Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Le dépôt de cet amendement résulte, me semble-t-il, d’une incompréhension du texte adopté par la commission la semaine dernière.

Nous avons estimé que le point d’étape que pourrait présenter le ministre devant les membres de l’AFE chaque année, compte tenu du caractère extrêmement ciblé de l’expérimentation, puisqu’elle concerne la dématérialisation des actes d’état civil pour les seuls Français de l’étranger, ne revêt pas un caractère tel qu’il devrait faire l’objet d’un débat annuel devant le Parlement.

C’est pourquoi je considère que la demande formulée par Mme Conway-Mouret à travers cet amendement est quelque peu excessive et que je la prie de bien vouloir le retirer. À défaut, j’y serai défavorable.

Cela étant, si le ministre en est d’accord, je propose que ce rapport fasse l’objet d’une audition dédiée devant la commission des lois – je parle sous le contrôle de son président – : il s’agirait d’un point d’étape annuel sur l’avancement de l’expérimentation pour les trois années à venir.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Franck Riester, ministre délégué. Même avis que la commission : je demande le retrait de l’amendement ; à défaut, j’y serai défavorable.

Concernant la proposition du rapporteur, je saisis la balle au bond, si je puis dire, et me tiens à la disposition de la commission des lois si elle souhaite que je fasse un point très précis sur cette expérimentation chaque année.

Mme la présidente. Madame Conway-Mouret, l’amendement n° 6 rectifié est-il maintenu ?

Mme Hélène Conway-Mouret. Monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, vous me tendez la main : je suis bien évidemment prête à la saisir.

Mon ambition était moins d’appeler à un débat chaque année devant le Parlement, comme cela se fera devant l’Assemblée des Français de l’étranger, que de demander que le Parlement soit informé et bénéficie de ce rapport d’étape annuel, sans avoir à attendre le terme des trois années d’expérimentation. À mon sens, ce point d’étape doit permettre à nos assemblées d’anticiper et, éventuellement, de préparer le débat budgétaire de fin d’année.

En réalité, je n’envisageais pas la tenue d’un débat parlementaire. Aussi, ce que vous proposez me convient parfaitement : une présentation devant la commission des lois nous permettra de préparer ensemble le débat budgétaire et d’anticiper une éventuelle hausse des crédits nécessaires à cette expérimentation pour qu’elle aboutisse positivement.

Je retire mon amendement.

Mme la présidente. L’amendement n° 6 rectifié est retiré.

L’amendement n° 4, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :

Alinéa 9

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

La présentation comporte une analyse des risques pour la sécurité informatique des procédures d’établissement, de conservation et de mise à jour des actes de l’état civil.

La parole est à Mme Mélanie Vogel.

Mme Mélanie Vogel. Cet amendement traite de la sécurité du registre d’état civil électronique et, notamment, des tests qui doivent être réalisés pour nous protéger contre les cyberattaques.

Pour la seule année 2022, le montant des dommages causés par les cyberattaques aux administrations et entreprises françaises s’est élevé à 2 milliards d’euros. Nous savons que ces menaces émanent principalement de la Russie et de la Chine et que le registre d’état civil fait partie des cibles potentielles.

Les cybercriminels effectuent des scans pour identifier les failles dans nos registres, obtenir un accès au système et en profiter à un moment ultérieur – vous imaginez aisément toutes les informations et données que contient un registre d’état civil.

Cet amendement vise par conséquent à ce que le rapport d’étape annuel comporte une analyse des risques pour la sécurité informatique du registre et qu’il soit transmis aux élus de l’Assemblée des Français de l’étranger.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Je comprends tout à fait la préoccupation de Mme Vogel, surtout dans le contexte actuel, marqué par les menaces permanentes qui pèsent sur nos systèmes informatiques, d’autant plus lorsqu’ils sont déployés à travers la planète.

