M. le président. La parole est à Mme Corinne Bourcier, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.

Mme Corinne Bourcier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer le député Frédéric Valletoux, à l’origine de cette proposition de loi. Il a su proposer un texte ambitieux sur l’accès aux soins pour nos concitoyens, qui a été considérablement enrichi lors des débats.

Je remercie aussi Mme la rapporteure Corinne Imbert de son travail.

Je me réjouis qu’un accord sur un texte commun ait pu être trouvé en CMP sur un sujet aussi important. Lorsqu’ils sont dans l’intérêt des Français, le débat et les compromis entre nos deux assemblées font honneur à notre fonction de parlementaires.

Alors que 6 millions de Français n’ont pas de médecin traitant et que 87 % du territoire sont considérés comme sous-dense, la France est un grand désert médical.

Tous les leviers possibles doivent donc être mobilisés pour renforcer l’accès aux soins, motiver les professionnels et encourager les vocations.

Ce texte ne suffira évidemment pas, à lui seul, à révolutionner l’accès aux soins. Il n’apportera pas non plus toutes les solutions aux difficultés rencontrées par nos concitoyens. Aucun texte, d’ailleurs, ne le peut.

Une grande partie de la solution réside dans la formation des professionnels de santé, qui, pour une grande majorité d’entre eux, demande quelques années.

Ne pouvant pas, bien entendu, exiger des Français qu’ils s’arment de patience, nous devons trouver des solutions de court terme. Ce texte y contribue, en proposant plusieurs mesures pragmatiques. Il soutient l’engagement des professionnels dans leurs territoires, auquel nous croyons, et mise sur lui.

À l’article 1er, il renforce notamment le rôle des conseils territoriaux de santé et de leurs membres. Cela témoigne d’une meilleure prise en compte de l’échelon local : c’est là que peuvent être trouvées les solutions aux problèmes propres à chaque territoire.

En matière de permanence des soins, sujet primordial, le texte prévoit une meilleure répartition de la permanence entre les établissements de santé publics et les établissements de santé privés.

C’est une mesure de juste équilibre, quand on connaît les difficultés que rencontrent les hôpitaux, qui assurent aujourd’hui 82 % de la permanence des soins en établissements.

Dans sa grande majorité, notre groupe était favorable à l’adhésion automatique des professionnels aux CPTS, non pas que nous voulions exercer des contraintes plus fortes sur ces derniers – ils conservaient de toute façon un droit de retrait –, mais parce que nous sommes convaincus que les CPTS sont de véritables atouts, qu’il convient de développer davantage.

Elles permettent une meilleure coordination des professionnels de santé, bénéficiant aux patients, bien sûr, mais aussi aux professionnels eux-mêmes. Ces derniers, en effet, s’ils œuvrent au sein d’un même territoire, peuvent trouver dans les CPTS des ressources supplémentaires pour répondre à des problèmes communs. Il faut poursuivre la promotion de ce dispositif.

La lutte contre le nomadisme médical, par la limitation à une fois tous les dix ans des aides et exonérations fiscales liées à l’installation, est une mesure de bon sens.

L’expérimentation visant à encourager, dans les zones sous-denses, l’orientation des lycéens vers les études de santé et l’extension du contrat d’engagement à d’autres disciplines, dès le premier cycle d’études, sont également des mesures que nous soutenons.

L’article 7 propose un meilleur encadrement de l’intérim médical. Il s’agit non pas de l’interdire totalement, mais de le limiter, notamment en début de carrière.

De notre côté, nous aurions préféré que la version de la commission du Sénat soit conservée. Nous soutenons évidemment cette mesure, qui vise un recours raisonnable à l’intérim.

Je souligne néanmoins que l’intérim peut apporter aux jeunes diplômés, et plus largement à tout moment d’une carrière, un véritable enrichissement de l’expérience professionnelle, par la diversité des environnements de travail et des situations qu’il permet de découvrir.

Il correspond aussi aux aspirations des jeunes générations, qui recherchent plus de flexibilité dans leur travail. J’espère que le décret d’application en tiendra compte.

Enfin, le texte simplifie les procédures d’autorisation d’exercice des Padhue. Cette mesure contribuera assurément au renforcement de l’accès aux soins, à l’heure où nous manquons encore cruellement de médecins.

