Mme la présidente. La parole est à Mme Olivia Richard. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Elsa Schalck et M. Mathieu Darnaud applaudissent également.)

Mme Olivia Richard. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi de rendre un hommage appuyé à la rapporteure et présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes pour son engagement dans la lutte contre les violences faites aux femmes, perpétrées notamment dans le cadre familial.

Madame Vérien, chère Dominique, le rapport Plan rouge VIF. Améliorer le traitement judiciaire des violences intrafamiliales que vous avez rendu il y a un an avec notre collègue députée Émilie Chandler est une démonstration de cet engagement. Les cinquante-neuf recommandations de la mission englobent les différents angles d’action qui sont indispensables pour informer, former, sensibiliser, pour appréhender et prévenir les violences intrafamiliales et pour accompagner les victimes.

En effet, il convient d’envisager ces violences sous tous les angles et d’impliquer tous les acteurs concernés. Sans réponse claire de l’ensemble de la société, la perpétuation des comportements violents ne pourra être endiguée.

Mes chers collègues, j’invite vivement celles et ceux d’entre vous qui ne l’ont pas encore fait à lire le rapport Plan rouge VIF, qui est riche en enseignements. La proposition de loi dont nous débattons en est issue ; elle a été adoptée à l’unanimité par nos collègues députés. Elle comporte plusieurs avancées importantes tenant compte des évolutions sociétales de la famille. Ainsi, le statut marital de la victime ou l’absence d’enfants au sein du couple ne seront plus un frein à la protection des victimes de violences intrafamiliales.

En outre, ce texte étend la protection accordée en urgence à la victime à un an – c’est heureux. Il est également heureux d’instituer une ordonnance provisoire de protection immédiate, suivant les préconisations du rapport.

Nous savons bien que dans les cas où le danger est le plus grave l’on ne saurait attendre six jours ; Dominique Vérien a rappelé le nombre effrayant de femmes qui sont tombées sous les coups de leur conjoint.

Différents points de cette proposition de loi ont été et sont encore l’objet de débats nourris.

Notre commission des lois a adopté un amendement visant à ce que la demande d’une ordonnance provisoire de protection immédiate puisse être faite par la victime elle-même, la décision restant soumise à l’avis conforme du procureur de la République.

Il me paraît en effet inimaginable qu’une personne – généralement une femme – ne puisse pas être actrice de sa propre protection en cas de danger grave et immédiat : il est nécessaire de conférer un rôle actif aux victimes.

On nous répondra qu’il y a un risque d’instrumentalisation, que recueillir l’avis du procureur sur la requête d’une partie ajoute une étape et rallonge les délais, ou encore que conditionner l’accès au juge civil à l’appréciation du parquet comporte un risque constitutionnel. Tout cela ne devrait pas conduire à évincer les victimes du processus.

Leur consentement ab initio, tel que proposé par le Gouvernement, ne me semble pas suffisant. Un équilibre doit être trouvé entre le respect de l’office du juge aux affaires familiales et la possibilité pour les victimes de violences graves de demander une protection en urgence. Voilà qui relève du bon sens, et nous aurons ce débat.

En ce qui concerne l’appréciation de la notion de danger, nous avons débattu des conditions – cumulatives – qu’impose le droit en vigueur. La personne bénéficiaire d’une ordonnance de protection doit avoir été victime de violences vraisemblables et encourir un danger grave et actuel.

Cette condition cumulative est essentielle pour permettre au juge civil de prendre une mesure non pas pénale – elle ne constitue pas une sanction –, mais civile, de prévention d’un risque futur. Il n’en demeure pas moins que la charge de la preuve de violences passées vraisemblables et d’un danger actuel incombe à la personne qui bénéficierait de l’ordonnance de protection.

Le faible taux d’acceptation des demandes, particulièrement notable dans certains départements, impose une réflexion. Trop de magistrats considèrent encore que le danger cesse avec la communauté de vie, ce qui est illusoire et contraire à la loi. L’article 515-9 du code civil prévoit en effet que l’absence de cohabitation ne signifie pas l’absence de danger. Quitter le domicile ne devrait donc pas faire obstacle à la délivrance par le juge d’une ordonnance de protection.