Cela étant, l’exercice auquel nous souhaitons que le ministre se prête chaque année devant les membres de l’AFE s’inscrit dans le cadre de son allocution annuelle. Il s’agit non pas de la remise physique d’un rapport, mais bien d’un point d’étape oral. Comme toutes ses interventions, cette intervention sera suivie d’un débat avec les membres de l’Assemblée des Français de l’étranger, lesquels pourront émettre un avis sur le sujet. Toutefois, je le redis, il n’y aura pas de document écrit à proprement parler.

Par ailleurs, je souligne que le rapport d’évaluation réalisé par les deux inspections a relevé et identifié l’ensemble des risques techniques, y compris donc les risques que vous venez d’énumérer, madame la sénatrice, et que ce rapport a déjà été remis au Parlement en 2023. À mon sens, il s’agit du document adéquat dans lequel doivent figurer ces éléments d’analyse.

Dès lors que votre amendement est satisfait, puisque le rapport d’évaluation remis au terme de l’expérimentation dressera le bilan de tous les problèmes techniques rencontrés, je vous demande de bien vouloir le retirer ; à défaut, j’y serai défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Franck Riester, ministre délégué. Même avis.

Mme la présidente. Madame Vogel, l’amendement n° 4 est-il maintenu ?

Mme Mélanie Vogel. Non, je le retire, madame la présidente.

Mme la présidente. L’amendement n° 4 est retiré.

Je mets aux voix l’article 2, modifié.

(Larticle 2 est adopté.)

Vote sur l’ensemble

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi visant à poursuivre la dématérialisation de l'état civil du ministère de l'Europe et des affaires étrangères
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Mathilde Ollivier, pour explication de vote.

Mme Mathilde Ollivier. Je tiens à revenir sur la question de la reprise des données dans le cadre du projet de registre d’état civil électronique. Ce sujet me semble tellement important que j’ai déposé un amendement qui a, hélas ! été déclaré irrecevable.

La mise à jour dématérialisée des actes d’état civil est l’un des volets majeurs du projet RECE. Or, sans une reprise des données existantes efficace et complète, cette actualisation ne pourra pas se faire sous une forme dématérialisée et ne pourra pas être complètement évaluée, puisqu’elle sera limitée à une catégorie spécifique d’actes d’état civil à établir. Il s’agit d’un point crucial pour une dématérialisation totale.

Aujourd’hui, les agents du service central d’état civil effectuent manuellement les mises à jour des actes d’état civil. La diversité de ces actes et le volume des données à reprendre rendent ardue la mise en œuvre de l’intégration des données existantes. Il y a là un véritable défi à relever si nous voulons que le RECE puisse atteindre son plein potentiel et offrir les avantages que la dématérialisation peut apporter. C’est également le constat dressé par l’inspection générale de la justice et l’inspection générale des affaires étrangères.

Nous demandons qu’une vigilance accrue soit de mise pour ce qui concerne la reprise des données inhérente à la mise à jour et à la gestion de ces actes d’état civil sous forme électronique. Nous ne demandons pas l’ajout d’une nouvelle activité dans le cadre de l’expérimentation ; nous voulons avoir la garantie que la reprise des données, qui était déjà prévue, mais qui n’a pas pu être évaluée, soit menée à bien.

Mme la présidente. La parole est à Mme Olivia Richard, pour explication de vote.

Mme Olivia Richard. Pour conclure, monsieur le ministre, j’aimerais en appeler à votre vigilance sur un point et vous interroger sur un autre.

Tout d’abord, comme plusieurs de mes collègues l’ont rappelé dans la discussion générale, l’utilisation du service FranceConnect reste une barrière infranchissable pour un grand nombre de nos compatriotes. J’ai vérifié : pour demander un extrait ou une copie intégrale d’acte d’état civil sur le site servicepublic.fr, il faut s’authentifier via FranceConnect. Marie Godefroy Barros, conseillère des Français de l’étranger de Rio de Janeiro, m’en parlait encore la semaine dernière. Ce point mérite toute notre vigilance si nous voulons que la dématérialisation soit accessible à tous. Je vous remercie donc, monsieur le ministre, de l’action que vous menez en partenariat avec la filiale Docaposte pour faciliter le plus possible ces démarches.

