Mme la présidente. La parole est à Mme Elsa Schalck, pour présenter l’amendement n° 3 rectifié quater.
Mme Elsa Schalck. L’amendement a été très bien défendu par ma collègue Olivia Richard ; il vise à lever les freins existants.
Son dispositif est issu de la pratique et des retours d’expérience des professionnels : il s’agit tout simplement de considérer qu’une femme victime de violences peut évidemment se retrouver en situation de danger alors même qu’elle a quitté le domicile conjugal.
Voici ce que les retours dont nous disposons nous enseignent : si, dans un certain nombre de juridictions, les ordonnances de protection ne sont pas demandées, c’est justement en raison de l’interprétation de la notion de danger qui prévaut actuellement.
Nous entendons bien qu’il faut des garanties ; c’est pourquoi nous avons conservé la notion de danger. Simplement, nous la couplons avec l’article 515-9 du code civil afin de prendre en compte le cas de l’absence de cohabitation.
Il me semble qu’avec cette rédaction nous avons trouvé l’équilibre nécessaire entre garantie du dispositif et – c’était indispensable – levée des freins qui entravent la délivrance des ordonnances de protection.
Mme la présidente. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour présenter l’amendement n° 11 rectifié bis.
Mme Mélanie Vogel. C’est précisément la question de la double conditionnalité – avoir été vraisemblablement victime de violences et être exposé à un danger – que nous devons étudier aujourd’hui.
Nous le savons et toutes les statistiques le disent : dès lors que l’on a été victime de violences, par définition, on est potentiellement en danger – y compris, en l’espèce, en danger de mort.
L’Espagne a fait un choix politique, difficile, il est vrai, du point de vue de la présomption d’innocence et de la proportionnalité des mesures, en adoptant la position suivante : si un conjoint vraisemblablement violent n’est pas immédiatement éloigné, il existe un risque de féminicide.
On peut discuter de l’équilibre juridique de telles dispositions. Ce qui est indiscutable, en revanche, c’est qu’en Espagne, en dix ans, la part des femmes tuées par leur conjoint qui avaient auparavant porté plainte contre leur agresseur est passée de 75 % à 20 %. Il n’est pas davantage contestable qu’il y a deux fois moins de féminicides, proportionnellement à la population, en Espagne qu’en France.
Il y a donc un choix à faire entre des considérations juridiques, qui sont respectables, et la protection de la vie des femmes concernées. Pour ma part, je suis convaincue que, dès lors que la commission de faits de violence a été établie comme vraisemblable, les femmes sont en danger et doivent être protégées tout de suite.
Mme la présidente. L’amendement n° 15 rectifié bis, présenté par Mme Aeschlimann, MM. Rapin, Bruyen et Brisson, Mme Joseph, MM. Cadec, Milon, Panunzi, Pellevat et Anglars, Mmes Gosselin et Belrhiti, M. J.P. Vogel, Mme Jacques, MM. Karoutchi, Khalifé, Laugier, Klinger et Savin, Mmes Borchio Fontimp, Ciuntu et Evren et M. Genet, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 1
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° À la première phrase du premier alinéa de l’article 515-11, les mots : « et le danger » sont remplacés par les mots : « caractérisant le danger » ;
La parole est à Mme Marie-Do Aeschlimann.
Mme Marie-Do Aeschlimann. Je tenais à prendre la parole dans cette discussion, bien que nous allions toutes dans le même sens. La multiplicité d’amendements portant sur la notion de danger et visant à modifier l’article 515-11 du code civil montre que celui-ci présente une difficulté, qui tient soit à sa rédaction soit à son interprétation.
En tout état de cause, il est complexe, pour le juge, de caractériser la notion de danger actuel et d’apprécier la vraisemblance de la commission de faits de violence allégués ; il est vrai que ces notions sont assez subtiles.
La France a certes pris du retard par rapport à l’Espagne quant aux conditions d’octroi de cette mesure. En effet, l’ordonnance de protection est douze fois plus souvent demandée en Espagne qu’en France et dix-sept fois plus souvent accordée, alors que ce pays compte 20 millions d’habitants de moins que le nôtre.
Le ministère de la justice a d’ailleurs pris position dans ce débat, puisqu’il indique dans son guide pratique de l’ordonnance de protection que la vraisemblance de faits de violence allégués caractérise le danger.
Il y a donc manifestement un problème. Je me réjouirais de l’adoption de quelque amendement que ce soit qui nous permette de clarifier la notion de danger et d’assouplir les conditions d’octroi de l’ordonnance de protection, car ainsi nous protégerions davantage de femmes.
Mme la présidente. L’amendement n° 6, présenté par Mmes Rossignol, Harribey et de La Gontrie, MM. Durain et Roiron, Mmes Narassiguin et Linkenheld, MM. Kerrouche, Chaillou, Bourgi et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 1
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° À la première phrase du premier alinéa de l’article 515-11, la deuxième occurrence du mot : « et » est remplacée par le mot : « ou » ;
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Il s’agit de substituer la conjonction de coordination « ou » à la conjonction de coordination « et » : la délivrance d’une ordonnance de protection serait désormais conditionnée à l’existence de raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission de faits de violence allégués ou le danger auquel la victime est exposée.
Cet amendement est issu d’une lecture attentive de la jurisprudence, en particulier de ce dont nous instruisent les parties civiles et les avocates. En effet, une interprétation très stricte de l’article 515-11 du code civil conduit certains juges et la Cour de cassation à considérer qu’il faut que le danger soit avéré et que les violences aient déjà eu lieu pour accorder l’ordonnance de protection.
Il arrive ainsi que des juges refusent de l’octroyer au motif que des violences ont certes été commises par le passé, mais qu’elles ne sont plus d’actualité. De même, une victime peut bien recevoir quantité de SMS par lesquels son ancien compagnon menace de lui faire la peau ; pour autant, si celui-ci ne l’a jamais frappée, il n’y a pas danger et violences.
Nous proposons donc que l’ordonnance puisse être délivrée lorsqu’il y a violences ou danger.
Par ailleurs, l’amendement n° 6 devrait être examiné avant les amendements identiques nos 2 rectifié, 3 rectifié quater et 11 rectifié bis, ceux-ci pouvant être considérés comme des amendements de repli. Or leur adoption ferait tomber le mien, qui va pourtant plus loin : l’ordre de discussion n’est pas le bon.
Vous me direz que c’est de la légistique, mais la légistique a bon dos. Il faut commencer par examiner l’amendement n° 6 ! De toute façon, s’il est refusé, nous y reviendrons certainement dans six mois, à l’occasion d’une nouvelle proposition de loi – nous aurions pu gagner du temps, mais c’est tant pis.
En réalité, les amendements nos 2 rectifié, 3 rectifié quater et 11 rectifié bis sont une arnaque : ils ne changent rien. Ils ne font que préciser que le juge ne peut pas exiger la cohabitation pour déclarer qu’il y a danger – il peut y avoir danger quand il n’y a plus cohabitation. Voilà tout l’objet de ces amendements.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Ce n’est pas vrai.
Mme Laurence Rossignol. Ils sont donc très en retrait du dispositif que nous proposons, lequel consiste à cesser d’exiger des victimes qu’elles cumulent danger avéré et menace.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Vous me permettrez d’être longue, mes chers collègues, car nous touchons là au nœud du débat.
Avec ces cinq amendements en discussion commune, nous ouvrons une discussion d’importance, qui a trait aux conditions d’attribution de l’ordonnance de protection.
L’ordonnance de protection est un dispositif auquel nous sommes toutes et tous, dans cet hémicycle, profondément attachés. Cependant, il est perfectible, au regard du nombre peu élevé d’ordonnances de protection demandées et attribuées. Il doit donc être corrigé.
L’un des freins qui ont été identifiés, en particulier par les associations de défense des femmes victimes de violences conjugales, mais aussi par le Conseil national des barreaux (CNB), résulte de la rédaction actuelle de l’article 515-11 du code civil, qui précise les conditions d’octroi des ordonnances de protection. La satisfaction de deux critères cumulatifs est en effet requise : l’existence de raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables, d’une part, la commission des faits de violence allégués et, d’autre part, le danger auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés. De l’existence de ces deux critères, certains juges concluent que l’ordonnance de protection ne peut être octroyée dès lors qu’il n’y a pas ou plus de cohabitation, estimant qu’il n’y a pas de danger.
Cette rédaction et cette interprétation ne me semblent pourtant pas totalement alignées avec la rédaction de l’article 515-9, qui définit les ordonnances de protection et dispose qu’elles peuvent être délivrées « lorsque les violences exercées au sein du couple, y compris lorsqu’il n’y a pas de cohabitation […], mettent en danger la personne qui en est victime, un ou plusieurs enfants ».
C’est pourquoi je suis sensible aux amendements déposés, qui ont pour objet de répondre à une véritable difficulté de terrain. Je le dis en toute transparence : ces dernières semaines, nous avons travaillé à plusieurs, issues de divers groupes de cet hémicycle, pour trouver une solution.
Je veux également revenir sur les préventions du Gouvernement.
L’ordonnance de protection est délivrée par un juge civil, et non par un juge pénal. Le juge civil est beaucoup plus limité dans sa capacité à prononcer des peines, celles-ci relevant en principe du juge pénal. Or la constitutionnalité du dispositif de l’ordonnance de protection n’a pas réellement été interrogée. En effet, dans sa jurisprudence, la Cour de cassation établit que l’ordonnance de protection, qui réduit les droits de l’auteur présumé, est délivrée non parce qu’il est coupable – puisqu’il n’est pas encore passé devant le juge pénal, il n’est pas encore considéré comme coupable, je le rappelle –, mais parce qu’il est dangereux. Nous avons donc bien compris la nécessité de conserver la notion de danger.
Cela étant, nous avons conscience de la difficulté à laquelle sont confrontés les juges, sur le terrain, pour articuler les notions de danger et de violence. Parfois, probablement par manque de formation, ils ignorent que les faits de violence ont tendance à perdurer, et que le contrôle coercitif exercé par l’auteur est en lui-même constitutif d’un danger. C’est la raison pour laquelle ces deux notions doivent être liées.
Ainsi, les amendements identiques nos 2 rectifié, 3 rectifié quater et 11 rectifié bis ne visent pas seulement à répondre au problème que posent les situations de non-cohabitation : il s’agit bel et bien de préciser que la victime est en danger à cause des violences, donc de lier les deux notions. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles le Gouvernement ne nous suit pas sur ce terrain.
La commission des lois a donc émis un avis favorable sur ces trois amendements. En effet, la notion de danger y est conservée, tout en étant liée à celle de violence. Nous pensons qu’une telle rédaction ne changerait pas radicalement la vision défendue par la Cour de cassation, dont la jurisprudence consiste, telle que je la comprends, à réduire les droits de l’auteur présumé au motif qu’il est dangereux ; tel est bien le mot le plus important : il était donc essentiel de conserver la notion de danger.
La substitution du mot « ou » au mot « et » signifierait qu’une ordonnance de protection pourrait être délivrée en l’absence de danger. Nous sortirions alors du cadre défini par la Cour de cassation en supprimant la notion de dangerosité de la personne. Or une personne qui n’est pas coupable, si elle n’est pas non plus dangereuse, ne saurait être privée de ses droits.
Avis défavorable, donc, sur les amendements nos 15 rectifié bis et 6.
Mme Laurence Rossignol. Ce n’est pas sérieux…
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. J’apporterai également, si vous me le permettez, madame la présidente, une réponse complète sur l’ensemble de ces amendements.
Dès lors qu’il y a des violences, il y a danger, évidemment – nous sommes tous d’accord.
Or les auteurs des amendements en discussion souhaitent assouplir les conditions de délivrance de l’ordonnance de protection, soit en supprimant la condition de danger, soit en présumant que les violences vraisemblables impliquent nécessairement un danger, soit en revenant sur le caractère cumulatif de ces deux conditions, violences et danger. Autrement dit, il s’agit de supprimer la condition autonome de danger.
Le Gouvernement y est défavorable, parce que cela fragiliserait la constitutionnalité même de l’ordonnance de protection.
Mme Laurence Rossignol. Ce n’est pas vrai ! C’est ce que l’on nous répond à chaque fois !
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. L’existence, en plus de faits de violence vraisemblables, d’un danger vraisemblable et actuel, justifie que le juge aux affaires familiales puisse prendre en urgence des mesures de protection de nature pénale.
C’est sur l’existence d’un tel danger que repose l’équilibre du dispositif, donc sa constitutionnalité ; telle est en tout cas la lecture qui en est faite. Il est donc indispensable, à nos yeux, de maintenir expressément cette condition autonome de danger vraisemblable.