Je partage ainsi pleinement le diagnostic de Dominique Vérien sur la nécessité de faciliter le recours à l’ordonnance de protection et d’en raffermir le dispositif ; à cet égard, je salue les apports à ce débat d’Elsa Schalck, dont je partage les positions, ainsi que l’engagement de Laurence Harribey. Dans une démarche transpartisane, nous vous proposerons un amendement en ce sens.

Mes chers collègues, permettez-moi de profiter de la discussion de ce texte pour aborder la question des victimes de violences intrafamiliales à l’étranger. Si l’on n’en connaît pas le nombre exact, on peut estimer à plus de 1 million le nombre de femmes françaises à l’étranger – peut-être 1,5 million, peut-être 2 millions… À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, le ministre de l’Europe et des affaires étrangères s’est félicité d’avoir secouru 120 de ces femmes en 2023. Vous avez bien entendu : 120…

À la lecture du rapport Plan rouge VIF, j’ai pu constater qu’un nombre important de dispositifs existent en matière de détection et de signalement des violences. L’isolement des victimes est un fléau et toute initiative pour les en sortir doit être encouragée. Des numéros d’appel et des plateformes ont été mis à disposition en France et la possibilité prochaine de porter plainte en ligne me semble salvatrice.

Toutefois, rien de tout cela n’est accessible pour les victimes de violences à l’étranger : c’est comme si elles n’existaient pas. Les numéros courts tels que le 3919 ne sont pas joignables depuis l’étranger ; il suffirait pourtant de proposer un numéro accessible hors de France.

De même, avant toute démarche pour signaler ou demander de l’aide, la plateforme nationale Arrêtons les violences exige d’indiquer un code postal français ou une ville en France ; il suffirait d’ajouter une option « hors de France ».

Les vidéos de sensibilisation que j’ai pu consulter sur les sites du Gouvernement – elles sont plus d’une vingtaine – visent à toucher tous les milieux, par exemple les femmes en outre-mer, mais on n’y trouve rien pour les Françaises à l’étranger. Pourtant, la délégation aux droits des femmes du Sénat s’inquiétait de leur sort dès 2020, dans son rapport sur les effets du confinement.

Chacun sait que les violences intrafamiliales ne connaissent pas de frontières, bien au contraire. Violences économiques, violences administratives, barrière de la langue ou de la culture… : à l’étranger, l’isolement s’accroît avec la distance.

Oui, il est plus ardu d’identifier les victimes ; oui, il est plus compliqué de les aider en raison des conflits de lois ; oui, lorsqu’une femme rentre en France pour se mettre à l’abri, le déplacement de ses enfants peut être illicite. Il faut néanmoins les aider – et, disant cela, je m’adresse à M. le garde des sceaux.

Les initiatives d’associations telles que France Victimes, qui propose un numéro de téléphone accessible depuis l’étranger, The Sorority Foundation, qui a lancé la plateforme Save You, ou Mots et Maux de femmes méritent d’être relayées par les systèmes nationaux existants, de même que des initiatives de partenariat institutionnel comme celle de l’avocate Chloé Vialard à Singapour.

Il convient de considérer toutes les victimes, qu’elles soient en France ou à l’étranger. À cette fin, l’information doit être nettement améliorée, ce qui passe par l’intégration des initiatives que j’ai citées dans les programmes développés en France.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe Union Centriste votera pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Elsa Schalck et M. Michel Masset applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Mélanie Vogel.

Mme Mélanie Vogel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en 2017, le mouvement #MeToo mettait la question des violences fondées sur le genre au cœur du débat public. Depuis, on nous a dit que ce sujet était érigé en grande cause du quinquennat, que la parole des femmes s’était enfin libérée, alors que celles-ci avaient toujours parlé, que dorénavant nos revendications étaient écoutées et que l’État nous protégeait.

En réalité, nous sommes toujours très loin d’une telle écoute et d’une telle protection. Tous les jours, en France, des femmes, des filles et des enfants subissent des violences fondées sur le genre, dont seule une partie minime entre dans les statistiques. Le ministère de l’intérieur lui-même estime que 6 % seulement des victimes de violences sexuelles physiques, comme le viol, portent plainte.

En réalité, la lutte contre les violences sexuelles est très loin d’être gagnée. La protection des victimes de violences de genre doit donc être largement accrue et le renforcement des ordonnances de protection que prévoit cette proposition de loi apporte une brique très attendue à l’édifice.

