Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal.
M. Rachid Temal. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, afin d’appréhender comme il se doit la proposition de résolution qui nous est soumise, il me semble essentiel d’évoquer le contexte dans lequel elle s’inscrit.
La crise que connaît le Venezuela a éclaté il y a maintenant six ans, avec la mort d’Hugo Chávez et la désignation de son successeur Nicolás Maduro. La contestation de la légitimité de cet héritier a pris une dimension supplémentaire en 2015, lorsque l’opposition a remporté les élections législatives. Elle a conduit à un démantèlement des contre-pouvoirs et à une remise en cause de l’État de droit.
Le 23 janvier 2019, Juan Guaidó, président d’une Assemblée nationale vidée de ses pouvoirs et prérogatives, s’est autoproclamé président par intérim. Il a été reconnu par de nombreux États – les précédents orateurs l’ont rappelé.
La situation que vit le Venezuela depuis de nombreuses années a entraîné une crise humanitaire sans précédent pour le pays et une violation massive des droits de l’homme. La population vénézuélienne est la première victime de cette crise, dont elle constitue l’otage.
Au sein du pays, la situation sanitaire est alarmante. Selon un rapport du HCR, entre novembre 2018 et février 2019, on a compté 1 557 personnes décédées en raison de l’approvisionnement défectueux des hôpitaux. Plusieurs d’entre nous ont également rappelé ce chiffre : au total, 95 % de la population du Venezuela vit sous le seuil de pauvreté. Et pourtant, le pays était si riche !
Je le répète, à la question humanitaire s’est ajoutée la violation des droits de l’homme. Des députés de l’opposition sont poursuivis malgré leur immunité parlementaire, contraints de fuir ou de se réfugier dans des ambassades étrangères. Les manifestations sont réprimées brutalement : chacun a pu le constater.
Selon le rapport du Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme du 4 juillet 2019, 793 personnes sont arbitrairement privées de leur liberté, et 66 autres seraient décédées lors des manifestations qui se tiennent depuis janvier 2019. Le gouvernement vénézuélien lui-même – j’y insiste – avance le chiffre de 1 500 personnes tuées au cours « d’opérations de sécurité ».
Mes chers collègues, comment réagir à cette crise ?
Il y a, d’un côté, l’option américaine : celle des sanctions, sans cesse durcies, qui – il faut le dire – ont encore aggravé la situation humanitaire et sanitaire du peuple vénézuélien. Elles ont notamment été amplifiées par Donald Trump, qui, il y a quelque temps encore, n’excluait pas une intervention militaire au Venezuela. Ce choix reposait sur un pari simple : miser sur le renversement du président Maduro par une population le considérant comme responsable de sa situation économique et sociale. Mais le pari semble perdu : le régime Maduro reste en place. Il dispose encore du soutien de l’armée et – d’autres l’ont dit avant moi – de certaines puissances internationales.
Il y a, de l’autre côté, le choix des Européens : celui de l’aide humanitaire, nécessaire au Venezuela comme en dehors de ses frontières, et de la tenue d’élections démocratiques, conformément à l’État de droit.
À mon sens, il s’agit là des premiers objectifs à atteindre. À cette fin, l’Union européenne a constitué un groupe international de contact qui, en mai dernier, a mené plusieurs rencontres avec des représentants du Gouvernement et de l’opposition. À la fin de ce même mois, d’autres discussions ont eu lieu en Norvège ; la médiation a été organisée par le pays hôte.
Au moment où j’évoque les différentes réactions de la communauté internationale, je me permets une incise. Nous devons éviter toute vision en noir et blanc. Certes, nous sommes face à un régime qui fait aujourd’hui l’objet d’une enquête internationale pour violation des droits humains et fait fi des règles élémentaires de tout État de droit, de toute démocratie : il doit être condamné, et nous le condamnons.
M. Bruno Sido. Bravo !
M. Rachid Temal. Pour autant, les exactions auxquelles se livre ce régime ne doivent pas nous conduire à considérer, en miroir, le président Guaidó comme l’incarnation du bien contre le mal. À mon sens, cette vision ne serait pas de nature à guider notre réflexion, notre démarche de soutien au peuple du Venezuela et à la démocratie de ce pays.
