mme Cécile Cukierman applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Akli Mellouli, sur l’article.
M. Akli Mellouli. Je m’associe aux propos de la présidente Cukierman et des orateurs précédents exprimant notre soutien aux populations victimes d’intempéries. Cela nous rappelle l’importance de la gestion de l’eau et de l’assainissement.
Pour autant, il convient d’être vigilant, car il s’agit non pas d’opposer les uns aux autres, mais de permettre de faire du sur-mesure. Égalité et unité ne sont pas synonymes d’uniformité ; nous pouvons respecter l’unité et l’égalité territoriales sans pour autant être uniformes. Il s’agit précisément de permettre à chacun de faire comme il l’entend, y compris dans les outre-mer, d’ailleurs, car nous ne sommes pas tous confrontés aux mêmes réalités et aux mêmes enjeux et il est bon d’en tenir compte.
En revanche, nous devons non pas défaire ce qui existe, mais, au contraire, l’enrichir. À ce titre, ce texte permet l’expérimentation. Peut-être demanderons-nous plus tard au Gouvernement de modifier ce cadre, car il faudra évaluer les effets de cette loi et ses incidences sur les territoires.
Il s’agit non pas d’offrir aux communes un chèque en blanc, mais de garantir leur liberté et de leur permettre de construire de nouvelles opportunités et d’innover. Cette démarche n’est pas incohérente, car nous n’opposons pas les systèmes, nous enrichissons notre arsenal.
Il faut donc permettre à chacun de travailler à sa mesure afin de créer les conditions d’une meilleure qualité de vie sur le territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Frédérique Espagnac, sur l’article.
Mme Frédérique Espagnac. Alors que les Pyrénées-Atlantiques sont sous les eaux, je tiens à exprimer ma solidarité à tous les habitants, à tous les élus qui se battent pour les accompagner dans cette épreuve, ainsi qu’aux services publics qui leur viennent en aide.
Nous étions quelques socialistes à nous opposer, à l’époque, à la loi NOTRe et à affirmer qu’il s’agissait d’une erreur. La situation actuelle prouve que certains combats, parfois considérés comme perdus d’avance, méritent d’être menés et nous démontrons ensemble, sur toutes les travées, que nous avons eu raison de continuer à lutter : après dix ans, le résultat est là.
Je tiens à rappeler que résultat est aussi dû à la mobilisation de nombreux conseils municipaux qui nous ont saisis pour crier haut et fort que la proximité, dans certains territoires, surtout ruraux et de montagne, est primordiale.
Madame la ministre, je vous remercie d’être présente au banc aujourd’hui et de tenir le même discours que lorsque vous siégiez dans les travées de cet hémicycle, et que vous avez rappelé la semaine dernière devant le congrès de l’Association nationale des élus de la montagne. Il est important que nous, responsables politiques, gardions les mêmes convictions en gagnant en responsabilité, quels que soient les postes que nous occupons.
Il ne s’agit pas d’opposer les uns aux autres. La pluralité de nos territoires prouve qu’il est nécessaire d’adapter les décisions au plus près, en fonction de leurs besoins. Les compétences en matière d’eau et d’assainissement sont évidemment à la main des maires, et il est incongru que Paris vienne détricoter la répartition de ces compétences essentielles pour une gestion optimale de nos territoires.
Dans ces moments où il est urgent d’agir et de gérer au plus près les problématiques de nos réseaux, ce sont, dans certains territoires, les syndicats de bassins versants, les communes et les services de proximité qui permettent d’être efficaces.
Rappelons que, à ce jour, 50 % de nos communes n’ont pas effectué le transfert de compétences et que la question du pouvoir d’achat de nos concitoyens se pose également. Ce combat se mène aussi au plus près des territoires.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. Nous aurons l’occasion de débattre des amendements. En cet instant, je tiens à exprimer, comme vous tous, ma solidarité personnelle, mais aussi celle de l’ensemble du Gouvernement, à l’égard des six départements touchés par des épisodes pluvieux d’une violence exceptionnelle. Certains affirment que, de mémoire d’homme, on n’avait jamais rencontré d’événement aussi violent.
Le Gouvernement a activé la cellule de crise et mes pensées, comme les vôtres, vont tout particulièrement à nos concitoyens durement éprouvés, à vous, parlementaires, qui portez vos territoires avec tant d’attachement, ainsi qu’aux élus locaux, toujours en première ligne, et à l’ensemble des services préfectoraux et des services de secours, dont la mobilisation est remarquable. Qu’ils reçoivent mes plus sincères remerciements.
Puissions-nous, grâce à la solidarité nationale qui s’exprime aussi ici sur d’autres sujets et à notre capacité à dépasser nos clivages, faire front commun face à ces éléments et faire ressentir aux intéressés la profondeur de notre solidarité.
Permettez-moi de citer nommément les départements concernés, afin que l’expression de cette solidarité ne reste pas théorique. Mes pensées vont à l’Ardèche – je salue les sénateurs présents qui vont devoir nous quitter –, à la Loire – j’ai été très attentive aux propos tenus par la présidente Cukierman –, à la Haute-Loire, au Rhône, à la Lozère et aux Alpes-Maritimes.
Soyez assurés de notre solidarité la plus sincère envers chacun d’entre vous. (Applaudissements.)
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements identiques.
L’amendement n° 3 rectifié est présenté par Mme Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
L’amendement n° 9 rectifié bis est présenté par Mme M. Carrère, MM. Roux et Bilhac, Mme Briante Guillemont, MM. Cabanel, Daubet, Fialaire, Gold, Grosvalet et Guiol, Mme Jouve, MM. Laouedj et Masset et Mmes Pantel et Monier.
L’amendement n° 13 rectifié ter est présenté par MM. Buis, Lévrier, Fouassin, Patient, Haye et Rambaud.
L’amendement n° 14 est présenté par M. A. Marc, au nom de la commission.
Ces amendements sont ainsi libellés :
Rédiger ainsi cet article :
I. – L’article L. 5214-16 du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :
1° Le I est ainsi modifié :
a) Les 6° et 7° sont ainsi rédigés :
« 6° Assainissement des eaux usées, lorsque l’ensemble des communes lui ont transféré cette compétence à la date de promulgation de la loi n° … du … visant à assouplir la gestion des compétences “eau” et “assainissement” ;
« 7° Eau, lorsque l’ensemble des communes lui ont transféré cette compétence à la date de promulgation de la loi n° … du … visant à assouplir la gestion des compétences “eau” et “assainissement”. » ;
b) Les treizième à dix-septième alinéas sont remplacés par trois alinéas ainsi rédigés :
« La communauté de communes peut déléguer, par convention, tout ou partie des compétences mentionnées aux 6° et 7° du présent I ainsi que la compétence relative à la gestion des eaux pluviales urbaines définie à l’article L. 2226-1 à l’une de ses communes membres ou au profit d’un syndicat mentionné à l’article L. 5212-1 et inclus en totalité dans le périmètre de la communauté de communes. Par dérogation à l’article L. 5214-21, le syndicat délégataire est administré dans les conditions prévues à l’article L. 5211-7. Lorsqu’une commune demande à bénéficier d’une délégation, l’organe délibérant de la communauté de communes statue sur cette demande dans un délai de deux mois.
« Les compétences déléguées en application du treizième alinéa du présent I sont exercées au nom et pour le compte de la communauté de communes délégante.
« La convention conclue entre les parties et approuvée par leurs assemblées délibérantes précise la durée de la délégation et ses modalités d’exécution. Elle détermine notamment les conditions tarifaires des services d’eau et d’assainissement des eaux usées sur le territoire de la communauté de communes. Les autres modalités de cette convention sont définies par décret en Conseil d’État. »
2° Le II est ainsi modifié :
a) Les 6° et 7° sont ainsi rétablis :
« 6° Assainissement des eaux usées, dans les conditions prévues à l’article L. 2224-8 du présent code ;
« 7° Eau ; » ;
b) Après le 7°, sont insérés trois alinéas ainsi rédigés :
« La communauté de communes peut déléguer, par convention, tout ou partie des compétences mentionnées aux 6° et 7° du présent II ainsi que la compétence relative à la gestion des eaux pluviales urbaines définie à l’article L. 2226-1 à l’une de ses communes membres ou au profit d’un syndicat mentionné à l’article L. 5212-1 et inclus en totalité dans le périmètre de la communauté de communes. Par dérogation à l’article L. 5214-21, le syndicat délégataire est administré dans les conditions prévues à l’article L. 5211-7. Lorsqu’une commune demande à bénéficier d’une délégation, l’organe délibérant de la communauté de communes statue sur cette demande dans un délai de deux mois.
« Les compétences déléguées en application du douzième alinéa du présent II sont exercées au nom et pour le compte de la communauté de communes délégante.
