Sommaire

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Corinne Imbert, M. Dominique Théophile.

1. Procès-verbal

2. Hommage aux victimes du séisme en Turquie et en Syrie

M. le président

Mme Élisabeth Borne, Première ministre

3. Questions d’actualité au Gouvernement

concessions autoroutières (i)

M. Vincent Delahaye ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ; M. Vincent Delahaye.

concessions autoroutières (ii)

Mme Marie-Noëlle Lienemann ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

projet d’un inflation reduction act européen

M. Alain Richard ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

réforme des retraites (i)

M. Yan Chantrel ; M. Olivier Véran, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement ; M. Yan Chantrel.

difficultés d’application de certains dispositifs de transition écologique

M. Éric Gold ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ; M. Éric Gold.

réforme des retraites (ii)

M. Guillaume Gontard ; Mme Élisabeth Borne, Première ministre ; M. Guillaume Gontard.

fermetures de classes dans les zones rurales (i)

M. Joël Guerriau ; M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; M. Joël Guerriau.

dispositif « zéro artificialisation nette »

Mme Sophie Primas ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

fermetures de classes dans les zones rurales (ii)

M. Jean-Marc Boyer ; M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; M. Jean-Marc Boyer.

meublés de tourisme et parc locatif

M. Mickaël Vallet ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

directive européenne ayant des effets sur l’étiquetage des modes d’élevage des volailles

M. Vincent Segouin ; M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire ; M. Vincent Segouin.

négociations sur l’hydrogène bas-carbone

Mme Denise Saint-Pé ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique.

réforme du collège

M. Stéphane Piednoir ; M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; M. Stéphane Piednoir.

action de l’état pour les familles sans abri

Mme Laurence Harribey ; M. Olivier Klein, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé de la ville et du logement ; Mme Laurence Harribey.

attractivité du métier d’enseignant

Mme Toine Bourrat ; M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; Mme Toine Bourrat.

déserts médicaux

M. Bruno Rojouan ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé ; M. Bruno Rojouan.

Suspension et reprise de la séance

4. Quelle réponse européenne aux récentes mesures protectionnistes américaines ? – Débat d’actualité

M. Pierre Louault ; Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe.

M. Jean-Pierre Corbisez ; Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe.

M. Alain Cadec ; Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe.

M. Joël Guerriau ; Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe.

M. Jacques Fernique

PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard

Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe

Mme Nadège Havet ; Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe.

M. Didier Marie ; Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe.

M. Fabien Gay ; Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe ; M. Fabien Gay.

M. Jean-François Rapin ; Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe.

Conclusion du débat

Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe

Suspension et reprise de la séance

5. Communication d’un avis sur un projet de nomination

6. Reconnaissance du génocide des Assyro-Chaldéens de 1915-1918. – Adoption d’une proposition de résolution

Discussion générale :

Mme Valérie Boyer, auteure de la proposition de résolution

M. André Guiol

M. Bruno Retailleau

M. Joël Guerriau

M. Guillaume Gontard

Mme Nicole Duranton

M. Rachid Temal

M. Pierre Ouzoulias

M. François Bonneau

M. Olivier Becht, ministre délégué auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l’attractivité et des Français de l’étranger

Clôture de la discussion générale.

Texte de la proposition de résolution

Vote sur l’ensemble

Adoption, par scrutin public n° 126, de la proposition de résolution.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Alain Richard

7. Mises au point au sujet de votes

8. Rappel au règlement

M. Philippe Folliot

9. Conférence des présidents

Conclusions de la conférence des présidents

10. Avenir de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex). – Adoption d’une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission modifié

Discussion générale :

M. Jean-François Rapin, auteur de la proposition de résolution européenne

M. François-Noël Buffet, auteur de la proposition de résolution européenne

M. Arnaud de Belenet, rapporteur de la commission des lois

M. Claude Kern, rapporteur pour avis de la commission des affaires européennes

M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer

M. Stéphane Le Rudulier

M. Franck Menonville

M. Jacques Fernique

Mme Patricia Schillinger

M. Jean-Yves Leconte

M. Pierre Laurent

M. Jean-Michel Arnaud

Mme Esther Benbassa

Mme Catherine Belrhiti

Mme Nathalie Delattre

Clôture de la discussion générale.

Texte de la proposition de résolution européenne

Amendement n° 4 de M. Jacques Fernique. – Rejet.

Amendement n° 5 de M. Jacques Fernique. – Rejet.

Amendement n° 1 rectifié de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet par scrutin public n° 127.

Amendement n° 2 rectifié de M. Jean-Yves Leconte. – Rectification.

Amendement n° 2 rectifié bis de M. Jean-Yves Leconte. – Adoption.

Amendement n° 3 rectifié de M. Jean-Yves Leconte. – Retrait.

Amendement n° 6 de M. Jacques Fernique. – Rejet.

Amendement n° 7 de M. Jacques Fernique. – Rejet.

Vote sur l’ensemble

M. François-Noël Buffet

M. Jean-Yves Leconte

M. Jean-François Rapin

Adoption, par scrutin public n° 128, de la proposition de résolution européenne dans le texte de la commission, modifié.

11. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Corinne Imbert,

M. Dominique Théophile.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Hommage aux victimes du séisme en Turquie et en Syrie

M. le président. Madame la Première ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, lundi, aux premières heures du jour, un tremblement de terre a frappé le sud-est de la Turquie et la Syrie voisine. Il a été suivi de nombreuses et violentes répliques. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme la Première ministre et Mmes et MM. les ministres, se lèvent.)

Alors que le bilan humain de cette catastrophe s’alourdit de jour en jour, nos premières pensées vont aux victimes et à leurs proches, ainsi qu’aux équipes mobilisées pour leur porter secours.

Nous serons attentifs à ce que tous les secours nécessaires parviennent aux populations touchées, où qu’elles se trouvent et sans autre critère que celui de l’urgence. Nous serons également attentifs à ce que la France apporte toute sa contribution à l’aide internationale déployée.

Au nom du Sénat tout entier, je voudrais exprimer notre solidarité aux populations de Turquie et de Syrie et les assurer de notre soutien.

La parole est à Mme la Première ministre.

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, au nom du Gouvernement, je veux à mon tour redire toute notre solidarité aux populations de Turquie et de Syrie.

Dès lundi, le Président de la République a annoncé la mobilisation de notre pays et proposé une aide d’urgence. Des sapeurs-pompiers, des sapeurs-sauveteurs et des personnels du centre de crise et de soutien sont arrivés sur place. Ils contribuent aux recherches sur le terrain. Pour aider les blessés, nous avons également proposé l’envoi d’un hôpital de campagne de la sécurité civile.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la France est aux côtés des populations de Turquie et de Syrie dans cette épreuve. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme la Première ministre et Mmes et MM. les ministres, observent un moment de recueillement.)

3

Questions d’actualité au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

Mes chers collègues, je vous rappelle que notre séance est retransmise en direct sur Public Sénat, ainsi que sur notre site internet.

Je vous appelle à veiller au cours de nos échanges au respect des uns et des autres, ainsi qu’à celui du temps de parole.

concessions autoroutières (i)

M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, le groupe Union Centriste souhaite également exprimer toute sa solidarité avec les populations de Turquie et de Syrie et il apporte tout son soutien à nos compatriotes partis sur place pour les secourir.

Ma question a trait aux concessions d’autoroutes.

La commission d’enquête du Sénat, dont je salue les membres présents, notamment ceux du groupe Union Centriste, Anne-Catherine Loisier et Arnaud de Belenet, a mis en lumière une surrentabilité de plus de 30 milliards d’euros d’ici à la fin de ces contrats de concession. Cette surrentabilité a été confirmée par le rapport de l’inspection générale des finances (IGF), révélé par Le Canard enchaîné.

Notre commission d’enquête a permis de mettre fin au cycle infernal des prorogations accordées en contrepartie de la réalisation de travaux.

Elle a également proposé de trouver un accord sur l’équilibre économique et financier de ces contrats. M. Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports, m’avait d’ailleurs indiqué en novembre dernier qu’un groupe de travail serait mis en place à ce sujet en début d’année. Quand le Gouvernement entend-il mettre en place ce groupe de travail ?

Par ailleurs, les tarifs des péages ont augmenté de 4,75 % le 1er février. Cette augmentation permettra aux sociétés d’autoroutes de réaliser un profit supplémentaire de 300 millions d’euros par an d’ici à la fin des contrats.

Les efforts demandés à Vinci équivalent-ils à cette somme ? Sinon, quelle part en représentent-ils ?

Pourquoi ne rien avoir demandé à Eiffage ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur Delahaye, je veux d’abord saluer la qualité du rapport sénatorial de septembre 2020 que vous avez cité et qui garde une grande actualité.

M. Roger Karoutchi. Très bien !

M. Christophe Béchu, ministre. Vous avez également cité le rapport de l’IGF, dont certains passages ont été rendus publics par Le Canard enchaîné et qui a été transmis aux présidents des commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Je vous invite aussi – vous l’avez certainement fait compte tenu de votre maîtrise du sujet – à regarder le rapport de l’Autorité de régulation des transports (ART) qui est sorti il y a quelques jours. Ses conclusions diffèrent un peu : elles avalisent l’existence d’une rentabilité importante de ces concessions, mais elles n’arrivent pas au même résultat chiffré, en particulier parce que l’impact du covid-19 n’a pas été intégré à ce stade dans les taux de rentabilité interne (TRI). Cela doit nous inviter à un minimum de prudence.

Je me permets ensuite de vous indiquer que, à l’occasion de l’augmentation des tarifs qui a eu lieu le 1er février et qui était prévue dans les contrats, les péages dus par les véhicules électriques ont baissé de 5 %. Cela correspond à l’une des préconisations de votre rapport – voyez-y une forme d’hommage à votre travail !

Plus largement, nous avons remporté, le 13 janvier, devant le tribunal administratif, une bataille importante relative à l’augmentation des impôts que nous souhaitons appliquer aux sociétés concessionnaires d’autoroutes – c’est aussi un sujet qui était présent dans votre rapport d’information. Les sociétés concessionnaires d’autoroutes ont jusqu’au 13 mars pour faire appel de cette décision validant l’alourdissement de leur fiscalité et il va de soi que nous suivons attentivement ce contentieux.

Compte tenu des rentabilités qui sont projetées d’ici à la fin des concessions et à nos besoins en termes de décarbonation, nous continuons de réfléchir aux meilleures manières d’associer ces sociétés à l’effort collectif.

Monsieur le sénateur, le rapport de la commission d’enquête insistait sur le fait qu’une meilleure contribution de ces sociétés devait être mise en place, mais vous indiquiez aussi que la renationalisation n’était pas la solution en raison des montants en jeu. Je veux saluer cette analyse.

Pour finir, je veux vous dire que nous sommes tout à fait prêts, quand cette phase contentieuse sera terminée, à travailler avec vous sur ces sujets, en particulier sur les conditions financières de la fin des concessions. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour la réplique.

M. Vincent Delahaye. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre, mais je dois avouer que vous ne m’avez pas appris pas grand-chose…

Surtout, vous ne répondez pas à mes questions – malheureusement !

Je voulais savoir quand nous allions pouvoir travailler ensemble sur l’équilibre économique et financier de ces contrats de concession.

Je voulais également savoir quel effort a été réellement demandé à Vinci et pourquoi rien n’a été demandé à Eiffage. Comme d’habitude sur ce sujet, il n’y a pas de transparence ; c’est un point sur lequel nous avions beaucoup insisté dans notre rapport.

Le Sénat est garant de la défense de l’intérêt général ; c’est pourquoi nous continuerons de travailler sur la question des concessions autoroutières. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et SER. – M. Michel Dagbert applaudit également.)

concessions autoroutières (ii)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, le groupe CRCE apporte également tout son soutien aux populations de Turquie et de Syrie.

J’en viens à ma question. Les tarifs autoroutiers viennent d’augmenter de 4,75 %, alors que les profits des concessionnaires explosent. Depuis la privatisation, c’est le même constat : profits démesurés, péages toujours plus chers !

En revanche, ce qui est nouveau, c’est que désormais, au sein même de Bercy, ce constat interroge et même, d’une certaine façon, scandalise. La presse s’est ainsi fait l’écho d’un rapport de 2021 très instructif de l’inspection générale des finances. Il explique que ces entreprises ont une rentabilité très supérieure à celle qui était attendue et que cette rentabilité va à l’encontre du principe de rémunération raisonnable au point que ses auteurs demandent à l’État de réagir, notamment en dénonçant les conventions – ils estiment d’ailleurs que cette position est juridiquement fondée.

Les sommes en cause permettraient une réduction de près de 60 % des péages ou un prélèvement allant jusqu’à 55,4 milliards d’euros pour l’État – une paille !

L’Autorité de régulation des transports a beau contester la surrentabilité, elle constate néanmoins une hausse des bénéfices de 47 % en 2021. Un rapport sénatorial pointait déjà en 2020 « la rentabilité hors normes » de ces sociétés.

L’État ne peut plus faire l’autruche chaque fois que les parlementaires demandent des comptes ou proposent la renationalisation des autoroutes – c’est la position que défend notre groupe.

Monsieur le ministre, comment justifiez-vous que l’État ne fasse pas tout pour faire baisser les péages et mettre fin aux concessions actuelles ? Êtes-vous prêt à travailler avec le Parlement sur l’hypothèse d’une renationalisation ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Avant de répondre à Mme la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann, je voudrais compléter en quelques mots ma réponse à M. Delahaye : le Gouvernement est prêt à travailler avec vous, monsieur le sénateur, sur l’avenir des concessions et la manière dont il convient d’en préparer la sortie, quand nous aurons clos la phase contentieuse que j’évoquais tout à l’heure, donc certainement après le mois de mars prochain.

Madame la sénatrice, le Gouvernement est-il prêt à travailler à la perspective de la renationalisation des autoroutes ? Ma réponse est la même que celle que la Haute Assemblée a apportée à la proposition de loi déposée par votre groupe : non. (Ah ! sur les travées du groupe CRCE.)

La renationalisation, c’est 50 milliards d’euros ! Or nous avons la conviction que nous devons utiliser cette somme non pas au service de la route, mais plutôt au service de la décarbonation des transports – reports fluviaux, investissements dans le ferroviaire, etc.

Dépenser de l’argent pour racheter les autoroutes irait à l’encontre de la transition écologique et se traduirait à la fin par une mauvaise allocation des ressources publiques.

M. Fabien Gay. Et les dividendes ?

M. Christophe Béchu, ministre. Je vous signale d’ailleurs que le fameux rapport sénatorial que vous avez vous-même cité, madame la sénatrice, a justement abouti à la conclusion que la renationalisation était une fausse bonne idée, une mauvaise piste. (Brouhaha sur les travées du groupe CRCE.)

La véritable question est de savoir comment augmenter la contribution des sociétés d’autoroutes. C’est dans cette voie que nous nous sommes engagés dans le cadre de la loi de finances pour 2020, en indexant sur l’inflation la taxe d’aménagement du territoire. Je rappelle aussi, de ce point de vue, la victoire juridique que nous avons enregistrée au début du mois de janvier et dont j’ai déjà parlé.

Nous continuons à travailler dans ce sens avec le même objectif : financer via la route une partie du report modal. D’ailleurs, nos réflexions sur l’équilibre général des contrats de concession doivent intégrer la question de la décarbonation, y compris celle des transports routiers, qui nécessite d’importants engagements.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Il n’y a pas que des dépenses ; il y a aussi des recettes !

projet d’un inflation reduction act européen

M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Alain Richard. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Nous sommes face à un grand défi pour la France : accélérer l’innovation et la décarbonation de nos industries.

Au même moment, la loi Inflation Reduction Act a commencé à s’appliquer aux États-Unis, justement en faveur des industries et de la décarbonation, mais avec un double risque : des subventions massives attribuées de façon discriminatoire contre les vendeurs européens et une attraction potentielle des investisseurs européens vers le territoire des États-Unis.

Vous avez récemment effectué, en compagnie de votre collègue allemand, M. Habeck, une visite aux États-Unis pour dialoguer avec les autorités américaines et rétablir une concurrence normale.

En outre, le travail se poursuit à Bruxelles – j’espère qu’il va se conclure – entre la Commission européenne et les gouvernements des États membres pour enclencher un plan européen de soutien à nos industries en mutation vers le zéro carbone.

Quel bilan tirez-vous de vos discussions avec les autorités de Washington ? Quel aboutissement pensez-vous obtenir très prochainement en faveur d’un réarmement industriel européen ? Il s’agit, je le rappelle, de traiter de façon dynamique deux sujets bien connus entre Européens : les règles de concurrence interne et les aides d’État. Il reste un sérieux effort de convergence entre Européens à fournir d’ici au sommet prévu demain et après-demain, si nous voulons aboutir. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Monsieur le sénateur Alain Richard, je tire trois conclusions simples de ce déplacement à Washington.

La première conclusion, cela ne vous surprendra pas, c’est l’efficacité du couple franco-allemand et l’alignement entre l’Allemagne et la France sur la nécessité d’accélérer nos investissements en matière de décarbonation industrielle et d’industrie verte.

De ce point de vue, et à la suite du conseil des ministres franco-allemand tenu sous la présidence du Président de la République et du chancelier Olaf Scholz, le signal que mon homologue allemand, Robert Habeck, et moi-même avons envoyé est celui d’une coopération étroite.

La deuxième conclusion, c’est que nos alliés américains sont prêts à des ouvertures. Ils en ont d’ailleurs fait pendant notre déplacement.

Ainsi, ils sont prêts à des ouvertures pour inclure un certain nombre de biens industriels européens : les voitures électriques dans le cadre du leasing et des véhicules commerciaux, ainsi que les batteries électriques et leurs composants – l’accord sur ces produits n’est pas encore définitif, mais nous poussons, avec la Commission européenne, pour l’obtenir.

Ensuite, ils sont prêts à une transparence totale sur le montant des subventions et des aides, ce qui est indispensable pour garantir une concurrence équitable, et ils sont prêts à ce que nous préservions nos investissements stratégiques.

La troisième conclusion, la plus importante, c’est que l’Europe doit aller au bout de la révolution stratégique qui a été portée par le Président de la République et la France en faveur d’une indépendance et d’une souveraineté totales.

De ce point de vue, les propositions de la Commission européenne vont dans le bon sens : simplification des aides, possibilité de mettre en place des crédits d’impôt pour soutenir l’industrie verte, soutien à la production, sur notre territoire, d’hydrogène, de batteries électriques et de semi-conducteurs, etc. Une clause d’alignement doit nous permettre de rivaliser à armes égales avec les États-Unis.

Je souhaite que, au prochain Conseil européen – c’est la position que défendra le Président de la République –, nous puissions mettre en œuvre sans délai le projet de la Commission européenne de façon à ce que nous soyons capables d’accélérer la réindustrialisation de l’Europe et la décarbonation de notre industrie. Il y va de notre souveraineté et de notre indépendance.

Il existe encore – vous l’avez dit – des divergences de vues entre Européens. Il faut les surmonter : c’est la condition pour que l’Europe continue de jouer les premiers rôles en matière industrielle au XXIe siècle. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

réforme des retraites (i)

M. le président. La parole est à M. Yan Chantrel, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Yan Chantrel. Madame la Première ministre, elle s’appelle Véronique, elle a 53 ans, je l’ai rencontrée hier lors de la manifestation contre la réforme des retraites à Paris. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

Après deux années d’apprentissage en charcuterie, Véronique a commencé à travailler à l’âge de 16 ans. Pendant de longues années, elle a trimé sur les marchés, dans le froid de l’hiver, parfois jusqu’à –12 degrés, en soulevant de lourdes charges, si bien qu’à seulement 33 ans elle a dû se faire opérer de la colonne vertébrale.

Malgré cette vie de labeur, malgré la pénibilité de son travail, avec les arrêts maladie et les périodes de chômage, Véronique ne pourra partir à la retraite qu’après avoir cotisé 44 années ! (Mme la Première ministre le conteste.) C’est plus que vous et moi, qui ne subissons pas la pénibilité physique de son travail. Où est la justice ?

Votre réforme des retraites n’en est pas une, c’est un exercice de rééquilibrage financier après que vous avez grevé le budget de l’État par des cadeaux fiscaux aux grandes entreprises : suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), mise en place d’une flat tax. Ces cadeaux aux grandes entreprises, c’est à toutes les Véronique de France que vous en faites payer la facture !

Aujourd’hui même, on apprend que l’entreprise Total a réalisé en 2022 des profits record : 19,1 milliards d’euros ! C’est plus que les 13,5 milliards d’euros de déficit que vous prévoyez pour le système de retraites à l’horizon de 2030.

Alors, madame la Première ministre, quand allez-vous taxer ces superprofits ?

Quand allez-vous écouter les centaines de milliers de Françaises et de Français qui étaient hier dans la rue pour dire non à la retraite à 64 ans ? Quand allez-vous retirer ce projet injuste et brutal ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement.

M. Olivier Véran, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement. Je vous remercie de cette question, monsieur le sénateur.

Vous nous avez dit que Véronique avait 53 ans et qu’elle avait commencé à travailler à l’âge de 16 ans. Il faudrait savoir si elle a commencé un peu avant 16 ans ou à 16 ans exactement, mais vous pouvez déjà lui dire qu’elle ne partira ni à 64 ans ni à 62 ans, monsieur le sénateur, mais au plus tard à 60 ans, éventuellement même à 58 ans, si elle a commencé un peu plus tôt. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Vous verrez, monsieur le sénateur, que par rapport à la situation actuelle il n’est pas impossible que sa situation personnelle s’en trouve améliorée !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Eh oui !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Alors, tout va bien !

M. Olivier Véran, ministre délégué. Monsieur le sénateur, vous parlez de Véronique comme étant exposée à des températures extrêmes. Vous la décrivez comme étant exposée au port de charges très lourdes. Bref, vous parlez de critères de pénibilité.

Or, en matière de pénibilité, le projet de loi que vous aurez bientôt à examiner et que – je l’espère – vous voterez (Exclamations sur les travées du groupe SER.) est porteur d’avancées sociales (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.) comme il n’y en a pas eu dans les précédents textes, y compris celui que j’ai été amené à voter lorsque j’étais député socialiste.

À l’époque, la gauche de gouvernement ne reniait pas les fondamentaux qui étaient les siens (Mêmes mouvements.), à savoir être capable de prendre des décisions, même difficiles, quand il fallait conforter notre modèle social, et être capable de prendre des décisions favorables à l’emploi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Olivier Cadic applaudit également.)

Cette gauche que j’ai connue et que j’ai quittée – je dois vous dire que je n’en ai pas de regret aujourd’hui –… (Brouhaha sur les travées du groupe SER.)

M. Éric Kerrouche. Nous non plus ! (Rires.)

M. Olivier Véran, ministre délégué. … était capable de s’enthousiasmer, lorsque des entreprises créaient de la richesse et de l’emploi dans le pays.

Nous célébrions l’idée qu’un jour nous puissions inverser la courbe du chômage. Il est vrai, monsieur le sénateur, qu’il a fallu attendre 2017 pour que cette fameuse courbe s’inverse. Cela vous peine peut-être à titre personnel, mais, comme vous servez, j’en suis sûr, l’intérêt général, vous devriez avec notre majorité vous en réjouir ! (La voix de M. le ministre délégué est couverte par les exclamations.)

Enfin, monsieur le sénateur, ne me dites pas que vous confondez sciemment le bénéfice mondial d’un groupe international avec le financement d’un régime de retraite déficitaire du fait de la démographie. (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

M. Patrick Kanner. Il y a des symboles !

M. Olivier Véran, ministre délégué. Vous ne me ferez pas prendre des vessies pour des lanternes : vous savez très bien que vous mélangez des carottes et des pommes de terre, que vous êtes en train de faire une bouillie. Le groupe TotalEnergies fait 20 milliards d’euros de bénéfice dans le monde, dont 500 millions en France.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur le ministre délégué.

M. Olivier Véran, ministre délégué. Sur ces 500 millions, 200 millions iront dans les caisses de l’État grâce à la taxe que nous avons mise en place. Il restera 300 millions à TotalEnergies pour faire un effort sur le prix des carburants au bénéfice des Français – cela ira dans le bon sens ! (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Yan Chantrel, pour la réplique.

M. Yan Chantrel. Monsieur le ministre, nous n’avons pas de leçon à recevoir d’une personne qui a avoué avoir voté pour Nicolas Sarkozy en 2007 ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Qui plus est, je tiens à rappeler que la première mesure prise par M. Emmanuel Macron, lorsqu’il a été élu président, a été de supprimer des critères de pénibilité. Nous n’avons donc vraiment aucune leçon à recevoir de votre part ! (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)

Plutôt que de taxer la vie des gens, ayez le courage de revenir sur les exonérations de cotisations patronales qui sont inefficaces et coûteuses, de contraindre les entreprises à améliorer leur taux d’emploi des seniors et surtout de taxer les superprofits – taxez-les et on pourra financer les retraites ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes CRCE et GEST.)

difficultés d’application de certains dispositifs de transition écologique

M. le président. La parole est à M. Éric Gold, pour le groupe du Rassemblement démocratique et social européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Éric Gold. Après l’adoption définitive, hier, du projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, je souhaite alerter, une nouvelle fois, le Gouvernement sur les dysfonctionnements de certains dispositifs de transition écologique. Une nouvelle fois, car je l’avais déjà interpellé sur ce sujet en novembre dernier.

Certes, chaque collectivité, entreprise, citoyen, est acteur du changement climatique, mais l’État, par sa puissance d’impulsion et d’action, a un rôle primordial à jouer.

Aussi, il est d’autant plus dommageable de constater que des dysfonctionnements majeurs subsistent, notamment dans l’application du dispositif MaPrimeRénov’.

Je ne compte plus les alertes reçues à ce sujet – et je sais qu’il en est de même pour bon nombre de mes collègues – de la part de particuliers, d’artisans, mais aussi de maires qui font remonter les inquiétudes de leurs administrés.

Trois éléments principaux sont en cause.

D’abord, la complexité du dispositif et du site internet, y compris pour des personnes qui sont à l’aise avec l’outil informatique. Imaginez alors comment les choses peuvent se passer pour les 14 millions de Français qui souffrent d’illectronisme !

Ensuite, les délais, qui peuvent atteindre plusieurs mois, pour recevoir une subvention parfois très en deçà de ce qui avait été annoncé. Nous avons tous été sensibilisés par des particuliers qui avaient reçu des sommes bien inférieures à celles qui leur avaient été promises, et ont ainsi été dans l’obligation d’emprunter pour compenser la différence.

Enfin, les entreprises attendent parfois le versement de la prime pour faire payer le client, ce qui les met, elles aussi, dans une situation délicate. La Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) indique même que certaines entreprises se trouvent confrontées à des négociations difficiles avec les banques et qu’elles sont même amenées dans certains cas à procéder à des licenciements. Or, sans ces entreprises, l’ambition du Gouvernement en matière de transition énergétique est vaine.

Aussi, j’aimerais connaître les actions engagées pour améliorer le dispositif et le rendre, enfin, pleinement opérationnel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur Gold, j’associe à la réponse que je m’apprête à vous faire les deux autres membres du Gouvernement avec lesquels je travaille étroitement sur ce dossier, Agnès Pannier-Runacher et Olivier Klein.

Chaque semaine, 25 000 dossiers sont traités en moyenne par l’Agence nationale de l’habitat (Anah). Depuis le lancement de MaPrimeRénov’, plus de 1,5 million de dossiers ont été accompagnés.

Compte tenu de cette masse de dossiers, il existe naturellement des axes d’amélioration, mais, avant de vous répondre sur ce sujet, je tiens à dire que beaucoup de trains arrivent à l’heure – on en entend peu parler… (M. Jérôme Bascher sexclame.)

Quand la Défenseure des droits s’est penchée sur cette question, elle a conclu qu’environ 2 % des dossiers posaient problème. Or il arrive assez régulièrement que des dispositifs publics, que ce soit à l’échelon national ou local, aient des pourcentages de ce type plus élevés…

Néanmoins, nous devons répondre à deux enjeux pour MaPrimeRénov’ : rendre le dispositif plus efficace et plus fluide. Nous travaillons de ce point de vue sur plusieurs pistes.

En ce qui concerne l’efficacité, nous mettrons en place, à partir du 1er septembre prochain, Mon Accompagnateur Rénov’, qui devrait faciliter l’accès au dispositif. Nous voulons aussi tendre vers un reste à charge zéro pour les Français les plus modestes, ce qui devrait inclure une partie des personnes concernées par l’illectronisme.

En ce qui concerne la durée de traitement des dossiers, nous devons éviter qu’une simplification extrême du dispositif ne se traduise par des fraudes, des abus, des effets de bord – je pense que personne ici ne le souhaite –, et nous devons mieux associer les artisans – vous avez eu raison d’évoquer ce point, monsieur le sénateur. Les artisans doivent être pleinement acteurs du dispositif, ce qui suppose de raccourcir les délais.

En moyenne, les délais sont de cinq semaines : deux pour la demande de subvention et trois pour le paiement. Nous devons traiter en priorité les dossiers qui s’écartent de cette moyenne. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Éric Gold, pour la réplique.

M. Éric Gold. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre, mais je vous assure que ce problème touche nombre de nos concitoyens, souvent – malheureusement ! – les plus fragiles. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

réforme des retraites (ii)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Guillaume Gontard. Madame la Première ministre, lors de ses vœux, en 2021, le Président de la République louait les première, deuxième et troisième lignes qui avaient tenu notre pays durant la pandémie. Parmi ces engagés, ces solidaires, se cachent votre sœur, votre voisin, vos amis, des milliers d’anonymes, nous disait-il.

Marie, infirmière, Fouad, animateur, Rosalie, vendeuse, Thibaud, agent d’entretien, Florence, auxiliaire de vie, etc. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) : ces héros de notre République étaient hier dans la rue, ils y seront samedi et les jours suivants, ils ne lâcheront pas !

Ils ne lâcheront pas, car ils ne comprennent pas votre acharnement à leur prendre deux années de leur vie. (Mêmes mouvements.)

Ils ne lâcheront pas, car ils ne comprennent pas vos contradictions.

Ils ne lâcheront pas, car ils ne comprennent pas le sens de votre obstination.

Et je l’avoue, madame la Première ministre, je ne vous comprends pas non plus : rien de tout cela ne vous ressemble.

Vous nous disiez lors de votre déclaration de politique générale : « Les Français ont élu une Assemblée sans majorité absolue. Ils nous invitent à des pratiques nouvelles, à un dialogue soutenu et à la recherche active de compromis. »

Les pratiques nouvelles ? Le 47-1 ! Le dialogue ? Le 49.3 ! Les compromis ? « C’est non négociable » ! En résumé : déni, mépris !

Madame la Première ministre, vous savez que l’on ne gouverne pas contre le peuple.

Cessez d’appliquer une consigne que vous savez absurde, cessez de vouloir passer en force, cessez d’ignorer les syndicats, les parlementaires et le peuple, cessez d’ignorer une société qui change !

Marie, Fouad, Rosalie, sont fatigués, mais ils ne lâcheront pas.

Ils ne lâcheront pas, parce que leur combat est juste – et vous le savez.

Une seule question les taraude : quand ? Quand allez-vous retirer ce projet de loi aussi inutile qu’injuste ? (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)

M. le président. La parole est à Mme la Première ministre.

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Monsieur le sénateur Guillaume Gontard, une fois de plus, vous avez multiplié les phrases définitives et les caricatures… (Exclamations sur les travées des groupes GEST et CRCE.)

Alors, une fois de plus, dans un esprit de responsabilité, je veux vous rappeler les faits : le nombre de personnes qui travaillent et qui cotisent diminue…

M. Pierre Laurent. Et les exonérations de cotisations ?

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. … par rapport au nombre de retraités.

Dès lors, si nous ne faisons rien, les déficits vont se creuser, menaçant la pérennité de notre système de retraite par répartition. (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE.)

La question qui se pose au sujet de cette réforme est la suivante : voulons-nous, oui ou non, conserver notre système de retraite par répartition ? (Oui ! sur des travées du groupe SER.)

M. Fabien Gay. Vous étiez pour la retraite à points !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Pour y parvenir, il est vrai que nous demandons un effort aux Français. C’est le seul chemin pour assurer l’équilibre de nos retraites. (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE.)

Ce chemin, le Sénat ne le découvre pas. Il y a en effet de réelles convergences entre notre projet et les travaux de votre assemblée, illustrées par votre adoption répétée, depuis plusieurs années, d’amendements tendant à reporter à 64 ans l’âge légal de départ à la retraite. (Exclamations sur les travées du groupe SER, où lon pointe lautre côté de lhémicycle.)

M. Patrick Kanner. Ce n’est pas nous !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. En revanche, monsieur le président Gontard, je mesure parfaitement ce que travailler plus longtemps représente pour beaucoup de Français. C’est pourquoi nous avons mené, pendant plusieurs semaines, des concertations avec les organisations syndicales et patronales, ainsi qu’avec les groupes parlementaires. (Exclamations sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)

Mme Monique Lubin. Pour quel résultat ?

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Je le redis : aux termes de notre projet, quatre Français sur dix – ceux qui ont commencé à travailler tôt, ceux qui exercent des métiers pénibles – n’auront pas à travailler jusqu’à 64 ans.

Alors, je ne doute pas que Fouad, Marie et Rosalie font partie de ces Français qui n’auront pas à travailler jusqu’à 64 ans.

Or que proposez-vous à ces Français, monsieur Gontard ? Proposez-vous une baisse drastique des pensions, fruits d’une vie de travail ? (Exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE.) Ou bien proposez-vous une augmentation des impôts et des cotisations, ce qui conduirait inéluctablement à une baisse du pouvoir d’achat et à une hausse du chômage ! (Mêmes mouvements.)

M. Pascal Savoldelli. Et l’égalité salariale ?

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Alors, monsieur Gontard, vous vous trompez de cible, car les plus riches auront toujours une retraite, même sans notre réforme. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.) En revanche, pour les classes moyennes, pour les plus modestes, ce serait plus de chômage et moins de pouvoir d’achat. Ce que nous proposons, c’est le plein emploi et de meilleures retraites !

Monsieur Gontard, je l’ai dit et je le répète : notre projet n’est pas figé, il a d’ailleurs déjà évolué, grâce aux concertations menées avec les organisations syndicales et patronales, avec les groupes parlementaires… (Huées sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)

M. Pascal Savoldelli. Quel mensonge !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Il évoluera et s’enrichira encore grâce au débat parlementaire.

Certes, je sais que la dirigeante de votre parti a appelé à faire du Parlement une « zone à défendre », une ZAD, mais j’ai confiance dans la responsabilité de chacun pour offrir aux Français un débat de bonne tenue, un débat d’idées, un débat respectueux. Je ne doute pas que le Sénat y sera particulièrement attentif. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour la réplique.

M. Guillaume Gontard. Madame la Première ministre, tout d’abord, ce sont nos retraites qui sont une zone à défendre ! Oui, il y a d’autres solutions ! Il suffit d’écouter, d’écouter les syndicats, d’écouter les parlementaires. Il suffit de regarder… (Exclamations sur les travées du groupe LeRépublicains.)

De grâce, ne nous dites pas aujourd’hui qu’il n’y a pas d’argent dans notre pays, que ce n’est pas possible aujourd’hui. Oui, on peut taxer le capital et les dividendes ! Oui, il y a d’autres possibilités ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)

fermetures de classes dans les zones rurales (i)

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Joël Guerriau. Monsieur le ministre, l’éducation nationale vient d’informer de nombreux maires ruraux de projets de fermeture de classes, sans qu’ils aient été préalablement consultés. À titre d’exemple, en Loire-Atlantique, 29 communes rurales ont une épée de Damoclès au-dessus du toit de leur école.

Les écoles rurales sont le théâtre d’un drame qui se joue année après année. Les fermetures de classes pénalisent les familles, obligées de réaliser de plus longs trajets. Elles privent les petites communes d’un élément central de leur vitalité et de leur attractivité.

Le Président de la République avait assuré, en 2019, qu’aucune classe ne fermerait sans l’accord du maire de la commune. Récemment, votre ministère s’est engagé à mieux prendre en compte les contraintes territoriales.

La méthode actuelle de gestion de la carte scolaire n’est pas adaptée aux réalités du monde rural. Les décisions d’ouverture ou de fermeture de classes ne sont-elles pas prises, chaque année, un peu trop tôt pour la rentrée suivante ?

Il est regrettable de ne pas se projeter à moyen terme, alors que de petites communes consentent de lourds investissements financiers pour mettre aux normes des locaux scolaires. Les élus naviguent à vue et ont le sentiment que le nombre de professeurs disponibles joue le rôle de variable d’ajustement.

Enfin, le système actuel pâtit d’effets de seuil. Il suffit d’un élève manquant pour fermer une classe ; il en faut bien plus pour en ouvrir une. Au-delà d’une logique purement comptable, liée à la baisse démographique, nos petites collectivités ont besoin de leurs écoles.

Dès lors, monsieur le ministre, comment comptez-vous aider nos communes rurales, tout en prenant en considération le point de vue de leurs maires ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

M. Pap Ndiaye, ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Guerriau, votre question s’inscrit dans un contexte démographique général, celui d’une baisse accélérée des effectifs scolaires : il y aura 500 000 élèves de moins dans les cinq années à venir, entre 90 000 et 100 000 de moins dès la rentrée 2023.

Cette situation est certes regrettable ; elle conduit à des ajustements. Le travail complexe qui est mené actuellement aboutira, en août prochain, à une stabilisation de la carte scolaire pour la rentrée 2023. Notre ligne directrice est très simple : nous nous adaptons aux réalités démographiques nationales, régionales et locales, tout en accordant une considération particulière à la situation des territoires ruraux.

Dans votre département de Loire-Atlantique, entre les rentrées scolaires de 2017 et de 2022, on a compté près de 2 500 élèves en moins, mais 326 postes d’enseignants ont été créés. À la rentrée 2023, on y comptera encore 743 élèves de moins.

Par ailleurs, dans la répartition des moyens au sein de ce département, les territoires ruraux font l’objet d’une attention soutenue. Sur les 33 écoles situées dans les communes les plus rurales, les plus éloignées, le nombre moyen d’élèves par classe est de 19, soit un nombre inférieur à la moyenne du département, qui est de 22,5. À ce stade, ces 33 communes rurales sont concernées par neuf fermetures de classes, mais également par quatre ouvertures.

Ce projet de carte scolaire, qui sera arrêté d’ici à la prochaine rentrée scolaire, fait l’objet d’ajustements qui ne sont pas clos : une première étape se tiendra en février, une deuxième en juin et une troisième en août ; je suis à votre disposition pour en reparler. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour la réplique.

M. Joël Guerriau. Merci de votre réponse, monsieur le ministre.

Je veux appeler votre attention sur la différence entre, d’une part, la logique à moyen terme qui s’exprime dans l’investissement consenti, en dépit de moyens très limités, par les petites communes rurales pour rénover, agrandir et sécuriser leurs écoles et, d’autre part, la logique annuelle selon laquelle on élabore un plan d’effectifs pouvant conduire à la fermeture d’une classe qu’il conviendrait de rouvrir l’année suivante ; pourtant, pour une telle réouverture, on exige beaucoup plus d’élèves que dans le cas de la fermeture.

Telle est ma préoccupation centrale, monsieur le ministre, et je vous remercie de bien vouloir entendre les maires ruraux, qui sont très inquiets à ce sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

dispositif « zéro artificialisation nette »

M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sophie Primas. Je veux d’abord, au nom de Bruno Retailleau et de l’ensemble de notre groupe, exprimer de nouveau ici notre solidarité pleine et entière avec les populations de Turquie et de Syrie ; nous exprimons également notre reconnaissance vis-à-vis des secouristes français partis en soutien. C’est bien sûr notre devoir, mais c’est aussi notre honneur !

Mesdames, messieurs les ministres, vous avez tous une feuille de route et de grands objectifs à atteindre : pour vous, monsieur Le Maire, la réindustrialisation et de belles gigafactories ; pour vous, monsieur Fesneau, la souveraineté alimentaire et la sauvegarde de nos terres agricoles ; pour vous, monsieur Beaune, de nouvelles lignes à grande vitesse, des pistes cyclables, le canal Seine-Nord et d’autres projets encore ; pour vous, madame Couillard, la sauvegarde de la biodiversité et, naturellement, la protection des espaces naturels ; pour vous, monsieur Klein, les très ambitieux 400 000 logements supplémentaires par an ; pour vous, madame Pannier-Runacher, l’accélération des installations d’énergies renouvelables et de centrales nucléaires ; pour vous, monsieur le garde des sceaux, la construction de nouvelles prisons, ce qui est excellent ; enfin, pour vous, monsieur Béchu, le challenge de répondre aux conclusions de la modérément inspirée Convention citoyenne pour le climat et l’atteinte du fameux « zéro artificialisation nette ».

Toutefois, mesdames, messieurs les ministres, vous rendez-vous compte qu’au bout de vos priorités élaborées en silo se trouvent ceux qui doivent appliquer tout cela, en même temps, sur leur territoire, à savoir les élus locaux ?

Sur les maires, des priorités qui sont toutes prioritaires et des injonctions qui sont toutes contradictoires tombent comme à Gravelotte… (Rires et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Franck Menonville applaudit également.) S’ils ne les exécutent pas toutes, ils sont sanctionnés !

Aucune planification territoriale n’est désormais possible tant les priorités sont nombreuses !

Gouverner, c’est prévoir, c’est choisir ses priorités, c’est donner un cap ; alors, madame la Première ministre – car c’est à vous que je pose cette question –, je voudrais savoir une chose : dans l’exécution des politiques publiques, quelles sont vos priorités ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, RDSE et INDEP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. (Huées sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Mesdames, messieurs les sénateurs, je comprends votre déception… (Mêmes mouvements.)

M. Jean-François Husson. Sors de ton silo !

M. Christophe Béchu, ministre. Je vais néanmoins tâcher de satisfaire aux exigences de Mme Primas, qui vient de résumer la feuille de route qu’Élisabeth Borne nous a donnée ; il aurait donc été contradictoire que Mme la Première ministre vous réponde, madame la sénatrice, en rappelant précisément la manière dont tout cela doit se faire dans le respect de la planification écologique, tâche qui, par ailleurs, lui a été confiée par le Président de la République. (Murmures persistants sur les travées du groupe Les Républicains.)

Je vous répondrai d’abord que, parmi ces injonctions contradictoires, il y a ce qui relève du Gouvernement, mais aussi ce que la représentation nationale a pu décider, à une écrasante majorité dans cet hémicycle, en juin 2021, en votant la loi Climat et résilience, qui contient les dispositions relatives à l’objectif de zéro artificialisation nette.

M. Marc-Philippe Daubresse. Le problème, c’est le décret !

M. Christophe Béchu, ministre. Les échanges que nous avons sur ce sujet, de manière intense, portent à la fois sur la réécriture des décrets – elle est actée (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.), elle interviendra le mois prochain – et sur certains points d’ordre législatif, qui ont d’ailleurs été mis en lumière par la proposition de loi déposée sur ce sujet par Valérie Létard et Jean-Baptiste Blanc. S’il n’y avait pas à corriger la loi que vous avez votée, nous ne serions pas en train d’avoir cette discussion ici !

Ainsi, il n’était pas prévu, dans la loi telle qu’elle a été votée par le Parlement, de compter à part les grands projets d’envergure nationale ; il n’était pas prévu, dans la loi telle qu’elle a été votée par le Parlement, de mettre en place une garantie rurale pour tenir compte des besoins qui peuvent s’exprimer en milieu rural ; il n’était pas prévu, dans la loi telle qu’elle a été votée par le Parlement, de considérer le solde.

Il y a des enjeux sectoriels très concrets qui ne sauraient être résolus par la poursuite de l’artificialisation au rythme que nous connaissons. Ce serait gager l’avenir que de prétendre que, au nom des feuilles de route sectorielles, nous devrions continuer à grignoter nos espaces agricoles et naturels. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sophie Primas. Ce n’est pas ma question !

M. Christophe Béchu, ministre. Si vous demandez comment, précisément, l’on va s’y prendre pour développer des projets tout en tenant compte de l’enjeu de l’artificialisation,…

M. Marc-Philippe Daubresse. Vous verrez la crise du logement !

M. Christophe Béchu, ministre. … alors, vous recevrez la réponse dans quelques jours, quand le texte défendu par une large majorité de votre assemblée permettra d’engager le dialogue autour de points au sujet desquels Mme la Première ministre a déjà indiqué, lors du Congrès des maires, le 24 novembre dernier, que nous étions prêts à bouger et sur lesquels je travaille à l’heure actuelle avec Valérie Létard et Jean-Baptiste Blanc, avant ce rendez-vous que nous aurons dans cet hémicycle au mois de mars. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

fermetures de classes dans les zones rurales (ii)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Boyer, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Marc Boyer. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

Monsieur le ministre, sur la suppression de centaines de classes en milieu rural, vous avez répondu par des chiffres : diminution du nombre d’élèves, taux d’encadrement, ratios… En même temps, vous fixiez comme priorité l’amélioration des conditions d’enseignement et d’encadrement. En même temps, le candidat Macron – aujourd’hui Président de la République – déclarait : « Il n’y aura plus de fermeture de classe sans l’aval du maire. »

M. Hervé Berville, secrétaire dÉtat auprès de la Première ministre, chargé de la mer. Non, de fermeture d’école ! Cela n’a rien à voir !

M. Jean-Marc Boyer. Pourtant, monsieur le ministre, la réalité est tout autre : les critères que vous appliquez accélèrent la fermeture de classes et d’écoles rurales, avec la suppression de 2 000 postes ! En même temps, le soutien à la ruralité est affiché comme une priorité par les ministres Dominique Faure et Christophe Béchu…

Les maires des territoires demandent que se tienne la concertation promise depuis plusieurs mois, mais aussi que soient prises en considération les contraintes territoriales, par la définition d’un indice d’éloignement, ainsi que la spécificité des classes multi-âges.

Pourquoi, alors que vous poursuivez le dédoublement des classes en zone sensible prioritaire, le monde rural devrait-il payer le tribut d’une approche comptable déséquilibrée ?

L’école rurale est une chance pour nos enfants, car elle conjugue proximité et qualité de l’enseignement.

Nos petites communes rurales sont, elles aussi, des zones sensibles prioritaires qui devraient, elles aussi, bénéficier du dédoublement des classes.

