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Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur l'avenir de l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex)
Discussion générale (suite)

Avenir de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex)

Adoption d’une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission modifié

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur l'avenir de l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex)
Texte de la proposition de résolution européenne sur l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (FRONTEX)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande des groupes SER et GEST, de la proposition de résolution européenne, en application de l’article 73 quinquies du règlement, sur l’avenir de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex), présentée par MM. Jean-François Rapin et François-Noël Buffet (proposition n° 197, texte de la commission n° 298, rapport n° 297).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-François Rapin, coauteur de la proposition de résolution.

M. Jean-François Rapin, auteur de la proposition de résolution européenne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre débat en séance publique sur l’avenir de Frontex, l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, est bienvenu.

En effet, le Gouvernement présente un nouveau projet de loi relatif à l’immigration, en particulier pour réformer le régime de l’asile et pour régulariser les travailleurs sans-papiers présents sur notre territoire. Or, notre politique migratoire, mais aussi notre politique de l’asile et de contrôle de nos frontières, relèvent désormais de compétences partagées avec l’Union européenne. De fait, ces politiques se jouent aujourd’hui, en grande partie, aux frontières extérieures de l’Union européenne. En effet, l’existence de l’espace Schengen, espace de libre circulation dont tous nos concitoyens profitent pour étudier, travailler ou voyager, dépend d’une surveillance efficace de ces frontières extérieures.

Si cette mission de gestion et de surveillance relève en premier lieu des États membres, ces derniers peuvent faire appel au soutien opérationnel de Frontex. Cette agence incarne alors la solidarité européenne en déployant des agents et des équipements pour le contrôle des voyageurs aux frontières ou la lutte contre l’immigration irrégulière.

La France bénéficie de cet appui, par exemple sur la côte d’Opale, dont je suis originaire, pour surveiller les embarcations de migrants essayant de traverser la Manche vers le Royaume-Uni, ou pour organiser des opérations de retour des migrants irréguliers dans leur pays d’origine.

Frontex dispose à cet égard des moyens nécessaires pour assurer ce soutien : elle est dotée, cette année, d’un budget de 845 millions d’euros et elle emploie environ 2 000 personnes, ce nombre devant progressivement augmenter pour arriver à un contingent permanent de 10 000 officiers en 2027.

Cependant, l’agence Frontex a été paralysée pendant de trop longs mois par une double crise.

Elle a d’abord été confrontée à une crise de croissance : l’Agence, dotée de moyens importants à compter de 2019, n’a pas eu le temps de procéder aux recrutements nécessaires et de mettre en place des procédures d’audit et de contrôle suffisantes.

Elle a ensuite dû affronter une crise de confiance : l’Agence a été accusée de manquements dans son fonctionnement interne, mais aussi de complicité de refoulements illégaux de migrants en mer Égée. Elle a alors fait l’objet d’un nombre inédit d’audits et d’enquêtes, qui ont conduit à la démission de son ancien directeur, M. Fabrice Leggeri, en avril dernier, puis à une longue phase transitoire de huit mois, qui s’est enfin terminée le 20 décembre dernier avec la désignation d’un nouveau directeur, le Néerlandais Hans Leijtens, qui devrait, nous l’espérons, ouvrir une nouvelle ère.

Il est en effet urgent de réagir : 330 000 franchissements irréguliers des frontières extérieures de l’Union européenne ont été recensés en 2022, soit une hausse de 64 % par rapport à 2021 et une augmentation inédite depuis 2016.

Frontex doit se remettre très vite au travail. Il y va de la crédibilité de l’Union européenne et de l’avenir de l’espace Schengen. C’est l’objet de la proposition de résolution européenne que François-Noël Buffet et moi-même avons déposée.

Nous avons ainsi entendu formuler plusieurs recommandations simples pour que l’action de Frontex représente une valeur ajoutée et non une source supplémentaire de complexité, voire de contentieux. Je veux d’ailleurs remercier nos collègues rapporteurs, Arnaud de Belenet et Claude Kern, qui ont souhaité préserver la cohérence de notre dispositif. J’insisterai sur trois points.