« La convention conclue entre les parties et approuvée par leurs assemblées délibérantes précise la durée de la délégation et ses modalités d’exécution. Elle détermine notamment les conditions tarifaires des services d’eau et d’assainissement des eaux usées sur le territoire de la communauté de communes. Les autres modalités de cette convention sont définies par décret en Conseil d’État. »
II. – L’article 1er de la loi n° 2018-702 du 3 août 2018 relative à la mise en œuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes est abrogé.
III. – Les II, IV et V de l’article 14 de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique sont abrogés.
IV. – Les III et IV de l’article 30 de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale sont abrogés.
La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour présenter l’amendement n° 3 rectifié.
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour présenter l’amendement n° 9 rectifié bis.
Mme Maryse Carrère. Le 16 mars 2023, lors de l’espace réservé du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE), le Sénat a adopté à une large majorité la proposition de loi de Jean-Yves Roux visant à permettre une gestion différenciée des compétences « eau » et « assainissement ».
Son objectif était, d’une part, de renforcer la liberté des communes souhaitant redevenir titulaires des compétences « eau » et « assainissement » déjà transférées et, d’autre part, d’assurer le maintien et la réversibilité de la délégation de ces compétences aux communes ou aux syndicats.
Initialement, cet amendement visait à réintroduire le texte voté au Sénat. Cependant, monsieur le rapporteur, nous nous sommes ralliés à votre panache blanc : vous nous avez proposé un nouveau dispositif auquel nous souscrivons, pourvu qu’il aboutisse. Il s’agit donc aujourd’hui de revenir sur l’obligation de transfert, qui constituait le dispositif initial et essentiel de la proposition de loi de Jean-Yves Roux.
Nous saluons le retour à une gestion potentiellement différenciée que cette proposition de loi permet, notamment dans nos territoires ruraux et de montagne, que je connais bien.
Fidèles à leurs idées et à leurs valeurs, les membres du groupe RDSE favoriseront l’accompagnement plutôt que la contrainte et préféreront toujours laisser le choix aux élus, conformément au principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales.
Je terminerai mon intervention en ayant une pensée pour nos collègues des départements qui sont fortement touchés par les inondations. Une catastrophe semblable a touché, en 2013, mon département, ma vallée et ma commune. Pour avoir vécu une situation similaire, je sais combien l’on se sent impuissant, en tant que maire, face aux éléments, malgré la présence des services de l’État et de la sécurité civile.
Je salue donc ces élus et je leur souhaite du courage pour affronter la suite des événements. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Buis, pour présenter l’amendement n° 13 rectifié ter.
M. Bernard Buis. Afin de répondre aux attentes des élus locaux, et compte tenu des annonces du Premier ministre sur le sujet, il est proposé au travers de cet amendement de supprimer le caractère obligatoire de ce transfert pour le rendre facultatif. En effet, il est important de permettre aux communes exerçant encore les compétences « eau » et « assainissement » au moment de l’entrée en vigueur de la loi de conserver leur entière liberté de gestion en la matière.
En outre, les transferts déjà réalisés ne seraient pas remis en cause.
Tel est le sens de cet amendement, qui correspond aux attentes des maires de nombreuses communes de France, notamment dans la Drôme, et plus précisément dans mon Diois natal, comme à Lesches-en-Diois, commune dont j’ai été maire pendant vingt-trois ans. Je précise que, à l’époque déjà, j’étais opposé à ce transfert de compétences.
Je pense également aux maires des communes voisines, Beaumont-en-Diois et La Motte-Chalancon, parmi tant d’autres encore.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l’amendement n° 14.
M. Alain Marc, rapporteur. Avec les événements climatiques en cours, il m’est particulièrement difficile d’être ici à discourir sur des amendements. Mais la vie est ainsi faite, et pendant que les services de la sécurité civile essaient de secourir les biens et les personnes, nous devons continuer notre œuvre législative.
Cet amendement est un point d’équilibre qui devrait favoriser l’accord avec le Gouvernement. Les communes qui n’ont pas encore transféré les compétences « eau » et « assainissement » auront le choix de le faire ou non. C’est donc le principe de liberté qui est ainsi consacré.
Parfois, le diable se niche dans les détails. De nombreuses communes se sont lancées dans des études visant à préparer ce transfert de compétences aux communautés de communes, parce que les préfets ou les sous-préfets leur avaient en quelque sorte forcé la main… Nous avons donc tenu à préciser dans la rédaction de cet amendement que les délibérations ayant eu lieu dans le cadre de ces études ne pouvaient être utilisées pour arguer que ces communes auraient opéré un tel transfert. (Mme la ministre déléguée approuve.)
En revanche, les dispositions de cet amendement ne permettent aucun retour en arrière pour les transferts de compétences déjà effectués.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. Les auteurs de ces amendements ont respecté la volonté du Gouvernement de ne pas revenir sur les transferts de compétences déjà réalisés. Ils se conforment également au principe de libre administration des collectivités territoriales et font confiance au sens de la responsabilité des élus.
De plus, je salue leur rédaction : comme Alain Marc vient de le rappeler à juste titre, il fallait faire preuve en la matière d’une très grande précision.
J’émets donc un avis favorable sur ces quatre amendements identiques.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 3 rectifié, 9 rectifié bis, 13 rectifié ter et 14.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Je rappelle que l’avis du Gouvernement est favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 17 :
Nombre de votants | 329 |
Nombre de suffrages exprimés | 322 |
Pour l’adoption | 277 |
Contre | 45 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, l’article 1er est ainsi rédigé. (Applaudissements.)
Après l’article 1er
M. le président. L’amendement n° 8, présenté par M. J. M. Arnaud, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé
Après le I de l’article L. 5216-5 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un paragraphe ainsi rédigé :
« … – Les 8° à 10° du I ne sont pas applicables lorsque la communauté d’agglomération est exclusivement composée de communes situées en zone de montagne au sens de l’article 3 de la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne.
« Lorsqu’elle est exclusivement composée de communes situées en zone de montagne, la communauté d’agglomération peut, à tout moment et en tout ou partie, restituer à chacune de ses communes membres les compétences mentionnées aux 8° à 10° du I, après accord de la moitié au moins des conseils municipaux des communes membres, ou à une ou plusieurs de ses communes membres après délibérations concordantes de l’organe délibérant de la communauté d’agglomération et des conseils municipaux des communes membres concernées. Sont applicables à ces restitutions de compétences les articles L. 1321-1 à L. 1321-6 du présent code.
« Les délibérations mentionnées au deuxième alinéa du présent paragraphe définissent le coût des dépenses liées aux compétences restituées ainsi que les taux représentatifs de ce coût pour l’établissement public de coopération intercommunale et chacune de ses communes membres ou à une ou plusieurs communes membres dans les conditions prévues au 4 du … du B du III de l’article 85 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006.
La restitution de compétences est prononcée par arrêté du ou des représentants de l’État dans le ou les départements intéressés.
« Les conventions de délégation conclues en application des treizième à dix-septième alinéas du I du présent article ou du IV de l’article 14 de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique demeurent valables en l’absence de modification du titulaire de l’exercice des compétences mentionnées aux 8° à 10° du I du présent article postérieurement à la publication de la loi n° … du … visant à assouplir la gestion des compétences « eau » et « assainissement ».
« Lorsque les compétences mentionnées aux 8° à 10° du … sont restituées, en tout ou partie, aux communes membres d’une communauté d’agglomération exclusivement composée de communes situées en zone de montagne, les conventions de délégation, conclues en application des treizième à dix-septième alinéas du I du présent article ou du IV de l’article 14 de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 précitée, sont maintenues pendant une durée d’un an à compter de la délibération des conseils municipaux se prononçant sur la restitution des compétences précitées. La communauté d’agglomération et les communes concernées délibèrent, au cours de cette année, sur le principe d’une délégation de tout ou partie des compétences « eau », « assainissement des eaux usées », « gestion des eaux pluviales urbaines », ou de l’une d’entre elles, aux communes ou aux syndicats délégataires à la date de la restitution de compétences. »
La parole est à M. Jean-Michel Arnaud.
M. Jean-Michel Arnaud. Pour trouver un équilibre, nous avons écarté de ce texte la possibilité de « détransférer » les compétences dans les comités d’agglomération.
J’avais initialement déposé un amendement visant à rétablir le caractère facultatif de l’exercice des compétences « eau » et « assainissement » par les communautés d’agglomération situées intégralement en zone de montagne. On en compte onze en France, dont cinq en métropole.
La communauté d’agglomération de Gap-Tallard-Durance me tient particulièrement à cœur. Elle a subi l’obligation du transfert de compétences, alors que ni les communes membres ni l’agglomération ne le souhaitaient. Résultat, des contentieux ont surgi, qui sont encore pendants, le dialogue entre les communes est devenu difficile et le dispositif souffre de lourdeurs.