M. Jean-Marc Boyer. C’est pourquoi, monsieur le ministre, je vous demande un moratoire sur la fermeture de classes et d’écoles en milieu rural. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Anne-Catherine Loisier et MM. Joël Guerriau et Claude Kern applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

M. Pap Ndiaye, ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Boyer, depuis la rentrée 2019, conformément à l’engagement du Président de la République, aucune fermeture d’école ne peut intervenir sans l’accord du maire. Je dis bien « d’école » et non « de classe », ce n’est pas la même chose… (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Dans le contexte démographique général que j’ai évoqué à l’instant en réponse à M. Guerriau, votre département du Puy-de-Dôme va perdre 616 élèves à la rentrée 2023. Dès lors, si nous devions adopter une approche comptable, pour reprendre votre expression, on compterait 25 postes d’enseignants en moins à la rentrée 2023. Or, dans le Puy-de-Dôme, nous ne retirons que 9 postes d’enseignement, de sorte que le taux d’encadrement – le rapport entre les enseignants et les élèves – va s’améliorer.

Nous examinons très attentivement les 491 écoles de votre département, ce qui nous conduit à envisager la fermeture d’une trentaine de classes, mais aussi l’ouverture d’une vingtaine d’autres. En effet, quand nous évoquons les suppressions de classes, nous parlons également d’un solde, c’est-à-dire d’une différence entre les ouvertures et les fermetures.

Enfin, puisque vous mentionnez à juste titre la question de l’éloignement, question tout à fait cruciale dans les territoires ruraux, je vous rappellerai que nous avons créé les territoires éducatifs ruraux ; il y en a d’ailleurs un qui fonctionne très bien dans le Puy-de-Dôme, en associant collèges et écoles dans des dispositifs qui permettent d’avancer sur la question de la distanciation rurale. Nous travaillons aux modalités d’extension de cette expérimentation, qui est une forme parallèle, si j’ose dire, des solutions mises en œuvre dans les villes ; ainsi, on pourra faire de ces territoires éducatifs ruraux un point d’appui pour améliorer la situation de nos élèves. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Boyer, pour la réplique.

M. Jean-Marc Boyer. Monsieur le ministre, vos actions amplifient la fracture territoriale et suscitent la colère des maires et des citoyens qui subissent déjà les déserts médicaux, la fracture numérique, le zéro artificialisation nette (ZAN), dont on a parlé tout à l’heure, la défiguration de la France par les éoliennes (Protestations sur les travées du groupe GEST.), l’idée de La Poste de ne procéder à la tournée des facteurs qu’un jour sur deux, le transfert imposé de l’eau et de l’assainissement aux intercommunalités ou encore l’accessibilité insuffisante de nos territoires par le train et l’avion…

Je ne vous parle pas de chiffres, mais je vous parle d’élèves, d’humains ! Cessez ce mépris pour les habitants des territoires ruraux, cessez ce sacrifice de la ruralité sur l’autel des quotas et des normes ! Sinon, mesdames, messieurs les ministres, les « Gaulois réfractaires » risquent de se réveiller ! (Bravo ! et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

meublés de tourisme et parc locatif

M. le président. La parole est à M. Mickaël Vallet, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Mickaël Vallet. Monsieur le ministre chargé de la ville et du logement, les nouvelles plateformes numériques ont des effets parfois revitalisants sur l’économie la plus réelle, mais ces outils se révèlent parfois une menace profonde pour la cohésion républicaine. La puissance publique doit alors reprendre la main, fermement.

Ainsi, certaines villes touristiques font les frais d’une concurrence insupportable entre les logements classiques et les meublés de tourisme. Ne serait-ce qu’en Charente-Maritime, on constate, à Oléron, des abus énormes dénoncés par les élus concernant la collecte et le reversement des taxes de séjour ; à La Rochelle, le phénomène explose, avec, rien qu’en 2022, plus de 1 700 meublés de tourisme nouvellement déclarés qui évincent autant de travailleurs et d’étudiants en mal de logement.

La Rochelle a attaqué le mal à la racine, et ce dès 2019, en soumettant à autorisation préalable la mise sur le marché de meublés de tourisme, grâce à un numéro d’enregistrement unique, et en instaurant, pour les personnes physiques, un dispositif d’autorisation de changement d’usage temporaire des locaux destinés à l’habitation pour des locations de courte durée.

Cependant, aujourd’hui, ces mesures ne suffisent plus. La Rochelle a donc voulu aller plus loin en 2022, en élargissant son dispositif au changement d’usage permanent, ce qui permet de toucher aussi les personnes morales, notamment les sociétés civiles immobilières (SCI), en exigeant des mesures de compensation comme l’obligation de transformer un local en logement à l’année pour chaque logement de tourisme mis sur le marché, ou encore en favorisant la réservation des logements de petite taille par les étudiants ou jeunes actifs vivant seuls.

Malheureusement, cette agglomération, comme d’autres, se heurte à un cadre légal et réglementaire dont jouent parfaitement les utilisateurs de plateformes, ainsi qu’à l’appréciation négative par les juridictions de la proportionnalité des mesures mises en œuvre.

Pourtant, avoir un toit pour étudier ou travailler et pouvoir vivre près des siens est le premier élément d’insertion dans la communauté nationale.

Alors, monsieur le ministre, quelles mesures vous engagez-vous à proposer, avec le concours de ces collectivités volontaristes et du Parlement ? On ne peut plus laisser la « plateformisation » du logement miner le pacte républicain ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Sophie Primas ainsi que MM. Max Brisson et Pierre Ouzoulias applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur Vallet, mardi prochain, avec Olivier Klein et Dominique Faure, je recevrai toutes les associations d’élus pour discuter avec elles de la décentralisation du logement, au sens large.

Ensemble, conformément aux souhaits du Président de la République et de la Première ministre, nous pourrons débattre de plusieurs questions : nous examinerons si les zones tendues doivent continuer d’être déterminées à l’échelle nationale par les ministères, ou encore si des expérimentations telles que le « Pinel breton » peuvent être déclinées plus largement sur le territoire national.

M. Christophe Béchu, ministre. Nous aurons aussi des échanges sur la rénovation, nous chercherons à savoir si davantage de proximité ne permettrait pas, parfois, de mieux tenir compte des difficultés rencontrées, mais nous discuterons aussi, plus largement, des freins à la construction et de l’accompagnement de celles et de ceux qui rencontrent des difficultés pour se loger.

Au milieu de tout cela, évidemment, la question des plateformes sera posée. Vous savez que, aujourd’hui, en fonction de la façon dont une commune est classée, les instruments qui sont à la disposition de ses élus ne sont pas les mêmes. Certaines communes touristiques, telles que La Baule ou Bayonne, ont pris des réglementations particulièrement restrictives sur la base du droit existant, avec un succès réel ; d’autres cherchent le chemin qu’elles peuvent emprunter. Les outils juridiques existants offrent déjà beaucoup de capacité à agir, mais il subsiste sans doute quelques trous dans la raquette sur lesquels il convient d’être vigilant.

Cela étant dit, nous pensons que c’est avec les associations d’élus, en examinant les moyens qu’on pourrait leur donner à l’échelle locale, que l’on tiendra compte de l’hétérogénéité des situations. Là aussi, notre conviction est qu’il faut trouver un chemin qui s’appuie sur les territoires, en collaboration avec eux, parce que toutes les situations ne sont pas comparables.

Vous avez cité à cet égard, monsieur le sénateur, des exemples qui sont inspirants, mais qui méritent d’être déclinés en offrant aux élus les outils qui leur permettront d’agir au plus près du terrain. C’est très exactement le sens de cette première réunion que mes collègues ministres et moi-même aurons la semaine prochaine. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ça ne change rien !

directive européenne ayant des effets sur l’étiquetage des modes d’élevage des volailles

M. le président. La parole est à M. Vincent Segouin, pour le groupe Les Républicains.

M. Vincent Segouin. Monsieur le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, les labels de qualité de la volaille française, que nous connaissons tous, comme le « Label rouge » ou la mention « AB », vont-ils disparaître ?

Depuis des années, les filières avicoles françaises ont œuvré pour produire des volailles qui répondent aux normes de production, aux exigences du bien-être animal et aux attentes des consommateurs.

Ces normes, identifiées par un étiquetage clair et simple, ont permis à la production française de trouver une place sur le marché dans des conditions de concurrence équitables.

Mais voilà que la Commission européenne a décidé, à la fin de 2022, d’accorder à tous types d’élevage pleine liberté d’utiliser des labels sans fondement et sans aucun contrôle !

Nous risquons ainsi de voir apparaître des mentions fantaisistes, comme « poulet de plein vent » ou « poulet des champs », qui tromperont le consommateur.

Alors, monsieur le ministre, ma question est simple : quelle stratégie comptez-vous mettre en place pour sauver ces labels et nos filières avicoles ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

M. Marc Fesneau, ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur Segouin, merci de votre question, qui me permet d’exposer clairement devant vous la position de la France, qui a déjà été exprimée à plusieurs reprises par voie écrite et orale, et lors de conseils européens.

Vous avez raison, l’inquiétude règne quant à la réforme des normes de commercialisation qui a été lancée par la Commission européenne et soumise aux États membres, pour avis uniquement. Là est bien la difficulté, dans le travail que nous avons à accomplir avec la Commission. Dès le début de cette négociation, la France a indiqué son désaccord sur différents points, en particulier sur la révision des dispositions relatives aux mentions valorisantes, réservées ou facultatives, c’est-à-dire aux normes de commercialisation.

Vous avez très bien décrit les risques que fait courir ce projet de réforme. Le premier, c’est un risque de tromperie du consommateur, par l’introduction d’une notion trop vague pour que l’on puisse valoriser un certain nombre de nos productions. Le deuxième, c’est un risque pour nos filières, en particulier celles de plein air – Label rouge et autres – ; on court le danger de ne plus pouvoir les valoriser comme elles le sont en ce moment.

J’ai écrit au commissaire européen à l’agriculture et au développement rural, j’ai discuté avec lui ; nous travaillons avec la Commission pour que la proposition qui sera examinée le 22 février prochain par le comité d’experts soit telle que nous puissions continuer de respecter les règles qui ont été édictées dans les années 1990 et sont de nature à rassurer le consommateur, à lui donner une vision claire de ce qu’il achète, et qui permettent à nos producteurs de valoriser leur production dans des conditions satisfaisantes.

C’est bien ce qui est en jeu, dans votre département de l’Orne, où je sais que vous êtes très attaché à cette filière, comme dans tous les départements d’élevage de volaille. Nous continuons à travailler au maintien de ces mentions valorisantes, mais aussi, plus globalement, au soutien d’une filière qui est déjà – je le rappelle, mais vous le savez aussi bien que moi – en grand risque du fait de la crise sanitaire qu’elle traverse, en raison de l’influenza aviaire. Sur ce sujet aussi, nous sommes au chevet de ces filières, nous travaillons avec elles pour trouver des solutions de court et de long terme, grâce notamment à la vaccination. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Segouin, pour la réplique.

M. Vincent Segouin. Monsieur le ministre, au Sénat, nous saisissons toutes les occasions, sur le commerce extérieur, hier encore, ou sur la ferme France, pour vous alerter sur le déclin économique subi par la France du fait du poids des charges et des normes.

Vous nous répondez que les éleveurs français doivent monter en gamme pour trouver des marchés avec des marges plus élevées, selon les objectifs de la stratégie Farm to Fork ou du Green Deal. Le bilan de cette approche, c’est que, dans la filière avicole, la ferme France a perdu la bataille face aux importations pour la restauration collective ou les plats préparés.

Alors, il nous reste le poulet du dimanche, le poulet labélisé. Mais si vous ne défendez pas ces labels qui nous sont chers, tant pour les producteurs que pour les consommateurs, nous perdrons cette ultime bataille !

Nous constatons tous les jours que les normes et les surtranspositions s’appliquent aux agriculteurs français ; notre administration se développe toujours plus pour contrôler nos productions plutôt que les produits qui sont importés. En conséquence, nos fermes ne sont plus reprises par les jeunes. Vous vous étiez engagé à faire respecter les clauses miroirs ; nous attendons des suites ! Vous acceptez au contraire une nouvelle concurrence déloyale qui se révélera fatale pour nos productions et, probablement, pour les 15 000 emplois ruraux qui dépendent de ces labels.

Monsieur le ministre, la ferme France brûle, mais nous regardons ailleurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

négociations sur l’hydrogène bas-carbone

M. le président. La parole est à Mme Denise Saint-Pé, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Denise Saint-Pé. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la transition énergétique ; elle porte sur l’état des négociations européennes au sujet de l’hydrogène bas-carbone. À l’heure actuelle, ces négociations patinent, puisque le trilogue prévu hier pour examiner le projet de révision de la directive relative aux énergies renouvelables a été annulé et reporté au 6 mars.

Ce texte fixe des objectifs ambitieux d’emploi de l’hydrogène dans l’industrie, ce dont on peut se réjouir, mais il prévoit que cet hydrogène devra être produit à partir d’électricité renouvelable, sans dire un mot de l’électricité produite à partir d’énergie nucléaire.

Or, si elle ne peut pas utiliser ses réacteurs nucléaires pour produire de l’hydrogène, la France va avoir beaucoup de mal à atteindre les objectifs européens. L’Union européenne avait déjà tenté sans succès d’exclure le nucléaire de sa taxonomie verte. Prohiber le nucléaire en matière d’hydrogène bas-carbone permet aujourd’hui d’attaquer indirectement cette source d’énergie.

Madame la ministre, vous avez vivement réagi en qualifiant cette exclusion de « climaticide » et d’absurde. Nous ne pouvons que vous en féliciter, car le nucléaire est l’énergie la moins carbonée dont nous disposons. Je note par ailleurs que la France est loin d’être le seul État membre frustré par le contenu actuel du texte.

Aussi, je voudrais savoir comment se présentent les négociations sur ce sujet. Enfin, si la France n’obtient pas gain de cause, serez-vous prête à bloquer ce projet de directive sur les énergies renouvelables pour défendre notre filière nucléaire et hydrogène ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Exclamations sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition énergétique.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique. Madame la sénatrice Saint-Pé, je l’affirme nettement : les négociations autour de la directive sur les énergies renouvelables, dite RED III, ne prennent pas une tournure satisfaisante sur la question de l’hydrogène.

L’engagement de la France pour les énergies renouvelables est sans ambiguïté. C’est le Président de la République qui a poussé le Green Deal en décembre 2021, c’est moi, en tant que présidente du conseil Énergie, qui ai fait adopter le paquet Climat européen faisant une large place aux énergies renouvelables et c’est vous qui avez adopté hier, à une très large majorité, un projet d’accélération des énergies renouvelables.

Je suis d’accord avec vous : il ne faut pas se tromper de combat. Le nôtre, c’est la décarbonation et la défossilisation. Compte tenu de l’ambition de ce combat, nous devons utiliser tous les leviers à notre disposition. Cela implique de reconnaître que le nucléaire est une énergie émettant moins de carbone que les énergies éoliennes et photovoltaïques. (Protestations sur les travées du groupe GEST.)

M. François Bonhomme. Il était temps !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Pour cette raison, empêcher le recours au nucléaire constitue une position climaticide. (Mêmes mouvements.) Or les discussions à Bruxelles risquent d’aboutir sur la fixation d’objectifs d’énergies renouvelables ne tenant pas compte de la réalité suivante : nous sommes neuf États membres à avoir décarboné une partie de notre énergie grâce au nucléaire. Il n’est plus question de confondre les moyens – les énergies renouvelables – avec l’objectif final – la décarbonation, la défossilisation.

Ces dernières semaines, nous avons signé des accords avec l’Allemagne et l’Espagne, qui reconnaissent le rôle que peut jouer l’hydrogène nucléaire dans notre politique climatique. J’attends de ces deux partenaires qu’ils respectent leurs engagements. Soyez sûre, madame la sénatrice, que je ne laisserai pas adopter un texte contraire à l’intérêt des Européens, des Français, de nos industries. Avec huit pays derrière nous, nous disposons d’une minorité de blocage. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

réforme du collège

M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Piednoir. Monsieur le ministre de l’éducation nationale, chaque nouvelle évaluation du niveau des élèves scolarisés en France révèle un peu plus les carences de notre système éducatif.

Ainsi, selon une étude récente, à l’entrée en classe de sixième, 27 % des élèves n’ont pas le niveau requis en français et un élève sur trois ne maîtrise pas les fondamentaux en mathématiques.

Prenant conscience, semble-t-il, un peu tardivement de cette triste réalité, vous avez annoncé le 4 janvier une énième réforme – ou plutôt une mesurette cosmétique – consistant à ajouter une heure de renforcement dans ces deux disciplines, sans que l’on sache très bien qui assurera ces heures de soutien, sans aucune considération pour l’école primaire, où se créent les décrochages, et avec pour effet collatéral surprise la suppression de l’enseignement de la technologie.

Monsieur le ministre, pouvez-vous révéler à la représentation nationale la méthode de concertation et la stratégie, que j’imagine profonde, vous ayant conduit à prendre une telle décision ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

M. Pap Ndiaye, ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Piednoir, vous l’avez dit, les évaluations de sixième ne sont pas satisfaisantes pour un quart des élèves en français et pour un tiers d’entre eux en mathématiques. Cela nous oblige à réfléchir à cette classe de transition, dont les études montrent qu’elle est décisive pour l’avenir des élèves et leur bonne continuité scolaire tout au long du collège et au-delà.

Toutefois, nous réfléchissons à cette question non pas de manière isolée, mais sur l’ensemble du cycle III. J’ai ainsi annoncé une série de mesures pour les classes de CM1 et CM2, ainsi que pour celles de sixième. S’agissant des classes de cours moyen, nous mettons l’accent sur l’enseignement du français et des mathématiques, en particulier sur l’écriture.

Un rapport récent de l’inspection générale a révélé que les élèves consacrent 7 % de leur temps hebdomadaire à l’écriture. Il est nécessaire d’insister sur cette discipline, qui recouvre non seulement la dictée, mais les travaux d’écriture, les rédactions – le terme est peut-être ancien,…

M. François Bonhomme. Ça nous va !

M. Pap Ndiaye, ministre. … mais l’exercice est essentiel – en recourant notamment aux « cahiers d’écrivain ». En somme, tout ce qui fait écrire les élèves plutôt que de remplir des phrases à trous, comme c’est souvent le cas.

De même, l’inspection générale de mathématiques nous a montré que le calcul mental était essentiel en cours moyen, aussi insistons-nous également sur ce point – des circulaires ont été envoyées à cet effet. Nous suivrons de près ce qui se fera en cours moyen.

S’agissant de la classe de sixième, une heure supplémentaire sera consacrée au français et aux mathématiques : nous travaillons sur la situation existante, c’est-à-dire avec des professeurs des écoles. Nous suivons en cela l’expérimentation de la « sixième tremplin », qui a donné de bons résultats dans l’académie d’Amiens.

En parallèle, nous rendons obligatoire le dispositif « devoirs faits », qui permet aux élèves de travailler sous la conduite des professeurs au sein du collège.

Comme vous pouvez le voir, monsieur le sénateur, il s’agit d’un dispositif global s’attaquant à la question essentielle des savoirs fondamentaux. Pour ce qui concerne l’enseignement de la technologie, il est renforcé de la cinquième à la troisième. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir, pour la réplique.

M. Stéphane Piednoir. Monsieur le ministre, à l’épreuve du grand oral de bac instaurée par votre prédécesseur, votre prestation du jour serait sans doute sévèrement évaluée… (Protestations sur les travées du groupe RDPI.) Aucune thèse dans votre propos, par conséquent pas d’antithèse et encore moins de synthèse !

En réalité, l’éducation nationale prend l’eau de toutes parts et vous écopez à la petite cuillère, dans une forme d’improvisation permanente dont les cobayes sont les élèves eux-mêmes !

De leur côté, les enseignants sont lassés des annonces ministérielles à répétition ne remettant jamais à plat l’ensemble du système éducatif. Il est grand temps de prendre conscience de l’incurie des concepteurs de nos programmes scolaires, qui fabriquent des générations certes sensibilisées à un tas d’enjeux sociétaux tous plus importants les uns que les autres, mais incapables de calculer un pourcentage et prenant un alexandrin pour un habitant d’Alexandrie. Si vous pensez vraiment qu’il faut changer cela, proposez autre chose que de l’enfumage d’hémicycle ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

action de l’état pour les familles sans abri

M. le président. La parole est à Mme Laurence Harribey, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Laurence Harribey. Le projet d’union sacrée autour du logement entre les associations et le Gouvernement peine à faire ses preuves. Dans une interview donnée au journal Libération le 4 février, vous dénonciez, monsieur le ministre délégué chargé de la ville et du logement, « l’outrance » d’associations comme Utopia 56 ou la Fondation Abbé Pierre, que vous accusez de « jouer avec la misère des gens » au travers d’actions chocs de sensibilisation.

Pourtant, ces associations ne se contentent pas d’alerter : elles produisent surtout un travail de fond chiffré et documenté – et elles sont les seules à le faire !

Le même jour, plus de vingt maires de gauche ont interpellé le Président de la République sur la situation du mal-logement en proposant sept mesures visant à répondre aux besoins des différents publics en situation de grande exclusion.

Monsieur le ministre, ma question est très simple : quelle réponse allez-vous leur faire ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Esther Benbassa et M. Daniel Breuiller applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de la ville et du logement.

M. Olivier Klein, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé de la ville et du logement. Madame la sénatrice Harribey, vous avez raison, le sans-abrisme est une question qui nous préoccupe tous et sur laquelle le Gouvernement agit de manière historique.

Hier soir encore, plus de 200 000 places d’hébergement d’urgence étaient ouvertes dans le pays. Ce chiffre n’avait jamais été atteint, tous gouvernements confondus. Quelque 5,7 millions d’euros sont dépensés chaque soir pour héberger les plus fragiles – et ce n’est que justice.

Le Gouvernement a lancé le plan Logement d’abord I, dont les résultats sont sans précédent : 440 000 personnes ont quitté la rue et l’hébergement d’urgence pour avoir un toit. D’ailleurs, plus de la moitié des maires qui nous ont interpellés dans le journal il y a quelques jours administrent des territoires d’accélération de ce plan. Je les réunis très régulièrement pour préparer le plan Logement d’abord II et leur ai proposé de les recevoir dès demain pour continuer à travailler avec eux, car nous avons déjà discuté de leurs propositions dans ce cadre.

Notre priorité, avec ce plan, est de poursuivre l’accélération des mises à l’abri. Pour cela, nous continuerons de construire des pensions de famille (Mme Sophie Primas sexclame.) et des résidences sociales, car il faut accompagner les familles avant, pendant et après leur relogement – cela fait partie des éléments forts du plan Logement d’abord.

Bien évidemment, la préoccupation exprimée par ces maires est partagée par tous les maires et élus présents dans cet hémicycle, moi le premier. Jamais nous n’accepterons qu’une famille avec un enfant soit à la rue. Jamais nous n’accepterons – du moins, je l’espère – que cet enfant ne soit pas scolarisé. Cela fera également partie de nos priorités. Nous continuerons de travailler ensemble à cet effet, et j’en parlerai dès demain avec l’ensemble de ces maires ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Harribey, pour la réplique.

Mme Laurence Harribey. J’entends votre réponse, monsieur le ministre, et je ne remets pas en cause votre volonté personnelle ni votre expérience d’élu local sur cette question. En revanche, je déplore le fait qu’une politique globale du logement ne pourra être menée tant que vous verrez le logement comme une variable d’ajustement budgétaire.

La tribune des vingt maires en question appelle à déployer en urgence un plan stratégique national et transversal qui répondrait à un diagnostic clair et transparent. Le Gouvernement a tout intérêt à produire rapidement celui-ci : cela vous éviterait de contester les seuls chiffres qui existent.

Pour l’heure, il n’existe pas de stratégie globale et la vérité n’appartient à personne. La question est de savoir si nous voulons travailler tous ensemble, car ce n’est pas dans un seul atelier du Conseil national de la refondation (CNR) qu’une solution sera trouvée.

Vous avez déclaré, monsieur le ministre, que « les associations sont mal inspirées quand elles tombent dans l’outrance » ; j’ai la modestie et l’humilité de vous dire qu’un gouvernement est mal inspiré quand il tombe dans la suffisance.

Mme Laurence Harribey. Ce n’est certainement pas le meilleur moyen de coconstruire. Pour notre part, nous sommes prêts, avec ces vingt maires, à le faire.

M. le président. Il faut conclure !

Mme Laurence Harribey. Notre groupe déposera bientôt une proposition de loi en ce sens : ce sera l’occasion de constater qui a la volonté de coconstruire.

attractivité du métier d’enseignant

M. le président. La parole est à Mme Toine Bourrat, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Toine Bourrat. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

Monsieur le ministre, en France, de moins en moins d’adultes aspirent à se retrouver devant une classe d’enfants pour les instruire, ou plutôt devrais-je dire de tenter de les instruire… Professeur : « le plus beau métier du monde, après le métier de parent », a écrit Charles Péguy. Comme cette affirmation semble d’un autre temps !

Car oui, notre pays vit une crise des vocations sans précédent. Pour certaines matières comme les mathématiques, il y a moins de candidats que de postes à pourvoir. À peine plus de 6 % des enseignants français se sentent considérés par la société – l’un des pires scores de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Oui, le climat scolaire s’est dégradé au sein de l’école de la République. Dans un contexte de recrutement difficile, plus de 1 600 enseignants ont démissionné en 2021. Le taux de professeurs démissionnaires est même en hausse constante depuis dix ans.

Oui, le respect des règles et de l’autorité fait défaut dans nos établissements scolaires : la France est le pays d’Europe où sont dénombrés le plus de problèmes de discipline en classe – parmi les pays de l’OCDE, seuls le Brésil et l’Argentine font moins bien.

Monsieur le ministre, voilà la réalité implacable que décrit le rapport de la Cour des comptes paru la semaine dernière sur le recrutement et la formation initiale des enseignants et qui m’amène à vous poser la question suivante : que comptez-vous faire pour réhabiliter enfin la vocation d’enseignant et garantir à nos élèves la transmission d’un savoir sans lequel la promesse républicaine ne tient plus ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

M. Pap Ndiaye, ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Bourrat, comme vous le savez, le budget du ministère de l’éducation nationale augmente de 6,5 % pour l’année 2023. Il s’agit d’une augmentation inédite et considérable, qui permettra de mieux rémunérer les enseignants et, ce faisant, d’améliorer l’attractivité du métier.

Par ailleurs, ce problème d’attractivité se pose dans presque tous les pays européens – deux font figure d’exceptions – et dans la plupart des pays du monde.

Nous devons bien sûr nous y attaquer, ce que nous faisons en augmentant les rémunérations de tous les enseignants. Nous négocions ainsi une revalorisation dite socle avec les organisations syndicales, conformément à l’engagement du Président de la République d’augmenter de 10 % en moyenne la rémunération des enseignants.

En parallèle, une augmentation supplémentaire sera attribuée aux enseignants qui accepteront de nouvelles missions, dont les remplacements de courte durée dans le secondaire. Nous perdons chaque année 15 millions d’heures dans l’enseignement secondaire à cause des remplacements de courte durée – moins de quinze jours – qui ne sont pas assurés. Grâce à ces nouvelles missions, nous pourrons assurer ceux-ci et mettre en place des heures de soutien et d’approfondissement en français et en mathématiques en classe de sixième. Cet ensemble de mesures est également négocié avec les organisations syndicales.

Par ailleurs, la question de l’attractivité du métier ne se résume pas à la seule rémunération.

Mme Guylène Pantel. Tout à fait !

M. Pap Ndiaye, ministre. Nous devons penser en termes de carrières : les jeunes ne s’engagent plus dans le métier comme le faisaient jadis leurs aînés. Certains souhaitent désormais enseigner pendant dix ans, puis faire autre chose. Nous devons imaginer des portes d’entrée et de sortie. Voilà le périmètre de notre réflexion pour faire en sorte que le métier d’enseignant retrouve toute sa centralité et toute son attractivité dans la société française.

M. le président. La parole est à Mme Toine Bourrat, pour la réplique.

Mme Toine Bourrat. Monsieur le ministre, le mal-être dont souffre le monde éducatif est connu de longue date. En quelques années, le plus beau métier du monde a été transformé en une mission impossible. Votre mission, monsieur le ministre, puisque vous l’avez acceptée, est de refaire de notre école le temple de la connaissance et du respect ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

déserts médicaux

M. le président. La parole est à M. Bruno Rojouan, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Rojouan. Ma question s’adressait au ministre de la santé, qui est absent.

Madame la ministre déléguée, voilà sept mois que vous êtes en fonction et je souhaite entendre de votre bouche les décisions concrètes que vous avez prises, avec votre ministre de tutelle, pour lutter contre les déserts médicaux.

De tous les groupes politiques, de tous les territoires, émanent des rapports successifs, des débats, des questions, des propositions de loi, des amendements sur ce sujet. Par tous les véhicules législatifs possibles, le Sénat attend, propose et exige des décisions efficaces et concrètes pour l’égalité d’accès aux soins de tous les Français, y compris ceux de la ruralité profonde.

M. Bruno Belin. Très bien !

M. Bruno Rojouan. Votre ministère argue que le pays dans son ensemble fait face à une pénurie de médecins – certes… Toutefois, adopter cette conception uniforme est le meilleur prétexte à l’inaction en cela qu’elle masque la réalité : certains territoires souffrent plus que d’autres, le manque de praticiens y étant bien plus important.

Patients abandonnés et maires de France ne peuvent plus supporter cette situation inacceptable et indéfendable. Les décisions courageuses et audacieuses qu’ils attendent dépendent de vous, et non de comités « machin chose » qui consomment du temps et ne ramènent pas la présence médicale dans les territoires.

Madame la ministre, que fait le Gouvernement face à ce problème majeur ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de lorganisation territoriale et des professions de santé. Monsieur le sénateur, nous partageons tous cette conviction : la santé est notre bien commun.

M. François Bonhomme. Nous voilà rassurés !

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Le temps du diagnostic est derrière nous ; nous sommes pleinement dans l’action. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)

Tel est le sens du cap fixé par le Président de la République le 6 janvier dernier : celui de la refondation de l’ensemble de notre système de santé, qu’il s’agisse de l’hôpital ou de la médecine de ville.

À l’hôpital, nous voulons redonner plus de sens, plus de souplesse et plus d’autonomie aux soignants. Cela passe par une meilleure reconnaissance de la pénibilité, mais aussi par une refonte de l’organisation à l’échelle des services ou par une modification de la sortie du tout-T2A (tarification à l’activité).

S’agissant de la médecine de ville, nous souhaitons nous inscrire dans une trajectoire à la fois pragmatique, ambitieuse et solidaire.

Pragmatique d’abord, car, manquant de personnel soignant, nous devons nous assurer d’une chose simple : que nos soignants consacrent la majeure partie de leur temps à soigner. Nous avons ainsi pour objectif de libérer les soignants de certaines tâches administratives. Pour cela, nous créerons 10 000 postes d’assistants médicaux d’ici à la fin de l’année 2024. Des mesures de simplification des tâches administratives et la suppression de certains certificats médicaux inutiles doivent également être prises – nous ferons des annonces en ce sens dans les prochains jours. Par ailleurs, nos concitoyens doivent aussi se responsabiliser : 28 millions de rendez-vous ne sont pas honorés chaque année. (M. Vincent Segouin ironise.)

Ambitieuse ensuite, parce que nous souhaitons utiliser au mieux les compétences de chacun. Il nous faut employer au mieux toutes les ressources de notre système en améliorant le travail d’équipe et la répartition des tâches entre professionnels de santé autour du médecin traitant. Ce dernier doit rester, je l’affirme encore une fois, la pierre angulaire de notre système de santé. Nous souhaitons créer autour de lui des équipes de soins au sein desquelles certains actes seront délégués entre le médecin et les autres professionnels.

Solidaire enfin, car nous améliorerons l’organisation à l’échelle des territoires et des bassins de santé. C’est le sens du pacte territorial que nous construirons avec les élus. C’est aussi le sens de l’engagement territorial du monde libéral, dans une logique gagnant-gagnant. Nous nous appuierons pour cela sur les conseils nationaux de la refondation en santé.

M. le président. Il faut conclure !

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Vous voyez, monsieur le sénateur, nous sommes pleinement engagés dans la refondation de notre système de santé. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. François Bonhomme. C’est flagrant !

M. le président. La parole est à M. Bruno Rojouan, pour la réplique.

M. Bruno Rojouan. Madame la ministre déléguée, nous connaissons le constat. Les solutions, tous les groupes, avec quelques nuances, vous les ont apportées. Il est désormais temps de faire des choix et c’est à vous qu’il revient de décider de la solution à apporter pour une plus grande présence médicale dans tous les territoires ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe CRCE. – M. Jean-Michel Houllegatte applaudit également.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Notre prochaine séance de questions au Gouvernement aura lieu le 15 février prochain, à quinze heures.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

4

Quelle réponse européenne aux récentes mesures protectionnistes américaines ?

Débat d’actualité

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat d’actualité sur le thème : « Quelle réponse européenne aux récentes mesures protectionnistes américaines ? »

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.

Le temps de réponse du Gouvernement à l’issue du débat est limité à cinq minutes.

Madame la secrétaire d’État, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura regagné sa place dans l’hémicycle.

Dans le débat, la parole est à M. Pierre Louault.

M. Pierre Louault. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le grand plan d’investissement américain voté l’été dernier retient toute notre attention. Il nous amène à débattre aujourd’hui des réponses que la France et l’Union européenne devraient apporter. L’IRA, ou Inflation Reduction Act, est un programme puissant de subventions, mais aussi d’allègements fiscaux de 370 milliards de dollars avec pour objectif de financer la transition écologique et des mesures sociales.

Les mesures les plus symboliques sont la création d’un crédit d’impôt de 7 500 dollars pour l’achat d’un véhicule électrique made in USA, une subvention pour les fabricants d’éoliennes ou de panneaux solaires utilisant l’acier américain, ou encore une baisse d’impôt pour aider les entreprises dans leur transition énergétique. Toutes les conditions sont réunies pour permettre un favoritisme au bénéfice de l’économie américaine.

En effet, l’objectif est de promouvoir le développement des entreprises américaines et de contourner nos accords de libre-échange. Nous ne sommes pas dans un monde de Bisounours, même si nous avons souvent l’impression que l’Union européenne n’en est pas consciente.

La première réaction des dirigeants européens a été une levée de boucliers contre ce plan jugé protectionniste : ils ont accusé les États-Unis de favoriser les investissements sur leur territoire, en visant en particulier et parmi de nombreuses autres mesures l’octroi de certaines subventions délivrées sous condition de relocalisation de la production sur le sol national.

La présidente de la Commission européenne a annoncé un « pacte vert industriel pour une ère sans carbone », qui prévoit une réallocation des fonds existants et non de nouveaux financements européens, afin de soutenir la compétitivité et le verdissement de l’industrie européenne.

Si nous ne pouvons que soutenir les orientations prises pour répondre au plan d’investissement américain, nous devons également alerter, afin que la Commission européenne fasse preuve de lucidité dans la réorientation des aides allouées ainsi que dans les décisions réglementaires qu’elle pourrait prendre pour développer notre industrie.

Il faut saisir cette occasion pour mettre en place un véritable plan de développement d’une économie verte s’appuyant sur des incitations fiscales, mais aussi assurer une concurrence loyale en imposant aux produits qui sont importés les normes qui s’appliquent à ceux qui sont fabriqués sur le sol européen.

L’objectif est donc double : non seulement réglementer pour unifier les normes en vigueur, mais aussi inciter le développement industriel sur le sol européen en assurant des avantages fiscaux aux entreprises qui investiront dans le développement d’énergies propres, dans le but final de permettre à l’Union européenne d’assurer sa souveraineté énergétique, donc sa souveraineté économique.

Le ministère de l’Europe et des affaires étrangères a publié au mois de janvier dernier les chiffres de la balance commerciale, qui sont alarmants. Le déficit commercial de notre pays a doublé cette année.

L’onde de choc de la crise énergétique se fait sentir sur le coût de nos importations, avec une hausse de 29 % des importations en valeur, alors que nos exportations, moins sujettes à l’impact de l’énergie, ne progressent que de 18 %. C’est donc plus de 80 % de l’aggravation du déficit qui s’explique par l’augmentation du prix de l’énergie.

Même si la France n’a jamais été exemplaire sur sa balance commerciale, ses voisins européens subissent de plein fouet les mêmes effets, avec une baisse de 56 % des exportations par rapport à l’année dernière pour le bon élève allemand.

Ce déficit s’explique aussi par la pénurie d’approvisionnement dans certaines matières premières, qui ont pénalisé l’automobile ou l’aéronautique.

Cette crise énergétique doit inspirer la politique européenne pour encourager des investissements lourds dans notre industrie, afin que nous soyons en mesure de produire notre énergie décarbonée localement. Il s’agit d’assurer notre souveraineté économique, laquelle ne sera garantie que par notre souveraineté énergétique.

L’Union européenne a perdu trop de temps à discuter des mois durant afin de savoir si telle ou telle énergie était suffisamment verte pour être subventionnée. Je pense bien sûr aux débats qui ont eu lieu autour du nucléaire.

Le plan d’investissement des États-Unis favorise fortement la relocalisation de la production sur leur territoire. L’IRA offre des atouts de compétition, qui, couplés à un prix de l’énergie très faible dans ce pays, font courir des risques à notre industrie.

La Commission européenne a communiqué le 1er février dernier que des subventions équivalentes à celles que proposent les États-Unis seront autorisées. Les États membres pourront égaler le montant de l’aide qu’une entreprise européenne se verrait offrir par un pays tiers, comme les États-Unis. Voilà un signe encourageant, qui ne permettra sans doute pas à tous les pays européens de réagir de la même manière : tous n’en ont pas les moyens.

Annoncer l’octroi de subventions ou d’avantages fiscaux est un premier pas, mais cela devra impérativement être accompagné d’une débureaucratisation de Bruxelles en assurant des obtentions de subventions dans des délais restreints.

Les États-Unis sont très rapides, un peu comme nous l’avons été au moment de la crise du covid-19. Je crains qu’en France et en Europe les entreprises ne soient découragées par la bureaucratie européenne et par des versements de subventions qui prennent plusieurs mois, quelquefois plusieurs années.

Au-delà des délais administratifs, la réponse de l’Union européenne doit s’inscrire dans le temps long. Nous avons une fâcheuse tendance à modifier tous les six mois les plans européens pour répondre à telle ou telle urgence. Ce plan doit s’inscrire dans la continuité afin de ne pas décourager les entreprises.

Je pense également à notre agriculture, qui a subi de nombreuses réglementations ces dernières années, poussant nos agriculteurs à développer l’agriculture biologique avec le succès mitigé que nous connaissons. Il y a encore quelques jours, la Cour de justice de l’Union européenne a définitivement barré la voie à l’utilisation de néonicotinoïdes, pour seulement deux pays, la France et la Belgique. (Marques dapprobation sur des travées du groupe Les Républicains.) Il est impératif de s’assurer que ces règles s’appliquent sur l’ensemble des produits que nous importons, afin que nos agriculteurs ne se retrouvent pas face à une concurrence déloyale.

La confiance de nos concitoyens dans l’Union européenne est de plus en plus fragile, face à des règles fermes pour nos producteurs, mais faibles quant à leur application à des produits importés. Aujourd’hui, la France compte dix fois plus de contrôleurs-inspecteurs pour contrôler les agriculteurs que de douaniers chargés de contrôler les produits finis qui entrent en Europe. Dans ces conditions, comment les agriculteurs peuvent-ils avoir confiance ?

C’est à l’échelon européen que nos dirigeants doivent garantir une égalité dans la loi en assurant un bouclier vert.

Madame la secrétaire d’État, quelles réponses l’Union européenne peut-elle apporter à ce plan d’investissement américain ?

La technostructure européenne ou française sera-t-elle capable d’apporter une réponse rapide avec des déblocages immédiats des fonds, comme savent le faire les Américains ?

L’Union européenne est-elle prête à instaurer des normes barrières afin de réduire la pénétration de son marché par les produits américains ou chinois ?

L’Europe va-t-elle enfin se réveiller face à la concurrence internationale, sachant qu’elle est beaucoup plus handicapée notamment par les conséquences du conflit ukrainien ? (M. Jean-Michel Arnaud applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Boone, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée de lEurope. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Louault, d’abord, nous devons nous féliciter de l’intérêt des Américains pour le climat. C’est une bonne nouvelle qu’ils s’attaquent enfin à ce sujet.

Ensuite, notre réponse a été assez rapide. Lors de la séance de questions d’actualité au Gouvernement de cet après-midi, Bruno Le Maire a indiqué qu’il s’était rendu aux États-Unis avec son homologue allemand, M. Robert Habeck, pour négocier toutes les marges de manœuvre possibles dans le cadre de l’IRA.

Enfin, un Conseil européen se tiendra demain et après-demain en vue d’entériner des travaux pour répondre à l’Inflation Reduction Act.

En matière de financement, nous avons deux sujets à traiter.

Le premier concerne la simplification des aides d’État, vous l’avez mentionné, monsieur le sénateur. Nous allons par exemple modifier les seuils, mais aussi autoriser les crédits d’impôt comme aux États-Unis, afin de pouvoir répondre très rapidement. C’est vrai, une réallocation de fonds existant déjà est prévue, en partie parce que nombre de pays n’ont pas encore utilisé et n’ont pas su déployer leurs fonds au titre de la facilité pour la reprise et la résilience (FRR), pas plus que leurs fonds de cohésion. Leur donner la flexibilité de le faire dans la réponse à l’IRA, c’est à la fois préserver le marché intérieur, éviter des distorsions de concurrence et pouvoir apporter une réponse rapide.

Le second sujet porte le fonds souverain qu’a annoncé la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, comme vous le savez, monsieur le sénateur, et qui interviendra dans un second temps. Il nous permettra d’abonder des secteurs stratégiques que sont le numérique et l’énergie et, je le souhaite aussi, la santé.

Enfin, monsieur le sénateur, nous avons des instruments pour faire cesser cette naïveté que vous soulignez, qui sont le respect des règles de gouvernance globale. De nouveaux instruments de défense commerciale ont notamment été développés pendant la présidence française du Conseil de l’Union européenne ; je pense en particulier à l’instrument antisubventions qui nous permettra de taxer les produits sursubventionnés par des pays tiers, de façon à rétablir une concurrence loyale.

Nous ne répéterons pas avec les voitures électriques les erreurs que nous avons commises avec les panneaux solaires chinois.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.

M. Jean-Pierre Corbisez. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans le climat de contestation générale du multilatéralisme, les règles du commerce mondial n’échappent pas à la tendance. De l’America First de Donald Trump aux aides d’État de Joe Biden, les États-Unis semblent s’en affranchir de plus en plus.

Étendard historique du libre-échange à la fin du siècle dernier, les États-Unis seraient-ils tentés par l’isolationnisme économique ? Avec l’Inflation Reduction Act, ils renouent en tout cas avec leur ancienne doctrine protectionniste visant à protéger leurs industries naissantes. Au travers de ce fameux IRA, l’Oncle Sam s’apprête à déverser 369 milliards de dollars de subventions aux entreprises qui investiraient dans la transition verte sur le sol national.

La bonne nouvelle, vous l’indiquez, madame la secrétaire d’État, c’est que les États-Unis confirment avec ce plan qu’ils ont pris la mesure de l’urgence climatique.

La mauvaise, c’est qu’ils nous ont vendu pendant des décennies le concept d’une « mondialisation heureuse », pour aujourd’hui jouer leur propre partition de relocalisation.

Comme vous le savez, mes chers collèges, l’IRA inquiète nos entreprises, nos territoires et les pouvoirs publics. Après l’épreuve de la pandémie qui a affecté notre économie, puis celle de la guerre qui renchérit le prix de l’énergie, le projet américain pourrait en effet fragiliser un peu plus le tissu industriel européen.

Depuis l’annonce américaine au mois d’août dernier, on entend que Saint-Gobain voudrait s’agrandir en Californie, que Volkswagen augmenterait ses capacités de production de l’autre côté de l’Atlantique, tout comme le fabricant suédois de batteries Northvolt.

Madame la secrétaire d’État, avez-vous quelques éléments précis concernant les groupes français qui seraient tentés par le nouveau rêve américain ?

En attendant, comme nous y invite ce débat, il nous faut nous interroger sur les réponses que l’Union européenne peut apporter à ces mesures protectionnistes. Le Conseil européen du mois de décembre dernier a bien souligné « la nécessité d’une réponse coordonnée pour renforcer la résilience économique de l’Europe et sa compétitivité sur le plan mondial, tout en préservant l’intégrité du marché unique ».

Pour ce qui est de la réponse coordonnée, on peut avoir une inquiétude au regard des positions divergentes de certains États membres en fonction des propositions avancées par Bruxelles. Cependant, je me réjouis que Paris et Berlin s’entendent sur l’assouplissement des aides d’État liées à la transition écologique, ainsi que sur la simplification des règles d’installation des usines. Le groupe RDSE est en tout cas favorable à cette première réponse.

Je n’oublie pas une difficulté intrinsèque à l’Union européenne, à savoir l’existence de règles régissant le marché unique qui compliquent l’octroi de subventions aux entreprises. Sur ce point, l’Union européenne ne doit pas être dogmatique, sous peine de rester la variable d’ajustement dans un monde dérégulé.

Face à un acte déloyal, nous devons apporter une réponse à la hauteur, ce que laisse espérer sur le papier le Green Deal Industrial Plan. Si nos intérêts économiques, de surcroît face à des États-Unis décomplexés quant aux règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), commandent de faire évoluer le cadre européen, faisons-le sans tarder. Je souligne toutefois qu’il ne s’agit pas d’entrer dans une guerre commerciale avec les États-Unis, certainement pas dans le contexte de la guerre en Ukraine qui nécessite un lien fort entre alliés.

Une autre réponse pourrait consister en la création d’un fonds de souveraineté européen. Le groupe RDSE, attaché à la cohésion de l’Europe et à la solidarité entre États membres, telle qu’elle s’est exercée au travers du plan de relance, est ouvert à cette idée. Je rappelle que ce fonds suscite l’intérêt de la Banque publique d’investissement. On peut relever que Bpifrance a su jouer son rôle dans la mise en œuvre du plan Juncker.

Madame la secrétaire d’État, plus globalement, ce débat pose la question de l’autonomie stratégique de l’Union européenne.

Bien qu’il soit clair que l’Union européenne ne sera jamais autosuffisante, la réponse au plan américain doit être celle de la reconstitution d’une industrie compétitive irriguant tous les territoires. À cet égard, madame la secrétaire d’État, la baisse des impôts de production ne saurait constituer à elle seule une politique de reconquête industrielle. Nous attendons plus.