D’abord, l’agence Frontex doit exercer sa mission, à savoir soutenir les États membres dans la surveillance des frontières extérieures de l’Union européenne. Il s’agit pour l’Agence de le faire en respectant bien évidemment les droits fondamentaux, mais sans pour autant se transformer en agence des droits fondamentaux ou en agence de l’asile. De telles structures existent déjà au niveau européen.

Ensuite, Frontex n’a pas vocation à remplacer les services douaniers et policiers des États membres. Toutefois, pour agir en totale complémentarité avec ces derniers, elle doit faire l’objet d’un pilotage politique plus musclé par les ministres de l’intérieur des États membres, auxquels il revient de lui fixer des priorités claires.

Enfin, ce pilotage politique doit aussi passer par un suivi et un contrôle de Frontex par le Parlement européen et par les parlements nationaux. Il s’agit d’un enjeu démocratique et d’une demande récurrente de notre commission des affaires européennes sur laquelle, je pense, nous pouvons tous nous retrouver.

Nous autres, parlementaires nationaux, sommes plus au fait des attentes de nos concitoyens. Nous devons donc prendre toute notre part à ce contrôle pour obtenir des résultats concrets, sinon les États membres se détourneront de Frontex. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDPI.)

M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet, coauteur de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François-Noël Buffet, auteur de la proposition de résolution européenne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l’a rappelé Jean-François Rapin à l’instant, Frontex se trouve aujourd’hui à un moment critique de son histoire.

Son action est remise en cause de toutes parts, alors qu’elle n’a jamais été aussi capitale. Le retour de flux d’immigration irrégulière importants, la tentative d’instrumentalisation de ces flux par la Biélorussie à l’automne 2021 ou le déclenchement de la guerre en Ukraine, voilà un an, sont autant d’exemples démontrant la nécessité d’une agence en pleine possession de ses capacités.

Dans ce contexte, il nous incombe, en tant que parlementaires nationaux, de faire entendre notre voix pour soutenir Frontex. Il est plus que temps que l’Agence surmonte cette période de turbulences pour se consacrer pleinement et exclusivement à sa mission de gestion des frontières.

Jean-François Rapin et moi avons tenu à ce que la proposition de résolution européenne débute par l’expression d’un soutien clair et sans ambiguïté à cette agence. C’est là le cœur de notre démarche.

L’espace Schengen est l’un des acquis les plus précieux de la construction européenne, mais la fin des frontières intérieures n’a de sens que dans la mesure où nous maîtrisons collectivement nos frontières extérieures. L’action de Frontex est à cet égard absolument décisive. Je rappelle que l’Agence déploie actuellement plus de 2 150 hommes et femmes sur le terrain ainsi que dix avions et vingt-deux bateaux en appui des États membres.

Les échanges que j’ai pu avoir dans le cadre d’une délégation de la commission des lois avec la direction de Frontex à Varsovie, en avril 2022, n’ont fait que renforcer ma conviction que l’élargissement du mandat de l’Agence va dans le bon sens et qu’il faut la soutenir dans sa mise en œuvre.

Au travers de notre proposition de résolution, nous saluons le choix fait par le législateur européen en 2019 de transformer Frontex en une véritable entité opérationnelle, dotée d’une capacité de projection autonome. La multiplication de son budget par dix en dix ans et la création d’un contingent permanent de garde-frontières sont des avancées majeures.

Pour autant, notre soutien n’est pas sans conditions, notamment pour ce qui est du respect des droits fondamentaux. Aucune concession ne pourra être faite sur ce point. D’aucuns voudraient opposer contrôle des frontières et respect des droits fondamentaux, mais cela n’a bien évidemment pas de sens, tant les deux vont de pair.

Notre soutien à Frontex ne peut se résumer à des paroles. C’est pourquoi notre texte comporte des recommandations concrètes pour accompagner l’Agence vers la sortie de crise.

À cet égard, il nous paraît d’abord indispensable de mettre en place un vrai pilotage politique de Frontex. Le nouveau directeur exécutif, récemment nommé, doit pouvoir suivre des lignes directrices fortes et claires pour conduire son action. C’est la raison pour laquelle nous proposons que des réunions du Conseil de l’Union européenne soient spécifiquement consacrées à ce pilotage politique.