Notre groupe soutient ce texte et votera évidemment pour cette proposition de loi. (Mme Véronique Guillotin et M. Martin Lévrier applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et RDPI. – M. le président de la commission des affaires sociales applaudit également.)

Mme Nadia Sollogoub. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans le contexte de pénurie médicale généralisée qui est au centre des préoccupations des Français, les propositions législatives se succèdent, l’une ne laissant parfois pas à la précédente le temps de porter ses fruits.

Ainsi la loi n’est-elle pas encore opérationnelle, le projet de loi de financement de la sécurité sociale est-il en pleine discussion et les négociations conventionnelles sont-elles encore en cours que déjà notre collègue député Frédéric Valletoux dépose une nouvelle proposition de loi !

Dès l’examen de ce texte en commission, le Sénat, restant sur une ligne constante, avait choisi la voie des mesures concertées avec les professionnels de santé et calibrées selon les besoins des territoires, de telle sorte qu’elles puissent être opérationnelles, et non contre-productives.

En effet, si les choses semblent simples sur le papier, car il suffit apparemment d’un coup de crayon ou d’un coup de gomme pour tout régler, dans la vraie vie, il en va pourtant autrement !

Ainsi, il est essentiel, dans un secteur en crise, de respecter les sensibilités de tous les professionnels. Nous avons tant besoin d’eux ! Personne n’a rien à gagner à susciter leur découragement, voire leur départ.

C’est dans cet esprit que, au terme du processus législatif, s’est déroulée la commission mixte paritaire, chacun visant l’efficacité, tout en gardant bien en tête que seul compte le résultat, et non les déclarations.

Évidemment, dans un contexte de pénurie médicale généralisée, il est difficile de faire bouger les curseurs.

Pourtant, nous avons trouvé un accord équilibré autour d’un ensemble de mesures, qui sont susceptibles, selon nous, d’apporter une bouffée d’oxygène dans ce contexte d’asphyxie.

Corinne Imbert et Frédéric Valletoux ont mené d’intenses travaux préparatoires, qui ont permis d’aboutir à une rédaction consensuelle. Celle-ci prévoit, en particulier, la création d’un statut d’infirmier référent, dont le rôle sera renforcé dans la coordination des parcours de soins et le suivi des patients.

La majorité des propositions du Sénat ont été retenues. Par exemple, afin de lutter contre une forme de nomadisme médical, l’octroi des aides à l’installation a été limité à une fois tous les dix ans.

De même, l’assurance maladie pourra désormais faire procéder à la fermeture immédiate de centres de santé en cas de manquements graves.

Par ailleurs, le diagnostic de la densité de l’offre de soins sera remis à jour tous les deux ans, afin que les élus et les acteurs décisionnaires du territoire puissent s’appuyer sur des données stables et actualisées.

Une rédaction de compromis a été trouvée, afin de renforcer le rôle des conseils territoriaux de santé (CTS), tout en veillant à ce que ce cadre ne bride pas les initiatives des acteurs de l’offre de soins.

De même, le principe d’une adhésion automatique des professionnels de santé aux CPTS a été finalement abandonné : le risque était d’entraîner la création de coquilles vides, à savoir des communautés qui n’auraient eu de médicales que le nom, sans apporter aucune plus-value ni pour les soignants ni pour les patients.

Si le rééquilibrage de la permanence des soins n’est pas un chantier réellement abouti, si certains certificats médicaux n’ont pas été supprimés, l’expérimentation de la délivrance de certificats de décès par les infirmiers sera quant à elle élargie.

Bref, mes chers collègues, entre élargissement des tâches et souhait de faire obstacle à la financiarisation de la santé, nous avons conservé des mesures ciblées dont nous espérons qu’elles porteront leurs fruits.

Bien sûr, ce texte ne sera pas le Grand Soir. Nous en sommes tous parfaitement conscients : c’est la formation qui constituera l’axe majeur de l’amélioration de l’accès aux soins.

Cependant, nous pouvons nous réjouir du respect des apports du Sénat, ainsi que de la recherche de compromis et de solutions réellement opérationnelles. Considérant que les attentes des professionnels de santé sont globalement respectées, la majorité des membres du groupe Union Centriste votera le texte élaboré par la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et RDPI.)

M. le président. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l’ensemble de la proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 106 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 322
Pour l’adoption 241
Contre 81

Le Sénat a adopté définitivement. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-deux heures vingt-cinq, est reprise à vingt-deux heures vingt-six.)

