M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Anne Souyris. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens pour commencer à remercier le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain de nous permettre de débattre de la proposition de loi de notre collègue Jean-Luc Fichet, que je salue.
Les Ehpad font face à une crise sans précédent : déficit chronique insoutenable, métiers en extrême tension, investissement en berne, risques de fermeture pour cessation de paiements. Nous avons documenté cette situation, avec nos collègues Solanges Nadille et Chantal Deseyne, dans un rapport d’information présenté il y a moins d’un mois au nom de la commission des affaires sociales : tous les Ehpad sont à bout de souffle.
Tous ?… Pas tout à fait. Si, en 2023, 84 % des Ehpad publics hospitaliers et 73 % des Ehpad privés solidaires sont en déficit, les Ehpad privés commerciaux, quant à eux, se maintiennent dans une relative bonne santé financière. Malgré les difficultés liées au contexte économique, le résultat net du secteur privé commercial était en effet de 4,7 % en 2023. La commission des finances souligne certes une réduction de la marge d’excédent brut d’exploitation des Ehpad privés commerciaux entre 2019 et 2023 ; reste que cette marge se maintient à 8,2 % cette dernière année.
Surtout, l’activité profitable des grands groupes privés lucratifs se fait au détriment de la sécurité sociale, des départements et de la justice fiscale. En effet, le budget des Ehpad se compose de trois parties, dont deux sont respectivement financées par les départements et par la sécurité sociale. Par ailleurs, les groupes privés optimisent leur profit via la spéculation immobilière au détriment des usagers et des contribuables, comme l’a démontré notre collègue Raymonde Poncet Monge dans sa contribution au rapport sénatorial sur le contrôle des Ehpad. Entendu que les Ehpad privés commerciaux fonctionnent donc grâce à de l’argent public, il est normal qu’ils participent à notre effort collectif pour faire face au défi du vieillissement de la population.
Mais, là encore, le bât blesse : 13 % seulement des places des Ehpad privés commerciaux sont habilitées à l’aide sociale, alors que ce taux est de 80 % pour les Ehpad privés solidaires et de 96 % pour les Ehpad publics. Et, au fil des travaux de la mission que nous avons conduite ces derniers mois, nous avons compris que les Ehpad privés commerciaux prenaient en charge les hébergements les moins médicalisés, donc les plus rentables. J’ai donc proposé, dans notre rapport d’information, la création d’un cahier des charges pour les Ehpad commerciaux, afin que ceux-ci prennent une juste part des places habilitées à l’aide sociale et des hébergements qui, bien que moins rentables, n’en sont pas moins nécessaires. Je me permets d’attirer votre attention, monsieur le ministre, sur cette proposition.
Par ailleurs, diverses missions parlementaires et les travaux de Victor Castanet ont montré, depuis le scandale Orpea, l’opacité des activités des Ehpad privés commerciaux. Le Gouvernement a en conséquence imposé, par un décret du 28 avril 2022, des obligations de transparence renforcées deux ans plus tard par la loi Bien vieillir du 8 avril 2024.
À cet égard, monsieur le ministre, je souhaite attirer votre attention sur l’article 32 de ladite loi, qui prévoyait la publication d’indicateurs portant sur l’activité, la gestion budgétaire et le taux d’encadrement des établissements. Le décret d’application de cette disposition n’a toujours pas été publié ; or il est urgent de faire de cette proposition une réalité et de construire des indicateurs publics relatifs aux modalités de prise en charge et à la gestion financière.
Les Ehpad privés commerciaux réalisent des profits et bénéficient de soutiens financiers de la part de la sécurité sociale et des départements, alors même que la tension budgétaire est considérable sur les comptes publics ; mais ils ne contribuent pas de manière juste à l’effort de prise en charge des personnes âgées dépendantes. Pour toutes ces raisons, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires soutient pleinement la proposition de loi visant à mettre à contribution les Ehpad privés commerciaux réalisant des profits excessifs. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Corinne Féret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à mon tour à remercier mon collègue Jean-Luc Fichet, auteur de cette proposition de loi visant à mettre à contribution les Ehpad privés à but lucratif réalisant des profits excessifs.