Les parlements nationaux ont toute leur place dans cette démarche. On ne peut que regretter que le Parlement européen ait décidé, de manière unilatérale, de former un groupe de contrôle de Frontex, et ce alors que le règlement de 2019 prévoit explicitement – j’y insiste – une association des parlements nationaux. La création d’un groupe de contrôle parlementaire conjoint nous paraît la voie à suivre, comme cela a déjà été fait avec succès pour Europol.

Enfin, le dispositif de protection des droits fondamentaux de Frontex est un point crucial. Le constat est sans appel : les procédures en vigueur n’étaient pas suffisamment solides pour prévenir et traiter efficacement les incidents survenus en mer Égée.

Les réformes du dispositif de signalement des incidents et du mécanisme de traitement des plaintes, mises en place par la direction intérimaire, vont dans le bon sens, de même que le recrutement de quarante-six contrôleurs aux droits fondamentaux.

Nous avons toutefois souhaité émettre plusieurs recommandations afin de prévenir l’émergence d’une « guerre des chefs » au sein de l’Agence : citons l’instauration de canaux de dialogue renforcés, l’examen des décisions de l’officier aux droits fondamentaux par le Médiateur européen ou encore l’établissement de critères de recrutement exigeants pour l’officier et les contrôleurs aux droits fondamentaux. Je remercie Arnaud de Belenet, rapporteur de la commission des lois, des précisions utiles qu’il a apportées au texte sur ce dernier point.

Enfin, nous avons souhaité exclure expressément l’hypothèse d’une révision du mandat de Frontex. La priorité est en effet de sortir l’Agence de la crise et de lui accorder le temps nécessaire pour exercer l’intégralité de son mandat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Arnaud de Belenet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen de la proposition de résolution européenne sur l’avenir de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, déposée par les présidents de la commission des affaires européennes et de la commission des lois, Jean-François Rapin et François-Noël Buffet, intervient à un moment décisif.

L’Agence traverse en effet une double crise dans sa jeune histoire. Elle a besoin aujourd’hui d’être confortée.

La première de ces crises est structurelle : elle puise ses racines en 2015, lorsque l’Union européenne a échoué à répondre efficacement, et de manière coordonnée, à la crise migratoire. En réaction, Frontex a vu son mandat et ses moyens continuellement et massivement renforcés.

Deux révisions successives de son mandat, en 2016 et en 2019, ont considérablement élargi son champ de compétence : l’Agence n’intervient plus uniquement en réponse à des situations d’urgence, mais également au travers de déploiements de longue durée sur le terrain.

Le périmètre géographique de son intervention ne se limite plus à l’espace Schengen, puisqu’elle peut également assister, dans la gestion de leurs frontières, des pays tiers ayant conclu un accord avec l’Union européenne.

Pour mener à bien ses nouvelles missions, Frontex a bénéficié d’une progression de ses moyens d’une ampleur inédite dans l’histoire de l’Union européenne : son budget a été quasiment multiplié par dix en dix ans pour atteindre 845 millions d’euros cette année. Quant aux effectifs, son contingent permanent de garde-frontières devrait compter 10 000 agents en 2027.

Jamais une entité européenne ne s’était vue attribuer de tels moyens, de telles prérogatives de puissance publique, et encore moins des agents armés et vêtus d’un uniforme à ses couleurs. En moins de vingt ans – elle a été créée en 2004 –, Frontex est devenue l’agence la plus puissante de l’Union européenne.

En plein essor, celle-ci a été sur-sollicitée et a dû faire face à une conjonction de crises internationales, comme la tentative d’instrumentalisation des migrations par la Biélorussie à l’automne 2021 ou l’agression russe en Ukraine, pour ne citer que ces deux exemples.

Frontex éprouvait déjà de grandes difficultés à mener à bien sa mutation dans les délais impartis. L’Agence ne disposait pas des instruments nécessaires pour conduire une réforme aussi ambitieuse aussi rapidement. En matière de ressources humaines ou de passation de marchés publics, par exemple, elle n’avait pas de services suffisamment étoffés pour piloter cette évolution dans de bonnes conditions.