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels
 

9

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à prolonger en 2024 l'utilisation des titres-restaurant pour des achats de produits alimentaires non directement consommables
Discussion générale (suite)

Utilisation des titres-restaurant

Adoption définitive en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à prolonger en 2024 l'utilisation des titres-restaurant pour des achats de produits alimentaires non directement consommables
Avant l’article unique

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à prolonger en 2024 l’utilisation des titres-restaurant pour des achats de produits alimentaires non directement consommables (proposition n° 143, texte de la commission n° 173, rapport n° 172).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée. (M. Martin Lévrier applaudit.)

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de lartisanat et du tourisme. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, le titre-restaurant fait, me semble-t-il, l’unanimité.

J’ai eu l’occasion de le constater : tous les acteurs concernés – les salariés, les employeurs, les restaurateurs et les commerçants – le plébiscitent, et c’est bien la raison pour laquelle il faut le moderniser, le dépoussiérer. C’est la moindre des choses que l’on peut faire pour une invention qui date de 1967 !

Pour autant, le titre-restaurant a su s’adapter aux crises exceptionnelles que nous avons traversées. Je pense en particulier au confinement, qui a conduit à doubler le plafond quotidien d’utilisation du titre, de telle sorte que celui-ci a été porté de 19 euros à 38 euros ; il est ensuite revenu à 19 euros, puis il a été fixé à 25 euros, cette fois de manière pérenne.

Son usage a également évolué en raison de la forte inflation de ces derniers mois. En effet, durant l’été 2022, le Sénat a voté, sur l’initiative de votre collègue Frédérique Puissat, une mesure visant à assouplir exceptionnellement le cadre d’utilisation des titres-restaurant, afin d’autoriser l’achat de produits alimentaires non directement consommables dans la grande distribution.

Ce coup de pouce a incontestablement été bénéfique pour de nombreux salariés français, en particulier les plus précaires. Il a été utile aussi pour de nombreux Français qui ont préféré, grâce à cette souplesse, se cuisiner des plats chez eux pour les apporter le lendemain sur leur lieu de travail ou, tout simplement, pour déjeuner chez eux, en télétravail.

Cette mesure était limitée dans le temps, jusqu’au 31 décembre 2023, afin de répondre à une conjoncture particulière.

Or, dans la mesure où les prix des produits alimentaires demeurent élevés, même si l’inflation commence à refluer, il apparaît de bon sens de prolonger ce dispositif, et le Gouvernement répond favorablement à cette demande.

Lors des débats à l’Assemblée nationale, les députés se sont interrogés sur le caractère temporaire de ce report : pourquoi ne pas inscrire dans la loi cet usage une bonne fois pour toutes, de manière pérenne ?

Tout d’abord, parce que nous devons écouter les corps intermédiaires, qui, je le rappelle, financent avec l’État le titre-restaurant. Or ces derniers y sont opposés. Je pense en particulier aux représentants des partenaires sociaux qui siègent à la Commission nationale des titres-restaurant (CNTR) : le Medef, la CPME et l’U2P, du côté des employeurs, et la CFDT, la CGT, FO et la CFE-CGC, du côté des salariés.

Ensuite, parce qu’une telle évolution du titre-restaurant nécessite un travail et une concertation plus approfondis. C’est pourquoi cette question est débattue avec les parties prenantes, dans le cadre de la réforme structurelle du titre-restaurant que j’ai annoncée. Cette réforme, que nous mènerons en 2024, fera l’objet d’un projet de loi, dans le cadre duquel nous pourrons évoquer, entre autres, la réforme du périmètre d’usage de ce titre.

Comme je l’ai annoncé, l’épine dorsale de cette réforme sera la dématérialisation du titre-restaurant. Celle-ci aura un triple effet.

Tout d’abord, elle entraînera une baisse des frais de gestion : en effet, ceux-ci sont aujourd’hui élevés pour les restaurateurs, en raison notamment du renvoi postal des titres papier aux émetteurs. Par ailleurs, la dématérialisation donnera la possibilité à de nouveaux acteurs d’entrer plus facilement sur le marché. Si elle est totale, elle accélérera une évolution qui est attendue par nos restaurateurs.

Ensuite, elle permettra de sécuriser le système, en facilitant la lutte contre les fraudes dues à la circulation de faux titres.