En fait, on applique un dispositif de délégation prévu par la loi Engagement et proximité. Or les flux financiers des communes vers la communauté d’agglomération ne sont pas toujours réalisés, des actifs sont transférés au budget annexe de la communauté d’agglomération bien que celle-ci soit dans l’impossibilité de les amortir, compte tenu de l’absence de remontée de recettes, et certains projets d’investissement se retrouvent freinés ou quasiment à l’arrêt. Cette situation est, bien évidemment, dommageable.
Nous avons trouvé un point d’équilibre, ici, au Sénat. Il est important que nos collègues de l’Assemblée nationale fassent aussi leur part du travail, et je ne doute pas qu’ils se saisiront de ce sujet dans le cadre d’un débat plus approfondi, tout en respectant la convergence de vues que nous avons su établir.
Mes chers collègues, le problème que je viens d’évoquer n’est peut-être qu’un détail pour vous, mais pour moi, ça veut dire beaucoup. (Exclamations amusées.) Ma position est difficile à défendre, compte tenu du consensus auquel nous sommes parvenus, mais je souhaite adresser au Gouvernement un appel à la vigilance, pour qu’il prenne en compte le cas particulier de ces communautés d’agglomération.
En l’occurrence, il faudrait travailler avec des représentants de la communauté de Gap-Tallard-Durance et de ses 17 communes membres – je précise que j’ai été maire de Tallard pendant vingt ans –, pour trouver des voies d’assouplissement du dispositif qui permettront à chacun de retrouver l’envie de faire.
Cela dit, je retire mon amendement, monsieur le président. (Applaudissements.)
M. Alain Marc, rapporteur. Je salue l’esprit de responsabilité de notre collègue Jean-Michel Arnaud. Il a su se départir des pressions qui s’exercent sans doute dans son département, et je tiens à l’en remercier sincèrement.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. Les sénateurs sont exigeants et persévérants, mais ils savent aussi se montrer sages. Je tiens, moi aussi, à saluer la position exprimée par Jean-Michel Arnaud.
La gestion des compétences « eau » et « assainissement » est un sujet qui nous occupe depuis longtemps. Ce texte nous offre l’occasion de corriger des anomalies et de faire valoir des conceptions qui ne sont pas forcément partagées par tous.
Toutefois, monsieur le sénateur, je connais la situation de la communauté d’agglomération de Gap-Tallard-Durance. J’en ai discuté avec le préfet, ainsi qu’avec des représentants de la direction régionale et interrégionale des finances publiques (DRFip). L’ensemble des services déconcentrés de l’État est à votre disposition pour régler les quelques ajustements de mise en œuvre.
Il s’agit non pas de revenir sur la loi et sur les dispositions que nous nous apprêtons à voter, mais d’accompagner la communauté d’agglomération dans la mise en œuvre du dispositif.
M. le président. L’amendement n° 1, présenté par M. Rochette, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le premier alinéa de l’article 1er de la loi n° 2018-702 du 3 août 2018 relative à la mise en œuvre du transfert des compétences « eau » et « assainissement » aux communautés de communes est complété par les mots : « sauf si la commune met en œuvre avec la communauté de communes dont elle est membre le dispositif conventionnel prévu à l’alinéa quatre du présent article ».
La parole est à M. Pierre Jean Rochette.
M. Pierre Jean Rochette. Si vous m’y autorisez, monsieur le président, je présenterai en même temps l’amendement n° 2.
M. le président. J’appelle donc en discussion l’amendement n° 2, présenté par M. Rochette, et ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 1er de la loi n° 2018-702 du 3 août 2018 relative à la mise en œuvre du transfert des compétences « eau » et « assainissement » aux communautés de communes est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« La compétence « eau » peut exceptionnellement rester, partiellement ou totalement, à la commune au 1er janvier 2026 si, avant le 1er janvier 2025, la commune et la communauté de communes délibèrent de manière concomitante pour prévoir le maintien de cette compétence à la commune. La communauté de communes et la commune membre concernée doivent alors prévoir, par une convention conclue avant le 1er mars 2025, les objectifs devant être atteints par la commune en termes de qualité de service et d’interconnexion. À défaut pour la commune d’atteindre ces objectifs, la communauté de communes met en demeure la commune d’y satisfaire sous six mois. Dans l’hypothèse où les objectifs ne sont toujours pas atteints à cette date, la communauté de communes peut décider unilatéralement que la compétence sera transférée à la date qu’il lui semble, avec un délai minimal de six mois à respecter.
« Le président de la communauté de communes peut choisir, préalablement aux délibérations, d’initier une consultation auprès des élus des communes membres quant à l’opportunité du maintien de la compétence « eau » aux communes. »
Veuillez poursuivre, mon cher collègue.
M. Pierre Jean Rochette. Ces deux amendements visent à prévoir des échanges directs entre l’État et les communes, pour que celles-ci puissent récupérer leur totale liberté en négociant la gestion de l’eau dans leur périmètre communal.
Toutefois, je considère que l’article 1er, tel qu’il a été réécrit, satisfait ces amendements. Et comme il faut savoir s’effacer au bénéfice du collectif, je les retire, monsieur le président. (Applaudissements.)
M. Akli Mellouli. Bravo !
M. le président. Les amendements nos 1 et 2 sont retirés.
Article 2
I. – Le I de l’article L. 5214-16 du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :
1° Le quatorzième alinéa est ainsi modifié :
a) Au début, sont ajoutés les mots : « Par dérogation au deuxième alinéa du I de l’article L. 5214-21, » ;
b) Le mot : « neuvième » est remplacé par le mot : « seizième » ;
c) La date : « 2019 » est remplacée par la date : « 2026 » ;
d) Est ajoutée la phrase suivante : « Lorsqu’elle intervient après la date d’entrée en vigueur de la loi n° … du … visant à assouplir la gestion des compétences “eau” et “assainissement”, la création d’un nouveau syndicat inclus en totalité dans le périmètre de la communauté de communes est soumise à l’avis conforme de la commission départementale de la coopération intercommunale prévue à l’article L. 5211-42. » ;
2° Au quinzième alinéa, les mots : « neuvième et dixième » sont remplacés par les mots : « seizième et dix-septième ».
II. – La première phrase du premier alinéa du IV de l’article 14 de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique est ainsi modifiée :
1° Les mots : « , existant au 1er janvier 2019 et » sont supprimés ;
2° À la fin, sont ajoutés les mots : « lorsque celle-ci intervient avant le 1er janvier 2026 ».
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 4 est présenté par Mme Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
L’amendement n° 15 est présenté par M. A. Marc, au nom de la commission.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour présenter l’amendement n° 4.
Mme Cécile Cukierman. Il est défendu, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l’amendement n° 15.
M. Alain Marc, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer l’article 2, en cohérence avec la réécriture globale de l’article 1er qui vient d’être votée.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. Si vous le permettez, monsieur le président, je reviendrai un instant sur les amendements de M. Rochette, dont je salue la démarche. En effet, ses deux amendements visaient à sécuriser le dispositif.
L’amendement n° 17 que M. le rapporteur va présenter dans quelques instants devrait apaiser encore davantage les inquiétudes de notre collègue, puisqu’il tend à organiser un dialogue territorial dans le cadre d’une CDCI, dont je précise qu’elle ne sera pas normative, afin de débloquer certaines situations.
Savoir s’incliner devant l’intérêt collectif est une caractéristique de la Haute Assemblée que je salue une fois encore ! (Applaudissements.)
M. Pierre Jean Rochette. Bravo, madame la ministre !
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. Par ailleurs, j’émets un avis favorable sur les amendements identiques nos 4 et 15.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 4 et 15.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, l’article 2 est supprimé.
Article 3
Après le premier alinéa de l’article 1er de la loi n° 2018-702 du 3 août 2018 relative à la mise en œuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« Une ou plusieurs communes membres d’une communauté de communes, qui exercent les compétences mentionnées au 6° et au 7° du I de l’article L. 5214-16 du code général des collectivités territoriales, peuvent également, avant le 1er janvier 2026, transférer ces compétences au profit d’un syndicat mentionné à l’article L. 5212-1 et inclus en totalité dans le périmètre de la communauté de communes.
« Le transfert intervient après délibération des conseils municipaux des communes membres concernées, prise avant le 1er janvier 2026. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 5 est présenté par Mme Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
L’amendement n° 16 est présenté par M. A. Marc, au nom de la commission.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour présenter l’amendement n° 5.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l’amendement n° 16.
M. Alain Marc, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer l’article 3, en cohérence, là encore, avec la nouvelle rédaction de l’article 1er.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. Je salue la qualité des amendements de Mme Cukierman et de M. Marc,…
Mme Cécile Cukierman. Merci !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 5 et 16.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 17, présenté par M. A. Marc, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l’article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article L. 5211-45 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un article L. 5211-45-… ainsi rédigé :
« Art. L. 5211-45-… – Au moins une fois par an, la commission départementale de coopération intercommunale se réunit pour évoquer l’organisation territoriale des compétences « eau » et « assainissement » .
