Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Quel avenir pour l’enseignement agricole ? »
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Violations des droits humains au Venezuela
Adoption d’une proposition de résolution
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Union Centriste, l’examen de la proposition de résolution pour le renforcement des sanctions adoptées par le Conseil européen contre des responsables des violations des droits humains au Venezuela et pour soutenir les États signataires de l’enquête auprès de la Cour pénale internationale présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Olivier Cadic et plusieurs de ses collègues (proposition n° 639 [2018-2019]).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Olivier Cadic, auteur de la proposition de résolution.
M. Olivier Cadic, auteur de la proposition de résolution. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de résolution que je vous présente aujourd’hui est destiné à renforcer les sanctions à l’encontre des responsables des violations des droits humains au Venezuela. Elle vise aussi à soutenir le dossier à la Cour pénale internationale, déjà cosigné par six pays, pour que les responsables de ces crimes soient effectivement condamnés.
Je souhaite exprimer toute ma gratitude au président Hervé Marseille pour le groupe Union Centriste, au président Claude Malhuret pour le groupe Les Indépendants, ainsi qu’à tous ceux qui ont soutenu ce projet et permis qu’il soit débattu ce soir.
Cette résolution trouve sa source dans l’audition de M. Lorent Saleh, le 29 mai dernier, au Sénat, par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sur l’initiative de son président Christian Cambon.
Défenseur des droits humains, prix Sakharov 2017, M. Saleh nous a décrit les traitements inhumains auxquels il a été soumis lors de son emprisonnement dans une cellule de torture appelée « la tombe ». Mais son cas est loin d’être un cas isolé : depuis 2014, on recense 14 471 personnes arrêtées pour des motifs politiques, dont plus de 400 sont encore en prison en ce moment.
Au Venezuela, être un opposant politique implique un prix très lourd à payer : en 2019, plus de 50 manifestants ont été abattus par les forces de l’ordre ou par les colectivos, des groupes paramilitaires terrorisant et contrôlant la population et qui, bien sûr, sont aux ordres du régime Maduro.
Dans ce pays, la violence est une politique d’État. Ainsi, 18 000 personnes ont été tuées depuis 2016 selon l’ONU, pour qui il s’agit d’un « modèle de conduite systématique ».
Vous avez tous reçu hier, mes chers collègues, une lettre du représentant de Nicolás Maduro en France, lequel assure que son pays est accusé d’assassinats sans preuve. C’est le propre des régimes criminels de ne pas se confronter à leurs actes et de nourrir le négationnisme !
Le rapport très documenté de la haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, publié le 4 juillet dernier, dénonce un « nombre extrêmement élevé » d’exécutions extrajudiciaires. Entre le moment où nous commençons ce débat et celui où nous le conclurons, il y aura 2 morts assassinés pour « résistance à l’autorité ». Il s’agit de femmes et d’hommes comme ce conseiller municipal, Fernando Albán, jeté d’un dixième étage par le service d’intelligence militaire du régime.
Voilà quelques jours, c’était un leader politique proche du président Juan Guaidó, Edmundo Rada : kidnappé, torturé, assassiné, son corps calciné abandonné.
M. Alain Fouché. Quelle horreur !
M. Olivier Cadic. Et cela au moment même où le Venezuela obtenait un siège au Conseil des droits de l’homme des Nations unies.
M. Bruno Sido. Incroyable !
M. Alain Fouché. Scandaleux !
M. Olivier Cadic. Le crime de M. Rada ? Être un leader politique apprécié à Petare, le barrio – bidonville – le plus important du pays.
Personne ne doit ignorer que Nicolás Maduro et ses appuis militaires persécutent, font disparaître et massacrent la population vénézuélienne.
Le Venezuela est le premier pays d’Amérique latine où je me suis rendu, voilà quatre ans.
Il est connu comme le pays disposant des réserves pétrolières les plus importantes au monde. Selon les derniers chiffres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole, l’OPEP, les réserves prouvées de ce pays atteindraient les 297 milliards de barils, le plaçant à la première place mondiale devant l’Arabie saoudite.