Grâce au travail d’Émilie Chandler, qui en est l’auteure, et de Dominique Vérien, qui en est la rapporteure au Sénat, cette proposition de loi prévoit de doubler la durée de l’ordonnance de protection et, surtout, de créer une ordonnance provisoire de protection immédiate ayant vocation à protéger les victimes pendant l’examen de la demande d’ordonnance proprement dite.

Je tiens à rappeler l’importance de cette protection immédiate.

Si les Espagnols ont mis en place un système similaire, permettant d’éloigner immédiatement le conjoint violent, c’est qu’ils savent que, statistiquement, c’est dans les quarante-huit heures après la dénonciation que le féminicide survient. Aussi l’éloignement immédiat sauve-t-il des vies.

Le combat de Dominique Vérien contre les violences sexuelles est exemplaire depuis très longtemps ; nous devons à son engagement constant d’avoir pu compléter ce texte, et je tenais à l’en remercier. Je salue notamment l’adoption en commission de l’amendement qui tend à permettre aux victimes de saisir elles-mêmes la justice pour obtenir une ordonnance provisoire de protection immédiate.

Par ailleurs, ce texte permettra de suspendre le droit de visite et d’hébergement du parent violent, alors qu’en France 400 000 enfants vivent dans un foyer où sont commises des violences conjugales.

À l’évidence, ce texte constitue une grande avancée. Demeure toutefois un angle mort, aucune mesure n’étant prévue pour faciliter l’octroi des ordonnances de protection elles-mêmes.

En effet, les ordonnances de protection ne sont octroyées qu’à la double condition que la personne ait vraisemblablement été victime de violences et qu’elle soit exposée à un danger. Cette double condition a pour effet d’allonger le temps d’examen des demandes, alors que, nous le savons, chaque heure qui passe expose les victimes à un danger. Quand on a vraisemblablement été victime de violences, on est par définition en danger. C’est pourquoi le seul fait d’avoir été victime de violences devrait suffire pour pouvoir demander une ordonnance de protection.

Une révision des critères de recevabilité est donc urgente, même si, pour de nombreuses victimes, elle arriverait trop tard.

Elle arriverait trop tard pour Hadjira, de Franconville, qui avait demandé une ordonnance de protection contre son conjoint violent. Le 2 mai 2023, le juge avait refusé sa demande de protection, considérant qu’aucun élément ne prouvait l’existence d’un danger réel. Le 21 juillet, son conjoint la poignardait à mort dans son appartement en présence de ses deux enfants âgés respectivement de 2 ans et 4 ans.

Elle arriverait également trop tard pour Sandra, de Bordeaux, qui avait demandé une ordonnance de protection contre son ex-conjoint violent. Après d’innombrables appels à la police alors que ce dernier campait devant chez elle et devant l’école maternelle de leur fille, elle avait écrit une lettre au Président de la République et au procureur de la République dans laquelle figuraient ces mots : « Il est certain que je ne tiendrai pas longtemps dans ces conditions, et je crains le pire des dénouements sans votre intervention. » Sandra a été tuée par son ex-conjoint le 2 juillet 2021.

Chaque femme qui a vraisemblablement été victime de violences est en danger. C’est pourquoi plusieurs d’entre nous avons déposé des amendements pour réviser les critères de recevabilité des demandes d’ordonnance.

J’espère qu’ils seront adoptés, d’autant que ces conditions de recevabilité restrictives sont l’une des raisons du faible recours aux ordonnances de protection. En 2022, 3 621 ordonnances de protection ont été délivrées en France, soit un dixième des 30 000 ordonnances délivrées la même année en Espagne.

Cela s’explique aisément : alors que l’Espagne s’est dotée de juridictions spécialisées et compétentes en matière de protection comme de sanctions, il faut en France multiplier les démarches au pénal et au civil. En effet, nous attendons toujours que l’État consacre 1 % du PIB à la lutte contre les violences faites aux femmes. De même, il continue de nous manquer, en la matière, une loi globale, cette loi que demandent 147 femmes dans une tribune publiée aujourd’hui dans le journal Le Monde – je m’associe à leur appel.

En attendant cette grande loi, et sans réserve, les écologistes voteront évidemment pour ce texte.