Nous avons également un devoir de lucidité et de vérité : aussi, nous devons noter les difficultés auxquelles se heurte actuellement M. Guaidó pour maintenir l’unité de l’opposition. D’ailleurs, une partie de ses soutiens ont signé un accord avec le président Maduro. (M. Bruno Sido met en doute les propos de l’orateur.) On ne peut pas non plus oublier les interrogations qui demeurent, aujourd’hui, quant aux relations entre M. Guaidó et tel ou tel groupe paramilitaire.
À mon sens, il convient de clarifier l’ensemble de ces questions : il y va de la démocratie et du sort du peuple vénézuélien.
Cela étant, au sein de notre groupe, nous refusons fermement de tout confondre, en mettant sur le même plan M. Maduro et M. Guaidó : je tiens également à le préciser.
Tel est donc le contexte dans lequel s’inscrit cette proposition de résolution. Ce texte a été déposé par M. Cadic au mois de juillet dernier et, depuis lors, la situation a continué à évoluer ; les uns et les autres l’ont indiqué. L’Union européenne a adopté, à l’encontre de membres des forces de sécurité et de renseignement vénézuéliennes, de nouvelles sanctions comprenant l’interdiction de pénétrer sur le territoire de l’Union européenne et un gel des avoirs.
Plusieurs tentatives de dialogue politique ont été engagées entre les différentes parties : l’Union européenne doit faire son devoir pour que nous aboutissions à une solution politique, à une sortie de crise pacifique.
En parallèle, au sein de l’ONU, la haut-commissaire aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, dont chacun connaît le parcours personnel et politique – on ne peut pas, à mon sens, la soupçonner de parti pris –, a remis un rapport sans concession sur l’état des droits humains au Venezuela. Ce document vient conforter les autres rapports qui décrivent un État défaillant, le pouvoir vénézuélien poursuivant une stratégie « visant à neutraliser, réprimer et incriminer les opposants politiques et les personnes critiquant le gouvernement ».
Sur cette base, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a décidé, le 27 septembre dernier, l’ouverture d’une enquête par une mission internationale indépendante sur les violations des droits humains au Venezuela depuis 2014. Cette demande avait été formulée, dès 2018, par cinq États d’Amérique latine et par le Canada.
Enfin, en totale contradiction avec cette décision, le Venezuela a obtenu suffisamment de voix pour siéger au sein du Conseil des droits de l’homme des Nations unies pour la période 2020-2022 : une telle décision est totalement surréaliste !
Mes chers collègues, les membres de notre groupe voteront cette proposition de résolution ; mais, à nos yeux, elle présente certaines lacunes. Il faudrait réaffirmer quelle est notre boussole : dans chaque situation comparable, nous devons exprimer un soutien indéfectible au droit de chaque peuple à choisir librement et démocratiquement son destin ; nous devons également rappeler la nécessité d’apporter une aide aux populations concernées.
Ainsi, nous aurions voulu ajouter trois éléments qui nous semblent fondamentaux.
Tout d’abord, il aurait fallu affirmer le soutien de la France à tout processus visant à ce que des élections libres et transparentes soient organisées dans les plus brefs délais au Venezuela, dans le cadre d’un État de droit. Cette proposition de résolution n’en aurait été que plus étoffée.
Ensuite, il aurait fallu souligner notre soutien à tout processus de médiation : il importe également de proposer une méthode pour sortir de la crise politique que connaît le Venezuela et, ainsi, de donner de l’espoir.
Enfin, il aurait fallu rappeler l’engagement de la France pour un soutien humanitaire aux populations, que ce soit au Venezuela ou en dehors de ses frontières. Plusieurs millions de personnes sont concernées, et la quasi-totalité des habitants du pays vivent sous le seuil de pauvreté. Or la situation peut encore empirer, et la population vénézuélienne perdrait alors toute espérance.
Malgré ces trois lacunes, nous espérons que cette proposition de résolution rassemblera tous les membres de la Haute Assemblée ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, LaREM, UC et Les Indépendants.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Arnell.
M. Guillaume Arnell. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la situation politique au Venezuela suscite de vives inquiétudes, tant elle réveille le souvenir d’une époque tragique, celle des « années de plomb » qu’avaient subies de nombreux pays d’Amérique latine au cours des décennies 1960 et 1970.