Mais ce pays est aussi celui des records pour l’inflation, le Fonds monétaire international, le FMI, parle plutôt d’hyperinflation, le taux d’inflation ayant atteint 1 000 000 % pour 2018 ! Les pronostics pour 2019 sont tout aussi noirs. La pauvreté frappe 94 % des Vénézuéliens.
Cette crise a déclenché une situation d’urgence humanitaire complexe, à laquelle personne n’échappe. Les Vénézuéliens subissent de graves pénuries d’eau et de médicaments. Au moins 80 % de la population est en situation d’insécurité alimentaire.
Pourquoi le Venezuela, ce pays si riche, est-il devenu aussi pauvre ? La raison principale est que le système du chavisme est fondé sur une corruption endémique ayant rongé tous les corps de l’État.
Le régime de Nicolás Maduro pourrait nous paraître à bout de souffle. Mais ne nous trompons pas ! Si le chavisme tient encore, c’est notamment grâce à l’exploitation illégale des ressources présentes dans l’Amazonie, dans une zone connue comme l’Arco minero.
Cette zone est un atout sans égal pour le régime. Elle comporte des réserves exceptionnelles en or, diamant, cuivre, fer et coltan. Elle couvre une superficie de 112 000 kilomètres carrés et représente l’oxygène nécessaire pour le régime.
L’exploitation des minéraux dans l’Arco n’est pas sans conséquence pour l’environnement, avec le déversement colossal de produits toxiques comme le cyanure et le mercure, et pour les populations indigènes, qui sont spoliées de leurs terres, exploitées et font l’objet de toutes formes de violences.
Vous l’avez bien compris, mes chers collègues, le Venezuela est un État failli. C’est un État où des groupes criminels font partie des forces de l’ordre. C’est un territoire où les groupes terroristes opèrent librement. C’est un État qui entretient des liens étroits avec la Turquie, la Russie, la Chine, l’Iran et Cuba… autant d’États dont le soutien est animé par des raisons géopolitiques et, disons-le franchement, peu regardants en matière de droits humains.
Le pouvoir chaviste a détruit le cadre institutionnel, mis à bas le secteur privé et soumis la population pour piller librement les ressources du pays.
En vingt ans de chavisme, 393 milliards d’euros d’actifs issus de faits de corruption sont sortis du Venezuela selon la commission des finances du parlement vénézuélien.
Dans le même temps, le pays vit la pire crise humanitaire de son histoire et les Vénézuéliens partent massivement à cause de cette situation. Chaque jour, 5 000 personnes traversent la frontière à la recherche d’une vie digne. Plus de 4,5 millions de personnes sont déjà réfugiées dans les pays environnants. D’ici à 2020, environ 8 millions de Vénézuéliens auront quitté leur pays. Ce chiffre est supérieur au nombre de personnes ayant quitté la Syrie en guerre !
C’est une crise de portée régionale qui affecte désormais tous les pays du continent. Nous ne pouvons pas rester indifférents face à cette situation.
La France, aussi, doit montrer aux Vénézuéliens qu’ils ne sont pas seuls. Nous avons un devoir à l’égard de ces populations. Nous souhaitons entretenir l’espoir de jours meilleurs.
La France est une puissance de paix. Elle soutient toutes les médiations pour sortir de ce drame par une voie politique. Je veux remercier le Gouvernement, madame la secrétaire d’État, d’avoir fait ce choix.
Je souhaite aussi saluer l’action exemplaire de Romain Nadal, notre ambassadeur au Venezuela, et de toute l’équipe du poste diplomatique à Caracas, qui œuvre au quotidien aux côtés des artisans d’une solution politique pour le Venezuela.
Mais la France, c’est aussi le berceau des droits de l’homme. Ceux qui tirent avantage du régime dictatorial de Maduro ne doivent pas pouvoir en vivre impunément sur notre sol. La France ne saurait être un sanctuaire pour eux !
