M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Le Rudulier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, 330 000, c’est le nombre de franchissements irréguliers recensés en 2022 par Frontex.
Aujourd’hui, c’est à une véritable pression migratoire, et donc au danger d’un bouleversement démographique, voire culturel, qu’est confrontée l’Europe.
C’est pourquoi, au moment où le nouveau directeur exécutif de Frontex s’installe progressivement dans ses fonctions, il est impératif que l’Agence en revienne à son mandat originel, à savoir la surveillance et la protection des frontières extérieures de l’Union européenne. C’est ce que défendent, entre autres, les auteurs de cette proposition de résolution, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir.
Depuis sa création, Frontex a vu ses missions, ses prérogatives, s’accroître considérablement, puisqu’elle joue désormais un rôle en matière de lutte contre l’immigration illégale, contre le trafic de drogues et contre la criminalité organisée.
L’élargissement des prérogatives de l’Agence s’est accompagné d’une recrudescence, ces dernières années, de critiques et de controverses causées par des ONG humanitaires, véritables organes de propagande opposés à l’idée même de frontière.
Cela a considérablement fragilisé l’action de Frontex, certains l’accusant de ne pas agir suffisamment pour protéger les droits des migrants, les autres considérant que l’Agence est responsable de la répression excessive à l’encontre des migrants aux frontières.
Je le dis ici, Frontex n’est pas une agence humanitaire. Prenons garde que personne ne tente de la transformer en un « SOS Méditerranée 2.0 ». Si nous n’y veillons pas, des milliers de migrants arriveront sur les côtes européennes : ces malheureux seront alors à la merci de passeurs proches du crime organisé, spécialisés dans l’esclavage moderne et la traite d’êtres humains. Les conséquences humaines pourraient être désastreuses au vu des réalités démographiques du continent africain.
Monsieur le ministre, face à ces accusations et à ces tentatives de déstabilisation, la France se doit de soutenir Frontex dans son mandat et de continuer à accorder à l’Agence les moyens de ses missions. Frontex n’est pas une agence Bisounours : son rôle est de garantir la sécurité et l’étanchéité des frontières européennes.
Pour ce faire, éloignons les ONG et les agences humanitaires de Frontex et remettons les pays souverains au centre des choix de l’Agence, tout en veillant, bien évidemment, à ce que celle-ci agisse de manière responsable et respectueuse des droits de l’homme.
Prenons également garde de ne pas tomber dans un angélisme irresponsable, qui dicterait notre politique migratoire commune, faute de quoi nous risquerions de prêter le flanc au populisme et à l’extrémisme, lesquels n’attendent qu’une erreur de notre part pour mettre le projet européen à mort, ce qui constituerait un recul sans précédent pour la France et l’ensemble des États membres.
Ne cédons pas aux injonctions des bien-pensants qui nous adressent toujours le même message angélique, mais en réalité inconscient : liberté pour les migrants et honte aux frontières !
La France est généreuse, mais elle n’est ni une mosaïque ni un territoire sans limites. C’est une Nation, qui est en droit de choisir ceux qui peuvent la rejoindre et d’exiger des étrangers qu’ils se plient à ses règles, à ses coutumes et à sa culture.
C’est pour cela que la France ne peut s’exonérer de sa propre politique migratoire. Les deux échelons de souveraineté, nationale et européenne, sont complémentaires. Ne cachons pas la poussière migratoire sous le tapis européen en fermant les yeux. Sur ce sujet, monsieur le ministre, le « en même temps » conduit à l’impuissance et, par conséquent, à l’échec.
Ne détournons pas le regard ! Engageons-nous résolument sur ces deux niveaux de souveraineté pour apporter une réponse totale, une réponse à 360 degrés, à la question du contrôle de nos frontières.
C’est notre ambition au travers du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, qui sera prochainement examiné au Sénat. Nous aurons alors l’occasion de débattre et de bâtir une réelle politique de maîtrise de notre souveraineté migratoire, française et européenne. Car c’est dans la maîtrise du cours de son destin que réside le cœur de toute nation. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les confinements des dernières années ont mis un coup d’arrêt brutal à la circulation des personnes.