Alors que Caracas s’était démarquée en entamant dès 1958 une longue tradition démocratique, le régime actuel est accusé d’abuser de pratiques totalitaires que l’on espérait révolues sur le continent sud-américain.
Nous connaissons les conditions troubles dans lesquelles Nicolás Maduro a été réélu en 2018. Certains orateurs les ont rappelées. La France les a déplorées et c’est une bonne chose : le dirigeant vénézuélien a choisi non seulement de tourner le dos à la démocratie, mais aussi d’entrer en conflit ouvert avec une partie significative de sa population.
Amnesty International et le Conseil des droits de l’homme des Nations unies ont respectivement dressé un bilan sans appel des violences commises depuis 2014 au Venezuela : plus de 14 000 personnes auraient été arrêtées de façon arbitraire sous le motif officiel de « résistance à l’autorité » ; des centaines d’exécutions extrajudiciaires auraient été perpétrées en pleine rue ; les manifestations seraient réprimées et les opposants torturés par les forces armées spéciales, les FAES, créées en 2017.
Le climat intérieur est d’une telle violence que de nombreux Vénézuéliens choisissent l’exil. En cinq ans, plus de 4 millions de personnes ont officiellement quitté le pays.
En accueillant 1,5 million de réfugiés, la Colombie a largement ouvert ses frontières, mais la coopération entre pays voisins commence à se dégrader. Depuis l’été dernier, de peur d’être déstabilisés dans un contexte économique régional difficile, le Pérou, le Chili et l’Équateur ont entrepris de durcir leurs conditions d’entrées. Si les flux depuis le Venezuela se poursuivent, l’on ne pourra pas écarter le risque d’une crise globale.
Les auteurs de cette proposition de résolution le soulignent : dans ce cas de figure, nos territoires d’outre-mer présents dans cette aire géographique pourraient être affectés. C’est d’ailleurs déjà le cas de mon territoire, Saint-Martin, par ailleurs fragilisé par l’ouragan Irma. (M. Rachid Temal opine.)
En outre, soyons attentifs à ce qui se passe en Bolivie, avec la victoire contestée d’Evo Morales dimanche dernier. Madame la secrétaire d’État, je sais que le Gouvernement est parfaitement mobilisé sur ce dossier sensible, à l’instar de l’Union européenne.
Cela étant, revenons-en au Venezuela. Bien entendu, les élus du RDSE soutiennent toutes vos initiatives destinées à encourager la reprise du dialogue entre le gouvernement vénézuélien et l’opposition, ainsi que celles visant au rétablissement des libertés fondamentales. Toutefois, nous nous inquiétons des moyens de pression limités dont dispose la communauté internationale, surtout quand la Chine et la Russie, une fois de plus, refusent de suivre…
Tout d’abord – vous le savez, mes chers collègues –, la souveraineté des États étant protégée en droit international, toute ingérence directe doit être évitée.
En outre, nous constatons, hélas ! que l’indécence s’est invitée au sein de l’ONU, le 17 octobre dernier. En effet, le Venezuela est entré au Conseil des droits de l’homme de l’organisation, pour la période 2020-2022, alors que ce même conseil a diligenté, en septembre 2019, une mission d’enquête sur la violation des droits de l’homme au Venezuela.
Cette incongruité doit nous amener à nous interroger sur le fonctionnement des institutions multilatérales. Ces dernières ont besoin d’un minimum de crédibilité pour être efficaces, de surcroît dans un contexte où elles sont de plus en plus contestées.
Pour autant, il est utile de rappeler que le Venezuela a des engagements internationaux à honorer, en particulier la convention contre la torture, ainsi que le pacte international relatif aux droits civils et politiques.
L’intervention militaire est inenvisageable ; la pression onusienne demeure limitée : reste la politique de sanctions, que cette proposition de résolution vise à renforcer.
Le RDSE soutient cette demande, tout en gardant à l’esprit que les sanctions internationales n’ont pas toujours non plus la portée que l’on souhaiterait, n’en déplaise au président Wilson, qui déclarait en son temps qu’« une nation boycottée est une nation en voie de capitulation » et que ce remède « pacifique et silencieux » évitait le « recours à la force ».