C’est pourquoi nous proposons cette résolution pour le renforcement des sanctions contre les responsables des violations des droits humains au Venezuela et pour soutenir les pays signataires de l’enquête auprès de la Cour pénale internationale.
À travers ce document, nous appelons les autorités françaises à être vigilantes quant aux fonds provenant du Venezuela et, plus particulièrement, ceux des responsables sanctionnés par l’Union européenne, rappelant que les sanctions prises par cette dernière devront être appliquées dans tout l’espace Schengen, et donc en France.
De même, nous appelons les autorités à être vigilantes quant aux possibles liens avec le trafic de drogue ou le terrorisme.
En dernier lieu, nous appelons la France à rejoindre les pays signataires du dossier en cours devant la Cour pénale internationale et à soutenir son procureur, Mme Fatou Bensouda, afin que les responsables des violations des droits de l’homme soient condamnés.
Pour finir, en saluant la présence dans la tribune de Mme Isadora Zubillaga, représentante en France du président par intérim Juan Guaidó, je tiens répéter combien il est important de soutenir le peuple vénézuélien par cette démarche.
Je compte donc sur vous, mes chers collègues, pour voter cette résolution, qui constituera un pas en avant dans la défense des droits de l’homme en faveur des Vénézuéliens. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Indépendants, Les Républicains et LaREM.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise sociale, économique et politique au Venezuela est grave. Elle laissera des traces dans le pays pendant de longues années. Personne n’est insensible à cette situation, surtout pas nous.
Mais la proposition de résolution qui nous est soumise est-elle la contribution attendue de la France face à une telle situation ? Nous ne le pensons pas !
Cette proposition, et le propos que nous venons d’entendre de la part de mon collègue Olivier Cadic l’illustre, est caricaturale. (Exclamations.)
Les mesures qu’elle propose de soutenir sont totalement inappropriées pour qui veut nourrir des solutions de paix pour ce pays et son peuple.
M. Bruno Sido. Que ne faut-il pas entendre ?
M. Pierre Laurent. Les attendus de la proposition de résolution invitent en effet le Sénat à emboîter le pas, sans nuance, à ceux qui reconnaissent Juan Guaidó comme président autoproclamé, alors même que son soutien à l’intérieur du pays recule fortement au rythme des révélations sur ses liens directs avec les entreprises de déstabilisation engagées sur l’initiative des États-Unis.
Ces mêmes attendus mettent en cause la Russie, avec une rhétorique de guerre froide qui conduira, une fois de plus, la France à se marginaliser dans la région si nous en suivions le fil. Je crois qu’il y a bien mieux à faire !
La situation de crise est grave, je l’ai dit. La crise politique est devenue une crise violente. Les Vénézuéliens en paient un prix élevé. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le HCR, parle aujourd’hui de 3,7 millions de Vénézuéliens ayant quitté le pays et 80 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté.
Les causes de la crise sont multiples. Après des années de lutte contre les inégalités et la pauvreté financées par la manne pétrolière, l’affaissement des cours du pétrole a replongé le pays dans d’importantes difficultés, faisant reculer le PIB de 50 % depuis 2015.
Ce recul brutal a d’autant plus déstabilisé l’économie nationale que les réponses apportées en termes de stratégie économique n’ont pas toujours été appropriées. Ces erreurs sont d’ailleurs débattues au sein même des forces qui soutiennent Nicolás Maduro et refusent la prise de pouvoir de Juan Guaidó.
Mais il est clair, et les attendus de la proposition de résolution n’en disent rien, bien au contraire, que cette déstabilisation a été souhaitée et clairement alimentée par les États-Unis, qui ont saisi là l’occasion, après la mort d’Hugo Chávez, d’en finir avec une expérience politique dont ils n’ont jamais voulu.