« La convocation adressée aux membres par le représentant de l’État est accompagnée d’un rapport relatif à l’exercice des compétences « eau » et « assainissement » à l’échelle du département, présentant notamment les enjeux liés à la qualité et la quantité de la ressource ainsi qu’à la performance des services et l’efficacité des interconnexions.
« Au regard de ces enjeux, la commission apprécie la cohérence de l’exercice des compétences « eau » et « assainissement » dans le département, eu égard aux contraintes géographiques, organisationnelles, techniques, administratives et financières propres au territoire concerné. Elle formule, le cas échéant, des propositions visant à renforcer la mutualisation des compétences « eau » et « assainissement » à l’échelle du département. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Marc, rapporteur. Cet amendement vise à faire vivre le dialogue territorial au sein de la CDCI.
Ainsi, il sera possible de se concentrer sur certains points qui pourraient poser problème sur un territoire, notamment pour ce qui est de la qualité ou de la salubrité de l’eau. Car, contrairement à ce que l’on aurait pu croire, le passage de la compétence « eau » à la communauté de communes n’aurait pas permis.
Ce dialogue territorial aura lieu chaque année, pour permettre ensuite d’ajuster des propositions en fonction des communes. Il ne sera pas contraignant, même s’il pourra être prescriptif.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. Ce dialogue territorial permettra de débloquer des situations, d’optimiser la gestion de la compétence « eau » et d’améliorer la qualité du service public.
L’avis du Gouvernement est donc favorable.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 3.
Article 4
Le paragraphe 2 de la sous-section 1 de la section 2 du chapitre IV du titre II du livre II de la deuxième partie du code général des collectivités territoriales est complété par des articles L. 2224-7-8 et L. 2224-7-9 ainsi rédigés :
« Art. L. 2224-7-8. – Dans les mêmes conditions que celles prévues aux articles L. 2422-5 à L. 2422-11 du code de la commande publique, les départements peuvent recevoir un mandat, conclu à titre gratuit, de maîtrise d’ouvrage en vue de la production, du transport et du stockage d’eau destinée à la consommation humaine ou en vue de l’approvisionnement en eau, au sens du 3° du I de l’article L. 211-7 du code de l’environnement, confié par l’établissement public de coopération intercommunale ou le syndicat mixte compétent, sous réserve que celui-ci y soit expressément autorisé par ses statuts.
« Art. L. 2224-7-9. – Un syndicat mixte, régi par les articles L. 5721-1 à L. 5722-11, constitué exclusivement d’un ou plusieurs groupements de collectivités mentionnés aux articles L. 5210-1-1 A et L. 5711-1 compétents en matière de production, de transport et de stockage d’eau destinée à la consommation humaine, et d’un ou plusieurs départements limitrophes, peut assurer tout ou partie de ces compétences. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 11 rectifié ter est présenté par MM. Menonville, Dhersin, Henno, Maurey, Longeot, Chauvet, Courtial, P. Martin et Cigolotti, Mme Billon et MM. Pillefer et Parigi.
L’amendement n° 18 est présenté par M. A. Marc, au nom de la commission.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
I. – Alinéa 2
Supprimer le mot :
mêmes
et les mots :
que celles
et les mots :
, sous réserve que celui-ci y soit expressément autorisé par ses statuts
II. – Alinéa 3
Remplacer le mot :
assurer
par le mot :
exercer
La parole est à M. Franck Menonville, pour présenter l’amendement n° 11 rectifié ter.
M. Franck Menonville. Le présent amendement vise à aligner la rédaction de l’article 4 de la proposition de loi sur celle de l’article 18 du projet de loi d’orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture. En effet, celui-ci tend à sécuriser la gestion de l’eau en étendant la capacité d’intervention des départements.
Ainsi, les départements recevront un mandat de maîtrise d’ouvrage confié par l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) ou par le syndicat mixte compétent, sous réserve que ce mandat soit expressément autorisé par les statuts de ces structures.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l’amendement n° 18.
M. Alain Marc, rapporteur. Cet amendement, identique à celui de notre collègue Franck Menonville, tend à améliorer la rédaction de l’article 4. Il s’agit d’une coordination avec le projet de loi d’orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture, qui doit être examiné par la commission des affaires économiques.
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. Je salue l’initiative de M. Menonville et de M. le rapporteur, qui veillent à la nécessaire cohérence entre les textes législatifs.
Je trouve également pertinent de confier la maîtrise d’ouvrage aux départements, car ils sont l’échelon pertinent et ils sauront accompagner les communes qui en auront besoin. C’est une excellente idée !
J’émets donc un avis favorable sur ces amendements identiques.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 11 rectifié ter et 18.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 4, modifié.
(L’article 4 est adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean-Michel Arnaud, pour explication de vote.
M. Jean-Michel Arnaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie les collègues, issus de tous les groupes, qui ont participé à la réussite collective de cette première lecture, notamment Mathieu Darnaud, Cécile Cukierman et Marie-Pierre Monier, ainsi bien sûr que M. le rapporteur. Je salue également nos collaborateurs et les services du Sénat.
Nous avons consacré de longues discussions au petit cycle de l’eau, mais l’actualité du jour nous rappelle la nécessité de travailler aussi sur le grand cycle de l’eau et sur les conséquences qu’entraînent les phénomènes orageux et pluvieux intenses de type cévenol dans la partie sud du pays.
J’y insiste, il faut organiser un débat sur ces sujets dans cet hémicycle. Je pense en particulier au régime d’indemnisation des catastrophes naturelles et au fameux « zéro reste à charge », qui était proclamé urbi et orbi par l’ancienne ministre Dominique Faure et dont l’application pose de véritables difficultés. J’ai pu échanger sur ce sujet avec vous, madame la ministre, lors de votre visite dans mon département il y a quelques jours.
Il faudra également prendre en considération l’accompagnement des communes face au risque de catastrophe naturelle dans la durée, et non pas seulement sous le coup de l’émotion provoquée par une situation particulière. Les maires, qui sont les soutiers de la République, sont en première ligne face aux catastrophes naturelles. Or, dans mon département de 162 communes, pas moins de 53 élus municipaux attendent des accompagnements opérationnels immédiats pour pouvoir reconstruire sans se retrouver avec un budget exsangue.
La solidarité est un autre enjeu à aborder. Nous l’avons envisagée à l’échelon territorial dans le cadre de la mutualisation et au travers des dispositifs de gestion opérationnelle du petit cycle de l’eau. Mais la question du financement de la compétence Gemapi reste posée, car, face aux phénomènes pluvieux et orageux, il faut non seulement pouvoir, mais aussi savoir faire.
Or cela nécessite de la technicité, ainsi que des renforts de terrain : je pense en particulier aux services de restauration des terrains en montagne (RTM), qui ont une vraie expertise pour accompagner les départements. Nos collègues Jean-Yves Roux et Jean-François Rapin, rapporteurs de la mission conjointe de contrôle sur les inondations survenues en 2023 et au début de l’année 2024, pourraient nous en dire plus sur ce sujet.
Il faudrait également prévoir une nouvelle assiette de calcul de la compétence Gemapi, parce que l’on ne pourra pas durablement reconstruire et aider dans l’urgence les élus locaux sans bâtir en amont une nouvelle stratégie du grand cycle de l’eau, incluant un accompagnement particulier pour cette compétence. C’est indispensable dans la mesure où nos territoires sont de plus en plus exposés aux effets incontestables du réchauffement climatique et des phénomènes pluvieux et orageux intenses.
Le coût de ces phénomènes ne s’exprime pas seulement en argent : il pèse aussi sur l’engagement moral, aujourd’hui très détérioré, d’un certain nombre d’élus. Dans mon département, j’ai vu le visage éploré de certains d’entre eux, qui songent à ne pas se représenter, car la situation est trop dure. Je pense en particulier à Mme la maire de Vallouise-Pelvoux, qui a été confrontée à trois séries de catastrophes naturelles en moins de neuf mois et qui ne sait plus comment faire.
Au-delà de l’émotion, il faut donc construire une politique, et je fais confiance au Gouvernement pour trouver des voies de passage.
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour explication de vote.
Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier et à saluer notre rapporteur Alain Marc, qui a réalisé un travail de haute couture sur ce texte.
Je salue également Mme la ministre. Pour plaisanter, je dirais que les ministres se suivent et ne se ressemblent pas. En effet, il est souvent arrivé que, une fois nommés au Gouvernement, certains ne suivent pas la même ligne que lorsqu’ils étaient sénateurs. Mais tel n’est pas votre cas, madame la ministre. Je tiens donc à saluer votre engagement sur ce dossier. (Applaudissements.) La constance dont vous faites preuve dans vos idées et dans vos actions fait plaisir à voir.