Le cas de l’Irak démontre qu’un pays peut être atteint par le plus dur régime de sanctions sans être pour autant épargné par une intervention militaire. Plus généralement, les sanctions font rarement plier un régime. L’Iran, la Corée du Nord et la Russie, laquelle a été visée après l’annexion de la Crimée, se sont à peine émus de leur situation !
Madame la secrétaire d’État, sans relâcher les efforts diplomatiques pour tenter d’isoler le régime de Nicolás Maduro, nous avons donc la responsabilité d’apporter une aide humanitaire à tous les Vénézuéliens qui sont en danger.
Nos collègues appellent à une action vigoureuse de la part de la Cour pénale internationale. Les Vénézuéliens ne trouveront pas justice dans leur pays, c’est certain : au sommet de l’État figure le Tribunal suprême de justice, une institution dominée par des proches de l’exécutif. Justice doit donc leur être apportée à l’extérieur.
Aussi, les membres du RDSE voteront cette proposition de résolution, car le respect des droits de l’homme a toujours été au cœur des actions de la France sur la scène internationale.
Nos amis vénézuéliens appellent au secours. Malgré les difficultés que j’ai évoquées, le renoncement n’est pas dans les gènes de notre République. Vous pouvez donc être assurés du soutien de mes collègues du RDSE et de moi-même, pour les nouvelles initiatives que la France engagerait et qui donneraient un peu d’espoir au peuple vénézuélien, n’en déplaise à l’ambassadeur de la République bolivarienne du Venezuela en France ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Olivier Cadic. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Cazeau.
M. Bernard Cazeau. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Venezuela est, depuis six ans, le théâtre d’une crise économique effroyable, d’un désastre humanitaire et de troubles politiques assortis de violations massives des droits humains, responsables d’une migration sans précédent.
Tout d’abord, le pays subit une crise économique effroyable. Avec une diminution de la production de pétrole de l’ordre de 40 % en 2018, l’effondrement de la rente pétrolière a entraîné une hyperinflation parmi les plus fortes des dernières décennies : elle devrait dépasser les 8 000 000 % en 2019 !
Ensuite, le Venezuela est placé dans l’urgence humanitaire et sociale : pénurie de nourriture et de médicaments ; coupures d’électricité répétées ; perturbations dans l’approvisionnement de l’eau ; effondrement du système de santé. En tout, 3,7 millions de Vénézuéliens souffrent de malnutrition et 300 000 d’entre eux sont en danger par manque de médicaments. D’ailleurs, cette situation a entraîné le décès de plusieurs milliers de malades, notamment parmi les plus fragiles – enfants, personnes âgées et femmes enceintes.
Enfin, le pays affronte l’une des pires crises politiques et migratoires que l’on connaisse à l’échelle mondiale. Depuis 2016, on décompte 18 000 personnes décédées lors d’affrontements avec la force publique. Plus de 4 millions de Vénézuéliens ont fui leur pays et, à l’intérieur, l’exode provoqué par l’insécurité et les déplacements forcés de population est encore plus massif.
De nombreux témoignages ont permis d’établir qu’une grande majorité de ces violences est le fait des forces de sécurité fidèles au président déchu. Les opposants politiques sont, eux aussi, la cible d’attaques en règle, menées au mépris des immunités parlementaires. Les auteurs de ces violences et attaques jouissent d’une impunité totale : à ce jour, aucune enquête judiciaire sérieuse n’a été diligentée.
Aussi, la démocratie et l’État de droit ne seront possibles au Venezuela que si l’on arrive à une solution politique du conflit. Celle-ci passe par un dialogue, selon des règles clairement établies, intégrant tous les courants politiques, notamment ceux qui rejettent la violence. Or Nicolás Maduro est décidé à gouverner seul. Différents subterfuges ont été employés, dont le plus significatif est la mise en œuvre inconstitutionnelle d’une assemblée constituante de citoyens. Cette dernière tactique avait pour seul but de déposséder de son pouvoir législatif le Parlement, alors dominé par l’opposition.