Celle-ci prévoit, dans son article unique, la création d’un nouveau prélèvement obligatoire dont les recettes seraient versées à la CNSA, sous la forme d’une contribution additionnelle à la charge de certains Ehpad. Cette dernière serait assise sur le montant d’impôt sur les sociétés acquitté par les gestionnaires d’Ehpad commerciaux. Son taux serait fixé à 20 % lorsque la rentabilité financière de l’entreprise, mesurée par le rapport entre le résultat net et les capitaux propres, est comprise entre 10 % et 15 % ; il serait fixé à 30 % lorsque ladite rentabilité est supérieure à 15 %.
Vous le voyez, mes chers collègues, notre proposition ne concerne que les établissements dont le résultat est tout à fait appréciable…
Pourquoi donc cette contribution ? Pour la simple raison que la population française est inscrite dans une trajectoire de vieillissement tendanciel, laquelle va s’accentuer au cours de la prochaine décennie du fait de l’importance des classes d’âge issues du baby-boom. Cette évolution démographique se traduira, en matière de politiques publiques de prise en charge de la dépendance, par un accroissement massif des besoins d’investissement dans les Ehpad, estimé à plus de 7 milliards d’euros à l’horizon 2030, et ce alors que la France est plongée dans un contexte qui fait peser des contraintes budgétaires durables sur les finances publiques, locales comme sociales.
Je rappelle que cela fait plus de six ans que nous attendons du Président de la République qu’il tienne sa promesse : annoncer enfin le dépôt d’un projet de loi visant à répondre aux défis du vieillissement. Un tel texte est espéré par toutes les parties prenantes, les Français et leur famille comme les professionnels des secteurs de la santé, du social et du médico-social. Voilà six ans que les gouvernements successifs nous présentent des écrans de fumée, ce qui engendre légitimement frustration et colère.
L’examen, ces derniers mois, de la proposition de loi portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir en France avait permis de souligner la nécessité d’adopter une loi de programmation pluriannuelle pour le grand âge, dotée d’une trajectoire financière, d’ici au 31 décembre de cette année – l’année 2024 ! Mme Élisabeth Borne, alors Première ministre, s’était engagée à ce qu’un texte soit déposé au plus tard à l’été, de manière à être définitivement adopté dans les délais. En fin de compte, tout cela n’était qu’une énième promesse non tenue de la part du gouvernement d’alors.
Monsieur le ministre, je profite de l’occasion qui m’est donnée aujourd’hui pour vous demander solennellement d’inscrire au plus vite ce projet de loi à l’agenda parlementaire.
Comme je l’ai moi-même indiqué dans le rapport d’information relatif à l’adaptation du bloc communal au vieillissement de la population, que j’ai présenté la semaine dernière avec mon collègue Laurent Burgoa au nom de la délégation aux collectivités territoriales, il y a pourtant urgence à préparer la société à la massification du vieillissement, et aussi à répondre, bien sûr, à la grave crise que connaissent en particulier les Ehpad publics, huit établissements sur dix étant en déficit. À défaut d’une telle action, parler du « bien vieillir » n’a aucun sens.
Que répond le Sénat, la chambre des collectivités territoriales, à tous ces maires qui, dans nos territoires, gestionnaires de centres communaux d’action sociale (CCAS) et d’Ehpad, se trouvent confrontés à des situations préoccupantes ? Que répondons-nous à tous ces élus qui n’ont plus les moyens de faire fonctionner leur établissement, donc d’héberger des personnes âgées dépendantes dans les meilleures conditions, et qui font face de surcroît à des problèmes de personnel ?
La majorité sénatoriale ne formule aucune proposition alternative à celle du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain – et le rapporteur a dit qu’il voterait contre cette proposition de loi –, alors même qu’elle reconnaît la prégnance du problème soulevé. Les lois de financement de la sécurité sociale se succèdent, tout comme les propositions de loi, mais rien ne se passe, alors que nous pourrions réinstaurer un équilibre entre Ehpad publics, Ehpad privés à but non lucratif et Ehpad privés à but lucratif en taxant les superprofits de ces derniers.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Exactement !