Ensuite, j’entends que la commission des lois se verra remettre un rapport au terme de l’expérimentation. Je ne peux que me réjouir de l’implication des élus représentant les Français de l’étranger. Néanmoins, pour respecter le champ de leurs compétences, nous devons convenir que la commission des lois reste souveraine quant à son ordre du jour et que c’est bien au bureau de l’Assemblée des Français de l’étranger de déterminer l’ordre du jour de ses sessions.

Cela étant dit, je vous remercie encore pour cet effort très apprécié par les Français de l’étranger.

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ? …

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi visant à poursuivre la dématérialisation de l’état civil du ministère de l’Europe et des affaires étrangères.

(La proposition de loi est adoptée.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à seize heures trente-cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à poursuivre la dématérialisation de l'état civil du ministère de l'Europe et des affaires étrangères
 

4

Communication relative à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

5

 
Dossier législatif : proposition de loi renforçant l'ordonnance de protection et créant l'ordonnance provisoire de protection immédiate
Discussion générale (suite)

Ordonnance de protection

Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, allongeant la durée de l’ordonnance de protection et créant l’ordonnance provisoire de protection immédiate (proposition n° 380, texte de la commission n° 558, rapport n° 557).

Discussion générale

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi renforçant l'ordonnance de protection et créant l'ordonnance provisoire de protection immédiate
Article 1er

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de léducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de lenfance, de la jeunesse et des familles. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ouvrirai mon propos en vous priant d’excuser le garde des sceaux qui, compte tenu du drame que nous avons malheureusement vécu aujourd’hui, se trouve aux côtés des agents de la pénitentiaire, en cellule de crise. C’est un réel choc qui touche notre pays.

Mais il est des combats, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous devons conduire sans jamais faillir ; et tel est bien le sens de notre détermination collective à faire reculer toutes les formes de violences intimes, celles qui, exposant à plus de 80 % des femmes et des enfants, mettent en danger les personnes au sein de leur propre foyer.

Ce texte est de nouveau l’occasion de concrétiser notre mobilisation transpartisane pour renforcer la protection des victimes et assurer la réactivité de l’action judiciaire. C’est pourquoi je soutiens pleinement les objectifs de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.

Comme vous le savez, ce texte est issu des travaux que vous avez menés, madame la rapporteure, très chère Dominique Vérien, avec la députée Émilie Chandler, dans le cadre de l’élaboration du rapport Plan rouge VIF. Améliorer le traitement judiciaire des violences intrafamiliales. Ce rapport – j’y insiste – fera date en matière de lutte contre les violences faites aux femmes.

Ce texte constitue une nouvelle étape dans le renforcement des outils de protection qui sont à la disposition du juge civil en amont de toute déclaration de culpabilité.

Depuis le lancement du Grenelle contre les violences conjugales à l’automne 2019, nous avons œuvré collectivement pour renforcer l’action judiciaire. Je pense aux avancées récentes que le garde des sceaux a portées avec la plus grande énergie, notamment la loi du 18 mars 2024, dont l’initiative revient à la députée Isabelle Santiago, visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales. Vous l’avez votée à l’unanimité de manière transpartisane et engagée, tant ce texte vise à compléter notre arsenal juridique en empêchant le parent agresseur de se prévaloir de ses droits parentaux pour maintenir son emprise ou réitérer ses agissements.

Je pense également à la proposition de la loi visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille, adoptée en première lecture par les deux assemblées et qui devrait prochainement aboutir, la commission mixte paritaire ayant été conclusive, ce dont je me réjouis.