C’est dans ce contexte, en dehors du cadre constitutionnel, que s’est déroulée l’élection présidentielle de 2018, boycottée par l’opposition et dont Nicolás Maduro se prévaut. Dès lors, en l’absence de président légalement élu et conformément à la Constitution vénézuélienne, il est revenu au président de l’Assemblée nationale, Juan Guaidó, d’assurer les fonctions de président par intérim à titre provisoire, le temps que des élections libres et démocratiques soient organisées dans un délai de trente jours.
La France, les États-Unis et une partie de la communauté internationale n’ont fait que reconnaître une situation qui a découlé de l’application même de la Constitution du Venezuela. Nous n’avons fait que reconnaître la volonté du peuple vénézuélien telle qu’elle est exprimée dans sa loi fondamentale.
Jouant, depuis lors, sur les divisions partisanes, les héritiers de Chávez ont ajouté à la confusion la terreur, créé la pénurie alimentaire et la précarité énergétique, finissant de dilapider la manne pétrolière. Ils ont même poussé le cynisme jusqu’à revendiquer un poste au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, fragilisant encore un peu plus la crédibilité de ce conseil.
Sans préjuger d’autres initiatives, la France a d’ores et déjà plaidé pour la mise en œuvre d’un processus électoral démocratique et pacifique, sous la conduite du seul dirigeant légitime du Venezuela, Juan Guaidó. Elle a soutenu la Cour pénale internationale dans l’interpellation et le jugement des partisans de Maduro, soupçonnés d’être responsables ou complices de graves violations des droits de l’homme. Elle a apporté au Venezuela et aux pays voisins touchés par la crise migratoire une aide humanitaire à hauteur de 1,3 million d’euros en deux ans. Il n’est plus possible de faire l’apologie du « modèle chaviste ». Celui-ci ressemble de plus en plus à une expérience transformant les Vénézuéliens en cobayes d’une dictature populiste où les adversaires politiques sont considérés comme des ennemis du peuple.
Regardons les choses en face ! Le régime de Maduro s’est changé en un pouvoir autoritaire et agressif, incompétent et corrompu. Si nous sommes démocrates, il n’existe qu’une issue à cette crise : rendre la parole au peuple.
Le groupe des sénateurs de La République En Marche soutient cette proposition de résolution déposée par notre collègue Olivier Cadic. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes, comme vous, très préoccupés par la situation du Venezuela. Je vous remercie d’avoir salué le travail persévérant de notre ambassadeur sur place, Romain Nadal, et de son équipe. Ils font, dans ce contexte difficile, un travail qui me semble être à notre honneur.
Depuis le premier semestre de l’année 2019, le nombre de personnes en besoin d’assistance alimentaire a quasiment doublé et représente désormais 10 millions à 14 millions de personnes, selon les chiffres du groupe de contact international auquel la France participe. Ces chiffres n’incluent pas les 4,3 millions de Vénézuéliens qui ont déjà quitté leur pays.
L’exode en cours pourrait concerner 7 millions de personnes d’ici à la fin de l’année 2020, ce qui constitue la seconde crise migratoire à l’échelle mondiale, derrière la Syrie, mettant sous pression les infrastructures d’accueil de tous les États de la région. Face à ce constat, il est essentiel de permettre l’accès des acteurs humanitaires au territoire vénézuélien.
Sur le plan politique, nous sommes confrontés à un blocage des discussions qui devaient aboutir à la mise en place d’un processus électoral libre et crédible. Le processus de médiation dit d’Oslo entre le régime et l’opposition a été ajourné sine die le 15 septembre par l’opposition, après que M. Maduro a lui-même suspendu, au mois d’août, sa participation à cet espace de dialogue.
Alors, face à l’impasse, la France et l’Union européenne portent le même message. L’issue à cette crise ne peut être que pacifique et négociée. Elle passe par l’organisation d’élections présidentielles crédibles qui permettront au peuple vénézuélien de choisir de nouveau son destin.
Le groupe de contact international, auquel participe la France, a pour mandat de créer les conditions d’une telle solution négociée, tout en améliorant l’accès de l’aide humanitaire aux Vénézuéliens. Ce groupe de contact, qui s’est encore réuni cette semaine, a permis des progrès significatifs en matière d’acheminement de l’aide humanitaire. Sur le plan politique, ce groupe appelle à la tenue, dès que possible, d’élections présidentielles libres, transparentes et crédibles. Il incite à travailler, pour y parvenir, à l’élaboration d’une feuille de route recensant les garanties nécessaires à mettre en œuvre pour y arriver. Le groupe de contact international constitue aujourd’hui le seul groupe capable de parler aux deux parties. Ces efforts coordonnés doivent être poursuivis et encouragés, et vous pouvez compter sur nous pour ce faire.