Le groupe RDSE sera donc attentif à l’initiative du chef de l’État dans le cadre du prochain Conseil européen.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Boone, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée de lEurope. Monsieur le sénateur Corbisez, votre question me permet d’apporter quelques précisions.

Un tiers des fonds européens sont dédiés à la transition énergétique. Par conséquent, nous ne sommes pas dépourvus financièrement.

Si notre balance commerciale présente bien des chiffres décevants, nous devons noter une hausse de 37 % de nos exportations de produits agricoles, ce qui est remarquable, ainsi qu’un excédent de 23,5 milliards d’euros dans l’aéronautique. Vous le voyez, nous ne sommes pas totalement démunis.

Face à l’IRA, nous comptons déployer une réponse en quatre temps : premièrement, l’utilisation de flexibilités immédiates des financements existants, deuxièmement, le recours à des instruments de défense commerciale, troisièmement, un fonds souverain pour tous les pays de l’Union européenne – comme vous l’avez souligné, monsieur le sénateur, cela viendra dans un second temps, peut-être au mois de juin prochain –, quatrièmement, un plan de développement des compétences, puisque, pour l’énergie, le numérique, comme pour toutes ces nouvelles technologies, nous aurons besoin de nouvelles forces, de nouveaux talents. Nous nous efforcerons d’œuvrer en ce sens.

M. le président. La parole est à M. Alain Cadec. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Cadec. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la loi américaine dite de réduction de l’inflation, l’Inflation Reduction Act, adoptée l’été dernier par le Congrès des États-Unis et entrée en vigueur le 1er janvier, soulève, par sa nature, son ampleur et ses modalités, des questions difficiles pour l’Union européenne d’un point de vue économique et géopolitique.

Dans la mesure où cette loi marque indiscutablement l’engagement des États-Unis en faveur de la transition énergétique et écologique, en encourageant l’investissement dans les secteurs industriels et de service nécessaires à cette transition, elle ne peut qu’être saluée.

L’inquiétude provient cependant du volume considérable des subventions qui vont être consenties par les autorités américaines – près de 370 milliards de dollars – et, surtout, du fait que l’accès à ces financements ou avantages fiscaux sera réservé aux productions localisées sur le territoire des États-Unis. Combiné au coût bien moindre de l’énergie et à d’autres facteurs avantageant déjà les États-Unis par rapport à l’Union européenne, ce plan de soutien massif risque de créer un effet d’attraction quasi irrésistible pour la localisation ou la relocalisation d’investissements européens dans ces secteurs d’avenir aux États-Unis plutôt qu’en Europe.

Face à ce danger de concurrence déloyale, l’Union européenne ne peut pas rester sans réaction. Elle a exprimé sa préoccupation à ce sujet au plus haut niveau et à plusieurs reprises, mais elle se trouve véritablement mise devant le fait accompli, puisque, comme je l’ai signalé, la loi IRA est déjà entrée en vigueur.

L’Union européenne et les représentants de la France doivent donc réagir rapidement, en mettant en place tous les éléments d’une réponse européenne appropriée.

Avec leurs clauses de localisation obligatoire des productions subventionnées sur le territoire des États-Unis, les aides américaines enfreignent clairement les disciplines de l’OMC. Les contester à Genève pourrait cependant se révéler contre-productif, dans la mesure où le mécanisme de règlement des différends de l’OMC est devenu largement inopérant du fait de la paralysie de l’organe d’appel et qu’il est clair que les États-Unis n’ont aucune intention de se plier à d’éventuelles recommandations formulées dans ce cadre.

Amener l’administration américaine à revoir son dispositif ou à aménager certaines exceptions en faveur de l’Union européenne, comme celles qui sont prévues pour le Canada et le Mexique, est mission impossible. Elle a clairement fait comprendre à ses interlocuteurs européens, y compris le Président de la République lors de sa récente visite d’État à Washington, qu’elle n’était nullement disposée à le faire.

Il reste donc aux Européens à trouver par eux-mêmes des remèdes adéquats au danger auquel ils se trouvent ainsi confrontés.

Une piste envisagée, en direction de laquelle des dispositions ont déjà été prises, consiste à assouplir ou suspendre une nouvelle fois les règles européennes concernant les aides d’État pour autoriser les États membres qui le souhaitent et qui le peuvent à soutenir les activités concernées sur leur territoire. L’inconvénient de cette approche est double : elle favorise les seuls États qui peuvent se le permettre financièrement – la France en fait-elle encore partie ? j’en doute – et elle remet en question le principe de concurrence loyale, le Level Playing Field, sur lequel est fondé le bon fonctionnement du marché unique européen.

Une autre piste, fortement privilégiée par la France, mais loin de faire l’unanimité chez ses partenaires, consisterait à déployer un plan européen similaire au plan américain et d’un montant suffisant pour inciter les opérateurs des secteurs concernés à privilégier les investissements en Europe. Comment mobiliser autant d’argent à l’échelon européen – on parle de 300 à 350 milliards d’euros –, alors que l’Union européenne vient à peine de mettre en œuvre un plan de relance post-covid de 750 milliards d’euros.

Une partie de ce plan existant pourrait sans doute être réorientée vers un tel « fonds européen de souveraineté », comme l’envisage la Commission européenne, mais cela ne suffira certainement pas à faire la différence.

Cette initiative américaine met donc l’Union européenne dans un embarras dont elle aura bien du mal à se tirer, ce qui m’inspire les réflexions suivantes.

Les États-Unis font, une fois de plus, preuve d’un égoïsme sacré en menant une politique décomplexée d’America First, qui ne tient absolument pas compte des retombées négatives de leurs initiatives pour leurs partenaires traditionnels. Ils restent les princes du protectionnisme.

Ceux qui croyaient naïvement que l’arrivée au pouvoir d’une administration démocrate à l’issue du mandat de Donald Trump conduirait nécessairement à une amélioration significative des relations transatlantiques en sont pour leurs frais. Le style a changé, la rhétorique utilisée aussi, mais aucune concession réelle n’est faite sur le terrain des intérêts économiques et commerciaux.

On aurait pu penser que le contexte géopolitique conduirait les États-Unis à mieux soigner leurs relations avec leurs alliés afin de ne pas ouvrir de brèches trop visibles dans la coalition occidentale. Malheureusement, il n’en est rien et ces considérations de politique étrangère semblent peser assez peu par rapport aux objectifs de politique intérieure américaine que l’administration Biden cherche à atteindre au travers de la loi IRA.

Ce constat ne peut en tout cas qu’inciter l’Europe et la France à faire de l’autonomie stratégique dans tous les domaines – énergie, agriculture, industrie, recherche, défense – l’un de leurs objectifs les plus fondamentaux et à tout mettre en œuvre pour l’atteindre dès que possible.

Le général de Gaulle avait eu l’intuition de cette impérieuse exigence dès les lendemains de la Seconde Guerre mondiale. Elle a malheureusement été perdue de vue pendant des décennies, dans un contexte de mondialisation débridée. Il est grand temps, selon moi, qu’elle revienne au premier plan dans les préoccupations de nos décideurs, dont vous êtes, madame la secrétaire d’État. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Boone, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée de lEurope. Monsieur sénateur Cadec, vous avez raison : nous sommes dans une époque où l’Union européenne doit assumer sa puissance géopolitique. Elle est tout de même forte de 450 millions de citoyens dotés d’un pouvoir d’achat parmi les plus élevés de la planète. C’est pourquoi le Président de la République a promu – cela fait maintenant l’objet d’un large consensus chez nos partenaires – la notion de souveraineté et d’autonomie stratégique.

À l’inverse des États-Unis, en revanche, nous nous appuyons sur des règles très claires. Comme je l’ai déjà indiqué, depuis la présidence française du Conseil de l’Union européenne, nous disposons de nouvelles mesures, dites mesures miroirs : la réciprocité sur les marchés publics et l’instrument antisubventions.

Enfin, lors de son voyage aux États-Unis, Bruno Le Maire a obtenu une alliance sur les matériaux critiques, pour que nous nous fournissions de façon diversifiée et en coopération avec les États-Unis.

Le différentiel de compétitivité est principalement dû au différentiel de prix de l’énergie dont nous souffrons plus à cause des conséquences de la guerre en Ukraine. Sur ce point, comme vous le savez, monsieur le sénateur, une réforme du marché de l’électricité est en cours, elle sera discutée au Conseil de l’énergie du mois de mars prochain.

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la guerre commerciale que l’Union européenne et les États-Unis se livrent est inversement proportionnelle à leur relation en tant qu’alliés. Ces deux grandes puissances, aux multiples combats communs, sont celles qui s’affrontent le plus dans le domaine commercial : pas moins de 35 procédures sont actuellement engagées à l’OMC par l’Union européenne contre les États-Unis et 20 le sont par les États-Unis contre l’Union européenne. Toutes deux détiennent le record du plus long conflit commercial qu’ait connu l’OMC, puisque leur contentieux sur les subventions illégales versées à Airbus et Boeing a duré dix-sept ans !

Régulièrement, la presse titre sur une nouvelle guerre commerciale entre l’Union européenne et les États-Unis. Cela ne date pas d’hier ; cela ne date pas non plus de la présidence Trump. En effet, après quatre années de trumpisme, les Européens promettaient de développer enfin leur souveraineté pour ne plus avoir à subir les choix politiques américains. Le continent semblait se réveiller, notamment avec le plan Next Generation EU, doté de plus 670 milliards d’euros.

Force est de constater que nos luttes commerciales d’avant Trump perdurent après lui. Bien naïf celui qui pensait le contraire ! Réarmer nos souverainetés est un projet de long terme, indispensable à bien des égards.

La crise du virus chinois, communément appelé covid-19, nous a violemment confrontés à nos lacunes et à notre dépendance au reste du monde, à la puissance chinoise, notamment. La guerre en Ukraine nous renvoie à nos erreurs et à nos naïvetés stratégiques. Certaines de nos grandes puissances se sont enfermées dans les griffes russes et nous en payons aujourd’hui amèrement le prix, très élevé.

La crise énergétique actuelle risque fortement de déboucher sur un choc de compétitivité et une crise plus durable en Europe, ce risque étant encore plus élevé du fait des dernières mesures protectionnistes prises par les États-Unis.

Adoptée l’été dernier, l’Inflation Reduction Act prévoit près de 400 milliards de dollars d’aides pour les entreprises qui produisent sur le sol américain, notamment sous forme de crédits d’impôt.

Les États-Unis se donnent dix ans pour réduire de 50 % leurs émissions de gaz à effet de serre en développant l’hydrogène vert, les batteries, le solaire, l’éolien, la rénovation énergétique des bâtiments, les véhicules électriques… Cette énumération a un goût de déjà-vu de notre côté de l’Atlantique, bien plus avancé sur ces sujets.

Tant mieux si, comme vous le dites, madame la secrétaire d’État, la compétition mondiale se concentre sur les technologies propres. Créons pour cela de l’émulation sur ces sujets, il y va de l’avenir de la planète. En revanche, si nous, Européens, ne réagissons pas, nous en subirons les conséquences, la principale menace étant la délocalisation de nos entreprises aux États-Unis.

Les difficultés internationales et le protectionnisme américain ne doivent pas nous plonger dans une crise d’ampleur. Il est inacceptable que l’Union européenne soit perpétuellement la variable d’ajustement dans les conflits, quels qu’ils soient. Nous devons prendre en main notre destin.

Je me souviens, monsieur le président, que, lorsque les perspectives s’étaient ouvertes en Iran, nous avions signé des contrats de plusieurs milliards d’euros. En 2018, tout cela a été balayé par M. Trump…

M. le président. C’était une autre époque !

M. Joël Guerriau. Le système de l’Union européenne était prometteur. L’Union a transformé un espoir de paix qu’on osait à peine murmurer en une réalité solide et concrète. Aujourd’hui, être européen, c’est être conscient de la nécessité d’agir ensemble. Nous devons nous protéger en toute indépendance.

Les pays européens qui décident seuls déstabilisent les autres. In fine, ils se fragilisent eux-mêmes. Oui, l’Union européenne est composée d’États bien divers, ayant des atouts tout aussi différents. Continuons de faire de notre diversité une force !

Le sommet extraordinaire qui se tiendra demain et après-demain nous y invite. Après les derniers Conseils européens, nous sommes inquiets quant à notre capacité à trouver une solution commune. Tout en saluant la feuille de route pour le renforcement de la politique industrielle, je relève que nos difficultés à trouver des accords sont réelles. Arrêtons de prêter le flanc aux autres puissances étrangères, car elles en tireront profit.

La question est : « Quelle réponse européenne ? ». Je n’en vois qu’une, madame la secrétaire d’État : c’est l’unité, bien sûr. Cela peut paraître simple à dire, mais vous savez bien qu’il est difficile de convaincre tout le monde de la nécessité de retrouver notre souveraineté.

Ce n’est pas seulement la guerre économique ou la réponse européenne au protectionnisme américain qui se joue là, même si nous espérons cette réponse puissante. Les enjeux sont plus larges et ne doivent pas faire oublier d’autres tensions. La bataille que nous devons mener est celle des idées et celle d’un modèle. Affirmons haut et fort que nous sommes, avant tout, des Européens ! (M. Alain Richard applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Boone, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée de lEurope. Monsieur le sénateur Guerriau, vous me donnez l’occasion d’évoquer la stratégie de souveraineté européenne mise en place à la suite des chocs qu’ont représentés la covid et l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Cette stratégie de souveraineté repose sur trois éléments, le premier étant la défense. Alors que l’on parle depuis longtemps d’une Europe de la défense, nous la voyons naître par le développement de l’industrie de défense, de capacités d’achat, mais aussi de forces qui peuvent agir ensemble, le tout en articulation avec l’Otan et avec un système de préférence européenne en matière d’achats.

Le deuxième élément de cette stratégie de souveraineté est l’acquisition de notre autonomie énergétique et industrielle.

Dans le secteur industriel, il nous faut travailler sur les finances, les talents et les secteurs stratégiques. Nous disposons désormais d’aides très ciblées et nous avons fait des choix. Nous devons accélérer.

En matière énergétique, nous sommes en train de sortir de notre dépendance au gaz russe. Notre consommation a baissé deux fois plus qu’attendu cet hiver. Nous avons diversifié nos sources, nous mettons en œuvre une plateforme d’achat en commun et nous réformons le marché de l’électricité.

Le troisième et dernier élément de notre stratégie de souveraineté est l’influence que nous exerçons à travers le soutien d’une Europe unie à l’Ukraine en matière militaire, financière et humanitaire. Je pense aussi au développement de la Communauté politique européenne, lancée par le Président de la République l’année dernière. Sa première réunion a eu lieu à Prague en octobre dernier, la deuxième est prévue en Moldavie au mois de juin. Les projets concrets qu’elle envisage nous permettront d’ancrer les pays frontaliers de l’Union européenne du côté de notre modèle.

M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique.

M. Jacques Fernique. Madame la secrétaire d’État, face à Washington, qui subventionne massivement l’industrie américaine, Paris et Berlin ont conçu la contre-offensive et transmis leur contribution à la Commission européenne. Mme von der Leyen a ensuite dévoilé, à Davos, ses mesures face à l’IRA.

Cette évolution renvoie à ce que nous, écologistes, prônons : un protectionnisme vert européen. Cela consiste, d’abord, à mettre en cohérence les règles de notre marché intérieur et nos importations. Sur le plus long terme, il s’agit de réindustrialiser l’Europe pour lui permettre d’être plus autonome, plus souveraine, en cessant d’avoir pour boussole le productivisme mondialisé. Nous devons, en somme, passer du libre-échange au « juste échange » et sortir de la logique du tout-marché.

Le mot « protectionnisme » fait peur, mais il ne s’agit ni de mener une guerre commerciale ni de nous calfeutrer. L’idée est plutôt de regarder le monde tel qu’il est. Les multinationales et leurs actionnaires se réjouissent de la faiblesse des régulations. Elles exploitent dès qu’elles le peuvent les failles des normes environnementales et sociales, quand il y en a. Mettre en place un protectionnisme vert, c’est simplement assumer notre place de premier marché au monde et affirmer que l’accès à ce marché impose le respect de critères fondés sur nos valeurs. On ne peut plus polluer impunément avec des biens vendus à des prix qui ne reflètent pas du tout les externalités négatives causées par leur production.

En réponse à l’IRA, la Commission européenne a mis en avant des objectifs de réindustrialisation par le biais d’allégements de cotisations, notamment pour le déploiement de nouvelles technologies. Elle souhaite aussi autoriser davantage d’aides d’État et de crédits d’impôt pour les technologies vertes.

Toutefois, un levier majeur manque : un Buy European Act. Proposé par mes collègues eurodéputés dans une résolution, un tel texte favoriserait les produits fabriqués en Europe en leur facilitant l’accès aux marchés publics, lesquels représentent 14 % du PIB européen. C’est de l’argent qui existe déjà et un levier de transformation déterminant.

Utiliser les marchés publics, c’est offrir une protection aux Européens effrayés par la mondialisation, le chômage et ce qu’implique de mutations la transition écologique. Mais c’est surtout un levier, qui peut être compatible avec les règles de l’OMC, pour créer des emplois durables et décarboner nos économies.

Or, pour le moment, un Buy European Act n’apparaît ni dans les conclusions du Conseil ni dans la réponse de la Commission. Il est temps de rouvrir la directive du Parlement européen et du Conseil sur la passation des marchés publics. Le candidat Emmanuel Macron l’avait proposé en 2017 dans son programme, mais cet engagement a été abandonné en faveur d’un libéralisme de la compétition de tous contre tous. Seule l’Europe ouvre ainsi à tous les vents ses marchés publics. Les autres savent les protéger.

Nous avons enfin convenu d’une taxe carbone à la frontière : continuons sur cette lancée ! Nous avons décidé de fermer notre marché à des produits issus de la déforestation. Notre impact est mondial, palpable, mais trop lent. Les États-Unis, eux, décident d’abord et discutaillent après. Sur le photovoltaïque, nous avons été timorés. Nous avons mis tellement de temps à négocier pour tenter de parer la menace chinoise que nous avons raté le train. C’est une bataille politique, et non pas technique. Cela signifie non pas qu’il faut renoncer à nos préférences commerciales pour les pays les moins avancés, mais qu’il faut faire les choses en cohérence avec les valeurs que nous portons en matière de droit du travail, de santé, de climat, car ce sont-là des dimensions indissociables.

Nous avons besoin d’une réindustrialisation décarbonée de l’Europe. Soyons pragmatiques : les délocalisations ont fragilisé des territoires et détruit des emplois. Un projet écologique et social crédible, c’est la possibilité de consommer des produits venant de chez nous et de pays qui respectent les normes en vigueur chez nous. C’est pourquoi la France devrait insister lors du Conseil pour obtenir enfin les fameuses clauses miroirs sur l’agriculture qu’elle entendait faire adopter sous sa présidence. On ne les trouve pas dans l’accord avec le Mercosur, qui n’est que mondialisation de la malbouffe et de la souffrance animale et qui signe la disparition de nombre de nos paysans.

La France a malheureusement l’habitude de faire des propositions intéressantes, de les afficher, puis de renoncer lors des négociations. Pour le Buy European Act, elle a appliqué le même mode opératoire : on propose, puis on baisse les bras au premier froncement de sourcils. Il faut prendre son bâton de pèlerin, créer des alliances, trouver une majorité au Conseil. Ce ne sera pas facile, certes, mais en quelques années, nous avons obtenu des avancées qu’on pensait impossibles : taxe sur les superprofits énergétiques, interdiction des importations issues du travail forcé, impôts sur les sociétés, devoir de vigilance, taxe carbone aux frontières… Les écologistes saluent ces avancées. L’Europe se fortifiera en les approfondissant.

(Mme Valérie Létard remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard

vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Boone, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée de lEurope. Je vous trouve plutôt négatif, monsieur le sénateur, alors même que vous reconnaissez les succès européens que représentent la taxe carbone aux frontières, l’impôt mondial sur les sociétés et la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité.

Plutôt que le protectionnisme, nous défendons une stratégie du made in Europe et des mesures miroirs.

La commande publique représente en effet 14 % du PIB européen. C’est un levier extrêmement important pour la stratégie du made in Europe, par laquelle nous travaillons à l’inclusion effective de critères qualitatifs dans la commande publique et les dispositifs de soutien à la demande, le tout dans le respect des principes de non-discrimination et de libre accès à la commande publique. L’objectif est d’ouvrir prioritairement les marchés publics à des entreprises qui respectent pleinement les normes sociales et environnementales européennes.

Dans le contexte récent de la crise sanitaire, de l’exacerbation de la concurrence et de la guerre en Europe, nous souhaitons également inclure des critères de sécurité dans la stratégie du made in Europe.

Le Gouvernement soutient la mise en œuvre de mesures miroirs sectorielles, par l’application de certaines normes environnementales et sanitaires de l’Union européenne aux produits importés, lorsque cela est nécessaire pour protéger la santé et l’environnement à l’échelon mondial. C’était l’une des priorités de la présidence française du Conseil de l’Union européenne. La Commission a confirmé l’intérêt et la faisabilité juridique de ces mesures miroirs. Le Gouvernement veillera donc à ce que la Commission, le Conseil et le Parlement européen insèrent de telles mesures dans les législations sectorielles de l’Union européenne, chaque fois que ce sera nécessaire et pertinent.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Nadège Havet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a deux semaines, en première lecture, nous adoptions ici même le projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes. Le même jour, nous parvenions à un compromis avec nos collègues députés sur le projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables. Les conclusions de la commission mixte paritaire sur ce texte ont été adoptées hier.

Il y a une semaine, lors du salon HyVolution 2023, que j’ai eu plaisir à visiter, la ministre de la transition énergétique dévoilait les nouveaux lauréats de l’appel à projets « Écosystèmes territoriaux hydrogène ».

Depuis vendredi, les élus locaux peuvent demander le financement de leurs projets durables dans le cadre du fonds vert, plus de 3 milliards d’euros de crédits et de prêts étant mobilisés à cet effet.

Chers collègues, ces trois actions françaises témoignent de notre volonté d’aller plus loin, et encore plus vite, pour atteindre les objectifs fixés pour 2030 en matière de réduction d’émissions carbone.

En Europe, le cap est également fixé : zéro émission nette de gaz à effet de serre en 2050. C’est demain ! Pour atteindre cet objectif, plusieurs leviers ont été proposés par nos instances européennes : la feuille de route « Ajustement à l’objectif 55 » ; un plan pour aider à réparer les dommages économiques et sociaux immédiats causés par la pandémie, Next Generation EU, doté de 725 milliards d’euros, dont 40 % pour la transition écologique ; enfin, RePowerEU, un plan de bataille de l’Union européenne pour gagner en indépendance énergétique, qui permettra notamment de développer les filières de recyclage des énergies renouvelables. Ce sont autant de leviers pour guérir, prévenir, anticiper, refonder, innover.

À l’heure où nous parlons, le Conseil européen discute d’un nouveau plan industriel, un Pacte vert pour l’Europe, visant à renforcer la compétitivité de l’industrie européenne à zéro émission nette et à soutenir une transition rapide vers la neutralité climatique. Il a été présenté la semaine dernière par la présidente von der Leyen. À l’issue de ces échanges, une proposition juridique devrait aboutir d’ici à la mi-mars et pour le temps long.

Nous abusons parfois de l’hyperbole, mais le fait est que nous sommes véritablement à un tournant historique.

Notre ambition, rappelée par Bruno Le Maire, est grande : nous voulons que l’Europe soit l’une des trois grandes puissances de l’industrie verte au XXIe siècle. Mais cette volonté s’exprime dans un contexte de compétition internationale rude et accrue. Le Congrès américain a en effet adopté l’été dernier la loi sur la réduction de l’inflation, qui prévoit 370 milliards de dollars sur dix ans, et ce dans un contexte où les prix de l’énergie sont plus bas que chez nous.

La politique environnementale des États-Unis risque notamment d’avoir des conséquences sur le développement de notre tissu industriel vert. Les entreprises utilisant des produits américains ou produisant aux États-Unis se verront en effet accorder des subventions et des crédits d’impôt.

Si nous nous réjouissons que les grandes économies intensifient leurs investissements dans l’industrie à zéro émission nette, cela ne peut se faire au détriment d’une concurrence équitable et transparente. Alors que nous cherchons un cadre réglementaire européen approprié pour nos industries, plus simple, plus efficace et prévisible, nous ne pouvons pas tolérer d’éventuelles distorsions de concurrence.

C’est pourquoi les ministres de l’économie français et allemand se sont déplacés hier auprès de leurs homologues américains. Nous devons défendre notre industrie verte européenne et lever les freins.

Cela passe par le volet réglementaire, par la simplification et l’accélération de la procédure des projets importants d’intérêt européen commun (Piiec) ; l’adaptation des règles en matière d’aides d’État pour autoriser le soutien ciblé à certains secteurs clés de la transition verte, tels que le photovoltaïque, l’éolien, l’hydrogène ou les pompes à chaleur. Cela passe également par une réflexion sur les marchés publics et les concessions pour stimuler davantage et à grande échelle la demande de produits à zéro émission nette – il s’agit d’un des leviers fondamentaux, sur lequel j’ai rendu un rapport au Premier ministre l’an dernier.

La question du financement se pose également. C’est à nous qu’il reviendra d’utiliser et de réorienter les possibilités offertes par RePowerEU, InvestEU ou le Fonds pour l’innovation, orienté en faveur des technologies propres. À titre d’exemple, avec RePowerEU, 250 milliards d’euros pourraient être utilisés à cet effet.

Enfin, en tant qu’Européens, nous devons mettre un point d’honneur à former et à recruter davantage dans les métiers de demain. Je pense aux ingénieurs, techniciens, soudeurs dans le secteur des énergies renouvelables, du nucléaire ou de la fabrication des composants électroniques, dont nos industries manquent cruellement.

En plus de ces réponses européennes, il nous faut poursuivre les négociations avec nos partenaires, notamment les États-Unis. Nous devons obtenir des exemptions pour les entreprises européennes dans le cadre des enceintes consacrées à ces questions et rétablir des conditions de concurrence équitables.

Madame la secrétaire d’État, chers collègues, il n’y a pas de doutes possibles : dans ce contexte, l’Europe est évidemment l’échelon pertinent d’intervention. Nous avons su rester soudés pendant la crise de la covid et face à l’agression russe en Ukraine. Nous avons réussi à coordonner nos réponses pour ne plus être dépendants du gaz russe. Nous saurons élaborer des réponses coordonnées pour faire face à ces nouveaux défis !

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Boone, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée de lEurope. Madame la sénatrice Havet, votre intervention était très complète. Permettez-moi néanmoins d’y ajouter quelques compléments. Vous avez mentionné RePowerEU, dont le volet financier est ambitieux, puisqu’il prévoit d’allouer 200 milliards de prêts et 20 milliards de dons aux pays européens.

En complément, nous demandons aussi à la Banque européenne d’investissement, qui se dit banque du climat, de se mobiliser et de réfléchir de nouveau à des plans de financement comparables au plan Juncker, devenu InvestEU. L’idée est d’aller chercher les financements privés dont nous aurons besoin pour la transition énergétique. L’union des marchés de capitaux, en cours, facilitera aussi la mobilisation de ce type de fonds.

Nous menons aussi une réflexion sur un fonds de souveraineté européen, évoqué aussi bien par la présidente de la Commission européenne que par le Président de la République. Nous cherchons à déterminer l’ampleur que doit prendre cet instrument, en nous appuyant sur une estimation précise des besoins dans les secteurs sensibles que sont l’énergie, le numérique et la santé.

Les discussions autour du fonds souverain seront l’occasion de relancer nos débats sur les ressources propres, dont je rappelle l’importance en vue du remboursement du plan Next Generation EU.

Nous travaillons à l’accélération des projets importants d’intérêt européen commun. Les autorisations, qu’il fallait plusieurs années pour obtenir, doivent être délivrées en moins de quatre mois. De même, les aides d’État comprendront des crédits d’impôt, qui sont immédiats.

Vous avez mentionné les exemptions dans les actes législatifs pris outre-Atlantique. Les Américains sont en train de rédiger les décrets, qui comportent en effet des exemptions pour les véhicules électriques en leasing. Vous pouvez compter sur nous pour peser de tout notre poids afin d’obtenir ces exemptions.

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie.

M. Didier Marie. Après l’urgence de la crise sanitaire, après les épreuves imposées par l’invasion de l’Ukraine par la Russie et ses conséquences sur l’ensemble de l’Europe, la vague protectionniste des grandes puissances est un nouveau défi de taille pour l’Union européenne et son marché unique.

L’adoption de l’IRA par le Congrès américain et le déblocage de quelque 370 milliards de dollars pour prendre le virage écologique va doper l’industrie et la consommation aux États-Unis. Si cette décision de l’administration Biden est à saluer pour ce qu’elle représente en termes de réponses au défi du dérèglement climatique et d’amélioration des conditions de vie des ouvriers, elle porte en germe le risque de délocalisations massives d’entreprises européennes, confrontées à une énergie chère et à un encadrement strict des subventions.

Il convient, dans ce contexte, de ne pas négliger l’autre grande puissance, la Chine, qui a elle aussi pris le virage des technologies vertes à grand renfort de subventions d’État et de travail à bas coût.

Face à ce virage historique et à ce retour du protectionnisme, l’Union européenne et l’ensemble des États membres se doivent de réagir. Ce changement de paradigme doit pousser l’Union européenne à être plus ambitieuse pour engager une réelle transition écologique. Le débat d’actualité de ce jour est donc le bienvenu pour évoquer ensemble les positions à tenir.

L’Union européenne ne part pas de zéro, tant s’en faut, même si les mesures déjà prises pour la compétitivité et la préservation de nos intérêts stratégiques l’ont trop souvent été en réaction aux crises et non par anticipation, ce que l’on peut regretter.

Dans le cadre des mesures de défense commerciale, la réglementation antidumping modernisée en 2018, le filtrage des investissements de pays étrangers ou encore les mesures de sauvegarde, sont déjà actés.

Le règlement relatif aux subventions étrangères, entré en vigueur au début du mois de janvier, le Chips Act et l’instrument du marché unique pour les situations d’urgence, à venir, sont également des outils pertinents pour l’autonomie stratégique, qu’il conviendra d’utiliser sans remords.

La présidente de la Commission européenne, Mme von der Leyen, a présenté le 1er février les contours d’un plan industriel, dit Pacte vert. C’est une bonne nouvelle, et les instances européennes ne doivent pas hésiter à avoir recours à des dispositifs innovants : nous ne devons avoir aucun tabou.

Ce plan comprend quatre piliers principaux.

Premièrement, il prévoit une modification du cadre réglementaire européen pour rendre celui-ci « prévisible et simplifié ». Trois outils législatifs ont été annoncés ou confirmés : un texte pour une industrie zéro émission, une loi sur les matières premières critiques et la tant attendue réforme du marché européen de l’électricité.

Si ces propositions semblent aller dans le bon sens, nous suivrons avec attention la réforme du marché de l’électricité, afin que celui-ci soit enfin porté par une logique d’intérêt général et adapté à notre mix énergétique et qu’il protège efficacement les entreprises et les citoyens européens.

Deuxièmement, la présidente von der Leyen a annoncé un accès plus rapide à des financements, essentiellement grâce à un assouplissement de l’encadrement du régime des aides d’État, à la réutilisation d’enveloppes financières existantes, comme la Facilité pour la reprise et la résilience, et au plan RePowerEU.

Troisièmement, un fonds de souveraineté européen a été annoncé pour financer la transition écologique de nos entreprises.

Quatrièmement, l’amélioration des compétences des travailleurs et de leurs conditions de travail figure parmi les enjeux majeurs des transitions écologiques et numériques.

Toutefois, après les premières annonces, bienvenues, de la présidente de la Commission lors du forum de Davos, la Commission semble tergiverser, sous la pression des intérêts contradictoires de certains États membres.

Madame la secrétaire d’État, la France doit s’engager avec force et volonté dans les négociations européennes.

Permettez-moi de formuler quelques interrogations. Quelle est à ce stade la définition des « technologies propres » ? Quels secteurs seront précisément concernés par ce plan ? Les filières de l’hydrogène, de l’hydraulique ou du nucléaire, par exemple, le seront-elles ? Quelle est l’articulation avec la directive sur les énergies renouvelables, en cours de négociation ? Partagez-vous l’inquiétude que nous ressentons en constatant que les concepts de sobriété, d’efficacité énergétique et de décarbonation de l’industrie lourde – en particulier dans la production d’acier et pour les industries chimiques – sont pratiquement ignorés dans ce plan ? Face au dérèglement climatique, les nécessités de produire et de consommer autrement ne peuvent pas être laissées de côté. Quid du Buy European Act qui a été évoqué ?

Enfin, la simplification administrative annoncée par la Commission ne doit pas se transformer en une dérégulation à outrance, où la recherche de compétitivité se traduirait par un contournement permanent des normes sociales et environnementales.

L’absence d’un pilier social dans ce plan est également préjudiciable, car le sujet de la construction de l’Europe sociale ne peut pas être relégué au second plan.

Nous avons, madame la secrétaire d’État, suivi et entendu les nombreuses déclarations du Président de la République et du ministre de l’économie qui, une nouvelle fois sur un sujet européen, paraissent plutôt volontaristes, notamment en développant l’idée d’une stratégie made in Europe.

L’important, madame la secrétaire d’État, au-delà des mots et de l’affichage, c’est le résultat. Il serait intéressant à cet égard que vous nous donniez de plus amples informations sur les résultats obtenus par Bruno Le Maire et son homologue allemand, Robert Habeck, lors de leur déplacement hier à Washington, notamment sur les potentiels accords de réciprocité et les actes de coopération, comme nous avons pu en obtenir sur les semi-conducteurs.

Toutefois, je pense qu’il ne faut pas excessivement miser sur l’assouplissement des positions américaines, compte tenu du contexte interne aux États-Unis. Le président Biden n’a obtenu que difficilement l’accord du Congrès et, même s’il le souhaitait, ce qui n’a rien d’évident, il lui serait difficile d’en modifier les termes. Cependant, la Commission européenne pourrait utilement s’inspirer de ses ambitions en faveur de la transition écologique et des intérêts des travailleurs américains.

L’Europe doit réagir, non pas par des mesures de rétorsion – nous n’avons aucun intérêt à une guerre commerciale –, mais en mettant en œuvre un plan ambitieux pour ne pas être marginalisée dans la compétition économique mondiale. Ce plan, esquissé à Davos, doit être précisé et non édulcoré.

Les enjeux de ce plan sont nombreux, tout d’abord en termes de financement.

Alors que les États-Unis ont fait le choix de mettre 370 milliards de dollars sur la table, jusqu’où la Commission et le Conseil sont-ils prêts à aller ? Des divergences sont déjà apparues lors de la réunion du Comité des représentants permanents (Coreper) du 25 janvier dernier sur l’assouplissement des aides d’État. Si l’encadrement de ces aides nous semble utile, il devra être pensé pour ne pas creuser d’écart entre les pays qui disposent de capacités de financement suffisantes et les autres.

Pour cette raison, nous plaidons pour un fonds de souveraineté ambitieux. À cet égard, nous regrettons que le document de la Commission européenne ne consacre à ce fonds qu’un seul paragraphe, tout comme nous déplorons les réserves émises par l’Allemagne.

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain considère que la revue à mi-parcours du cadre financier pluriannuel, qui doit aussi avoir lieu d’ici à l’été 2023, doit être une opportunité.

Il faut d’abord réaffirmer la nécessité pour l’Union de se doter de nouvelles ressources propres. En complément de la taxation sur les bénéfices des multinationales à hauteur de 15 %, qui entrera en vigueur le 31 décembre 2023, d’autres solutions existent : l’extension du marché carbone européen, la mise en place du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ou encore la création d’une nouvelle taxe sur les transactions financières. Il est impératif de se doter de nouveaux moyens.

Ensuite, le recours à un emprunt européen mutualisé pour abonder un fonds de souveraineté européen sur le modèle du plan de relance post-covid ne doit pas être un tabou. Dans ce cadre, la Banque européenne d’investissement devra jouer pleinement son rôle et devenir le prêteur le plus vert au monde.

Le deuxième enjeu est d’éviter l’entrée en guerre commerciale et l’enlisement dans une spirale protectionniste. L’Union européenne doit se dégager de l’étau de l’affrontement sino-américain et poursuive sa stratégie d’ouverture au reste du monde, en développant les accords commerciaux tout en faisant preuve d’une vigilance et d’une exigence extrêmes s’agissant des clauses environnementales.

Le troisième enjeu porte sur le développement des compétences – objectif européen de l’année 2023 –, indispensable pour qualifier les salariés des secteurs d’avenir et réussir les transitions numérique et écologique.

La reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles évoquée par la Commission est importante pour faciliter les mobilités internes des travailleurs, mais elle devra s’accompagner d’échanges sur la création d’emplois de qualité et sur la dignité au travail.

Pour conclure, la réponse aux mesures protectionnistes des États-Unis, qui ont délibérément contourné les règles de l’Organisation mondiale du commerce, devra être d’ampleur, globale et ambitieuse.

Il nous faut éviter une guerre commerciale avec les États-Unis et négocier tout ce qui peut l’être, mais aussi, simultanément, adopter un plan industriel vert européen, concerté et innovant, en particulier dans ses modalités de financement, afin de réduire nos dépendances stratégiques.

Tels seront les enjeux des conseils européens extraordinaires des 9 et 10 février et des 23 et 24 mars prochains.

Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue !

M. Didier Marie. Nous devons faire de ce moment une opportunité et nous comptons sur le Gouvernement pour cela. (Mme Gisèle Jourda applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Boone, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée de lEurope. Monsieur le sénateur Marie, j’aborderai trois points en réponse à votre intervention.

Sur la réforme en cours du marché de l’électricité, vous n’êtes pas sans savoir que des consultations publiques se tiennent en ce moment même. Nous sommes en pleine réflexion interministérielle pour définir la meilleure stratégie – soutenable – de production, mais aussi pour nous assurer que les ménages verront leur pouvoir d’achat préservé (M. Fabien Gay sexclame.) et que les entreprises bénéficieront d’une énergie à des tarifs compétitifs.

Dans les secteurs stratégiques des technologies propres, nous tâcherons d’identifier les besoins avant de déterminer le financement nécessaire dans le cadre du fonds de souveraineté. Sont concernés les secteurs de l’hydrogène, des batteries, du solaire, mais aussi des composants clés des technologies numériques, comme les semi-conducteurs. Vous l’avez dit, un effort de formation sera également nécessaire, car 800 000 postes devront être créés dans ces secteurs d’ici à 2025.

Dans cette perspective, et en cette année européenne des compétences, il faudra faciliter la reconnaissance des formations, mais aussi attirer les talents présents non seulement dans l’Union européenne, mais aussi dans les États tiers. À cet égard, une cartographie précise et évolutive des métiers concernés est en cours d’élaboration.

Enfin, lors de leur déplacement aux États-Unis, les ministres Bruno Le Maire et Robert Habeck ont d’abord convenu avec Washington de la nécessité, pour l’application de l’IRA, d’élargir les exemptions au plus grand nombre de composants européens possible, que ce soit pour les véhicules électriques ou les matériaux critiques.

Un groupe de travail sur les matériaux critique sera mis en place pour trouver des sources d’approvisionnement variées et éviter de dépendre d’un nombre trop faible de fournisseurs. Par ailleurs, un nouveau canal de communication ministériel sera mis en place, comme l’ont demandé les Européens.

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous discutons ici d’un enjeu capital pour l’avenir de nos industries, pour notre agriculture, pour l’emploi et pour le développement des territoires.

Les États-Unis, qui n’ont jamais été avares de mesures protectionnistes, engagent à présent 370 milliards de dollars dans leur loi de réduction de l’inflation, auxquels il faut ajouter les 52 milliards de dollars de subventions directes issues de leur Chips and Science Act. Leur objectif est de développer leur industrie et leurs technologies vertes, sans concertation avec leurs partenaires, notamment l’Union européenne.

L’affaire est extrêmement grave pour les secteurs stratégiques européens. Le président des États-Unis a confirmé cette nuit cette stratégie offensive dans son discours sur l’état de l’Union.

En effet, en contrepartie d’allégements fiscaux ou de subventions directes, les États-Unis incitent leurs citoyennes et citoyens à acheter des produits – véhicules électriques, batteries ou panneaux solaires – issus de leur territoire. Les dirigeants nord-américains ont donc décidé d’amplifier la guerre économique pour regagner des parts de marché mondiales et stimuler leur croissance.

Cet engagement pour le climat ne doit pas servir de prétexte pour affaiblir l’industrie et l’agriculture européennes. Les Nord-Américains seraient d’ailleurs plus crédibles si, dans le même temps, ils ne renforçaient pas l’exploitation du gaz de schiste.

La vérité est que cette décision se combine avec l’offensive guerrière de Poutine et que l’environnement est un prétexte pour dominer de nombreux secteurs industriels, le tout sur fond du recul prévisible des pays occidentaux dans la production des richesses mondiales.

Nous avions déjà constaté la prédominance des États-Unis dans les industries pharmaceutique et numérique durant la période de la pandémie. À présent, les États-Unis se renforcent, contre l’Union européenne, dans l’industrie de l’armement, dans les secteurs de l’énergie, des transports maritimes et du transport agroalimentaire.

Ils cherchent à rendre leur pays attractif pour les entreprises d’avenir, celles qui mettront en place les technologies performantes de demain, en captant pour leurs sociétés multinationales des savoir-faire, des brevets, des compétences et des entreprises.

Ils le font, évidemment, en contradiction avec les théories du libre-échange, qu’ils prônent notamment au sein de l’Organisation mondiale du commerce.

Ils le font dans le cadre de la guerre, qui les sert si bien pour affaiblir les industries automobiles allemande et française, mais aussi une multitude d’autres activités, qu’ils réimplantent dans une Europe qu’ils avaient quelque peu délaissée.

Ils le font en utilisant l’arme supplémentaire dont ils disposent : leur monnaie, la référence dans les échanges internationaux. Oui, le dollar est une machine de guerre, qu’ils utilisent comme telle !

Là où des enjeux stratégiques pour leur souveraineté ont émergé, les États-Unis ont toujours orienté leur économie et, surtout, ils l’ont toujours maîtrisée. À cela s’ajoute leur tentative de maîtriser la fourniture d’énergie.

Face à un tel risque de perte de souveraineté économique pour l’Union européenne, nous ne pouvons rester les bras ballants. Nous n’avons aucun intérêt à nous asseoir, encore, dans le fourgon américain.

Déjà, on parle de plus en plus, dans les milieux d’affaires, de délocaliser une part de nos productions aux États-Unis et au Canada pour profiter d’une énergie moins chère. Ce serait une nouvelle catastrophe pour l’emploi.

Nous pouvons pourtant nous défendre en consolidant nos marchés publics, qui représentent de 14 % à 19 % du produit intérieur brut européen.

Il convient donc, dans le cadre d’une planification sociale et écologique, de préparer notre industrie, nos services et notre agriculture aux défis d’avenir que sont les transitions écologique, technologique et numérique en investissant fortement dans les secteurs de la recherche et du développement.

Il existe, dans les textes européens, des dispositifs qui pourraient nous permettre de nous défendre. Ainsi, le traité de Rome nous permet d’utiliser la préférence communautaire comme une arme défensive et de taxer les importations nord-américaines. De même, lorsque des secteurs entiers sont à ce point menacés, il est possible de déclencher la clause de sauvegarde.

Autrement dit, nous n’avons aucun intérêt à adopter une attitude suiviste à l’égard des États-Unis. Il nous faut au contraire faire entendre une voix autonome, pour obtenir un cessez-le-feu et parvenir à la paix en Ukraine.

Chacun comprend bien que l’alignement sur la stratégie militaire américaine empêche l’Union européenne, et surtout la France, de défendre ses intérêts stratégiques.

Or nous devrions avoir l’audace de bâtir des consortiums européens publics dans des secteurs comme le numérique, l’hydrogène vert ou encore l’énergie solaire, en favorisant des coopérations dans l’industrie automobile de demain, le transport maritime ou aérien.

Nous devrions avoir l’audace de réviser le marché unique de l’énergie, qui est un frein au développement.

Enfin, nous devrions avoir l’audace de modifier les règles budgétaires européennes afin de favoriser les investissements du futur. De ce point de vue, un fonds de développement européen offrant des crédits à taux nul serait utile et efficace.

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Fabien Gay. Les aides d’État, comme les crédits européens, doivent être conditionnées aux investissements verts et à la création d’emplois. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Gisèle Jourda et M. Christian Bilhac applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Boone, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée de lEurope. J’aimerais que, en France ou en Europe, nous fassions aussi bien notre promotion que les Américains font la leur !

En effet, monsieur le sénateur Gay, tout ce que vous demandez, nous le faisons. (Marques dironie sur des travées du groupe CRCE.)

Ainsi, la réforme des règles budgétaires est en cours. Les aides américaines, ensuite, ne doivent pas nous perturber par leur montant : nous avons mis sur la table des moyens financiers équivalents, voire supérieurs.

La flexibilité et la rapidité de mise en œuvre des décisions font en outre l’objet de propositions de la Commission, qui seront discutées au Conseil européen de demain et après-demain. Ces dernières font consensus.

Vous évoquez par ailleurs la préférence européenne ; or nous avons une stratégie de made in Europe et nous avons des normes, monsieur le sénateur, qui s’appliquent à 450 millions de personnes. (M. Fabien Gay sexclame.) Ce n’est pas rien, c’est même plus qu’aux États-Unis. Ce vaste marché incite nombre d’acteurs à venir s’installer chez nous pour y vendre leurs produits.

Nous avons encore des instruments commerciaux assertifs et nous les utiliserons. Nous avons ainsi la 5G. Les Américains, eux, ne l’ont pas, mais cela ne les empêche pas de faire leur promotion. Or je n’ai jamais entendu personne faire la promotion de la 5G de votre côté de l’hémicycle, monsieur Gay.

Je vous rappelle enfin que l’Union européenne est la région la plus avancée au monde en matière écologique.

Nous sommes leaders, pas suiveurs, et nous comptons sur vous pour le faire savoir ! (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour la réplique.

M. Fabien Gay. Madame la secrétaire d’État, alors que l’on vous soumet des propositions, vous nous répondez que tout va bien ! Or, dans le domaine spatial, par exemple, les Nord-Américains sont en train d’achever la constellation, par laquelle ils contrôleront, demain, toutes les données. (Mme la secrétaire dÉtat le conteste.) Aujourd’hui, alors qu’ils subventionnent massivement l’entreprise SpaceX, nous restons les bras ballants !