Mme Corinne Féret. Pour obvier à l’invisibilisation de nos aînés, une planification méthodique et le vote de moyens dédiés s’imposent. Gardons tous à l’esprit que le vieillissement ne signifie pas la fin de la vie. Les personnes âgées ont besoin d’un hébergement et d’un accompagnement adaptés pour vieillir dignement. Si j’osais, je dirais que nous tous ici compterons, un jour, parmi ces personnes âgées – je nous le souhaite à tous !
Nous sommes face à un défi majeur, auquel notre société doit répondre. Les enjeux du vieillissement, de la perte d’autonomie, de l’isolement, aussi, appellent des moyens d’ampleur. C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à voter en faveur de cette proposition de loi, comme le fera évidemment le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Daniel Salmon applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le vieillissement de la population française est un fait de société dont nos politiques publiques n’ont, pendant trop longtemps, pas pris la mesure. Pourtant, le baby-boom, l’allongement de la durée de vie de notre population et la baisse de la natalité sont connus de tous depuis des décennies.
Il n’empêche que s’occuper avec dignité et respect de nos aînés et des personnes souffrant de handicap est notre devoir.
Or, nous le savons déjà, nous allons, dans les années à venir, manquer cruellement de places en Ehpad pour satisfaire totalement les besoins de la population, dans la mesure où nous n’aurons pas anticipé cette situation. Je suis moi-même président bénévole d’un Ehpad associatif privé à but non lucratif ; dans mon département de l’Aveyron, nous nous sommes toujours refusés à voir s’installer des Ehpad privés à but lucratif ; et le prix d’une chambre en Ehpad y est franchement beaucoup plus bas que la moyenne nationale.
Quelles sont les dispositions contenues dans cette proposition de loi pour faire face aux retentissantes et scandaleuses affaires qu’a connues le secteur ?
Davantage de formation et d’accompagnement des professionnels ? Davantage d’investissement public pour augmenter la capacité d’accueil des Ehpad ? Davantage de contrôles pour déceler à la source les quelques comportements condamnés par toute la profession ? Voilà ce qu’il faudrait faire !
La solution n’est pas forcément la taxation des Ehpad privés à but lucratif. En effet, taxer davantage n’aura pour effets que de désinciter les Ehpad à investir, d’affecter la qualité des soins dont nos parents ont besoin et, peut-être – malheureusement –, de faire augmenter les tarifs de certains Ehpad.
Décider qu’une rentabilité financière de 10 % est quelque chose de franchement honteux, qui mérite d’être taxé, cela fait-il une bonne politique publique ? (M. Daniel Salmon ironise.)
M. Patrick Kanner. Qu’est-ce qu’on fait, alors ?
M. Alain Marc. Cela ne sera en tout cas jamais une façon de régler des problèmes qu’auront causés le baby-boom, l’allongement de la durée de vie de notre population et, surtout, le manque de vision de l’État – car, je me permets de le dire, mes chers collègues, en la matière, personne n’a vraiment anticipé, et aucun gouvernement n’a fait exception de ce point de vue.
Si nous devons revoir notre politique du grand âge et du handicap, faisons-le en parlant de formation du personnel, de coût de l’hébergement en Ehpad et d’isolement des résidents, mais ne commençons peut-être pas par taxer.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, s’ils comprennent l’émoi qu’ont suscité les divers scandales liés au fonctionnement des Ehpad privés à but lucratif, les sénateurs du groupe Les Indépendants ne voteront pas cette proposition de loi. (M. Akli Mellouli s’exclame.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel.
M. Stéphane Sautarel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi de nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a pour objet la création, pour les Ehpad commerciaux, d’une contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés. Elle s’inscrit dans une actualité humainement douloureuse et, financièrement, de plus en plus tendue. Je remercie nos collègues de mettre cette question en débat à travers un prisme financier.
Cette contribution serait de 20 % du montant de l’impôt quand le résultat financier de l’Ehpad est compris entre 10 % et 15 % du montant de ses capitaux propres, ce qui porterait le taux d’imposition sur les bénéfices de 25 % à 30 %.