Par ailleurs, nous rejetons fermement tout recours à la force, qu’il soit le fait des Vénézuéliens eux-mêmes ou de puissances étrangères.
Pendant que les discussions sont suspendues, les droits de l’homme sont toujours bafoués par le régime de Nicolás Maduro, comme l’a tristement documenté le rapport publié le 5 juillet dernier par la haut-commissaire aux droits de l’homme des Nations unies, Mme Michelle Bachelet. La répression touche avant tout les populations les plus défavorisées et de fortes présomptions d’exécutions extrajudiciaires dans les quartiers populaires ont été mises en lumière par la haut-commissaire.
Je tiens à le dire ici très solennellement, la France appuie sans réserve l’action de la haut-commissaire et condamne fermement la répression violente des manifestations, ainsi que les menaces et les violations des droits de l’homme survenues dans les derniers mois à l’encontre d’élus et de représentants de l’opposition. Vous avez mentionné Edmundo Rada, conseiller municipal de Caracas, membre du parti d’opposition Voluntad popular. Nous appelons à faire la lumière sur les circonstances de sa mort, le 17 octobre dernier.
Nous appelons également à la libération immédiate, complète et irréversible des prisonniers politiques.
Ces violations des droits de l’homme nous conduisent à regretter que le Venezuela ait été élu, il y a deux semaines, par l’Assemblée générale des Nations unies pour siéger pendant trois ans au Conseil des droits de l’homme. La France, en lien avec ses partenaires européens, veillera avec rigueur à la manière dont le Conseil conduira sa mission l’an prochain dans ce contexte, comme l’a indiqué, dès le 22 octobre dernier, la porte-parole de Federica Mogherini, la Haute Représentante de l’Union européenne. Cette élection, qui illustre les clivages internationaux sur le sujet du Venezuela, me semble devoir nous conduire à rechercher encore davantage une solution endossée par tous les acteurs.
J’en viens aux différentes questions et remarques au cœur de cette résolution sur les initiatives actuellement prises par la France pour faire cesser les atteintes aux droits de l’homme au Venezuela.
Tout d’abord, votre résolution nous interroge sur notre position à l’égard de l’enquête préliminaire de la Cour pénale internationale concernant le Venezuela. La position de la France ne varie pas : nous soutenons, sans réserve, sans préjugé, sans arrière-pensée, la lutte contre l’impunité des auteurs des crimes les plus graves, considérant qu’elle contribue directement à la paix, à la stabilité et à la sécurité internationales tout en répondant à une demande de justice légitime de la part des victimes.
En septembre 2018, le Canada et cinq États latino-américains – Argentine, Chili, Colombie, Paraguay et Pérou – ont adressé à la Cour pénale internationale un renvoi concernant la situation au Venezuela depuis février 2014 et demandant au procureur d’ouvrir une enquête sur d’éventuels crimes contre l’humanité.
Le Président de la République s’est exprimé clairement sur ce sujet : le processus en cours concernant le Venezuela est bien de nature à établir les faits qui ont conduit à la crise et à contribuer ainsi à y trouver une issue.
Nous devons ici nous en souvenir, c’est la première fois depuis l’entrée en vigueur du statut de Rome en 2002 qu’un groupe d’États défère une situation concernant le territoire d’un autre État partie, également lié par ce statut devant la Cour pénale internationale. Au-delà du cas précis du Venezuela, cette appropriation nouvelle du statut de Rome montre l’importance du rôle de cette Cour pénale internationale et la promotion, par de nombreux États, de la lutte contre l’impunité.
Nous suivons donc avec attention la procédure actuellement menée par le bureau du procureur de la CPI, Mme Fatou Bensouda, qui étudie l’ouverture d’une enquête. Notre position consiste à soutenir les travaux de la CPI et à faire une confiance totale, sans réserve et sans arrière-pensée, à cet organe.