Mme la présidente. La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo.

Mme Evelyne Corbière Naminzo. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le rapport annuel 2023 du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) sur l’état des lieux du sexisme en France démontre que les violences sexistes et sexuelles ne reculent pas.

En effet, 244 000 victimes de violences commises par leur conjoint ou ex-conjoint ont été enregistrées par les services de sécurité en 2022, et 86 % de ces victimes étaient des femmes.

Dans mon département de La Réunion, en 2023, 66,5 % des violences intrafamiliales concernaient des violences conjugales, et 85 % des victimes étaient des femmes. En moyenne, chaque jour, douze femmes y dénoncent des faits de violences conjugales.

La situation est particulièrement préoccupante. On constate une hausse de 17 % des violences intrafamiliales, les forces de l’ordre intervenant en moyenne dix-sept fois par jour pour des faits de violences intrafamiliales.

Pourtant, sur l’ensemble du territoire national, une victime sur quatre seulement porte plainte ; il est donc urgent d’agir.

Le dispositif de l’ordonnance de protection, qui a été mis en place en 2010, puis amélioré par cinq réformes, permet au juge aux affaires familiales de statuer sur une situation de danger et de prendre des mesures à l’encontre du conjoint violent, bien que ce dernier soit présumé innocent, la priorité étant de protéger les victimes de violences.

Ainsi, le juge peut, sous six jours après la saisine, interdire au conjoint violent d’entrer en contact avec la victime, de se rendre dans certains lieux et de porter une arme. Il peut aussi statuer sur la résidence séparée et sur l’autorité parentale.

Si le dispositif est de plus en plus utilisé et permet de lutter activement contre les violences conjugales, il reste perfectible – c’est là toute la raison d’être de cette proposition de loi.

Tout d’abord, nous devons nous prononcer sur l’allongement de six à douze mois de la durée de l’ordonnance de protection. Nous ne pouvons être que favorables à l’extension de ce délai, d’autant que, dans la plupart des cas, l’accusé n’a toujours pas été jugé au bout de ces six mois. Or notre priorité est bien de protéger la victime, dans l’attente d’une décision pénale définitive.

Ensuite, cette proposition de loi a vocation à introduire un mécanisme d’ordonnance provisoire de protection immédiate. Alors qu’au moins 103 féminicides ont été commis par un conjoint ou un ex-conjoint en France en 2023, il est évident que chaque jour compte ; aussi le délai de six jours qui sépare la demande d’ordonnance de protection de la décision du juge peut-il avoir des conséquences dramatiques.

En instaurant un mécanisme d’ordonnance provisoire permettant de prendre des mesures de protection de la victime sous vingt-quatre heures, les auteurs de ce texte se donnent donc l’ambition de sauver des vies.

Toutefois, nous regrettons que cette ordonnance provisoire de protection ne soit pas prise par le procureur de la République lui-même. Nous avons donc déposé un amendement en ce sens, sur le modèle des ordonnances de placement provisoire visant à protéger les enfants en danger. En effet, à l’inverse du parquet, les services du juge aux affaires familiales ne disposent pas d’une permanence, et ce texte n’en prévoit pas la mise en place. Afin que la protection soit la plus efficiente possible, nous souhaitons que la présente proposition de loi soit cohérente avec la réalité des moyens dont dispose la justice.

Par ailleurs, pour lutter plus efficacement encore contre les violences conjugales, nous invitons M. le garde des sceaux à mettre en avant ces dispositifs auprès des magistrats du siège et du parquet : il s’agit d’en développer l’usage et d’unifier les pratiques sur tout le territoire.

En 2022, le ministère public n’était à l’origine que de 2 % des demandes d’ordonnance de protection ; le besoin de formation est donc criant.

Nous voterons naturellement en faveur de ce texte, qui s’inscrit dans l’objectif primordial de protection des victimes de violences conjugales.

Toutefois, s’il est crucial de protéger les femmes subissant des violences conjugales, le rôle de votre majorité, madame la ministre, est bien de lutter à la racine contre le sexisme, car ce phénomène, qui est en augmentation dans la société française, est la cause de telles violences immondes. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mme Laurence Rossignol applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Masset. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Michel Masset. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, bien que chacun rêve d’un monde où l’ordonnance de protection serait tombée en désuétude, le constat reste, hélas ! dramatique : en 2023, près de 110 féminicides perpétrés par un conjoint ou un ex-conjoint ont été recensés et, plus largement, des centaines de milliers de faits de violences conjugales et intrafamiliales sont commis chaque année. L’ordonnance de protection demeure donc un dispositif absolument nécessaire.