La directrice exécutive par intérim de l’Agence l’indiquait devant nos deux commissions des lois et des affaires européennes cet automne : « la pression politique était forte et les délais extrêmement serrés. En conséquence, la croissance de l’Agence a entraîné des difficultés opérationnelles. »

La seconde crise à laquelle est confrontée Frontex est une crise de confiance. Elle concerne le respect des droits fondamentaux et la réputation de l’Agence.

Frontex a fait l’objet d’accusations de certaines organisations non gouvernementales (ONG) et de certains médias d’investigation, qui ont allégué qu’elle avait participé à des opérations de refoulement en mer Égée. Plusieurs enquêtes ont été menées par le Parlement européen, le Médiateur européen et l’Office européen de lutte antifraude (Olaf). Celles-ci ont permis de tirer trois conclusions.

Premièrement, l’Agence n’a pas directement participé à des pushbacks mais, informée de potentielles violations des droits fondamentaux par les garde-côtes grecs, elle a fait preuve d’une passivité tout à fait anormale.

Deuxièmement, les dispositifs de traitement des incidents n’étaient pas suffisamment robustes pour que l’Agence gère convenablement des situations aussi problématiques.

Troisièmement, la direction de Frontex a échoué dans sa gestion managériale et a manqué à son devoir de loyauté vis-à-vis de l’Union européenne.

Depuis, l’Agence est en proie à une crise profonde et durable, qui a atteint son apogée en avril 2022 avec la démission de son directeur exécutif, notre compatriote Fabrice Leggeri. Ce n’est d’ailleurs que tout récemment qu’un successeur a pu être nommé, à l’issue d’un long et fastidieux processus de désignation.

Cette crise a aussi révélé, outre des inimitiés personnelles, l’existence d’un débat au sein des institutions européennes sur les priorités de l’Agence. Deux visions s’affrontent. La première est centrée sur l’objectif de protection des droits fondamentaux ; la seconde, sur l’obtention de résultats probants en matière de lutte contre l’immigration irrégulière.

Dans ce contexte, et alors que se pose la question d’une éventuelle révision du mandat de l’Agence fin 2023, la présente proposition de résolution européenne assure au Sénat un positionnement clair reposant sur deux objectifs principaux.

Le premier objectif est politique et touche au sens à donner au mandat de Frontex. En réalité, comme nous en sommes convenus en commission, le débat opposant contrôle des frontières, d’un côté, et respect des droits fondamentaux, de l’autre, est largement monté en épingles. La première mission de Frontex est certes le contrôle des frontières, mais l’Agence doit s’en acquitter dans le respect absolu des droits fondamentaux. Ce sont bien évidemment les deux faces d’une même médaille.

Le second objectif est juridique et pratique. Il a trait à l’éventuelle révision du mandat de Frontex. Cette option est explicitement écartée par les auteurs de la proposition de résolution européenne, qui plaident pour que Frontex se voie accorder le temps nécessaire pour assumer pleinement ses missions actuelles.

Tout comme la commission des affaires européennes, sous réserve de ce qu’indiquera M. le rapporteur pour avis, Claude Kern, dans quelques instants, la commission des lois partage pleinement ces orientations.

Le soutien des parlements nationaux est nécessaire à Frontex ; celui que le Sénat exprime au travers de cette proposition de résolution est très clair.

Alors que la pression migratoire aux frontières de l’Union européenne renoue avec des niveaux très préoccupants, il est impératif que Frontex soit pleinement au travail.

Je rappelle que les passages de clandestins vers l’Europe ont encore augmenté de 64 % en 2022, et même de 150 % sur la seule route des Balkans.

Je rappelle également que la France s’appuie beaucoup sur Frontex, notamment dans ses aéroports – le nombre des interventions de ce type s’accroîtra encore cette année – et sur toute la côte d’Opale. Nous avons donc un intérêt direct à ce que l’Agence laisse la crise derrière elle pour se concentrer sur l’exercice de ses missions.

Soutenir politiquement Frontex n’est toutefois pas suffisant : nous devons également être force de proposition.

C’est ce que nous faisons avec ce texte, qui contribue à renforcer le pilotage politique de l’Agence par la mise en place de réunions du Conseil de l’Union européenne qui y seront spécifiquement consacrées ou par le rehaussement du rang hiérarchique des membres du conseil d’administration de Frontex.