Enfin, cette réforme sera aussi l’occasion de réfléchir à la question de l’usage solidaire du titre-restaurant – comment s’assurer qu’il puisse toujours financer une partie de l’aide aux plus démunis ? –, ainsi qu’à celle de son usage social, car n’oublions pas qu’il a été inventé pour permettre aux salariés de s’alimenter correctement.

En attendant cette réforme structurelle, mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi répond à une attente forte des Français à court terme, dont vous avez vraisemblablement, je n’en doute pas, saisi la nécessité. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat a toujours gardé un œil vigilant sur le pouvoir d’achat des Français. Celui-ci constitue leur préoccupation principale d’après une récente étude de l’institut CSA, qui révèle que l’alimentation représente le premier poste de dépenses des ménages et qu’il est en augmentation.

En effet, malgré le ralentissement de l’inflation, la hausse des prix alimentaires continue de grever le pouvoir d’achat.

Dans ce contexte, il nous est proposé de prolonger l’assouplissement des règles d’utilisation du titre-restaurant. Cette disposition a été introduite par le Sénat, à titre temporaire, à l’été 2022, dans le cadre des mesures d’urgence pour protéger le pouvoir d’achat face à l’inflation.

Si l’objet de la proposition de loi est simple, il importe de s’arrêter sur sa portée et sur ses implications.

Créé en 1967, le titre-restaurant est un titre spécial de paiement, cofinancé par l’employeur, à hauteur de 50 % à 60 % de sa valeur faciale, et par le salarié. Acquis par l’employeur auprès de sociétés émettrices, il est remis aux salariés, sous forme papier ou dématérialisé, et il doit servir à l’achat d’un repas pris pendant l’horaire de travail journalier du salarié.

Cette vocation de soutien au repas du travailleur justifie l’octroi d’avantages sociaux et fiscaux. Ainsi, la contribution de l’employeur à la valeur libératoire du titre-restaurant est exclue de l’assiette des cotisations et des contributions sociales. Ce complément de rémunération est exonéré d’impôt sur le revenu dans la limite d’un plafond revalorisé chaque année.

L’impact du titre-restaurant pour les finances publiques s’élevait ainsi, en 2021, à 1,8 milliard d’euros : 1,4 milliard d’euros pour la sécurité sociale et 400 millions d’euros pour l’État.

Au 31 décembre 2022, quelque 180 000 employeurs avaient recours au titre-restaurant et 5,2 millions de salariés, soit 19 % d’entre eux, en bénéficiaient. Il offre une sécurité sociale de rechange à la mise en place d’un restaurant d’entreprise ou à l’octroi d’une indemnité-repas dite prime de panier.

Il convient de préciser que la remise de titres-restaurant par l’employeur n’est pas obligatoire. Elle représente toutefois un levier d’attractivité et de fidélisation des salariés. Elle constitue aussi un objet de dialogue social, donnant lieu à des accords d’entreprise dans le cadre des négociations obligatoires sur la rémunération.

Le titre-restaurant est accepté par les restaurateurs, les hôteliers-restaurateurs, les détaillants en fruits et légumes et les commerces assimilés agréés par la Commission nationale des titres-restaurant, comme les commerces de bouche et les magasins de la grande distribution, soit au total 234 000 commerces, dont 65 % de restaurants.

Le repas acheté au moyen de titres-restaurant doit être composé de préparations alimentaires directement consommables, à réchauffer ou à décongeler, le cas échéant ; il peut également être composé de produits laitiers ou de fruits et légumes, directement consommables ou non.

La valeur faciale unitaire du titre peut atteindre au maximum 13,82 euros, lorsque le salarié y contribue à hauteur de 50 %.

Il est patent que le dispositif n’a pas pour vocation première de soutenir le pouvoir d’achat des salariés. Il a cependant été mobilisé à cette fin pour faire face à la forte inflation en 2021 et en 2022.

D’une part, le Gouvernement a rehaussé le plafond d’utilisation journalière de 19 euros à 25 euros à compter du 1er octobre 2022.

D’autre part, le plafond d’exonération de la participation de l’employeur a été relevé à 5,92 euros par la loi de finances rectificative du 16 août 2022, puis à 6,50 euros par la loi de finances du 30 décembre 2022 et à 6,91 euros par un décret du 31 mai 2023.