La pandémie est désormais sous contrôle et les déplacements de population ont repris. Qu’ils soient légaux ou non, ils sont à présent en pleine expansion. Ainsi, selon l’Union européenne, on dénombrait environ 330 000 franchissements irréguliers de notre frontière commune pour l’année 2022.
La prise du pouvoir par les talibans en Afghanistan, le chaos libyen ou encore celui de Syrie continuent d’alimenter ces mouvements de population.
En 2015 déjà, l’Europe avait connu une crise migratoire majeure. L’Union européenne avait alors délégué le contrôle de ses frontières à la Turquie d’Erdogan, lequel s’était empressé de s’en servir comme d’un formidable moyen de pression.
Avec nos partenaires européens, nous prenions alors conscience que la libre circulation en Europe était certes une chance, mais qu’elle constituait également une source de vulnérabilité majeure si la frontière extérieure n’était pas soigneusement contrôlée.
En 2014, le budget de Frontex, agence chargée de contribuer à ce contrôle, s’élevait à 93 millions d’euros. Moins de dix ans plus tard, ce budget a été multiplié par neuf.
Prenant conscience de l’importance de sa mission, les États membres ont doté Frontex des moyens les plus importants jamais octroyés à une agence. Dans un délai de quatre ans, ses effectifs opérationnels devraient ainsi atteindre 10 000 agents.
Les temps futurs s’annoncent difficiles. Les crises géopolitiques se multiplient. Les manœuvres biélorusses de novembre 2021 nous rappellent que les flux migratoires peuvent être employés comme des armes de déstabilisation. Il est donc essentiel d’augmenter les moyens consacrés à la surveillance de nos frontières.
Si Frontex rencontre des difficultés dans l’accomplissement de ses missions, cela tient principalement au fait qu’elle doit protéger les frontières européennes sans porter atteinte aux droits fondamentaux des migrants. Ce dernier point est essentiel : l’Union européenne, puissance normative, ne peut admettre que le droit soit bafoué !
La présente proposition de résolution européenne nous semble tout à fait équilibrée et nécessaire. Nous partageons le souhait de saluer le travail de Frontex et la volonté de lui témoigner notre confiance. Nous appelons donc au renforcement de ses moyens.
En inscrivant cette proposition de résolution à l’ordre du jour, les groupes Écologiste – Solidarité et Territoires et Socialiste, Écologiste et Républicain ont tenu à exprimer leurs préoccupations quant au respect des droits fondamentaux des migrants. Celles-ci sont légitimes, mais il ne faut pas perdre de vue la raison d’être de Frontex : la surveillance des frontières européennes.
Si la Grèce a procédé à des refoulements illégaux, si la Pologne n’a pas souhaité faire appel à Frontex afin d’avoir les coudées franches, si la Hongrie a construit un mur de barbelés, si le Royaume-Uni et le Danemark ont envisagé de renvoyer leurs migrants vers le Rwanda, si l’extrême droite est au pouvoir en Italie, et pourrait l’être demain dans d’autres États européens, c’est bien le signe que quelque chose ne va pas !
La France doit disposer d’une véritable politique migratoire qui s’appuie sur un socle de valeurs républicaines, comme la maîtrise de la langue, la laïcité ou encore l’égalité entre les hommes et les femmes. C’est une attente légitime de nos concitoyens.
La politique migratoire plus stricte menée par le Danemark doit nous inspirer. La situation migratoire européenne n’est plus acceptée par nos concitoyens et il est urgent d’agir. Il sera sans doute indispensable, à terme, de revoir nos procédures, aussi bien en matière de droits fondamentaux que d’entrées sur le territoire européen, pour faire respecter notre législation.
Pour l’heure, nous pensons qu’il faut laisser à Frontex le temps de monter en puissance et d’intégrer les nouvelles composantes qui lui ont été adjointes. Un contrôle politique nous paraît essentiel, car c’est au politique de prendre les décisions et d’en assumer les conséquences. (M. Jean-François Rapin acquiesce.)
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera en faveur de cette résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Patricia Schillinger et MM. Pierre Louault et Jean-François Rapin applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique.