Les sanctions américaines, souvent extraterritoriales – mais, cette fois-ci, cela ne pose visiblement de problème à personne –, ont nourri le désordre économique du pays. Pourquoi le nier quand Donald Trump, lui-même, s’en vante ? Et pourquoi s’en tenir à emboîter le pas à la rhétorique américaine sans prendre aucun recul ?
Pour les États-Unis, le Venezuela est une clé de voûte en Amérique latine, où, en même temps, ils renforcent les sanctions illégales contre Cuba, soutiennent de toutes leurs forces le régime de Jair Bolsonaro, appuient les gouvernements du Chili et de l’Équateur réprimant les révoltes populaires.
Est-ce l’intérêt de la France de suivre cette doctrine qui fleure bon le retour de la « doctrine Monroe » en Amérique latine ? Le Venezuela a surtout besoin d’un retour à la stabilité politique, à la paix, à la réconciliation pour retrouver le chemin du développement. Et il a besoin pour cela d’un plein respect de sa souveraineté et d’un processus politique négocié de sortie de crise.
Où mène la reconnaissance unilatérale et extérieure de Juan Guaidó, sinon à la confrontation ?
La vérité est que les élections récentes dans ce pays ont donné des résultats opposés : les unes, dont l’élection présidentielle, ont été gagnées par Maduro et les forces qui le soutiennent ; les autres par l’opposition.
Sortir de cette situation par la violence, voire, pire, par la guerre civile dont le spectre plane, serait un calcul effroyable.
La droite vénézuélienne a sa responsabilité dans l’engrenage des violences. Les trois gouverneurs qu’elle a fait élire dans le bassin du lac de Maracaibo, le long de la frontière colombienne, l’ont été dans une région où le pouvoir du crime organisé est évident, tout comme l’implantation de longue date des narcotrafiquants et des paramilitaires.
Plutôt que de soutenir cette logique de confrontation, nous devons appuyer le retour à un processus politique reconnu de tous.
La tentative, en toute inconstitutionnalité, de destitution de Nicolás Maduro par la majorité parlementaire en 2016 avait enflammé la situation. Inversement, le retour des députés de la majorité présidentielle au sein de l’Assemblée nationale vénézuélienne, à la suite d’un accord avec une partie importante de l’opposition, est un premier pas à saluer.
La France devrait appuyer le Mexique et l’Uruguay, qui ont proposé leur médiation, et les efforts de la Norvège pour ouvrir à Oslo un dialogue entre le président Maduro et les forces d’opposition de l’assemblée vénézuélienne.
La France devrait entendre l’appel de l’ONU mettant en garde contre les conséquences des mesures coercitives unilatérales en ces termes : « Ce n’est pas la réponse à la situation politique du Venezuela. » Cet appel souligne « l’urgente nécessité pour tous les acteurs concernés de participer à un dialogue politique inclusif et crédible pour aborder la longue crise que traverse le pays, dans le plein respect de l’État de droit et des droits humains ».
Évidemment, la situation des droits humains est au cœur des enjeux de la sortie de crise. Le rapport de Michelle Bachelet pour l’ONU chiffre à 5 000 le nombre de personnes tuées par les forces de sécurité en 2018, dans la spirale de violences alors provoquée. Près de 400 fonctionnaires des Forces d’action spéciales sont actuellement jugés pour ces délits.
Il faut se féliciter que le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme ait signé un accord avec le Venezuela pour renforcer leur coopération, avec l’objectif d’ouvrir un bureau permanent sur place. Deux représentants de l’ONU sont autorisés à rester et à accéder à tous les centres de détention.
À l’opposé des sanctions décidées par Washington et soutenues par la présente proposition de résolution, nous devrions donc soutenir les efforts de dialogue, d’où qu’ils viennent, et associer la France à ces efforts.
Cette proposition est à contre-courant de cette ambition. Elle se contente d’alimenter un portrait caricatural d’une situation particulièrement complexe. C’est pourquoi nous voterons contre ce texte.
Mme Annick Billon. C’est dommage !