Je reprendrai les mots de Cécile Cukierman, qui disait dans la discussion générale qu’il ne s’agissait pas d’« une petite loi ». En effet, elle ne l’est ni pour nous ni pour les maires de nos territoires.
Ce texte répond à une demande très insistante que les élus nous adressaient depuis de nombreuses années. Il supprime un irritant, même s’il en subsiste quelques autres, dont le dispositif du ZAN ou la compétence Gemapi. Il abroge une mesure qui favorisait la perte de confiance dans l’État, notamment de la part des maires. Il rend une légitimité aux communes, en les replaçant au cœur de la vitalité démocratique. Il répond au principe de libre administration des collectivités territoriales. Il intègre la disposition essentielle de la proposition de loi de Jean-Yves Roux.
Enfin, ce texte consacre le rôle de nombreux syndicats, qui fonctionnent très bien, mais que l’on a tendance à oublier, alors qu’ils sont capables d’offrir un service de qualité aux usagers, une sécurisation de la ressource et des investissements importants. Je pense notamment, dans mon département, à cheval sur la Haute-Garonne, au syndicat des eaux Barousse-Comminges-Save, qui regroupe plus de cent communes et qui, depuis plus de quarante ans, leur offre un service vraiment parfait. Je ne comprends pas que l’on puisse envisager de remettre en question la gouvernance de ces syndicats.
Bien évidemment, je salue également le dispositif nouveau qui vise à introduire une obligation de partage des pratiques au travers de la CDCI.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Maryse Carrère. Nous avons encore des efforts à faire. Il faut continuer le travail. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, GEST et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, pour explication de vote.
M. Loïc Hervé. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cet après-midi, le Sénat s’apprête à prendre une décision rationnelle et raisonnable. La loi NOTRe a presque dix ans. Et nous fûmes, dans cet hémicycle, moins d’une cinquantaine à nous opposer à ce texte. Il nous aura fallu dix ans pour réparer une vision biaisée de la décentralisation, qui a créé, dans les territoires, des difficultés majeures.
Dois-je rappeler les problèmes qui ont surgi au sujet de la compétence « tourisme » ? Il a fallu l’opiniâtreté de très nombreux collègues, notamment Mathieu Darnaud, Jean-Yves Roux ou encore Jean-Michel Arnaud, ainsi que de nombreux élus de montagne, pour faire valoir que, dans nos territoires, les réalités humaines sont différentes, que cela soit lié aux reliefs ou aux bassins hydrographiques.
Certains de nos collègues hésitent peut-être encore à voter le texte proposé par notre collègue Jean-Michel Arnaud, quand d’autres voudraient s’abstenir. Je les conjure de réviser leur position avant que le vote n’intervienne. En effet, il est très important d’envoyer un message de liberté aux territoires dans notre pays. Les élus l’attendent ! (Applaudissements.)
Michel Barnier l’a compris : ce message de liberté est absolument fondamental. Si, dans les intercommunalités où il y a encore des hésitations, les élus veulent faire le choix du transfert intercommunal, ils le pourront. Et s’ils veulent garder la gestion syndicale ou la gestion communale, ils le pourront également.
Cela s’appelle la liberté, le respect de nos collègues élus, l’attention portée – il faut le dire, car c’est très important – aux agents et aux techniciens qui travaillent aux côtés des maires dans les communes et dans les structures syndicales et qui sont parfaitement capables d’administrer ces grandes et belles compétences environnementales de l’eau et de l’assainissement ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Louis Vogel, pour explication de vote.
M. Louis Vogel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’eau est un sujet essentiel. Les événements récents le confirment. Nous témoignerons vraiment notre solidarité à nos concitoyens et aux élus locaux si nous trouvons la manière la plus efficace de gérer ce problème, c’est-à-dire si nous décelons le bon niveau de gestion de ce sujet.
Les libertés communales sont essentielles, elles aussi. Il en a été question tout au long de l’après-midi. La liberté communale, c’est la liberté de choix des élus, celle qui consiste à décider ou à s’opposer au transfert des compétences. Mes collègues l’ont rappelé très justement.
La disparition des compétences « eau » et « assainissement » du niveau communal a distendu le lien entre les maires et leur population. Et ce n’est pas une bonne chose.
Elle a aussi eu, comme l’a souligné notre rapporteur, des conséquences très négatives. Les communes qui sont chefs-lieux de canton ont été favorisées au détriment des communes rurales. Comme cela a très souvent été rappelé, les frontières de l’intercommunalité ne correspondent pas nécessairement au bassin hydrographique.
Le transfert de ces compétences était donc une bêtise. Le Sénat l’a dit dès le premier jour, puis Mathieu Darnaud l’a rappelé, et le combat que nous avons mené pendant toutes ces années produit enfin ses résultats, aujourd’hui.
Je veux saluer le travail de nos collègues Jean-Michel Arnaud, qui s’est battu comme un lion, et Alain Marc, qui a retravaillé ce texte ; enfin, bien sûr, celui de la ministre Françoise Gatel, que je remercie de sa bienveillante attention. Il est bon que les ministres qui sont chargés des collectivités territoriales soient issus du Sénat.
Madame la ministre, vous pouvez compter sur les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires pour voter ce texte. Et soyez assurée que le Sénat sera derrière vous pour toutes les autres propositions qui favoriseront les libertés communales. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Pierre Jean Rochette. Tout à fait !
M. le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel, pour explication de vote.
M. Stéphane Sautarel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’ajouterai ma pierre, ou plutôt une goutte d’eau, à ce débat qui est essentiel et où le Sénat a toute sa place, en remerciant tous les collègues qui ont travaillé depuis dix ans pour que nous parvenions aujourd’hui à ce vote.
La date du 17 octobre restera. Elle marque une étape importante.
Madame la ministre, je vous remercie d’avoir inscrit ce texte à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale qui est réservé au Gouvernement. J’espère que nos collègues députés suivront la sagesse du Sénat, favoriseront eux aussi les libertés communales et adopteront cette proposition de loi avant la fin de l’exercice 2024, pour que les élus aient suffisamment de visibilité.
Vous l’avez rappelé, ce texte est celui de la liberté. Mais il est aussi celui de la stabilité, les adaptations qui ont été apportées au cours de son examen en témoignent. Enfin, il est celui de la responsabilité, car nous ne demandons que cela : être responsables, en toute liberté.
Pour élargir le propos, j’espère que ce texte ouvrira l’an I d’une nouvelle relation entre les collectivités territoriales et l’État. C’est une victoire collective, qui est d’abord celle des élus locaux, des maires, des présidents de syndicats, mais aussi des agents qui sont à l’œuvre, de tous ceux qui travaillent sur le terrain et pour lesquels il est important que la gestion de ces compétences soit reconnue, dans le cadre de la liberté des communes.
Ce texte est le résultat d’un travail très partenarial, ouvert et transpartisan dont nous pouvons nous féliciter et nous réjouir.
Rouvrir des possibles pour nos territoires et pour nos collectivités locales me semble essentiel. Nous aurons d’autres occasions de le faire prochainement, notamment dans le cadre de la loi de finances, et peut-être aussi lors de l’examen d’un texte portant sur l’urbanisme.
Encore une fois, je vous remercie, madame la ministre, ainsi que le Premier ministre Michel Barnier, d’avoir permis que ce débat soit rouvert très rapidement, pour que nous aboutissions dès aujourd’hui.
Dans le bel élan de citations qui a ponctué la soirée, je terminerai avec cette pensée de Soljenitsyne : « C’est avec des fissures que commencent à s’effondrer les cavernes. » Empruntons ce chemin, ouvrons des possibles pour tous nos territoires, en toute liberté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.
M. Daniel Salmon. Mes chers collègues, nous voterons cette proposition de loi. Mais permettez-moi de dresser quelques constats.
Il est bien souvent pertinent – je crois que tout le monde s’accorde sur ce point – de confier les compétences « eau » et « assainissement » aux intercommunalités, dans la mesure où un tel transfert contribue à faire vivre la solidarité territoriale. C’est bien souvent à partir de cet échelon que l’on dispose de l’ingénierie suffisante, ainsi que de la capacité à mettre en régie la gestion de ces compétences et à créer des sociétés publiques locales.
C’est ce qui s’est passé pour Rennes Métropole, et je puis vous garantir que les résultats sont au rendez-vous : on observe une baisse généralisée du prix de l’eau et un bien meilleur entretien du patrimoine que celui qu’assuraient les sociétés privées par le passé. Je tiens à le rappeler, la gestion publique est bien souvent un plus sans pareil !