Lors de la discussion, au Sénat, de la loi du 16 août 2022 portant mesures d’urgence en faveur du pouvoir d’achat, notre collègue, Frédérique Puissat, rapporteur de la commission des affaires sociales, a proposé d’élargir le périmètre d’utilisation du titre-restaurant.

Cette loi a ainsi prévu un dispositif dérogatoire permettant d’utiliser, jusqu’au 31 décembre 2023, les titres-restaurant pour l’achat de tout produit alimentaire, qu’il soit directement consommable ou non : par exemple, de la farine, des pâtes, du riz ou de la viande non préparée. Ce régime est applicable auprès des commerces assimilés tels que les grandes et moyennes surfaces ou les épiceries.

Depuis la mise en œuvre de cette dérogation, la part des titres-restaurant utilisés dans les grandes et moyennes surfaces est passée, selon la CNTR, de 22,4 % à 28,9 %. Si elle reste prépondérante, la part des restaurants a baissé, de 46,5 % à 44,3 %, tout comme celle des commerces de bouche, qui est passée de 30,9 % à 26,2 %.

Toutefois, la corrélation entre cette évolution et le régime dérogatoire n’est pas évidente. En effet, d’autres paramètres peuvent aussi expliquer la tendance à l’augmentation de la part de marché des grandes et moyennes surfaces : ainsi en est-il du développement du télétravail ou de la préférence croissante pour la préparation de plats à domicile, comme c’est déjà le cas pour 62 % des salariés en Italie.

Au fond, l’évolution constatée dans l’utilisation des titres-restaurant serait antérieure à la mesure dérogatoire et pourrait remonter à la crise sanitaire.

De toute façon, selon la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), la composition du panier d’achat au moyen des titres-restaurant dans les grandes et moyennes surfaces n’a pas été bouleversée par le dispositif dérogatoire. La CNTR estime que 70 % à 75 % des achats restent des produits directement consommables.

Quinze mois après l’entrée en vigueur de cette mesure dérogatoire, on constate que l’inflation, qui avait justifié la mise en place de ce régime, est toujours d’actualité. Selon les données provisoires de l’Insee, les prix de l’alimentation auraient même augmenté de 7,6 % entre novembre 2022 et novembre 2023.

Le Gouvernement, qui n’avait pas anticipé la sortie du dispositif dérogatoire créé en 2022, a été interpellé par des associations familiales et des élus. C’est ce qui a obligé le ministre Bruno Le Maire à se prononcer, devant la commission des affaires économiques du Sénat, en faveur de sa prolongation pour une année supplémentaire.

C’est ainsi, madame la ministre, que nous nous retrouvons, aujourd’hui, contraints de légiférer sur un dispositif qui doit prendre effet dans deux semaines exactement…

La proposition de loi de Guillaume Kasbarian, déposée le 17 novembre et adoptée par l’Assemblée nationale le 23 novembre, vise donc à reporter au 31 décembre 2024 le terme de ce dispositif dérogatoire. Je tiens à rappeler qu’une proposition de loi sénatoriale qui avait été déposée deux jours plus tôt, le 15 novembre, par nos collègues Sophie Primas, Frédérique Puissat, Alexandra Borchio Fontimp, visait exactement le même objectif.

Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure. Je me dois d’indiquer également que cette prolongation suscite certaines réserves, non seulement des représentants des restaurateurs, mais aussi des partenaires sociaux, qui craignent un détournement du titre-restaurant.

Je veux leur dire que le message a été bien entendu et que le Sénat sera vigilant.

Je rappelle aussi que le dispositif n’est pas figé et qu’il a déjà connu des assouplissements. Par exemple, la loi du 3 décembre 2008 en faveur des revenus du travail a permis le don de titres-restaurant non utilisés à des associations d’aide alimentaire. Ce régime dérogatoire ne fait donc courir aucun risque immédiat au régime fiscal et social du titre-restaurant, ni a fortiori au dispositif lui-même.

En revanche, je considère qu’une évolution pérenne doit être envisagée avec prudence, même si elle pourrait se justifier au regard des changements dans le monde du travail et les habitudes de consommation évoquées précédemment. En effet, cela pourrait éloigner le dispositif de sa vocation initiale, à savoir financer le déjeuner du salarié, ce qui justifie la participation de l’employeur et un régime fiscal et social favorable.

Aussi, j’estime que la réflexion sur les règles d’utilisation du dispositif doit être abordée dans le cadre de la modernisation plus large à laquelle travaille le Gouvernement, en concertation avec la CNTR.