Dans trois ans, c’en sera fini : nous aurons perdu notre souveraineté sur nos données. C’est déjà le cas d’ailleurs : même nos données de santé sont détenues par des entreprises nord-américaines !

Mme Laurence Boone, secrétaire dÉtat. Pas du tout !

M. Fabien Gay. Enfin, madame la secrétaire d’État, vous ne pouvez prétendre, ici même, que le Gouvernement est proactif s’agissant de la révision du marché européen. Libre à vous de faire de telles déclarations dans les médias – encore faudrait-il qu’il y ait des gens pour vous croire –, mais ne dites pas cela ici !

Nous restons les bras ballants depuis un an. Bruno Le Maire nous promet de faire bouger les lignes, mais rien n’avance. Nous sommes pieds et poings liés par la dérégulation !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Rapin.

M. Jean-François Rapin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, voilà trente ans, le sommet de la Terre à Rio donnait le coup d’envoi de l’action mondiale pour le climat.

Au cours de ces trente ans, nous avons toutefois pu constater à quel point la coopération internationale était laborieuse et combien nos objectifs demeuraient difficiles à atteindre.

Alors, quand, après toutes les hésitations et résistances que nous connaissons, le deuxième émetteur mondial de CO2 s’engage enfin dans la décarbonation de son économie, comment ne pas y voir un signe important qu’il va dans la bonne direction ?

Oui, parce qu’elle met les États-Unis sur les rails de leur engagement climatique, la loi sur la réduction de l’inflation est une bonne nouvelle pour la planète. En revanche, pour notre continent, elle est un réel défi, à la fois économique et conceptuel : économique tout d’abord, car l’ambition portée par l’IRA n’est pas seulement climatique ; elle est aussi, et peut-être avant tout, industrielle.

Certes, les 370 milliards de dollars de ce plan de soutien doivent permettre aux États-Unis de réduire leurs émissions de 42 % d’ici à 2030, mais ils doivent surtout assurer l’émergence d’une industrie verte puissante, assise sur des chaînes d’approvisionnement relocalisées et capable de prendre la tête de la course mondiale aux technologies propres.

Avec ses exigences de localisation du contenu et de l’assemblage des produits subventionnés, l’IRA envoie un message extrêmement clair : les fonds publics américains ne profiteront qu’au made in America.

Ce faisant, les États-Unis s’offrent un avantage comparatif considérable dans l’un des rares domaines industriels, celui des technologies bas-carbone, dans lequel l’Europe peut se prévaloir d’une avance certaine. Ce domaine sera, rappelons-le, la clé de voûte de l’industrie mondiale de demain. Il transformera des secteurs entiers aussi rapidement qu’il créera de nouveaux marchés.

Au moment où nos industries subissent une explosion des prix de l’énergie, qui épargne leurs concurrentes américaines, l’IRA pourrait bien leur porter un coup fatal. Alors que les écarts de compétitivité ne cessent de se creuser, le risque de délocalisation vers les États-Unis devient en effet systémique. Les décisions d’investissement annoncées ces derniers mois par plusieurs grands groupes américains comme européens attestent d’ailleurs de la réalité de cette menace.

Selon la Première ministre, le plan américain pourrait, à court terme, faire perdre 10 milliards d’euros d’investissement à la France et compromettre quelque 10 000 créations d’emploi.

Le défi est immense d’un point de vue économique, mais aussi conceptuel, car il souligne les profondes différences d’approche entre les deux rives de l’Atlantique.

Tout d’abord, parce que là où l’Europe, avec le Green Deal, conçoit sa politique environnementale en imposant des standards et des normes, les États-Unis, avec l’IRA, mettent en œuvre une politique industrielle offensive.

Ensuite, parce que les Américains abordent le défi de la transition écologique comme ils l’ont toujours fait : avec pour seule boussole la défense de leurs intérêts économiques. Ne nous leurrons pas : dans cette perspective, l’Europe n’entre à aucun moment en ligne de compte.

Enfin, parce que, avec l’IRA, les États-Unis prennent de nouveau leurs distances avec les principes du libre-échange et les règles de l’OMC, alors qu’ils constituent le cœur de la doctrine économique de l’Union européenne.

Nous ne devrions toutefois pas être surpris que les Américains usent d’un protectionnisme assumé. Ils le pratiquent, au gré de leurs intérêts, depuis au moins un siècle. N’oublions pas que le Buy American Act est en vigueur depuis 1933 !

L’Europe doit aujourd’hui regarder toutes ces réalités en face et réagir. Bien sûr, les discussions entamées avec les autorités américaines sur l’IRA peuvent être utilement poursuivies. Il semblerait même qu’elles aient produit de premiers résultats encourageants. Tant mieux, mais il semble clair que si des ajustements sont obtenus, ils ne le seront qu’à la marge.

De même, la saisine de l’OMC reste une option à envisager. Gardons toutefois à l’esprit qu’elle n’offrira aucune solution rapide, a fortiori compte tenu de la situation de blocage dans laquelle se trouve l’organe de règlement des différends, précisément du fait des États-Unis.

C’est donc avant tout par ses propres moyens que l’Europe doit répliquer aux distorsions de concurrence. Une chose est sûre : pour répondre aux Américains, pour réussir sa transition verte et numérique et pour rester une terre de production, il faudra qu’elle soit en capacité d’attirer des investissements et donc d’envoyer les bons signaux.

L’annonce d’aides d’État plus simples, plus rapides et ciblées sur l’ensemble de la chaîne de valeur est ainsi une inflexion de doctrine qui va dans le bon sens et qui pourrait d’ailleurs être étendue à d’autres pans de la politique de concurrence.

Attention toutefois à ne pas déstabiliser le marché unique par des volumes de subventions qui seraient trop disparates selon les États membres. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la Commission proposera de créer en complément un fonds de souveraineté européen.

Selon Thierry Breton, 350 milliards d’euros devraient être mobilisés pour soutenir les projets industriels structurants. L’idée est évidemment séduisante, mais la question de son financement reste entière, en particulier s’il devait être proposé d’émettre une nouvelle dette commune.

Les oppositions de principe seraient alors nombreuses et nourries par le fait que, à ce jour, l’Europe ne sait toujours pas précisément comment elle remboursera son plan de relance.

D’autres pistes de réflexion, plus techniques, sont également sur la table. On le voit néanmoins, l’Union cherche encore le bon calibrage pour faire face à l’IRA et, plus largement, pour bâtir enfin une politique industrielle commune efficace.

Elle devra pourtant faire vite. À cet égard, le sommet européen des deux prochains jours ne devra pas déboucher sur des mesures a minima. Il doit surtout être l’occasion pour les Européens de pousser plus loin leur réflexion, car, pour donner un nouvel élan à notre industrie, d’autres leviers structurels doivent être actionnés.

Je pense notamment à l’environnement réglementaire des entreprises, qui reste trop complexe et contraignant, au développement des compétences, qui font trop souvent défaut aux industries et, bien sûr, aux prix de l’énergie, pour lesquels nous attendons encore et toujours une réforme efficace du marché européen de l’électricité.

Avant tout, l’Union européenne doit adapter son logiciel de pensée. Face aux grandes mutations de l’économie mondiale, face à la déliquescence du multilatéralisme commercial, face aux stratégies développées par les États-Unis et par tant d’autres, à commencer par la Chine, pour protéger et favoriser leurs entreprises, notre continent ne peut rester sans réaction. Il devra, tôt ou tard, se résoudre à jouer à armes égales avec ses concurrents.

Quelques avancées ont eu lieu pour établir un cadre stratégique de soutien au développement industriel, par exemple la mise en œuvre des projets importants d’intérêt européen commun. Mais, pour que les leaders industriels apparaissent ou se maintiennent dans les secteurs stratégiques de demain, l’Europe devra faire de la réciprocité le maître mot de sa stratégie économique et commerciale.

Dès lors, elle ne doit plus s’interdire de renouer avec le concept de préférence communautaire. À l’instar de ce que prévoit l’IRA, l’Union et ses États doivent pouvoir imposer dans leurs programmes de subventions des exigences en termes de localisation des approvisionnements et de production. De même, comme les États-Unis le font dans le Buy American Act, les États de l’Union doivent pouvoir réserver une part de leur commande publique aux entreprises produisant en Europe.

À rebours des politiques menées ces dernières décennies, c’est donc une véritable stratégie du made in Europe qu’il faut développer pour conforter la base industrielle de l’Union.

En renforçant l’arsenal de ses outils de défense commerciale, en adoptant un instrument antisubventions « distorsives », en améliorant le contrôle des investissements étrangers dans les actifs stratégiques ou en modifiant enfin son regard sur la concurrence internationale, notamment chinoise, l’Europe a montré ces dernières années qu’elle savait évoluer.

Elle doit désormais dépasser un cap, pour ne pas passer à côté des nouveaux marchés des nouvelles technologies qui ne cessent d’éclore, pour ne pas être évincée par des concurrents déterminés et conquérants, pour ne pas être la variable d’ajustement de la mondialisation.

En d’autres termes, elle ne peut, selon la formule de Sigmar Gabriel, rester un herbivore dans un monde de carnivores. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Boone, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée de lEurope. Monsieur le sénateur Rapin, permettez-moi de clarifier quelques points sur le volet des subventions.

Puisque les chiffres qui ont été publiés par la Commission font l’objet de nombreux débats, je rappelle que les 670 milliards d’euros d’aides d’État en question se rapportent à des paiements qui ont été autorisés, mais qui n’ont pas été déboursés.

Comme nous l’avons vu lors d’épisodes précédents, certains pays annoncent de grands moyens pour, finalement, n’en consommer qu’une partie, comme ce fut le cas, par exemple, pendant la crise du covid, au cours de laquelle France et Allemagne ont soutenu leurs entreprises et leurs ménages pour des montants équivalents. Rapportés au nombre d’habitants, ces montants ont toutefois été inférieurs aux sommes qu’ont mobilisées la Finlande ou le Danemark. Gardons cela en tête.

Comme l’ont souligné plusieurs orateurs, il est important de s’assurer que tous les pays puissent soutenir leurs entreprises dans le cadre de la stratégie industrielle européenne parce que les chaînes de production industrielle traversent toute l’Europe. Que serait une voiture sans, par exemple, le système de changement de vitesse fabriqué dans un pays n’offrant pas d’aides d’État ?

Il faut donc trouver l’équilibre entre aides d’État et flexibilité de l’utilisation des fonds de cohésion et des plans de résilience. Ces derniers doivent permettre à l’ensemble des pays de l’Union européenne de soutenir leurs entreprises de façon stratégique.

J’ajoute, monsieur le sénateur, que le projet de la Commission qui sera discuté demain et après-demain par les chefs d’État et de gouvernement prévoit d’ouvrir plus largement les Piiec que vous avez mentionnés aux petites et moyennes entreprises. Comme vous le savez, ce n’est pas exactement le cas aujourd’hui.

Conclusion du débat

Mme la présidente. En conclusion de ce débat, la parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Boone, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée de lEurope. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de la richesse de ce débat sur la réponse européenne aux mesures protectionnistes américaines. Il intervient à point nommé, puisque cette question sera au cœur des discussions des chefs d’État et de gouvernement, qui se réunissent demain et après-demain à Bruxelles.

Cette question est majeure dans la mesure où ce qui est en jeu, c’est précisément la capacité de l’Union européenne à s’assumer comme une puissance industrielle et commerciale à part entière. Cette ambition est au cœur de l’action du Président de la République en vue d’une Europe plus forte, plus résiliente et plus souveraine.

Non seulement nous sommes à un tournant majeur, mais encore nous faisons face à un triple défi, d’une ampleur exceptionnelle : il nous faut nous adapter rapidement aux transitions écologique et numérique, réduire nos dépendances stratégiques et, enfin, bénéficier de conditions de concurrence équitables.

Comme nombre d’entre vous l’ont rappelé, ces conditions sont loin d’être réunies, tant les pratiques « distorsives » de nos partenaires font peser sur l’Europe des risques réels sur les plans économique et industriel. Tel était, bien évidemment, l’objet de la visite du président Macron, puis de celle de Bruno Le Maire et de son homologue allemand, hier, aux États-Unis.

Si nous entendons poursuivre les discussions avec les Américains au sujet d’éventuelles exemptions, le ressort est à chercher davantage chez nous, au sein de l’Union européenne.

La question est donc : qu’allons-nous faire en Europe ?

Nous voulons d’abord mettre sur pied un plan d’urgence pour envoyer un signal très clair aux entreprises européennes et leur donner de la visibilité. Tel est bien l’objet du projet de plan industriel vert, qui sera présenté par la Commission aux chefs d’État et de gouvernement lors du Conseil européen de demain et après-demain.

Nous soutenons ce plan, parce que nous y trouvons beaucoup d’éléments nécessaires à nos yeux pour préserver et même accroître la compétitivité de l’industrie européenne.

À cet effet, nous devons d’abord sélectionner des secteurs stratégiques. Après le règlement sur les composants électroniques – le Chips Act –, nous devons à présent adopter deux autres textes majeurs : une nouvelle législation destinée à assurer à l’Europe un approvisionnement en matières premières critiques – le Critical Raw Materials Act – et un nouveau cadre réglementaire pour l’industrie à zéro émission – le Net-Zero Industry Act –, qui doit fixer des objectifs capacitaires – vous demandiez un plan, mesdames messieurs les sénateurs ! – d’ici à 2030.

Nous devons également – c’est le deuxième volet de notre stratégie – simplifier drastiquement notre environnement réglementaire. Cela signifie non pas abandonner les régulations, mais les rendre claires, simples et faciles à mettre en œuvre.

Nous appelons donc à un choc de modernisation et de simplification des aides d’État, à une réduction à quatre mois des délais d’instruction des projets importants d’intérêt économique commun et à une réforme du marché de l’électricité.

Enfin, nous devons envisager l’adaptation de la commande publique européenne aux enjeux de notre politique industrielle.

Le troisième volet de notre stratégie consiste à mobiliser les investissements nécessaires. Nous aurons bien sûr besoin de capitaux privés, mais aussi de capitaux publics européens.

À cet égard, il est important de distinguer deux horizons. À court terme, nous avons besoin d’un redéploiement des fonds et, à moyen terme, d’une réponse structurelle au travers de la mise en place d’un fonds de souveraineté.

La politique commerciale, enfin, constitue le dernier volet de cette stratégie. Elle implique la mobilisation d’instruments autonomes et de défense commerciale qui soient à la fois protecteurs, dissuasifs et, j’ajouterai, assertifs : finie la naïveté, nous allons être offensifs ! Je pense en particulier à la protection du marché intérieur contre les subventions massives et les pratiques commerciales déloyales des États-Unis ou de la Chine.

Autant le dire sans ambiguïté et avec beaucoup de clarté : la préparation du Conseil européen a fait apparaître des clivages parmi les États membres, mais, comme vous le savez, le Conseil a précisément pour objet de favoriser le dialogue, les discussions et les négociations, en vue d’arriver à une position commune. C’est ce que nous ferons demain.

J’ajoute que personne ne veut d’une guerre commerciale, surtout dans le contexte actuel du conflit en Ukraine. En revanche, il ne faut pas que l’Union européenne soit une variable d’ajustement ; nous continuerons donc de nous battre contre cela et contre ce plan américain.

Ce paquet ambitieux combinera des flexibilités raisonnables en matière d’aides d’État, une accélération ainsi qu’une simplification de la politique industrielle et des négociations avec les États-Unis. Vous pouvez compter sur nous pour faire avancer une politique industrielle européenne digne de ce nom. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP. – M. Pierre Louault applaudit également.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat d’actualité sur le thème : « Quelle réponse européenne aux récentes mesures protectionnistes américaines ? »

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures, est reprise à dix-huit heures deux.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

5

Communication d’un avis sur un projet de nomination

Mme la présidente. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi ordinaire n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des finances a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis favorable – 17 voix pour, 1 voix contre – à la reconduction de M. Nicolas Dufourcq aux fonctions de directeur général de la société anonyme Bpifrance.

6

 
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, relative à la reconnaissance du génocide des Assyro-Chaldéens de 1915-1918
Discussion générale (suite)

Reconnaissance du génocide des Assyro-Chaldéens de 1915-1918

Adoption d’une proposition de résolution

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, relative à la reconnaissance du génocide des Assyro-Chaldéens de 1915-1918
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de résolution relative à la reconnaissance du génocide des Assyro-Chaldéens de 1915-1918 présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par Mme Valérie Boyer, M. Bruno Retailleau et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 227).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Valérie Boyer, auteure de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Valérie Boyer, auteure de la proposition de résolution. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a près de huit années, je poussais les portes du Sénat ; j’étais alors présente non pas dans cet hémicycle, mais dans les tribunes.

Je veux saluer les représentants de l’association des Assyro-Chaldéens en France, le président Marius Yaramis, François Pupponi, Georges Oclin, les élus Tony Fidan et Jean Samat, le professeur Efrem Yildiz, le président du Seyfo Center, Sabri Atman, et tous ceux qui n’ont pu être à leurs côtés dans nos tribunes, mais qui suivent notre débat.

Permettez-moi de saluer, plus particulièrement, le professeur Joseph Yacoub et son épouse Claire. Vous êtes les enfants, les rescapés d’une entreprise de destruction massive, d’un génocide.

Il y a plus de onze ans, le Sénat marquait l’histoire en votant le texte que j’avais présenté au Parlement sur la pénalisation du négationnisme du génocide de 1915.

Il y a près de vingt-deux ans, malgré les pressions diplomatiques, le Parlement votait la reconnaissance du génocide arménien. Je n’imaginais pas, à cette époque, siéger dans cet hémicycle et devoir de nouveau parler d’un génocide.

Je tiens à remercier le président Larcher d’avoir inscrit à l’ordre du jour cette proposition de résolution relative à la reconnaissance du génocide des Assyro-Chaldéens de 1915-1918.

Je veux aussi remercier, plus particulièrement, Bruno Retailleau, qui s’est toujours mobilisé sur ce sujet, ainsi que le président Hervé Marseille, qui a accepté de s’engager à nos côtés.

Aussi, en ce 8 février 2023, j’espère que nous saurons nous rassembler pour une cause universelle, qui nous transcende, celle de la justice et des droits humains. Même si l’histoire est un perpétuel recommencement, elle ne doit pas être un renoncement éternel.

Pour la première fois en France, la question du génocide des Assyro-Chaldéens fait l’objet d’un débat public, suivi d’un vote.

Nous ne le disons pas suffisamment, mais oui, le destin de l’Occident et l’avenir de l’Orient sont intimement liés. Le sort des chrétiens d’Orient et des autres minorités, notamment les Yézidis, peut être considéré comme un prélude à notre propre sort. Aujourd’hui encore, les chrétiens d’Orient sont en danger de mort et nous sommes les témoins de ce massacre annoncé, et même revendiqué.

Souvenons-nous du 8 juin 2014 : Daech en Irak et au Levant prenait le contrôle de la ville de Mossoul, l’ancienne Ninive, capitale des empires assyriens, qui comptait autrefois plus de 30 000 chrétiens assyro-chaldéens.

Ces barbares ont provoqué la fuite de près de 10 000 chrétiens de cette ville dans laquelle les maisons appartenant à la communauté assyro-chaldéenne ont été marquées de la lettre noun, en référence au terme « Nazaréen », qui désigne les chrétiens. Ces derniers ont été sommés de se convertir à l’islam, de payer la jizya ou de quitter la ville sans rien emporter avec eux sous peine d’être mis à mort. Cette cité s’est vidée en quelques jours de toute sa population chrétienne.

Selon l’Évangile de Saint-Luc, « s’ils se taisent, les pierres crieront ». Mais il sera trop tard. Et demain, qui parlera l’araméen ? Qui parlera la langue du Christ ?

Cent huit ans après 1915, l’histoire bégaie. Ce qui fut à l’époque le premier génocide du XXe siècle, perpétré par l’Empire ottoman turc, a fait plus de 2,5 millions de victimes chrétiennes d’origines arménienne, assyro-chaldéenne, syriaque et grecque pontique. Les motifs étaient prétendument laïcistes, mais il s’agissait d’une épuration ethnique ; ils sont islamistes aujourd’hui, mais la méthode reste exactement la même.

Ce génocide revêtait différentes formes et n’épargnait rien : il était physique, culturel et cultuel. Plus de la moitié de la communauté, estimée à environ 500 000 membres, fut martyrisée. Ce fut une politique d’élimination concertée et planifiée, reposant sur une abondante documentation en plusieurs langues.

C’est pourquoi j’avais décidé de déposer dès 2015, à l’Assemblée nationale, une proposition de loi relative à la reconnaissance du génocide des Assyro-Chaldéens. Je l’ai redéposée en février 2022, avec Bruno Retailleau, et nous nous étions engagés à l’inscrire à l’ordre du jour du Sénat, ce que nous avons fait avec cette proposition de résolution. Et j’apprends aujourd’hui que notre collègue député Raphaël Schellenberger, vice-président du groupe d’études chrétiens d’Orient vient de déposer, aujourd’hui, le même texte à l’Assemblée nationale.

Je veux le redire, nous avons un rôle de protection envers les chrétiens d’Orient, qui est l’héritage d’une longue histoire remontant aux Capitulations signées par François Ier avec le sultan Soliman le Magnifique en 1536.

La mémoire et l’histoire contribuent à l’identité des peuples. L’oubli et la négation portent atteinte au respect de la dignité humaine. Ne laissons pas la France faillir à son devoir historique et moral de protection des minorités chrétiennes, pour ne pas faire rougir l’histoire !

Il y a un siècle, le génocide des Assyro-Chaldéens-Syriaques a été ignoré ; il continue d’être méconnu, tout comme le sort des chrétiens d’Orient aujourd’hui. Malheureusement, au travers de ce texte, nous parlons autant d’histoire que d’actualité.

Pour les chrétiens d’Orient, l’histoire bégaie : ils font toujours face à une volonté de les éradiquer, de les éliminer, de les effacer. Actuellement, selon la fondation Aide à l’Église en Détresse (AED), un chrétien sur sept est fortement persécuté et discriminé en raison de sa foi, soit 360 millions de personnes.

Aujourd’hui encore, le président Erdogan fait régulièrement allusion, de façon extrêmement méprisante et menaçante, aux « restes de l’épée », ou aux « résidus de l’épée », cette épée qui a massacré les chrétiens d’Orient en 1915 ; il désigne ainsi, de manière abjecte, les survivants des génocides. Ces propos font peser une menace, celle de poursuivre cette extermination.

Hier comme aujourd’hui, nous sommes face à une communauté désarmée, petite en nombre, mais majestueuse par sa culture.

Hier comme aujourd’hui, nous sommes face à un peuple qui devient le bouc émissaire d’une radicalisation instrumentalisée par ceux qui veulent imposer par la force et la violence un régime qui n’a rien à voir ni à faire avec la religion, mais tout à voir avec la conquête du pouvoir et l’assouvissement des pires instincts humains.

Contrairement au génocide arménien, reconnu par de nombreux pays et de multiples organisations internationales, et considéré comme l’un des quatre génocides officiellement acceptés par l’Organisation des Nations unies (ONU), le massacre des Assyro-Chaldéens souffre d’un manque de reconnaissance en tant que génocide.

Si, comme le dit le Président de la République, la France veut regarder l’histoire en face, elle ne doit oublier personne.

Ce manque de reconnaissance est sans doute dû au fait que la nation assyrienne est souvent méconnue. D’ailleurs, l’Europe n’a jamais placé le sort des chrétiens d’Orient au premier rang de ses priorités – et c’est regrettable – parce que ceux-ci sont minoritaires, parce que nous dépendons de certains pays pour notre approvisionnement énergétique, parce que l’Europe a mauvaise conscience en raison de sa lourde responsabilité dans les conflits qui ravagent le Moyen-Orient depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Mais nous avons appris de nos erreurs, nous avons payé le prix de nos fautes. Et parce que nous sommes à la fois les protecteurs historiques des chrétiens d’Orient, mais aussi le pays des droits de l’homme, ces génocides du XXe siècle comme du XXIe siècle ne doivent pas rencontrer la passivité de la communauté internationale, laquelle empêcherait de protéger ces populations.

La lutte contre la barbarie doit mobiliser l’ensemble des pays du monde et nous devons reconnaître le génocide des chrétiens d’Orient. Les actes commis par les forces ottomanes il y a plus d’un siècle, comme ceux qui sont commis aujourd’hui par Daech, doivent être considérés comme un génocide et comme un crime contre l’humanité.

Hélas, nous ne pouvons que déplorer la passivité de l’ONU en termes de protection de ces minorités, victimes de tortures et de purification ethnique. C’est pourquoi il est impératif que la plainte déposée auprès de la Cour pénale internationale (CPI) par la Coordination des chrétiens d’Orient en danger aboutisse.

Ban Ki-moon, alors secrétaire général de l’ONU, affirmait le 20 juillet 2015 que les actions intentées contre les chrétiens pouvaient être considérées comme un crime contre l’humanité. Mais il s’agit aussi d’un véritable génocide, comme je l’avais dénoncé à l’Assemblée nationale.

Ces génocides sont aussi la matrice de notre civilisation et nous obligent à agir au nom de l’histoire et des engagements de la France.

Comme l’explique Joseph Yacoub, « ce génocide physique et cette spoliation des terres et des biens étaient accompagnés d’atteintes graves à l’héritage culturel ». Malheureusement, ces exactions se poursuivent. Comme aujourd’hui les Arméniens de l’Artsakh, les Assyro-Chaldéens se sont vus déposséder d’une grande partie de leurs lieux de vie, de culture et de mémoire. En tout, plus de 400 églises et monastères ont été ruinés. Plus de 250 000 Assyro-Chaldéens-Syriaques, soit plus de la moitié de cette population, ont péri des mains des Turcs et des irréguliers kurdes utilisés à ces fins.

Aussi, notre texte a plusieurs objectifs.

Nous demandons notamment au Gouvernement de reconnaître officiellement que l’extermination de masse, la déportation et la suppression de l’héritage culturel de plus de 250 000 Assyro-Chaldéens par les autorités ottomanes entre 1915 et 1918 constituent un génocide.

Nous l’invitons aussi à condamner publiquement ce génocide et à faire du 24 avril la date de commémoration annuelle du génocide arménien et du génocide assyro-chaldéen. Et à ceux qui parlent de « concurrence des victimes », je réponds « universalité des victimes » et « universalité de la cause ». Rappelons-nous cette phrase d’Élie Wiesel : « En niant l’existence d’un génocide, en l’oubliant, on assassine les victimes une seconde fois. »

Avec cette proposition de résolution, nous donnons l’occasion à la France d’inspirer ses voisins européens et, plus largement, les démocraties occidentales. Nous demandons à celles-ci de rester éveillées, afin que ces exactions cessent de se perpétuer dans l’indifférence générale.

En votant cette proposition de résolution, à laquelle je vous remercie de vous associer, mes chers collègues, vous marqueriez de nouveau l’histoire en considérant les Assyro-Chaldéens comme un peuple non plus classé en marge, mais inséré dans l’histoire.

Je conclurai en citant ces mots prononcés par Patrick Devedjian lors de la reconnaissance du génocide de 1915 par l’Assemblée nationale : « Nous leur devons ce linceul de mémoire, nous leur devons cette dignité. » (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à M. André Guiol.

M. André Guiol. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l’ont rappelé les auteurs de la proposition de résolution, la reconnaissance du génocide des Assyro-Chaldéens s’inscrirait dans la suite de celle du génocide des Arméniens de 1915, portée par la loi du 29 janvier 2001.

Le procédé et le but d’un génocide sont l’extinction en tout ou partie d’un groupe ethnique, religieux ou racial ; c’est la pire abomination de l’humanité.

Nous portons tous la même appréciation sur ces moments tragiques de l’histoire. Bien entendu, il faut condamner les massacres perpétrés, entre 1915 et 1918, contre la communauté assyro-chaldéenne-syriaque, un peuple réduit, du fait de sa faible population contemporaine, mais riche de sa culture, et immense par les gloires qu’il assume ou qu’il rappelle ; un peuple poussé à la marginalisation et contraint à l’immigration ; un peuple ayant presque entièrement péri, sans que l’Europe s’émût et sans que nul y prêtât intérêt, plongé dans l’oubli et dans l’indifférence générale ; un peuple sans État, que le climat favorable aux nationalités, il y a de cela un siècle, a oublié, abandonnant à leur sort ses quelques milliers de survivants.

Après s’être engagé à apporter des garanties pour la protection des Assyro-Chaldéens et d’autres minorités ethniques ou religieuses à l’intérieur des régions d’un empire ottoman alors démantelé, Paris a finalement rendu caduc tout accord intervenu. Or, à l’heure du règne des États-nations, sans son propre État, un peuple n’a point de salut.

L’idéologie nationale qui cimente les États récemment constitués privilégie souvent, à l’excès, l’appartenance au groupe ethnique majoritaire. Entre l’émiettement en micro-communautés et un ordre étatique négateur des particularismes minoritaires, la France doit jouer le rôle de porte-étendard des États démocratiques et de protecteur des minorités.

Néanmoins, avant de porter notre réflexion vers toute forme de reconnaissance, il est important de rappeler la controverse entourant la qualification de génocide et le rôle du législateur dans sa quête de la juste vérité historique. Rappelons que reconnaître des faits inventoriés par des historiens n’est pas refaire l’histoire, et l’on se gardera bien d’avoir des positions à géométrie variable.

Si les Assyro-Chaldéens n’ont jamais connu, semble-t-il, le bonheur des « peuples sans histoire », leur massacre répond indiscutablement, a minima, à la qualification de crime contre l’humanité. Cependant, indépendamment de la question de savoir si l’on peut ou non retenir la dénomination de génocide, je ne souhaite pas que, sans consensus, nos actes mémoriels incitent à une guerre des mémoires et à une concurrence des victimes.

Il y a eu, et il y a encore, tellement de malheurs, d’atrocités, d’exactions, de guerres et de conflits qui ont jalonné et jalonnent encore notre histoire… Il faut donc qu’il y ait non pas concurrence, mais universalité des victimes.

Nos indignations ne doivent pas être sélectives. Or, s’il nous appartient de reconnaître le génocide arménien, et désormais le génocide assyro-chaldéen, sur quel fondement refuserions-nous de reconnaître celui des Tutsis au Rwanda ? Et la liste est si longue ; scrutez l’actualité !

Néanmoins, la reconnaissance du génocide des Assyro-Chaldéens, dont le massacre fut, je le rappelle, avéré en son temps par la Société des Nations (SDN), doit constituer un jalon majeur pour la justice et la lutte contre l’impunité sous toutes ses formes, au Moyen-Orient comme partout ailleurs dans le monde.

Cet acte mémoriel ne doit pas stigmatiser, culpabiliser, exclure ou diviser les populations actuelles en qualifiant de génocidaires les descendants des coupables de ces exactions. Au contraire, les faits établis de manière définitive doivent faire l’objet d’une acceptation unanime et servir de fondement à une réconciliation.

Si les souffrances des Arméniens ont principalement attiré l’attention de la communauté internationale au siècle dernier, ce texte va dans le sens des récentes évolutions en la matière. En effet, ce sont consécutivement l’Association internationale des spécialistes du génocide (IAGS), l’Allemagne et le Saint-Siège qui ont consacré l’extermination concertée des Assyro-Chaldéens par l’Empire ottoman de 1915 à 1918 comme génocide.

Toutefois, je terminerai mon propos en vous rappelant la polémique qu’avait suscitée la proposition de loi de 2012 visant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi, dont celui des Arméniens, adoptée ici au Sénat. Son adoption avait en effet provoqué de graves tensions diplomatiques entre la France et la Turquie.

Or, si le contexte ne doit pas interférer sur ce qui est juste, je doute que le moment soit opportun pour raviver les tensions entre nos deux États, alors qu’Ankara, endeuillée, fait face aujourd’hui à la plus importante catastrophe de ces quatre-vingts dernières années, laquelle nécessite tout notre soutien.

C’est pourquoi le groupe RDSE, fidèle à sa diversité et attaché à la liberté de vote, s’en remet à l’appréciation de chacun de ses membres. Une majorité d’entre eux approuvera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Nicole Duranton applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Retailleau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Retailleau. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ayant écouté l’intervention précédente, je tiens à faire part clairement et nettement de la compassion que le groupe Les Républicains éprouve pour les deux peuples aujourd’hui endeuillés, le peuple turc et le peuple syrien. Et lorsque j’évoquerai l’Empire ottoman, M. Erdogan, le rôle de la Turquie encore aujourd’hui, je parlerai d’un régime et non d’un peuple, car je distingue ce régime et ce peuple.

Chers amis, chers collègues, la proposition de résolution que nous examinons constitue une démarche historique. Au travers de ce texte, Valérie Boyer et beaucoup d’entre nous avons voulu poser deux actes importants : un acte de reconnaissance et un acte de résistance.

L’acte de reconnaissance est nécessaire et a été explicité par les deux précédents orateurs.

Qui sait encore que, entre 1915 et 1918, plus de la moitié du peuple assyro-chaldéen fut rayée de la carte ? Qui sait que le nombre de ces victimes s’est élevé à cette époque à plus de 250 000 personnes – hommes, femmes, enfants, vieillards –, qui furent massacrées dans des conditions terribles : elles moururent de mort violente, atroce, mais aussi de mort lente, à petit feu, abandonnées sur les routes de l’exode et de la déportation à travers les déserts brûlants de Mésopotamie.

Cette réalité, nous devons la reconnaître aujourd’hui, d’autant plus – je veux le rappeler devant la Haute Assemblée – que ce crime génocidaire est contemporain d’un autre génocide : le génocide arménien, que le Sénat fut la première assemblée à reconnaître, en première lecture, voilà désormais près de vingt-trois ans, sous l’impulsion du président Jacques Chirac.

Ces deux génocides, tout comme ces morts, sont liés. Il est donc logique que la reconnaissance s’étende aussi à ce petit peuple assyro-chaldéen, sans frontières et sans État, mais dont l’histoire est grande.

On peut établir un parallèle entre ces deux histoires puisque la mécanique génocidaire dont furent victimes le peuple arménien et le peuple assyro-chaldéen fut la même : des exécutions ont été méthodiquement mises en œuvre, mais surtout méticuleusement planifiées. Ces peuples furent massacrés non pas en raison de leurs actes, non pas pour ce qu’ils firent, mais pour ce qu’ils étaient : des peuples qui n’étaient pas turcs ottomans, qui n’était pas musulmans, mais simplement chrétiens, comme il s’en trouvait beaucoup dans cette région du monde il y a plusieurs siècles ; car leurs racines plongeaient profondément dans cette géographie et cette histoire particulières.

Comme pour le peuple arménien, il a fallu que les auteurs, notamment ottomans, de ces exactions et leurs supplétifs aillent jusqu’à effacer la culture du peuple assyro-chaldéen. Car la culture est le plus court chemin de l’homme à l’homme. Quand on veut détruire un peuple, on cherche à effacer son empreinte culturelle, à détruire tout ce qui peut ressembler à une architecture – des églises, des monastères –, c’est-à-dire à une culture dans toute sa profondeur.

Le parallèle s’arrête là puisque, si nous avons reconnu solennellement le génocide arménien, il n’en fut pas de même du génocide du peuple assyro-chaldéen, du fait sans doute qu’il n’était pas doté d’un État, sans doute aussi du fait de réticences, que j’entends exprimer de nouveau, à désigner le successeur de l’Empire ottoman, la Turquie.

Ce texte est donc un acte de vérité au regard de l’histoire, mais également un acte de résistance face au négationnisme et au fatalisme.

Un acte de résistance face au négationnisme, d’abord, au moment même où, dans le monde, l’histoire est instrumentalisée. Parlant de négationnisme pour ce qui concerne les génocides arménien et assyro-chaldéen, il convient de prononcer le nom de M. Erdogan. Si M. Erdogan cherche aujourd’hui à réécrire l’histoire, c’est parce qu’il cherche à reconstruire l’Empire ottoman. Tous les régimes autoritaires procèdent de la même façon : réécrire l’histoire et faire la guerre pour tenter d’accomplir des desseins impérialistes.

Un acte de résistance face au fatalisme, ensuite : certains pourraient en effet être tentés de nous demander s’il est bien nécessaire de se préoccuper de ce petit peuple, lointain, sans État et sans frontière. Or, bien sûr, il faut s’en préoccuper !

Ce peuple, aujourd’hui rassemblé dans l’ancienne Babylone, a une histoire multiséculaire.

La première fois que je suis allé en Irak, en août 2014, quelques semaines après la proclamation à Mossoul du califat par M. Al-Baghdadi – j’étais à cette époque le premier parlementaire à me rendre dans ce pays –, j’ai vu les traces vivantes de ce peuple. Ses membres étaient évidemment moins nombreux sur ce territoire qu’ils ne l’avaient été au cours des siècles, voire des millénaires passés, et qu’ils ne le sont dans la diaspora d’aujourd’hui, dispersée au travers de la planète, mais j’ai vu leur courage et leur résistance face à Daech.

J’ai vu aussi les efforts de ce peuple qui n’avait cessé au cours des âges, de génération en génération, de jeter des passerelles culturelles, y compris religieuses, entre toutes les communautés. Et c’était souvent le seul trait d’union entre ces communautés, quelles qu’elles soient.

Je veux, à cet égard, saluer la figure du cardinal Sako, le patriarche de ces églises ; ceux qui connaissent son action savent quelle est l’œuvre de la communauté assyro-chaldéenne, notamment en Irak.

Nous vous proposons d’adopter cette proposition de résolution, non pas au nom du passé, mais au nom de l’avenir d’un peuple, certes dépourvu d’État, mais non de mémoire.

Nous ne pouvons pas, mes chers collègues, laisser les membres de ce peuple seuls avec leur malheur. Il y va aussi de notre avenir, au moment où l’histoire est en proie aux idéologies. Leur avenir nous concerne aussi !

Bien sûr, plus de cent ans après cette tragédie, il est trop tard pour sauver les victimes et punir les coupables et les bourreaux. Mais il n’est jamais trop tard pour nommer les choses et pour rendre justice aux victimes d’hier et aux vivants aujourd’hui. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Joël Guerriau applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, après le séisme qui a frappé la frontière turco-syrienne, je tiens à faire part de notre soutien aux peuples kurde, syrien et turc et avoir une pensée émue pour les victimes et leurs familles.

Il y a plus d’un siècle, la Première Guerre mondiale a pris fin. Ce conflit a été d’une ampleur et d’une violence jusqu’alors inconnues, qu’il est aujourd’hui difficile de se représenter. Cette guerre, qui aurait dû être « la Der des Ders », a fait près de 20 millions de morts. En massacrant ses enfants, l’Europe s’est suicidée, selon le mot de Romain Rolland. Même s’il a cessé depuis plus de cent ans, ce conflit continue de produire des effets.

Cette guerre a en effet marqué la fin du temps des empires, tant en Europe qu’en Asie Mineure et au Moyen-Orient. Elle a également décimé les populations des plus grandes puissances du monde.

Comme trop souvent dans l’histoire, une tragédie en a entraîné d’autres. Alors que les regards étaient fixés sur les combats du théâtre européen, la Turquie ottomane, engagée dans le conflit aux côtés de l’Allemagne, a profité de la guerre pour régler ses comptes : en 1915, elle a perpétré un génocide contre les populations arméniennes.

Alors que ce génocide a été maintes fois décrit et documenté, Ankara refuse toujours de le reconnaître. L’ampleur des massacres, leur caractère ciblé et systématique, ainsi que la volonté d’effacer ce peuple, sont pourtant indiscutables.

Les Arméniens n’ont pas été les seules victimes des massacres perpétrés par la Turquie ottomane en cette année 1915. Les Assyro-Chaldéens ont, eux aussi, subi des déplacements forcés et des exécutions en masse. Cette population comptait un demi-million de personnes à la fin du XIXe siècle. La moitié d’entre elles a disparu dans les massacres.

À ne pas reconnaître le passé, on se condamne à le revivre. Les auteurs de la présente proposition de résolution rappellent à juste titre que les chrétiens d’Orient ont figuré parmi les premières victimes de l’État islamique. Nous ne devons pas laisser dans l’ombre ces crimes contre l’humanité.

La proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui invite le Gouvernement à reconnaître le génocide perpétré par la Turquie contre les Assyro-Chaldéens. Reconnaître ce génocide satisferait un double objectif.

Un objectif de justice, tout d’abord : les massacres dont les Assyro-Chaldéens ont été la cible en 1915 sont effectivement constitutifs d’un génocide. Ces actes ne peuvent pas rester sans condamnation. La justice commande de reconnaître la souffrance des peuples.

Le second objectif est un objectif de protection : reconnaître ces massacres comme le génocide qu’ils constituent mettrait en lumière des populations qui étaient encore récemment victimes de persécutions.

Cette reconnaissance mettrait ainsi en lumière à la fois les Assyro-Chaldéens et la menace qui pèse sur eux. La communauté internationale serait dès lors plus attentive à leur sort.

Alliés de la Turquie, toujours candidate à l’entrée dans l’Union européenne, nous attendons de ce pays qu’il agisse dans le respect des valeurs humanistes. Or, après avoir acquis des S-400 russes, Ankara n’a pas hésité à éliminer une frégate française, ne l’oublions pas. Elle use du chantage migratoire contre l’Europe et bloque l’adhésion des pays européens à l’Otan.

La Turquie n’hésite pas non plus à recourir à la force contre ses minorités et celles de ses voisins. Nous avons vu son action contre les Kurdes de Syrie en Irak. Ces agissements graves sont particulièrement préoccupants.

Loin de reconnaître son passé, Ankara semble vouloir continuer d’effacer ce qui la dérange, selon un comportement que plusieurs régimes autoritaires ont adopté à travers l’histoire, toujours avec des conséquences funestes.

Dans ces conditions et au regard de la longue histoire qui nous lie aux chrétiens d’Orient, il nous semble que la France doit contribuer à empêcher de nouvelles atrocités.

Cette proposition de résolution défend utilement tant la mémoire des victimes concernées que la survie de leurs descendants. Les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires voteront donc en faveur de l’adoption de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu’il me soit permis avant d’évoquer cet épisode dramatique de l’histoire du Proche-Orient, d’avoir une pensée émue pour les dizaines de milliers de victimes du séisme qui a frappé la Turquie et la Syrie, pour leurs familles et leurs proches, pour celles et ceux qui sont encore coincés dans les décombres, celles et ceux qui tentent de les sauver et celles et ceux qui désespèrent de revoir l’être aimé.

Notre collègue Boyer et le groupe Les Républicains nous proposent d’adopter une résolution relative à la reconnaissance du génocide assyro-chaldéen.

Permettez-moi d’abord de relever, comme l’a fait notre collègue Temal récemment, que lorsque nous proposons à la majorité sénatoriale de réparer par le droit une faute commise par la République, à l’endroit notamment des soldats fusillés pour l’exemple de la Grande Guerre, le groupe Les Républicains nous accuse de vouloir réécrire l’histoire ; mais que la chose ne vous pose nullement problème quand il s’agit de proposer lois et résolutions mémorielles sur l’histoire d’autres pays.

M. Bruno Retailleau. C’est différent !

M. Guillaume Gontard. C’est une contradiction de plus.

Pour notre part, nous n’avons pas de problème de principe avec le vecteur législatif comme outil de politique mémorielle. L’histoire est une matière mouvante, une construction à la fois scientifique, sociale et politique, qui évolue avec le temps, à mesure des découvertes, de l’étude des archives et de l’évolution du point de vue que portent sur elle les sociétés. Avec toute la rigueur scientifique indispensable à l’exercice, il me paraît normal que le Parlement se penche sur notre histoire.

La période sur laquelle vous nous invitez à réfléchir compte parmi les plus dramatiques et les plus douloureuses de notre histoire. Parmi toutes les horreurs de la Première Guerre mondiale, celles qui ont été commises par l’Empire ottoman, puis la Turquie naissante, continuent de hanter nos mémoires.

Aux XIXe et XXe siècles, l’Empire ottoman regroupe une population majoritairement musulmane, ainsi qu’un ensemble de minorités chrétiennes de diverses églises schismatiques, considérées comme des citoyens de second ordre, notamment les Arméniens, les Assyriens, les Syriaques, les Yézidis, les Chaldéens ou les Grecs pontiques, fréquemment victimes d’exactions et de massacres.

En 1909, le mouvement nationaliste des Jeunes-Turcs arrive à la tête de l’Empire et cherche à imposer sa politique de turquisation, qui prend de l’ampleur avec le début de la guerre mondiale. Pour éviter la fracturation de l’Empire et la révolte des populations chrétiennes, soutenues par l’ennemi russe, les autorités turques musulmanes ont mis en place un véritable plan d’extermination de ces dernières. Au total, entre 1 et 1,5 million de personnes est tué dans ces massacres et des centaines de milliers d’autres sont déplacées.

Ces abominables massacres, dont les racines sont à la fois politiques, identitaires et religieuses, ce qui est un peu trop oublié dans l’exposé des motifs de la présente proposition de résolution, sont communément reconnus sous l’appellation de « génocide arménien » et ont fait l’objet d’un consensus historique très large et d’une reconnaissance politique importante, qui n’incluent malheureusement toujours pas la Turquie.

Si la réalité des populations non musulmanes et non turques de l’Empire ottoman dépasse la seule population arménienne et s’il ne fait pas de doute que toutes ces populations ont été massacrées sans distinction par le pouvoir ottoman, peut-on néanmoins distinguer et parler de « génocide assyro-chaldéen » ?

Si l’on suit la définition du génocide de la convention des Nations unies de 1948, il faudrait pour cela que les Assyro-Chaldéens représentent un même groupe national, ethnique, racial ou religieux. Pareille affirmation ne fait pas l’objet d’un consensus historique et mériterait un colloque bien plus savant que notre débat du jour. Les populations assyriennes, syriaques et chaldéennes, même si elles partagent une langue commune, peuvent-elles être considérées comme un même peuple ?

Ce n’est pas le choix retenu par les très rares pays qui reconnaissent distinctement la logique génocidaire des massacres et qui, comme la Suède ou les Pays-Bas, distinguent les Assyriens, les Syriaques et les Chaldéens, mais aussi les Grecs pontiques, également massacrés et étrangement absents du périmètre de la présente proposition de résolution.

Vous l’aurez compris, faute d’un consensus historique plus large, il nous semble que la loi du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915 inclut dans son spectre l’ensemble des massacres perpétrés par l’Empire ottoman au cours de la période concernée et satisfait donc largement toutes les demandes de la présente proposition de résolution.

Mais si tel n’est pas l’avis de la majorité sénatoriale, pourquoi ne pas présenter une proposition de loi pour compléter ou préciser la loi de 2001 plutôt qu’une proposition de résolution ?