L’eau est un bien commun, qui se moque complètement des frontières, qu’elles soient communales ou intercommunales. Je ne vous apprendrai rien, mes chers collègues, en vous disant que l’aval et l’amont fonctionnent ensemble.
Ce soir, j’ai moi aussi une pensée pour toutes celles et tous ceux qui sont concernés par ces inondations dramatiques. Je viens d’apprendre qu’il est tombé 33 millimètres d’eau en une heure sur le jardin du Luxembourg, ce qui est colossal.
Certains s’en étonnent, alors que tout cela est écrit et que l’on sait pertinemment ce qui va se passer ! Aussi, je souhaiterais que chacun s’empare de cette question et se montre à la hauteur des enjeux bien réels du réchauffement climatique. Il faut dès à présent lutter pied à pied contre ces changements et s’adapter.
Qui dit liberté, dit aussi solidarité : il ne faut pas sacrifier l’une pour l’autre. Nous voterons cette proposition de loi dans sa forme actuelle, et avec plaisir, parce que le dispositif qui est proposé est correctement circonscrit, dans la mesure où il vise les communes de montagne, autrement dit des communes présentant de véritables particularités – je l’admets –, dont il faut tenir compte.
Pour autant, veillons à ne pas saborder les dispositifs qui fonctionnent bien. Nous voterons ce texte, mais il n’est peut-être pas utile d’aller plus loin. (M. Akli Mellouli applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Je suis évidemment satisfaite du vote que nous allons émettre sur ce texte ce soir, mais je ne puis m’empêcher de regarder en arrière et de me dire, comme l’a fait Mathieu Darnaud : « Dix ans, que de temps perdu ! »
M. Alain Marc, rapporteur. Bien sûr !
Mme Cécile Cukierman. À l’époque, nous étions bien peu nombreux à penser ainsi. Et nous étions assez isolés dans cet hémicycle… Je rappelle cela non pas pour me féliciter d’avoir eu raison très tôt et d’avoir fini par être écoutée, mais pour souligner que c’est en y passant du temps, en écoutant ceux qui s’expriment sur le sujet dans les territoires et en travaillant ensemble, dans le respect de chacun, que nous sommes parvenus à élaborer le texte qui sera adopté ce soir.
Pour éviter toute polémique et tout malentendu, je précise que ce texte n’est pas pour ou contre les intercommunalités. Il ne s’agit pas non plus – compte tenu de l’heure avancée, permettez-moi de faire un peu d’ironie – de « gauchir » le Sénat en réclamant la liberté pour tous, en prônant la révolution permanente et en réécrivant l’histoire.
Il s’agit tout simplement d’un texte de raison, qui prend acte que la vision du législateur a été quelque peu jusqu’au-boutiste durant plusieurs années, au point qu’il faille maintenant revenir en arrière. Il faut prendre le temps de faire la loi, en partant des réalités telles qu’elles nous remontent du terrain ; cela permet aussi, n’en doutons pas, un gain de temps.
Madame la ministre, nous attendons que ce texte poursuive son chemin à l’Assemblée nationale et soit promulgué rapidement pour renforcer la liberté communale. Rassurons nos collègues : la liberté ne s’impose jamais ; elle se construit, sans quoi il y a échec. (MM. Jean-Yves Roux et Jean-Michel Arnaud, ainsi que M. le rapporteur, applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Cédric Vial, pour explication de vote.
M. Cédric Vial. Comme cela a été dit, près de dix ans après la loi NOTRe, nous vivons un grand jour, même s’il ne s’agit pas d’un événement à proprement parler exceptionnel, puisque le Sénat a déjà voté récemment la proposition de loi de notre collègue Mathieu Darnaud visant à restituer leur liberté aux communes et intercommunalités.
Ce qui change cette fois, c’est que le Gouvernement fait naître l’espoir – au travers de votre engagement, madame la ministre, et de celui de Michel Barnier – et que le vote de ce texte nous offre des perspectives ; j’en profite pour saluer son auteur, Jean-Michel Arnaud.
Ce n’est pas un hasard si c’est un Savoyard, un montagnard – notre Premier ministre –, qui a eu le courage de faire avancer ce sujet, non seulement parce qu’il connaît les enjeux liés à l’eau et à l’assainissement, ainsi que les risques afférents – il en a fait très tôt un engagement personnel –, mais aussi parce qu’il connaît les problèmes de la montagne, tout comme vous, madame la ministre, même si vous n’y êtes pas confrontée quotidiennement dans votre département. (Sourires.)
Au travers de ce texte, il est question de liberté et de libre administration des collectivités locales, mais aussi de simplification, puisque le dispositif proposé facilitera les démarches. Il remplacera les expérimentations mises en place pour tenter d’atténuer certains effets de la loi NOTRe et pour créer des règles qui, en définitive, n’ont eu d’autre résultat qu’une complexité encore accrue pour la vie dans les territoires. C’est un point positif.
Cette proposition de loi pose aussi la question du sens que nous voulons donner à l’intercommunalisation. Nous montrons que les structures intercommunales servent avant tout à faire aboutir des projets partagés entre plusieurs communes et qu’elles ne sont en aucun cas des collectivités à vocation supracommunale, dont les compétences viendraient d’en haut.
Permettez-moi d’avoir une pensée pour les élus des communes de Haute Maurienne,…
M. Loïc Hervé. Tout à fait !
M. Cédric Vial. … qui, ce soir, constateront probablement que ce texte ouvre des perspectives nouvelles.
Je tiens à remercier tous ceux qui ont pris part à ce texte, au premier titre desquels mon collègue et président de groupe Mathieu Darnaud, Jean-Michel Arnaud, Cécile Cukierman, le rapporteur Alain Marc et la ministre Françoise Gatel. Soyez tous remerciés de votre engagement ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Christophe Chaillou, pour explication de vote.
M. Christophe Chaillou. À mon tour d’exprimer toute ma solidarité aux habitants et élus des territoires touchés par les phénomènes climatiques qui sont survenus aujourd’hui. Selon les prévisions, des intempéries pourraient frapper de la même manière dans quelques jours mon département du Loiret, ce qui est assez logique au regard de sa situation dans le bassin de la Loire. Nous serons donc vraisemblablement confrontés à une situation similaire d’ici peu.
Pour en revenir au texte qui nous occupe ce soir, mes chers collègues, je commencerai par dire que, parmi les raisons de mon engagement politique, il y a ma conviction très forte de la nécessité de la décentralisation et mon attachement à la liberté des communes et des territoires. Je me suis investi il y a très longtemps dans ma commune et dans mon département pour tenter de faire vivre ces principes, que j’estime fondamentaux.
Je fais partie des élus qui ont accompagné la plupart des étapes de la décentralisation ; je me souviens très bien des nombreuses critiques que nous avons dû essuyer, y compris au moment du vote des lois de décentralisation. Ce mouvement national n’a pas fait l’objet d’un enthousiasme immédiat, notamment pour ce qui concerne l’essor des intercommunalités.
Je ne puis donc que me réjouir aujourd’hui que ce processus soit largement accepté sur toutes les travées de cet hémicycle ; c’est sans doute une bonne chose.
Chaque étape de la décentralisation, y compris la loi NOTRe, comportait des avancées positives. Pierre-Alain Roiron a d’ailleurs bien fait de rappeler qu’un certain nombre d’ajustements ont été décidés depuis le vote de ce texte.
Ce soir, je tiens à souligner mon adhésion à cette proposition de loi, que je voterai bien volontiers. Il y a un an, devant les grands électeurs du Loiret, je me suis engagé à agir en fonction de mes convictions, bien évidemment, mais aussi avec beaucoup de pragmatisme et en vertu de mon expérience de maire durant plus de vingt-cinq ans.
J’estime qu’il faut d’emblée faire confiance aux élus locaux : ce sont des personnes majeures, qui savent gérer au mieux leurs collectivités dans l’intérêt de leurs administrés.
Madame la ministre, permettez-moi de souligner, même si je sais que nous pouvons avoir confiance en vous, qu’il ne faudrait pas, d’un côté, accorder une forme de liberté à un certain nombre de communes qui le souhaitent, et, de l’autre, étouffer financièrement toutes les autres. Sachez que l’accumulation des mesures figurant dans le prochain projet de loi de finances suscite beaucoup d’inquiétude et d’émotion dans l’ensemble de nos collectivités territoriales.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Christophe Chaillou. Ces dispositions sont véritablement anxiogènes. Elles perturbent profondément les élus, qui sont en pleine préparation de leur budget.
M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud, pour explication de vote.
M. Mathieu Darnaud. À mon tour de me réjouir de la perspective d’un vote quasi unanime ce soir, ici, au Sénat pour consacrer de nombreuses années de travail et exprimer la volonté d’un nombre important d’élus, dans tous les territoires de France.