M. Jacques Fernique. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au cours des six mois de présidence française du Conseil de l’Union européenne, le Gouvernement avait pour objectif de rendre l’Europe « plus humaine ». Toutefois, entre les slogans et les actes persiste toujours le même fossé.
Certes, l’Union européenne, ses États et ses citoyens ont fait preuve d’une générosité et d’une solidarité sans faille pour accueillir les Ukrainiennes et les Ukrainiens. Reste que, dans le même temps, au Conseil de l’Union européenne, la France plaidait en faveur du renforcement du contrôle des personnes aux frontières, au travers du règlement sur le filtrage, et d’une surveillance accrue avec le renforcement de la base de données biométriques Eurodac. La solidarité, contrairement aux dispositifs de répression, n’a fait l’objet que d’une déclaration non contraignante.
Mes collègues eurodéputés du groupe écologiste ont observé, à l’échelle européenne, une continuité de la ligne brutale suivie pendant le précédent quinquennat, celle de la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie de 2018, dite Asile et immigration
La guerre en Ukraine, quant à elle, a démontré qu’il était possible d’accueillir des exilés avec dignité : pour la première fois, la directive relative à la protection temporaire, datant de 2001, a été activée.
Les autres exilés – Irakiens, Afghans, Syriens… – sont affublés du terme de « migrants » plutôt que de celui de « réfugiés ». Leur parcours migratoire est souvent criminalisé tout comme le sont les personnes solidaires : Domenico Lucano, qui a choisi d’accueillir dignement des exilés dans le petit village de Calabre dont il était maire, risque aujourd’hui jusqu’à treize ans de prison.
Interrogeons-nous avec clairvoyance sur les causes et les mécanismes des flux migratoires. Regardons la situation en face : 87 % des migrations dans le monde se font en direction du pays voisin de celui qui est fui. Seule une infime partie de ces personnes demande à être accueillie au sein de l’Union européenne.
Cependant, depuis des années, l’Union européenne traite les questions migratoires principalement par une surenchère sécuritaire. Ce n’est pas un succès, c’est plutôt une défaite morale. Il est temps de proposer un pacte sur la migration et l’asile à la hauteur de l’exigence humanitaire. Des femmes, des enfants, des hommes, meurent à nos frontières chaque jour. Personne ne peut dire qu’il ne sait pas.
De fait, Frontex met en péril la bonne conduite des opérations de sauvetage et de secours en mer par les navires affrétés par des ONG. Des situations humanitaires intenables en résultent, comme celle d’Ocean Viking en 2022.
Même lorsque les exilés ont débarqué sur le sol européen, leurs droits les plus fondamentaux ne sont pas pleinement reconnus. Comme le demandent mes collègues écologistes au Parlement européen, une partie des 900 millions d’euros d’argent public alloués à Frontex – la somme de 5,6 milliards d’euros a été évoquée pour la période 2021-2027 – devrait servir à financer une véritable politique de contrôle et d’accueil.
À grand budget, grandes responsabilités : Frontex doit agir avec plus de transparence et cesser d’ignorer les demandes légitimes formulées par les eurodéputés.
Ce qui se passe aux frontières de l’Union européenne relève, hélas ! bien trop souvent de la négation de la dignité humaine avec le concours, sinon la passivité, de Frontex. Or je ne décèle pas, dans cette proposition de résolution européenne, une volonté d’y mettre un terme.
J’y trouve surtout un vocabulaire issu d’un champ lexical plutôt militaire : « sécurité », « menaces », « anticipation des risques », « criminalité »… Certes, l’expression « potentielles irrégularités » y figure, mais pour qualifier d’importants dysfonctionnements mis à jour et dénoncés à la fois par l’Office européen de lutte antifraude, le Parlement européen, des ONG et des journalistes.
À lire le texte de cette proposition de résolution européenne, la garantie du respect des droits humains apparaît à la fin d’une phrase ou est souvent minorée par un « mais ». Il n’y est fait nulle mention des 48 647 personnes mortes aux frontières de l’Union européenne depuis 1993 ! Et personne, ce soir, n’a encore évoqué ce bilan.