Cette modernisation inclut la généralisation de la dématérialisation des titres-restaurant et le renforcement de la régulation du dispositif.

Madame la ministre, en octobre dernier, l’Autorité de la concurrence préconisait une régulation adaptée du marché des titres-restaurant et le rééquilibrage du rapport de force entre les sociétés émettrices et les commerçants, notamment les restaurateurs. Quelle suite le Gouvernement entend-il donner à cet avis ?

Enfin, nous ne méconnaissons pas le risque de déstabilisation du secteur de la restauration, déjà fortement touché par la succession des crises, mais nous ne méconnaissons pas davantage la nécessité de trouver une solution pérenne pour le pouvoir d’achat des Français, la politique du chèque s’apparentant à un pansement sur une jambe de bois.

Dans l’immédiat et face à l’urgence, mes chers collègues, la commission vous invite à adopter sans modification cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP, RDSE et RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis la loi du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, les salariés peuvent utiliser leurs titres-restaurant pour l’achat de produits alimentaires, ainsi que, par dérogation, pour l’achat de produits alimentaires non directement consommables, dans les grandes et moyennes surfaces.

Le Gouvernement, qui n’a pas anticipé la fin de ce dispositif au 31 décembre 2023, a été contraint de faire déposer cette proposition de loi par sa majorité à l’Assemblée nationale.

Les titres-restaurant sont un acquis social pour les salariés, qui les utilisent pour eux-mêmes, leur famille, et même en geste de solidarité auprès des plus précaires.

Nous vivons une époque de forte inflation, les prix des produits alimentaires ayant progressé de 7,8 % en octobre, après une progression de 20 % entre 2021 et 2023. Dans ce contexte, le nombre de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté, alors qu’elles travaillent, ne cesse d’augmenter, et 16 % des Français déclarent avoir faim, contre 9 % voilà quelques années.

Aussi, la question au cœur des débats doit être non pas celle de la prolongation ou de la pérennisation de l’exception ouverte à l’usage des tickets-restaurant, mais celle de l’indexation des salaires sur l’inflation.

En effet, le pouvoir d’achat est la préoccupation principale de nos concitoyens. Pour remplir leur caddie, les salariés utilisent les bons de réduction et les points cumulés sur leurs cartes fidélité, mais aussi leurs titres-restaurant, pour tenter de faire baisser la facture. Dans les faits, ces derniers sont devenus un moyen détourné de faire face à la hausse des prix alimentaires.

On ne peut reprocher aux salariés de faire leurs courses du quotidien avec ces moyens de paiement dans les grandes surfaces, alors que le Gouvernement refuse toute mesure de revalorisation des salaires.

Dans la précipitation due, je le répète, à l’imprévoyance du Gouvernement, il faut prolonger ce dispositif, mais nous devons mener une réflexion, avant le 31 décembre 2024, sur les pistes d’évolution des titres-restaurant.

Ce dispositif dérogatoire constitue une mesure ponctuelle et ciblée, qui ne doit pas s’inscrire dans la durée et devenir la règle. En effet, cette évolution des titres-restaurant en moyens de paiement ordinaires pour tout produit de consommation induit un risque de dénaturation de leur usage. Partant, cela pourrait remettre en cause, à terme, leur raison d’être.

Pour nous, la question de l’augmentation des salaires par les employeurs reste centrale. En effet, les titres-restaurant sont de facto une subvention de l’État aux entreprises, puisque celui-ci prend en charge un tiers de la part patronale. Or nous ne pouvons continuer d’enrichir les plateformes de livraison ubérisées avec de l’argent public, alors que ces entreprises ne respectent pas les droits sociaux élémentaires de leurs propres salariés.

Dès lors, une réflexion sur les tickets-restaurant doit être menée, et cela en priorité par les représentants syndicaux au sein de la CNTR.

Le décrochage des salaires par rapport à l’inflation est un problème majeur, qui a plongé de nombreux ménages dans la précarité alimentaire.

En définitive, face à l’ampleur de la crise sociale, nous pensons que l’extension des titres-restaurant ne saurait constituer une réponse complète et satisfaisante. Néanmoins, elle constitue une mesure immédiate nécessaire pour de très nombreux salariés et leurs familles.

Pour cette raison, nous voterons en faveur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, RDPI, RDSE et Les Républicains.)