Je pense bien évidemment à la création des pôles spécialisés en matière de violences intrafamiliales dans toutes les juridictions, qui est effective depuis le 1er janvier 2024. Vous aviez largement approuvé cette avancée majeure contenue dans la loi du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027. Notre détermination à faire reculer le fléau des violences au sein du couple doit être cohérente et ces pôles spécialisés constituent un cadre idéal pour accueillir la mise en œuvre du texte qui vous est soumis aujourd’hui. En effet, depuis le mois de janvier 2024, toutes les juridictions disposent d’une organisation dédiée qui permet de favoriser l’échange d’informations entre les acteurs impliqués et de créer des passerelles entre les procédures civiles et pénales.

Je veux ici rappeler que les juridictions se sont bien emparées des outils votés par le Parlement. Je vous livre quelques chiffres – le garde des sceaux avait à cœur de vous les rappeler – qui rendent compte de cette réactivité : quelque 5 709 téléphones grave danger (TGD) ont été déployés en 2023 ; l’activation de plus de 1 000 bracelets antirapprochement (BAR) a permis 10 500 interventions des forces de sécurité intérieure, soit autant de vies de sauvées ; 3 586 ordonnances de protection ont été délivrées en 2022, contre 1 392 en 2017.

Les juridictions ont par ailleurs su s’adapter pour délivrer l’ordonnance de protection dans un délai de six jours seulement, contre quarante-deux jours en moyenne en 2017. Le taux d’acceptation est aujourd’hui de plus de 70 % !

Poursuivons donc le combat grâce à ce texte, qui comporte de nombreuses avancées.

Ainsi, l’article 1er permet d’allonger la durée initiale des mesures ordonnées par le juge en la faisant passer de six à douze mois. Cette prolongation opportune répond aux situations très complexes, qui sont susceptibles de ne pas être résolues dans le délai initial de six mois, ou encore à celles dans lesquelles la personne en danger ne peut pas bénéficier de la prolongation automatique parce qu’elle n’est pas mariée ou qu’elle n’a pas d’enfant en commun avec l’auteur présumé des violences.

Je me dois par ailleurs de rappeler que l’ordonnance de protection est un dispositif civil qui permet d’ordonner en urgence des mesures de nature quasi pénale, donc attentatoires aux libertés du défendeur. À cet égard, nous avons la responsabilité de ne pas en fragiliser le délicat équilibre constitutionnel.

La notion de danger doit rester au cœur de l’office du juge. Nous devons lui faire confiance s’agissant d’apprécier les « violences vraisemblables », le « danger vraisemblable » et, désormais, le « danger grave et immédiat ».

Nous aurons un débat sur ce sujet, mais je veux souligner l’importance de ne pas mettre en péril un dispositif qui est connu de tous les acteurs. Le maintien des deux critères de violences vraisemblables et de danger vraisemblable assure la sécurité du dispositif civil et donc une protection effective des victimes.

L’article 1er de la proposition de loi vise en outre à créer un nouveau dispositif, à savoir l’ordonnance provisoire de protection immédiate (OPPI).

L’objectif de cette ordonnance provisoire de protection immédiate est de permettre au juge aux affaires familiales (JAF) de prononcer des mesures de protection en vingt-quatre heures et sans contradictoire, dans l’attente de l’audience au fond sur l’ordonnance de protection, laquelle interviendra dans un délai de six jours. Ce nouveau dispositif donne au juge la possibilité, dans les cas les plus graves, d’ordonner en urgence des mesures propres à assurer une protection immédiate des victimes de violences conjugales.

L’absence de contradictoire et de voie de recours et le délai extrêmement court dans lequel le juge aux affaires familiales peut prononcer des mesures restrictives de liberté exigent toutefois d’encadrer très strictement l’ordonnance provisoire de protection immédiate. Là encore, il s’agit de garantir le nécessaire équilibre entre la protection de la partie demanderesse et les atteintes aux libertés de la partie défenderesse.

Sensibles à cet impératif constitutionnel, l’Assemblée nationale et la commission des lois du Sénat ont travaillé à maintenir et à améliorer les garanties qui entourent l’ordonnance provisoire de protection immédiate.

