M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Paul Christophe, ministre des solidarités, de l’autonomie et de l’égalité entre les femmes et les hommes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi intervient dans le contexte de crise du modèle de financement des Ehpad que nous connaissons tous. Cela nous oblige, en effet, à trouver collectivement des solutions.
La situation financière dégradée concerne principalement les Ehpad habilités à l’aide sociale, mais elle affecte aussi les Ehpad privés lucratifs, quoique dans une moindre mesure, car on estime que 40 % d’entre eux sont en situation de déficit.
Je voudrais donc réaffirmer, s’il en est besoin, l’attention que le Gouvernement porte aux Ehpad, ainsi que toute sa mobilisation pour résoudre leurs difficultés structurelles en proposant des solutions pérennes.
Mesdames, messieurs les sénateurs, 90 % des Ehpad de demain existent déjà aujourd’hui. Considérant le vieillissement de notre population et la transition démographique qui s’annonce, nous devrons pouvoir compter sur eux et tous leurs professionnels.
Les Françaises et les Français ont besoin d’une offre accessible. C’est la raison pour laquelle nous avons porté une attention toute particulière aux Ehpad publics et associatifs, qui ont bénéficié plus fortement des différents crédits d’urgence.
Dans les Ehpad publics et associatifs, la possibilité de différencier les tarifs d’hébergement selon les résidents offrira plus de marges financières.
Pour l’heure, nous devons surtout nous interroger sur deux phénomènes, à commencer par le taux d’occupation. Celui-ci n’a pas retrouvé son niveau d’avant-covid et montre un besoin indéniable de diversification de l’offre. Je m’emploierai à résoudre ce problème.
Deuxième phénomène : les disparités de financement à l’échelle territoriale. Nous nous mettons en mesure d’y répondre via l’expérimentation d’un financement unifié des budgets relatifs aux soins et à la dépendance des établissements. Elle sera lancée dès l’année prochaine et nous en reparlerons lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Sans vous surprendre, conformément au vote de la commission des finances du Sénat, le Gouvernement n’est pas favorable à la présente proposition de loi, au regard non pas tant des objectifs fixés que des moyens proposés.
Les Ehpad privés lucratifs, comme les autres, ont besoin d’investissements pour moderniser et transformer leurs offres. Dans ce cadre, il n’est pas inconcevable que des profits puissent être engrangés à des fins de financement, à condition qu’ils soient uniquement – j’insiste sur ce point – réalisés sur la section hébergement.
Cette dernière regroupe des dépenses d’alimentation, de logement et de services annexes qui ne relèvent ni de la sécurité sociale ni des finances publiques. Les résidents en Ehpad qui font le choix de cette offre lucrative peuvent attendre des prestations supplémentaires ou plus haut de gamme, s’ils en ont les moyens.
Il n’est pas question de remettre en cause les Ehpad commerciaux. Au-delà de la taxation tout à fait ordinaire qui pèse sur leurs résultats, le nouveau vecteur fiscal proposé n’est pas exempt de défauts, comme cela a été rappelé en commission.
Ainsi, nous déplorons une prévision de recettes nulles pour la CNSA, compte tenu des déficits actuels, et un risque de report sur les prix payés par les résidents ou sur la qualité des prestations.
Cependant, entendons-nous bien : je vous confirme mon entière détermination à tirer toutes les conséquences du scandale Orpea.
Les lois votées, dont la loi du 8 avril 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir et de l’autonomie, font l’objet d’une application stricte, sans aucune naïveté de la part du ministère.
Dans cette période budgétaire difficile, l’usage défectueux des moyens publics ou privés, qui devraient assurer la qualité de l’accompagnement des personnes, ne sera pas toléré. Je serai en particulier intraitable avec les maltraitances qui pourraient survenir à la suite de ces détournements.
D’ici à la fin de l’année, chacun des 7 500 Ehpad aura été contrôlé, dont les Ehpad privés lucratifs. J’attends une synthèse de ces contrôles, dont je rendrai personnellement compte pour rassurer les personnes âgées concernées et leurs familles sur des structures si essentielles à l’accompagnement des plus fragiles.
J’ajoute que les résultats du nouveau référentiel national de la Haute Autorité de santé (HAS), qui pose un cadre d’évaluation de la qualité des établissements, sont encourageants.