Dans un contexte de libération de la parole et d’amélioration des conditions de l’accueil des victimes par les services de police et de gendarmerie, le nombre de victimes enregistrées augmente constamment et significativement, ce qui met à l’épreuve notre dispositif législatif, lequel doit être régulièrement réformé en fonction des remontées du terrain.

Telle est la raison qui nous conduit à examiner ce nouveau texte modifiant le dispositif de l’ordonnance de protection.

Dans le rapport Plan rouge VIF. Améliorer le traitement judiciaire des violences intrafamiliales, qu’elles ont rendu en 2023, nos collègues Émilie Chandler, députée, et Dominique Vérien, rapporteure du présent texte au Sénat, notent que le nombre de demandes d’ordonnance de protection ayant été prononcées pour lutter en urgence contre des violences conjugales a été multiplié par 3,6 entre 2011 et 2021.

Si l’on ne peut que regretter qu’il soit nécessaire d’y recourir, tant mieux si ce dispositif fonctionne, car il permet aux juges aux affaires familiales d’assurer dans l’urgence la protection des victimes de violences intrafamiliales. Le rapport que je viens de citer montre néanmoins que l’usage de l’ordonnance de protection demeure quelque peu bridé. Des exemples européens, notamment le modèle espagnol, auquel il a été fait référence, témoignent de ce que le modèle français peut et doit encore être amélioré.

Voilà quel est l’objet de cette proposition de loi, dont il faut saluer tant les auteurs que ceux qui ont participé à son amélioration, à commencer, bien entendu, par notre rapporteure.

L’article 1er du texte contient deux apports majeurs.

D’une part, il double la durée maximale des mesures prises dans le cadre d’une ordonnance de protection, qui passerait de six à douze mois. C’est une bonne chose, car le délai de six mois était vraiment trop court.

D’autre part, il crée une ordonnance provisoire de protection immédiate permettant à une victime présumée de violences conjugales de saisir le juge aux affaires familiales, lequel devra se prononcer dans un délai de vingt-quatre heures, afin de bénéficier de mesures d’urgence dans l’attente de la décision statuant sur l’ordonnance de protection. Il s’agit d’un dispositif cohérent, qui permettra à la justice de mieux répondre à la détresse des victimes.

Par ailleurs, je tiens à souligner les apports de notre commission, en particulier l’article 2 bis, qui ouvre au procureur de la République la possibilité d’octroyer un téléphone grave danger dans le cadre des ordonnances de protection. Cette nouvelle mesure concrète va évidemment dans le bon sens.

Les avancées ainsi proposées représentent une étape supplémentaire dans un parcours qui est malheureusement loin d’être achevé, qu’il s’agisse de la lutte pour l’égalité entre les hommes et les femmes, de la lutte contre les violences intrafamiliales ou de la protection des enfants.

Dans un rapport rendu en septembre 2023, la Cour des comptes souligne plusieurs lacunes de l’action publique en ce domaine, qui ont trait notamment à son pilotage global. Si l’égalité entre les femmes et les hommes a pu être érigée en grande cause nationale, nous manquons encore de visibilité sur les actions de long terme qui sont entreprises pour endiguer les inégalités de genre et leurs dramatiques expressions violentes.

Bien entendu, nous saluons ce qui est fait, à l’image de cette proposition de loi. Mais d’autres mesures peuvent être engagées afin d’inscrire cette politique dans la durée et de faire évoluer les mentalités. Les jeunes générations doivent être sensibilisées le plus tôt possible, au travers d’un volet éducatif qui assurerait en la matière une véritable mutation.

De même, il est nécessaire de poursuivre nos efforts en matière de protection des enfants qui subissent ces violences conjugales, soit en tant que victimes directes soit en tant que témoins traumatisés de tels actes. Pour eux aussi, nous devons engager des politiques d’envergure et y adosser des moyens humains et financiers suffisants.