Premièrement, les critères de délivrance de l’ordonnance provisoire de protection immédiate, nécessairement plus restrictifs que ceux de l’ordonnance de protection, ont été maintenus. Ainsi, le danger auquel est exposée la partie demanderesse doit être un danger grave et immédiat.

Deuxièmement, le caractère accessoire, sur un plan procédural, de l’ordonnance provisoire de protection immédiate, qui est le seul à même de garantir la limitation dans le temps du dispositif, a également été maintenu. Ainsi l’ordonnance provisoire de protection immédiate prendra-t-elle automatiquement fin au jour de la délivrance de l’ordonnance de protection ou, comme cela a été opportunément ajouté par la commission des lois, lorsque l’instance prendra fin pour un motif de procédure.

Troisièmement, la commission des lois a opportunément ajouté la dissimulation de domicile aux mesures qui peuvent être prononcées dans le cadre de l’ordonnance provisoire de protection immédiate. Quelques ajustements rédactionnels pourront être réalisés afin d’en faciliter la mise en œuvre.

Si je me réjouis de ces améliorations, fruits d’un véritable travail transpartisan, je ne souscris pas en revanche à certaines des orientations prises par la commission des lois du Sénat ; je m’en explique.

Le premier point de divergence entre nous concerne l’interdiction faite au juge de fonder son refus de délivrer une ordonnance provisoire de protection immédiate sur le fait que la requête est accompagnée de pièces en langue étrangère.

Cette disposition n’est pas utile, car aucun texte n’impose aux parties de produire une traduction faite par un traducteur assermenté lorsqu’elles versent aux débats un document en langue étrangère : elles peuvent en produire une traduction libre, y compris obtenue via un logiciel de traduction sur internet. Le juge apprécie, en fonction de chaque cas d’espèce, la force probante des éléments qui lui sont soumis lorsqu’ils sont rédigés dans une langue étrangère.

Notre deuxième point de divergence concerne la possibilité donnée à la personne en danger de solliciter auprès du juge aux affaires familiales la délivrance d’une ordonnance provisoire de protection immédiate, après avis conforme du ministère public, possibilité introduite par la commission des lois.

Si je comprends l’objectif d’une telle mesure, à savoir assurer la célérité requise par l’urgence dans le traitement des dossiers les plus graves, il me semble que tel n’est pas le meilleur moyen d’y pourvoir.

Tout d’abord, vous renversez l’équilibre jusqu’ici préservé, qui place le procureur de la République au cœur du dispositif en lui permettant de décider seul, dans son office de traitement des situations urgentes, de la nécessité d’ordonner des mesures attentatoires aux droits et libertés dans un cadre non contradictoire. Le traitement de l’urgence est maîtrisé par le parquet comme par les juges, et il nous appartiendra d’en préciser le circuit opérationnel par voie de circulaire afin d’en garantir l’efficacité.

Ensuite, en pratique, cette possibilité complexifie les circuits de la procédure de l’ordonnance provisoire de protection immédiate en y ajoutant des étapes supplémentaires, ce qui affectera nécessairement l’efficacité du dispositif.

Enfin, vous accordez à la personne en danger le droit de saisir le juge aux fins d’obtenir une ordonnance provisoire de protection immédiate tout en conditionnant cette saisine à l’avis d’un tiers, ce qui pose question au regard du droit fondamental d’accès au juge.

Nous construisons ici un dispositif inédit, dérogatoire aux règles et aux principes fondamentaux de la procédure civile, ce qui n’est pas sans risque sur le plan constitutionnel. Nous devons donc le sécuriser autant que possible, tout en garantissant son efficacité. C’est pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, vous aurez à examiner un amendement visant à ce que seul le procureur de la République puisse solliciter, sans délai vu l’extrême urgence, la délivrance d’une ordonnance provisoire de protection immédiate.