Dans le même sens, j’ai évoqué le rapport de la haut-commissaire aux droits de l’homme paru en juillet dernier. Il a conduit le Conseil des droits de l’homme des Nations unies à instaurer une mission de vérification des faits sur place. Ces initiatives nous semblent de nature à démêler l’écheveau des responsabilités aboutissant à la situation de crise que connaît le Venezuela et que vous avez tous très bien décrite.
Votre résolution souligne ensuite les liens entre les fonds et le narcotrafic ou le terrorisme. Il s’agit également pour nous d’éviter, de manière concrète, que le régime n’ait les moyens de poursuivre sa répression et les atteintes aux droits de l’homme. En novembre 2017, à la suite des répressions de manifestations observées sur place en 2014 et 2017, l’Union européenne a mis en place un embargo sur les matériels de guerre et les équipements sensibles pouvant être utilisés pour la surveillance et la répression de la population vénézuélienne par le régime de Nicolás Maduro. Ces dispositions, vous l’imaginez – il n’est pas besoin de vous le rappeler, mais je le fais quand même –, sont bien sûr strictement appliquées par la France.
La France a noté que le régime de Nicolás Maduro recourait à d’autres acteurs extérieurs pour maintenir son contrôle sur la population. Nous exhortons – je le fais très solennellement ici devant vous – l’ensemble des États à favoriser des négociations qui sont d’abord politiques.
J’en viens maintenant à la pression que nous mettons en œuvre dans un cadre européen. J’ai pris connaissance de la proposition de résolution du Sénat relative aux sanctions et au contrôle des fonds : je tiens à le dire ici, nous maintenons un effort continu en ce sens.
L’Union européenne a annoncé, le 27 septembre, de nouvelles sanctions individuelles à l’encontre de 7 membres du régime vénézuélien directement impliqués dans des atteintes aux droits de l’homme, ce qui porte à 25 les personnalités vénézuéliennes sanctionnées par l’Union. Les sanctions sont envisagées comme un mécanisme d’incitation aux négociations, elles peuvent donc être modulées selon l’évolution de la situation sur place. Ces sanctions individuelles prévoient un gel des avoirs des personnalités vénézuéliennes concernées, ainsi qu’une interdiction d’admission sur le territoire de l’Union européenne, et donc en France métropolitaine, comme dans les départements, régions et collectivités d’outre-mer. Au vu des atteintes renouvelées aux droits de l’homme et de l’impasse politique, nous étudions de nouvelles possibilités de désignations individuelles avec nos partenaires européens.
L’action de la France, saluée par nos interlocuteurs et vous-mêmes, conjugue donc l’appui aux négociations et la pression sur les autorités vénézuéliennes, au moyen de sanctions individuelles décidées avec nos partenaires européens.
Je voulais, pour conclure, vous dire que, au fond, nous soutenons cette résolution sur son analyse de la situation et sur la nécessaire pression à exercer sur les autorités vénézuéliennes actuelles.
Sur le point spécifique de la saisine de la Cour pénale internationale – et donc sur votre demande implicite que la France rejoigne les pays signataires du dossier en cours devant la CPI – nous avons une approche quelque peu différente.
Nous apportons un soutien général et entier aux travaux de la CPI. Nous faisons confiance à cet organe, y compris pour examiner la situation au Venezuela. Il est, selon nous, nécessaire d’établir les faits qui ont conduit à la crise et que la CPI contribue à y trouver une issue. Cela implique que son travail puisse être accepté par toutes les parties – gouvernement et opposition –, qu’il favorise une solution politique négociée, alors qu’il risque d’être instrumentalisé et politisé, et qu’il constitue ainsi bien un préalable. Sans préjuger de ses conclusions, nous suivrons très attentivement son évolution. Cela ne nous empêche pas d’être attentifs aux travaux menés et de tirer, ensuite, toutes les conséquences quand les faits auront été établis et caractérisés par la CPI.
J’espère ainsi, madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, avoir pu répondre à vos interrogations.
Je vous remercie à nouveau pour votre travail de vigilance sur ce sujet ô combien important en Amérique latine, mais aussi pour la réaffirmation des principes que nous défendons ensemble au nom de notre liberté, de l’égalité et de la fraternité. (Applaudissements.)