J’ai salué tout à l’heure une œuvre collective ; je voudrais y associer notre rapporteur, qui a fait preuve d’une agilité absolue pour se rallier à la mesure annoncée par le Premier ministre, ici même, il y a un peu plus d’une semaine. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, et INDEP. – Mme Cécile Cukierman applaudit également.)
Je veux signaler un point de vigilance, madame la ministre : ce texte devra nécessairement s’accompagner de financements adaptés, notamment pour soutenir les agences de l’eau, qui se sont parfois détournées des communes isolées. La loi est la loi, et celle-ci devra faire l’objet d’un suivi attentif.
N’en doutons pas – je vous en remercie d’avance, madame la ministre –, la procédure accélérée engagée sur ce texte permettra d’aboutir à une loi dans les meilleurs délais. Les élus ont besoin de visibilité.
Je vous remercie aussi, madame la ministre, chère Françoise, de votre disponibilité et de votre écoute. Chacun sait le nombre d’heures que vous avez consacrées à cette problématique de l’eau et de l’assainissement.
Si le Gouvernement rencontrait une quelconque difficulté pour trouver le véhicule législatif adéquat à l’Assemblée nationale, rassurez-vous, les Ardéchois sont prévoyants : notre collègue député Fabrice Brun a déposé une proposition de loi ; et il ne faut pas non plus oublier la proposition de loi de notre collègue Jean-Yves Roux. Tout est donc prêt pour consacrer ce texte et donner aux élus de France la loi qu’ils attendent en matière d’eau et d’assainissement ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, et INDEP. – Mme Cécile Cukierman applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Nédélec, pour explication de vote.
Mme Anne-Marie Nédélec. Je m’associe bien sûr à tous les témoignages de soutien aux habitants et aux élus des communes qui sont aujourd’hui touchées par de violentes intempéries, de plus en plus fréquentes malheureusement.
Ce soir, je suis tout à fait soulagée, non seulement en tant que nouvelle sénatrice, mais surtout en tant que présidente de l’Association des maires de mon département, une fonction que j’occupe depuis peu de temps – pardonnez-moi de ne pas pouvoir m’empêcher d’en parler.
Je suis très attachée à la fois à la libre administration des communes et au respect du travail des maires, notamment ceux des petites communes, que j’ai évidemment beaucoup fréquentés l’année dernière durant la campagne sénatoriale, et qui se sentent de plus en plus dépossédés. Pour ces élus, les compétences « eau » et « assainissement » sont vraiment fondamentales.
Je ne suis pas élue d’une commune de montagne – on en a beaucoup parlé aujourd’hui –, mais du rural profond. Aussi, j’éprouve un peu de tristesse ce soir, parce que j’ai une pensée pour les agglomérations rurales, pour lesquelles ce transfert de compétences imposé est une calamité – pas pour toutes, heureusement, mais pour un nombre non négligeable d’entre elles, dont la mienne, si bien que je parle en connaissance de cause.
J’ai longtemps espéré qu’un retour en arrière soit possible, notamment au moment où rien de concret n’avait encore été vraiment engagé et qu’aucun véritable transfert généralisé de compétences n’avait encore été organisé. Mais j’ai finalement compris qu’un tel recul n’était pas envisageable.
Je suis tout à fait satisfaite de l’énorme pas que nous avons franchi ce soir. Je sais que nombre de maires de mon département y sont très sensibles. Le plus important, me semble-t-il, est d’atteindre nos objectifs en matière de qualité et de préservation de la ressource. Les intempéries de ce jour nous montrent, encore une fois, combien cet enjeu est important.
Laissons les maires choisir la solution qui leur semble la plus adaptée et la plus pertinente ! Je ne doute pas du vote de ce soir et vous en remercie par avance, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Vincent Louault applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Bitz, pour explication de vote.
M. Olivier Bitz. À mon tour de saluer le travail effectué par l’auteur de cette proposition de loi, Jean-Michel Arnaud, par M. le rapporteur et, évidemment, par vous-même, madame la ministre : nos territoires savent qu’ils peuvent compter sur vous, sur votre engagement et sur votre connaissance fine des réalités de nos communes, notamment les plus rurales.
Le travail de rationalisation de la gestion des compétences « eau » et « assainissement » va naturellement se poursuivre dans nos territoires. Dans l’Orne, un travail extrêmement important a justement été engagé en ce sens par notre ancien collègue Jean-Claude Lenoir. Ce travail doit être conforté sur la base du volontariat dans nos communes.
Enfin, je tiens à dire que je trouve que le moment retenu pour adopter ce texte est particulièrement opportun, car nombre de maires se demandent aujourd’hui s’ils se représenteront aux prochaines élections municipales de 2026.
C’est un beau message de confiance que nous leur adressons ce soir, puisque c’est à eux que nous nous en remettons pour gérer les réalités locales – ce sont eux qui les connaissent le mieux –, loin des injonctions du Gouvernement, ou, pis encore, des administrations centrales. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Marc, rapporteur. Je veux saluer l’esprit collaboratif qui a animé nos travaux sur ce texte. Tous ceux qui sont présents ce soir dans l’hémicycle y ont contribué. Naturellement, certains ont été plus allants que d’autres et ont davantage joué le rôle de facilitateurs – ils se reconnaîtront ! (Sourires.)
Permettez-moi aussi de souligner combien la collaboration avec le Gouvernement a été cruciale sur cette proposition de loi. Je veux bien sûr saluer la ministre, Françoise Gatel, sans laquelle rien n’aurait été possible. Le vote de ce texte constitue la première étape d’un processus législatif qui, je n’en doute pas, aboutira à la promulgation d’une loi.
Lors de nos déplacements dans les territoires, nous constatons que d’autres lois, à l’épreuve des faits, posent problème. Nous savons tous, madame la ministre, qu’il faudra affronter et corriger, comme nous le faisons souvent, certains textes qui se révèlent assez néfastes pour les territoires, notamment dans la ruralité.
Je pense bien sûr à l’objectif du ZAN de la loi Climat et Résilience de 2021. (Mme la ministre déléguée s’esclaffe.) Nous comptons sur vous et sur l’esprit de coopération qui prévaut aujourd’hui entre le Sénat et le Gouvernement pour parvenir à corriger cette mesure dans les mois à venir. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. Mesdames, messieurs les sénateurs, en réalité, nous avons abordé deux questions distinctes ce soir : d’une part, les compétences « eau » et « assainissement », dont nous discutons depuis dix ans ; de l’autre, la manière dont nous devons tous ensemble, le Gouvernement, les élus locaux et le Parlement, élaborer la loi.
Chacun a pu se rendre compte de la conviction avec laquelle les uns et les autres ont défendu leurs positions et apprécier les mots qu’ils ont employés.
Dans ce moment extrêmement fort et saisissant, je tiens à saluer l’engagement du Premier ministre Michel Barnier, qui, dès sa déclaration de politique générale, ici au Sénat, comme à l’Assemblée nationale, a exprimé non pas son souhait, mais sa volonté et sa détermination à agir en prenant en compte les réalités et la diversité de nos territoires, ainsi que l’expression à la fois des élus locaux et des parlementaires, afin de bâtir des solutions qui fonctionnent.
L’objectif de Michel Barnier est de faire en sorte que la France fonctionne mieux en menant à bien des projets et des solutions grâce à l’intelligence des territoires. Certains d’entre vous connaissent très bien le Premier ministre : il vient de la montagne, voire de la grande montagne.
M. Loïc Hervé. De la Savoie !
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. J’en profite pour corriger les propos de Cédric Vial : il y a bien un massif de montagnes en Bretagne, que l’on appelle les Monts d’Arrée et qui culmine à 385 mètres… (Rires.) Il fallait que cela fût dit !
M. Loïc Hervé. C’est un massif granitique !
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. Tout à fait, monsieur Hervé, si bien que nous sommes fort entêtés. (Sourires.)
En tout cas, le Premier ministre a montré non seulement qu’il avait des convictions, mais que les choses avançaient conformément à ce qu’il avait annoncé.
Ce soir, je l’ai dit, nous vivons un moment extrêmement important. J’ai compris que, comme à son habitude, le Sénat se proposait déjà d’ouvrir de nouvelles portes… Je parlerai évidemment avec le Premier ministre du ZAN, un sujet sur lequel il s’est d’ailleurs déjà exprimé.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez tous répété tout à l’heure votre conviction que le législateur devait avant tout viser l’efficacité. Permettez-moi de vous rappeler que, au Sénat, nous sommes surveillés ou, du moins, encouragés par Portalis, dont la statue est présente dans notre hémicycle et qui soulignait justement que « les lois sont faites pour les hommes et non les hommes pour la loi ». C’est précisément ce que nous sommes en train de faire ce soir.
Je suis d’accord avec Cécile Cukierman à ce sujet : ce serait une bonne chose que nous nous en remettions davantage à Portalis, même si je sais que cela a été fait plus d’une fois, au moment de concevoir la loi.