Si le résultat est supérieur à 15 %, le taux de cette contribution additionnelle serait de 30 %, soit un taux d’imposition porté de 25 % à 32,5 %.
Notre commission des finances, sur proposition de notre rapporteur Bruno Belin, dont je tiens à saluer la qualité du rapport, s’est opposée à cette nouvelle taxe, estimant qu’elle serait contre-productive – cet argument a déjà été largement exposé.
Le groupe Les Républicains partage la position de la commission des finances et rejettera donc le texte.
Les besoins en places d’hébergement en Ehpad vont exploser ces prochaines années : ils devraient passer d’environ 600 000 actuellement à 700 000 en 2030 et à plus de 900 000 en 2050.
Les Ehpad à but lucratif, au même titre que les autres Ehpad, de toute nature et relevant de tous statuts, vont jouer un rôle majeur dans la réponse à ces besoins, comme d’ailleurs d’autres types d’établissements, dans le cadre des parcours d’hébergement que nous connaissons.
À ce défi, il s’agit de répondre en veillant à la qualité de la prise en charge des résidents et en contrôlant les établissements – vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, dans votre propos liminaire.
Je rappelle que les établissements à but lucratif représentent actuellement presque un quart des places, soit près de 140 000 places. Nous ne saurions nous substituer à eux en compensant le désengagement de ce secteur par l’investissement public, lequel est déjà bien en peine. Les taxes proposées obéreraient les capacités d’investissement de ces établissements dans la création de nouvelles places, d’autant plus qu’ils sont eux aussi confrontés à des difficultés. L’adoption de votre proposition de loi, mes chers collègues, serait même susceptible de renforcer les difficultés qui sont les nôtres en la matière.
Comme l’a souligné notre rapporteur, les Ehpad à but lucratif sont confrontés à une baisse de leur taux d’occupation et à une hausse de leurs charges liée à l’inflation, notamment en matière d’alimentation et d’énergie – l’inflation énergétique, en particulier, est estimée à 57 % depuis 2015.
Ce cumul d’une baisse des recettes et d’une hausse des dépenses produit un « effet ciseaux », qui rend de surcroît l’utilité de cette taxe assez limitée dans le contexte actuel : aucun Ehpad commercial ne serait vraisemblablement taxé, car aucun n’est suffisamment rentable.
Pour toutes ces raisons, je le répète, le groupe Les Républicains, conformément à la position de notre commission, votera contre ce texte.
Bien sûr, par-delà la question dont il nous est proposé de débattre, la situation des Ehpad, de tous les Ehpad, est plus que préoccupante dans notre pays. Elle nécessite des moyens considérables que seule une réforme en profondeur du financement de la dépendance peut permettre de mobiliser. Des propositions sont sur la table, comme l’instauration d’une deuxième journée de solidarité. La démographie est têtue et la procrastination dans laquelle nous sommes enfermés depuis bientôt quinze ans sur ce sujet est une faute. (M. le rapporteur applaudit.)
M. le président. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de l’article unique de la proposition de loi initiale.
proposition de loi visant à mettre à contribution les ehpad privés à but lucratif réalisant des profits excessifs
Article unique
La section XVIII du chapitre III du titre Ier de la première partie du code général des impôts est ainsi rétablie :
« Section XVIII
« Contribution additionnelle à la charge de certains établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes privés à but lucratif
« Art. 235 ter ZB. – I. – Les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes mentionnés au I de l’article L. 313-12 du code de l’action sociale et des familles gérés par un organisme de droit privé à but lucratif sont assujettis à une contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés dont le taux varie en fonction du niveau de leur rentabilité financière.
« La contribution additionnelle correspond à une fraction de cet impôt calculé sur leurs résultats imposables, aux taux mentionnés à l’article 219 du présent code, au titre du dernier exercice clos.
« Elle est égale à 20 % de l’impôt sur les sociétés dû, déterminé avant imputation des réductions et crédits d’impôt et des créances fiscales de toute nature, lorsque le résultat net de l’établissement est supérieur à 10 % du montant des capitaux propres de l’entreprise. Le taux est porté à 30 % lorsque le résultat net est supérieur à 15 % des capitaux propres.