En complément, je rappelle que, jusqu’au décret pris en 2022 à la suite du scandale Orpea, nous n’avions vue que sur le soin et l’entretien de l’autonomie dans les Ehpad commerciaux. Depuis l’entrée en vigueur de ce décret, il y a un an, les pouvoirs publics jouissent d’une vision analytique comptable sur l’ensemble du budget.
Cela nous permettra d’analyser finement l’usage des moyens et l’imputation des charges, mais aussi de tenir un discours exigeant sur l’efficience, au service des résidents.
Nous disposons par ailleurs de nouveaux outils pour contrôler les groupes. À la suite de l’enquête de M. Castanet, le contrôle mené par l’inspection générale des affaires sociales (Igas) et l’inspection générale des finances (IGF) a aussi mis en lumière les lacunes de nos outils antérieurs pour caractériser les pratiques frauduleuses.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 nous permet désormais d’agir. Quant à la loi Bien vieillir, elle nous donne plus de visibilité sur les pratiques de certains acteurs qui, via la prise de contrôle d’une personne morale, acquièrent de nouveaux Ehpad, alors qu’ils en mettent d’autres en cessation d’activité.
Nous pourrons désormais nous opposer, en amont, à ces prises de contrôle.
Enfin, parce que le secteur privé doit être concurrentiel – sans quoi il n’aurait pas de raison d’être –, la loi Bien vieillir nous donne une base légale pour rendre publics les nouveaux indicateurs sur le fonctionnement des Ehpad, le niveau des ressources humaines et l’évaluation de la qualité.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous pouvez compter sur moi pour appliquer toutes ces dispositions sans faiblir.
L’engagement de l’immense majorité de professionnels dévoués de ce secteur ne saurait être remis en cause. Ils partagent avec nous l’objectif d’aider les personnes et d’améliorer l’accompagnement, grâce à des solutions pertinentes qui tiennent compte de leurs droits, de leurs besoins et de leurs aspirations. Nous le leur devons. (Applaudissements au banc des commissions. – M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures cinquante.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures vingt, est reprise à quatorze heures cinquante, sous la présidence de M. Pierre Ouzoulias.)
PRÉSIDENCE DE M. Pierre Ouzoulias
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
5
Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Monsieur le président, ce matin, lors du scrutin n° 15 sur l’amendement n° 2 rectifié quinquies, présenté à l’article 7 de la proposition de loi visant à renforcer l’indépendance des médias et à mieux protéger les journalistes, ma collègue Laure Darcos souhaitait voter contre.
M. le président. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle figurera dans l’analyse politique du scrutin.
6
Contribution des Ehpad privés
Suite de la discussion et rejet d’une proposition de loi
M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi visant à mettre à contribution les Ehpad privés à but lucratif réalisant des profits excessifs.
Je vous rappelle que nous examinons ce texte dans le cadre d’un espace réservé au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain d’une durée de quatre heures, et pour lequel il reste une heure vingt.
Discussion générale (suite)
M. le président. Dans la discussion générale, nous en sommes parvenus aux interventions des orateurs des groupes.
La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth.
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je le reconnais volontiers : de prime abord, cette proposition de loi paraît séduisante. L’ouvrage Les Fossoyeurs, de Victor Castanet, a mis en exergue des défaillances importantes dans la gestion et le contrôle des Ehpad privés à but lucratif, qui recherchent de façon effrénée le profit au détriment de la qualité de vie des résidents.
De même, la mission flash sur la gestion financière des Ehpad a montré que les établissements privés à but lucratif pratiquaient un prix moyen du séjour supérieur de 40 % au secteur public.
De plus, le secteur des Ehpad rencontre des difficultés économiques d’une ampleur inédite. Elles sont dues aux tensions de recrutement, entraînant un plus faible niveau d’activité, à la perte de confiance du public, à la suite de la crise du covid-19 et du scandale Orpea, ainsi qu’à un « effet ciseaux », entre la forte inflation des coûts et la moindre évolution des tarifs.
Entre 2020 et 2023, la part des Ehpad déficitaires, tous statuts confondus, est ainsi passée de 27 % à 66 %.