Nous le sommes encore en renforçant le dispositif de protection des droits fondamentaux. La commission des lois est très claire sur ce point : Frontex a besoin d’un officier aux droits fondamentaux indépendant et fort. C’est non pas une contrainte juridique de plus, mais une garantie de crédibilité pour l’institution.

Mes chers collègues, la commission est favorable aux objectifs fixés par les auteurs de cette proposition de résolution européenne ; elle en partage également l’esprit et la lettre. Je vous invite, par conséquent, à l’adopter. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Claude Kern, rapporteur pour avis de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux d’emblée remercier les présidents Jean-François Rapin et François-Noël Buffet de leur proposition de résolution, fruit de leur longue réflexion sur un sujet qu’ils connaissent bien et qui nous préoccupe tous : la sécurité des frontières extérieures de l’Union européenne.

Comme cela vient d’être rappelé, la question du bon fonctionnement de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, dite Frontex, n’est pas de nature technique. Elle concerne notre quotidien, notre libre circulation dans l’espace Schengen et notre maîtrise de l’immigration.

En effet, les dysfonctionnements aux frontières extérieures ont des conséquences immédiates, comme de nombreux mouvements irréguliers de migrants vers la France, avec toutes les conséquences qui en découlent et que nous observons à l’échelon local en termes de précarité, de besoins en structures d’accueil et de trafic d’êtres humains.

C’est bien évidemment aux États membres d’exercer en premier ressort leur mission de gestion et de surveillance des frontières. Toutefois, ils doivent aussi pouvoir compter sur une agence Frontex opérationnelle et réactive, comme elle vient de le démontrer aux frontières de l’Ukraine, une agence respectueuse des droits fondamentaux, à même de se retirer d’une opération menée avec un État membre si les agents de ce dernier sont auteurs d’irrégularités, une agence qui sait quelles sont ses priorités, car elle ferait l’objet d’un véritable pilotage politique et d’un contrôle associant Parlement européen et parlements nationaux.

Voilà pourquoi, lors de sa réunion du 14 décembre dernier, la commission des affaires européennes a approuvé, sans la modifier, cette proposition de résolution européenne. Les dispositions du texte visant à la mise en place d’un contrôle parlementaire conjoint de l’Agence par le Parlement européen et les parlements nationaux ont d’ailleurs fait l’objet d’un consensus.

La commission des lois a ensuite procédé à son propre examen du texte et a adopté trois amendements d’actualisation. Elle a en outre adopté un amendement de précision, qui est utile, car il tend à insister sur l’expérience dont doivent disposer l’officier et les contrôleurs aux droits fondamentaux. En effet, il est pertinent que l’officier puisse attester d’une expérience approfondie en matière de gestion des frontières, quand les contrôleurs devraient, pour leur part, prouver qu’ils disposent d’une expertise opérationnelle en matière de surveillance des frontières.

Les dispositions de ces amendements respectent la volonté des auteurs de la proposition ainsi que le vote de notre commission des affaires européennes. Nous y sommes donc favorables.

En revanche, je rappelle qu’une proposition de résolution est un vœu politique qui a sa propre cohérence, tout comme le vote de notre commission. Par conséquent, tout en respectant le point de vue de chacun d’entre vous, mes chers collègues, je serai défavorable à tous les amendements qui auront pour objet de dénaturer ce texte ou de le rendre inopérant.

Avec cette proposition de résolution, nous adressons en effet un message crucial aux institutions européennes. Frontex est une belle réalisation, un projet de coopération concret et ambitieux, mais elle doit encore démontrer sa valeur ajoutée.

Sans renoncer un seul instant à notre contrôle démocratique, il faut laisser Frontex travailler dans la sérénité. Sans son aide précieuse, certains États membres, particulièrement exposés à la pression migratoire, pourraient en effet renoncer à remplir leurs obligations en matière de surveillance et d’enregistrement aux frontières. Nous ferions alors de nouveau face à des flux incontrôlés de migrants et nous nous exposerions à un retour du chacun pour soi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Sénat se prononce ce soir sur une proposition de résolution sur l’avenir de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, communément dénommée Frontex.