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nombreux sont les rêves d’inspiration marxiste ou communiste qui ont tourné et tournent encore au cauchemar. L’un d’entre eux s’annonce particulièrement long et douloureux.
Près de 15 % de la population a fui le pays… Au sein de ceux qui restent, cela a été dit, 94 % vivent sous le seuil de pauvreté… Bienvenue à Caracas !
Le pays ne parvient pas à sortir de la crise qui a dégénéré lorsque Nicolás Maduro a proclamé sa réélection, à l’issue d’un scrutin truqué. À la suite de cette fraude électorale, dénoncée dans le monde entier, le président de l’Assemblée nationale, Juan Guaidó, a été reconnu président par intérim par 55 pays, et ce jusqu’à l’organisation de nouvelles élections présidentielles.
Personne ne devait s’attendre à ce que Maduro quitte le pouvoir de son plein gré. Il a néanmoins surpris par le degré de violence employé pour se maintenir en place.
L’ONU dénonce l’usage systématique d’une « force excessive » à l’encontre des manifestants. Cet euphémisme est bien pudique quand, depuis 2018, plusieurs milliers de personnes ont été arrêtées, torturées, assassinées. Et cela continue !
Il est insensé, comme l’indiquait notre collègue Olivier Cadic, que, jeudi dernier, un siège au Conseil des droits de l’homme des Nations unies ait été attribué au Venezuela de Maduro. Insensé !
Pour tenter de sortir de la crise, la communauté internationale avait deux choix : ne rien faire ou intervenir.
Plusieurs pays soutiennent le régime en place, dont la Corée du Nord – pays de grande liberté –, la Turquie, la Russie, la Chine, la Bolivie d’Evo Morales, qui a effectivement une certaine expertise en matière électorale. Dormez tranquilles, braves gens, l’équipe de choc de la démocratie est au chevet du Venezuela !
M. Jean-Luc Mélenchon, de son côté, s’en était donné à cœur joie et n’avait pas raté l’occasion de soutenir ces régimes autoritaires, oubliant, dans un délire de révolutionnaire de salon, que, si lui-même avait été un opposant politique au Venezuela, il aurait peut-être été défenestré du dixième étage par les forces de sécurité, comme le fut Fernando Albán.
En janvier, puis en août, les États-Unis ont imposé de lourdes sanctions au régime. Ils imaginent, comme dans le dossier iranien, que cela poussera la population ou l’armée à renverser le pouvoir en place. Mais pour l’heure : beaucoup de tweets, pas de résultat !
Le Conseil européen a lui aussi infligé des sanctions au régime.
Certains dénoncent l’emploi de telles sanctions, au motif qu’elles aggravent la crise humanitaire. Mais quelle est l’alternative ? Ne rien faire et laisser ce peuple sombrer chaque jour un peu plus dans la misère et dans la torture ?
Nous sommes convaincus que les Vénézuéliens doivent pouvoir choisir librement leurs dirigeants. Il nous semble que l’emploi de la force n’est pas ce dont le pays a besoin. La sortie de la crise ne pourra être que politique et nous croyons que les sanctions économiques contre le régime vont l’inciter à négocier.
En parallèle, il nous faut agir pour protéger la population, pour protéger le règne de la loi. Les atteintes aux droits de l’homme doivent cesser.
Le procureur de la Cour pénale internationale a ouvert une enquête préliminaire en 2018 pour violations des droits humains et crimes contre l’humanité. Sans justice, la paix ne pourra pas revenir au Venezuela. L’action de la Cour pénale internationale prendra, hélas, du temps – c’est toujours long –, mais on ne peut que la soutenir.
Nous avons été nombreux à signer cette proposition de résolution, qui se justifie pleinement tant ce peuple est maltraité et vit dans des conditions scandaleuses. Je ne comprends pas que l’on puisse y être opposé.
Nous ne pouvons rien faire de mieux que d’imposer des sanctions économiques. Les Européens doivent s’interroger sur la stratégie à mettre en œuvre, d’une manière générale et quelles que soient leurs tendances, face aux régimes autoritaires.