Cette proposition de résolution prévoit de laisser à Frontex le temps nécessaire pour mettre en œuvre l’intégralité de son mandat actuel. Or permettre à Frontex de continuer de fonctionner selon les mêmes règles revient, je le crains, à conforter des violations du droit européen et international. Dans ce contexte, la France devrait plaider pour une refonte structurelle et complète de l’Agence plutôt que de proposer d’en repousser la date butoir.
Au travers de cette proposition de résolution européenne, le Sénat aurait également pu envoyer un signal politique fort, comme l’a fait le Parlement européen en refusant de voter la décharge budgétaire. Des eurodéputés de tous bords ont ainsi exigé une rupture dans la culture interne et la pratique de l’Agence.
Nous croyons profondément en la capacité collective à faire des choix de solidarité. C’est le sens de nos amendements dont l’adoption, contre toute attente, nous éviterait de devoir voter contre cette proposition de résolution contre-productive. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Didier Marie applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous le savez, l’Union européenne est constituée d’un espace de liberté, de sécurité et de justice : l’espace Schengen.
La liberté de circulation est au cœur du projet de l’Union européenne. Le rôle de l’agence Frontex, créée en 2004, est de veiller à ce que nos frontières extérieures remplissent pleinement leurs fonctions.
La France est convaincue de la pertinence d’un engagement de Frontex. Dès lors qu’un État membre est confronté à des difficultés à ses frontières extérieures, qui sont aussi celles de l’Union européenne, une réponse européenne se justifie.
La crise migratoire et de l’asile à laquelle a été confrontée l’Union européenne en 2015 a entraîné une importante réforme de l’agence Frontex, conduisant à l’élargissement de ses missions et au renforcement de ses moyens.
Une première extension de son mandat l’a confortée en tant que bras opérationnel de l’Union européenne, acteur de premier plan de la politique migratoire européenne.
Toutefois, depuis 2015, les flux n’ont cessé d’augmenter, comme en témoignent les derniers chiffres publiés. Le nombre d’entrées irrégulières dans l’Union européenne a progressé de 64 % en 2022 par rapport à l’année précédente, atteignant le niveau le plus élevé depuis 2016, soit 330 000 entrées irrégulières enregistrées, dont 45 % sur la route des Balkans.
Face à ces flux, l’Agence a dû procéder, non sans difficultés, à de profondes transformations dans des délais restreints et construire notamment des capacités opérationnelles autonomes, comme l’a souligné, lors de son audition au Sénat, l’ancienne directrice par intérim de l’Agence.
En effet, dans un contexte international crispé, marqué par la pandémie de covid-19, l’instrumentalisation des flux migratoires par la Biélorussie en novembre 2021 et le déclenchement du conflit en Ukraine en février 2022, Frontex a été soumise à rude épreuve et a traversé une véritable crise de croissance.
Depuis, ses capacités opérationnelles ont été décuplées, avec une montée en puissance rapide et massive des moyens matériels, notamment grâce à un budget de 845 millions d’euros en 2023.
Dans le même temps, et comme l’ont souligné François-Noël Buffet et Jean-François Rapin, que je remercie de la qualité de leurs travaux, Frontex a fait l’objet de nombreuses accusations concernant le respect des droits de l’homme, les refoulements aux frontières, la mauvaise gestion interne ou encore les conflits personnels en son sein. Une crise de confiance qui a ébranlé sa réputation de sérieux auprès des institutions européennes et des États membres.
Au regard de ces crises de croissance et de confiance, la Commission européenne envisage de réviser le règlement européen définissant le mandat de Frontex. Nous ne le souhaitons pas, tout du moins pas dans l’immédiat : dans la mesure où l’Agence n’a pas encore pu absorber les derniers élargissements de son mandat, toute nouvelle révision nous semble prématurée.
Nous soutenons également le triple objectif à la fois politique, diplomatique et juridique de cette proposition de résolution européenne, qui demande un renforcement du pilotage politique de l’Agence, la présence de représentants qualifiés des États membres au sein de son conseil d’administration et une évaluation rigoureuse de l’officier aux droits fondamentaux.