« Pour les redevables qui sont placés sous le régime prévu à l’article 223 A ou à l’article 223 A bis, la contribution est due par la société mère. Elle est assise sur l’impôt sur les sociétés afférent au résultat d’ensemble et à la plus-value nette d’ensemble définis aux articles 223 B, 223 B bis et 223 D, déterminé avant imputation des réductions et crédits d’impôt et des créances fiscales de toute nature.
« II. – La contribution est établie, contrôlée et recouvrée comme l’impôt sur les sociétés et sous les mêmes garanties et sanctions.
« III. – Le produit de la contribution est affecté à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie définie à l’article L. 223-6 du code de la sécurité sociale. »
M. le président. Sur l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi, je n’ai été saisi d’aucun amendement.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.
M. Daniel Salmon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il s’agit là d’un sujet éminemment sérieux. J’ai été alerté dans mon département, comme beaucoup d’entre vous l’ont également été, par plusieurs maires en extrême difficulté face aux déficits de leurs Ehpad publics. La perte est en moyenne de 145 000 euros selon la fédération professionnelle des directeurs de ces établissements. C’est un déficit colossal.
Ce sont toujours les mêmes mécanismes qui sont à l’œuvre : les établissements privés lucratifs prennent en charge les patients les plus rentables pour faire du profit, laissant aux Ehpad publics ceux qui demandent le plus de soins et qui sont donc les plus coûteux. Idem pour le système hospitalier français où les cliniques privées récupèrent les bénéfices, laissant aux hôpitaux publics les déficits.
À droite de cet hémicycle, on entend souvent parler de la dette de l’État et de la dette sociale. Mais cette dette, on la creuse en permanence !
Cette proposition de loi va donc dans le bon sens puisqu’il s’agit simplement de créer une contribution pour ceux qui font des profits éhontés, contribution qui irait vers le public. On me dit que cette taxation pourrait être contre-productive. En quoi faire œuvre de justice et de solidarité serait-il contre-productif ?
Le groupe GEST votera pour cette proposition de loi, car elle est une première marche pour traiter ce problème d’égalité. Nous faisons face aujourd’hui à un vrai séparatisme, le privé accaparant tous les profits ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour explication de vote.
Mme Émilienne Poumirol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre collègue Maryse Carrère l’a rappelé tout à l’heure, le ministère chargé des finances a affirmé qu’en 2023 cette proposition de loi n’aurait pas rapporté un centime et que la contribution n’aurait touché personne.
Pour moi, cela traduit en premier lieu la faiblesse des contrôles effectués. Aujourd’hui, les mécanismes de financiarisation de plus en plus nombreux à l’œuvre dans le domaine de la santé, du social ou du médico-social sont souvent extrêmement complexes, en particulier sur le plan juridique. Comme on le constate dans d’autres domaines, ces établissements à but lucratif peuvent présenter des comptes à l’équilibre, voire en déficit, alors qu’ils bénéficient très largement de l’argent public, de l’argent de la sécurité sociale et de l’argent des départements.
Les contrôles doivent être plus complets. Il faut notamment examiner précisément la nature des montages financiers. Par exemple, certains organismes créent des sociétés civiles immobilières (SCI) en étant propriétaires des bâtiments pour ensuite facturer des loyers exorbitants.
Les investisseurs proposent régulièrement aux citoyens lambda de faire un placement financier dans une chambre d’Ehpad en garantissant un taux de rentabilité aux alentours de 5 %. On a évoqué tout à l’heure les niveaux de rendement, qui sont actuellement de 4,7 %, ce qui n’est pas négligeable au vu des sommes en jeu.
Au-delà de la réalité du déficit des Ehpad publics, qui ont effectivement besoin de réformes structurelles, il est nécessaire selon moi de contrôler les Ehpad privés à but lucratif. Ces derniers sont toujours extrêmement nombreux. C’est donc qu’ils y trouvent un avantage, contrairement à ce qu’ils affirment. On nous dit tout le temps que si on les fait payer, ils vont fermer : cette menace ne tient pas ! Ces grands groupes ne sont pas des philanthropes. La santé, le social et le médico-social ne font pas partie du domaine du commerce.