Dans ce contexte, on pourrait penser qu’une taxation des Ehpad privés lucratifs serait utile pour financer des mesures de soutien au secteur, d’autant plus que les besoins iront croissant au vu du vieillissement de notre population.
Les Ehpad privés ne sont pas en reste, il nous faut regarder les choses en face. Le récent rapport d’information sur la situation des Ehpad, dont notre collègue du groupe RDPI Solanges Nadille a été corapporteure, le souligne : les Ehpad privés lucratifs ont subi la chute de leur taux de résultat net. En effet, il a pratiquement été divisé par deux entre 2017 et 2023, passant de 8,8 % à 4,7 % du chiffre d’affaires.
Le contexte est particulièrement défavorable aux Ehpad privés à but lucratif, ce qu’illustre d’ailleurs la liquidation en février 2024 de Medicharme, huitième groupe français d’Ehpad privés, ou la restructuration d’Orpea, troisième du secteur, passé sous le contrôle d’un groupement d’actionnaires mené par la Caisse des dépôts et consignations.
Alors que le secteur cherche à identifier des moyens pour stabiliser son modèle économique, cette proposition de loi semble peu opportune.
D’autant plus qu’elle tend à ignorer certaines disparités territoriales, notamment en outre-mer. En Guadeloupe, par exemple, l’offre d’hébergement en Ehpad est pourvue à 50 % par des structures privées à but lucratif.
En attendant un rattrapage de l’offre publique en outre-mer, ce que recommande le rapport d’information précité, y taxer les Ehpad privés à but lucratif se révélerait contre-productif, d’autant que les places manquent pour faire face au vieillissement accéléré de la population.
Afin d’assurer la pérennité du secteur, il nous paraît plus efficace de soutenir et de mettre en œuvre les recommandations du rapport d’information.
Parmi les propositions formulées par Solanges Nadille, Anne Souyris et Chantal Deseyne figurent la création d’une deuxième journée de solidarité pour financer la branche autonomie, l’instauration d’un plancher de revalorisation du tarif hébergement opposable à l’aide sociale, indexé sur l’inflation, ou encore l’intégration dans le périmètre des sections soins et dépendance des dépenses aujourd’hui financées par la section hébergement.
Vous l’aurez compris, le groupe RDPI votera contre cette proposition de loi.
Cela ne signifie pas pour autant que nous signons un chèque en blanc aux Ehpad privés à but lucratif. Nous considérons qu’il est nécessaire de continuer à mettre en œuvre les mesures d’encadrement décidées par les gouvernements successifs de la majorité présidentielle, tout en évaluant leur efficacité.
Tout d’abord, il sera nécessaire de poursuivre le plan de contrôle des 7 500 Ehpad français, grâce au renforcement récent et futur des moyens humains. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 permettra la création de 50 000 postes d’ici à 2030.
Il faudra ensuite s’assurer du respect des obligations de transparence renforcées dans les contrats de séjour des Ehpad.
Enfin, nous devrons évaluer les mesures de prévention et de lutte contre les maltraitances, dont le respect de l’effectivité du droit de visite quotidien.
Plutôt que de mettre en place une taxation sur un secteur en crise, qui limiterait encore les capacités d’hébergement, en particulier en outre-mer, nous préférons poursuivre le travail d’encadrement pour rétablir la qualité et regagner la confiance des citoyens.
Bref, nous appelons à repenser le modèle économique du secteur. Il faut donc, j’y insiste, mettre en œuvre les propositions du rapport d’information sur la situation des Ehpad pour assurer enfin leur pérennité financière. (M. Vincent Capo-Canellas applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens avant tout à saluer l’initiative de notre collègue Jean-Luc Fichet. Ce texte nous permet de débattre d’un sujet qui nous concerne tous, car il symbolise le traitement que nous réservons à nos aînés et le soutien que nous offrons à ceux qui les accompagnent au quotidien.
Cette question est d’autant plus prégnante que nous faisons face à un défi démographique majeur. D’ici à 2050, la France comptera près de cinq millions de personnes âgées de plus de 85 ans.
Le vieillissement de la population va inévitablement augmenter la demande de solutions d’hébergement adapté. Il est donc crucial de préparer l’avenir dès maintenant, en renforçant nos Ehpad, en adaptant leur modèle économique et en assurant leur viabilité.