Ce soutien ne revient pas à nous mettre des œillères. Il est essentiel que l’Agence clarifie les choses quant au respect des droits fondamentaux dans le cadre de ses missions. De même, les parlements nationaux doivent être associés au contrôle de Frontex.
À ce titre, la création d’un groupe de contrôle parlementaire conjoint, selon le modèle de celui qui a été mis en place pour surveiller les activités d’Europol, nous semble une piste sérieuse.
Nous émettons toutefois une observation sur le regret exprimé par les auteurs de la proposition de résolution européenne concernant « le choix du Gouvernement français de s’abstenir de désigner un candidat au poste de directeur exécutif ». Nous tenons en effet à souligner que l’influence française est encore présente et porte ses fruits.
La France a soutenu la nomination de notre compatriote Agnès Diallo à la tête de l’Agence de l’Union européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d’information (eu-Lisa), après l’intérim de Luca Tagliaretti.
Chers collègues, cette observation faite, nous soutenons pleinement cette proposition de résolution européenne, qui a pour ambition de faire de Frontex une agence tournée vers l’avenir, dotée d’un véritable cap politique, d’une gouvernance plus saine, d’objectifs clairs et, surtout, qui s’inscrit dans le respect des droits fondamentaux. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 1995, lors de la mise en œuvre de l’espace Schengen, fondé sur la liberté de circulation sans contrôle aux frontières intérieures, le principe de la responsabilité des États membres sur la partie des frontières extérieures de l’espace Schengen relevant de leur territoire a été posé.
Des échanges d’informations, une politique commune en matière de visas pour de courts séjours ainsi que des politiques d’asile concertées ont alors été mis en place, mais nous nous sommes arrêtés là.
À la suite de l’élargissement de 2004, l’agence Frontex a été créée avec pour principale mission de surveiller les nouvelles frontières de l’Union européenne.
En 2015, le terrorisme lié à l’avènement de Daech aux portes de l’Europe, dont nous avons ressenti les effets dans notre chair en France et à Paris, ainsi que la guerre au Proche-Orient ont jeté des millions de personnes sur les routes de l’exil en direction de l’Europe.
Notre construction européenne, conçue dans un océan calme, n’était plus adéquate. C’est la raison pour laquelle un certain nombre de projets ont été lancés à partir de 2016, notamment le système d’entrée-sortie biométrique, le système européen d’information et d’autorisation concernant les voyages (Etias) et la redéfinition du mandat de Frontex.
Le budget de l’Agence, qui dépassait pour la première fois la barre des 100 millions d’euros en 2015, s’élève ainsi à 845 millions d’euros pour 2023. De même, son contingent permanent de garde-frontières devrait doubler d’ici à 2027 par rapport à son niveau de 2018.
Ces mesures, mises en œuvre pour préserver la sécurité et la liberté de circulation dans l’espace Schengen, ont suscité deux crises au sein de Frontex.
Il s’agit tout d’abord, comme cela a été souligné, d’une crise de croissance : en quelques années, l’Agence a dû gérer un budget multiplié par plus de huit, un triplement de son contingent et de nouvelles responsabilités.
Il s’agit ensuite d’une crise que je qualifierais de systémique et qui n’est toujours pas résolue : Frontex, contrairement à ce que laisse entendre son nom, est non le garde-frontière de l’Union européenne, mais plutôt un prestataire de services pour des États dont la souveraineté continue de s’exercer sur la partie des frontières extérieures de l’Union européenne qui les concerne.
C’est ici que réside la difficulté pour l’Agence. Durant l’été et l’automne 2021, par exemple, des migrants en provenance de Biélorussie se sont dirigés vers les frontières de la Pologne et de la Lituanie. La Pologne a alors choisi de ne pas faire appel à Frontex et de gérer seule cette situation nouvelle et inattendue. Elle l’a fait d’une manière choquante au regard du respect des droits fondamentaux : aucune transparence, aucune possibilité pour les journalistes ou les parlementaires du pays d’observer ce qui se passait dans la zone frontalière. À ce jour, seuls les témoignages des habitants de cette zone ont permis de savoir ce qui s’y était déroulé. Et si la Pologne n’a pas fait appel à Frontex, c’est en raison des exigences de l’Agence en matière de droits fondamentaux.