Nous sommes évidemment très favorables à cette proposition de loi, qui émane de notre groupe. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour explication de vote.
M. Jean-Luc Fichet. Je suis surpris, car il s’agit simplement, au travers de ce texte, de relayer l’appel au secours des maires et des élus locaux, qui n’ont plus les moyens de faire fonctionner leurs établissements.
Ces établissements accueillent des personnes âgées qui sont en souffrance alors qu’elles devraient au contraire être heureuses. Elles sont en souffrance parce que, faute de moyens, on appauvrit leur environnement, on opère des restrictions de personnel, on diminue les programmes d’animation et on les laisse souvent abandonnées à elles-mêmes dans la journée.
J’aurais voulu que le débat porte sur l’aspect qualitatif et que l’on s’interroge sur les moyens pour compenser les déficits budgétaires. Cette proposition de loi, dont je suis l’auteur, laisse tout de même aux établissements privés lucratifs une marge de 10 % puisque la taxe additionnelle ne s’appliquerait qu’au-delà de ce taux de rentabilité financière, ce qui maintient la possibilité d’investir !
Je suis très étonné d’entendre dire que les établissements privés sont moins sollicités que les autres et que des places y sont souvent disponibles. Ce n’est pas le cas dans mon territoire où beaucoup de familles n’osent même pas critiquer ces établissements au vu des difficultés qu’elles ont eues à trouver une place : une fois que leur parent est confié à un établissement, elles ont au moins une réponse à un gros problème.
Dans les années à venir, il faudra créer 100 000 places supplémentaires. Aujourd’hui, c’est le privé qui investit massivement : 85 % des nouvelles places y ont été créées. C’est bien la preuve qu’il ne faut pas trop s’inquiéter de la bonne santé des groupes qui investissent dans le secteur de l’accueil des personnes âgées !
Cette proposition de loi en appelle d’autres. Nous espérons qu’elle s’inscrira dans une loi Grand Âge qui devrait voir le jour très rapidement. Pour ma part, je reste convaincu qu’il est tout à fait possible aux financements privés de venir au secours du public.
M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette, pour explication de vote.
M. Pierre Jean Rochette. Je ne prendrai pas part au vote, mais je voulais apporter un élément au débat.
Chacun le sait, les financements des Ehpad sont calculés en prenant à la fois en compte la pathologie des résidents – le Pathos – et la dépendance. Le pathos moyen pondéré (PMP) est multiplié par un coefficient qui détermine la dotation soins de l’ARS et du département.
La base de calcul est la même pour tous les Ehpad, qu’ils soient privés ou publics. Aussi, comment se fait-il que certains Ehpad arrivent à fonctionner et d’autres non ?
Je comprends l’objet de ce texte. Rien dans cette proposition de loi ne me choque. Pour autant, il me semble que nous prenons le problème sous un mauvais angle. Plutôt que de pointer du doigt les uns ou les autres, il faudrait réfléchir différemment en se disant que l’Ehpad est une nécessité dans l’organisation de nos territoires. Quand de nouveaux appels à projets sont lancés par les ARS ou les départements, il vaudrait donc mieux consolider les Ehpad qui sont en souffrance au lieu de confier de nouvelles missions à des organismes fraîchement créés sur le territoire.
Je crois profondément, mes chers collègues, que l’Ehpad doit être renforcé et non davantage encadré ou contrôlé. C’est dans ce sens que nous devrions légiférer. L’Ehpad doit sortir de ses murs et être en contact avec son territoire, qu’il s’agisse de la prise en charge à domicile, de l’accompagnement social à domicile, de l’hospitalisation à domicile ou des soins palliatifs plus poussés.
De mon point de vue, la bonne alternative consiste à aller vers des seuils plus larges qui permettront aux Ehpad, y compris ruraux – car le problème se pose principalement en zones faiblement densifiées –, d’avoir une base plus solide. Qu’on le veuille ou non, c’est un secteur dont il faut pouvoir pérenniser l’activité.