Le récent rapport d’information de nos collègues Chantal Deseyne, Solanges Nadille et Anne Souyris rappelle combien la situation financière de ces établissements s’est fortement dégradée au cours des dernières années.
Les Ehpad traversent aujourd’hui une période de crise : les structures manquent de financement ; les conditions de travail y sont éprouvantes pour le personnel soignant ; leur coût est exorbitant pour les familles. Tous ces défis mettent à mal la dignité de nos aînés et de ceux qui les soignent.
Nous ne pouvons pas ignorer cette réalité : trop souvent, les établissements souffrent de sous-effectifs et les soins apportés ne sont pas à la hauteur de ce que méritent nos anciens. C’est une situation à laquelle nous devons faire face collectivement, avec responsabilité.
Cette crise a des conséquences profondes sur la vie des résidents des Ehpad. Les scandales récents, tels que celui d’Orpea, ont mis en lumière des pratiques inacceptables qui vont à l’encontre du respect et de la dignité des personnes âgées.
Ces dérives, bien que minoritaires, doivent être combattues. Elles ont rappelé l’importance de renforcer les contrôles, d’assurer une transparence totale et de faire de la qualité des soins une priorité.
N’oublions pas non plus l’impact humain sur les soignants. Ces femmes et ces hommes engagés et dévoués travaillent dans des conditions difficiles, souvent épuisantes. Alors qu’ils sont le cœur battant de nos Ehpad, ils sont souvent sous-payés et souffrent d’un manque de reconnaissance.
N’est-il pas essentiel de leur offrir des conditions de travail dignes, à la hauteur de leur engagement ?
Pour cela, des investissements massifs sont nécessaires. Nous devons réformer le secteur de l’aide à la dépendance, améliorer le ratio personnel-résidents et veiller à ce que les coûts pour les familles soient raisonnables. En effet, la prise en charge de la dépendance ne saurait être un fardeau financier insupportable.
Dans ce contexte, vouloir réformer le financement des Ehpad est une démarche tout à fait louable, et nous y souscrivons évidemment !
Pour autant, nous sommes plus réservés quant au « remède » proposé. Le texte de nos collègues vise en effet à créer une contribution additionnelle à la charge des Ehpad privés à but lucratif. Si j’en crois l’estimation faite par les services du ministère chargé des finances, cette mesure serait peu efficace, puisqu’aucun groupe privé n’aurait été assujetti à cette contribution additionnelle au titre de l’exercice 2023.
Nous entendons par ailleurs les craintes suscitées par une telle proposition, cette nouvelle taxation étant susceptible d’être compensée par une hausse des prix ou par une baisse des charges des établissements, ce qui n’est évidemment pas souhaitable, d’autant que le vieillissement de la population implique des besoins d’investissement dans les Ehpad qui pèsent notamment sur le secteur commercial.
Il conviendrait aussi que nous abordions un jour le sujet des résidences autonomie et des résidences seniors privées, qui pourraient être fortement concernées par le problème de la rentabilité financière.
M. Bruno Belin, rapporteur. Tout à fait !
Mme Maryse Carrère. Face au défi du vieillissement de la population, la situation du secteur de l’aide à la dépendance impose que le Gouvernement se saisisse rapidement de ce dossier, et cette proposition de loi est une occasion de le mettre une nouvelle fois en débat. Nous attendons beaucoup de vous, monsieur le ministre, car les Ehpad sont véritablement en grande difficulté. Les départements sont en train de faire des efforts pour les accompagner, mais l’État doit aussi participer au financement de nos Ehpad publics. Cette proposition de loi représente de ce point de vue un appel auquel le groupe RDSE souscrira majoritairement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe SER. – M. Akli Mellouli applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour discuter de cette proposition de loi visant à mettre à contribution les Ehpad privés à but lucratif réalisant des profits excessifs. Je tiens à saluer l’initiative de notre collègue Jean-Luc Fichet, que je remercie pour sa contribution sur un sujet qui nous touche tous de près ou de loin, celui du grand âge, de son accompagnement et de son financement.