Autre exemple : en Grèce, en 2021, un certain nombre de médias et d’ONG ont relayé l’existence de pushbacks, c’est-à-dire de refoulements à la frontière, effectués d’une manière absolument scandaleuse, aussi bien sur terre que sur mer, à l’égard de migrants. Frontex a constaté l’existence de ces situations, mais l’Agence agit toujours sous la responsabilité des États membres.
Si nous avons accordé un nouveau mandat à Frontex en 2016, c’est précisément afin de mieux gérer ces situations aux frontières sud de l’Union européenne et en Grèce. Or dénoncer la façon dont les choses se sont passées à la frontière entre la Grèce et la Turquie, c’est aussi remettre en cause la capacité de Frontex à agir en Grèce.
C’est toute la difficulté : à ce jour, Frontex ne peut remettre en question la façon d’agir d’un certain nombre d’États, qui auraient pourtant besoin de ses services. Si la Grèce déclarait demain qu’elle ne veut plus de Frontex, comment seraient surveillées ses frontières ?
Il s’agit bien d’une crise systémique, puisque Frontex n’est qu’un prestataire de services. Dès lors, comment faire ?
Il faut tout d’abord se montrer intransigeant à l’égard de Frontex en matière de respect des droits fondamentaux et veiller à mieux garantir l’indépendance des personnes chargées de cette question au sein de l’Agence, ce qui a tenté d’être mis en œuvre à la suite de la crise de 2021-2022. Et cette responsabilité ne doit pas relever exclusivement du directeur de l’Agence.
Le respect des droits fondamentaux est non pas une option, mais une condition indispensable à la crédibilité de cet organisme, susceptible d’intervenir hors de l’Union européenne, par exemple en Macédoine, en Moldavie ou dans des pays situés au sud de la Méditerranée afin de les accompagner dans la surveillance de leurs frontières.
Or, à ce jour, Frontex n’est malheureusement pas irréprochable. Mettre en place une surveillance interne en matière de respect des droits fondamentaux autrement plus efficace que celle qui existe aujourd’hui ou que le dispositif envisagé dans la présente proposition de résolution est indispensable.
C’est la raison pour laquelle, même si nous sommes d’accord pour renforcer le pilotage politique de Frontex au travers de son conseil d’administration, même si nous partageons l’idée que le mandat de Frontex doit être pleinement mis en œuvre avant de penser à le réviser, même si nous partageons la volonté d’un contrôle plus fort des parlements nationaux, nous ne pourrons nous prononcer en faveur de l’adoption cette proposition de résolution si nos amendements ne sont pas adoptés.
À nos yeux, ce texte ne va pas assez loin sur la question des droits fondamentaux. Frontex est certes un élément indispensable pour garantir la liberté de circulation dans l’espace Schengen et assurer la surveillance des frontières, mais nous ne pouvons accepter que cette agence ne soit pas contrôlée de manière irréprochable et qu’elle ne soit pas, elle-même, irréprochable en matière de respect des droits fondamentaux lors de ses interventions, y compris dans le cadre d’opérations conjointes menées avec les États membres.
Ce n’est qu’en garantissant l’indépendance totale des personnes chargées de cette question en son sein que Frontex pourra être à la fois irréprochable et efficace sur le long terme.
C’est la raison pour laquelle nous défendrons trois amendements. S’ils étaient adoptés, nous serions alors favorables à cette proposition de résolution européenne dont, vous l’avez compris, mes chers collègues, nous partageons les objectifs. À défaut, nous ne pourrons malheureusement y souscrire. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous devons nous prononcer ce soir sur une proposition de résolution européenne sur l’avenir de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes dont l’action a été sévèrement mise en cause.
Il s’agit en fait d’adresser un message de soutien à Frontex. Certes, le texte évoque les graves accusations de manquement au respect des droits fondamentaux – comment pourrait-il en être autrement après les constats dressés par le Parlement européen et le rapport de l’Olaf ? –, mais force est de constater qu’il minimise grandement les conséquences qu’il conviendrait d’en tirer.