Le groupe auquel j’appartiens, Les Indépendants – République et Territoires, votera naturellement cette excellente résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et LaREM.)
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cigolotti.
M. Olivier Cigolotti. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, Syrie, Sahel, détroit d’Ormuz, Corée du Nord, Algérie, Liban, Chili : les foyers de crise et d’inquiétude sont, ces derniers temps, si nombreux et si complexes sur la scène internationale qu’on en aurait presque tendance à oublier un peu rapidement ceux qui ne font pas quotidiennement les gros titres des journaux.
Cette proposition de résolution, présentée par notre excellent collègue Olivier Cadic, a donc pour mérite de remettre sur le devant de la scène le Venezuela, et l’état catastrophique dans lequel ce pays se trouve depuis maintenant plusieurs mois.
Si le monde s’en était légitimement ému et alerté au plus fort des tensions politiques, l’enlisement de la situation nous a malheureusement presque fait « passer à autre chose ». Or c’est pour cette raison même qu’il n’a jamais été aussi urgent de venir en aide à ce pays et à sa population.
Alors que le Venezuela fut longtemps la nation la plus prospère et la plus développée d’Amérique latine, et Caracas la perle du continent, il est aujourd’hui le théâtre d’une crise humanitaire sans précédent dans un pays ayant atteint un tel niveau de développement.
C’est une triste démonstration de la « malédiction des ressources naturelles » que nous offre ce pays, qui a détruit son économie en la soumettant entièrement aux lois du cours du baril de pétrole.
Alors que crise politique et crise économique se nourrissent l’une l’autre depuis maintenant des années, des vents contradictoires soufflés par la communauté internationale viennent attiser les braises.
Quelle ironie de voir que la crise traversée par le Venezuela a réactivé de vieux clivages stratégiques que l’on croyait disparus depuis les années 1990 !
En effet, alors que Juan Guaidó est reconnu par le Groupe de Lima, les États-Unis et la quasi-totalité des pays de l’Union européenne, les principaux piliers extérieurs du régime de Maduro ne sont autres que la Chine, la Russie, la Turquie, l’Iran, le Nicaragua et Cuba. Du beau monde en vérité !
Pendant ce temps, dépassé par ces jeux de puissance, le peuple vénézuélien souffre et fuit en masse. Près de 10 % de la population vénézuélienne a en effet émigré vers les pays voisins, ne supportant plus le manque de médicaments, les coupures d’eau et d’électricité, l’inflation à 1 000 000 % et l’insécurité croissante.
Ces migrants se sont majoritairement déplacés vers les pays voisins, au premier rang desquels la Colombie, ce qui fait peser un poids dramatique sur leurs épaules.
La France n’est pas restée inactive, encore moins indifférente, depuis le début des difficultés du régime de Maduro. En effet, alors que la relation franco-vénézuélienne s’était dégradée depuis 2017, dans le contexte d’attaques verbales de Nicolás Maduro, nous avons durci notre position à son égard.
En 2018, la France a apporté son soutien à la demande adressée à la Cour pénale internationale par cinq États latino-américains et le Canada, afin d’ouvrir une enquête sur les accusations de crimes contre l’humanité visant le régime de Nicolás Maduro, demande à laquelle la Cour pénale a répondu favorablement le 8 février 2018. Un examen préliminaire de la situation est en cours, et nous serons bien entendu très attentifs aux conclusions qui en seront tirées.
Enfin, notre pays a reconnu Juan Guaidó comme « président en charge » pour mettre en œuvre un processus électoral dès le 4 février 2019. Par ailleurs, la France a apporté une aide humanitaire importante au Venezuela et aux pays voisins touchés par la crise migratoire.
L’Europe n’a pas non plus gardé les bras croisés, et ce malgré l’absence d’un consensus absolu de ses membres pour la reconnaissance de la légitimité présidentielle de Juan Guaidó. J’en veux pour preuve la conférence internationale qui s’est achevée hier à Bruxelles, sous l’égide du Service européen pour l’action extérieure, le SEAE, et qui a tenté d’apporter des réponses à la crise des réfugiés qui fait rage.
Cette proposition de résolution va résolument dans le bon sens : il apparaît effectivement important d’être vigilant quant aux fonds provenant du Venezuela et de veiller à appliquer les sanctions et les limitations décidées.
Je m’attarderai plus particulièrement sur la dernière de ces recommandations : faire en sorte que l’État français rejoigne les pays signataires du dossier en cours auprès de la Cour pénale internationale et soutienne le procureur, Mme Fatou Bensouda, pour que les responsables des violations des droits humains soient condamnés.
Signe, s’il en fallait un, de la gravité de la situation, ce sont pour la première fois des États, et non des individus, qui formulent contre un autre État une plainte auprès de la Cour pénale internationale de La Haye. Si la France a déclaré soutenir cette initiative, elle n’a pas pour autant rejoint les six pays signataires de la plainte. Pourquoi donc, madame la secrétaire d’État ?
Bien sûr, nous soutiendrons cette proposition de résolution, que nous avons cosignée, en espérant que l’ensemble des sénateurs feront de même. Surtout, nous espérons que le Gouvernement saura nous entendre et répondre à cet appel ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Indépendants. – Mme Isabelle Raimond-Pavero applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Sido.
M. Bruno Sido. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la situation dans laquelle est plongé le Venezuela s’apparente à une descente aux enfers, et cette dernière semble sans fin. Ce débat nous donne l’occasion d’évoquer la situation dramatique de millions de Vénézuéliens ; l’impasse semble aujourd’hui totale.
La crise humanitaire est aiguë. La quasi-totalité de la population de ce pays, autrefois si riche, vit aujourd’hui dans la pauvreté, voire dans l’extrême pauvreté. Les pénuries de nourriture, les difficultés d’accès aux soins et aux médicaments, les coupures d’électricité, le délabrement des infrastructures publiques rendent la vie insupportable. Il ne s’agit d’ailleurs plus de vivre, mais de survivre.
Au total, 7 millions de Vénézuéliens ont besoin d’aide humanitaire et, dans le pays, près d’un quart des enfants souffrent de malnutrition.
On le sait : cette situation est d’abord le résultat d’une gestion catastrophique du pays, d’un manque d’investissements et d’une corruption aggravée qui durent depuis des années.
Dans ce contexte épouvantable, les habitants – c’est bien compréhensible – fuient massivement le pays : 10 % de la population a déjà pris le chemin de l’exil, et les départs continuent malgré la fermeture de la frontière par le Gouvernement. Ainsi, 4 millions de Vénézuéliens, peut-être bientôt 5 millions selon les prévisions du HCR, vivent en dehors de leur pays.
Cet exode sans précédent fait courir de nombreux dangers aux personnes qui prennent la route – parfois des mineurs isolés –, livrées aux passeurs, victimes des réseaux de traite, condamnées à vivre dans la rue, dans les villes où elles atterrissent.
En outre, cet afflux massif de réfugiés vers les pays voisins fait courir un risque de déstabilisation régionale. Ainsi, près de 1,5 million de Vénézuéliens ont trouvé refuge en Colombie, premier pays d’accueil. Mais, dans le même temps, cet État est confronté à des difficultés économiques et doit mener à bien son fragile processus de paix.
Face à ce drame, l’Union européenne et, singulièrement, la France ne restent pas inactives : via le HCR, nous apportons des soutiens aux réfugiés ; à travers des associations humanitaires comme la Croix-Rouge ou Médecins du monde, nous aidons la population vénézuélienne. Mais le régime fait tout pour entraver les secours.
En effet, cette grave crise a évidemment un volet politique. Depuis 2018, le Parlement démocratiquement élu est privé de ses pouvoirs, les médias sont entravés et les contre-pouvoirs démantelés.