Ne niant pas le caractère systématique des massacres perpétrés contre les populations non turques, mais considérant que la réflexion qui sous-tend la présente proposition de résolution n’est pas encore aboutie, et n’oubliant pas un contexte géopolitique complexe et un contexte humanitaire dramatique en Turquie, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’abstiendra sur ce texte.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d’abord, au nom du groupe RDPI, permettez-moi de faire part de notre profonde tristesse et d’avoir une pensée émue pour la Turquie et la Syrie et pour toutes les familles des plus de 10 000 victimes, selon le dernier décompte, qui ont péri dans les terribles séismes survenus dans leurs pays.

Commençons par rappeler quelques éléments historiques sur le sujet qui nous réunit. Comme mes collègues l’ont dit dans les interventions précédentes, la population assyrienne du nord de la Mésopotamie, dans les régions au sud-est de l’actuelle Turquie et au nord-ouest de l’Iran, a été déplacée de force et certains de ses membres tués par les forces ottomanes entre 1915 et 1918. Les estimations sur le nombre total de morts varient entre 180 000 et 275 000. La question arménienne a longtemps occupé le devant de la scène ; peu de chercheurs se lançaient à l’époque sur le sujet. assyro-chaldéen.

Cette proposition de résolution à visée mémorielle n’est qu’un texte purement déclaratif qui, s’il était adopté, n’aurait qu’une portée symbolique ; ce n’est pas un véhicule législatif susceptible d’entraîner une quelconque amélioration pour les milliers de chrétiens encore persécutés en Orient ou pour les descendants des Assyro-chaldéens du début du XXe siècle.

Sur le fond, le dispositif prévu par la proposition de résolution est assez simple, mais l’exposé des motifs laisse entrevoir une autre volonté politique. Une phrase, en particulier, soulève une interrogation : « Comme en 1915, les victimes sont chrétiennes et les bourreaux musulmans. »

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Mais c’est vrai !

Mme Nicole Duranton. Par une extension de sens, cela revient à sous-entendre que les musulmans sont toujours les coupables. Cet amalgame renforce tous les sentiments négatifs qui existent à l’égard de la religion musulmane.

Il est dommage qu’un sujet historique d’une telle complexité soit passé au travers d’un filtre déformant et simplificateur. Pour l’opinion publique, l’enjeu est simple : reconnaître un fait. Pourtant, la réalité est plus complexe : précautions sémantiques sur la définition du génocide, agendas politiques, concurrence mémorielle, relations diplomatiques multilatérales… Nous ne sommes pas face à un nœud gordien qu’il faudrait trancher avant de repartir examiner un autre texte, le cœur serein.

La politique mémorielle passe aussi par des actions qui peuvent avoir un caractère symbolique très fort, telles que des discours de chefs d’État. Le Président de la République Emmanuel Macron a déclaré : « La France, c’est d’abord et avant tout ce pays qui sait regarder l’histoire en face, qui dénonça parmi les premiers la traque assassine du peuple arménien. »

En réalité, le problème est ailleurs. Le président de l’Union des Assyro-Chaldéens de France (UACF) le fait comprendre clairement : les Assyro-Chaldéens se sentent oubliés. C’est une question d’égalité dans la reconnaissance, au-delà de celle de la vérité historique.

Au cours des années 1990, avant les premières recherches universitaires sur le Sayfo, les groupes de la diaspora assyrienne ont commencé à communiquer auprès de différents gouvernements. En décembre 2007, l’Association internationale des chercheurs sur le génocide a adopté une résolution reconnaissant le génocide assyrien. Le parlement suédois en 2010, puis les parlements arménien et néerlandais en 2015 et le parlement allemand en 2016 ont suivi.

Toutefois, très peu d’États se sont engagés dans cette voie. On ne peut donc pas dire que la majorité des États ait accepté cette démarche ni qu’elle fasse consensus, puisque Israël et le Royaume-Uni ont refusé de voter une disposition similaire à celle que nous examinons aujourd’hui.

Néanmoins, nous sommes depuis longtemps les soutiens et les amis des chrétiens d’Orient. En tant que vice-présidente du groupe de liaison, de réflexion, de vigilance et de solidarité avec les chrétiens d’Orient et vice-présidente du groupe interparlementaire d’amitié France-Turquie (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.), j’ai fait de nombreux déplacements sur les territoires nationaux correspondant à l’ancien Empire ottoman. J’ai par ailleurs déjà eu l’occasion d’échanger avec la communauté turque de mon département de l’Eure. Ces personnes n’ignorent pas le sujet assyro-chaldéen et elles y sont évidemment très sensibles.

Il faut le dire : la France s’est toujours montrée solidaire des minorités opprimées du Moyen-Orient, que ce soit par la voix des membres du clergé, comme l’abbé Eugène Griselle ou l’archevêque de Paris, ou par celle d’élus, à l’instar de Denys Cochin, député de Paris et membre de l’Académie française. Depuis le XVIe siècle, la France entretient un réseau diplomatique dense au Moyen-Orient. Elle a été attentive au sujet des Assyro-Chaldéens lors de la Conférence de la paix de Paris en 1919-1920.

Plus récemment, devant des défenseurs des chrétiens d’Orient, le mardi 31 janvier dernier, à l’Élysée, le Président de la République a annoncé le doublement des fonds destinés à soutenir les écoles chrétiennes au Moyen-Orient. Créé en 1920, ce fonds avait déjà soutenu 174 écoles l’année dernière. « Soutenir les chrétiens d’Orient est une mission historique » et un « engagement séculaire de la France » a dit le Président de la République.

Nous considérons que ce texte, dont l’exposé des motifs comporte des raccourcis et des parallèles plus que discutables, ne contribue pas utilement à la relation si importante et singulière entre la France et les chrétiens d’Orient.

Pour ces raisons et parce que le sujet relève d’une appréciation individuelle, dans leur ensemble, les membres du groupe RDPI s’abstiendront sur cette proposition de résolution, chacun restant libre de son vote.

Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Rachid Temal. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que nous examinons une proposition de résolution relative à la reconnaissance par le Gouvernement du génocide des Assyro-Chaldéens, permettez-moi de dire quelques mots sur le tremblement de terre qui a ces dernières heures frappé la Turquie et la Syrie.

En effet, ce 6 février, ce sont bien deux séismes, à neuf heures d’intervalle, d’une magnitude de 7,8 sur l’échelle de Richter pour le premier et de 7,5 pour le second, avec comme épicentre la ville de Gaziantep, qui ont durement frappé les populations. À l’heure où nous parlons, plus de 11 000 morts sont d’ores et déjà recensés. Le nombre de blessés sera beaucoup plus important, vous l’imaginez bien.

Une course contre la montre est engagée pour tenter de retrouver les survivants, pris au piège des débris et lourdement affectés par des températures glaciales. À jamais, ces femmes, ces hommes et ces enfants seront marqués et touchés dans leur chair et dans leur âme par ces événements.

Je veux, au nom de mon groupe, leur dire tout notre soutien et leur adresser nos sincères condoléances. Nos pensées sont tournées vers eux. La France est aux côtés des peuples turc et syrien, qui souffrent.

J’associe bien évidemment nos concitoyens qui, de par leur histoire familiale, vivent en France, leur pays, qui sont angoissés par la situation et attendent des nouvelles.

Enfin, je souhaite souligner la formidable solidarité internationale, qui a su se mobiliser pour agir. La France y prend toute sa part. Nous ne pouvons que remercier le Président de la République et saluer son action.

Mes chers collègues, ce mercredi 8 février 2023 est un moment attendu, pour ne pas dire espéré, et ce depuis bien longtemps – trop longtemps – par la communauté assyro-chaldéenne. Je parle là de nos concitoyens pleinement français et j’y associe les membres de la communauté, qu’ils résident en Turquie, en Irak ou ailleurs, et qui, en cet instant, observent le Sénat.

Oui, en ce mercredi 8 février 2023, il nous revient par nos votes de reconnaître leur histoire, douloureusement marquée par ce génocide.

En cet instant, je souhaite dire quelques mots à celles et ceux qui s’interrogent sur le sens même du vote de cette proposition de résolution. Je pourrais leur répondre que l’histoire de France est aussi celle d’un pays qui a toujours pris ses responsabilités pour protéger les chrétiens d’Orient. Je ne vais pas ici revenir sur l’ensemble de cette histoire commune, car le temps me manquerait, mais il faut le rappeler.

Je souhaite également saluer l’action des présidents de la République, MM. François Hollande et Emmanuel Macron, qui, ces dernières années, ont eu à agir en accueillant des réfugiés assyro-chaldéens menacés de mort par Daech. Ils ont été à la hauteur de leur mission : nous devons les en remercier.

Je pourrais également leur dire que la France a toujours fait le choix de protéger les minorités, ainsi que leur culture et leur histoire, sans distinction religieuse, que ces peuples soient de confession chrétienne, musulmane ou juive.

Je pourrais enfin ajouter que, il y a plus de deux siècles, la France a fait le choix de devenir la patrie des droits de l’homme et de faire de l’universalisme son champ de réflexion et d’action permanent.

Je me dois aussi de leur dire que la position de mon groupe n’est pas de peser au travers de cette proposition de résolution sur les relations diplomatiques avec la Turquie, la Syrie ou tout autre État du Moyen-Orient.

Notre position ne s’inscrit pas non plus dans une quelconque logique de guerre de civilisation ou de matrice civilisationnelle, car l’une comme l’autre sont infondées et mortifères.

Mes chers collègues, il ne s’agit pas pour le Sénat d’écrire l’histoire. C’est le rôle et la mission des historiens : laissons-les travailler. Néanmoins, le rôle du Sénat est bien de prendre acte de l’histoire et ici l’histoire est claire : le génocide assyro-chaldéen par la puissance ottomane est avéré.

Près de la moitié des 500 000 Assyro-Chaldéens ont été pourchassés, tués, massacrés ou supprimés par la puissance ottomane. Leurs maisons et leurs églises furent détruites et leurs biens confisqués. Ce génocide est bien le premier du XXe siècle. Il s’agit bien d’un génocide, tel qu’il a été défini dans la convention de l’Organisation des Nations unies du 9 décembre 1948, au sens où ont été mis en œuvre des actes « dans l’intention de détruire, intégralement ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ».

Les écrits sur le génocide de 1915 existent et sont parvenus jusqu’à nous : ils émanent tant d’observateurs que des bourreaux eux-mêmes. La presse française racontait et dénonçait d’ailleurs, à l’époque, les atrocités de ce génocide. Les témoignages des victimes existent et se lèguent en héritage.

Cette mémoire du génocide se transmet et voyage. Elle se transmet de génération en génération, comme j’ai pu le constater. Elle voyage au gré de l’exil, des villages montagneux à la nouvelle capitale des Assyro-Chaldéens qu’est devenue Sarcelles, dans mon département du Val-d’Oise.

Quarante ans après les premières arrivées d’Assyro-Chaldéens dans notre pays, devenu aujourd’hui le leur, nous pouvons saluer leur amour de la patrie, leur volonté farouche de faire grandir la République sans jamais oublier leur histoire, leur culture, leur langue, ainsi que leurs frères et sœurs qui sont encore là-bas.

M. Rachid Temal. Avant de conclure, je dirai quelques mots à mes collègues qui siègent à la droite de l’hémicycle, comme je l’avais fait il y a quelques jours lors de l’examen de la proposition de loi visant à réhabiliter les militaires « fusillés pour l’exemple » durant la Première Guerre mondiale.

Si le Sénat peut prendre acte de l’histoire, comme nous le faisons aujourd’hui, avec émotion et responsabilité, l’histoire de France ne peut en être exclue.

Aussi, mes chers collègues, permettez-moi de saluer celles et ceux qui sont présents dans les tribunes du Sénat, notamment les présidents du Conseil de coordination des Assyro-Chaldéens de France (CCACF), George Yaramis et Jean-Marc Yabas, les représentants de l’Association des Assyro-chaldéens en France (AACF), ou encore l’historien Joseph Yacoub. Ils portent depuis des années la mémoire de tout un peuple et celle de la souffrance.

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera bien évidemment cette proposition de résolution qui invite le Gouvernement à reconnaître le génocide. C’est un premier pas qu’il faut saluer – je remercie celles et ceux qui l’ont déposée –, mais nous devons aller au bout du processus, la proposition de résolution n’ayant pas de valeur contraignante.

M. Bruno Retailleau. On est d’accord !

M. Rachid Temal. C’est pourquoi notre groupe déposera très prochainement une proposition de loi visant à reconnaître le génocide assyro-chaldéen et à faire du 24 avril la date de sa commémoration, le même jour que celle du génocide arménien, qui est aujourd’hui reconnu par la loi.

Bien évidemment, nous sommes ouverts et nous pourrons travailler ensemble.

Mme Valérie Boyer. Mais nous avons déjà déposé un texte !

M. Rachid Temal. Oui, mais c’est une proposition de résolution ; nous déposerons une proposition de loi.

M. Bruno Retailleau. On dépassera les clivages ! (Sourires.)

M. Rachid Temal. Comme nous le faisons toujours, cher président Retailleau, dès qu’il y va de l’intérêt supérieur de la Nation et de l’humanité, mais nous vous annonçons dès à présent que nous souhaitons aller plus loin que la proposition de résolution qui nous est aujourd’hui soumise.

Je ne doute pas que le Sénat adoptera notre proposition de loi. Il restera donc à la faire adopter dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale. Je ne doute pas non plus que le Président de la République, la Première ministre et bien sûr la majorité relative à l’Assemblée y seront favorables, tout comme le groupe Les Républicains.

Dès lors qu’elle sera adoptée, elle aura force de loi. La reconnaissance du génocide assyro-chaldéen sera ainsi totalement effective et le 24 avril deviendra aussi la journée de commémoration de ce génocide. C’est ainsi et seulement ainsi que le long combat pour la mémoire et la vérité sera totalement victorieux.

Pour conclure, permettez-moi de reprendre les mots de Victor Hugo, qui siégeait sur les travées du Sénat, celles-là même où vous êtes assis, chers collègues : « Servir la patrie est une moitié du devoir, servir l’humanité est l’autre moitié. » C’est le chemin qui est devant nous dorénavant. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.

M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, Walter Benjamin disait que le progrès humain ne peut se réaliser tant que la justice n’est pas rendue aux victimes des persécutions. Nous devons aux morts du génocide arménien, à leurs souffrances et à leur mémoire qu’une instance juridique internationale établisse les faits et les culpabilités.

Comme les Juifs de la Shoah, les Bosniaques de Srebrenica et les Tutsis du Rwanda, les victimes du génocide, des déportations et des spoliations perpétrés par l’Empire ottoman en 1915, qu’elles soient arméniennes, grecques pontiques ou assyro-chaldéennes, doivent être reconnues par un tribunal pénal international sous mandat de l’Organisation des Nations unies.

La recherche historique a montré depuis longtemps que le génocide arménien de 1915 est non pas un accident, mais la phase paroxysmique d’une administration de plus en plus criminelle des minorités religieuses et ethniques par l’Empire ottoman. Pour bien en mesurer l’importance, il faut rappeler que les Arméniens, Grecs, Juifs, Syriaques, Assyriens et Chaldéens représentaient plus de 19 % de la population ottomane en 1914, contre 0,2 % aujourd’hui.

La construction de l’État turc moderne s’est nourrie de la persécution des minorités religieuses et ethniques. Les minorités chrétiennes ont été éliminées les premières. Puis vint le tour de celles qui furent considérées comme incompatibles avec l’identité nationale fondée sur le sunnisme et la turcité.

Ainsi, une violente campagne antisémite aboutit à l’expulsion des Juifs de Thrace en 1934. Progressivement, les minorités religieuses issues de l’islam subirent elles aussi la persécution : chiites, alaouites et alévis. N’oublions pas les massacres commis contre les communautés alévis de Sivas en juillet 1993 et de plusieurs quartiers d’Istanbul en mars 1995.

Enfin, comment oublier le destin funeste du peuple kurde, auquel le traité de Sèvres promettait un territoire autonome au sein duquel seraient reconnus des droits pour la minorité assyro-chaldéenne ? Son article 62 prévoyait en effet que sa mise en œuvre devait « comporter des garanties complètes pour la protection des Assyro-Chaldéens et autres minorités ethniques ou religieuses dans l’intérieur de ces régions ».

On sait ce qu’il advint de ce traité, que la France et le Royaume-Uni s’empressèrent de remplacer par celui de Lausanne, signé en 1923, qui organisa leur tutelle sur les possessions ottomanes au Proche-Orient et abandonna l’Arménie et les Kurdes à leur triste sort.

Pis, ce traité permit la réalisation de ce que la partie turque qualifia de « stabilisation de l’homogénéité ethno-religieuse » et qui se traduisit dans les faits par l’expulsion d’un million et demi de Grecs de Turquie. Un tiers d’entre eux moururent avant d’atteindre les côtes grecques. Ce génocide des Grecs de Turquie ne doit pas non plus être oublié.

Mme Valérie Boyer. C’est vrai !

M. Pierre Ouzoulias. Le traité de Lausanne a posé les bases de l’identité religieuse et ethnique du nouvel État turc. Un ministre de la justice de Mustafa Kemal Atatürk déclarait en 1930 « que tous, les amis, les ennemis et les montagnes sachent bien que le maître de ce pays, c’est le Turc. Ceux qui ne sont pas de purs Turcs n’ont qu’un seul droit dans la patrie turque : c’est le droit d’être le serviteur, c’est le droit à l’esclavage ».

La France accepta tout, jusqu’à l’opprobre de céder à la Turquie, en juin 1939, le sandjak d’Alexandrette qui appartenait au territoire de la Syrie placée sous son mandat. Les 50 000 Arméniens, Grecs et Assyriens qui y vivaient prirent eux aussi le chemin de l’exil.

Dans votre proposition de résolution, chers collègues, vous écrivez que « la France [a un] devoir historique et moral de protection des minorités chrétiennes d’Orient ». L’histoire nous enseigne malheureusement qu’elle ne l’a assumé que lorsqu’il pouvait satisfaire ses ambitions géopolitiques. Ce pragmatisme sans scrupule a considérablement affaibli ces communautés et en tout premier lieu celle des Assyro-Chaldéens, sans doute parce que la diversité de ses composantes, linguistiques, religieuses et ethniques la rendait encore plus fragile.

Mme Valérie Boyer. C’est vrai.

M. Pierre Ouzoulias. Minoritaires parmi les minorités, persécutés parmi les persécutés et oubliés parmi les oubliés, les Assyro-Chaldéens n’ont cessé de subir les conséquences des bouleversements de l’histoire tumultueuse du Proche-Orient. La France, en reconnaissant le génocide arménien, qui ne concerne pas seulement les Arméniens, ne les a pas ignorés. Le mérite de cette proposition de résolution est de les associer plus distinctement à l’hommage rendu à tous les morts du génocide. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Bonneau. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. François Bonneau. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour commencer, j’adresse une pensée, de la part de notre groupe, à toutes les victimes des terribles tremblements de terre survenus en Turquie et en Syrie. Les drames humains qui se déroulent actuellement au cœur de l’hiver sont terribles.

Dans son ouvrage daté de 1920, Les Assyro-Chaldéens et les Arméniens massacrés par les Turcs, Joseph Naayem, un ancien aumônier des prisonniers de guerre alliés en Turquie et officier de l’instruction publique, transcrit les témoignages non seulement des victimes des atrocités de l’Empire ottoman, mais également des témoins oculaires.

Alors que le tribunal de la Conférence de la Paix allait se prononcer sur le sort de cet empire déchu, son objectif était de faire connaître aux juges et à l’opinion publique l’asservissement, depuis des siècles, de chrétiens en Arménie, en Asie Mineure et en Syrie. En apportant ces témoignages, Joseph Naayem a souhaité graver dans le marbre la mémoire d’un peuple oublié.

Il dit notamment : « J’ai à cœur d’établir le martyrologe d’un petit peuple, le plus intéressant, mais en même temps le plus abandonné, issu d’un grand empire de la plus ancienne civilisation du monde, dont le pays fut, comme l’Arménie, le théâtre des abominations turques dont les hommes furent tragiquement assassinés, les femmes, les enfants et les vieillards déportés au désert, pillés, martyrisés, soumis aux pires outrages. Ce peuple, c’est le peuple assyro-chaldéen. »

Durant la Première Guerre mondiale, l’Empire ottoman décimait les populations arméniennes et les Assyro-Chaldéens, se rendant coupable de crimes contre l’humanité. Alors que l’un a été reconnu comme un génocide par la loi du 19 janvier 2001, la reconnaissance de l’autre est toujours suspendue, plus de cent ans après les faits.

La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 est pourtant claire à ce sujet : un génocide doit répondre à plusieurs critères, énumérés dans son article 2. Il est reconnu dans le cas d’« actes, commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ». Il peut s’agir d’un meurtre, d’une atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale, d’une soumission intentionnelle ou encore d’un transfert forcé d’enfants.

Exodes, famines, déportations, viols, enlèvements, acculturation ou encore conversions forcées, voilà ce qu’ont subi les victimes assyro-chaldéennes de 1915 à 1918.

Les massacres se déroulaient dans un périmètre très vaste : en Anatolie orientale, en Perse et dans la province de Mossoul, c’est-à-dire dans des lieux identiques à ceux où périssaient les Arméniens.

Dans les deux cas, les nationalistes turcs souhaitaient éliminer les groupes non turcs et non musulmans de zones géographiques trop sensibles en les exterminant, en les dispersant ou en les déportant, afin d’homogénéiser l’Empire. Nul doute n’est permis : il s’agit bien d’un génocide.

Nous sommes la France, le pays des droits universels, des droits de l’homme et du citoyen. Il y va de notre héritage, il y va de notre honneur de reconnaître ce génocide, en dehors de toute autre considération vis-à-vis du pays qui nie ces faits. Reconnaître publiquement et officiellement est une manière de ne pas occulter ces drames et ces massacres perpétrés à l’encontre de ces grands oubliés dans l’ombre des victimes arméniennes.

Alors que les yeux du monde étaient tournés sur les événements de la Première Guerre mondiale en Europe, l’Empire ottoman a assurément su profiter de la conjoncture pour se débarrasser de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants qui ne demandaient qu’à vivre sur ce sol, comme leurs ancêtres depuis des temps immémoriaux.

Sous la Turquie de Mustapha Kemal, les communautés assyro-chaldéennes ont été marginalisées. Ces questions ne pouvaient émerger au niveau collectif ou sur le plan politique en raison du nationalisme ambiant, turc comme arabe. Ce n’est qu’à partir des années 1980 qu’un débat s’est ouvert sur ces massacres, par le biais des enfants et des petits-enfants de la diaspora. Les autorités turques actuelles, issues de l’ancien Empire ottoman, refusent d’admettre leurs responsabilités et leurs actions génocidaires face à des minorités culturelles et religieuses.

S’il est toujours nié par Ankara, au même titre que le génocide arménien, le massacre des Assyro-Chaldéens est aujourd’hui reconnu par la Suède, par le Parlement néerlandais, par l’Australie, par l’Arménie ainsi que par le Vatican.

En 2023, il n’est plus acceptable que l’État turc refuse de se confronter à cette cruelle réalité historique, celle qui a coûté la vie à plus de 250 000 Assyro-Chaldéens en trois ans et réduit en esclavage des milliers d’autres.

L’heure est venue d’une reconnaissance officielle de ces crimes pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire un génocide. Cette reconnaissance est indispensable et pourra permettre de créer une lame de fond, afin qu’un jour le gouvernement turc l’admette à son tour. L’histoire des nations est bâtie de faits glorieux et hideux, il est de la grandeur d’un peuple de l’admettre.

Il est triste de constater que l’histoire est bien souvent cyclique pour les minorités ; elle se répète. L’hostilité à l’égard de ces populations reste prégnante dans ces régions. À titre d’exemple, l’engagement politique et militaire de la Turquie avec l’Azerbaïdjan contre les Arméniens au Haut-Karabakh a mis à nu le passé et a révélé la manière, particulièrement grave, dont sont traitées les minorités chrétiennes.

Comment ne pas rapprocher le massacre des Assyro-Chaldéens du XXe siècle des tueries meurtrières des chrétiens et des yézidis d’Irak et de Syrie par Daech ces dernières années ? Les motivations et le contexte politiques sont certes différents, mais les conséquences sont similaires : des événements laissant des milliers de morts et qui ont ébranlé les fondements mêmes de la vie de l’ensemble de ces communautés.

Dans ces deux cas, des groupes minoritaires religieux ont été ciblés de manière systématique en raison de leur foi et ont été soumis à des violences extrêmes. Ils ont été condamnés sans autre issue que celle de fuir ou de mourir.

La reconnaissance du massacre des Assyro-Chaldéens en tant que génocide et la condamnation des actes de Daech contre les populations chrétiennes et yézidies sont des premiers pas importants pour faire face à ces crimes contre l’humanité et pour prévenir leur répétition à l’avenir.

Oui, cela fait plus d’un siècle, mais ne nous disons pas qu’il est trop tard, car ce serait une erreur, une nouvelle erreur. Il n’est jamais trop tard pour rendre hommage aux victimes. En reconnaissant l’existence du génocide, nous honorons leur mémoire et leur sacrifice, leur permettant ainsi de maintenir leur identité culturelle et religieuse.

Il n’est jamais trop tard pour préserver l’histoire. En reconnaissant le génocide, nous nous assurons que ses leçons ne sont pas effacées et que les drames du passé ne finiront pas dans l’oubli.

Il n’est jamais trop tard pour offrir une justice aux victimes. Reconnaître le génocide, c’est en quelque sorte apporter une forme de réparation pour la souffrance et les sacrifices du peuple assyro-chaldéen.

En somme, il n’est jamais trop tard pour éveiller les consciences. La reconnaissance ne pourra que sensibiliser l’opinion publique aux causes et aux conséquences de ces tragédies et inciter d’autres pays à prendre des mesures en ce sens.

La démarche engagée par Mme la sénatrice Valérie Boyer et M. le président Bruno Retailleau est importante. Il ne s’agit pas de procéder à une réécriture de l’histoire, mais de reconnaître, de mettre les mots sur la vague meurtrière qui s’est abattue sur ce peuple chrétien du Proche-Orient. Le groupe Union Centriste, dans sa très grande majorité, votera pour la proposition de résolution.

Mes chers collègues, je ne peux que vous encourager à soutenir ce texte. Il ne s’agit pas d’un simple vote, mais d’un acte réparateur, d’un acte de justice pour se souvenir de ce génocide trop souvent oublié. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP, Les Républicains, GEST, SER et CRCE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Olivier Becht, ministre délégué auprès de la ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de lattractivité et des Français de létranger. Madame la présidente, madame la sénatrice Valérie Boyer, mesdames, messieurs les sénateurs, à l’heure où les populations de Turquie et de Syrie pleurent les victimes du séisme du 6 février ou cherchent encore des survivants dans les décombres, je voudrais d’abord adresser les pensées et les condoléances du Gouvernement aux peuples de ces deux pays. La France, à l’heure où je vous parle, envoie sur le terrain son hôpital de campagne de la sécurité civile en soutien de ces mêmes peuples.

En ce qui concerne le projet de résolution qui nous est présenté ce soir, je voudrais attirer l’attention de votre Haute Assemblée sur l’amalgame malheureusement réalisé entre les questions mémorielles de l’Empire ottoman, qui relèvent du travail des historiens, et la situation contemporaine des chrétiens d’Orient, en faveur de laquelle nous sommes bien évidemment pleinement engagés.

Les questions mémorielles nécessitent un travail de recherche approfondie permettant d’éclairer des faits historiques. Elles ne peuvent être débattues qu’à la lumière d’une telle analyse, qui participe au travail de mémoire sur les événements tragiques de notre passé. Afin d’établir la reconnaissance du crime de génocide, une lecture juridique est en outre nécessaire. (Mme Valérie Boyer sexclame.)

La définition du crime de génocide renvoie en effet à un corpus juridique international précis, désormais établi par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide ainsi que par les statuts des tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda ou pour l’ex-Yougoslavie et, bien sûr, de la Cour pénale internationale.

Nous devons aussi tenir compte des différences de contexte et nous ne pouvons examiner cette proposition de résolution sans tenir compte de l’exposé des motifs qui la justifie. En 1915, les victimes des massacres auxquels se réfère le projet de résolution étaient toutes chrétiennes. Il en va différemment des événements des dernières années. Si les chrétiens ont, à l’évidence, été la cible des atrocités de Daech, des membres d’autres communautés ont été visés, comme les yézidis, les chiites ou encore les sunnites que l’organisation terroriste considérait comme déviants. De fait, c’est parmi les musulmans que les victimes de Daech sont les plus nombreuses. (Marques dagacement sur les travées des groupes Les Républicains et SER.)

M. Rachid Temal. Vous mélangez tout !

M. Olivier Becht, ministre délégué. Nous avons besoin, pour protéger les chrétiens et les membres des autres minorités, de l’engagement des gouvernements concernés, mais également des populations musulmanes majoritaires qui, elles aussi, souffrent du terrorisme. (Mme Valérie Boyer sexclame.)

M. Rachid Temal. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit. C’est une proposition de résolution !

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. C’est incroyable !

M. Olivier Becht, ministre délégué. Affirmer ainsi qu’en 2023 les victimes sont chrétiennes et les bourreaux musulmans relève d’une vision partielle et partiale de l’histoire à laquelle le Gouvernement ne peut souscrire. (Protestations sur des travées des groupes Les Républicains et SER.) C’est la raison pour laquelle le Gouvernement ne soutiendra pas ce projet de résolution.

Mme Valérie Boyer. Qui vous a écrit ce texte ?

M. Olivier Becht, ministre délégué. La France agit sans doute plus que n’importe quel autre pays en faveur des chrétiens d’Orient.

Mme Valérie Boyer. C’est dramatique !

M. Olivier Becht, ministre délégué. Ce soutien est pluriséculaire et s’inscrit dans une longue histoire d’amitié avec les communautés chrétiennes d’Orient. Celle-ci remonte à l’accord dit des Capitulations, conclu entre François Ier et Soliman le Magnifique, qui confia en 1536 à la France le privilège et la responsabilité de la protection des catholiques de l’Empire ottoman. (Exclamations sur des travées des groupes Les Républicains et SER.)

Si ces instruments juridiques ne sont plus en vigueur, sauf en Israël et en Palestine, la France conserve une responsabilité politique et morale vis-à-vis des chrétiens d’Orient. Comme l’a dit le Président de la République à plusieurs reprises, ce passé nous oblige.

M. Olivier Becht, ministre délégué. Notre pays continue donc d’agir en faveur des chrétiens d’Orient et des autres minorités du Proche et du Moyen-Orient.

M. Rachid Temal. Faites voter ce texte, alors !

M. Olivier Becht, ministre délégué. Il le fait, par fidélité à des populations qui sont proches de nous et par cohérence avec son engagement en faveur des droits de l’homme, en particulier de la liberté de religion. Il le fait également par conviction. Le maintien de la diversité religieuse au Moyen-Orient est une condition indispensable à son évolution vers la paix, la stabilité, la tolérance et la prospérité. C’est pourquoi notre pays s’engage pour toutes les minorités au Moyen-Orient.

Ainsi, la France a pris l’initiative d’une réunion du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies, en mars 2015, avant d’organiser, en septembre de la même année, une conférence internationale pour la protection des victimes de violences ethniques et religieuses au Moyen-Orient. (Exclamations sur des travées des groupes Les Républicains et SER.)

Mme Jacqueline Eustache-Brinio et M. Rachid Temal. Ce n’est pas le sujet !

M. Olivier Becht, ministre délégué. Le plan d’action issu de cette conférence reste une boussole pour la communauté internationale. De plus, la France agit aussi par elle-même. Je veux ici mentionner quelques exemples de notre action.

Tout d’abord, nous apportons un appui financier important pour prévenir des violences religieuses dans la région. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.) Entre 2015 et 2022, la France a ainsi mobilisé le fonds de soutien aux victimes de violences ethniques et religieuses au Moyen-Orient, à hauteur de 39,4 millions d’euros, pour financer 123 projets, notamment en Irak et en Jordanie. Ces projets portent sur la santé, l’eau, l’hygiène, l’assainissement, le soutien psychologique, les moyens de subsistance et la stabilisation – déminage, relance économique, conservation du patrimoine culturel. (Les protestations redoublent.)

À la demande du Président de la République, nous avons créé un fonds pour les écoles d’Orient.

M. Rachid Temal. Revenons à 1915 !

M. Olivier Becht, ministre délégué. Il présente la particularité d’être cogéré et cofinancé par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères et l’Œuvre d’Orient, organisation non gouvernementale catholique bien connue.

En 2022, ce fonds a distribué 4 millions d’euros d’aides aux écoles confessionnelles diffusant la francophonie au Proche-Orient, en particulier au Liban. Son action sera reconduite pour le même montant en 2023.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Il s’est trompé de texte !

M. Pierre Ouzoulias. On parle de morts ! Cela devient indécent !

M. Olivier Becht, ministre délégué. La violence peut être aussi immatérielle. C’est pourquoi la France s’engage également dans la protection du patrimoine culturel et religieux des chrétiens d’Orient. Je pense au soutien que nous apportons à l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones en conflit (Aliph).

M. Rachid Temal. Il s’est trompé de fiche !

M. Olivier Becht, ministre délégué. Cela a permis de mener une trentaine de projets de réhabilitation du patrimoine en faveur des chrétiens d’Orient depuis 2018. À Mossoul, au cœur d’une ville meurtrie par des mois d’occupation par Daech, Aliph finance la restauration de l’église chaldéenne Al-Tahira, dont le dôme s’était effondré.

M. Rachid Temal. Merci bien !

M. Olivier Becht, ministre délégué. La France s’engage aussi sur son territoire en faveur de la préservation du patrimoine culturel des chrétiens d’Orient. Il a par exemple été décidé, en 2022, de créer un nouveau département au musée du Louvre consacré aux arts de Byzance et des chrétientés orientales. (Nouvelles marques dexaspération sur les travées des groupes Les Républicains et SER.)

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. C’est indécent !

M. Bernard Bonne. Vous n’avez pas honte ?

M. Olivier Becht, ministre délégué. Je voudrais aussi citer notre action de lutte contre l’impunité des crimes commis en Syrie et en Irak. Nous soutenons la documentation des crimes et violations des droits de l’homme commis par Daech et l’ensemble des belligérants et mettons tout en œuvre pour que les responsables de ces crimes puissent être traduits devant des juges. (Mêmes mouvements.)

Enfin, nous entretenons un dialogue au plus haut niveau politique avec les autorités religieuses. Ainsi, lors de l’audience papale du président de la République à l’occasion de sa visite au Saint-Siège, les 24 et 25 octobre 2022, il a notamment été question du maintien de la diversité religieuse et de la protection des chrétiens d’Orient. Le Président de la République, la ministre de l’Europe et des affaires étrangères et nos ambassadeurs sur le terrain rencontrent les chefs religieux chrétiens et musulmans et les encouragent à promouvoir une culture de paix, de respect mutuel et de collaboration au service du bien commun, dans l’esprit du document d’Abou Dhabi sur la fraternité humaine pour la paix dans le monde et la coexistence commune, signé conjointement par le pape François et le grand imam d’Al-Azhar, en 2019. (Mmes Valérie Boyer et Jacqueline Eustache-Brinio sexclament.)

M. Lucien Stanzione. La résolution !

M. Olivier Becht, ministre délégué. L’avenir des chrétiens d’Orient est aux côtés de leurs compatriotes musulmans. C’est pourquoi nous soutenons le dialogue interreligieux et les initiatives promouvant un islam moderne, tolérant et respectueux de la diversité humaine et religieuse.

M. Rachid Temal. Personne ne conteste cela !

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Ce n’est pas glorieux !

Mme la présidente. La discussion générale est close. Nous allons passer au vote sur la proposition de résolution.

proposition de résolution relative à la reconnaissance du génocide des assyro-chaldéens de 1915-1918

Le Sénat,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu le chapitre XVI du Règlement du Sénat,

Vu la Charte des Nations unies du 26 juin 1945,

Vu la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948,

Vu la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948, et notamment son article 2,

Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950,

Vu la résolution de 2007 de l’Association internationale des spécialistes des génocides reconnaissant comme génocide la campagne ottomane contre les Arméniens, les Assyriens et les Grecs pontiques d’Anatolie entre 1914 et 1923,

Vu la loi n° 2001-70 du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915,

Vu le décret n° 2019-291 du 10 avril 2019 relatif à la commémoration annuelle du génocide arménien de 1915,

Considérant que les spécificités historiques, linguistiques, culturelles et religieuses des Assyro-Chaldéens en font un peuple à l’identité propre, distincte de celle des autres peuples du Proche et du Moyen-Orient ;

Considérant qu’au début du XXe siècle, la population assyro-chaldéenne vivant dans l’Empire ottoman s’élevait à plus de 500 000 personnes ;

Considérant qu’avant la Première Guerre mondiale, le peuple assyro-chaldéen a été victime de persécutions graves et récurrentes et de plusieurs massacres, notamment ceux de 1895-1896 ;

Considérant qu’entre 1915 et 1918, le régime ottoman a organisé le meurtre en masse de la population assyro-chaldéenne, son exode hors des frontières de l’empire et sa conversion forcée à l’islam ;

Considérant que cette extermination combinée et concertée de plus de 250 000 Assyro-Chaldéens, soit plus de la moitié de la population de l’époque, avait pour objectifs la négation de l’identité assyrienne et sa disparition de l’espace ottoman, au regard des exécutions massives et systématiques, de la spoliation des terres et des biens appartenant aux populations assyro-chaldéo-syriaques ainsi que de la destruction systématique de leurs biens d’expression culturelle ;

Considérant que les autorités turques réfutent en tout point l’existence même d’un génocide assyro-chaldéen, au même titre que d’un génocide arménien par le régime ottoman ;

Considérant que ces deux génocides ont eu lieu concomitamment, dans les mêmes conditions et dans le même but, mais qu’ils ont visé deux peuples qui ne sauraient être confondus ;

Considérant que la France a reconnu le génocide arménien en 2001 et que, depuis 2019, une journée de commémoration annuelle lui est officiellement consacrée le 24 avril ;

Considérant que faire connaître les atrocités et les souffrances subies par les minorités chrétiennes de l’Empire ottoman et par les populations assyro-chaldéo-syriaques participe, aujourd’hui comme hier, au combat contre l’oubli, pour l’établissement des responsabilités et des réparations légitimes et contre la réitération de ces tragédies ;

Considérant l’importance du travail de mémoire et du respect de la dignité de la personne humaine ;

Invite le Gouvernement à reconnaître officiellement l’extermination de masse, la déportation et la suppression de l’héritage culturel de plus de 250 000 Assyro-Chaldéens par les autorités ottomanes, entre 1915 et 1918, comme un génocide ;

Invite le Gouvernement à condamner publiquement le génocide commis par les autorités ottomanes contre les Assyro-Chaldéens entre 1915 et 1918 ;

Invite le Gouvernement à faire du 24 avril la date de commémoration annuelle du génocide arménien et du génocide assyro-chaldéen.

Vote sur l’ensemble

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, relative à la reconnaissance du génocide des Assyro-Chaldéens de 1915-1918
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.

Je mets aux voix la proposition de résolution.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

M. Rachid Temal. Très bien !

Mme la présidente. Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 126 :

Nombre de votants 337
Nombre de suffrages exprimés 302
Pour l’adoption 300
Contre 2

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, RDSE, SER et CRCE.)

Mes chers collègues, l’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quinze, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Alain Richard.)

PRÉSIDENCE DE M. Alain Richard

vice-président

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, relative à la reconnaissance du génocide des Assyro-Chaldéens de 1915-1918
 

7

Mises au point au sujet de votes

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à Mme Esther Benbassa, pour une mise au point au sujet d’un vote.

Mme Esther Benbassa. Lors du scrutin n° 124, je souhaitais voter pour.

M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour une mise au point au sujet d’un vote.

Mme Patricia Schillinger. Lors du scrutin n° 126, M. André Gattolin souhaitait s’abstenir, M. Didier Rambaud voter pour et M. Alain Richard ne pas prendre part au vote.

M. le président. Acte est donné de ces mises au point, mes chères collègues. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l’analyse politique des scrutins concernés.

8

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot, pour un rappel au règlement.

M. Philippe Folliot. Tout à l’heure, la proposition de résolution relative à la reconnaissance du génocide des Assyro-Chaldéens de 1915-1918 a fait l’objet d’un scrutin public. N’ayant pu alors prononcer d’explication de vote, je souhaitais expliciter les raisons de mon vote contre.

Si je soutiens pleinement le travail de mémoire accompli pour déterminer ce qui est ou non un génocide, j’ai pris pour position, depuis quelques années, de refuser de voter les lois mémorielles. Je suis d’accord avec le principe et les éléments de la proposition, mais je trouve dangereux – je m’en étais expliqué en commission des affaires étrangères – de voter ce type de texte, car il s’agit d’un engrenage risquant de nous entraîner dans une situation difficile.

9

Conférence des présidents

M. le président. Les conclusions adoptées par la conférence des présidents réunie le mercredi 18 janvier 2023 sont consultables sur le site internet du Sénat.

En l’absence d’observations, je les considère comme adoptées.

Conclusions de la conférence des présidents

SEMAINE DE CONTRÔLE

Mercredi 8 février 2023

À 21 h 30

- Proposition de résolution européenne, en application de l’article 73 quinquies du Règlement, sur l’avenir de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex), présentée par MM. Jean-François Rapin et François-Noël Buffet (texte de la commission n° 298, 2022-2023) (demande du groupe SER et du GEST)

Ce texte a été envoyé à la commission des lois avec une saisine pour avis de la commission des affaires européennes.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 30 janvier à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 1er février matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 6 février à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 8 février matin

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 7 février à 15 heures

Jeudi 9 février 2023

À 10 h 30

Vingt-deux questions orales.

À 14 h 30

- Débat sur le thème « L’État territorial, entre mirage et réalité » (demande de la délégation aux collectivités territoriales)

• Temps attribué à la délégation aux collectivités territoriales : 8 minutes

• Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 heure

• Possibilité pour le Gouvernement de prendre la parole après chaque orateur pour une durée de 2 minutes ; possibilité pour l’orateur de répliquer pendant 1 minute

• Temps de réponse du Gouvernement : 5 minutes

• Conclusion par la délégation aux collectivités territoriales : 5 minutes

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mercredi 8 février à 15 heures

SEMAINE RÉSERVÉE PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT

Mardi 14 février 2023

À 9 h 30

Questions orales.

À 14 h 30 et le soir

- Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à améliorer l’encadrement des centres de santé (texte de la commission n° 324, 2022-2023)

Ce texte a été envoyé à la commission des affaires sociales.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 6 février à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 8 février matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 13 février à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 14 février à 13 h 30

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 13 février à 15 heures

- Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé (texte de la commission n° 329, 2022-2023)

Ce texte a été envoyé à la commission des affaires sociales.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 6 février à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 8 février matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 13 février à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 14 février à 13 h 30

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 13 février à 15 heures

Mercredi 15 février 2023

À 15 heures

- Questions d’actualité au Gouvernement

• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 15 février à 11 heures

À 16 h 30 et le soir

- Désignation des vingt-trois membres de la mission d’information sur le thème : « L’impact des décisions réglementaires et budgétaires de l’État sur l’équilibre financier des collectivités locales » (droit de tirage du groupe RDSE)

• Délai limite de remise, au secrétariat de la direction de la législation et du contrôle, des candidatures à cette mission d’information : mardi 14 février à 15 heures

- Éventuellement, suite de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé (texte de la commission n° 329, 2022-2023)

- Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à sécuriser l’approvisionnement des Français en produits de grande consommation (texte de la commission n° 327, 2022-2023)

Ce texte a été envoyé à la commission des affaires économiques.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 6 février à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 8 février matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 13 février à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 15 février matin

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 14 février à 15 heures

Jeudi 16 février 2023

À 10 h 30 et, éventuellement, l’après-midi

- deux conventions internationales examinées selon la procédure d’examen simplifié :

=> Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et la Cour pénale internationale sur l’exécution des peines prononcées par la Cour (texte de la commission n° 333, 2022-2023)

=> Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d’Andorre relatif à l’exercice des activités professionnelles des membres de la famille du personnel diplomatique, consulaire, technique et administratif des missions officielles (texte de la commission n° 251, 2022-2023)

• Délai limite pour demander le retour à la procédure normale : mardi 14 février à 15 heures

- Éventuellement, suite de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à sécuriser l’approvisionnement des Français en produits de grande consommation (texte de la commission n° 327, 2022-2023)

- Deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, créant une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales (texte de la commission n° 331, 2022-2023)

Ce texte a été envoyé à la commission des affaires sociales.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 6 février à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 8 février matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 13 février à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 15 février matin

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 15 février à 15 heures

- Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture

• Lors de la séance, seuls peuvent intervenir le Gouvernement, le représentant de la commission saisie au fond pour une durée ne pouvant excéder cinq minutes et, pour explication de vote, un représentant par groupe pour une durée ne pouvant excéder cinq minutes chacun ainsi qu’un représentant des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe pour une durée ne pouvant excéder trois minutes

• Délai limite pour les inscriptions des orateurs des groupes : mercredi 15 février à 15 heures

- Explications de vote puis vote sur la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à ouvrir le tiers financement à l’État, à ses établissements publics et aux collectivités territoriales pour favoriser les travaux de rénovation énergétique (texte de la commission n° 322, 2022-2023)

Ce texte a été envoyé à la commission des lois. Il est examiné conformément à la procédure de législation en commission selon laquelle le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 6 février à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 8 février matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance, en application de l’article 47 quater, alinéa 1, du Règlement : lundi 13 février à 12 heures

• Délai limite de demande de retour à la procédure normale : vendredi 10 février à 17 heures

• Lors de la séance, seuls peuvent intervenir le Gouvernement, les représentants de la commission pendant 7 minutes et, pour explication de vote, un représentant par groupe pour une durée ne pouvant excéder 5 minutes chacun, ainsi qu’un sénateur ne figurant sur la liste d’aucun groupe pour une durée ne pouvant excéder 3 minutes

• Délai limite pour les inscriptions des orateurs des groupes : mercredi 15 février à 15 heures

SUSPENSION DES TRAVAUX EN SÉANCE PLÉNIÈRE :

DU LUNDI 20 AU DIMANCHE 26 FÉVRIER 2023

SEMAINE DE CONTRÔLE

Mercredi 1er mars 2023

À 15 heures

- Questions d’actualité au Gouvernement

• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 1er mars à 11 heures

À 16 h 30

- Désignation des dix-neuf membres de la commission d’enquête sur l’utilisation du réseau social TikTok, son exploitation des données, sa stratégie d’influence (droit de tirage du groupe Les Indépendants)

• Délai limite de remise, au secrétariat de la direction de la législation et du contrôle, des candidatures à cette commission d’enquête : mardi 28 février à 15 heures

- Débat d’actualité

• Délai limite de transmission par les groupes des propositions de thème et de format : mardi 21 février à 15 heures

• Délai limite pour les inscriptions de parole : mardi 28 février à 15 heures

- Proposition de résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution, appelant à faire de la lutte contre les violences pornographiques une priorité de politique publique, présentée par Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Cohen, Laurence Rossignol et plusieurs de leurs collègues (texte n° 260, 2022-2023) (demande du groupe UC)

• Temps attribué à l’auteur de la proposition de résolution : 12 minutes

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 28 février à 15 heures

• Les interventions des orateurs vaudront explications de vote.