Je veux tout d’abord saluer le travail de la commission des lois et celui des deux coauteurs, François-Noël Buffet et Jean-François Rapin. Ce travail nous permet de débattre ce soir du rôle de Frontex, agence déterminante pour la maîtrise de nos frontières, laquelle passe indiscutablement par une action coordonnée à l’échelle européenne.

En 2022, la pression migratoire a retrouvé un niveau proche de l’avant-crise sanitaire. Les franchissements irréguliers détectés par Frontex aux frontières extérieures ont progressé de 64 % par rapport à 2021, même s’ils restent en deçà de ceux qui avaient été enregistrés pendant la crise migratoire de 2016. Les flux migratoires progressent ainsi dans toute l’Europe, avec une pression particulière en Méditerranée centrale et dans les Balkans occidentaux, ce qui fait peser une contrainte spécifique sur l’Autriche, la Hongrie et la Croatie.

Les demandes d’asile ont progressé de 61 % en Europe et de 31 % en France, qui reste le second pays d’accueil après l’Allemagne. Tout en étant le premier État membre à réaliser des transferts relevant de l’application du règlement Dublin, dits transferts Dublin, vers d’autres pays européens, la France reste la cible de mouvements secondaires qui traduisent la nécessité de faire évoluer le système européen de l’asile.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la détermination du Gouvernement est totale pour apporter des réponses efficaces à cette situation migratoire.

À l’échelon national, elle passe par le projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, qui a été présenté en conseil des ministres, le mercredi 1er février, par le ministre de l’intérieur et des outre-mer et le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion.

Ce texte comportera des dispositions inédites pour éloigner les étrangers représentant une menace pour l’ordre public, pour garantir l’intégration par la langue, le travail, le respect des principes de la République et pour simplifier très largement le contentieux des étrangers ainsi que l’organisation de notre dispositif d’asile. Le Sénat aura l’occasion d’examiner ce texte, qui contribue à doter notre pays de nouveaux outils juridiques en matière migratoire, dès le mois mars.

Ces instruments s’ajouteront aux moyens importants que le ministère de l’intérieur et des outre-mer consacre à la politique migratoire.

Il m’importe de rappeler que la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi) prévoit la création de 3 000 places dans les centres de rétention administrative (CRA) à l’horizon 2027 pour renforcer notre efficacité dans la lutte contre l’immigration irrégulière.

Elle prévoit également une hausse de 24 % du budget alloué à l’intégration au cours des cinq prochaines années, moyens plus particulièrement destinés à l’intégration des réfugiés et à la maîtrise du français par les étrangers primo-arrivants.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la clef de notre efficacité suppose une coordination et des politiques communes à l’échelon européen.

Il est indispensable de travailler avec nos voisins à une gestion coordonnée, c’est-à-dire ordonnée, des migrations, comme cela a été reconnu par tous à l’occasion du sommet de La Valette en 2015, ainsi que dans le pacte mondial sur les migrations, adopté à Marrakech en 2018, sous l’égide des Nations unies.

À la suite du débarquement du navire Ocean Viking à Toulon, le 11 novembre dernier, la France a demandé et obtenu la tenue d’un conseil extraordinaire des ministres de l’intérieur, qui a permis l’adoption d’un plan d’action européen sur la Méditerranée centrale.

Ce plan prévoit une approche mieux coordonnée des sauvetages en mer, notamment en ce qui concerne l’action des ONG, et une coopération renforcée avec les États tiers en matière de prévention des départs irréguliers.

Par ailleurs, la présidence française du Conseil de l’Union européenne a permis de débloquer les négociations relatives au pacte sur la migration et l’asile présenté par la Commission européenne en septembre 2020.

Grâce à une approche graduelle, la France a réussi à faire progresser les négociations et à les orienter vers un juste équilibre fondé sur la responsabilité et la solidarité. Un accord a été obtenu lors du conseil Justice et affaires intérieures de Luxembourg, le 10 juin dernier.

Dans le cadre des négociations en cours, la France est favorable à la mise en place d’un mécanisme de solidarité contraignant et prévisible pour soulager les pays de première entrée, ainsi qu’à celle de procédures efficaces aux frontières extérieures pour lutter contre les mouvements secondaires.