La gestion privée des Ehpad en France est devenue à juste titre un sujet de débat de premier plan. Alors que le secteur privé était quasiment absent de ce secteur d’activité voilà deux décennies, il représente désormais un quart des places disponibles. De surcroît, les révélations du livre de Victor Castanet, Les Fossoyeurs, confirmées par le rapport de l’inspection générale des affaires sociales et de l’inspection générale des finances publié en 2022 et par les travaux de la commission des affaires sociales du Sénat, nous ont tous choqués. Ces révélations ont mis en lumière la financiarisation du milieu consécutive à l’arrivée du secteur privé à but lucratif, suscitant inquiétudes et indignation quant à la qualité des soins et des services fournis aux personnes âgées.
La sécurité et le bien-être des personnes âgées sont au cœur des préoccupations de toutes les familles. Les faits révélés et dénoncés dans le cadre des travaux que j’ai mentionnés sont d’autant plus insupportables qu’ils résultent d’une stratégie volontaire de rationalisation des coûts et de maximisation de la capacité d’accueil visant à diminuer la part des dépenses et à augmenter celle des profits.
La médiatisation de ce sujet a ébranlé le système tout entier, et ce fut heureux. Elle a aussi plongé certains établissements dans une situation financière et budgétaire très dégradée. Les Ehpad, on le sait et cela a été rappelé, sont indispensables à la prise en charge de la perte d’autonomie, et ce sous toutes leurs formes, y compris publique, évidemment. Le maintien à domicile, qui appellerait du reste des politiques spécifiques plus abouties, doit être autant que possible recherché, mais, nous le savons, le nombre de nos aînés accueillis en Ehpad est appelé à aller croissant.
Nous partageons le constat selon lequel les pouvoirs publics, sans doute pris de court par la financiarisation du secteur, n’ont pas réussi à le contrôler. Toutefois, le secteur privé reste nécessaire. Il doit apporter des garanties quant à la qualité de l’accueil de nos aînés : c’est bien le système dans son ensemble que l’on doit repenser et contrôler. Cela ne pourra se faire par une réduction des dépenses, laquelle risquerait de se traduire par une baisse des effectifs et de la qualité des soins.
Augmenter le reste à charge des usagers n’est pas non plus souhaitable, compte tenu de ce que représente déjà le coût mensuel moyen d’un hébergement, notamment dans les zones où le prix de l’immobilier est élevé.
La génération du baby-boom va entrer dans l’âge de la dépendance. Nous vivons de plus en plus longtemps et avec davantage de pathologies. Aussi sera-t-il nécessaire d’accroître de manière importante le nombre de places en Ehpad dans la décennie 2030, ce qui aura pour conséquence d’augmenter les besoins en personnel. Or les ouvertures de postes et les formations qu’il serait nécessaire d’envisager à cette fin n’ont pas été suffisamment planifiées.
Comme le rapporteur, je ne pense pas qu’assujettir les établissements privés à but lucratif à une nouvelle taxation permettrait de résoudre le problème de la financiarisation du grand âge ; le seul effet d’une telle disposition serait de réduire un peu plus les marges de manœuvre d’un secteur qui, en tout état de cause, est par trop affaibli.
Depuis 2020, une situation conjoncturelle dégrade la rentabilité économique et la situation financière de ces établissements. Des revalorisations salariales ont été décidées nationalement et insuffisamment financées ou compensées ; une crise sanitaire puis une crise médiatique ont conduit à une perte de confiance envers ces Ehpad ; les prix de l’alimentation et de l’énergie ont considérablement augmenté, cette inflation se répercutant sur toutes leurs dépenses ; le manque de professionnels engendre une baisse des recettes liée à la fermeture de lits et des difficultés à assurer une prise en charge correcte des personnes âgées, etc. L’ensemble de ces éléments est constitutif de l’état général de grande fragilité dans lequel se trouvent de nombreux Ehpad.
Alors que le secteur cherche plutôt à identifier des moyens de stabiliser son modèle économique, cette proposition de loi ne paraît pas apporter la garantie attendue. Même si l’on peut comprendre l’intention de ses auteurs, on peut douter de l’efficacité du dispositif proposé. Il serait sans doute plus efficace de mettre en œuvre les recommandations du rapport d’information des sénatrices Solanges Nadille, Chantal Deseyne et Anne Souyris.