L’article 1er bis a quant à lui pour objet de masquer l’adresse de la personne bénéficiaire de l’ordonnance de protection lors de la demande de communication des listes électorales prévue à l’article L. 37 du code électoral. Cette disposition, introduite par la commission des lois sur votre initiative, madame la rapporteure, est nécessaire.

L’inventivité des auteurs de violences est redoutable et nous devons la contrecarrer. Néanmoins, nous devons articuler la mise en œuvre de cette disposition avec l’exigence de transparence démocratique qui justifie la communication des listes électorales à tout électeur en faisant la demande. C’est pourquoi je propose qu’un décret en Conseil d’État précise les conditions d’application de cette mesure.

L’article 2 prévoit que la violation d’une ordonnance de protection comme d’une ordonnance de protection immédiate sera sanctionnée pénalement d’une peine portée à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.

En l’espèce, il m’est une nouvelle fois donné l’occasion de saluer le travail effectué par votre commission : en unifiant et en augmentant les peines encourues quelle que soit la nature de l’ordonnance rendue par le juge aux affaires familiales, vous permettez la mise en œuvre d’actes d’enquête qui en garantiront l’efficacité.

Enfin, à l’article 2 bis, il est expressément prévu que la future ordonnance provisoire de protection immédiate peut donner lieu, comme c’est le cas pour l’ordonnance de protection, à l’attribution d’un téléphone grave danger. Là encore, cela participe à accroître la protection que nous voulons accorder à toutes les victimes de violences conjugales.

Mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi nous offre l’occasion de sécuriser un outil judiciaire inédit permettant d’appréhender toutes les situations de danger avant même l’intervention du juge pénal. Cette intervention judiciaire immédiate doit être à fois protectrice des victimes et garante des principes essentiels de notre État de droit. Nous le devons aux victimes qui ont perdu la sécurité du foyer familial. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Elsa Schalck et M. Laurent Somon applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Dominique Vérien, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à exprimer mon soutien au ministre de la justice, qui ne peut être parmi nous cet après-midi, ainsi qu’à l’ensemble de la famille pénitentiaire, qui a été durement touchée. J’adresse toutes mes condoléances aux familles des victimes.

La proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui est la continuation d’un long travail parlementaire de lutte contre les violences intrafamiliales. Ce fléau nécessite, pour pouvoir être endigué, une mobilisation sans faille de toutes les parties prenantes, ainsi que l’implication constante des pouvoirs publics, des services sociaux, des forces de l’ordre et du monde judiciaire.

Ce travail revêt une absolue nécessité : tous les trois jours, une femme tombe sous les coups de son conjoint ou de son ex-conjoint. En 2022, ce sont 118 femmes qui sont décédées à la suite de violences conjugales, tandis que 267 autres ont été victimes d’une tentative de féminicide. Les forces de sécurité ont enregistré la même année près de 240 000 femmes victimes de violences commises par leur partenaire ou leur ex-partenaire et 87 000 femmes victimes de violences sexuelles.

Derrière chaque chiffre, il y a une victime que la société a échoué à protéger. Derrière chaque victime, il y a une faillite des dispositifs de protection dont il est de notre devoir d’assurer la mise en œuvre effective.

Les ordonnances de protection constituent l’un de ces dispositifs. Créées en 2010 et s’inspirant du modèle espagnol, elles sont un outil de protection judiciaire d’urgence des victimes présumées de violences intrafamiliales. Elles permettent au juge aux affaires familiales d’assurer dans l’urgence la protection de victimes de violences intrafamiliales en prononçant, dans un délai de six jours, ce qui représente déjà une réelle amélioration par rapport aux quarante jours constatés en moyenne au début du dispositif, des mesures protectrices et temporaires, à mi-chemin du droit civil et du droit pénal, visant à garantir la sécurité de la victime et à l’aider à rendre effective la séparation, dans l’attente d’un éventuel jugement pénal.

Ces mesures sont valables pour une durée maximale de six mois, qui peut, sous certaines conditions plutôt restrictives, être prolongée par le juge.