Le travail qui a été mené sur ce texte et qui a permis de corriger le dispositif existant montre la persévérance et l’obstination du Sénat. Nous ne pouvons qu’y souscrire quand, comme c’est le cas ici, elle est juste et pertinente.
Je me souviens parfaitement, pour avoir formé un binôme avec lui sur ces textes, de l’état d’esprit de Mathieu Darnaud au moment de l’examen du projet de loi Engagement et Proximité et du projet de loi 3DS : à peine avait-il dit bonjour à la ministre qu’il lui signifiait qu’il faudrait évoquer les compétences « eau » et « assainissement » ! Je salue votre constance, cher Mathieu Darnaud.
M. Mathieu Darnaud. C’est de la persévérance ! (Sourires.)
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. Je rends également hommage à l’esprit transpartisan et constructif dont fait preuve le Sénat à ce sujet, tout en sachant que cela n’enlève rien aux engagements des uns et des autres et aux convictions que vous défendrez lors de débats qui pourraient se tenir dans un climat plus tendu.
En nous montrant capables de nous réunir ici, au Sénat, y compris ceux d’entre vous qui pensent autrement, afin de préserver l’intérêt général, nous avons fait œuvre de salut public. Une telle démarche contribue à l’adhésion de nos élus locaux à une communauté dont ils sont les acteurs principaux, ce qui est à la fois formidable et essentiel.
Mme Cécile Cukierman. Exactement !
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. Cela a été dit, il y a un sujet spécifique à l’eau. Vous savez que Michel Barnier a annoncé une grande conférence nationale sur ce thème. C’est une excellente nouvelle, d’autant que les choses se feront, puisqu’il l’a annoncé – cet homme n’a qu’une parole et il est digne de notre confiance, comme on l’a vu encore aujourd’hui sur la problématique de la gestion des risques.
Je veux avoir un mot pour Jean-Michel Arnaud, puisqu’il a évoqué la situation des Hautes-Alpes. Je me suis moi-même rendue dans ce département la semaine dernière, pour assister au congrès de l’Association nationale des élus de la montagne (Anem).
À cette occasion, je suis allée à la rencontre d’une trentaine de maires, notamment de toutes petites communes qui se sont retrouvées isolées géographiquement après qu’une route s’est effondrée. Je les ai rencontrés discrètement, loin de la presse, pour pouvoir les écouter et travailler sereinement. Grâce à l’engagement du préfet, que je salue, auprès de ces communes, nous travaillons très activement et de manière responsable, à l’élaboration de réponses. Je ne manquerai pas, cher Jean-Michel Arnaud, de vous tenir informé de l’avancée de ce dossier, dès que nous y verrons plus clair.
Par ailleurs, nous n’avons ni détricoté ni détruit l’esprit de solidarité qui est au fondement des intercommunalités. Une structure intercommunale est un espace de coopération où les communes font ensemble ce qu’elles ne peuvent pas faire seules.
M. Loïc Hervé. Tout à fait !
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. Il arrive aussi, parfois, que l’on soit obligé de travailler avec d’autres collectivités. J’ai moi-même été obligée, à l’époque où j’étais encore présidente d’une intercommunalité, de collaborer, en matière d’assainissement, avec une commune qui n’appartenait pas à ma communauté de communes, mais à la métropole. Il s’agissait tout simplement de bon sens et d’efficacité.
Les intercommunalités continueront à vivre de manière apaisée et avec l’adhésion de l’ensemble des communes si nous faisons en sorte qu’elles restent à leur place ; nous avons besoin de cet échelon, car il permet à nombre de nos communes de poursuivre leur action de manière très efficace.
Il me faut évidemment saluer tous les sénateurs présents ce soir dans l’hémicycle, parce qu’ils ont tous fait œuvre utile et effectué du beau travail.
Permettez-moi d’adresser un message plus particulier à Jean-Yves Roux, qui assistait ce matin même au congrès des maires de son département, les Alpes-de-Haute-Provence, auquel il avait eu la gentillesse de m’inviter, une invitation que j’ai déclinée pour être sûre d’être parmi vous ici ce soir. Jean-Yves Roux, lui, a dû prendre l’avion, afin de pouvoir revenir à temps pour le début de l’examen de ce texte. C’est bien la preuve que chacun d’entre vous a travaillé jusqu’au bout.
Je tiens également à saluer le travail d’Alain Marc, qui a su faire du cousu main sur ce texte, qu’il a fait cheminer avec intelligence.
Je ne sais pas s’il faut faire du 17 octobre la journée des libertés, comme on a fait du 4 août le jour de la fin des privilèges, mais nous devons retenir cette date comme celle qui nous a vus fabriquer la loi en partant des réalités des territoires. Cela fonctionnera désormais beaucoup mieux : les élus seront moins irrités, et chacun sera à sa place, grâce à l’accompagnement de l’État. À la manière d’un Michel Blanc, je voudrais dire en cet instant : « Nous avons conclu ce soir ! » (Rires.)
Pour finir, alors que chacun d’entre vous a adressé un message de soutien à l’ensemble de nos concitoyens touchés par les inondations, je souhaite rappeler que 40 départements sont concernés par ces intempéries, dont 34 sont placés en vigilance orange et 6 en vigilance rouge – il s’agit, je le répète, de l’Ardèche, de la Loire, de la Haute-Loire, du Rhône, de la Lozère et des Alpes-Maritimes. Et la catastrophe peut encore s’étendre.
J’exprime donc à mon tour toute ma solidarité à nos concitoyens, au moment où chacun d’entre eux peut mesurer l’engagement de nos maires et constater combien ceux-ci sont incontournables. Notre reconnaissance est immense à leur égard : j’ai la conviction que nos élus sont à la fois libres et responsables ! (Vifs applaudissements.)
M. Loïc Hervé. Bravo !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi, modifiée, visant à assouplir la gestion des compétences « eau » et « assainissement ».
J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe Les Républicains, l’autre, du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 18 :
Nombre de votants | 331 |
Nombre de suffrages exprimés | 326 |
Pour l’adoption | 282 |
Contre | 44 |
Le Sénat a adopté. (Bravo ! et applaudissements.)
9
Modification de l’ordre du jour
M. le président. Mes chers collègues, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement a demandé l’inscription en premier point de l’ordre du jour du mardi 5 novembre prochain :
- du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord sur la création d’un espace aérien commun entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et la République d’Arménie, d’autre part, et de l’accord sur la création d’un espace aérien commun entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et l’Ukraine, d’autre part ;
- du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d’Indonésie relatif à la coopération dans le domaine de la défense ;
- du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l’État indépendant de Papouasie-Nouvelle-Guinée relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces ;
- et du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification de l’accord se rapportant à la convention des Nations unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale.
Ces projets de loi seraient examinés selon la procédure d’examen simplifié.
Le Gouvernement a également demandé l’inscription en avant-dernier point de l’ordre du jour du mardi 5 novembre, sous réserve de leur dépôt, des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l’échelle locale.
Acte est donné de ces demandes.
Nous pourrions en conséquence prévoir de siéger le soir du mardi 5 novembre ; fixer le délai limite de demande de retour à la procédure normale pour l’examen des quatre conventions en forme simplifiée au jeudi 31 octobre à quinze heures ; et fixer le délai limite d’inscription des orateurs dans la discussion générale sur ces textes au lundi 4 novembre à quinze heures.
Y a-t-il des oppositions ?…
Il en est ainsi décidé.
Le Gouvernement a également demandé l’inscription en dernier point de l’ordre du jour du mercredi 6 novembre de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à poursuivre l’expérimentation relative au travail à temps partagé aux fins d’employabilité.
Acte est donné de cette demande.
Nous pourrions en conséquence prévoir de siéger éventuellement le soir du mercredi 6 novembre ; fixer le délai limite de dépôt des amendements de séance sur cette proposition de loi au lundi 4 novembre à douze heures ; et fixer le délai limite d’inscription des orateurs dans la discussion générale sur ce texte au mardi 5 novembre à quinze heures.
Y a-t-il des oppositions ?
Il en est ainsi décidé.
10
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 22 octobre 2024 :
À neuf heures trente :
Questions orales.
À quatorze heures trente :
Éloge funèbre de Jean-Pierre Bansard.
À quinze heures quinze et le soir :
Explications de vote des groupes puis scrutin public solennel sur le projet de loi de simplification de la vie économique (procédure accélérée ; texte de la commission n° 635, 2023-2024) ;
Projet de loi, rejeté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l’année 2023 (texte n° 32, 2024-2025) ;
Projet de loi, rejeté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, d’approbation des comptes de la sécurité sociale de l’année 2023 (texte n° 35, 2024-2025).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures trente.)
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER