Mme la présidente. La parole est à Mme Elsa Schalck. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Olivia Richard applaudit également.)
Mme Elsa Schalck. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans la lignée de notre combat commun contre les violences conjugales et intrafamiliales.
Nous pouvons saluer les nombreuses initiatives parlementaires visant à lutter contre ce qui constitue un véritable fléau au sein de notre société. Il y a peu de temps, nous examinions ici même une proposition de loi visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille ; il s’agissait de mettre fin à de profondes injustices en cas de meurtre d’un conjoint.
Déposé par la députée Émilie Chandler et adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale, le présent texte a pour objet de compléter les outils mobilisables au service de la protection des victimes.
Je tiens à mon tour à saluer cette proposition de loi, car sa finalité est, d’une part, d’améliorer le dispositif de l’ordonnance de protection, principalement en allongeant la durée de ses effets, et, d’autre part, de créer un nouvel outil, inédit en la matière, à savoir l’ordonnance provisoire de protection immédiate.
Je tiens également à remercier Mme la rapporteure, Dominique Vérien, avec laquelle nous avons beaucoup échangé sur le sujet. Nous connaissons l’engagement de notre collègue, présidente de la délégation aux droits des femmes, dont témoignent notamment les travaux menés dans le cadre de l’élaboration du rapport Plan rouge VIF.
L’ordonnance de protection a été créée par le législateur en 2010. Elle répondait à un besoin de protection judiciaire des victimes de violences conjugales et conférait au juge aux affaires familiales la faculté de prononcer des mesures provisoires relevant du droit civil, mais également du droit pénal.
En quatorze années d’existence, le dispositif a été amélioré à plusieurs reprises, grâce à des évolutions législatives. Nous ne pouvons que constater, année après année, l’augmentation du nombre de demandes d’ordonnance de protection, passé de 1 600 en 2011 à 6 000 en 2021.
Ces chiffres démontrent la pertinence d’un tel outil, qui répond à de réels besoins des victimes : celui, par exemple, d’obtenir rapidement des interdictions d’entrer en contact, de détenir ou de porter une arme, de se rendre dans certains lieux, mais aussi, évidemment, celui d’obtenir qu’il soit statué rapidement sur le droit de garde des enfants.
La loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille, dont l’initiative revenait à notre famille politique, a permis la réduction à six jours du délai de délivrance de l’ordonnance de protection.
Bien que raccourci, ce délai de délivrance laisse encore un intervalle de risque durant lequel la victime reste exposée au danger. C’est tout le sens de l’ordonnance provisoire de protection immédiate qui verra le jour – je l’espère – grâce à ce texte : elle répond au besoin de protection d’urgence, c’est-à-dire de réactivité immédiate de la part des juridictions.
L’article 1er, qui porte création de cette OPPI, prévoit qu’une telle ordonnance soit délivrée par le juge aux affaires familiales dans un délai de vingt-quatre heures. C’est l’une des innovations majeures de ce texte ; je tiens à la saluer, même si, comme nous le verrons lors du débat d’amendements, quelques points demeurent en suspens, pour ce qui concerne notamment la saisine.
Je me réjouis, toujours à l’article 1er, de l’allongement de la durée de l’ordonnance de protection, qui passe de six à douze mois : cette disposition va elle aussi dans le sens d’une meilleure protection des victimes de violences. Nous savons en effet que, dans certaines situations conflictuelles, le délai de six mois peut s’avérer particulièrement court.
L’article 2 a été modifié par notre rapporteure de manière à harmoniser les sanctions prévues en cas de violation de l’OPPI et en cas de violation de l’OP. Je m’en félicite : nous savons à quel point nous avons besoin de cohérence dans les textes que nous adoptons !
La discussion de cet article permet également de rappeler qu’il est nécessaire de déployer des moyens suffisants pour assurer l’effectivité des sanctions et, ce faisant, la pertinence des mesures de l’OP. Combien de sanctions, madame la ministre, sont prononcées à l’encontre de ceux qui violent l’ordonnance de protection ?
Deux points d’importance seront soumis au débat.
Le premier concerne la saisine du juge aux affaires familiales. Le texte initial prévoyait la saisine par le seul procureur de la République. Si des garanties sont évidemment nécessaires s’agissant d’une procédure sans contradictoire et sans voie de recours, j’émets des réserves quant à cette saisine unique. À cet égard, l’amendement proposé par notre rapporteure et adopté par notre commission pourra donner lieu à discussion.
Comme l’a indiqué M. le garde des sceaux à l’Assemblée nationale, l’OPPI est un dispositif accessoire à l’ordonnance de protection. Il serait donc à mon sens antinomique de permettre à la partie victime de saisir le JAF pour une demande d’ordonnance de protection principale et de le lui interdire pour la demande accessoire que constitue ce nouvel outil.
Le second point de débat a trait à la notion de danger. Si l’ordonnance de protection est octroyée à la double condition qui a été évoquée, nous voyons bien que les chiffres peuvent masquer des réalités totalement différentes en fonction des juridictions. Nous devons aussi entendre les professionnels qui nous alertent sur la non-délivrance d’OP lorsque la victime a quitté le domicile conjugal, le critère de danger n’étant plus considéré comme satisfait : cette situation de fait constitue un frein à la délivrance d’OP.
Les membres du groupe Les Républicains verseront au débat un certain nombre d’amendements visant à résoudre ces difficultés.
Cela étant, mes chers collègues, la lutte contre les violences conjugales est une lutte de chaque instant, raison pour laquelle le groupe LR votera évidemment pour ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Olivia Richard applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Dany Wattebled. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Dany Wattebled. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les chiffres sont connus : au cours de l’année 2022, 321 000 femmes se sont déclarées victimes de violences conjugales et 62,5 % seulement des 5 800 ordonnances de protection demandées ont été délivrées par le juge.
Ces chiffres nous indiquent le chemin qu’il nous reste à parcourir afin de mieux garantir la protection de la victime au sein de son foyer, d’une part, et de mieux prévenir la récidive, d’autre part.
Ce chemin, nous le poursuivrons aussi longtemps que des femmes, mais aussi des enfants, seront en danger à l’intérieur même de la cellule familiale. Qu’ils soient assurés que, tout du long, nous demeurerons mobilisés !
À cet égard, la proposition de loi que nous examinons cet après-midi est la bienvenue. Elle met en œuvre l’une des cinquante-neuf recommandations formulées dans le rapport Plan rouge VIF, issu des travaux de la mission parlementaire sur l’amélioration du traitement judiciaire des violences intrafamiliales.
Si elle est adoptée, elle constituera la sixième réforme, en quatorze ans, du dispositif de protection judiciaire d’urgence des victimes présumées de violences intrafamiliales.
Ce texte vise ainsi fort opportunément à renforcer l’ordonnance de protection, dont la durée passerait de six à douze mois, et à créer un dispositif nouveau, l’ordonnance provisoire de protection immédiate, afin de protéger plus rapidement la personne menacée et ses enfants.
Je me félicite des améliorations issues des travaux de commission.
Parmi celles-ci, je me réjouis notamment de l’apport de l’article 2 bis, qui introduit la possibilité d’octroyer un téléphone grave danger dans le cadre des ordonnances provisoires de protection immédiate.
Je partage également la position de la commission consistant à éviter tout risque d’utilisation détournée de la communication des listes électorales, et ce en permettant de dissimuler l’adresse de la personne bénéficiaire d’une ordonnance de protection dans le cas où la demande de communication de la liste électorale émanerait de l’auteur de violences.
Enfin, je suis tout à fait favorable à la saisine du juge aux affaires familiales par la personne en danger et à la suspension du droit de visite et d’hébergement du parent violent pendant la durée de l’ordonnance provisoire de protection immédiate.
Avant de conclure, je tiens à saluer Mme la rapporteure, notre collègue Dominique Vérien, pour son implication dans la lutte contre les violences faites aux femmes et pour la qualité de ses travaux.
Mes chers collègues, les violences au sein du foyer restent prégnantes. Il s’agit d’un fléau, que nous devons continuer à combattre sans répit.
Vous l’aurez compris, le groupe Les Indépendants apporte tout son soutien à ce texte, qui constitue une nouvelle étape importante dans l’amélioration et le renforcement des outils mis à la disposition du juge civil pour protéger les personnes présumées victimes de violences commises par leur conjoint ou leur ex-conjoint. Il le votera à l’unanimité. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Laurent Somon applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Laurence Rossignol. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce matin, 147 femmes, et quelques hommes avec elles, demandaient, dans une tribune publiée dans le journal Le Monde, une « loi intégrale » contre les violences patriarcales.
Le concept de « loi intégrale » ne fait pas partie de notre vocabulaire : nous parlerions plutôt d’une « loi d’orientation », d’une « loi-cadre », d’une « grande loi ».
Quoi qu’il en soit, ce que demandent ces femmes, c’est une loi qui vise à la fois les violences sexuelles – les viols, les agressions sexuelles –, les violences physiques, les féminicides et les violences psychologiques qui ont en commun d’avoir été commises par des hommes qui considèrent qu’être un homme, c’est exercer son droit de propriété et son droit de cuissage sur les femmes et sur les enfants.
Ce droit de propriété, ce droit de cuissage, ils entendent l’exercer sur leur femme, mais aussi sur leurs ex-compagnes, sur leurs collaboratrices, sur les femmes qu’ils rencontrent dans des soirées, autrement dit sur toutes les femmes qu’ils peuvent agresser sexuellement chaque fois que l’occasion leur en est donnée – dès lors qu’ils le peuvent, ils le font.
Ce ne sont ni des pervers ni des malades psychiatriques : ce sont juste des hommes qui considèrent qu’être un homme autorise de tels agissements.
Je voulais donc tout d’abord apporter mon soutien à cette demande formulée ce matin via la tribune publiée dans Le Monde.
Ensuite, je voulais vous dire, mes chers collègues, que je trouve que nous légiférons mal, et même très mal.
Nous allons aujourd’hui, je l’espère, voter l’allongement de la durée de l’ordonnance de protection. Je vais à cet égard procéder à quelques rappels historiques, sans avoir besoin, d’ailleurs, de remonter très loin dans le temps.
En 2019, j’ai déposé, avec mes collègues, un amendement tendant à allonger la durée de l’ordonnance de protection. Nous avons fait de même en 2020, lors de l’examen de la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales, et en 2021, sur le projet de loi relatif à la protection des enfants. Chaque fois, l’amendement est rejeté à la suite d’un avis défavorable du Gouvernement et d’un vote de la majorité sénatoriale conforme à cette préconisation. Idem en 2022, sur le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, et en 2023, sur la proposition de loi visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales.
Autrement dit, c’est à cinq reprises que j’ai proposé, avec les collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicains et des collègues des autres groupes de gauche, que nous allongions la durée de l’ordonnance de protection.
Enfin, nous y venons ! Tout à l’heure, nous allons discuter du remplacement par la conjonction de coordination « ou » de la conjonction de coordination « et » qui lie actuellement les deux critères de violences et de danger. Je ne suis pas sûre que nous l’adoptions, du reste…
Mes chers collègues, je suis lassée de devoir répéter que vous finirez par adopter, dans quelques mois ou dans un an, ce que vous refusez d’adopter aujourd’hui. Pourquoi perdre tant de temps ?
Un jour, alors que je regrettais que, pendant ce temps-là, des femmes meurent, certains de mes collègues s’étaient mis à crier très fort, me reprochant de les accuser. Non, chers collègues, je ne vous accuse de rien ! Je dis simplement que le temps que perd le Parlement, c’est du temps que les prédateurs, les violeurs et les assassins gagnent contre les femmes. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Mélanie Vogel applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Do Aeschlimann. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie-Do Aeschlimann. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai le privilège de pouvoir intervenir dans la discussion de cette proposition de loi qui vise à améliorer la protection des femmes victimes de violences intrafamiliales, particulièrement en situation d’urgence.
Inspirées du modèle espagnol, les ordonnances de protection, instaurées en 2010, permettent des interventions judiciaires rapides et anticipées pour protéger ces victimes, mais elles restent sous-utilisées : en 2022, 321 000 femmes ont déclaré avoir subi des violences infligées par leur partenaire ou par leur ex-partenaire, mais moins de 6 000 ordonnances de protection ont été demandées, et seules 3 600 ont été accordées.
Il est patent que la mesure gagnerait à être mieux connue !
Cependant, ce dispositif méritait également d’être amélioré, ce que préconisait le rapport Plan rouge VIF publié en 2023.
La présente proposition de loi y concourt judicieusement, au travers de deux améliorations majeures.
D’abord, elle étend la durée de la protection conférée par l’ordonnance de six à douze mois. Ce temps supplémentaire doit permettre à la victime de se structurer et de sécuriser son environnement après une séparation.
Ensuite, la création d’une ordonnance de protection immédiate, quasi instantanée, en cas de danger grave et immédiat, est également pertinente. En effet, c’est au moment où la victime se décide à dénoncer l’agression qu’elle devient plus vulnérable encore.
Le durcissement des sanctions, pour dissuader les agressions, est un bon signal.
Je tiens à saluer le travail de la rapporteure, Dominique Vérien, notre excellente présidente de la délégation sénatoriale aux droits des femmes, aux côtés de laquelle j’ai plaisir à travailler, et je me félicite que ce travail parlementaire soit reconnu à sa juste valeur.
Ce texte est une étape, car il n’épuise pas le sujet de la lutte contre les violences intrafamiliales.
C’est au vu de mon expérience d’élue locale depuis vingt-trois ans, d’avocate et, bien sûr, de femme que je me permets de formuler, devant la représentation nationale, quelques réflexions sur la lutte contre ce fléau.
Il faut avant tout accentuer l’information et l’éducation à la prévention des violences conjugales. Tous les dispositifs seront vains si les limites infranchissables de la dignité de la personne et du respect de l’autre ne sont pas posées et intégrées par chacun. Cet accompagnement doit être simple, accessible et délivré en proximité.
Les associations et collectivités locales y prennent souvent toute leur part. L’action du centre francilien pour l’égalité femmes-hommes Hubertine-Auclert est en la matière une référence. À Asnières-sur-Seine, où j’ai été déléguée aux droits des femmes, nous avons créé des logements d’urgence pour y abriter les femmes victimes au moment critique du dépôt de plainte contre leur agresseur présumé.
En tout point du territoire, il faut plus de moyens et de structures d’appui aux victimes.
Face aux violences intrafamiliales, il faut une tolérance zéro : au fond, il s’agit de ne jamais accepter la moindre violence, quelle qu’elle soit, et surtout pas la première.
La vulnérabilité favorise les comportements violents. D’après l’étude nationale relative aux morts violentes au sein du couple, 38 % des femmes victimes de féminicides en 2019 étaient des retraitées. Ce chiffre fait froid dans le dos…
Les violences intrafamiliales sont d’autant plus dangereuses qu’elles sont protéiformes et sournoises : psychologiques, économiques, indirectes… Quand elles prennent en otage les enfants du couple, elles sont encore plus inacceptables.
La situation des enfants covictimes de violences est dramatique. À leur traumatisme propre et actuel s’ajoutent les dégâts subséquents chez de futurs adultes. La violence alimente la violence, et, souvent, cette spirale ne s’arrête qu’avec la mort.
Le groupe LR votera naturellement en faveur de ce texte, qui va dans le bon sens. Il faut cependant admettre qu’il n’est qu’une étape, car il n’épuise pas le sujet de la lutte contre les violences intrafamiliales.
Beaucoup reste à faire pour mieux détecter les situations de violences intrafamiliales, réprimer plus durement leurs auteurs afin de lutter contre la récidive, mais aussi mieux réparer ces outrages. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Alexandra Borchio Fontimp. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Alexandra Borchio Fontimp. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « la vérité blesse, mais le silence tue ». Ces mots de Mark Twain trouvent un écho singulier dans le texte que nous examinons aujourd’hui, car le constat est double.
La vérité est blessante, car, malgré cinq réformes successives de l’ordonnance de protection, ce dispositif pourtant essentiel n’est toujours pas pleinement efficace et efficient.
Elle est surtout blessante parce qu’elle prend le visage des 321 000 femmes qui ont trouvé le courage de dénoncer les violences conjugales dont elles étaient victimes.
Le silence tue, car, en 2023, seules 6 435 d’entre elles ont souhaité demander une ordonnance de protection.
Dans un monde idéal, le caractère protecteur de notre droit devrait convaincre ces femmes victimes de violences intrafamiliales d’oser dénoncer pour mettre fin à ce climat d’insécurité qui règne au sein de leur foyer. Pourtant, nos efforts restent insuffisants, et nous devons continuer de les rassurer pour qu’elles s’extirpent de l’ombre dangereuse de leur conjoint violent.
Les coups tuent, oui, mais les silences aussi ! En tant que législateur, nous devons poursuivre le combat indispensable pour comprendre les causes de ce silence.
Lorsque l’on n’a jamais été confronté à une telle violence, il est facile, voire simpliste, de se demander : pourquoi restent-elles ? pourquoi se taisent-elles ? pourquoi reviennent-elles ? Ces questions peuvent paraître anodines, mais elles sont une violence supplémentaire faite à ces victimes, qui, par honte de leur situation, se murent dans le silence pour éviter d’être exposées. Cette équation à plusieurs inconnues est, pour elles, plus facile à résoudre par le néant…
La peur des représailles est sûrement la plus viscérale, la plus destructrice.
Pour celles qui parviennent à dépasser cette peur légitime, d’autres explications existent.
Il y va notamment non d’un manque de confiance dans la justice, mais de la conscience du manque de moyens de l’institution judiciaire, malgré les récentes avancées.
Il faut attendre six jours pour se voir délivrer une ordonnance de protection dite « classique », soit 144 heures pendant lesquelles ces femmes pourraient bien payer le prix fort…
Cette proposition de loi a pour objet d’anticiper via la création d’une ordonnance provisoire de protection : concrètement, la femme victime pourra être protégée instantanément pendant ces six jours fatidiques.
Par ailleurs, le juge pourra désormais soumettre à de nouvelles obligations le prétendu conjoint – disons plutôt « le véritable bourreau » – et l’éloigner plus rapidement de sa victime.
Ce texte semble donc répondre aux espoirs tant des femmes concernées que des différents acteurs œuvrant dans cette lutte ; encore faut-il consacrer à son application les moyens humains nécessaires !
Cette lutte, mes chers collègues, nous ne pouvons qu’y souscrire, et c’est pour cette raison que le Sénat examine ce texte avec intérêt. Celui-ci s’inscrit dans une démarche transpartisane, et le groupe Les Républicains le votera naturellement – je veux rappeler que la création de l’ordonnance de protection est issue, comme la dernière évolution législative du dispositif, en 2019, des travaux de ma famille politique.
Je tiens à saluer la rapporteure et la commission des lois, dont le travail permet de donner davantage de moyens d’action au juge ainsi qu’au procureur de la République.
Les débats à venir viendront enrichir la proposition de loi ; je pense notamment à l’adaptation du code civil, mesure défendue par notre collègue Elsa Schalck, qui permettrait de placer le droit au plus près de la réalité de la situation de danger dans laquelle se trouvent les victimes de violences conjugales.
Plus d’une femme sur trois aura été victime de violences conjugales durant sa vie, selon le dernier rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Il aura fallu attendre le sursaut salutaire de 2017 pour que les alertes relatives à ce problème sociétal d’envergure soient entendues.
Espérons que ledit problème soit enfin compris et, pour ce faire, donnons à la justice des moyens qui soient à la hauteur des enjeux.
En ce 14 mai, 38 féminicides ont eu lieu en France depuis le début de l’année. Le dernier s’est déroulé voilà quelques jours, dans ma commune d’Antibes-Juan-les-Pins, dans les Alpes-Maritimes. La victime avait 33 ans. Elle était maman. L’auteur présumé a récidivé.
Réjouissons-nous des avancées que permet ce texte, mais restons humbles et mobilisés pour prévenir et repérer les violences conjugales, car le chantier ne fait que commencer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Annick Billon applaudit également.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi renforçant l’ordonnance de protection et créant l’ordonnance provisoire de protection immédiate
Article 1er
Le code civil est ainsi modifié :
1° A (nouveau) À la seconde phrase du 6° de l’article 515-11, les mots : « l’huissier » sont remplacés par les mots : « le commissaire de justice » ;
1° À la première phrase de l’article 515-12, le mot : « six » est remplacé par le mot : « douze » ;
2° Le titre XIV du livre Ier est complété par un article 515-13-1 ainsi rédigé :
« Art. 515-13-1. – Lorsque le juge aux affaires familiales est saisi d’une demande d’ordonnance de protection dans les conditions prévues au premier alinéa de l’article 515-10, la personne en danger peut, sur avis conforme du ministère public qui se prononce dans un délai de vingt-quatre heures, demander également une ordonnance provisoire de protection immédiate. L’ordonnance provisoire de protection immédiate peut aussi être demandée, avec l’accord de la personne en danger, par le ministère public.
« L’ordonnance provisoire de protection immédiate est délivrée par le juge aux affaires familiales dans un délai de vingt-quatre heures à compter de sa saisine s’il estime, au vu des seuls éléments joints à la requête par la personne en danger et par le ministère public, qu’il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission des faits de violence allégués et le danger grave et immédiat auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés. Le fait de joindre à une requête des pièces rédigées en langue étrangère ne peut motiver le refus de délivrer une ordonnance provisoire de protection immédiate.
« Le juge aux affaires familiales est compétent pour prononcer, à titre provisoire, les mesures mentionnées aux 1° à 2° bis, 6° et 6° bis de l’article 515-11, ainsi que la suspension du droit de visite et d’hébergement mentionné au 5° du même article 515-11.
« Ces mesures prennent fin à compter de la décision statuant sur la demande d’ordonnance de protection ou qui accueille une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident mettant fin à l’instance. »
Mme la présidente. Je suis saisie de cinq amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les trois premiers sont identiques.
L’amendement n° 2 rectifié est présenté par Mme O. Richard.
L’amendement n° 3 rectifié quater est présenté par Mme Schalck, MM. Anglars et Bazin, Mmes Bellurot et Belrhiti, MM. Brisson et Bruyen, Mme Borchio Fontimp, M. Belin, Mme Dumont, M. Darnaud, Mme Evren, MM. Frassa et Genet, Mmes Gosselin, Goy-Chavent, Gruny, Garnier et Estrosi Sassone, MM. C. Vial et Khalifé, Mme Josende, MM. Sol et Reynaud, Mme Valente Le Hir, MM. H. Leroy et Savin, Mme Micouleau, M. Somon, Mme Ventalon, M. Reichardt, Mme Imbert, MM. Lefèvre et Laménie, Mmes M. Mercier et Jacques, MM. Sautarel, Rapin, Sido, Naturel et Gremillet et Mme Aeschlimann.
L’amendement n° 11 rectifié bis est présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Après l’alinéa 1
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° À la première phrase du premier alinéa de l’article 515-11 du code civil, les mots : « comme vraisemblables la commission des faits de violence allégués et le danger auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés » sont remplacés par les mots : « que la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés à la situation de danger mentionnée à l’article 515-9, au regard de la vraisemblance de la commission des faits de violence allégués ».
La parole est à Mme Olivia Richard, pour présenter l’amendement n° 2 rectifié.
Mme Olivia Richard. Cet amendement, que nous avons évoqué lors de la discussion générale, vise à clarifier la rédaction de l’article 515-11 du code civil, en permettant aux juges d’apprécier la notion de danger en fonction des violences alléguées vraisemblables.
L’on sait que la jurisprudence de la Cour de cassation considère qu’une ordonnance de protection peut être accordée si les deux conditions de vraisemblance des violences et de danger actuel sont réunies. Voilà qui conduit, dans certaines situations, à ne pas octroyer d’ordonnance de protection, car, bien souvent, les juges considèrent que le simple fait de quitter le domicile conjugal met fin aux violences, donc au danger.
Nous entendons revenir sur cette interprétation, sachant que l’article 515-9 du code civil précise que l’ordonnance de protection peut être accordée lorsque les violences exercées au sein du couple « mettent en danger la personne qui en est victime ». Les violences sont donc bel et bien constitutives du danger !
L’évolution que nous proposons faciliterait la preuve de l’immédiateté du danger et permettrait d’augmenter le nombre d’ordonnances de protection délivrées, dont on sait qu’il est trop faible.
J’en profite pour dire à Laurence Rossignol que je comprends sa colère. Nous la partageons tous, me semble-t-il.
Oui, en la matière, une évolution est nécessaire. Le fait que la jurisprudence de la Cour de cassation sécurise l’intégralité du dispositif ne doit pas nous interdire d’évoluer sur les modalités de saisine et d’appréciation du juge.