Le non-respect de ces mesures constitue un délit pouvant être puni d’une peine de 15 000 euros d’amende et de deux ans d’emprisonnement.

Les ordonnances de protection sont de mieux en mieux identifiées depuis 2010. Le nombre de demandes portées devant la justice civile n’a cessé d’augmenter, passant d’un peu plus de 1 600 en 2011 à près de 6 000 en 2021. Cette augmentation est encourageante et doit être soulignée. Elle démontre que les ordonnances de protection répondent à un réel besoin, qui doit nous alerter.

Toutefois, le nombre d’ordonnances de protection délivrées reste faible au regard du nombre de victimes que j’évoquais précédemment. Le danger n’est pas toujours évalué à sa juste valeur, c’est-à-dire à l’aune des violences passées dont on sait, depuis que nous travaillons sur le contrôle coercitif, qu’elles relèvent d’un système qui ne s’arrête ni à la porte de la maison ni après une séparation ; d’où le débat que nous aurons sur l’article 515-11 du code civil.

Ainsi le dispositif est-il indéniablement perfectible. Du reste, plusieurs des cinquante-neuf préconisations du rapport Plan rouge VIF que ma collègue députée Émilie Chandler et moi-même avons remis il y a un an visaient à renforcer le dispositif des ordonnances de protection.

Je me réjouis de constater que ces travaux ont été pris en considération et soutenus par le Gouvernement. Plusieurs mesures d’ordre réglementaire sont déjà en cours d’application. Pour ce qui relève du domaine législatif, je vous remercie, madame la ministre, et à travers vous M. le ministre de la justice, d’avoir inscrit la présente proposition de loi à l’ordre du jour d’une semaine gouvernementale.

Ce texte, adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 5 mars dernier, reprend l’idée de la création d’une ordonnance provisoire de protection immédiate.

La proposition de loi contient deux mesures phares ayant pour objet d’étendre dans le temps la protection des victimes : l’une le fait en amont, en créant la fameuse ordonnance provisoire de protection immédiate que je viens de mentionner, l’autre en aval, en prévoyant l’allongement de la durée maximale de l’ordonnance de protection, qui passerait de six à douze mois. Ainsi, les personnes qui ne sont pas mariées et qui n’ont pas d’enfant pourront bénéficier d’un temps plus long pour organiser leur séparation.

En effet, le dispositif actuel de l’ordonnance de protection prévoit qu’un allongement de la durée des mesures au-delà des six mois n’est possible que si une demande en divorce ou en séparation de corps a été déposée ou si le juge aux affaires familiales a été saisi d’une demande relative à l’exercice de l’autorité parentale, privant de fait de ce bénéfice les victimes de violences conjugales non mariées et sans enfant.

La création de l’ordonnance provisoire de protection immédiate constitue quant à elle la mesure la plus novatrice du texte. Elle vise à assurer une meilleure protection des victimes dans le court temps qui sépare la saisine du juge aux affaires familiales et la décision rendue par ce dernier sur la demande d’ordonnance de protection, temps pendant lequel le danger peut être prégnant.

Telle que remaniée par la commission des lois, l’ordonnance provisoire de protection immédiate pourrait être demandée en parallèle d’une ordonnance de protection, soit par la personne en danger et sur avis conforme du ministère public, qui se prononcerait dans un délai de vingt-quatre heures, soit directement par le ministère public en accord avec la personne en danger. Elle serait ensuite délivrée par le juge aux affaires familiales dans un délai de vingt-quatre heures à compter de sa saisine et au vu des seuls éléments joints à la requête, c’est-à-dire sans avoir entendu la partie défenderesse.

J’ai pris conscience, à l’occasion de discussions qui ont eu lieu entre l’examen du texte par la commission et la séance de ce jour, que l’avis conforme du procureur serait un blocage par rapport à une procédure civile. Deux solutions s’offrent alors : conserver la mention de l’avis du procureur, mais sans le rendre conforme, comme pour toute ordonnance de protection, ou bien, selon ce que préconise Thani Mohamed Soilihi dans un amendement dont nous débattrons, ne pas permettre à la victime ni à son avocat de demander la procédure d’urgence et ne laisser la main qu’aux procureurs, qui disent ne pas le souhaiter – nous aurons tout à l’heure à trancher ce débat.

Par ailleurs, le texte initial prévoyait que le juge pourrait ordonner quatre des onze mesures qui peuvent être édictées dans le cadre d’une ordonnance de protection : interdire à la partie défenderesse de recevoir ou de rencontrer certaines personnes spécialement désignées par le juge, ainsi que d’entrer en relation avec elles ; interdire à la partie défenderesse de se rendre dans certains lieux spécialement désignés par lui ; interdire à la partie défenderesse de détenir ou de porter une arme ; ordonner à la partie défenderesse de remettre au service de police ou de gendarmerie les armes dont elle est détentrice.

S’il est justifié, compte tenu de l’extrême urgence et du caractère non contradictoire de l’ordonnance provisoire de protection immédiate, de limiter le nombre de mesures pouvant être prises par le juge aux affaires familiales, il est apparu opportun à la commission d’ajouter à ce panel la possibilité pour le juge de suspendre provisoirement, pour la durée de l’ordonnance provisoire de protection immédiate, le droit de visite et d’hébergement de l’auteur présumé des violences, ainsi que d’autoriser la victime présumée à dissimuler son adresse à l’auteur des violences.

Ces mesures seraient valables jusqu’à la décision du juge aux affaires familiales sur la demande d’ordonnance de protection, soit pendant une durée d’environ six jours.

Enfin, au-delà de ces deux mesures principales et outre des modifications rédactionnelles ou mineures, la commission a complété le texte par trois autres mesures protectrices des victimes.

En premier lieu, nous avons modifié le code électoral afin de garantir l’effectivité de la dissimulation de l’adresse de la victime lorsque celle-ci est prononcée par le juge aux affaires familiales.

En deuxième lieu, nous avons aligné les peines encourues pour non-respect d’une ordonnance de protection et non-respect d’une ordonnance provisoire de protection immédiate sur une peine unique de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende, ce qui permettra au juge d’imposer à la personne ayant violé la mesure le port d’un bracelet antirapprochement.

En troisième lieu, nous avons étendu aux ordonnances provisoires de protection immédiate la possibilité offerte au procureur de la République d’attribuer à la victime un téléphone grave danger.

Cela étant, des freins persistent encore, mais les solutions ne sont pas évidentes tant l’enjeu de la conciliation des droits de la défense et de la protection des victimes de violences nous place parfois sur une ligne de crête constitutionnelle. C’est pourquoi nous avons volontairement réservé le nécessaire débat sur les conditions d’octroi des ordonnances de protection et sur la définition du danger pour la séance publique.

Je me réjouis que de nombreux amendements sur le sujet aient été déposés et que nous puissions en discuter. Malheureusement, nous ne pourrons pas obtenir d’engagement ni de réponse de la part du ministre de la justice ; nous aurons toutefois jusqu’à la commission mixte paritaire pour trouver des solutions qui puissent nous convenir à tous.

Pour conclure et nonobstant ces futurs échanges, il me revient de vous indiquer, mes chers collègues, que la commission des lois s’est naturellement prononcée en faveur de ce texte, qu’elle vous invite à adopter.

Les ordonnances de protection constituent en effet un dispositif équilibré, qui concilie le volontarisme dans la lutte contre les violences intrafamiliales avec le souci de l’efficacité et de la préservation des principes fondamentaux qui garantissent les libertés de chacun.

Ce dispositif peut néanmoins encore être perfectionné, afin qu’il remplisse au mieux son office, à savoir la protection des victimes. Et je suis convaincue que cette sixième réforme des ordonnances de protection marquera un pas important dans l’atteinte de cet objectif. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)