- Explications de vote puis vote sur la proposition de loi visant à renforcer la voix des élus locaux au sein du service public de l’assainissement francilien, présenté par Mme Marta de Cidrac et plusieurs de ses collègues (texte n° 122, 2022-2023) (demande du groupe Les Républicains)

Ce texte a été envoyé à la commission des lois. Il est examiné conformément à la procédure de législation en commission selon laquelle le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 13 février à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 15 février matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance, en application de l’article 47 quater, alinéa 1, du Règlement : lundi 27 février à 12 heures

• Délai limite de demande de retour à la procédure normale : vendredi 24 février à 17 heures

• Lors de la séance, seuls peuvent intervenir le Gouvernement, les représentants de la commission pendant 7 minutes et, pour explication de vote, un représentant par groupe pour une durée ne pouvant excéder 5 minutes chacun, ainsi qu’un sénateur ne figurant sur la liste d’aucun groupe pour une durée ne pouvant excéder 3 minutes

• Délai limite pour les inscriptions des orateurs des groupes : mardi 28 février à 15 heures

Le soir

- Débat sur la mixité sociale à l’école (demande du groupe SER)

• Temps attribué au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain : 8 minutes

• Réponse du Gouvernement pour une durée équivalente

• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 16 questions-réponses :

2 minutes, y compris la réplique

Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente

Possibilité pour le Gouvernement de répondre à une réplique pendant 1 minute et à l’auteur de la question de répondre de nouveau pendant 1 minute

• Conclusion par le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain : 5 minutes

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 28 février à 15 heures

Jeudi 2 mars 2023

À 10 h 30

- Questions orales

À 14 h 30 et, éventuellement, le soir

- Sous réserve de sa transmission, projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 (discussion générale) (texte A. N., n° 760) (demande du Gouvernement en application de l’article 48, alinéa 3, de la Constitution)

Ce texte sera envoyé à la commission des affaires sociales avec une saisine pour avis de la commission des finances.

• Réunion de la commission pour le rapport : mardi 28 février après-midi

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : mercredi 1er mars à 17 heures

• Réunions de la commission pour examiner les amendements de séance : jeudi 2 mars en début d’après-midi, vendredi 3 mars à 15 heures et à la suspension du soir, samedi 4 mars à 9 heures, lundi 6 mars à 9 heures, mardi 7 mars matin, mercredi 8 mars matin

• Temps attribué à la rapporteure générale de la commission des affaires sociales dans la discussion générale : 10 minutes

• Temps attribué au rapporteur de la branche vieillesse de la commission des affaires sociales : 10 minutes

• Temps attribué au rapporteur pour avis : 5 minutes

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 2 heures

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 1er mars à 15 heures

Vendredi 3 mars 2023

À 17 heures, le soir et la nuit

- Sous réserve de sa transmission, suite du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 (discussion des articles) (texte A. N., n° 760) (demande du Gouvernement en application de l’article 48, alinéa 3, de la Constitution)

Samedi 4 mars 2023

À 9 h 30, 14 h 30, le soir et la nuit

- Sous réserve de sa transmission, suite du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 (texte A. N., n° 760) (demande du Gouvernement en application de l’article 48, alinéa 3, de la Constitution)

Éventuellement, dimanche 5 mars 2023

À 9 h 30, 14 h 30 et le soir

- Sous réserve de sa transmission, suite du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 (texte A. N., n° 760) (demande du Gouvernement en application de l’article 48, alinéa 3, de la Constitution)

SEMAINE RÉSERVÉE PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT

Lundi 6 mars 2023

À 10 heures, 14 h 30, le soir et la nuit

- Sous réserve de sa transmission, suite du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 (texte A. N., n° 760)

Mardi 7 mars 2023

À 14 h 30, le soir et la nuit

- Sous réserve de sa transmission, suite du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 (texte A. N., n° 760)

Mercredi 8 mars 2023

À 15 heures

- Questions d’actualité au Gouvernement

• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 8 mars à 11 heures

À 16 h 30, le soir et la nuit

- Sous réserve de sa transmission, suite du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 (texte A. N., n° 760)

Jeudi 9 mars 2023

À 10 h 30, 14 h 30, le soir et la nuit

- Sous réserve de sa transmission, suite du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 (texte A. N., n° 760)

Vendredi 10 mars 2023

À 9 h 30, 14 h 30, le soir et la nuit

- Sous réserve de sa transmission, suite du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 (texte A. N., n° 760)

Samedi 11 mars 2023

À 9 h 30, 14 h 30, le soir et la nuit

- Sous réserve de sa transmission, suite du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 (texte A. N., n° 760)

Éventuellement, dimanche 12 mars 2023

À 9 h 30, 14 h 30 et le soir

- Sous réserve de sa transmission, suite du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 (texte A. N., n° 760)

SEMAINE SÉNATORIALE

Mardi 14 mars 2023

À 14 h 30 et le soir

- Proposition de loi organique visant à permettre à Saint-Barthélemy de participer à l’exercice de compétences de l’État, présentée par Mme Micheline Jacques (texte n° 51, 2022-2023) (demande du groupe Les Républicains)

Ce texte a été envoyé à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale avec une saisine pour avis de la commission des affaires sociales.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 6 mars à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 8 mars matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 13 mars à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 14 mars à 14 heures

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 13 mars à 15 heures

- Proposition de loi visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de « zéro artificialisation nette » au cœur des territoires, présentée par M. Jean-Baptiste Blanc, Mme Valérie Létard et plusieurs de leurs collègues (texte n° 205, 2022-2023) (demande de la commission spéciale)

Ce texte a été envoyé à une commission spéciale.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : vendredi 3 mars à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 8 mars après-midi

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 13 mars à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 14 mars matin

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 13 mars à 15 heures

Mercredi 15 mars 2023

À 15 heures

- Questions d’actualité au Gouvernement

• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 15 mars à 11 heures

De 16 h 30 à 20 h 30

(Ordre du jour réservé au groupe UC)

- Proposition de loi visant à adapter la défense extérieure contre l’incendie à la réalité des territoires ruraux, présentée par M. Hervé Maurey, Mme Françoise Gatel et plusieurs de leurs collègues (texte n° 262, 2022-2023)

Ce texte a été envoyé à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 27 février à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 1er mars matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 9 mars à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 15 mars matin

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 14 mars à 15 heures

- Proposition de loi tendant à garantir la continuité de la représentation des communes au sein des conseils communautaires, présentée par Mme Françoise Gatel et plusieurs de ses collègues (texte n° 860, 2021-2022)

Ce texte a été envoyé à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 27 février à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 1er mars matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 9 mars à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 15 mars matin

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 14 mars à 15 heures

Le soir

- Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 23 et 24 mars 2023

• Intervention liminaire du Gouvernement

• 5 minutes attribuées respectivement à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, à la commission des finances et à la commission des affaires européennes

• Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 h 30

• Réponse du Gouvernement

• Conclusion par la commission des affaires européennes : 5 minutes

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 14 mars à 15 heures

Jeudi 16 mars 2023

De 10 h 30 à 13 heures et de 14 h 30 à 16 heures

(Ordre du jour réservé au groupe Les Indépendants)

- Proposition de loi visant à mieux protéger les locataires bénéficiant d’une allocation de logement et vivant dans un habitat non-décent, présentée par M. Jean-Louis Lagourgue et plusieurs de ses collègues (texte n° 821, 2021-2022)

Ce texte a été envoyé à la commission des affaires économiques.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 6 mars à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 8 mars à 9 h 30

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 13 mars à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 15 mars à 9 h 30

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 15 mars à 15 heures

- Proposition de loi relative aux outils de lutte contre la désertification médicale des collectivités, présentée par M. Dany Wattebled et plusieurs de ses collègues (texte n° 102, 2022-2023)

Ce texte a été envoyé à la commission des affaires sociales.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 6 mars à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 8 mars matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 13 mars à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 15 mars matin

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 15 mars à 15 heures

De 16 heures à 20 heures

(Ordre du jour réservé au groupe RDSE)

- Proposition de loi visant à permettre une gestion différenciée de la compétence « Eau et Assainissement », présentée par M. Jean-Yves Roux et plusieurs de ses collègues (texte n° 908, 2021-2022)

Ce texte a été envoyé à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 27 février à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 1er mars matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 9 mars à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 15 mars matin

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 15 mars à 15 heures

- Proposition de loi portant réforme de la loi du 9 février 1895 sur les fraudes en matière artistique, présentée par M. Bernard Fialaire et plusieurs de ses collègues (texte n° 177, 2022-2023)

Ce texte a été envoyé à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 6 mars à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 8 mars matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 13 mars à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 15 mars matin

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 15 mars à 15 heures

SEMAINE RÉSERVÉE PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT

Mardi 21 mars 2023

À 9 h 30

- Questions orales

À 14 h 30 et le soir

Deux conventions internationales examinées selon la procédure d’examen simplifié :

=> Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de sécurité sociale du 6 novembre 2014 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Serbie (procédure accélérée ; texte n° 81, 2022-2023)

=> Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas relatif à la coopération en matière de défense et au statut de leurs forces sur les territoires caribéens et sud-américain de la République française et du Royaume des Pays-Bas (texte n° 288, 2022-2023)

• Délai limite pour demander le retour à la procédure normale : vendredi 17 mars à 15 heures

- Sous réserve de sa transmission, proposition de loi visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et co-victimes de violences intrafamiliales (texte A. N., n° 658)

Ce texte sera envoyé à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 6 mars à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 8 mars matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 16 mars à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 21 mars à 14 heures

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 20 mars à 15 heures

- Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant fusion des filières à responsabilité élargie des producteurs d’emballages ménagers et des producteurs de papier et amplification des encarts publicitaires destinés à informer le public sur la transition écologique (n° 305, 2022-2023)

Ce texte a été envoyé à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : vendredi 10 mars à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 15 mars matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 20 mars à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 21 mars matin

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 20 mars à 15 heures

Mercredi 22 mars 2023

À 15 heures

- Questions d’actualité au Gouvernement

• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 22 mars à 11 heures

SEMAINE RÉSERVÉE PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT

Mardi 28 mars 2023

À 14 h 30 et le soir

- Projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration (procédure accélérée ; texte n° 304, 2022-2023)

Ce texte a été envoyé à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : vendredi 3 mars à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 15 mars matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 23 mars à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 28 mars à 9 h 30 et 13 h 30 et mercredi 29 mars matin

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 27 mars à 15 heures

Mercredi 29 mars 2023

À 15 heures

- Questions d’actualité au Gouvernement

• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 29 mars à 11 heures

À 16 h 30 et le soir

- Suite du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration (procédure accélérée ; texte n° 304, 2022-2023)

Jeudi 30 mars 2023

À 10 h 30, 14 h 30 et le soir

- Suite du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration (procédure accélérée ; texte n° 304, 2022-2023)

Éventuellement, vendredi 31 mars 2023

À 9 h 30, 14 h 30 et le soir

- Suite du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration (procédure accélérée ; texte n° 304, 2022-2023)

SEMAINE SÉNATORIALE

Mardi 4 avril 2023

À 14 h 30

- Explications de vote des groupes puis scrutin public solennel sur le projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration (procédure accélérée ; texte n° 304, 2022-2023)

• Temps attribué aux orateurs des groupes pour les explications de vote, à raison d’un orateur par groupe : 7 minutes pour chaque groupe et 3 minutes pour les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe

• Délai limite pour les inscriptions de parole : lundi 3 avril à 15 heures

• Délai limite pour le dépôt des délégations de vote : mardi 4 avril à 12 h 30

Prochaine réunion de la Conférence des Présidents :

mercredi 8 mars 2023 à 19 heures

La Conférence des Présidents a pris acte, en application de l’article 6 bis du règlement, de la demande de création :

- d’une mission d’information sur le thème « L’impact des décisions réglementaires et budgétaires de l’État sur l’équilibre financier des collectivités locales » (demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social européen) ;

- d’une commission d’enquête sur l’utilisation du réseau social TikTok, son exploitation des données, sa stratégie d’influence (demande du groupe Les Indépendants – République et Territoires).

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Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur l'avenir de l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex)
Discussion générale (suite)

Avenir de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex)

Adoption d’une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission modifié

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur l'avenir de l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex)
Texte de la proposition de résolution européenne sur l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (FRONTEX)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande des groupes SER et GEST, de la proposition de résolution européenne, en application de l’article 73 quinquies du règlement, sur l’avenir de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex), présentée par MM. Jean-François Rapin et François-Noël Buffet (proposition n° 197, texte de la commission n° 298, rapport n° 297).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-François Rapin, coauteur de la proposition de résolution.

M. Jean-François Rapin, auteur de la proposition de résolution européenne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre débat en séance publique sur l’avenir de Frontex, l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, est bienvenu.

En effet, le Gouvernement présente un nouveau projet de loi relatif à l’immigration, en particulier pour réformer le régime de l’asile et pour régulariser les travailleurs sans-papiers présents sur notre territoire. Or, notre politique migratoire, mais aussi notre politique de l’asile et de contrôle de nos frontières, relèvent désormais de compétences partagées avec l’Union européenne. De fait, ces politiques se jouent aujourd’hui, en grande partie, aux frontières extérieures de l’Union européenne. En effet, l’existence de l’espace Schengen, espace de libre circulation dont tous nos concitoyens profitent pour étudier, travailler ou voyager, dépend d’une surveillance efficace de ces frontières extérieures.

Si cette mission de gestion et de surveillance relève en premier lieu des États membres, ces derniers peuvent faire appel au soutien opérationnel de Frontex. Cette agence incarne alors la solidarité européenne en déployant des agents et des équipements pour le contrôle des voyageurs aux frontières ou la lutte contre l’immigration irrégulière.

La France bénéficie de cet appui, par exemple sur la côte d’Opale, dont je suis originaire, pour surveiller les embarcations de migrants essayant de traverser la Manche vers le Royaume-Uni, ou pour organiser des opérations de retour des migrants irréguliers dans leur pays d’origine.

Frontex dispose à cet égard des moyens nécessaires pour assurer ce soutien : elle est dotée, cette année, d’un budget de 845 millions d’euros et elle emploie environ 2 000 personnes, ce nombre devant progressivement augmenter pour arriver à un contingent permanent de 10 000 officiers en 2027.

Cependant, l’agence Frontex a été paralysée pendant de trop longs mois par une double crise.

Elle a d’abord été confrontée à une crise de croissance : l’Agence, dotée de moyens importants à compter de 2019, n’a pas eu le temps de procéder aux recrutements nécessaires et de mettre en place des procédures d’audit et de contrôle suffisantes.

Elle a ensuite dû affronter une crise de confiance : l’Agence a été accusée de manquements dans son fonctionnement interne, mais aussi de complicité de refoulements illégaux de migrants en mer Égée. Elle a alors fait l’objet d’un nombre inédit d’audits et d’enquêtes, qui ont conduit à la démission de son ancien directeur, M. Fabrice Leggeri, en avril dernier, puis à une longue phase transitoire de huit mois, qui s’est enfin terminée le 20 décembre dernier avec la désignation d’un nouveau directeur, le Néerlandais Hans Leijtens, qui devrait, nous l’espérons, ouvrir une nouvelle ère.

Il est en effet urgent de réagir : 330 000 franchissements irréguliers des frontières extérieures de l’Union européenne ont été recensés en 2022, soit une hausse de 64 % par rapport à 2021 et une augmentation inédite depuis 2016.

Frontex doit se remettre très vite au travail. Il y va de la crédibilité de l’Union européenne et de l’avenir de l’espace Schengen. C’est l’objet de la proposition de résolution européenne que François-Noël Buffet et moi-même avons déposée.

Nous avons ainsi entendu formuler plusieurs recommandations simples pour que l’action de Frontex représente une valeur ajoutée et non une source supplémentaire de complexité, voire de contentieux. Je veux d’ailleurs remercier nos collègues rapporteurs, Arnaud de Belenet et Claude Kern, qui ont souhaité préserver la cohérence de notre dispositif. J’insisterai sur trois points.

D’abord, l’agence Frontex doit exercer sa mission, à savoir soutenir les États membres dans la surveillance des frontières extérieures de l’Union européenne. Il s’agit pour l’Agence de le faire en respectant bien évidemment les droits fondamentaux, mais sans pour autant se transformer en agence des droits fondamentaux ou en agence de l’asile. De telles structures existent déjà au niveau européen.

Ensuite, Frontex n’a pas vocation à remplacer les services douaniers et policiers des États membres. Toutefois, pour agir en totale complémentarité avec ces derniers, elle doit faire l’objet d’un pilotage politique plus musclé par les ministres de l’intérieur des États membres, auxquels il revient de lui fixer des priorités claires.

Enfin, ce pilotage politique doit aussi passer par un suivi et un contrôle de Frontex par le Parlement européen et par les parlements nationaux. Il s’agit d’un enjeu démocratique et d’une demande récurrente de notre commission des affaires européennes sur laquelle, je pense, nous pouvons tous nous retrouver.

Nous autres, parlementaires nationaux, sommes plus au fait des attentes de nos concitoyens. Nous devons donc prendre toute notre part à ce contrôle pour obtenir des résultats concrets, sinon les États membres se détourneront de Frontex. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDPI.)

M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet, coauteur de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François-Noël Buffet, auteur de la proposition de résolution européenne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l’a rappelé Jean-François Rapin à l’instant, Frontex se trouve aujourd’hui à un moment critique de son histoire.

Son action est remise en cause de toutes parts, alors qu’elle n’a jamais été aussi capitale. Le retour de flux d’immigration irrégulière importants, la tentative d’instrumentalisation de ces flux par la Biélorussie à l’automne 2021 ou le déclenchement de la guerre en Ukraine, voilà un an, sont autant d’exemples démontrant la nécessité d’une agence en pleine possession de ses capacités.

Dans ce contexte, il nous incombe, en tant que parlementaires nationaux, de faire entendre notre voix pour soutenir Frontex. Il est plus que temps que l’Agence surmonte cette période de turbulences pour se consacrer pleinement et exclusivement à sa mission de gestion des frontières.

Jean-François Rapin et moi avons tenu à ce que la proposition de résolution européenne débute par l’expression d’un soutien clair et sans ambiguïté à cette agence. C’est là le cœur de notre démarche.

L’espace Schengen est l’un des acquis les plus précieux de la construction européenne, mais la fin des frontières intérieures n’a de sens que dans la mesure où nous maîtrisons collectivement nos frontières extérieures. L’action de Frontex est à cet égard absolument décisive. Je rappelle que l’Agence déploie actuellement plus de 2 150 hommes et femmes sur le terrain ainsi que dix avions et vingt-deux bateaux en appui des États membres.

Les échanges que j’ai pu avoir dans le cadre d’une délégation de la commission des lois avec la direction de Frontex à Varsovie, en avril 2022, n’ont fait que renforcer ma conviction que l’élargissement du mandat de l’Agence va dans le bon sens et qu’il faut la soutenir dans sa mise en œuvre.

Au travers de notre proposition de résolution, nous saluons le choix fait par le législateur européen en 2019 de transformer Frontex en une véritable entité opérationnelle, dotée d’une capacité de projection autonome. La multiplication de son budget par dix en dix ans et la création d’un contingent permanent de garde-frontières sont des avancées majeures.

Pour autant, notre soutien n’est pas sans conditions, notamment pour ce qui est du respect des droits fondamentaux. Aucune concession ne pourra être faite sur ce point. D’aucuns voudraient opposer contrôle des frontières et respect des droits fondamentaux, mais cela n’a bien évidemment pas de sens, tant les deux vont de pair.

Notre soutien à Frontex ne peut se résumer à des paroles. C’est pourquoi notre texte comporte des recommandations concrètes pour accompagner l’Agence vers la sortie de crise.

À cet égard, il nous paraît d’abord indispensable de mettre en place un vrai pilotage politique de Frontex. Le nouveau directeur exécutif, récemment nommé, doit pouvoir suivre des lignes directrices fortes et claires pour conduire son action. C’est la raison pour laquelle nous proposons que des réunions du Conseil de l’Union européenne soient spécifiquement consacrées à ce pilotage politique.

Les parlements nationaux ont toute leur place dans cette démarche. On ne peut que regretter que le Parlement européen ait décidé, de manière unilatérale, de former un groupe de contrôle de Frontex, et ce alors que le règlement de 2019 prévoit explicitement – j’y insiste – une association des parlements nationaux. La création d’un groupe de contrôle parlementaire conjoint nous paraît la voie à suivre, comme cela a déjà été fait avec succès pour Europol.

Enfin, le dispositif de protection des droits fondamentaux de Frontex est un point crucial. Le constat est sans appel : les procédures en vigueur n’étaient pas suffisamment solides pour prévenir et traiter efficacement les incidents survenus en mer Égée.

Les réformes du dispositif de signalement des incidents et du mécanisme de traitement des plaintes, mises en place par la direction intérimaire, vont dans le bon sens, de même que le recrutement de quarante-six contrôleurs aux droits fondamentaux.

Nous avons toutefois souhaité émettre plusieurs recommandations afin de prévenir l’émergence d’une « guerre des chefs » au sein de l’Agence : citons l’instauration de canaux de dialogue renforcés, l’examen des décisions de l’officier aux droits fondamentaux par le Médiateur européen ou encore l’établissement de critères de recrutement exigeants pour l’officier et les contrôleurs aux droits fondamentaux. Je remercie Arnaud de Belenet, rapporteur de la commission des lois, des précisions utiles qu’il a apportées au texte sur ce dernier point.

Enfin, nous avons souhaité exclure expressément l’hypothèse d’une révision du mandat de Frontex. La priorité est en effet de sortir l’Agence de la crise et de lui accorder le temps nécessaire pour exercer l’intégralité de son mandat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Arnaud de Belenet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen de la proposition de résolution européenne sur l’avenir de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, déposée par les présidents de la commission des affaires européennes et de la commission des lois, Jean-François Rapin et François-Noël Buffet, intervient à un moment décisif.

L’Agence traverse en effet une double crise dans sa jeune histoire. Elle a besoin aujourd’hui d’être confortée.

La première de ces crises est structurelle : elle puise ses racines en 2015, lorsque l’Union européenne a échoué à répondre efficacement, et de manière coordonnée, à la crise migratoire. En réaction, Frontex a vu son mandat et ses moyens continuellement et massivement renforcés.

Deux révisions successives de son mandat, en 2016 et en 2019, ont considérablement élargi son champ de compétence : l’Agence n’intervient plus uniquement en réponse à des situations d’urgence, mais également au travers de déploiements de longue durée sur le terrain.

Le périmètre géographique de son intervention ne se limite plus à l’espace Schengen, puisqu’elle peut également assister, dans la gestion de leurs frontières, des pays tiers ayant conclu un accord avec l’Union européenne.

Pour mener à bien ses nouvelles missions, Frontex a bénéficié d’une progression de ses moyens d’une ampleur inédite dans l’histoire de l’Union européenne : son budget a été quasiment multiplié par dix en dix ans pour atteindre 845 millions d’euros cette année. Quant aux effectifs, son contingent permanent de garde-frontières devrait compter 10 000 agents en 2027.

Jamais une entité européenne ne s’était vue attribuer de tels moyens, de telles prérogatives de puissance publique, et encore moins des agents armés et vêtus d’un uniforme à ses couleurs. En moins de vingt ans – elle a été créée en 2004 –, Frontex est devenue l’agence la plus puissante de l’Union européenne.

En plein essor, celle-ci a été sur-sollicitée et a dû faire face à une conjonction de crises internationales, comme la tentative d’instrumentalisation des migrations par la Biélorussie à l’automne 2021 ou l’agression russe en Ukraine, pour ne citer que ces deux exemples.

Frontex éprouvait déjà de grandes difficultés à mener à bien sa mutation dans les délais impartis. L’Agence ne disposait pas des instruments nécessaires pour conduire une réforme aussi ambitieuse aussi rapidement. En matière de ressources humaines ou de passation de marchés publics, par exemple, elle n’avait pas de services suffisamment étoffés pour piloter cette évolution dans de bonnes conditions.

La directrice exécutive par intérim de l’Agence l’indiquait devant nos deux commissions des lois et des affaires européennes cet automne : « la pression politique était forte et les délais extrêmement serrés. En conséquence, la croissance de l’Agence a entraîné des difficultés opérationnelles. »

La seconde crise à laquelle est confrontée Frontex est une crise de confiance. Elle concerne le respect des droits fondamentaux et la réputation de l’Agence.

Frontex a fait l’objet d’accusations de certaines organisations non gouvernementales (ONG) et de certains médias d’investigation, qui ont allégué qu’elle avait participé à des opérations de refoulement en mer Égée. Plusieurs enquêtes ont été menées par le Parlement européen, le Médiateur européen et l’Office européen de lutte antifraude (Olaf). Celles-ci ont permis de tirer trois conclusions.

Premièrement, l’Agence n’a pas directement participé à des pushbacks mais, informée de potentielles violations des droits fondamentaux par les garde-côtes grecs, elle a fait preuve d’une passivité tout à fait anormale.

Deuxièmement, les dispositifs de traitement des incidents n’étaient pas suffisamment robustes pour que l’Agence gère convenablement des situations aussi problématiques.

Troisièmement, la direction de Frontex a échoué dans sa gestion managériale et a manqué à son devoir de loyauté vis-à-vis de l’Union européenne.

Depuis, l’Agence est en proie à une crise profonde et durable, qui a atteint son apogée en avril 2022 avec la démission de son directeur exécutif, notre compatriote Fabrice Leggeri. Ce n’est d’ailleurs que tout récemment qu’un successeur a pu être nommé, à l’issue d’un long et fastidieux processus de désignation.

Cette crise a aussi révélé, outre des inimitiés personnelles, l’existence d’un débat au sein des institutions européennes sur les priorités de l’Agence. Deux visions s’affrontent. La première est centrée sur l’objectif de protection des droits fondamentaux ; la seconde, sur l’obtention de résultats probants en matière de lutte contre l’immigration irrégulière.

Dans ce contexte, et alors que se pose la question d’une éventuelle révision du mandat de l’Agence fin 2023, la présente proposition de résolution européenne assure au Sénat un positionnement clair reposant sur deux objectifs principaux.

Le premier objectif est politique et touche au sens à donner au mandat de Frontex. En réalité, comme nous en sommes convenus en commission, le débat opposant contrôle des frontières, d’un côté, et respect des droits fondamentaux, de l’autre, est largement monté en épingles. La première mission de Frontex est certes le contrôle des frontières, mais l’Agence doit s’en acquitter dans le respect absolu des droits fondamentaux. Ce sont bien évidemment les deux faces d’une même médaille.

Le second objectif est juridique et pratique. Il a trait à l’éventuelle révision du mandat de Frontex. Cette option est explicitement écartée par les auteurs de la proposition de résolution européenne, qui plaident pour que Frontex se voie accorder le temps nécessaire pour assumer pleinement ses missions actuelles.

Tout comme la commission des affaires européennes, sous réserve de ce qu’indiquera M. le rapporteur pour avis, Claude Kern, dans quelques instants, la commission des lois partage pleinement ces orientations.

Le soutien des parlements nationaux est nécessaire à Frontex ; celui que le Sénat exprime au travers de cette proposition de résolution est très clair.

Alors que la pression migratoire aux frontières de l’Union européenne renoue avec des niveaux très préoccupants, il est impératif que Frontex soit pleinement au travail.

Je rappelle que les passages de clandestins vers l’Europe ont encore augmenté de 64 % en 2022, et même de 150 % sur la seule route des Balkans.

Je rappelle également que la France s’appuie beaucoup sur Frontex, notamment dans ses aéroports – le nombre des interventions de ce type s’accroîtra encore cette année – et sur toute la côte d’Opale. Nous avons donc un intérêt direct à ce que l’Agence laisse la crise derrière elle pour se concentrer sur l’exercice de ses missions.

Soutenir politiquement Frontex n’est toutefois pas suffisant : nous devons également être force de proposition.

C’est ce que nous faisons avec ce texte, qui contribue à renforcer le pilotage politique de l’Agence par la mise en place de réunions du Conseil de l’Union européenne qui y seront spécifiquement consacrées ou par le rehaussement du rang hiérarchique des membres du conseil d’administration de Frontex.

Nous le sommes encore en renforçant le dispositif de protection des droits fondamentaux. La commission des lois est très claire sur ce point : Frontex a besoin d’un officier aux droits fondamentaux indépendant et fort. C’est non pas une contrainte juridique de plus, mais une garantie de crédibilité pour l’institution.

Mes chers collègues, la commission est favorable aux objectifs fixés par les auteurs de cette proposition de résolution européenne ; elle en partage également l’esprit et la lettre. Je vous invite, par conséquent, à l’adopter. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Claude Kern, rapporteur pour avis de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux d’emblée remercier les présidents Jean-François Rapin et François-Noël Buffet de leur proposition de résolution, fruit de leur longue réflexion sur un sujet qu’ils connaissent bien et qui nous préoccupe tous : la sécurité des frontières extérieures de l’Union européenne.

Comme cela vient d’être rappelé, la question du bon fonctionnement de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, dite Frontex, n’est pas de nature technique. Elle concerne notre quotidien, notre libre circulation dans l’espace Schengen et notre maîtrise de l’immigration.

En effet, les dysfonctionnements aux frontières extérieures ont des conséquences immédiates, comme de nombreux mouvements irréguliers de migrants vers la France, avec toutes les conséquences qui en découlent et que nous observons à l’échelon local en termes de précarité, de besoins en structures d’accueil et de trafic d’êtres humains.

C’est bien évidemment aux États membres d’exercer en premier ressort leur mission de gestion et de surveillance des frontières. Toutefois, ils doivent aussi pouvoir compter sur une agence Frontex opérationnelle et réactive, comme elle vient de le démontrer aux frontières de l’Ukraine, une agence respectueuse des droits fondamentaux, à même de se retirer d’une opération menée avec un État membre si les agents de ce dernier sont auteurs d’irrégularités, une agence qui sait quelles sont ses priorités, car elle ferait l’objet d’un véritable pilotage politique et d’un contrôle associant Parlement européen et parlements nationaux.

Voilà pourquoi, lors de sa réunion du 14 décembre dernier, la commission des affaires européennes a approuvé, sans la modifier, cette proposition de résolution européenne. Les dispositions du texte visant à la mise en place d’un contrôle parlementaire conjoint de l’Agence par le Parlement européen et les parlements nationaux ont d’ailleurs fait l’objet d’un consensus.

La commission des lois a ensuite procédé à son propre examen du texte et a adopté trois amendements d’actualisation. Elle a en outre adopté un amendement de précision, qui est utile, car il tend à insister sur l’expérience dont doivent disposer l’officier et les contrôleurs aux droits fondamentaux. En effet, il est pertinent que l’officier puisse attester d’une expérience approfondie en matière de gestion des frontières, quand les contrôleurs devraient, pour leur part, prouver qu’ils disposent d’une expertise opérationnelle en matière de surveillance des frontières.

Les dispositions de ces amendements respectent la volonté des auteurs de la proposition ainsi que le vote de notre commission des affaires européennes. Nous y sommes donc favorables.

En revanche, je rappelle qu’une proposition de résolution est un vœu politique qui a sa propre cohérence, tout comme le vote de notre commission. Par conséquent, tout en respectant le point de vue de chacun d’entre vous, mes chers collègues, je serai défavorable à tous les amendements qui auront pour objet de dénaturer ce texte ou de le rendre inopérant.

Avec cette proposition de résolution, nous adressons en effet un message crucial aux institutions européennes. Frontex est une belle réalisation, un projet de coopération concret et ambitieux, mais elle doit encore démontrer sa valeur ajoutée.

Sans renoncer un seul instant à notre contrôle démocratique, il faut laisser Frontex travailler dans la sérénité. Sans son aide précieuse, certains États membres, particulièrement exposés à la pression migratoire, pourraient en effet renoncer à remplir leurs obligations en matière de surveillance et d’enregistrement aux frontières. Nous ferions alors de nouveau face à des flux incontrôlés de migrants et nous nous exposerions à un retour du chacun pour soi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Sénat se prononce ce soir sur une proposition de résolution sur l’avenir de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, communément dénommée Frontex.

Je veux tout d’abord saluer le travail de la commission des lois et celui des deux coauteurs, François-Noël Buffet et Jean-François Rapin. Ce travail nous permet de débattre ce soir du rôle de Frontex, agence déterminante pour la maîtrise de nos frontières, laquelle passe indiscutablement par une action coordonnée à l’échelle européenne.

En 2022, la pression migratoire a retrouvé un niveau proche de l’avant-crise sanitaire. Les franchissements irréguliers détectés par Frontex aux frontières extérieures ont progressé de 64 % par rapport à 2021, même s’ils restent en deçà de ceux qui avaient été enregistrés pendant la crise migratoire de 2016. Les flux migratoires progressent ainsi dans toute l’Europe, avec une pression particulière en Méditerranée centrale et dans les Balkans occidentaux, ce qui fait peser une contrainte spécifique sur l’Autriche, la Hongrie et la Croatie.

Les demandes d’asile ont progressé de 61 % en Europe et de 31 % en France, qui reste le second pays d’accueil après l’Allemagne. Tout en étant le premier État membre à réaliser des transferts relevant de l’application du règlement Dublin, dits transferts Dublin, vers d’autres pays européens, la France reste la cible de mouvements secondaires qui traduisent la nécessité de faire évoluer le système européen de l’asile.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la détermination du Gouvernement est totale pour apporter des réponses efficaces à cette situation migratoire.

À l’échelon national, elle passe par le projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, qui a été présenté en conseil des ministres, le mercredi 1er février, par le ministre de l’intérieur et des outre-mer et le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion.

Ce texte comportera des dispositions inédites pour éloigner les étrangers représentant une menace pour l’ordre public, pour garantir l’intégration par la langue, le travail, le respect des principes de la République et pour simplifier très largement le contentieux des étrangers ainsi que l’organisation de notre dispositif d’asile. Le Sénat aura l’occasion d’examiner ce texte, qui contribue à doter notre pays de nouveaux outils juridiques en matière migratoire, dès le mois mars.

Ces instruments s’ajouteront aux moyens importants que le ministère de l’intérieur et des outre-mer consacre à la politique migratoire.

Il m’importe de rappeler que la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi) prévoit la création de 3 000 places dans les centres de rétention administrative (CRA) à l’horizon 2027 pour renforcer notre efficacité dans la lutte contre l’immigration irrégulière.

Elle prévoit également une hausse de 24 % du budget alloué à l’intégration au cours des cinq prochaines années, moyens plus particulièrement destinés à l’intégration des réfugiés et à la maîtrise du français par les étrangers primo-arrivants.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la clef de notre efficacité suppose une coordination et des politiques communes à l’échelon européen.

Il est indispensable de travailler avec nos voisins à une gestion coordonnée, c’est-à-dire ordonnée, des migrations, comme cela a été reconnu par tous à l’occasion du sommet de La Valette en 2015, ainsi que dans le pacte mondial sur les migrations, adopté à Marrakech en 2018, sous l’égide des Nations unies.

À la suite du débarquement du navire Ocean Viking à Toulon, le 11 novembre dernier, la France a demandé et obtenu la tenue d’un conseil extraordinaire des ministres de l’intérieur, qui a permis l’adoption d’un plan d’action européen sur la Méditerranée centrale.

Ce plan prévoit une approche mieux coordonnée des sauvetages en mer, notamment en ce qui concerne l’action des ONG, et une coopération renforcée avec les États tiers en matière de prévention des départs irréguliers.

Par ailleurs, la présidence française du Conseil de l’Union européenne a permis de débloquer les négociations relatives au pacte sur la migration et l’asile présenté par la Commission européenne en septembre 2020.

Grâce à une approche graduelle, la France a réussi à faire progresser les négociations et à les orienter vers un juste équilibre fondé sur la responsabilité et la solidarité. Un accord a été obtenu lors du conseil Justice et affaires intérieures de Luxembourg, le 10 juin dernier.

Dans le cadre des négociations en cours, la France est favorable à la mise en place d’un mécanisme de solidarité contraignant et prévisible pour soulager les pays de première entrée, ainsi qu’à celle de procédures efficaces aux frontières extérieures pour lutter contre les mouvements secondaires.

C’est dans ce cadre que la France soutient la montée en puissance de l’agence Frontex, instrument essentiel du dispositif de protection des frontières européennes et de contrôle des flux migratoires.

Comme vous l’avez souligné, en 2016 et en 2019, l’agence Frontex a connu successivement deux réformes majeures qui ont considérablement élargi le champ de ses compétences.

Le règlement de 2019 a permis à Frontex de passer d’un rôle réactif à un rôle proactif et de prévoir des déploiements de long terme – jusqu’alors, l’agence ne pouvait agir qu’en réaction aux situations d’urgence.

Notons-le, Frontex est ainsi devenue l’agence la plus importante de l’Union Européenne, dotée d’un budget de 5,6 milliards d’euros pour la période 2021-2027 et disposant d’une force de 10 000 agents opérationnels qui pourront être déployés à terme aux frontières extérieures.

Elle agit sur plusieurs terrains d’opération : en Méditerranée, en Italie, en Grèce et à Chypre, par exemple, dans l’est de l’Europe, à la frontière avec la Biélorussie, mais également dans la Manche. Depuis le mois de décembre 2021, un avion de Frontex a ainsi pour mission de renforcer la capacité de détection des tentatives de traversées de la Manche par des migrants voyageant sur des small boats.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de résolution que vous examinez aujourd’hui a pour objet de conforter le mandat de Frontex à la suite du renouvellement de la gouvernance de l’Agence.

Le Gouvernement soutient l’esprit et les grandes orientations de ce texte, à commencer par le renforcement de la veille opérationnelle de Frontex dans le cadre de la surveillance des côtes françaises et belges de la Manche et de la mer du Nord.

Nous sommes également favorables au renforcement du pilotage politique de Frontex, position défendue par la France durant sa présidence du Conseil de l’Union européenne. Ce pilotage passera notamment par une discussion annuelle au sein du Conseil Schengen sur les grandes orientations de l’Agence.

Nous soutenons aussi le renforcement du rôle de celle-ci en matière de retour, concrétisé notamment par l’organisation de vols conjoints mutualisant les moyens d’éloignement et d’escorte par les États membres.

Enfin, nous sommes d’accord pour laisser le temps nécessaire à l’Agence pour assumer pleinement son mandat actuel sans engager une révision de son règlement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, l’un de nos sujets de discussion portera vraisemblablement sur le respect des droits fondamentaux par Frontex dans le cadre de l’exécution de ses missions.

Il me paraît utile de rappeler ici que Frontex est tenue par son règlement fondateur de garantir une gestion efficace des frontières dans le plein respect des droits fondamentaux. Cet impératif fait déjà clairement partie du mandat du nouveau directeur exécutif de l’Agence, dont l’arrivée s’est accompagnée de la nomination de quarante-cinq contrôleurs des droits fondamentaux et d’un adjoint à l’officier aux droits fondamentaux de l’Agence.

Les accusations d’implication de Frontex dans le refoulement de migrants en Méditerranée ont été traitées par plusieurs instances de contrôle, qui ont conclu que l’Agence n’avait pas participé à ces opérations, mais qu’il n’était pas non plus possible d’affirmer qu’elle n’avait pas eu connaissance de ces agissements.

Les recommandations du conseil d’administration de l’Agence, du Parlement européen et de la Médiatrice de l’Union européenne ont entraîné la mise en place de plusieurs mécanismes de garantie des droits fondamentaux, afin de permettre un traitement efficace des signalements de plaintes et des incidents graves.

La France s’assurera de ce suivi dans le cadre du conseil d’administration de l’Agence où siègent les États membres. Notre priorité est désormais d’accompagner la montée en puissance du corps permanent de Frontex, qui devrait compter 10 000 hommes en 2027, et auquel la France prendra toute sa part.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, la question que vous soulevez aujourd’hui est au cœur des préoccupations du Gouvernement, comme elle est au centre de celles de nos concitoyens. La question de la maîtrise des flux migratoires est décisive pour la France et l’Union européenne. Nous continuerons à agir en ce sens, en déployant des moyens à la hauteur des attentes des Français. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Pierre Louault applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Le Rudulier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, 330 000, c’est le nombre de franchissements irréguliers recensés en 2022 par Frontex.

Aujourd’hui, c’est à une véritable pression migratoire, et donc au danger d’un bouleversement démographique, voire culturel, qu’est confrontée l’Europe.

C’est pourquoi, au moment où le nouveau directeur exécutif de Frontex s’installe progressivement dans ses fonctions, il est impératif que l’Agence en revienne à son mandat originel, à savoir la surveillance et la protection des frontières extérieures de l’Union européenne. C’est ce que défendent, entre autres, les auteurs de cette proposition de résolution, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir.

Depuis sa création, Frontex a vu ses missions, ses prérogatives, s’accroître considérablement, puisqu’elle joue désormais un rôle en matière de lutte contre l’immigration illégale, contre le trafic de drogues et contre la criminalité organisée.

L’élargissement des prérogatives de l’Agence s’est accompagné d’une recrudescence, ces dernières années, de critiques et de controverses causées par des ONG humanitaires, véritables organes de propagande opposés à l’idée même de frontière.

Cela a considérablement fragilisé l’action de Frontex, certains l’accusant de ne pas agir suffisamment pour protéger les droits des migrants, les autres considérant que l’Agence est responsable de la répression excessive à l’encontre des migrants aux frontières.

Je le dis ici, Frontex n’est pas une agence humanitaire. Prenons garde que personne ne tente de la transformer en un « SOS Méditerranée 2.0 ». Si nous n’y veillons pas, des milliers de migrants arriveront sur les côtes européennes : ces malheureux seront alors à la merci de passeurs proches du crime organisé, spécialisés dans l’esclavage moderne et la traite d’êtres humains. Les conséquences humaines pourraient être désastreuses au vu des réalités démographiques du continent africain.

Monsieur le ministre, face à ces accusations et à ces tentatives de déstabilisation, la France se doit de soutenir Frontex dans son mandat et de continuer à accorder à l’Agence les moyens de ses missions. Frontex n’est pas une agence Bisounours : son rôle est de garantir la sécurité et l’étanchéité des frontières européennes.

Pour ce faire, éloignons les ONG et les agences humanitaires de Frontex et remettons les pays souverains au centre des choix de l’Agence, tout en veillant, bien évidemment, à ce que celle-ci agisse de manière responsable et respectueuse des droits de l’homme.

Prenons également garde de ne pas tomber dans un angélisme irresponsable, qui dicterait notre politique migratoire commune, faute de quoi nous risquerions de prêter le flanc au populisme et à l’extrémisme, lesquels n’attendent qu’une erreur de notre part pour mettre le projet européen à mort, ce qui constituerait un recul sans précédent pour la France et l’ensemble des États membres.

Ne cédons pas aux injonctions des bien-pensants qui nous adressent toujours le même message angélique, mais en réalité inconscient : liberté pour les migrants et honte aux frontières !

La France est généreuse, mais elle n’est ni une mosaïque ni un territoire sans limites. C’est une Nation, qui est en droit de choisir ceux qui peuvent la rejoindre et d’exiger des étrangers qu’ils se plient à ses règles, à ses coutumes et à sa culture.

C’est pour cela que la France ne peut s’exonérer de sa propre politique migratoire. Les deux échelons de souveraineté, nationale et européenne, sont complémentaires. Ne cachons pas la poussière migratoire sous le tapis européen en fermant les yeux. Sur ce sujet, monsieur le ministre, le « en même temps » conduit à l’impuissance et, par conséquent, à l’échec.

Ne détournons pas le regard ! Engageons-nous résolument sur ces deux niveaux de souveraineté pour apporter une réponse totale, une réponse à 360 degrés, à la question du contrôle de nos frontières.

C’est notre ambition au travers du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, qui sera prochainement examiné au Sénat. Nous aurons alors l’occasion de débattre et de bâtir une réelle politique de maîtrise de notre souveraineté migratoire, française et européenne. Car c’est dans la maîtrise du cours de son destin que réside le cœur de toute nation. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)

M. le président. La parole est à M. Franck Menonville. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les confinements des dernières années ont mis un coup d’arrêt brutal à la circulation des personnes.

La pandémie est désormais sous contrôle et les déplacements de population ont repris. Qu’ils soient légaux ou non, ils sont à présent en pleine expansion. Ainsi, selon l’Union européenne, on dénombrait environ 330 000 franchissements irréguliers de notre frontière commune pour l’année 2022.

La prise du pouvoir par les talibans en Afghanistan, le chaos libyen ou encore celui de Syrie continuent d’alimenter ces mouvements de population.

En 2015 déjà, l’Europe avait connu une crise migratoire majeure. L’Union européenne avait alors délégué le contrôle de ses frontières à la Turquie d’Erdogan, lequel s’était empressé de s’en servir comme d’un formidable moyen de pression.

Avec nos partenaires européens, nous prenions alors conscience que la libre circulation en Europe était certes une chance, mais qu’elle constituait également une source de vulnérabilité majeure si la frontière extérieure n’était pas soigneusement contrôlée.

En 2014, le budget de Frontex, agence chargée de contribuer à ce contrôle, s’élevait à 93 millions d’euros. Moins de dix ans plus tard, ce budget a été multiplié par neuf.

Prenant conscience de l’importance de sa mission, les États membres ont doté Frontex des moyens les plus importants jamais octroyés à une agence. Dans un délai de quatre ans, ses effectifs opérationnels devraient ainsi atteindre 10 000 agents.

Les temps futurs s’annoncent difficiles. Les crises géopolitiques se multiplient. Les manœuvres biélorusses de novembre 2021 nous rappellent que les flux migratoires peuvent être employés comme des armes de déstabilisation. Il est donc essentiel d’augmenter les moyens consacrés à la surveillance de nos frontières.