Bien que des efforts restent nécessaires, les juges et les procureurs savent de plus en plus manier la notion de danger, qui recouvre d’ailleurs des comportements autres que les seules violences, ce qui la rend plus protectrice pour les victimes.
Je vous livre un exemple très simple, mesdames, messieurs les sénateurs : le nombre d’ordonnances de protection demandées est passé de 1 000 en 2011 à plus de 4 000 en 2019. Cette progression est le fruit tant du Grenelle des violences conjugales que d’une véritable prise de conscience, parfaitement transpartisane, et d’un investissement massif de l’ensemble des acteurs concernés dans la lutte contre les violences intrafamiliales, qui doit beaucoup notamment aux travaux de la Haute Assemblée.
Le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces cinq amendements.
Demande de priorité
Mme Laurence Rossignol. J’entends les arguments avancés par les uns et par les autres, quoique ceux qui concernent la constitutionnalité me paraissent un peu tirés par les cheveux, si vous me permettez l’expression. Ce dont je suis certaine, c’est que le Sénat doit pouvoir librement débattre de chacun des cinq amendements en discussion commune, car toutes ces propositions sont fondées et sérieuses.
L’une, qui consiste à changer un mot – une conjonction de coordination – dans un article de code, est plus simple que les autres, tout en produisant un effet maximal. Je demande donc, pour la bonne tenue de notre discussion, que soit examiné en priorité l’amendement n° 6, de façon que, s’il était rejeté – ce que je n’imagine évidemment pas ! (M. Stéphane Piednoir sourit.) –, nous puissions voter les autres comme des amendements de repli. À défaut, mes chers collègues, vous nous contraindriez à voter contre les amendements nos 2 rectifié, 3 rectifié quater et 11 rectifié bis pour permettre l’examen de l’amendement n° 6.
Mme la présidente. En application de l’article 44, alinéa 6, du règlement du Sénat, je suis donc saisie par Mme Laurence Rossignol d’une demande de priorité sur l’amendement n° 6, afin qu’il soit examiné avant les amendements identiques nos 2 rectifié, 3 rectifié quater, 11 rectifié bis et l’amendement n° 15 rectifié bis.
Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle qu’aucune explication de vote n’est admise.
Je mets aux voix la demande de priorité.
(La demande de priorité est adoptée.)
Article 1er (suite)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Harribey, pour explication de vote.
Mme Laurence Harribey. Dans son arrêt, la Cour de cassation considère que les critères de violence et de danger sont cumulatifs. Si cela nous gêne, alors il faut changer le texte du code civil ; d’où notre proposition de remplacer cette double condition par une alternative.
Je veux aussi rappeler à Mme le rapporteur que, lorsque l’Assemblée nationale a examiné le texte de Cécile Untermaier, en 2023, soit bien après l’arrêt de la Cour de cassation du 13 février 2020, le risque d’inconstitutionnalité n’a pas été soulevé. Il a été souligné à cette occasion que le JAF joue de fait un rôle hybride, à la fois civil et pénal, dans la procédure de l’ordonnance de protection. Mais personne, alors, n’a considéré que la notion de danger puisse porter atteinte aux principes fondamentaux du droit à un procès équitable.
Le guide du ministère de la justice, adressé à tous les acteurs mobilisés dans une demande d’OP, précise du reste que toute « violence “vraisemblable” constitue un danger ».
Il y a donc bien un lien entre ces deux notions ; substituer « ou » à « et » à l’article 515-11 du code civil apporterait donc aux juges une clarification bienvenue.
Mme la présidente. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour explication de vote.
Mme Mélanie Vogel. Il est évident qu’il faut voter en faveur de cet amendement. J’ai d’ailleurs été moi-même très surprise ce matin, en commission des lois, en prenant connaissance de l’ordre d’examen de ces amendements. Celui-ci semble avoir été défini en fonction du nombre de mots contenu dans le dispositif et non de la substance et de l’importance du changement visé ! Je trouve cela un petit peu étrange : sans doute devrions-nous revoir cette règle…
J’en viens au fond : lorsque des violences ont été commises, il y a un danger. Et, à l’inverse, en cas de menace ou de danger, il n’est pas nécessaire de déterminer qu’il y a eu des violences pour savoir qu’il faut protéger la personne concernée.
Il faut donc voter pour cet amendement. C’est ce que fera le groupe écologiste, et j’espère que le Sénat l’adoptera.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.
Mme Annick Billon. Je me réjouis que l’amendement de Laurence Rossignol soit examiné en priorité, puisque l’objectif de la proposition de loi est bien de protéger au maximum les victimes. Or, tous les orateurs l’ont dit en discussion générale, le nombre de victimes reste très élevé. Si nous pouvons accroître la protection, faisons-le !
Le motif d’inconstitutionnalité a été invoqué, mais ce fut le cas, déjà, lors de l’examen de nombreux autres textes, et cet argument s’est bien souvent révélé sans fondement.
Je voterai bien entendu pour cet amendement – avec bonheur.
Mme la présidente. La parole est à Mme Olivia Richard, pour explication de vote.
Mme Olivia Richard. Bien sûr, il faut davantage de protection : c’est la raison pour laquelle nous sommes réunis aujourd’hui. Cependant, cela doit-il se faire au péril de l’ensemble du dispositif de l’ordonnance de protection ?
Comme beaucoup d’entre nous, j’ai lu la décision par laquelle la Cour de cassation a rejeté, en 2021, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) déposée au motif que l’OP constituerait une atteinte aux droits individuels – nous ne disposons pas, en revanche, d’une décision du Conseil constitutionnel sur ce point.
Les amendements identiques que nous avons présentés ont pour but de supprimer le caractère cumulatif des conditions d’octroi de l’ordonnance de protection. En effet, aux termes mêmes du code civil, la vraisemblance de la commission de faits de violence allégués est déjà constitutive d’un danger – et les violences ne sont pas nécessairement physiques : il existe une foultitude de types de violences perpétrées contre les femmes.
J’entends que l’amendement de notre collègue Rossignol serait plus simple et plus clair, mais j’entends également – cela nous a été expliqué en long, en large et en travers – que son adoption mettrait en péril l’ensemble du dispositif. Nous avons donc trouvé une solution qui me paraît équilibrée, prenant en charge y compris les cas qui exigent, nous en sommes tous d’accord, une meilleure protection.
Mme la présidente. La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo, pour explication de vote.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. Au nom du groupe CRCE-K, je soutiens l’amendement de Mme Rossignol. En effet, le texte qui nous réunit aujourd’hui vise à améliorer le dispositif de l’ordonnance de protection. Nous souhaitons améliorer la protection des femmes et des enfants victimes de violences intrafamiliales, et notre ambition est que le nombre d’ordonnances délivrées par les juridictions augmente. En adoptant cet amendement, nous nous donnerions les moyens de protéger davantage les femmes.
En France, beaucoup de féminicides sont commis après un refus d’octroi d’une ordonnance de protection. Nous avons l’occasion cet après-midi de lever un frein ; j’espère donc que nous voterons unanimement en faveur de cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Elsa Schalck, pour explication de vote.
Mme Elsa Schalck. Une fois n’est pas coutume, je rejoins ma collègue Olivia Richard, dont je partage les arguments. Je comprends évidemment l’esprit de l’amendement n° 6 : passer du cumulatif à l’alternatif. Veillons néanmoins à ne pas fragiliser le dispositif de l’ordonnance de protection. Nous appelons tous de nos vœux une meilleure protection des victimes, mais, pour ce faire, nous devons trouver un équilibre. Nous ne pouvons faire fi, notamment, de l’arrêt précité de la Cour de cassation. Rappelons que l’ordonnance de protection est une procédure particulière, une mesure d’urgence, par laquelle un juge civil prononce des mesures pénales.
Nous devons certes lever des freins, mais notre responsabilité est également de garantir l’équilibre du dispositif. Nous avons entendu les arguments du Gouvernement ; nous ne pouvons que regretter sa position, puisqu’il n’est pas même favorable aux amendements identiques que nous avons présentés. J’invite en tout cas mes collègues à soutenir ces trois amendements et à suivre l’avis de notre rapporteure sur l’amendement de notre collègue Rossignol.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Permettez-moi de rappeler quelques règles d’organisation.
Premièrement, Elsa Schalck vient de dire qu’on ne pouvait pas faire fi des arguments de la Cour de cassation. Je rappelle que celle-ci juge en droit ; or la Cour de cassation a jugé conformément à la rédaction actuelle du code civil.
En tant que législateur, si nous pensons que la Cour de cassation fait du code une interprétation un peu restrictive, nous nous devons d’intervenir pour modifier la loi, en sorte que la Cour juge désormais en vertu de la nouvelle loi. Voilà ce que nous proposons ; à supposer qu’une nouvelle rédaction soit adoptée, on ne risque pas de voir la jurisprudence antérieure revenir sous les mêmes termes.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Si !
Mme Laurence Rossignol. Oublions donc cette affaire-là.
Deuxièmement, mes chers collègues, vous alléguez l’inconstitutionnalité de mon amendement. Combien de fois nous a-t-on fait ce coup dans cet hémicycle ?
En l’espèce, où est le problème d’inconstitutionnalité ? Je le vois bien : on nous explique que le juge constitutionnel, saisi d’une question préjudicielle de constitutionnalité, serait amené à statuer que, le danger étant un concept et non pas un fait, l’ordonnance de protection porterait atteinte aux droits de la personne visée. Que dire, alors, de la violence, qui n’est pas même avérée ? C’est encore pire : elle est « vraisemblable » ! Autrement dit, si le juge constitutionnel pouvait décider que le critère de danger suffit à l’inconstitutionnalité de la disposition sur laquelle nous allons voter, alors la notion de violence vraisemblable ne manquerait pas de subir le même sort ! (Mme Elsa Schalck fait un signe de dénégation.)
Ne le niez pas : ce que je dis est techniquement imparable. Voyez la question de la durée de l’ordonnance de protection : cinq fois nous y sommes revenus ! Cinq fois j’ai proposé que nous l’allongions, et la sixième tentative est la bonne. Je vous assure qu’il en ira de même pour cette affaire de « ou » et de « et », dans un an ou dans dix-huit mois.
Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Laurence Rossignol. Dans les tribunaux, partout, les avocats vous diront que la rédaction actuelle ne convient pas, et nous en rediscuterons. Gagnons du temps : faisons-le maintenant !
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Je suis d’accord avec vous : le sujet n’est pas tant celui de la rédaction actuelle du code, puisque la Cour de cassation s’appuiera sur le nouveau texte de la loi qui sera promulguée.
Le risque est que cette nouvelle interprétation pousse la Cour de cassation à s’interroger sur la constitutionnalité du dispositif. Or la Cour s’est prononcée sur une QPC, qu’elle a décidé de ne pas transférer au Conseil constitutionnel. Celui-ci ne s’est donc jamais prononcé sur la constitutionnalité de l’ordonnance de protection.
Pourquoi craignons-nous que le Conseil constitutionnel se penche sur ce dispositif et y trouve un problème de constitutionnalité ? Pour la simple raison qu’il est demandé à un juge civil d’ordonner des peines qui relèvent du juge pénal : là est la particularité de l’ordonnance de protection, dispositif hybride.
Nous en reparlerons peut-être en effet dans un avenir proche. La magistrate Gwenola Joly-Coz recommande ainsi qu’un juge « VIF » puisse préconiser des mesures, à l’image du juge des enfants, qui relèvent du pénal.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Cela aussi nous l’avons proposé !
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Nous réglerions alors totalement ce problème de constitutionnalité ; mais, pour l’instant, tel n’est pas le cas.
C’est pourquoi nous avons essayé de trouver une rédaction qui permette de conserver la notion de dangerosité : la dangerosité et la violence se substituent à la culpabilité, celle-ci n’étant pas prouvée à l’heure où l’ordonnance de protection est délivrée.
Les amendements que vous qualifiez de repli permettent selon nous d’avancer. Ma conviction est néanmoins qu’à défaut d’un juge « VIF » ce problème de constitutionnalité continuera de se poser.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. Mme la sénatrice Harribey a évoqué le débat qui a eu lieu à l’Assemblée nationale en 2023 ; or le Gouvernement est constant dans ses positions. À l’époque, déjà, le garde des sceaux disait, je cite ses propos exacts : « Nous devons nous montrer prudents. » En effet, le Conseil constitutionnel opère un contrôle rigoureux et la Cour de cassation a eu l’occasion de souligner que l’existence d’un danger constaté par le juge était l’une des conditions de la constitutionnalité du dispositif.
L’alerte que je souhaite donner s’inscrit dans le cadre posé par Mme la rapporteure : il faut faire attention à la proportionnalité du texte, sans quoi le risque est de perdre l’ensemble du dispositif.