Les recommandations énoncées en matière de relance et de gouvernance de l’Agence semblent toutes guidées par la perception alarmiste de la situation aux frontières extérieures de l’Europe.
En évoquant une « crise de croissance » pour expliquer les difficultés de l’Agence, les auteurs de la proposition de résolution excluent tout lien entre les dérives constatées et la conception même des missions confiées à Frontex.
Or la dérive vers la militarisation de fait des frontières de l’espace Schengen est en partie liée à une politique d’accueil et de droit d’asile toujours plus restrictive. C’est là que se trouvent les racines des atteintes aux droits fondamentaux des personnes migrantes.
Désormais balafré de dix-neuf clôtures frontalières, s’étirant sur plus de 2 048 kilomètres, Schengen prend encore davantage des allures de forteresse qu’il s’agirait de défendre par tous les moyens.
Le texte évoque, par exemple, l’« efficacité du partenariat entre Frontex et la Grèce »… Faut-il rappeler que le rapport de l’Olaf pointait précisément la complicité de l’Agence dans l’abandon, par les autorités grecques, de groupes de migrants sur de petits îlots inhabitables ?
Par la militarisation de ses agents, Frontex est le symbole de la permanence de la réticence des États européens à appliquer le droit d’asile et une politique d’accueil digne. Faute d’une politique européenne à la hauteur de nos devoirs d’accueil et de solidarité humaine, c’est une véritable crise humanitaire qui sévit chaque jour aux frontières de l’Europe.
Des milliers de femmes, d’hommes et d’enfants se noient toujours en Méditerranée ou meurent d’hypothermie dans l’est de l’Europe. Des femmes victimes de violences, poussées sur les routes de la migration par des réseaux de traite, sont refoulées sans ménagement. Des mineurs sont aussi refoulés, au mépris du droit international.
Malgré cette militarisation progressive de Frontex et la multiplication de son budget par dix-sept depuis sa création en 2004, aucun effet dissuasif n’est constaté. Alors que seules des politiques de migration concertées, organisées autour de voies légales et sécurisées, permettant des parcours respectueux des droits fondamentaux des personnes, seraient à même de changer la situation, nous persévérons dans l’inhumanité en érigeant des murs toujours plus hauts et en externalisant la gestion des frontières extérieures, ce qui ne permettra jamais de supprimer les causes des migrations subies ou forcées ni d’en finir avec les refoulements expéditifs.
En vérité, les politiques répressives n’arrêtent pas les migrations, mais légalisent l’arbitraire. Les clôtures, les barbelés, les barrages de toute nature à un accueil digne, réclamés à cor et à cri par les gouvernements de droite et d’extrême droite en Europe, ne font que favoriser l’insécurité, les contournements, les migrations.
Frontex devient le bras armé de ces politiques quand elle devrait, au contraire, assister les États dans une gestion humaine, digne et sûre des frontières à l’échelle européenne.
La démission de l’ancien directeur exécutif de Frontex n’a été que le symptôme d’un mal plus profond : une activité aux frontières gangrénée par la dissimulation de violations du droit des migrants commises par des États membres de l’Union européenne.
Il paraît de plus en plus évident que Frontex manque cruellement de mécanismes de responsabilité tant en son sein qu’à l’extérieur. C’est une préoccupation que les auteurs de la proposition de résolution semblent réprimer, comme si l’instauration d’un contrôle effectif et indépendant en matière de respect des droits fondamentaux pouvait constituer un frein à l’exercice des missions de Frontex.
Dans ces conditions, laisser l’Agence aller au bout de son mandat sans remettre à plat, au moyen d’une évaluation approfondie, ses missions et les politiques qui les sous-tendent, nous semble au bas mot bien insuffisant. Au regard des graves manquements constatés et des objectifs non atteints en matière de responsabilisation des États membres en termes de respect des droits fondamentaux et du droit européen, de telles dispositions ne nous semblent pas raisonnables.
Toutes ces raisons, parmi d’autres encore, nous conduiront à voter contre cette proposition de résolution européenne. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)