Nous avons donc encore à faire. Toutefois, cette remarque n’enlève rien à la grande qualité de ce texte, que notre groupe votera unanimement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la rapporteure, je salue la qualité de votre travail et la force de votre engagement sur le sujet qui nous réunit.

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, créées par la loi du 9 juillet 2010, les ordonnances de protection permettent au juge aux affaires familiales de prononcer des mesures temporaires, en droit pénal et en droit civil, pour assurer la sécurité d’une personne victime de violences conjugales. Le recours à cet instrument et le taux d’acceptation des demandes n’ont cessé d’augmenter entre 2011 et 2021.

Son intérêt et son efficacité dans la lutte contre les violences intrafamiliales ne faisant guère de doutes, ce dispositif a été perfectionné plusieurs fois, en 2014, en 2019, en 2020 et en 2022.

Malgré tout, le taux de recours à cette mesure reste à ce jour beaucoup plus faible dans notre pays qu’en Espagne, pays précurseur en la matière, si l’on se réfère au nombre de femmes victimes de violences conjugales. En effet, 6 435 demandes d’ordonnance de protection auraient été déposées en France en 2023, alors que 321 000 femmes – ce sont elles qui sont majoritairement concernées – s’étaient la même année déclarées victimes de violences conjugales.

Sont notamment en cause les délais de délivrance : particulièrement longs – six jours en moyenne –, ils se révèlent dissuasifs dans un domaine où l’urgence est impérative.

Ce texte, qui, vous l’avez rappelé, madame la rapporteure, constituerait la sixième réforme du dispositif en quatorze ans, a pour objet de rendre plus opérante l’ordonnance de protection et ainsi de permettre aux victimes d’y avoir davantage recours.

Tout d’abord, il porte de six à douze mois la durée initiale des mesures prononcées au titre de l’ordonnance de protection, cette durée n’étant actuellement renouvelable qu’en cas de changement de situation familiale tel qu’un divorce ou une demande relative à l’exercice de l’autorité parentale. Cette mesure laissera au bénéficiaire le temps de s’organiser et remédiera aux situations difficiles dans lesquelles un couple ne peut pas bénéficier de la prolongation automatique des effets de l’ordonnance parce qu’il n’est pas marié ou n’a pas d’enfant commun.

Ensuite, il permet au juge aux affaires familiales de délivrer, sur demande du procureur de la République, une ordonnance provisoire de protection immédiate dans un délai de vingt-quatre heures, dans l’attente de la décision au fond concernant une ordonnance de protection. Les apports de la commission tendant à ouvrir la saisine du JAF à la personne en danger, à étendre la liste des mesures pouvant être prononcées dans ce cadre et à alourdir les sanctions encourues nous paraissent aller dans le bon sens.

Je salue la mention expresse de l’applicabilité de ce texte en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna. Madame la ministre, si vous disposez de ces informations, il m’intéresserait de savoir combien d’ordonnances de protection sont demandées et accordées chaque année en outre-mer, où l’on sait que, comparées à la moyenne nationale, les violences intrafamiliales sont plus fréquentes et plus graves.

Cette proposition de loi s’inscrit dans un contexte général tendant à faire de la lutte contre les violences intrafamiliales une priorité ; nous ne pouvons qu’y souscrire.

Toutefois, en tant que praticien, il me semble qu’il faudra veiller à ce que l’application de ce texte concilie plusieurs éléments : l’impératif de protection des victimes – je rappelle que la procédure civile fait peser la charge de la preuve sur le demandeur, qui devra recueillir les éléments justifiant le prononcé d’une ordonnance de protection –, le respect des droits fondamentaux, la réalité pratique des juridictions.

Nous savons que, dans la pratique, un avis motivé du ministère public, qui a accès aux antécédents judiciaires, aux mains courantes et aux éventuels classements sans suite, peut s’avérer décisif pour emporter la conviction du juge…

Vous l’aurez compris, le groupe RDPI votera en faveur de cette proposition de loi, de préférence enrichie des deux amendements que nous avons déposés. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Harribey. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Laurence Harribey. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le nombre de demandes d’ordonnance de protection est passé de 1 600 en 2011 à 6 000 en 2021. Entre 2019 et 2021, 66 % des demandes ont été acceptées. Au 17 avril, 35 féminicides avaient déjà été commis en 2024.