Au vu des dérives du passé, il est impératif de mettre en place une réglementation plus stricte pour les Ehpad privés – M. le ministre a évoqué tout à l’heure les contrôles en cours. Les autorités doivent veiller à ce que les normes de qualité et de sécurité soient respectées et les droits des résidents protégés, et elles doivent permettre aux ARS de contrôler plus finement les budgets, pour davantage de transparence. Sur ce plan aussi, monsieur le ministre, vous nous avez rappelé les dispositions qui ont été prises ; nous serons évidemment attentifs à leur mise en œuvre.
Le vieillissement de la population française va se traduire par un besoin d’investissement évalué à 7 milliards d’euros d’ici à 2030 pour les seuls Ehpad. Le ministère de la santé estime qu’il est ainsi nécessaire de doubler le rythme d’ouverture des places afin d’accueillir en Ehpad, en 2050, 319 000 personnes de plus qu’en 2019.
Garantir la capacité d’investissement des Ehpad est déterminant pour construire les infrastructures nécessaires, dans un contexte de contrainte budgétaire durable pour les finances publiques. De moindres investissements ne feraient qu’accroître la pression pesant sur les secteurs privés à but non lucratif et public.
Pour toutes les raisons que je viens d’invoquer, et malgré l’utilité de la démarche lancée par notre collègue Fichet, le groupe Union Centriste ne votera pas ce texte, considérant que le dispositif a plus de chances d’affaiblir le secteur que de lui apporter une solution pérenne. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie mes collègues du groupe socialiste d’avoir inscrit ce texte à l’ordre du jour : cette initiative nous permet de débattre du modèle d’organisation et de financement du secteur médico-social, et particulièrement des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.
La commission des affaires sociales du Sénat a achevé à la fin du mois de septembre une mission d’information qui a permis de prendre une photographie de la situation des Ehpad.
Alors que 85 % des Ehpad publics sont actuellement en déficit, l’urgence est à une loi de programmation pluriannuelle sur le grand âge ; or un tel texte n’a toujours pas vu le jour. L’État doit prendre ses responsabilités, y compris à l’égard des départements, lesquels ne peuvent plus supporter des dépenses qui s’envolent.
Les gouvernements successifs ont tous pris des engagements, sans jamais les tenir. Les rares avancées ont été obtenues au détour de propositions de loi parcellaires, et celle qui nous occupe cet après-midi vient s’ajouter au tas hétéroclite des textes précédents.
Face aux dérives du secteur privé lucratif, au manque d’attractivité des métiers, à la perte de confiance du public consécutive à la crise de la covid-19 et à la scandaleuse affaire Orpea, il y a urgence à revoir les modèles d’organisation et de financement des Ehpad.
La régulation du secteur des Ehpad privés à but lucratif proposée par notre collègue Jean-Luc Fichet consiste à instaurer une contribution égale à 20 % de l’impôt sur les sociétés dû par les établissements dont la rentabilité financière dépasse un taux de 10 %.
À nos yeux, cette taxation est la moindre des choses au regard des dérives liées à la financiarisation de la santé et des bénéfices réalisés sur le dos de nos aînés.
En définitive, la question n’est pas celle du niveau de profits réalisé par les établissements ; elle est celle de l’existence d’un secteur privé lucratif dans la santé et le secteur médico-social. Dans son livre Les Fossoyeurs, Victor Castanet a démontré qu’il existait des contradictions indépassables entre l’exercice de missions de service public et la volonté de satisfaire des actionnaires par la recherche de rentabilité.
L’instauration d’une contribution sur les superprofits des Ehpad lucratifs n’est donc pour nous qu’une étape. Il nous faudra réfléchir au principe même de l’installation dans ce domaine d’activité du secteur privé lucratif, qui pose un véritable problème.
De la même manière, nous proposons la suppression des niches fiscales dont bénéficient les investissements immobiliers en Ehpad et la création d’une redevance sur les Ehpad commerciaux.
Cette proposition de loi constitue un petit pas sur le long chemin de la création d’un véritable service public de la perte d’autonomie.
Pour l’ensemble des raisons que j’ai exposées, les sénatrices et sénateurs du groupe CRCE-K voteront pour ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. Akli Mellouli. Très bien !