En plus des privations qu’ils supportent au quotidien, les Vénézuéliens subissent une féroce répression de la part du régime, qui veut étouffer tout mouvement de protestation : les arrestations arbitraires, les exécutions extrajudiciaires, la torture sont couramment pratiquées, y compris sur des représentants du peuple démocratiquement élus. Selon le gouvernement chaviste lui-même, plus de 1 500 personnes auraient été tuées lors d’opérations de sécurité durant les six premiers mois de l’année 2019.
Près de 800 personnes seraient détenues arbitrairement ; on ne compte plus les rapports qui témoignent des graves violations des droits de l’homme et des atteintes à l’État de droit commises dans ce pays. Ainsi, la commission des affaires étrangères a recueilli le bouleversant témoignage de Lorent Saleh, opposant, prix Sakharov, emprisonné et torturé.
Dans un tel contexte, comment admettre l’entrée du Venezuela au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, il y a deux semaines ?
La solution à la crise ne peut qu’être politique. Malheureusement, nous ne voyons aucun signe d’espoir. Les tentatives de médiation entre le régime et l’opposition, que ce soit celle d’Oslo ou celle menée dans le cadre du groupe international de contact, le GIC, sont au point mort. Le régime Maduro se borne à un simulacre de dialogue avec l’opposition minoritaire. La « feuille de route » prévoit la tenue d’élections législatives, mais le calendrier reste plus qu’incertain.
Pour sortir de l’impasse politique actuelle, c’est une élection présidentielle libre et transparente, dans le cadre d’une transition négociée, qui serait nécessaire. Il s’agit là d’une condition au rétablissement de la démocratie et de l’État de droit au Venezuela.
Cet objectif est soutenu par la France et par l’Union européenne, dont vingt-quatre États membres reconnaissent le président de l’Assemblée nationale, Juan Guaidó, président par intérim, mais il est refusé par le régime chaviste. L’impasse politique ne peut que pousser la population désespérée à reprendre le chemin de la rue.
Dans ce contexte, il faut soutenir les initiatives récentes prises à l’échelle européenne pour renforcer les mesures restrictives à l’encontre du régime chaviste. Ainsi, le 25 septembre dernier, des sanctions individuelles ont été imposées contre 7 membres des forces de sécurité accusés de torture. Cette décision porte à 25 le nombre de responsables vénézuéliens visés par des interdictions de visas et des gels d’avoirs dans l’Union européenne.
Les auteurs de cette proposition de résolution appellent nos autorités à une application stricte de ces sanctions ainsi qu’à une vigilance particulière à l’égard des fonds provenant du Venezuela : leur origine peut être douteuse compte tenu des organisations criminelles qui prospèrent dans le pays. En outre, ils invitent la France à rejoindre les pays ayant engagé une procédure auprès de la Cour pénale internationale sur les accusations de crime contre l’humanité prononcées contre le régime de Nicolás Maduro Moros.
Pour l’heure, notre pays ne fait que soutenir la demande formulée par d’autres États, à savoir cinq pays latino-américains et le Canada. Certes, une procédure devant la CPI est nécessairement longue. Mais, plus que le résultat, c’est ici le message qui compte : cette procédure signifie d’abord la reconnaissance, par la communauté internationale, du drame vécu par des millions de Vénézuéliens, et elle marque la fin de l’impunité pour les crimes commis. Le fait que la France, pays de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, s’y associe serait donc un acte particulièrement fort.
Le président vénézuélien continue d’opprimer son peuple. Il ne manifeste aucun signe de faiblesse : au contraire, il se mêle d’apporter son soutien aux mouvements de contestation qui secouent actuellement l’Équateur et le Chili. Il est donc opportun d’appeler le Gouvernement à davantage de fermeté et d’implication dans le règlement de cette crise. Bien entendu, les élus du groupe Les Républicains voteront cette proposition de résolution ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, Les Indépendants et LaREM.)