Cette proposition de loi, qui fait suite au rapport Plan rouge VIF remis en mai 2023 par Émilie Chandler et Dominique Vérien, est donc nécessaire. Elle constitue un pas de plus vers la protection des victimes.

Le cœur du texte se trouve à l’article 1er, qui allonge de six à douze mois la durée des mesures prises dans le cadre de l’ordonnance de protection, ou OP, et crée le dispositif de l’ordonnance provisoire de protection immédiate.

Notre groupe a toujours défendu une telle évolution. Ainsi avons-nous depuis des années présenté des amendements visant à allonger la durée de l’OP. Je veux évoquer les amendements déposés par nos collègues Michelle Meunier et Laurence Rossignol lors de l’examen du projet de loi dit Taquet, devenu la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, ainsi que le texte déposé à l’Assemblée nationale en décembre 2022 par notre collègue députée Cécile Untermaier, qui prévoyait précisément ce passage de six à douze mois. J’ai moi-même repris ce dispositif dans un amendement défendu lors de l’examen de la proposition de loi de notre collègue députée Isabelle Santiago visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de VIF. Malheureusement, nos propositions en ce sens ont toutes été rejetées.

L’OPPI est un dispositif d’urgence, qui, vu les chiffres, est indispensable.

Nous saluons d’ailleurs le travail effectué en commission par Mme le rapporteur, qui a notamment assoupli le dispositif en prévoyant l’ouverture de la saisine du JAF à toutes les personnes ayant demandé l’octroi d’une OP avec avis conforme du parquet. De fait, les auditions ont clairement montré que le dispositif initial semblait complexe et trop restreint, ce qui lui faisait perdre en efficacité.

Le travail mené en commission des lois est allé dans le bon sens, et je vous en remercie, madame le rapporteur.

Nous avons voté la suspension provisoire, pour la durée de l’OPPI, du droit de visite et d’hébergement de l’auteur présumé de violences, ainsi qu’un amendement tendant à ce que l’adresse du bénéficiaire de l’OP soit masquée lorsque la demande de communication de la liste électorale provient de l’auteur de violences.

Cependant, nous défendrons quelques amendements pour améliorer encore le texte.

Un amendement, déjà déposé par notre groupe lors de l’examen du projet de loi Taquet, vise à inciter davantage le JAF à confier l’autorité parentale, pendant la durée de l’OP, à la victime de violences. Si le code civil dispose déjà que le juge se prononce sur la suspension de l’autorité parentale, notre dispositif va plus loin, puisqu’il prévoit, en une forme de renversement de la charge de la preuve, que la décision de ne pas suspendre l’autorité parentale de l’auteur de violences doit être spécialement motivée.

Un deuxième amendement, qui avait antérieurement été déposé par notre groupe à plusieurs reprises, a pour objet de dissimuler l’adresse de l’école des enfants au parent auteur de violences, dans la continuité de ce que vous avez proposé, madame le rapporteur. En effet, des cas existent où le parent violent retrouve la victime via le lieu de scolarisation des enfants.

Un troisième amendement tend à revenir sur la notion de danger, ainsi que plusieurs d’entre nous en ont souligné la nécessité.

Actuellement, l’article 515-11 du code civil conditionne la délivrance de l’OP à l’existence de faits de violence allégués et à l’existence d’un danger. Le caractère cumulatif de ces deux éléments est interprété de manière stricte, notamment dans l’arrêt du 13 février 2020 de la Cour de cassation, qui semble faire date ; inutile de souligner que cela alourdit singulièrement la charge de la preuve pour les victimes, faisant perdre de son efficacité au dispositif de l’OP.

Nous vous proposons une solution de compromis, défendue par notre groupe de longue date : sans supprimer complètement la notion de danger – ainsi évitons-nous le prétendu « problème de constitutionnalité » qui nous est sans cesse opposé –, nous proposons de rendre les deux critères alternatifs plutôt que cumulatifs.

Notre rédaction est claire et lisible pour les professionnels du droit. Il s’agit simplement de remplacer « et » par « ou » à l’article 515-11 du code civil.

Quelle que soit l’issue de nos discussions, nous voterons évidemment ce texte nécessaire, qui va vers une meilleure protection des victimes de violences conjugales. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)