Si Frontex rencontre des difficultés dans l’accomplissement de ses missions, cela tient principalement au fait qu’elle doit protéger les frontières européennes sans porter atteinte aux droits fondamentaux des migrants. Ce dernier point est essentiel : l’Union européenne, puissance normative, ne peut admettre que le droit soit bafoué !

La présente proposition de résolution européenne nous semble tout à fait équilibrée et nécessaire. Nous partageons le souhait de saluer le travail de Frontex et la volonté de lui témoigner notre confiance. Nous appelons donc au renforcement de ses moyens.

En inscrivant cette proposition de résolution à l’ordre du jour, les groupes Écologiste – Solidarité et Territoires et Socialiste, Écologiste et Républicain ont tenu à exprimer leurs préoccupations quant au respect des droits fondamentaux des migrants. Celles-ci sont légitimes, mais il ne faut pas perdre de vue la raison d’être de Frontex : la surveillance des frontières européennes.

Si la Grèce a procédé à des refoulements illégaux, si la Pologne n’a pas souhaité faire appel à Frontex afin d’avoir les coudées franches, si la Hongrie a construit un mur de barbelés, si le Royaume-Uni et le Danemark ont envisagé de renvoyer leurs migrants vers le Rwanda, si l’extrême droite est au pouvoir en Italie, et pourrait l’être demain dans d’autres États européens, c’est bien le signe que quelque chose ne va pas !

La France doit disposer d’une véritable politique migratoire qui s’appuie sur un socle de valeurs républicaines, comme la maîtrise de la langue, la laïcité ou encore l’égalité entre les hommes et les femmes. C’est une attente légitime de nos concitoyens.

La politique migratoire plus stricte menée par le Danemark doit nous inspirer. La situation migratoire européenne n’est plus acceptée par nos concitoyens et il est urgent d’agir. Il sera sans doute indispensable, à terme, de revoir nos procédures, aussi bien en matière de droits fondamentaux que d’entrées sur le territoire européen, pour faire respecter notre législation.

Pour l’heure, nous pensons qu’il faut laisser à Frontex le temps de monter en puissance et d’intégrer les nouvelles composantes qui lui ont été adjointes. Un contrôle politique nous paraît essentiel, car c’est au politique de prendre les décisions et d’en assumer les conséquences. (M. Jean-François Rapin acquiesce.)

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera en faveur de cette résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Patricia Schillinger et MM. Pierre Louault et Jean-François Rapin applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique.

M. Jacques Fernique. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au cours des six mois de présidence française du Conseil de l’Union européenne, le Gouvernement avait pour objectif de rendre l’Europe « plus humaine ». Toutefois, entre les slogans et les actes persiste toujours le même fossé.

Certes, l’Union européenne, ses États et ses citoyens ont fait preuve d’une générosité et d’une solidarité sans faille pour accueillir les Ukrainiennes et les Ukrainiens. Reste que, dans le même temps, au Conseil de l’Union européenne, la France plaidait en faveur du renforcement du contrôle des personnes aux frontières, au travers du règlement sur le filtrage, et d’une surveillance accrue avec le renforcement de la base de données biométriques Eurodac. La solidarité, contrairement aux dispositifs de répression, n’a fait l’objet que d’une déclaration non contraignante.

Mes collègues eurodéputés du groupe écologiste ont observé, à l’échelle européenne, une continuité de la ligne brutale suivie pendant le précédent quinquennat, celle de la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie de 2018, dite Asile et immigration

La guerre en Ukraine, quant à elle, a démontré qu’il était possible d’accueillir des exilés avec dignité : pour la première fois, la directive relative à la protection temporaire, datant de 2001, a été activée.

Les autres exilés – Irakiens, Afghans, Syriens… – sont affublés du terme de « migrants » plutôt que de celui de « réfugiés ». Leur parcours migratoire est souvent criminalisé tout comme le sont les personnes solidaires : Domenico Lucano, qui a choisi d’accueillir dignement des exilés dans le petit village de Calabre dont il était maire, risque aujourd’hui jusqu’à treize ans de prison.

Interrogeons-nous avec clairvoyance sur les causes et les mécanismes des flux migratoires. Regardons la situation en face : 87 % des migrations dans le monde se font en direction du pays voisin de celui qui est fui. Seule une infime partie de ces personnes demande à être accueillie au sein de l’Union européenne.

Cependant, depuis des années, l’Union européenne traite les questions migratoires principalement par une surenchère sécuritaire. Ce n’est pas un succès, c’est plutôt une défaite morale. Il est temps de proposer un pacte sur la migration et l’asile à la hauteur de l’exigence humanitaire. Des femmes, des enfants, des hommes, meurent à nos frontières chaque jour. Personne ne peut dire qu’il ne sait pas.

De fait, Frontex met en péril la bonne conduite des opérations de sauvetage et de secours en mer par les navires affrétés par des ONG. Des situations humanitaires intenables en résultent, comme celle d’Ocean Viking en 2022.

Même lorsque les exilés ont débarqué sur le sol européen, leurs droits les plus fondamentaux ne sont pas pleinement reconnus. Comme le demandent mes collègues écologistes au Parlement européen, une partie des 900 millions d’euros d’argent public alloués à Frontex – la somme de 5,6 milliards d’euros a été évoquée pour la période 2021-2027 – devrait servir à financer une véritable politique de contrôle et d’accueil.

À grand budget, grandes responsabilités : Frontex doit agir avec plus de transparence et cesser d’ignorer les demandes légitimes formulées par les eurodéputés.

Ce qui se passe aux frontières de l’Union européenne relève, hélas ! bien trop souvent de la négation de la dignité humaine avec le concours, sinon la passivité, de Frontex. Or je ne décèle pas, dans cette proposition de résolution européenne, une volonté d’y mettre un terme.

J’y trouve surtout un vocabulaire issu d’un champ lexical plutôt militaire : « sécurité », « menaces », « anticipation des risques », « criminalité »… Certes, l’expression « potentielles irrégularités » y figure, mais pour qualifier d’importants dysfonctionnements mis à jour et dénoncés à la fois par l’Office européen de lutte antifraude, le Parlement européen, des ONG et des journalistes.

À lire le texte de cette proposition de résolution européenne, la garantie du respect des droits humains apparaît à la fin d’une phrase ou est souvent minorée par un « mais ». Il n’y est fait nulle mention des 48 647 personnes mortes aux frontières de l’Union européenne depuis 1993 ! Et personne, ce soir, n’a encore évoqué ce bilan.

Cette proposition de résolution prévoit de laisser à Frontex le temps nécessaire pour mettre en œuvre l’intégralité de son mandat actuel. Or permettre à Frontex de continuer de fonctionner selon les mêmes règles revient, je le crains, à conforter des violations du droit européen et international. Dans ce contexte, la France devrait plaider pour une refonte structurelle et complète de l’Agence plutôt que de proposer d’en repousser la date butoir.

Au travers de cette proposition de résolution européenne, le Sénat aurait également pu envoyer un signal politique fort, comme l’a fait le Parlement européen en refusant de voter la décharge budgétaire. Des eurodéputés de tous bords ont ainsi exigé une rupture dans la culture interne et la pratique de l’Agence.

Nous croyons profondément en la capacité collective à faire des choix de solidarité. C’est le sens de nos amendements dont l’adoption, contre toute attente, nous éviterait de devoir voter contre cette proposition de résolution contre-productive. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Didier Marie applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.

Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous le savez, l’Union européenne est constituée d’un espace de liberté, de sécurité et de justice : l’espace Schengen.

La liberté de circulation est au cœur du projet de l’Union européenne. Le rôle de l’agence Frontex, créée en 2004, est de veiller à ce que nos frontières extérieures remplissent pleinement leurs fonctions.

La France est convaincue de la pertinence d’un engagement de Frontex. Dès lors qu’un État membre est confronté à des difficultés à ses frontières extérieures, qui sont aussi celles de l’Union européenne, une réponse européenne se justifie.

La crise migratoire et de l’asile à laquelle a été confrontée l’Union européenne en 2015 a entraîné une importante réforme de l’agence Frontex, conduisant à l’élargissement de ses missions et au renforcement de ses moyens.

Une première extension de son mandat l’a confortée en tant que bras opérationnel de l’Union européenne, acteur de premier plan de la politique migratoire européenne.

Toutefois, depuis 2015, les flux n’ont cessé d’augmenter, comme en témoignent les derniers chiffres publiés. Le nombre d’entrées irrégulières dans l’Union européenne a progressé de 64 % en 2022 par rapport à l’année précédente, atteignant le niveau le plus élevé depuis 2016, soit 330 000 entrées irrégulières enregistrées, dont 45 % sur la route des Balkans.

Face à ces flux, l’Agence a dû procéder, non sans difficultés, à de profondes transformations dans des délais restreints et construire notamment des capacités opérationnelles autonomes, comme l’a souligné, lors de son audition au Sénat, l’ancienne directrice par intérim de l’Agence.

En effet, dans un contexte international crispé, marqué par la pandémie de covid-19, l’instrumentalisation des flux migratoires par la Biélorussie en novembre 2021 et le déclenchement du conflit en Ukraine en février 2022, Frontex a été soumise à rude épreuve et a traversé une véritable crise de croissance.

Depuis, ses capacités opérationnelles ont été décuplées, avec une montée en puissance rapide et massive des moyens matériels, notamment grâce à un budget de 845 millions d’euros en 2023.

Dans le même temps, et comme l’ont souligné François-Noël Buffet et Jean-François Rapin, que je remercie de la qualité de leurs travaux, Frontex a fait l’objet de nombreuses accusations concernant le respect des droits de l’homme, les refoulements aux frontières, la mauvaise gestion interne ou encore les conflits personnels en son sein. Une crise de confiance qui a ébranlé sa réputation de sérieux auprès des institutions européennes et des États membres.

Au regard de ces crises de croissance et de confiance, la Commission européenne envisage de réviser le règlement européen définissant le mandat de Frontex. Nous ne le souhaitons pas, tout du moins pas dans l’immédiat : dans la mesure où l’Agence n’a pas encore pu absorber les derniers élargissements de son mandat, toute nouvelle révision nous semble prématurée.

Nous soutenons également le triple objectif à la fois politique, diplomatique et juridique de cette proposition de résolution européenne, qui demande un renforcement du pilotage politique de l’Agence, la présence de représentants qualifiés des États membres au sein de son conseil d’administration et une évaluation rigoureuse de l’officier aux droits fondamentaux.

Ce soutien ne revient pas à nous mettre des œillères. Il est essentiel que l’Agence clarifie les choses quant au respect des droits fondamentaux dans le cadre de ses missions. De même, les parlements nationaux doivent être associés au contrôle de Frontex.

À ce titre, la création d’un groupe de contrôle parlementaire conjoint, selon le modèle de celui qui a été mis en place pour surveiller les activités d’Europol, nous semble une piste sérieuse.

Nous émettons toutefois une observation sur le regret exprimé par les auteurs de la proposition de résolution européenne concernant « le choix du Gouvernement français de s’abstenir de désigner un candidat au poste de directeur exécutif ». Nous tenons en effet à souligner que l’influence française est encore présente et porte ses fruits.

La France a soutenu la nomination de notre compatriote Agnès Diallo à la tête de l’Agence de l’Union européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d’information (eu-Lisa), après l’intérim de Luca Tagliaretti.

Chers collègues, cette observation faite, nous soutenons pleinement cette proposition de résolution européenne, qui a pour ambition de faire de Frontex une agence tournée vers l’avenir, dotée d’un véritable cap politique, d’une gouvernance plus saine, d’objectifs clairs et, surtout, qui s’inscrit dans le respect des droits fondamentaux. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 1995, lors de la mise en œuvre de l’espace Schengen, fondé sur la liberté de circulation sans contrôle aux frontières intérieures, le principe de la responsabilité des États membres sur la partie des frontières extérieures de l’espace Schengen relevant de leur territoire a été posé.

Des échanges d’informations, une politique commune en matière de visas pour de courts séjours ainsi que des politiques d’asile concertées ont alors été mis en place, mais nous nous sommes arrêtés là.

À la suite de l’élargissement de 2004, l’agence Frontex a été créée avec pour principale mission de surveiller les nouvelles frontières de l’Union européenne.

En 2015, le terrorisme lié à l’avènement de Daech aux portes de l’Europe, dont nous avons ressenti les effets dans notre chair en France et à Paris, ainsi que la guerre au Proche-Orient ont jeté des millions de personnes sur les routes de l’exil en direction de l’Europe.

Notre construction européenne, conçue dans un océan calme, n’était plus adéquate. C’est la raison pour laquelle un certain nombre de projets ont été lancés à partir de 2016, notamment le système d’entrée-sortie biométrique, le système européen d’information et d’autorisation concernant les voyages (Etias) et la redéfinition du mandat de Frontex.

Le budget de l’Agence, qui dépassait pour la première fois la barre des 100 millions d’euros en 2015, s’élève ainsi à 845 millions d’euros pour 2023. De même, son contingent permanent de garde-frontières devrait doubler d’ici à 2027 par rapport à son niveau de 2018.

Ces mesures, mises en œuvre pour préserver la sécurité et la liberté de circulation dans l’espace Schengen, ont suscité deux crises au sein de Frontex.

Il s’agit tout d’abord, comme cela a été souligné, d’une crise de croissance : en quelques années, l’Agence a dû gérer un budget multiplié par plus de huit, un triplement de son contingent et de nouvelles responsabilités.

Il s’agit ensuite d’une crise que je qualifierais de systémique et qui n’est toujours pas résolue : Frontex, contrairement à ce que laisse entendre son nom, est non le garde-frontière de l’Union européenne, mais plutôt un prestataire de services pour des États dont la souveraineté continue de s’exercer sur la partie des frontières extérieures de l’Union européenne qui les concerne.

C’est ici que réside la difficulté pour l’Agence. Durant l’été et l’automne 2021, par exemple, des migrants en provenance de Biélorussie se sont dirigés vers les frontières de la Pologne et de la Lituanie. La Pologne a alors choisi de ne pas faire appel à Frontex et de gérer seule cette situation nouvelle et inattendue. Elle l’a fait d’une manière choquante au regard du respect des droits fondamentaux : aucune transparence, aucune possibilité pour les journalistes ou les parlementaires du pays d’observer ce qui se passait dans la zone frontalière. À ce jour, seuls les témoignages des habitants de cette zone ont permis de savoir ce qui s’y était déroulé. Et si la Pologne n’a pas fait appel à Frontex, c’est en raison des exigences de l’Agence en matière de droits fondamentaux.

Autre exemple : en Grèce, en 2021, un certain nombre de médias et d’ONG ont relayé l’existence de pushbacks, c’est-à-dire de refoulements à la frontière, effectués d’une manière absolument scandaleuse, aussi bien sur terre que sur mer, à l’égard de migrants. Frontex a constaté l’existence de ces situations, mais l’Agence agit toujours sous la responsabilité des États membres.

Si nous avons accordé un nouveau mandat à Frontex en 2016, c’est précisément afin de mieux gérer ces situations aux frontières sud de l’Union européenne et en Grèce. Or dénoncer la façon dont les choses se sont passées à la frontière entre la Grèce et la Turquie, c’est aussi remettre en cause la capacité de Frontex à agir en Grèce.

C’est toute la difficulté : à ce jour, Frontex ne peut remettre en question la façon d’agir d’un certain nombre d’États, qui auraient pourtant besoin de ses services. Si la Grèce déclarait demain qu’elle ne veut plus de Frontex, comment seraient surveillées ses frontières ?

Il s’agit bien d’une crise systémique, puisque Frontex n’est qu’un prestataire de services. Dès lors, comment faire ?

Il faut tout d’abord se montrer intransigeant à l’égard de Frontex en matière de respect des droits fondamentaux et veiller à mieux garantir l’indépendance des personnes chargées de cette question au sein de l’Agence, ce qui a tenté d’être mis en œuvre à la suite de la crise de 2021-2022. Et cette responsabilité ne doit pas relever exclusivement du directeur de l’Agence.

Le respect des droits fondamentaux est non pas une option, mais une condition indispensable à la crédibilité de cet organisme, susceptible d’intervenir hors de l’Union européenne, par exemple en Macédoine, en Moldavie ou dans des pays situés au sud de la Méditerranée afin de les accompagner dans la surveillance de leurs frontières.

Or, à ce jour, Frontex n’est malheureusement pas irréprochable. Mettre en place une surveillance interne en matière de respect des droits fondamentaux autrement plus efficace que celle qui existe aujourd’hui ou que le dispositif envisagé dans la présente proposition de résolution est indispensable.

C’est la raison pour laquelle, même si nous sommes d’accord pour renforcer le pilotage politique de Frontex au travers de son conseil d’administration, même si nous partageons l’idée que le mandat de Frontex doit être pleinement mis en œuvre avant de penser à le réviser, même si nous partageons la volonté d’un contrôle plus fort des parlements nationaux, nous ne pourrons nous prononcer en faveur de l’adoption cette proposition de résolution si nos amendements ne sont pas adoptés.

À nos yeux, ce texte ne va pas assez loin sur la question des droits fondamentaux. Frontex est certes un élément indispensable pour garantir la liberté de circulation dans l’espace Schengen et assurer la surveillance des frontières, mais nous ne pouvons accepter que cette agence ne soit pas contrôlée de manière irréprochable et qu’elle ne soit pas, elle-même, irréprochable en matière de respect des droits fondamentaux lors de ses interventions, y compris dans le cadre d’opérations conjointes menées avec les États membres.

Ce n’est qu’en garantissant l’indépendance totale des personnes chargées de cette question en son sein que Frontex pourra être à la fois irréprochable et efficace sur le long terme.

C’est la raison pour laquelle nous défendrons trois amendements. S’ils étaient adoptés, nous serions alors favorables à cette proposition de résolution européenne dont, vous l’avez compris, mes chers collègues, nous partageons les objectifs. À défaut, nous ne pourrons malheureusement y souscrire. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent.

M. Pierre Laurent. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous devons nous prononcer ce soir sur une proposition de résolution européenne sur l’avenir de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes dont l’action a été sévèrement mise en cause.

Il s’agit en fait d’adresser un message de soutien à Frontex. Certes, le texte évoque les graves accusations de manquement au respect des droits fondamentaux – comment pourrait-il en être autrement après les constats dressés par le Parlement européen et le rapport de l’Olaf ? –, mais force est de constater qu’il minimise grandement les conséquences qu’il conviendrait d’en tirer.

Les recommandations énoncées en matière de relance et de gouvernance de l’Agence semblent toutes guidées par la perception alarmiste de la situation aux frontières extérieures de l’Europe.

En évoquant une « crise de croissance » pour expliquer les difficultés de l’Agence, les auteurs de la proposition de résolution excluent tout lien entre les dérives constatées et la conception même des missions confiées à Frontex.

Or la dérive vers la militarisation de fait des frontières de l’espace Schengen est en partie liée à une politique d’accueil et de droit d’asile toujours plus restrictive. C’est là que se trouvent les racines des atteintes aux droits fondamentaux des personnes migrantes.

Désormais balafré de dix-neuf clôtures frontalières, s’étirant sur plus de 2 048 kilomètres, Schengen prend encore davantage des allures de forteresse qu’il s’agirait de défendre par tous les moyens.

Le texte évoque, par exemple, l’« efficacité du partenariat entre Frontex et la Grèce »… Faut-il rappeler que le rapport de l’Olaf pointait précisément la complicité de l’Agence dans l’abandon, par les autorités grecques, de groupes de migrants sur de petits îlots inhabitables ?

Par la militarisation de ses agents, Frontex est le symbole de la permanence de la réticence des États européens à appliquer le droit d’asile et une politique d’accueil digne. Faute d’une politique européenne à la hauteur de nos devoirs d’accueil et de solidarité humaine, c’est une véritable crise humanitaire qui sévit chaque jour aux frontières de l’Europe.

Des milliers de femmes, d’hommes et d’enfants se noient toujours en Méditerranée ou meurent d’hypothermie dans l’est de l’Europe. Des femmes victimes de violences, poussées sur les routes de la migration par des réseaux de traite, sont refoulées sans ménagement. Des mineurs sont aussi refoulés, au mépris du droit international.

Malgré cette militarisation progressive de Frontex et la multiplication de son budget par dix-sept depuis sa création en 2004, aucun effet dissuasif n’est constaté. Alors que seules des politiques de migration concertées, organisées autour de voies légales et sécurisées, permettant des parcours respectueux des droits fondamentaux des personnes, seraient à même de changer la situation, nous persévérons dans l’inhumanité en érigeant des murs toujours plus hauts et en externalisant la gestion des frontières extérieures, ce qui ne permettra jamais de supprimer les causes des migrations subies ou forcées ni d’en finir avec les refoulements expéditifs.

En vérité, les politiques répressives n’arrêtent pas les migrations, mais légalisent l’arbitraire. Les clôtures, les barbelés, les barrages de toute nature à un accueil digne, réclamés à cor et à cri par les gouvernements de droite et d’extrême droite en Europe, ne font que favoriser l’insécurité, les contournements, les migrations.

Frontex devient le bras armé de ces politiques quand elle devrait, au contraire, assister les États dans une gestion humaine, digne et sûre des frontières à l’échelle européenne.

La démission de l’ancien directeur exécutif de Frontex n’a été que le symptôme d’un mal plus profond : une activité aux frontières gangrénée par la dissimulation de violations du droit des migrants commises par des États membres de l’Union européenne.

Il paraît de plus en plus évident que Frontex manque cruellement de mécanismes de responsabilité tant en son sein qu’à l’extérieur. C’est une préoccupation que les auteurs de la proposition de résolution semblent réprimer, comme si l’instauration d’un contrôle effectif et indépendant en matière de respect des droits fondamentaux pouvait constituer un frein à l’exercice des missions de Frontex.

Dans ces conditions, laisser l’Agence aller au bout de son mandat sans remettre à plat, au moyen d’une évaluation approfondie, ses missions et les politiques qui les sous-tendent, nous semble au bas mot bien insuffisant. Au regard des graves manquements constatés et des objectifs non atteints en matière de responsabilisation des États membres en termes de respect des droits fondamentaux et du droit européen, de telles dispositions ne nous semblent pas raisonnables.

Toutes ces raisons, parmi d’autres encore, nous conduiront à voter contre cette proposition de résolution européenne. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-Michel Arnaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de résolution nous donne l’occasion de mettre en lumière le sujet brûlant des migrations vers notre Europe. Je remercie nos collègues socialistes et écologistes de nous permettre d’en débattre.

Les défis de l’Europe face aux flux migratoires s’incarnent bel et bien dans les récentes mutations qu’a opérées, non sans difficulté, l’Agence européenne des garde-frontières et garde-côtes, communément appelée Frontex.

Cette agence, sans doute la plus connue de nos concitoyens, remplit une triple mission : assurer un rôle de veille permanente aux frontières extérieures de l’Union ; venir en appui des États membres dans la lutte contre la criminalité transfrontalière ; aider les pays tiers qui ont conclu un accord avec l’Union européenne à juguler les flux migratoires irréguliers qui se dirigent vers l’Europe. Jamais une agence supranationale ne s’est vu confier de telles prérogatives de puissance publique.

Le renforcement des missions de Frontex, en 2016 puis en 2019, s’est accompagné d’un accroissement de ses moyens humains et financiers. Ainsi, quelque 5,8 milliards d’euros seront mobilisés dans les années à venir, l’objectif étant d’atteindre 10 000 personnels à l’horizon 2027, qu’ils soient propres à l’institution ou détachés des États membres.

Cette volonté de faire de Frontex l’apanage de la politique migratoire européenne s’est heurtée à de multiples difficultés.

Tout d’abord, la croissance fulgurante de ses moyens dans un temps court n’a pas laissé un délai suffisant au bon calibrage de l’organisation, notamment pendant la crise sanitaire.

Ensuite, le rapport spécial de la Cour des comptes européenne, publié en juin 2021, et celui de l’Office européen de lutte antifraude, paru en février 2022, ont sapé la légitimité de Frontex en raison d’un déficit de transparence dans le coût des opérations et de manquements au respect des droits fondamentaux.

Ces révélations, qui s’ajoutent aux critiques adressées par certains États membres, ont entraîné la démission du précédent directeur, Fabrice Leggeri.

Enfin, des luttes d’influence internes aux institutions européennes consacrées à la politique migratoire ont été mises au jour.

Entre la protection des droits fondamentaux des migrants et la lutte contre l’immigration irrégulière, les positions des États membres divergent sur les priorités opérationnelles de Frontex. Dès lors, il s’avère nécessaire de clarifier ces missions.

L’agence Frontex est confrontée à une transformation de son organisation, alors même qu’elle souffre d’un déficit de légitimité et que ses responsabilités tendent à se renforcer.

Pour reprendre les termes employés par le président de la commission des lois, ces « crises de croissance et de confiance » appellent à proposer un ensemble de recommandations relatives à l’avenir de l’Agence.

Tel est l’objet de la présente proposition de résolution européenne. À cet égard, je tiens à saluer la qualité du travail de la commission des affaires européennes et de la commission des lois.

Le pilotage politique de Frontex a montré ses faiblesses. La récente nomination du nouveau directeur doit s’accompagner de l’instauration d’un conseil d’administration doté de personnels d’une expérience et d’un niveau hiérarchique suffisants. Ainsi, la constitution d’un groupe parlementaire conjoint entre les parlements nationaux et le Parlement européen semble indispensable.

Le contrôle parlementaire ne peut être qu’un atout. Il s’agit, à l’échelle tant des parlements nationaux que du Parlement européen, d’instaurer une stabilité institutionnelle et une légitimité politique au bénéfice d’une organisation en plein développement.

Par ailleurs, le mandat de Frontex doit être clarifié, ce que visent les alinéas 37 et 46 de cette proposition de résolution européenne. Il est impératif de définir certains critères pour le recrutement des contrôleurs et, surtout, des officiers aux droits fondamentaux. Demander qu’une expérience professionnelle dans le domaine des droits fondamentaux soit un prérequis me semble également pertinent. C’est la raison pour laquelle notre groupe soutient vivement la recommandation tendant à soumettre les décisions de l’officier des droits fondamentaux à un avis annuel du Médiateur européen.

Les opérations menées conjointement par l’Agence et les États membres sont réalisées exclusivement à la demande d’un État et sous son autorité. Bien que le rôle de Frontex ne soit en aucune façon de surveiller l’action d’un État souverain, une procédure d’alerte pour violation des droits fondamentaux demeure un recours possible, à condition que les modalités de déclenchement en soient encadrées. Il s’agit d’un élément majeur pour renforcer la confiance dans cette agence, mobilisée par des États membres parfois peu soucieux d’accompagner dignement les personnes migrantes.

La proposition de résolution européenne appelle aussi au maintien de la capacité opérationnelle de Frontex. Si ses effectifs s’accroissent, sa montée en puissance doit aller de pair avec une plus grande transparence sur les effets et les coûts des opérations et avec un renforcement des coopérations entre les États membres et les autres structures communautaires.

Je profite également de ma présence à la tribune ce soir pour appeler de mes vœux une coopération intergouvernementale plus étroite sur la question des migrations secondaires. Mon département, les Hautes-Alpes, qui se situe à la frontière italienne, est particulièrement concerné : en 2019 et en 2020, plus de 11 000 passages illégaux ont été répertoriés entre l’Italie et la vallée du Briançonnais. Ces passages s’effectuent principalement via le col de l’Échelle, tristement célèbre malgré sa beauté. Cette route extrêmement dangereuse, fermée en hiver, est utilisée par des passeurs et par un certain nombre de personnes migrantes en quête d’une destination, d’un horizon plus heureux. Ces personnes, désespérées, sont souvent victimes de l’hiver.

De telles situations ont été évoquées, voilà quelques instants, à l’est de l’Europe, mais elles peuvent également se produire chez nous, en France.

La pression migratoire locale est également renforcée par l’inadéquation des moyens alloués à la police aux frontières, ce qui ne permet pas à celle-ci d’assurer correctement ses missions. De même, les moyens mis à disposition des associations humanitaires à Briançon ne sont pas à la hauteur de l’accompagnement nécessaire pour préserver la dignité des personnes migrantes, prises en charge dans l’urgence.

Par cette proposition de résolution, le Sénat appelle nos démocraties européennes à être à la hauteur de leurs idéaux. Nous ne pouvons rester indifférents au sort de ces enfants, de ces femmes et de ces hommes qui aspirent à un avenir meilleur en franchissant nos frontières extérieures et intérieures.

Pour autant, nous ne devons pas être naïfs. Voilà quelques jours, le nouveau directeur exécutif de Frontex s’est engagé à rétablir la confiance dans l’Agence, à en réorganiser le travail et à produire des résultats tangibles sur le plan humanitaire, dans le respect des droits fondamentaux.

Frontex doit muer afin de trouver l’équilibre entre l’absence de naïveté dont elle doit faire preuve à nos frontières face à des migrations parfois organisées et l’indispensable accompagnement, digne et humain, de personnes ayant fait le choix, parfois politique, souvent économique et social, de nourrir d’autres espérances à l’intérieur des frontières européennes.

Mes chers collègues, comme vous l’imaginez, le groupe Union Centriste, conformément au souci constant d’équilibre qui lui est propre, votera en faveur de cette proposition de résolution européenne, mais conserve l’objectif de renforcer notre humanité à l’égard des populations les plus fragiles qui arrivent en Europe. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en février 2022, l’ONU a alerté l’Union européenne sur la « normalisation » du refoulement illégal des réfugiés à nos frontières.

De plus, le rapport de l’organisation Human Rights Watch est accablant à l’égard de l’agence européenne Frontex. La surveillance aérienne qu’elle exerce permet en effet aux garde-côtes libyens d’intercepter des bateaux de migrants. Ces derniers sont renvoyés de force en Libye, où ils sont confrontés à la violence, à des abus, à l’esclavage et à la torture.

Ces faits sont directement imputés à Frontex, qui devient alors complice d’actes inhumains.

Par ailleurs, le rapport de l’Office européen de lutte antifraude dénonce des actes similaires impliquant des agents de Frontex en Albanie et à la frontière entre la Grèce et la Turquie.

Nous ne pouvons ni fermer les yeux sur ces révélations, étayées par des preuves, ni faire comme si notre soutien à Frontex devait primer le respect de nos principes fondamentaux.

Je ne partage pas vraiment l’avis des rapporteurs, selon lesquels la mission première de Frontex serait de garantir le contrôle efficace des frontières extérieures de l’Union européenne afin de lutter contre l’immigration clandestine. Le respect des droits de l’homme doit dépasser toute considération idéologique pour devenir la boussole de nos actions.

Les tragédies se succèdent : d’abord, à Lampedusa, en 2013 ; puis lors des naufrages de plus de 800 migrants en 2015 ou encore de quelque 27 migrants dans la Manche l’année dernière ; enfin, en mer Méditerranée, où sont morts une trentaine de migrants depuis le début de l’année.

Nous devons prendre toute la mesure de la gravité de l’échec de Frontex dans l’accomplissement de ses missions. D’après les chiffres de l’Agence européenne, près de 330 000 entrées irrégulières ont été enregistrées en 2022 en Europe.

Le système en place est incapable de répondre à la problématique migratoire qui traverse l’Europe. Environ 10 % de ces entrées irrégulières sont le fait de femmes et près de 9 % de mineurs. Je les ai rencontrés au campement de la porte d’Ivry, où quelque 400 adolescents sont livrés à eux-mêmes dans des tentes d’infortune. Les exemples sont nombreux : ces situations sont-elles véritablement dignes de la France ?

L’Union européenne souhaite placer la politique migratoire au sommet de ses priorités. Il est urgent de réformer Frontex : sa mission de contrôle doit être indissociable de sa mission de protection des droits fondamentaux.

La Grèce, la Pologne, la Bulgarie, quant à elles, réclament le financement européen d’un mur anti-migrants et de barbelés le long de leurs frontières.

L’échéance des élections européennes arrive à grands pas. Hélas, sans un système d’asile et de migration harmonisé et fort, je crains qu’une nouvelle poussée des extrêmes ne surgisse lors des résultats du suffrage. Je voterai contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Pierre Laurent applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Belrhiti. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, que resterait-il des frontières de l’Union européenne sans l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, communément appelée Frontex ?

Aujourd’hui plus que jamais, c’est une responsabilité commune que de surveiller et d’entretenir les frontières extérieures de l’Union européenne.

En premier lieu, Frontex est indispensable compte tenu de sa raison d’être, à savoir la connaissance et la régulation des flux migratoires aux portes de l’Union européenne. Elle doit rester le centre de gravité de nos débats.

Chaque événement international qui s’est produit au cours de ces dernières années a conduit à un accroissement de ces flux. Je citerai trois exemples : en 2019 et 2020, les tensions entre la Turquie et l’Union européenne se sont concrètement traduites par des pressions étrangères sur les autorités locales de Frontex et par le risque de migrations précipitées dans les territoires de l’Union.

En 2021, les tensions avec la Biélorussie ont provoqué ce qu’il faut appeler une crise frontalière, de laquelle a résulté un afflux massif de migrants venus du Moyen-Orient vers le nord de l’Europe.

En 2022, c’est bien évidemment le conflit en Ukraine qui a conduit à des déplacements de populations entières vers les territoires des États membres.

Dans certains cas, il ne s’agit aucunement de crises migratoires au sens strict, ni de mouvements de population spontanés, ni même de simples questions d’asile et de droits de l’homme. Il s’agit plutôt de tentatives de déstabilisation étrangères et de périls pour notre sécurité commune. Or, plus ces flux migratoires sont imposants, plus ces défis sécuritaires sont importants, plus la réponse de l’Union européenne doit être forte.

C’est la raison pour laquelle Frontex constitue désormais non seulement un moyen de coordination de nos frontières, mais également une force opérationnelle, qui doit être capable de se projeter dans ces zones, afin de soutenir les États concernés. L’échelle continentale de nos frontières et l’ampleur des flux migratoires l’exigent.

En second lieu, la finalité de l’action de Frontex reste inchangée, à savoir la préservation de l’ordre et de la sécurité aux frontières extérieures de l’Union européenne. Or, là encore, les défis se sont multipliés au cours des dernières années, accroissant ainsi les missions confiées à cette agence.

Il en est ainsi en raison d’abord du terrorisme international, qui rend nécessaires une maîtrise accrue de nos frontières et une plus grande vigilance à l’endroit des zones de conflit.

C’est ensuite en raison de la criminalité transfrontalière, qui s’est ajoutée aux missions de Frontex depuis 2016.

Enfin, les trafics qui se déroulent dans les zones frontalières rendent indispensable l’appui aux États membres.

Il en résulte une nouvelle hausse salutaire des moyens et des capacités opérationnelles de Frontex, puisque l’Agence est appelée à intervenir en soutien des États et parfois directement sur le terrain.

Un constat d’ensemble s’impose ainsi à tous les États membres et à l’Union européenne elle-même : nos frontières ne peuvent se réduire à de simples zones d’accueil. Nos États membres ne peuvent faire face seuls aux défis géopolitiques et sécuritaires du continent tout entier. L’élargissement du mandat de Frontex et la croissance de ses moyens opérationnels sont une évidente nécessité. C’est ce qui doit conduire cette organisation à devenir la plus grande agence européenne tournée vers le maintien de l’ordre à nos frontières et vers la bonne application de notre politique migratoire.

Nous voudrions insister sur la croissance naturelle de cette agence, qui justifie pleinement l’adoption, sans modification, de cette proposition de résolution par la commission des affaires européennes.

Elle est non seulement naturelle, parce qu’elle répond aux défis que nous venons de souligner, mais également logique, car elle s’inscrit dans le prolongement de nos propres valeurs républicaines.

Raymond Barre soulignait déjà, en 1976, lors de son discours de politique générale, l’importance de tourner davantage notre attention vers la liberté, la responsabilité et la sécurité. La raison d’être de Frontex ne s’en écarte pas, puisqu’elle a pour objet de contrôler des frontières extérieures contre l’immigration irrégulière, les pressions étrangères et l’insécurité dans l’Union européenne. Ne laissons pas croire que la liberté implique l’insécurité ; la sécurité, bien au contraire, est indispensable à la liberté !

La proposition de résolution européenne de nos collègues Jean-François Rapin et François-Noël Buffet répond pleinement à cet enjeu en ce qu’elle tend à apporter notre soutien à l’agence Frontex. Elle vise ainsi à la stabiliser efficacement sur les plans politique et juridique.

Juridiquement, il faut acter l’irréversibilité du mandat de Frontex, renforcé en 2016. Les moyens opérationnels de l’Agence doivent accompagner cette croissance. L’enjeu de la sécurité frontalière s’en trouve satisfait. D’une part, Frontex n’intervient qu’à la demande des États membres : il ne revient pas à l’Agence de les surveiller ni même d’intervenir par elle-même, mais de les soutenir quant au maintien de l’ordre à leurs frontières. D’autre part, la coordination de la lutte contre la criminalité transfrontalière, l’immigration irrégulière et la sécurité intérieure s’avèrent préservées dans les strictes conditions déterminées par les États membres.

Il faut ensuite soutenir politiquement l’autorité de son futur directeur exécutif. La place institutionnelle de Frontex au sein de l’Union européenne et la crédibilité internationale de l’Agence s’avèrent liées par cette condition politique. C’est pourquoi nous voudrions réaffirmer ici tout le soutien que nous apportons à Frontex, et ce malgré les critiques et les polémiques dont elle a fait l’objet.

Mes chers collègues, accordons-nous au moins sur un point.

Quelles sont les conclusions des rapports consacrés à l’activité de Frontex, qui ont d’ailleurs été cités dans les travaux préparatoires de cette proposition de résolution ? Tous relèvent que si Frontex n’a pas participé directement à des opérations de refoulement, elle ne les a néanmoins pas empêchées.

Certes, les incidents et les atteintes aux droits fondamentaux ont révélé des insuffisances structurelles dans leur traitement ; bien sûr, les cadres dirigeants se sont plaints de l’ignorance des enjeux opérationnels de l’agence. Mais que manque-t-il véritablement à Frontex, si ce n’est davantage de moyens, afin de pouvoir précisément garantir le respect des droits fondamentaux ?

La seule introduction, en 2019, d’un officier aux droits fondamentaux, assisté de contrôleurs et d’un code de conduite ne suffit pas. Pour que ces garanties deviennent effectives jusqu’au cœur des missions opérationnelles de Frontex, il faut continuer à la soutenir et lui fournir les moyens idoines.

Les recommandations jointes à cette proposition de résolution convergent justement vers ce renforcement des moyens : accroissement de la transparence et instauration d’un contrôle parlementaire.

Soutenir Frontex afin de l’aider surmonter sa « crise de croissance et de confiance » ne peut se faire qu’au travers de l’augmentation de ses moyens et de l’expression de notre assentiment. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Claude Kern et Franck Menonville applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre.

Mme Nathalie Delattre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, d’ici quelques semaines nous examinerons le projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration.

La gestion des flux migratoires est l’un des sujets majeurs de nos politiques publiques de ces dernières années. Les controverses récentes autour de l’agence Frontex n’ont certainement pas participé à l’apaisement du débat, mais l’ont plutôt relancé, notamment au regard du sens de la mission de l’Agence.

Chacun le sait ici, Frontex remplit deux missions principales. Pour reprendre les termes du règlement européen de 2016 relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes, qui a institué l’Agence, la première consiste à faciliter et à rendre plus efficace l’application des mesures de l’Union européenne relatives à la gestion des frontières extérieures. La seconde est de contribuer à l’application du droit de l’Union à toutes les frontières extérieures, notamment en matière de droits fondamentaux.

Faut-il être gêné par cette seconde mission et ne tenir compte que de la première ? L’une et l’autre ne semblent pas incompatibles, à condition d’être menées sans dérive et avec la confiance réciproque de chacun des États membres, ce qui devrait aller de soi dans l’Union européenne…

Nous touchons là au véritable problème que rencontre Frontex. Il ne tient pas simplement à une question de statut : ce sont non pas quelques lignes dans un règlement qui donneront sa légitimité à une institution, mais les faits, les décisions et les actes de ceux qui la font vivre.

De ce point de vue, tout le monde s’accorde à souligner les manquements, les dérives et les fautes commises ces dernières années.

Je ne m’épancherai pas sur la démission de son ancien directeur exécutif à la suite du rapport de l’Office européen de lutte antifraude et des accusations d’avoir couvert des opérations de refoulement de migrants vers la Turquie par la Grèce entre 2019 et 2020. Si l’Agence en ressort fragilisée, cette situation peut constituer une opportunité pour le nouveau directeur et lui donner l’occasion de fixer un cap. Celui-ci semble en avoir conscience puisqu’il s’est engagé à rétablir la confiance – que beaucoup de nos concitoyens ont perdue – dans l’Agence.

C’est là que se trouve le véritable enjeu des prochaines années pour Frontex. Les orateurs précédents ont largement souligné combien les moyens mis à sa disposition étaient importants. L’Agence dispose en effet de moyens juridiques renforcés pour assister les États membres dans le suivi des flux migratoires, le contrôle des frontières, la lutte contre l’immigration illégale et les réseaux criminels transfrontaliers, par exemple, mais également dans l’organisation des opérations de retour des migrants n’ayant pas le droit de rester sur le territoire de l’Union européenne.

L’Agence devrait également être dotée de moyens matériels et humains supplémentaires, notamment un contingent permanent de 10 000 garde-frontières et garde-côtes d’ici à 2027, ainsi qu’un avion, qui est d’ores et déjà déployé dans la Manche. Un tel dispositif ne peut être accompagné d’autant de controverses. Il nous faut œuvrer à la stabilité de l’Agence dans ses deux missions initiales, qui vont de pair.

En revanche, je rejoins volontiers les auteurs de cette proposition de résolution sur un point, celui du rôle des parlements nationaux.

Mes chers collègues, vous proposez de mettre en place, dans chaque parlement national, un « groupe de contrôle parlementaire, sur le modèle de celui établi pour contrôler les activités d’Europol », afin de garantir « la nécessaire association des parlements nationaux au contrôle de Frontex ».

Notre groupe rappelle régulièrement son attachement à la construction européenne et plaide pour que les institutions de l’Union européenne affirment leur légitimité, sans qu’il faille nécessairement les associer aux institutions nationales. Force est toutefois de constater que, face aux crises, et lorsque nous sommes dans un processus de reconstruction d’une légitimité, comme c’est le cas avec Frontex, le rôle des nations est essentiel. Il permet d’observer et de réguler afin de pouvoir faire confiance de nouveau.

Certes, l’Agence est actuellement responsable devant le Parlement européen et le Conseil, mais je crois que l’idée d’un contrôle parlementaire à l’échelle nationale participera à la justification de ses actions futures et permettra d’éviter de nouvelles crises.

Aussi, malgré certaines réserves, le groupe RDSE votera cette proposition de résolution européenne dont il comprend les enjeux. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, RDPI, INDEP, UC et Les Républicains.)