C’est dans ce cadre que la France soutient la montée en puissance de l’agence Frontex, instrument essentiel du dispositif de protection des frontières européennes et de contrôle des flux migratoires.

Comme vous l’avez souligné, en 2016 et en 2019, l’agence Frontex a connu successivement deux réformes majeures qui ont considérablement élargi le champ de ses compétences.

Le règlement de 2019 a permis à Frontex de passer d’un rôle réactif à un rôle proactif et de prévoir des déploiements de long terme – jusqu’alors, l’agence ne pouvait agir qu’en réaction aux situations d’urgence.

Notons-le, Frontex est ainsi devenue l’agence la plus importante de l’Union Européenne, dotée d’un budget de 5,6 milliards d’euros pour la période 2021-2027 et disposant d’une force de 10 000 agents opérationnels qui pourront être déployés à terme aux frontières extérieures.

Elle agit sur plusieurs terrains d’opération : en Méditerranée, en Italie, en Grèce et à Chypre, par exemple, dans l’est de l’Europe, à la frontière avec la Biélorussie, mais également dans la Manche. Depuis le mois de décembre 2021, un avion de Frontex a ainsi pour mission de renforcer la capacité de détection des tentatives de traversées de la Manche par des migrants voyageant sur des small boats.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de résolution que vous examinez aujourd’hui a pour objet de conforter le mandat de Frontex à la suite du renouvellement de la gouvernance de l’Agence.

Le Gouvernement soutient l’esprit et les grandes orientations de ce texte, à commencer par le renforcement de la veille opérationnelle de Frontex dans le cadre de la surveillance des côtes françaises et belges de la Manche et de la mer du Nord.

Nous sommes également favorables au renforcement du pilotage politique de Frontex, position défendue par la France durant sa présidence du Conseil de l’Union européenne. Ce pilotage passera notamment par une discussion annuelle au sein du Conseil Schengen sur les grandes orientations de l’Agence.

Nous soutenons aussi le renforcement du rôle de celle-ci en matière de retour, concrétisé notamment par l’organisation de vols conjoints mutualisant les moyens d’éloignement et d’escorte par les États membres.

Enfin, nous sommes d’accord pour laisser le temps nécessaire à l’Agence pour assumer pleinement son mandat actuel sans engager une révision de son règlement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, l’un de nos sujets de discussion portera vraisemblablement sur le respect des droits fondamentaux par Frontex dans le cadre de l’exécution de ses missions.

Il me paraît utile de rappeler ici que Frontex est tenue par son règlement fondateur de garantir une gestion efficace des frontières dans le plein respect des droits fondamentaux. Cet impératif fait déjà clairement partie du mandat du nouveau directeur exécutif de l’Agence, dont l’arrivée s’est accompagnée de la nomination de quarante-cinq contrôleurs des droits fondamentaux et d’un adjoint à l’officier aux droits fondamentaux de l’Agence.

Les accusations d’implication de Frontex dans le refoulement de migrants en Méditerranée ont été traitées par plusieurs instances de contrôle, qui ont conclu que l’Agence n’avait pas participé à ces opérations, mais qu’il n’était pas non plus possible d’affirmer qu’elle n’avait pas eu connaissance de ces agissements.

Les recommandations du conseil d’administration de l’Agence, du Parlement européen et de la Médiatrice de l’Union européenne ont entraîné la mise en place de plusieurs mécanismes de garantie des droits fondamentaux, afin de permettre un traitement efficace des signalements de plaintes et des incidents graves.

La France s’assurera de ce suivi dans le cadre du conseil d’administration de l’Agence où siègent les États membres. Notre priorité est désormais d’accompagner la montée en puissance du corps permanent de Frontex, qui devrait compter 10 000 hommes en 2027, et auquel la France prendra toute sa part.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, la question que vous soulevez aujourd’hui est au cœur des préoccupations du Gouvernement, comme elle est au centre de celles de nos concitoyens. La question de la maîtrise des flux migratoires est décisive pour la France et l’Union européenne. Nous continuerons à agir en ce sens, en déployant des moyens à la hauteur des attentes des Français. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Pierre Louault applaudit également.)