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur l'avenir de l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex)
Explications de vote sur l'ensemble (début)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de résolution européenne sur l’avenir de l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (frontex)

Le Sénat,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu l’article 12 du traité sur l’Union européenne,

Vu les articles 67 et 77 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu le règlement (UE) 2019/1896 du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2019 relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes, et abrogeant les règlements (UE) n° 1052/2013 et (UE) 2016/1624, en cours d’évaluation par la Commission européenne,

Vu le rapport spécial de la Cour des comptes de l’Union européenne daté du 7 juin 2021 déplorant une action « pas assez efficace jusquici » de Frontex aux frontières extérieures de l’Union européenne,

Vu les décisions du Médiateur européen en date du 15 juin 2021 et du 17 janvier 2022,

Vu le rapport d’enquête confidentiel de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF), publié partiellement dans la presse, le 13 octobre 2022,

Considérant la crise subie depuis plusieurs mois par l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, communément appelée Frontex ;

Considérant, comme l’illustre le rapport spécial précité de la Cour des comptes de l’Union européenne, que cette crise est d’abord la « crise de croissance » d’une agence dotée, par le règlement 2019/1896 précité, de moyens inédits pour contribuer à la surveillance des frontières extérieures de l’Union européenne mais qui n’a pas disposé du temps nécessaire pour opérer les recrutements et les réformes lui permettant de mettre en œuvre l’intégralité de son mandat dans le respect des procédures ;

Considérant que cette crise est également « une crise de confiance » à l’égard d’une agence mise en cause, d’une part, pour de potentiels irrégularités et manquements dans sa gestion interne et, d’autre part, pour sa participation alléguée à des violations de droits fondamentaux de migrants irréguliers en mer Égée ;

Considérant que l’OLAF a, en conséquence, ouvert en novembre 2020 une enquête sur ces accusations et que le rapport qui en a résulté en février 2022 a conclu à un fonctionnement défaillant, caractérisé par l’ignorance des procédures à suivre, un défaut de loyauté et plusieurs manquements de la part de la direction ;

Considérant la publication partielle de ce rapport confidentiel dans la presse, le 13 octobre 2022 ;

Considérant que le Médiateur européen a émis plusieurs recommandations concrètes à destination de l’agence Frontex pour assurer effectivement le respect des droits fondamentaux dans ses décisions et ses opérations ;

Considérant la constitution unilatérale d’un groupe de contrôle de l’activité de Frontex par la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen (LIBE), le 23 février 2021, en vue de contrôler le corps européen de garde-frontières et de garde-côtes, et son rapport d’enquête du 14 juillet 2021, sur des allégations de violations de droits fondamentaux par Frontex, affirmant n’avoir « pas trouvé de preuve » d’actions directes de refoulement illégales ou d’expulsions collectives commises par l’agence ;

Considérant néanmoins la mise en place d’une surveillance renforcée de Frontex par le Parlement européen et les reports successifs du vote de la décharge budgétaire de l’agence Frontex au titre de l’exercice 2019, en mars 2021, puis de l’exercice 2020, en mai et en octobre 2022, en raison de « lampleur des fautes graves et des possibles problèmes structuraux » constatés ;

Considérant avec gravité la démission de M. Fabrice Leggeri de ses fonctions de directeur exécutif de l’agence Frontex, intervenue à la suite de ces enquêtes et audits, le 28 avril 2022, et la désignation de Mme Aija Kalnaja en tant que directrice exécutive temporaire, et leurs auditions par les commissions des affaires européennes et des lois du Sénat, respectivement le 14 juin 2022 et le 10 novembre 2022 ;

Considérant la nomination le 20 décembre 2022 par le conseil d’administration de Frontex de M. Hans Leijtens aux fonctions de directeur exécutif ;

Considérant la consultation menée par la Commission européenne, du 5 septembre au 3 octobre 2022, et la procédure d’évaluation du règlement (UE) 2019/1896 précité, en vue d’une éventuelle modification de ce dernier fin 2023 ;

Considérant la détection par l’agence Frontex de 330 000 franchissements irréguliers des frontières extérieures de l’Union européenne en 2022, soit le volume le plus important depuis 2016 et une augmentation de 64 % par rapport à l’année précédente ;

Considérant les tentatives d’instrumentalisation des mouvements migratoires par certains pays tiers riverains de l’Union européenne, soucieux de fragiliser la solidarité et la sécurité des États membres ;

Considérant la forte augmentation des traversées maritimes vers le Royaume-Uni par des migrants en situation irrégulière, à partir des côtes françaises, devenues frontières extérieures de l’Union européenne depuis l’entrée en vigueur du Brexit ;

Considérant le déploiement actuel de plus de 2 000 officiers du contingent permanent de Frontex dans le cadre de dix-huit opérations simultanées ;

Considérant la mise en œuvre imminente, fin 2023, d’un système européen de gestion intégrée des frontières avec l’instauration d’une base de données relatives aux entrées et aux sorties des ressortissants de pays tiers franchissant les frontières extérieures de l’Union européenne (EES) et l’entrée en vigueur du système électronique d’information et d’autorisation concernant les voyages (ETIAS) qui, après les vérifications nécessaires, délivrera une autorisation de voyage dans l’Union européenne aux ressortissants de pays tiers non soumis à visa ;

Considérant enfin le rôle premier des parlements nationaux dans l’évaluation de l’efficacité de la surveillance des frontières, dans l’affectation des moyens permettant cette surveillance et dans le vote de la contribution des États membres au budget de l’Union européenne qui financent l’agence Frontex ;

Sur un soutien renouvelé à lagence Frontex en tant quagence européenne de surveillance des frontières

Réaffirme son attachement à la pérennité de l’Espace Schengen, espace de libre circulation des personnes, des biens et des capitaux inédit dans le monde, qui constitue l’un des principaux acquis de l’Union européenne ; rappelle que la libre circulation à l’intérieur de cet espace doit aller de pair avec un contrôle efficace et permanent de ses frontières extérieures ;

Constate que l’efficacité de ce contrôle dépend du soutien que Frontex, Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, apporte aux États membres ;

Précise que le règlement (UE) 2019/1896 précité confie un mandat renforcé à l’agence Frontex, qui la dote d’un contingent permanent de 10 000 garde-frontières et garde-côtes à échéance 2027, lui demande d’agir sans délai dans le respect des droits fondamentaux, lui permet d’organiser aisément des opérations de retour et l’autorise à coopérer avec les pays tiers ;

Rappelle le rôle déterminant de la France dans l’octroi à Frontex de ce mandat élargi et le soutien sans faille du Sénat au développement des prérogatives de l’agence ;

Déplore l’augmentation récente de la violence aux frontières, qui s’est encore tristement manifestée par le décès d’un garde-frontière bulgare le 7 novembre 2022, et apporte son plein soutien aux personnels déployés sur les théâtres d’opération en saluant leur professionnalisme et leur disponibilité ;

Souligne enfin que le contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne est étroitement lié à la politique migratoire et à la politique de l’asile et soutient en conséquence les efforts de l’Union européenne et des États membres pour défendre cette approche globale, dans les discussions en cours sur le Nouveau Pacte sur la migration et l’asile comme sur la révision du code frontières Schengen ;

Sur le renforcement du pilotage politique de lagence Frontex

Déplore la durée excessive du processus de désignation du directeur exécutif de l’agence, alors qu’une augmentation sensible des franchissements irréguliers des frontières extérieures de l’Union européenne est constatée et que les tensions géostratégiques au sud et à l’est de l’Union européenne s’accroissent ;

Regrette le choix du Gouvernement français de s’abstenir de désigner un candidat au poste de directeur exécutif dans les délais impartis, alors même que l’administration française dispose des compétences et des talents requis ; estime qu’un tel choix pourrait entériner un recul préjudiciable de l’influence française sur la définition des politiques européennes de l’Espace de liberté, de sécurité et de justice ;

Appelle, par défaut, le Gouvernement français à défendre auprès du nouveau directeur exécutif la nécessité de préserver le rôle premier des États membres au sein du conseil d’administration de Frontex et de conforter l’agence dans sa mission de surveillance des frontières extérieures de l’Union européenne ;

Estime que le conseil d’administration de l’agence doit désormais exercer la plénitude de son pouvoir d’orientation et de contrôle politique à l’égard du directeur exécutif et être composé en conséquence de personnels disposant d’une expérience et d’un niveau hiérarchique suffisants ;

Recommande en outre un pilotage politique accru de l’agence par les ministres chargés des affaires intérieures des États membres, lors de réunions dédiées du Conseil de l’Union européenne et de sessions exceptionnelles du conseil d’administration de l’agence au cours desquelles ils pourraient donner régulièrement des lignes directrices à l’agence ;

Sur la clarification du mandat de Frontex

Sur le respect des droits fondamentaux

Souligne que l’agence Frontex a pour mission première le soutien aux États membres dans la surveillance des frontières extérieures de l’Union européenne et doit, ce faisant, agir dans le respect des droits fondamentaux ;

Rappelle que le règlement (UE) 2019/1896 précité a mis en place un dispositif spécifique de protection des droits fondamentaux au sein de Frontex, avec la désignation d’un officier aux droits fondamentaux assisté de contrôleurs chargés du respect de ces droits, la mise en place d’un forum consultatif compétent pour conseiller l’agence en la matière et l’établissement d’un mécanisme de traitement des plaintes en faveur des personnes estimant que l’action ou l’inaction de l’agence a porté atteinte à leurs droits ;

Salue les mesures annoncées par la direction intérimaire pour rendre effectifs sans délai ces dispositifs et ces procédures et tirer les enseignements des divers audits et enquêtes de la Cour des comptes de l’Union européenne, du Médiateur européen et de l’OLAF, en particulier l’amélioration de l’accessibilité et de la publicité du mécanisme de traitement des plaintes précité et la nomination de quarante-six contrôleurs des droits fondamentaux ;

Considère que l’officier aux droits fondamentaux devrait obligatoirement, avant sa nomination, attester d’une expérience approfondie en matière de gestion des frontières et d’une maîtrise effective des procédures de traitement des incidents liés aux droits fondamentaux ; considère en outre que les contrôleurs aux droits fondamentaux devraient également obligatoirement faire valoir, préalablement à leur recrutement, une expérience opérationnelle dans le domaine de la surveillance des frontières ;

Estime impératif que l’officier et les contrôleurs aux droits fondamentaux bénéficient des moyens adaptés à l’accomplissement de leur mission ;

Recommande l’instauration d’un dialogue permanent, au sein de l’agence, entre son directeur exécutif et l’officier aux droits fondamentaux, afin de ne pas institutionnaliser deux chaînes hiérarchiques distinctes et structurellement rivales ;

Confirme la nécessité que le conseil d’administration de l’agence procède à l’évaluation professionnelle annuelle de l’officier aux droits fondamentaux et suggère que ses décisions en matière de respect des droits fondamentaux fassent l’objet d’un avis annuel du Médiateur européen, afin d’en garantir un contrôle extérieur ;

Prend acte de la refonte bienvenue, en avril 2021, de la procédure d’alerte en cas d’incident sérieux ; invite cependant à s’assurer que les modalités de déclenchement d’une alerte pour violation des droits fondamentaux par des personnels de Frontex, en cas de simple suspicion d’une telle violation, ne soient pas de nature à permettre une instrumentalisation de la procédure par des parties hostiles à l’existence même de Frontex et à une multiplication des contentieux, source de paralysie ;

Sur les opérations conjointes

Souligne que, dans le cadre d’une opération conjointe, l’agence Frontex intervient seulement en réponse aux sollicitations de l’État demandeur, qui a un rôle premier dans la surveillance de ses frontières, et sous son autorité ; ajoute que ces opérations sont fondées sur le principe de coopération loyale ;

Rappelle que la mission de Frontex n’est en aucun cas de surveiller les actions des États membres en matière de droits fondamentaux ;

Estime que les personnels de Frontex ne sauraient être tenus juridiquement responsables d’éventuelles actions litigieuses commises, dans le cadre d’opérations conjointes, par les services de l’État partenaire ;

Sur le maintien de lefficacité opérationnelle de Frontex

Insiste sur l’extension substantielle des prérogatives de l’agence Frontex, devenue l’agence opérationnelle la plus importante de l’Union européenne dans le cadre du règlement 2019/1896 précité ; souligne ainsi que Frontex exerce désormais des prérogatives de puissance publique inédites pour une agence communautaire ;

Remarque simultanément que la sécurité de l’Union européenne est aujourd’hui fragilisée, à la fois par la hausse précitée des franchissements irréguliers de ses frontières extérieures, par l’instrumentalisation de la pression migratoire par certains pays tiers à des fins de déstabilisation de l’Union européenne et par la criminalité transfrontalière, qui a un rôle majeur dans l’ouverture de routes migratoires irrégulières et l’exploitation de la détresse des migrants ;

Observe que ces menaces exigent de l’agence Frontex une meilleure anticipation des risques migratoires, une « offre » de services mieux adaptée aux situations des États membres et une plus grande réactivité en cas de crise ;

Sur le renforcement du soutien aux opérations de Frontex

Souligne que l’élargissement des compétences et l’accroissement du budget de l’agence Frontex doivent s’accompagner d’une augmentation proportionnelle de sa responsabilité et de sa transparence ;

Appelle à cet égard, comme la Cour des comptes de l’Union européenne, à l’amélioration des informations communiquées par Frontex sur les objectifs, l’impact et les coûts de ses opérations ; soutient également les efforts en cours pour améliorer la procédure de passation des marchés publics suivie par l’agence et mettre en place un dispositif crédible d’audit interne ;

Estime que l’attractivité des postes proposés par l’agence doit être améliorée, en particulier par la revalorisation du coefficient indemnitaire appliqué actuellement aux personnels de l’agence en conformité avec l’implantation géographique de son siège ;

Demande le recrutement de l’expertise nécessaire pour remédier en urgence à la fragilité de l’agence dans la conception et la diffusion d’analyses de risques et d’évaluations des vulnérabilités ; sollicite en outre une amélioration de la transmission des informations par les États membres à Frontex, condition sine qua non d’une meilleure qualité de ses analyses de risques ;

Souhaite ardemment l’organisation régulière d’exercices opérationnels conjoints entre les personnels de l’agence Frontex et les services compétents des États membres ;

Sur lamélioration de la réponse opérationnelle de Frontex

Insiste sur l’importance symbolique et opérationnelle du contingent permanent de Frontex, constitué de personnels formés à la surveillance des frontières portant pour la première fois un uniforme aux couleurs de l’Union européenne et incarnant une solidarité concrète de l’Union européenne avec les États membres dans la surveillance des frontières ;

Demande avec solennité l’accélération des efforts actuels pour assurer le respect des engagements budgétaires et du calendrier prévu pour la mise en œuvre effective d’un contingent de 10 000 officiers à échéance 2027 ; ajoute que ces efforts de recrutement doivent être menés en considérant la compétence des personnels et en reflétant la diversité géographique des États membres ;

Sur lamélioration de la capacité opérationnelle de Frontex

Estime stratégique le rôle des opérations de surveillance maritime conjointes auxquelles participe l’agence Frontex sur les rives sud de l’Union européenne, dans la lutte contre l’immigration irrégulière et les réseaux criminels transfrontaliers ;

Souligne en particulier l’efficacité du partenariat existant entre Frontex et la Grèce pour protéger les frontières extérieures de l’Union européenne, et soutient les échanges actuels destinés à conforter ce partenariat tout en précisant la responsabilité de chaque acteur dans les opérations ;

Appelle au renforcement de la veille opérationnelle de Frontex dans la surveillance des côtes françaises et belges de la Manche et de la mer du Nord, afin de contribuer à leur sécurisation, de dissuader les départs, d’améliorer le démantèlement des réseaux de passeurs et de sauver des vies humaines ;

Salue la rapidité du déploiement des équipes de l’agence Frontex aux frontières extérieures de l’Union européenne et de l’Ukraine, dès l’invasion de cette dernière par la Russie, et la contribution de ces équipes, tant à la fluidification de l’enregistrement et de l’identification des ressortissants ukrainiens, afin de leur octroyer la protection temporaire dans l’Union européenne, qu’à la surveillance renforcée des passages frontaliers ;

Affirme la pertinence de la nouvelle capacité donnée à l’agence Frontex de soutenir l’action des pays tiers contre l’immigration irrégulière et de déployer dans ces pays, en application d’accords de statut, des personnels en charge de l’analyse des risques migratoires ou, en appui aux autorités nationales, de la surveillance de leurs frontières ; salue les premiers effets positifs de ces accords en Albanie et en Moldavie et estime nécessaire de poursuivre la signature de tels accords, en priorité dans les pays des Balkans occidentaux qui constituent aujourd’hui la première route des migrants irréguliers vers l’Union européenne ;

Rappelle le rôle déterminant de l’agence Frontex dans la préparation, l’organisation et l’accompagnement des retours de migrants irréguliers n’ayant pas vocation à demeurer dans l’Union européenne, dans leur pays d’origine ; constate l’importance de son appui aux autorités françaises dans ce domaine ;

Encourage l’agence Frontex à renforcer son dispositif de lutte contre la criminalité transfrontalière, qui organise et exploite l’immigration irrégulière vers l’Union européenne et en son sein, par une coopération accrue avec les services compétents des États membres, ainsi qu’avec les agences Eurojust et Europol ;

Se félicite de la responsabilité confiée à l’agence Frontex pour la gestion de l’unité centrale d’ETIAS, qui sera opérationnelle en permanence afin de procéder aux vérifications approfondies des informations transmises par les ressortissants de pays tiers non soumis à visa en vue de l’obtention d’une autorisation de voyage ;

Sur le contrôle parlementaire de lagence Frontex

Relève que l’article 112 du règlement (UE) 2019/1896 précité prévoit la mise en place d’un contrôle parlementaire conjoint de Frontex reposant sur la participation du Parlement européen et des parlements nationaux des États membres ;

Regrette cependant que le Parlement européen ait constitué unilatéralement depuis plusieurs mois un groupe de travail et de suivi de l’activité de l’agence et procède à des auditions régulières de ses responsables, sans volonté d’y associer les parlements nationaux des États membres de l’Union européenne ;

Estime nécessaire et urgente la mise en place d’un contrôle parlementaire conjoint ; rappelle en effet que, si elle est aujourd’hui partagée avec l’agence Frontex, la surveillance des frontières des États membres demeure une mission constitutive de leur souveraineté nationale dont ils sont responsables en premier ressort ;

Propose que le groupe de contrôle parlementaire conjoint s’inspire de celui mis en place entre 2016 et 2018 pour contrôler l’agence européenne de coopération policière, Europol ;

Précise que ce groupe, coprésidé par le Parlement européen et le Parlement national de l’État membre assumant la présidence semestrielle du Conseil de l’Union européenne, pourrait de ce fait être constitué de quatre membres par Parlement national et de plusieurs membres pour le Parlement européen, et qu’il devrait se réunir au moins une fois par semestre ;

Affirme que ce groupe pourrait entendre à sa demande l’ensemble des responsables et des personnels de l’agence Frontex, poser des questions au conseil d’administration et au directeur exécutif, et procéder à des vérifications sur pièces et sur place ;

Précise que ce groupe de contrôle parlementaire conjoint pourrait être représenté au sein du conseil d’administration de Frontex par un de ses membres issu des parlements nationaux, dans la mesure où le règlement relatif à Frontex prévoit déjà la possible représentation du Parlement européen à ce conseil ;

Remarque que la mise en place de ce contrôle parlementaire conjoint sur les activités de l’agence Frontex nécessite une décision de la Conférence des Présidents des Parlements de l’Union européenne mais n’est en revanche pas conditionnée à une modification préalable du règlement (UE) 2019/1896 précité ;

Sur une éventuelle révision du règlement Frontex

Constate que la Commission européenne a ouvert une période d’évaluation de la mise en œuvre du règlement (UE) 2019/1896 précité, afin d’apprécier, fin 2023, la nécessité d’une révision de ce règlement ; regrette à cet égard la durée trop brève de la consultation publique ouverte par la Commission européenne sur ce dossier et l’absence de consultation systématique des parlements nationaux ;

Estime en tout état de cause que l’évaluation de la Commission européenne intervient trop tôt pour conclure à une éventuelle révision de ce cadre juridique ; souligne que l’ouverture de nouvelles négociations interinstitutionnelles sur le devenir de l’agence Frontex risquerait de paralyser l’action de l’Union européenne en ce domaine, alors que cette dernière ne parvient déjà pas à s’accorder sur le Nouveau Pacte sur la migration et l’asile, dans un contexte de regain des pressions migratoires et de menaces géostratégiques inédites ;

Conclut à la nécessité de laisser à l’agence Frontex le temps de mettre en œuvre l’intégralité de son mandat actuel ;

Estime, par conséquent, inopportune toute réforme du règlement 2019/1896 précité qui serait proposée fin 2023 ;

Invite le Gouvernement à faire valoir cette position dans les négociations au Conseil.

M. le président. L’amendement n° 4, présenté par MM. Fernique, Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme M. Vogel et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :

Alinéa 26

Remplacer le mot :

Réaffirme

par le mot :

Affirme

et les mots :

rappelle que la libre circulation à l’intérieur de cet espace doit aller de pair avec un contrôle efficace et permanent de ses frontières extérieures

par les mots :

confirme qu’à ce titre, dans le cadre d’un fonctionnement normal de l’espace Schengen, la priorité est accordée à une politique d’accueil, intégrée à l’échelon communautaire, axée sur une solidarité européenne renforcée

La parole est à M. Jacques Fernique.

M. Jacques Fernique. La sécurisation de nos frontières doit passer par le rétablissement de l’espace Schengen, suspendu depuis 2015, et par une refonte totale de la politique d’accueil de l’Union européenne pour renforcer la solidarité entre ses États membres et favoriser un accueil digne des personnes exilées ou réfugiés.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Arnaud de Belenet, rapporteur. L’amendement ne nous semble pas opportun pour deux raisons.

Il faut noter, en premier lieu, que le contrôle des frontières et la qualité de l’accueil ne sont pas incompatibles. On pourrait même estimer, au contraire, que préserver l’intégrité de l’espace Schengen est une façon de prémunir notre système d’accueil contre les risques de saturation, ce qui revient ainsi à œuvrer à une solidarité plus active.

En second lieu, les auteurs de l’amendement précisent qu’il ne vaut que « dans le cadre d’un fonctionnement normal de l’espace Schengen ». Or, nous pouvons, à mon sens, nous accorder sur le fait que la situation actuelle ne relève pas d’un fonctionnement normal.

La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-François Carenco, ministre délégué. Le contrôle harmonisé et efficace des frontières extérieures est en effet le corollaire indispensable de la libre circulation à l’intérieur de l’espace Schengen, et ce depuis sa création.

Mener une politique fondée sur la solidarité à l’échelle de l’Union européenne est essentiel. C’est d’ailleurs le sens du pacte sur la migration et l’asile, proposé par la Commission européenne à la fin de l’année 2020, qui est en cours de négociation avec le Parlement. Ce pacte doit justement permettre d’améliorer le cadre juridique européen de l’accueil et de la solidarité entre les États membres. La France soutient cette initiative.

En revanche, qu’il soit fait référence à un tel texte dans une proposition de résolution ne me paraît pas pertinent, l’Agence n’exerçant pas de compétences en la matière.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 4.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 5, présenté par MM. Fernique, Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme M. Vogel et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 37

Insérer six alinéas ainsi rédigés :

Rappelle la primauté de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés de 1951 et notamment son principe de non-refoulement des personnes aux frontières ; dans cette optique, la refonte structurelle de l’agence Frontex paraît indispensable ;

Afin d’œuvrer à la transformation de Frontex, la France soutiendra une refonte de l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes Frontex. Au lieu de participer à des refoulements aux frontières contraires au droit international de l’asile, d’opérer dans des pays tiers et de rapatrier des personnes migrantes en situation irrégulière, ses activités devront être recentrées sur le sauvetage en mer et les opérations humanitaires. Elles doivent être contrôlées par le Parlement européen, en particulier dans le domaine du respect des droits humains, du droit international et de son devoir de vigilance et d’alerte concernant les refoulements illégaux de migrants. Pour ce faire et notamment pour que les officiers de protection des droits fondamentaux soient correctement managés, il est essentiel que le directeur ou la directrice de l’agence soit dûment formé au respect des droits fondamentaux des personnes exilées ;

La France plaidera donc pour le renforcement des actions humanitaires de recherche et d’assistance de Frontex en mer et le soutien des bateaux civils et d’ONG, conformément au droit maritime international ;

La France portera les recommandations du groupe de contrôle de Frontex dans son rapport rendu le 21 juillet 2021 et notamment :

– la nomination de 40 officiers de protection des droits fondamentaux et la mise en place d’un mécanisme de surveillance des droits fondamentaux ;

– la création d’un mécanisme efficace de signalement des incidents graves pour la surveillance des droits fondamentaux ;

La parole est à M. Jacques Fernique.

M. Jacques Fernique. Par cet amendement, nous invitons la France à plaider au Conseil en faveur d’une refonte structurelle et complète de l’Agence, conformément au droit international de l’asile en vigueur.

Cette refonte devrait notamment s’appuyer sur la convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés et sur son principe de non-refoulement des personnes aux frontières.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Arnaud de Belenet, rapporteur. Cet amendement tend à transformer Frontex en un organisme de sauvetage en mer. Cela ne va dans le sens ni de la proposition de résolution ni de la position de la commission.

J’aimerais rebondir sur les faits, ou plutôt les contre-faits, présents dans les dispositions de cet amendement et qui ont pu être exprimés au cours de la discussion générale. Tous les rapports, y compris ceux du Parlement européen, ont conclu à l’absence de proactivité et de responsabilité de Frontex dans les refoulements, appelés pushbacks.

De plus, quelque quarante contrôleurs ont déjà été embauchés au moment où nous débattons.

Par ailleurs, les mécanismes de contrôle interne ont été considérablement renforcés, tout comme les dispositifs de réponse, conformément aux préconisations de la Médiatrice européenne qui, dans son rapport, a insisté sur ce point.

Cela étant rappelé, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-François Carenco, ministre délégué. Le Gouvernement est évidemment très attaché au respect du droit international, du principe de non-refoulement et des droits fondamentaux des migrants.

Toutefois, une refonte du règlement de Frontex nous paraît très prématurée aujourd’hui, dans la mesure où celui-ci est en cours d’évaluation. Et elle n’est pas nécessaire à ce stade pour améliorer la protection des droits fondamentaux dans les actions de l’agence. En effet, le règlement actuel prévoit toutes les garanties nécessaires. C’est donc plutôt sur sa mise en œuvre que nous devons nous concentrer.

Par ailleurs, les recommandations du groupe de contrôle du Parlement européen que vous proposez de soutenir sont déjà mises en œuvre : les quarante-quatre contrôleurs aux droits fondamentaux sont recrutés depuis la fin de l’année 2022, et le nouveau mécanisme de remontée des signalements des incidents, notamment en cas de violation des droits fondamentaux, a été adopté le 19 avril 2021. Ce que vous demandez est donc déjà en place.

En outre, le Gouvernement partage pleinement le sens de la proposition de résolution sur ce point : l’enjeu pour Frontex est d’abord la mise en œuvre pleine et entière de son mandat de 2019, dans un contexte géopolitique nouveau. Cette tâche est importante, et il nous faut stabiliser le mandat pour que l’agence puisse enfin l’exercer pleinement et sereinement.

Enfin, dans le contexte actuel, il est essentiel de débattre sur les opérations de recherche et de sauvetage et sur le rôle des ONG. De telles discussions ont bien lieu à l’échelon européen dans le cadre d’un plan d’action qui fait suite à la réunion demandée par le ministère de l’intérieur dont j’ai déjà fait état.

Il me semble que cette question dépasse largement le cadre de l’agence Frontex. Elle doit être traitée avec toutes les parties prenantes, et non pas simplement via le règlement intérieur de Frontex. L’action se déroule au sein des instances européennes ; respectons cette action pour être plus efficace.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.

M. Guillaume Gontard. M. le rapporteur et M. le ministre nous disent que les officiers et contrôleurs chargés de protéger les droits fondamentaux ont déjà été nommés et qu’un mécanisme efficace de signalement a été mis en place. Cela n’empêche aucunement d’inscrire ces points dans la proposition de résolution, dont c’est justement l’objet.

Je ne comprends pas le blocage. La proposition de résolution a bien pour objectif de clarifier les orientations de Frontex. Il est donc logique d’y inscrire ce que nous demandons, même si c’est déjà en place.

De même, il me paraît assez logique d’inscrire dans la proposition de résolution, comme nous le suggérons, que la France défendra les recommandations du groupe de contrôle de Frontex dans son rapport rendu le 21 juillet 2021.

Je ne comprends pas bien l’argumentation de la commission et du Gouvernement. Pourquoi ne pas faire référence dans la proposition de résolution à des éléments qui sont déjà en place et avec lesquels vous êtes d’accord ?

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 5.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 1 rectifié, présenté par MM. Leconte, Marie et Kanner, Mme de La Gontrie, M. Durain, Mme Blatrix Contat, M. Bourgi, Mme Harribey, MM. Houllegatte et P. Joly, Mme G. Jourda, MM. Kerrouche, Lurel, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 40

1° Première phrase

Supprimer les mots :

, avant sa nomination,

et les mots :

d’une expérience approfondie en matière de gestion des frontières et

2° Compléter cet alinéa par le signe et les mots :

. Leur fonction s’exerce dans le respect de leur indépendance

II. – Alinéa 41

Compléter cet alinéa par les mots :

dans le respect de leur indépendance

III. – Alinéa 43

Rédiger ainsi cet alinéa :

Demande à ce que l’officier des droits fondamentaux puisse rendre compte, en toute indépendance, au conseil d’administration de l’agence de ses observations en matière de respect des droits fondamentaux ;

La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Comme je l’ai indiqué lors de la discussion générale, il est indispensable que l’officier aux droits fondamentaux et les personnes travaillant avec lui soient strictement indépendants.

Or l’alinéa 43 de la proposition de résolution prévoit que le conseil d’administration de l’Agence procède à l’évaluation professionnelle annuelle de l’officier aux droits fondamentaux, ce qui constitue une atteinte à son indépendance.

Nous proposons de modifier la rédaction des alinéas 40, 41 et 43 pour renforcer l’indépendance de l’officier aux droits fondamentaux. Certes, celui-ci doit pouvoir rendre compte de ses observations devant le conseil d’administration, mais en toute indépendance.

De telles modifications de rédaction sont essentielles pour sortir Frontex de la crise qu’elle vit.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Arnaud de Belenet, rapporteur. Cet amendement est contraire à la position de la commission ; nous souhaitons conserver l’équilibre que nous avons trouvé.

Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-François Carenco, ministre délégué. Le Gouvernement est favorable à cet amendement, à double titre.

Nous sommes favorables à l’indépendance de l’officier aux droits fondamentaux et des contrôleurs aux droits fondamentaux. Cette garantie d’indépendance est d’ailleurs inscrite dans le règlement de Frontex, aux termes duquel ces personnes agissent en toute autonomie et en toute indépendance et disposent des ressources humaines et financières nécessaires.

Le Gouvernement n’estime donc pas nécessaire que le conseil d’administration de Frontex procède à l’évaluation professionnelle de l’officier aux droits fondamentaux. Ce serait difficile à concilier avec les garanties d’indépendance que la loi européenne prévoit.

Cela n’exclut pas que l’officier aux droits fondamentaux rende compte au conseil d’administration, et la France y est attentive.

J’ajoute que notre pays a candidaté pour représenter le conseil d’administration dans un groupe de travail relatif à l’exercice de la mission de l’officier aux droits fondamentaux.

Par ailleurs, si l’expérience de garde-frontière peut être une ressource professionnelle utile pour l’exercice de la mission d’officier ou de contrôleur aux droits fondamentaux, elle ne doit pas en être une condition préalable. D’autres compétences peuvent être utiles : la maîtrise des procédures ou du droit international humanitaire, le sens des situations, ainsi qu’une certaine culture géopolitique.

En outre, et c’est peut-être le plus fondamental, M. Grimheden, l’actuel officier aux droits fondamentaux, a pris ses fonctions au mois de juin 2021 : émettre aujourd’hui une recommandation pour ce poste sur une nécessaire « expérience approfondie en matière de gestion des frontières » nous semble jeter le doute sur sa légitimité, qui a besoin d’être confortée, de même que celle des quarante-cinq contrôleurs aux droits fondamentaux déjà recrutés.

M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin, pour explication de vote.

M. Jean-François Rapin. Monsieur le ministre, une bonne formation et une évaluation sérieuse sont là pour conforter l’indépendance. A contrario, le fait de ne pas être correctement formé et de ne pas comprendre le métier de ceux avec lesquels on travaille irait à l’encontre d’une véritable indépendance. Il est important que le contrôleur connaisse l’exercice du métier de ceux qu’il est chargé de contrôler.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué. Un contrôleur a déjà été nommé ; c’est trop tard !

M. Jean-François Rapin. Rien n’empêche la formation professionnelle !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1 rectifié.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable et que celui du Gouvernement est favorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 127 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 344
Pour l’adoption 129
Contre 215

Le Sénat n’a pas adopté.

L’amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Leconte, Marie et Kanner, Mme de La Gontrie, M. Durain, Mme Blatrix Contat, M. Bourgi, Mme Harribey, MM. Houllegatte et P. Joly, Mme G. Jourda, MM. Kerrouche, Lurel, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 46

1° Après le mot :

mission

insérer le mot :

première

2° Remplacer les mots :

en aucun cas

par le mot :

pas

II. – Après l’alinéa 46

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

Souligne l’importance de la crédibilité de Frontex en matière de respect des droits fondamentaux afin que l’agence puisse développer ses actions d’accompagnement auprès d’États tiers ;

La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Selon l’alinéa 46 de la proposition de résolution, la mission de Frontex n’est en aucun cas de surveiller les actions des États membres en matière de droits fondamentaux.

Nous considérons au contraire que la crédibilité de Frontex et de ses actions repose sur le fait qu’elle doit veiller dans tous les cas au respect des droits fondamentaux.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Arnaud de Belenet, rapporteur. La première partie de cet amendement proposé par le groupe socialiste tend à préciser que la mission « première » de Frontex n’est pas de surveiller les actions des États membres en matière de droits fondamentaux. Nous avons là un désaccord, car il ne s’agit pas d’une question de hiérarchie : la mission de Frontex n’est tout simplement pas de surveiller les États membres, ni à titre principal ni à titre accessoire. Comment les États membres pourraient-ils solliciter son intervention si tel était le cas ? L’article 10 du mandat de Frontex est d’ailleurs très clair sur ce point.

Cela n’enlève rien au fait que l’agence doit elle-même agir dans le respect des droits fondamentaux et que ses agents doivent signaler des manquements dont ils seraient témoins. Au titre de l’article 46 de son mandat, Frontex peut même aller jusqu’à se désengager d’une opération conjointe.

La commission est en revanche favorable à la seconde partie de l’amendement, dont l’adoption apporterait un complément bienvenu.

Je pourrais donc émettre un avis favorable sur votre amendement si vous acceptiez de ne retenir que cette seconde partie, monsieur Leconte. À défaut, l’avis ne pourrait qu’être défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-François Carenco, ministre délégué. Le Gouvernement partage totalement l’avis de M. le rapporteur. Si l’amendement n’était pas modifié, nous nous en remettrions à la sagesse de la Haute Assemblée.

M. le président. Monsieur Leconte, acceptez-vous de rectifier votre amendement dans le sens proposé par la commission ?

M. Jean-Yves Leconte. Oui, monsieur le président, même si cette légère amélioration de la rédaction de la proposition de résolution européenne ne changera pas notre vote final sur le texte…

Je reste convaincu que Frontex doit pouvoir témoigner de l’ensemble des manquements aux droits fondamentaux dont ses agents sont témoins.

Je regrette d’autant plus le fait que la commission n’accepte pas la première partie de l’amendement que le sujet est justement au cœur de la crise qu’a connue Frontex.

M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 2 rectifié bis, présenté par MM. Leconte, Marie et Kanner, Mme de La Gontrie, M. Durain, Mme Blatrix Contat, M. Bourgi, Mme Harribey, MM. Houllegatte et P. Joly, Mme G. Jourda, MM. Kerrouche, Lurel, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, et ainsi libellé :

Après l’alinéa 46

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

Souligne l’importance de la crédibilité de Frontex en matière de respect des droits fondamentaux afin que l’agence puisse développer ses actions d’accompagnement auprès d’États tiers ;

Je le mets aux voix.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. L’amendement n° 3 rectifié, présenté par MM. Leconte, Marie et Kanner, Mme de La Gontrie, M. Durain, Mme Blatrix Contat, M. Bourgi, Mme Harribey, MM. Houllegatte et P. Joly, Mme G. Jourda, MM. Kerrouche, Lurel, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 47

Supprimer cet alinéa.

La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Nous savons bien – je l’ai souligné lors de la discussion générale – que Frontex agit systématiquement sous la responsabilité de l’État membre dans lequel une opération a lieu.

Toutefois, nous estimons qu’il n’est pas raisonnable d’écrire dans la proposition de résolution que les personnels de Frontex « ne sauraient être tenus juridiquement responsables d’éventuelles actions litigieuses commises, dans le cadre d’opérations conjointes, par les services de l’État partenaire ».

Si les personnels de Frontex n’ont rien fait, ils n’ont pas à être tenus pour responsables juridiquement. Mais cela ne peut pas aller jusqu’à prévoir qu’ils bénéficient, quoi qu’il arrive, d’une immunité.

C’est la raison pour laquelle nous proposons la suppression de l’alinéa 47.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Arnaud de Belenet, rapporteur. La proposition de résolution ne prévoit en aucun cas un statut d’immunité pour les personnels de Frontex.

Il s’agit uniquement de bien dissocier les responsabilités de chacun et de plaider pour que la responsabilité des agents de Frontex ne puisse pas être engagée pour d’éventuels manquements aux droits fondamentaux commis par d’autres.

Cela me paraît relever du bon sens. Au regard des événements que nous connaissons toutefois, une telle précision me paraît malheureusement nécessaire.

La rédaction proposée n’accorde pas d’immunité aux agents contre des poursuites pour des faits dont ils seraient directement les auteurs. L’article 86 du règlement de Frontex est explicite à cet égard. Les agents concernés sont « traités de la même façon que les agents de l’État hôte ». Et ils ne sont pas non plus exonérés de dénoncer des incidents dont ils seraient les témoins, via la procédure de signalement des incidents graves, qui – je le rappelle – a été améliorée.

La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-François Carenco, ministre délégué. La responsabilité civile et pénale des membres des équipes de Frontex est déjà encadrée par les articles 84 et 85 du règlement de l’agence, par les accords de statut dans les États tiers et par le statut général des agents de l’Union européenne.

Il n’est pas question, me semble-t-il, d’une immunité absolue des personnels de Frontex. Ces derniers ne doivent pas être tenus pour responsables lorsqu’ils n’ont aucun contrôle sur les actions commises par les services de l’État hôte.

En revanche, les personnels de Frontex sont tenus à un strict code de conduite applicable à toutes les personnes participant aux activités de l’agence. Ils doivent garantir la protection des droits fondamentaux des personnes dans toutes leurs activités. À cet égard, ils sont déjà tenus de signaler tout incident ayant potentiellement violé les droits fondamentaux des personnes au cours d’une opération de l’agence. Leur responsabilité s’étend donc particulièrement au signalement d’actions litigieuses, et elle peut être engagée sur ce terrain.

Cependant, la responsabilité directe pour des faits litigieux commis par des services de l’État partenaire sur lesquels ils n’ont pas de contrôle n’est pas engagée.

Il me semble donc que le texte de la proposition de résolution est tout à fait compatible avec la réalité opérationnelle. Il n’invite pas du tout à instituer un régime d’immunité.

Pour ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. Les précisions que vient d’apporter M. le ministre, notamment l’obligation de signalement et la responsabilité des agents s’ils ne le font pas, permettent d’éclairer la rédaction de la proposition de résolution, qui pouvait donner l’impression d’une immunité. Dans ces conditions, je retire mon amendement.

M. le président. L’amendement n° 3 rectifié est retiré.

L’amendement n° 6, présenté par MM. Fernique, Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme M. Vogel et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :

Alinéas 48 à 50

Remplacer ces alinéas par douze alinéas ainsi rédigés :

Les policiers aux frontières seront dotés de moyens humains et matériels supplémentaires pour que les personnes étrangères arrivant aux frontières terrestres :

- puissent exercer leurs droits et ne fassent pas l’objet de procédures illégales ou de détournements de procédure ;

- soient correctement informées de leur situation, de la procédure applicable et de leurs droits, notamment en ce qui concerne le droit de demander l’asile ;

- puissent bénéficier de l’assistance d’un interprète professionnel et d’une assistance juridique effective à tout moment et dès le début de la procédure (grâce à la mise en place par l’État d’une permanence gratuite d’avocats) et la présence d’un administrateur ad hoc pour les mineurs isolés étrangers ;

- soient traitées dignement et ne fassent plus l’objet de pratiques arbitraires ni de violences ;

– ne soient plus privées de liberté pour des raisons liées au contrôle migratoire.

L’administration sera dotée de moyens humains et matériels supplémentaires pour :

- organiser le sauvetage des personnes en danger notamment en haute montagne et la prise en charge des personnes blessées et/ou malades ;

- étudier individuellement la situation de chaque personne se présentant aux frontières et le cas échéant, justifier en fait et en droit les refus d’entrée et les éventuelles mesures privatives de liberté prises à son encontre ;

- enregistrer les demandes d’asile des personnes exilées et former au respect de la procédure d’asile telle que définie par la loi ainsi que le principe de non-refoulement des demandeurs d’asile, valable y compris aux frontières internes ;

- prendre en charge les mineurs isolés étrangers sur le territoire ;

- permettre à la société civile et aux associations d’exercer réellement leur droit de regard dans les lieux privatifs de liberté conformément au droit européen.

La parole est à M. Jacques Fernique.

M. Jacques Fernique. Frontex est l’agence la plus dotée de l’Union européenne. Pourtant, comme l’a révélé l’enquête de l’Office européen de lutte antifraude, elle pose problème au regard du droit international et européen.

Les millions d’euros d’argent public investi dans son financement devraient servir à financer une véritable politique de contrôle et d’accueil, compatible avec les valeurs fondatrices de l’Union européenne.

Tel est le sens de cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Arnaud de Belenet, rapporteur. L’approche de la commission et des auteurs de la proposition de résolution européenne quant au rôle et aux missions de Frontex est complètement antagoniste de celle qui transparaît dans cet amendement. Dont acte.

Par conséquent, la commission émet un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-François Carenco, ministre délégué. Il me semble que la plupart des propositions présentées dans cet amendement sont déjà inscrites dans le droit de l’Union européenne applicable aux frontières extérieures – information des migrants, accès à une assistance juridique, enregistrement des demandes d’asile, prise en compte des vulnérabilités – ou font l’objet de négociations dans le cadre des discussions sur le pacte européen sur la migration et l’asile proposé par la Commission européenne fin 2020.

Par conséquent, ces éléments, qui ne sont pas infondés, ne me paraissent pas avoir leur place dans un texte portant sur Frontex.

Par ailleurs, il est important de noter que les frontières internes à l’Union européenne ne relèvent pas du mandat de l’agence Frontex. Ce dernier porte seulement sur les frontières extérieures. Or la rédaction de l’amendement pourrait laisser penser que les deux sujets sont mélangés.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique, pour explication de vote.

M. Jacques Fernique. J’avoue ma perplexité devant les arguments qui nous sont opposés.

Les raisons pour lesquelles la commission et le Gouvernement sont tous deux défavorables à notre amendement semblent contraires.

M. Arnaud de Belenet, rapporteur. Je maintiens les miennes !

M. Jacques Fernique. La commission estime que notre rédaction est antagoniste avec le rôle et les missions de Frontex, quand le Gouvernement indique que nos demandes sont déjà satisfaites dans les faits. Comprenez ma perplexité !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 6.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 7, présenté par MM. Fernique, Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme M. Vogel et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :

Alinéas 58 à 65

Remplacer ces alinéas par trois alinéas ainsi rédigés :

L’agence Frontex ne doit pas permettre la poursuite de l’externalisation de la politique d’asile par les États membres ni être uniquement centrée sur le contrôle de l’immigration irrégulière ;

La France ambitionne de cesser l’externalisation de la gestion des frontières extérieures de l’Union ; elle plaidera pour mettre un terme aux accords migratoires de sous-traitance avec des pays comme la Turquie et la Libye, maltraitant les personnes réfugiées ;

Elle demande l’abrogation du règlement dit Dublin III et, avec, la logique délétère de tri aux frontières de l’Union. Elle organise un mécanisme de relocalisation des demandes d’asile entre États-membres en tenant compte des liens effectifs (liens familiaux élargis et linguistiques) et des aspirations des demandeurs et demandeuses d’asile et renégocie l’accord migratoire avec le Royaume-Uni ;

La parole est à M. Jacques Fernique.

M. Jacques Fernique. La politique d’externalisation par les États membres de la gestion de leurs frontières leur permet de fait d’échapper, en toute impunité, à leurs obligations internationales.

Une telle sous-traitance a pour conséquence des atteintes fortes au respect des droits fondamentaux, qui se sont aggravées durant les cinq dernières années.

Face à l’échec du règlement de Dublin, la France devrait promouvoir dans les instances européennes une politique d’accueil et de contrôle plus intégrée et solidaire et, plus généralement, un régime commun de l’asile européen.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Arnaud de Belenet, rapporteur. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-François Carenco, ministre délégué. Le Gouvernement comprend les arguments avancés par M. Fernique. D’ailleurs, il n’est pas favorable à une externalisation de type Rwanda.

Pour autant, il ne nous semble pas qu’un tel amendement, de nature avant tout politique – certes, en soi, c’est respectable –, ait sa place dans la présente proposition de résolution.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 7.

(Lamendement nest pas adopté.)

Vote sur l’ensemble

Texte de la proposition de résolution européenne sur l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (FRONTEX)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur l'avenir de l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex)
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de résolution européenne, je donne la parole à M. François-Noël Buffet, pour explication de vote.

M. François-Noël Buffet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la présente proposition de résolution part de l’idée qu’à partir du moment où, sur les questions de migration, s’appliquent à la fois le droit national et le droit européen, nous devons trouver un équilibre entre ces deux sources de droit ; elles ne peuvent pas être antinomiques.

Nous avons bien noté que le Gouvernement entendait renforcer sa politique migratoire : nous en débattrons dans quelques semaines. Mais il est important que les moyens accordés à l’échelon européen pour la protection des frontières extérieures de l’Union soient suffisants.

J’ajoute, puisque plusieurs collègues se sont exprimés sur le sujet, qu’il n’est aucunement question pour nous que les droits fondamentaux de ceux qui arrivent sur le territoire européen ne soient pas respectés.

Tout l’enjeu aujourd’hui est que Frontex retrouve un fonctionnement apaisé et se concentre sur sa mission première, en restant attachée au respect des droits fondamentaux des uns et des autres.

J’ai eu plusieurs fois l’occasion de me rendre compte sur le terrain de la manière dont Frontex travaillait, que ce soit à Lesbos ou à Lampedusa ; je n’avais pas observé alors de difficultés particulières comme celles qui sont apparues plus récemment en Grèce.

Je crois que nous devons faire confiance à l’institution pour remplir correctement sa mission.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera contre cette proposition de résolution européenne, car nous considérons qu’elle n’affirme pas suffisamment l’indépendance de l’officier. Or c’est cette indépendance qui aurait permis d’éviter la crise que Frontex a connue.

Il existe une difficulté systémique, dont j’en ai parlé lors de la discussion générale : Frontex n’intervient que sous la responsabilité des États membres.

Par conséquent, si des agents de Frontex sont amenés à constater des dysfonctionnements de la part d’un État membre, l’agence peut être tentée de ne pas les dénoncer par crainte de ne pas pouvoir poursuivre sa mission, ce qui serait évidemment dommageable si nous voulons protéger les frontières de l’Union européenne.

C’est la raison pour laquelle nous considérons l’indépendance totale de certains agents comme absolument indispensable. C’était l’objet de notre premier amendement, mais il n’a pas été adopté par le Sénat.

De ce fait, cette proposition de résolution européenne ne permet pas, selon nous, de tracer les pistes d’une sortie de crise pour Frontex.

M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin, pour explication de vote.

M. Jean-François Rapin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souscris aux propos de François-Noël Buffet.

Je veux d’abord remercier tous les orateurs qui se sont exprimés. Chacun a pu donner son point de vue, ce qui a permis à notre débat de se tenir correctement.

J’espère ensuite que, si le Sénat adopte cette proposition de résolution européenne, comme l’ont fait la commission des affaires européennes, puis la commission des lois, le Gouvernement en tiendra compte.

J’ajoute que les événements des derniers jours montrent que nous devons rester vigilants sur la question migratoire ; Patricia Schillinger en a parlé. Les séismes qu’ont connus la Turquie et la Syrie ont entraîné la mort de nombreuses personnes, mais ils ont aussi détruit beaucoup d’habitations, mettant à la rue des milliers et des milliers de Turcs et de Syriens. Ils risquent ainsi de provoquer un afflux migratoire important.

Mme Esther Benbassa. Un peu de décence !

M. Jean-François Rapin. Je ne vous ai pas interrompue lorsque vous aviez la parole, madame Benbassa.

En tout cas, nous avons plus que jamais besoin des agents de Frontex – je les ai vus travailler ; je ne suis ni un procureur ni un distributeur de bons points – et d’une agence forte, responsable et respectueuse des droits fondamentaux.

Des dispositions ont déjà été prises pour améliorer le fonctionnement de l’agence. Elles sont importantes, si nous voulons protéger efficacement les frontières de l’Union européenne et respecter les droits fondamentaux.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de résolution européenne sur l’avenir de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex).

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 128 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 344
Pour l’adoption 252
Contre 92

Le Sénat a adopté.

En application de l’article 73 quinquies, alinéa 4, du règlement, la résolution que le Sénat vient d’adopter sera transmise au Gouvernement et à l’Assemblée nationale.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur l'avenir de l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex)
 

11

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 9 novembre 2023 :

À dix heures trente :

Vingt-deux questions orales.

À quatorze heures trente :

Débat sur le thème « L’État territorial, entre mirage et réalité ».

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures quarante-cinq.)

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER