Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Éric Bocquet, Mme Jacky Deromedi.
2. Questions d’actualité au Gouvernement
M. Jean-Pierre Sueur ; Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Jean-Pierre Sueur.
état du risque terroriste en france
M. Dany Wattebled ; M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur ; M. Dany Wattebled.
annulation de colloques dans les universités
M. Gérard Longuet ; M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
Mme Catherine Morin-Desailly ; M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; Mme Catherine Morin-Desailly.
M. Thani Mohamed Soilihi ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports.
agence nationale de la cohésion des territoires
M. Éric Gold ; M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement.
devenir de la ligne perpignan-rungis
M. Pascal Savoldelli ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports ; M. Pascal Savoldelli.
M. Antoine Lefèvre ; Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Antoine Lefèvre.
Mme Gisèle Jourda ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
M. Philippe Pemezec ; M. Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire aux retraites, délégué auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; M. Philippe Pemezec.
formation des infirmières de bloc opératoire diplômées d’état
Mme Sonia de la Provôté ; Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; Mme Sonia de la Provôté.
politique du gouvernement en matière d’écologie, notamment sur la qualité de l’air
M. Jean-François Husson ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports ; M. Jean-François Husson.
annonces faites par le gouvernement en ce qui concerne les proches aidants
M. Martin Lévrier ; Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées.
vitesse sur les routes départementales
M. Jean-Marc Boyer ; M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur.
pauvreté et inégalités sociales
M. Roland Courteau ; Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Troendlé
3. Mises au point au sujet de votes
4. Donner des armes à l’acier français, accompagner la mutation d’une filière stratégique. – Débat organisé à la demande d’une mission d’information
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances
M. Bernard Buis ; Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
M. Fabien Gay ; Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
M. Dany Wattebled ; Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
Mme Nadia Sollogoub ; Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances ; Mme Nadia Sollogoub.
Mme Sophie Primas ; Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
M. Jean-Claude Tissot ; Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
Mme Véronique Guillotin ; Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
Mme Anne-Catherine Loisier ; Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances ; Mme Anne-Catherine Loisier.
Mme Martine Filleul ; Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
M. Cyril Pellevat ; Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
M. Jean-Marc Todeschini ; Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
Mme Christine Lavarde ; Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances ; Mme Christine Lavarde.
Mme Martine Berthet ; Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
Mme Valérie Létard, rapporteure
Suspension et reprise de la séance
5. Quel avenir pour l’enseignement agricole ? – Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste
M. Pierre Ouzoulias, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation
6. Violations des droits humains au Venezuela. – Adoption d’une proposition de résolution
Discussion générale :
M. Olivier Cadic, auteur de la proposition de résolution
Clôture de la discussion générale.
Texte de la proposition de résolution
Adoption, par scrutin public n° 20, de la proposition de résolution.
COMPTE RENDU INTÉGRAL
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Éric Bocquet,
Mme Jacky Deromedi.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je tiens à excuser M. le Premier ministre, qui ne peut être présent et qui m’en a informé.
Mes chers collègues, je vous rappelle que notre séance est retransmise en direct sur Public Sénat, ainsi que sur notre site internet. Chacun respectera son temps et, naturellement, chacun respectera l’autre.
carte judiciaire (i)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Jean-Pierre Sueur. Ma question s’adresse à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice.
Madame le garde des sceaux, vous avez déclaré que votre seule boussole était l’intérêt du justiciable et l’intérêt général. Je crains que vous n’ayez égaré la boussole ! (Sourires.) En effet, nous avons appris l’existence d’un document, issu de votre cabinet, qui met scandaleusement en cause la neutralité du service public dont vous avez la charge.
Madame le garde des sceaux, premièrement, étiez-vous au courant de l’existence de ce document ?
Deuxièmement, avez-vous demandé qu’il soit établi ?
Troisièmement, puisqu’il a été communiqué au cabinet du Premier ministre, avez-vous reçu du Premier ministre instruction de le faire établir ?
Quatrièmement, avez-vous diligenté une enquête pour savoir dans quelles conditions et par qui ce document a été établi ?
Cinquièmement, quelles sanctions prévoyez-vous de mettre en œuvre à l’égard de ceux qui sont responsables de cette atteinte intolérable à la neutralité du service public dont vous avez la charge ? (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes CRCE et UC.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Jean-Pierre Sueur, oui, je le dis très clairement et je le revendique, ma boussole, c’est l’intérêt du justiciable et c’est l’intérêt général ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – Exclamations sur les travées des groupes SOCR et Les Républicains.)
D’ailleurs, toutes les décisions prises pour faire évoluer les juridictions – je pense à la fusion entre le tribunal de grande instance et le tribunal d’instance, qui va donner naissance au tribunal judiciaire le 1er janvier prochain, ou à l’éventuelle répartition des contentieux spécialisés entre les juridictions – reposent sur une procédure qui a été clairement établie dans la loi de réforme de la justice votée par le Parlement et promulguée le 23 mars dernier.
Oui, toute la procédure repose sur des critères objectifs, qui sont très clairs et très transparents.
Elle repose également sur une analyse contextuelle, donc politique, d’une situation, au sens où elle prend en compte, et je le revendique, des critères socio-économiques, démographiques et géographiques. C’est cela qui forme la polis, c’est-à-dire qui fait la vie de la cité. (Marques d’ironie sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Et la question ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je le dis en toute clarté devant vous, je réfute totalement l’idée qu’un quelconque élément partisan présiderait à l’élaboration des décisions publiques. C’est ce que je tenais à réaffirmer devant vous ! (M. François Patriat applaudit.)
M. Philippe Dallier. Mais d’où vient la note ?
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour la réplique.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame le garde des sceaux, vous n’avez répondu ni à ma première question, ni à la deuxième, ni à la troisième, ni à la quatrième, ni à la cinquième ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes SOCR et Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes CRCE et UC.)
Vous croyez que c’est habile, alors que cela ne l’est pas du tout ! Au contraire, c’est consternant, parce qu’il reste cette atteinte intolérable à la neutralité du service public de la justice, dont vous avez la charge personnellement, ce qui n’est tout même pas rien dans notre République ! (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes CRCE et UC.)
état du risque terroriste en france
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled, pour le groupe Les Indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)
M. Dany Wattebled. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec un vocabulaire simpliste et le portrait d’un chien, le président Trump a annoncé la mort du calife autoproclamé d’une organisation terroriste.
Le problème, c’est qu’il y a toujours quelqu’un pour devenir calife à la place du calife ! (Sourires.)
M. Roger Karoutchi. En effet, cela arrive souvent !
M. Dany Wattebled. Le caractère nébuleux de ces organisations n’est plus à démontrer, et le chemin sera encore long avant que nous ne venions à bout de l’hydre terroriste. Les djihadistes ont certes beaucoup reculé et subi, ces derniers temps, des revers. Le groupe terroriste qui contrôlait la zone entre l’Irak et la Syrie a perdu beaucoup de terrain. Nombre de ses membres sont morts ou emprisonnés.
Beaucoup de djihadistes occidentaux, notamment français, sont détenus dans des zones de troubles. Ne parvenant pas à trouver une solution qui soit satisfaisante, le Gouvernement a fait le choix de les laisser à leurs geôliers étrangers.
M. Roger Karoutchi. Eh bien oui !
M. Dany Wattebled. Beaucoup d’entre eux risquent de parvenir à s’échapper, et ceux qui sont entrés dans la clandestinité pourraient revenir en France dans les mois qui viennent.
À l’heure où l’Afghanistan est susceptible de redevenir une base arrière du djihadisme, à l’heure où le contrôle du Kurdistan syrien et des terroristes qui y sont détenus est fragilisé par une offensive unilatérale de la Turquie, il est à craindre que le risque terroriste n’ait pas pour autant disparu, notamment pour nos concitoyens, dans notre pays.
Nous avons tous besoin de savoir à quelles menaces la France est aujourd’hui exposée du fait de cette situation. Pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, quel est l’état du risque terroriste en France et si de nouvelles mesures sont prévues pour les prévenir ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)
M. Emmanuel Capus. Excellent !
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur Wattebled, nous vivons, chaque jour, à chaque instant, sur le territoire national, avec un risque terroriste élevé. Nous l’avons vu, hélas, ces dernières années, depuis 2015, avec les attentats terroristes, et même depuis 2013, lorsque les premiers ressortissants français se sont rendus sur les théâtres de guerre que vous évoquiez à l’instant, j’y reviendrai.
Nous l’avons vécu récemment à Trèbes, à Strasbourg ou, plus récemment encore, à la préfecture de police de Paris, avec la mort de nombre de nos compatriotes. Oui, l’on voit combien nous devons vivre avec ce risque.
Ce que nous constatons, monsieur le sénateur, est différent de ce qui prévalait en 2015 et dans les années suivantes, car le risque est aujourd’hui essentiellement endogène. Il n’est plus ce risque exogène ou projeté que nous avons connu. Il n’empêche qu’il existe encore.
Vous avez évoqué l’intervention américaine, qui a permis de neutraliser le chef terroriste dont je ne souhaite même pas prononcer le nom. J’ai immédiatement donné des instructions précises à l’ensemble de nos forces de sécurité intérieure pour prévenir, au cas où, tous les risques de rebond ou de vengeance auxquels nous pourrions être confrontés.
Je vous signale d’ailleurs que Daech n’a toujours pas reconnu, au moment où je vous parle, la neutralisation de celui qui fut son chef. Je n’exclus pas que le risque puisse être lié à ce moment d’expression.
C’est la raison pour laquelle l’ensemble de nos services de sécurité intérieure sont mobilisés en vue de parer les coups qui pourraient venir.
Vous m’interrogez également sur la situation de ces Français actuellement détenus dans différentes prisons localisées en Syrie. Des femmes françaises, pas forcément identifiées comme terroristes ou porteuses d’un risque terroriste du degré le plus élevé, ont été libérées. Nous veillerons à les faire interpeller si elles veulent revenir sur le territoire national.
C’est le cas, monsieur le sénateur, pour la totalité des « retournistes ». À ce jour, près de trois cents « retournistes » sont revenus sur le territoire national, et nous les connaissons. Ils sont systématiquement interpellés, judiciarisés et sanctionnés. C’est ainsi que nous continuerons de procéder pour tous ceux qui pourraient revenir du théâtre de guerre. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled, pour la réplique.
M. Dany Wattebled. Je vous remercie de vos explications, monsieur le ministre. Il faudra redoubler de vigilance dans les temps qui viennent.
annulation de colloques dans les universités
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour le groupe Les Républicains. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Gérard Longuet. Ma question s’adressait à M. le Premier ministre, parce qu’il s’agit ici, d’abord et avant tout, de la cohérence gouvernementale, dont le Premier ministre a normalement la responsabilité.
Mme Sylviane Agacinski a été privée par la présidente de l’université Bordeaux-Montaigne du droit de s’exprimer. Ce sont les faits.
La réaction gouvernementale est surprenante. Mme Marlène Schiappa a sauvé l’honneur du Gouvernement en exprimant publiquement son désaccord. Qu’il en soit donné acte !
Mme le ministre de l’enseignement supérieur, qui est directement concernée, puisqu’il s’agit de l’université, a répondu d’une façon assez ambiguë à notre excellent collègue, Charles de la Verpillière, juriste éminent, qu’un forum serait organisé… Je souhaite pour elle que ce forum soit accepté par les minorités qui avaient précédemment refusé l’intervention de Mme Agacinski !
D’autres ministres auraient pu, eux aussi, s’exprimer. Je m’adresse notamment à M. Castaner, puisque des agents du service public ont été privés d’une formation organisée par l’université Paris I Panthéon-Sorbonne. Destinée à les sensibiliser sur le terrain de la radicalisation, elle devait être dispensée par M. Mohamed Sifaoui, qui est bien connu dans ce domaine.
De même, alors que je crois savoir qu’il y a un ministre de la culture, je ne l’ai pas entendu se désolidariser de ceux qui ont déprogrammé Charb, c’est-à-dire M. Charbonnier. Assassiné avec ses camarades de Charlie Hebdo, celui-ci est privé, à titre posthume, du droit de s’exprimer tant à l’université que dans des théâtres municipaux.
Telle est la situation. Et demain, le ministre de la culture sera saisi du cas de journalistes qui n’auront plus le droit de s’exprimer en direct. C’est déjà le cas d’Éric Zemmour, qui est visé par une pétition de journalistes. (Vives protestations sur les travées des groupes CRCE et SOCR.)
Mme Esther Benbassa. Vous mélangez tout !
M. Gérard Longuet. Enfin, chers collègues, nous avons en cet instant la certitude que vous ne respectez le droit de parler que si, et seulement si, les minorités turbulentes en donnent l’autorisation ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)
M. David Assouline. C’est honteux !
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le président Longuet, le problème que vous soulevez est bien réel.
L’université s’est construite en Europe sur les principes de la liberté de conscience et de la liberté d’expression, qui, d’une certaine façon, portent notre civilisation depuis son origine. Au fondement de l’humanisme qui la caractérise, il y a la liberté d’expression.
Ce qui s’est passé à Bordeaux et à Paris est absolument inacceptable et doit d’autant plus nous alerter que ce mouvement n’est pas spécifiquement français. Nous assistons à l’émergence d’un nouveau maccarthysme, qui entend s’attaquer à la liberté d’expression.
Chacun sait que ce que veut défendre Mme Agacinski ne correspond pas aux positions du Gouvernement. Mais c’est notre honneur, comme l’a fait Marlène Schiappa, que de s’inscrire dans la lignée de Voltaire et de dire que, si nous ne sommes pas d’accord avec Mme Agacinski, nous sommes prêts à nous battre pour qu’elle puisse s’exprimer.
Il est triste que la jeunesse soit parfois enrôlée dans des manifestations d’intolérance visant à empêcher le déroulement d’une intervention de ce genre.
Par ailleurs, les présidents d’universités prennent des décisions en vertu du principe de l’autonomie des universités, qui est gravé dans nos traditions. Il n’appartient pas à la ministre de l’enseignement supérieur – je m’exprime en son nom et vous prie de bien vouloir excuser son absence, puisqu’elle assiste, avec le Président de la République, à un congrès sur l’intelligence artificielle –, de prendre directement ces décisions, qui relèvent des présidents d’universités.
Il n’en demeure pas moins qu’il est en effet de notre rôle – c’est ce que fait l’ensemble du Gouvernement – de condamner ce qui s’est passé dans les deux cas.
S’agissant du report du séminaire prévu à Paris I-Sorbonne, nous déplorons ce qui s’est passé. Il est tout à fait anormal d’intimider M. Mohamed Sifaoui, qui se bat courageusement contre la radicalisation et qui avait monté ce séminaire de concert avec le Conseil français du culte musulman, le CFCM, une organisation qui ne saurait en aucun cas être considérée comme extrémiste.
Bien entendu, nous suivrons cette affaire, parce qu’il n’est pas normal d’en rester là. Il ne peut y avoir de victoire de ceux qui sont les ennemis de la liberté ! (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, Les Indépendants et RDSE. – Mme Françoise Gatel applaudit également.)
annulations forcées de colloques dans les enceintes universitaires sous la pression de groupes activistes
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Catherine Morin-Desailly. Ma question s’adressait à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Elle prolonge d’une certaine manière celle de Gérard Longuet.
Il y a eu l’annulation par l’université Paris I-Panthéon-Sorbonne, en raison d’un climat de pressions et de menaces, de la formation sur la prévention de la radicalisation, qui devait être dispensée, à la fin novembre, par l’écrivain et journaliste Mohamed Sifaoui.
Notre groupe s’est également inquiété de l’annulation, le 24 octobre dernier, par l’université Bordeaux-Montaigne de la conférence au cours de laquelle la philosophe Sylviane Agacinski devait s’exprimer sur « L’Être humain à l’époque de sa reproductibilité technique », dans le cadre d’un cycle de huit conférences destinées à « promouvoir un usage critique des savoirs qui permette de penser ensemble notre monde et ses enjeux ». Que se passe-t-il donc à l’université ?
Cette dernière manifestation a été annulée en raison, je cite les organisateurs, de « menaces violentes » émanant de « groupes » opposés aux positions de la philosophe sur les sujets actuellement en débat de la PMA et de la GPA, un débat qui viendra bientôt au Sénat et pour lequel, en amont, sont auditionnés tous les points de vue, ce qui reste encore l’une des meilleures façons de se construire un jugement.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Ces faits sont choquants pour nombre de nos concitoyens, car ils s’apparentent à des prises d’otages par des activistes identifiés qui font désormais ainsi régner, ici et là, une forme de terreur intellectuelle.
Monsieur le ministre, mes questions sont assez précises : trouvez-vous normal que les présidents d’université concernés, sans doute eux-mêmes menacés, aient été obligés de céder aux injonctions de ces individus ?
Pourriez-vous aussi nous dire, par conséquent, les mesures très concrètes que vous comptez prendre pour garantir au sein de ces établissements la liberté d’expression et les conditions de débats d’idées sereins ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Morin-Desailly, votre question prolonge en effet celle du président Gérard Longuet. Je me permets donc de prolonger ma réponse.
Tout comme vous, Frédérique Vidal et l’ensemble des membres du Gouvernement manifestent leur désapprobation de ce type d’actions extrémistes, qui vont contre la liberté de conscience et contre la liberté d’expression. C’est tout à fait contraire à toutes les traditions universitaires. Et il n’y a aucun laxisme de la part du Gouvernement vis-à-vis de ce type de manifestations.
Je vais citer un incident du même type survenu voilà quelques semaines : l’interruption de la pièce de théâtre Les Suppliantes d’Eschyle, qui ne correspond pas, à ma connaissance, à quoi que ce soit d’inacceptable.
L’interruption de cette représentation était évidemment tout à fait scandaleuse ! Or, pour bien montrer leur désapprobation, la ministre de l’enseignement supérieur a assisté à la reprise de cette pièce, qui a eu lieu quelque temps plus tard, en compagnie du ministre de la culture, Franck Riester.
La réaction intervient nécessairement avec un temps de retard, parce que les choses se passent rapidement et dans le cadre de l’autonomie des universités. Les deux cas que vous avez cités, ceux de Bordeaux et Paris, sont différents, mais ils sont suivis l’un et l’autre par la ministre de l’enseignement supérieur.
La formation prévue à Paris I aura bel et bien lieu. Il est en effet normal de s’interroger sur une sorte de censure exercée à l’encontre d’une personne qui devait s’exprimer. J’appelle d’ailleurs l’ensemble de la société civile à s’interroger sur ce que l’université doit faire dans ce genre de situation.
Une nouvelle conférence sera organisée à Bordeaux-Montaigne. La ministre y veille elle-même. Il est probable qu’elle s’en assurera personnellement, avec la présidente de l’université, qui a eu comme première préoccupation le maintien de l’ordre public.
Il faut bien comprendre en effet que les présidents d’universités sont confrontés à des gens qui choisissent de menacer de rompre l’ordre public. Cela n’est pas acceptable, et nous ne l’accepterons pas ! (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour la réplique.
Mme Catherine Morin-Desailly. Plus le droit de débattre, peut-être bientôt plus le droit de réfléchir ! Mes chers collègues, cette montée de l’intolérance est extrêmement préoccupante surtout si elle doit aller parfois jusqu’aux menaces physiques, voire plus encore.
En tout cas, monsieur le ministre, vous en conviendrez, l’université française doit vraiment rester le lieu de la dialectique et de la controverse, de l’accès au savoir et à la formation. Nous comptons sur vous et sur Mme la ministre Frédérique Vidal pour faire en sorte qu’il en reste ainsi ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
situation à la sncf
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour le groupe La République En Marche.
M. Thani Mohamed Soilihi. Ma question s’adresse à M. le secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports.
Le 16 octobre dernier, à la suite d’un accident survenu entre un TER et un convoi routier exceptionnel coincé sur un passage à niveau dans les Ardennes, des centaines de conducteurs de train ont fait valoir leur droit de retrait, en solidarité avec le conducteur blessé, qui était seul à bord de son train.
Depuis lundi, deux cents cheminots du technicentre de Châtillon ont également cessé le travail pour protester contre la remise en cause de douze journées de repos compensatoires, projet qui a été retiré depuis lors.
La méthode a été contestée, car ce mouvement social inopiné, qui a commencé en pleine période de vacances scolaires, provoque d’importantes perturbations et la colère de millions d’usagers. En effet, si la grève est un droit que personne ne conteste, celui-ci doit néanmoins s’exercer dans le respect de certaines règles, qui permettent aux cheminots d’exprimer leurs revendications tout en limitant la gêne causée pour les usagers, notamment en prévenant ces derniers.
Par ailleurs, ces grèves interviennent à quelques semaines d’un mouvement de protestation contre la réforme des retraites ; il a, quant à lui, fait l’objet d’un préavis.
Ces actions semblent s’installer dans la durée et traduisent, à n’en point douter, un malaise chez les cheminots, qui est lié à des changements imminents et annoncés de direction et de statut, auxquels s’ajoute la prochaine réforme des retraites.
Comment sont accompagnés ces changements à venir et, en particulier, celui du statut, qui interviendra le 1er janvier 2020 ?
Monsieur le secrétaire d’État, je connais votre engagement en faveur du service public. Pouvez-vous nous indiquer quelles mesures sont prises pour un dialogue social de qualité ? (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des transports.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Monsieur le sénateur Thani Mohamed Soilihi, comme vous l’avez dit, la SNCF connaît des transformations profondes : transformation de l’entreprise elle-même, le 1er janvier prochain, évolution des métiers, ouverture à la concurrence. Ces transformations peuvent être source d’inquiétudes pour les cheminots.
Dès lors, il est essentiel qu’un dialogue social de qualité puisse s’y déployer. Je fais toute confiance à M. Jean-Pierre Farandou, qui prendra après-demain les fonctions de président du directoire de la SNCF, pour impulser une nouvelle dynamique, au plus près des territoires et des préoccupations des cheminots.
La réforme des retraites fait pour sa part l’objet actuellement de discussions avec les syndicats, dont je recevrai les représentants demain, en compagnie de M. Jean-Paul Delevoye, afin d’évoquer ensemble les modalités de transition vers le régime universel.
Pour autant, force est de constater que les mouvements des dernières semaines n’ont respecté ni la lettre ni l’esprit de la loi du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs. Cela s’est fait au détriment de très nombreux voyageurs, usagers et clients de la SNCF. Il revient à celle-ci – le Premier ministre a été clair sur ce point – de prendre les mesures qui s’imposent envers les agents qui n’auraient pas respecté le cadre fixé par la loi.
S’agissant du technicentre de Châtillon, le motif même de la grève est aujourd’hui invalidé, dans la mesure où le projet de réorganisation a été retiré par la directrice régionale.
Dès lors, les demandes de primes n’ont pas de justification, et les jours de grève ne seront pas payés. C’est en tout cas la position réitérée de l’entreprise comme du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – M. Emmanuel Capus applaudit également.)
agence nationale de la cohésion des territoires
M. le président. La parole est à M. Éric Gold, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Éric Gold. Ma question, qui porte sur l’Agence nationale de la cohésion des territoires, s’adresse à M. le ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Monsieur le ministre, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable interrogera la semaine prochaine le candidat aux fonctions de directeur général de l’Agence nationale de la cohésion des territoires, ou ANCT, M. Yves Le Breton, déjà nommé commissaire général à l’égalité des territoires et chargé, à ce titre, de la préfiguration de cette agence.
Auteurs de la proposition de loi qui a conduit à la création de l’ANCT, les membres de mon groupe s’intéressent bien sûr à son lancement et veilleront à ce que l’esprit initial du texte soit bien préservé. À cet égard, nous tenions à saluer le travail réalisé par le préfet Éric Morvan, qui cède sa place à M. Le Breton.
Selon l’esprit initial du texte, cette agence doit être au service des territoires ; elle doit constituer un guichet unique à la disposition d’élus locaux aujourd’hui déstabilisés par la multiplicité des opérateurs et la complexité des procédures. Il était question non pas d’ajouter une strate supplémentaire au mille-feuille que tous les élus dénoncent, mais de leur simplifier la vie et de favoriser l’émergence de projets, grâce à un soutien accru en matière d’ingénierie, notamment dans les communes les moins dotées en moyens humains et financiers.
Nous avons construit cette proposition de loi pour répondre aux attentes des territoires, qui aspirent à un service public pleinement utile, accessible et efficace.
À ce titre, des questions légitimes demeurent, car les députés ont pour le moins édulcoré le texte. Les élus nous demandent à quoi servira concrètement l’ANCT, et ils veulent savoir si toutes les collectivités pourront solliciter son soutien. Les deux questions sont directement liées, puisque, sans accès direct des élus locaux à l’ANCT, la raison d’être de cette dernière est clairement remise en cause.
Par ailleurs, la publication du décret fixant la composition du conseil d’administration de cette agence devait intervenir avant le Congrès des maires, mais elle semble avoir été reportée.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires, a déjà répondu à de nombreuses questions sur ces sujets, mais les incertitudes demeurent ; il est urgent de les lever.
Aussi, monsieur le ministre, j’aimerais que vous précisiez les missions de l’ANCT : est-elle destinée à décliner sur les territoires les programmes gouvernementaux ou, comme nous le souhaitons, à soutenir les projets des communes les plus fragiles ?
Dans quelles conditions les élus locaux pourront-ils solliciter l’aide de l’ANCT ?
Enfin, quelle place leur sera réservée au sein du conseil d’administration ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre chargé de la ville et du logement.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Je voudrais avant tout, monsieur le sénateur Gold, vous prier d’excuser l’absence de Mme Gourault ; comme vous le savez, elle participe aujourd’hui au congrès de l’association des dirigeants commerciaux de France, à Nice.
Je tiens ensuite à vous remercier, ainsi que l’ensemble des membres de votre groupe. Je me souviens très bien comment, en juillet 2017, alors que Jacques Mézard était ministre de la cohésion des territoires, nous avons défendu dans cet hémicycle le projet de création de l’ANCT, que votre groupe avait porté au Parlement. Un grand débat s’est tenu ici même et à l’Assemblée nationale. J’en veux pour preuve les quelque 200 amendements adoptés sur cette proposition de loi.
Je voudrais être très clair dans ma réponse aux questions que vous me posez : tout l’esprit du texte initial doit être préservé et mis en application.
Très concrètement, cela signifie que, oui, l’ANCT interviendra comme soutien des territoires les plus fragiles, mais aussi en appui pour la mise en œuvre de grands projets de politiques publiques, tels que la revitalisation des centres-villes, les maisons France services, les territoires d’industrie, le plan France mobile, ou encore le plan France THD.
En outre, les communes et, plus généralement, les collectivités pourront saisir l’agence directement, via les interlocuteurs habituels que sont pour elles les préfets, qui seront les représentants de l’ANCT sur tous les territoires.
Cette agence est un outil de l’État au service des collectivités. Nous avions coutume, lors du débat préalable à sa création, d’expliquer que ce serait une agence de projets au service des collectivités. Elle doit le rester, et non former une strate supplémentaire du mille-feuille administratif.
Enfin, l’élaboration des textes réglementaires est bien en cours. Le décret que vous évoquez est examiné en ce moment même par le Conseil d’État. La part des collectivités dans les organes de gouvernance sera totalement assurée. Mme Gourault écrira dans les tout prochains jours aux associations d’élus pour avoir leur retour sur leurs représentants. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
devenir de la ligne perpignan-rungis
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Pascal Savoldelli. Ma question s’adresse à M. le secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports.
Monsieur le secrétaire d’État, nous n’avons cessé, des mois durant, d’alerter le Gouvernement sur la situation de la ligne ferroviaire qui assurait, jusqu’à il y a peu, le transport de 400 000 tonnes de fruits et légumes entre Perpignan et le marché d’intérêt national de Rungis. Pourtant, le train a disparu !
Vous nous parlez d’urgence écologique, mais vous remettez sur la route 25 000 camions par an avec cette suppression ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.)
Vous nous parlez d’amélioration de la sécurité routière et de la santé de la population, mais vous alimentez encore la surcharge des trajets domicile-travail avec ces véhicules additionnels et vous provoquez l’augmentation des nuisances, du stress, des ralentissements, de la pollution et des risques d’accident ! (Mêmes mouvements.)
Grâce aux mobilisations, notamment celle d’élus qui sont présents aujourd’hui dans cet hémicycle et dont je tiens à saluer l’action, un comité de pilotage a été tardivement, mais finalement, mis sur pied, qui regroupe tous les acteurs concernés.
Mes chers collègues, plus de quinze rencontres et visioconférences se sont tenues depuis mars 2019. Des élus, des acteurs économiques, des cheminotes et des cheminots, des citoyennes et des citoyens se sont mobilisés pour conserver ce mode de transport, le plus efficace économiquement et le plus écologique.
Monsieur le secrétaire d’État, vous engagez-vous, oui ou non, à ce que cette ligne soit rouverte dès le mois de novembre 2019 ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SOCR et Les Républicains.)
M. Jean Bizet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des transports.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Monsieur le sénateur Savoldelli, je voudrais tout d’abord rappeler les deux facteurs qui ont conduit à l’arrêt de la liaison ferroviaire entre Perpignan et Rungis.
En premier lieu, le volume de marchandises ainsi transportées a connu une réduction progressive, due – il faut le dire – à la dégradation de l’offre ferroviaire : je fais référence ici à des délais et à des annulations, mais aussi au fait que des wagons frigorifiques n’étaient plus dans l’état requis pour l’exploitation et laissaient des clients insatisfaits.
En second lieu, la demande même des clients a changé, notamment celle de la grande distribution. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)
M. Pascal Savoldelli. Nous y voilà !
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. Rappelons que les deux tiers des marchandises qui arrivaient à la gare de Rungis étaient transbordés directement sur camions pour aller alimenter les centrales d’achat de la grande distribution. Celle-ci a elle-même favorisé des solutions de transport alternatives, directes, par camions.
Vous avez vous-même rappelé que, depuis le printemps dernier, le Gouvernement et la région Occitanie sont mobilisés pour trouver une solution pérenne. Cela exige d’abord de reconstruire l’offre ferroviaire. Mme Borne, lorsqu’elle était ministre chargée des transports, et moi-même avons demandé deux choses à la SNCF : améliorer les horaires et régénérer les wagons. Aujourd’hui, la moitié d’entre eux sont déjà réparés.
Vous avez eu raison d’évoquer la très grande mobilisation, notamment des acteurs syndicaux, en faveur de cette liaison.
Reste la question la plus sensible : comment remettre des marchandises dans les deux sens – j’insiste sur ce dernier point. Nous travaillons depuis plusieurs semaines avec les chargeurs et les affréteurs, avec la SNCF et, tout particulièrement, SNCF Réseau, avec le marché d’intérêt national de Rungis et le marché de gros de Perpignan, et, enfin, avec la région Occitanie, afin de rendre viable le modèle économique de ce train.
Quant au calendrier, objet de votre question, l’objectif est bien évidemment de faire rouler un train le plus tôt possible, mais vous n’êtes pas sans savoir que les intempéries des 22 et 23 octobre derniers ont endommagé de façon assez importante le réseau ferroviaire en Occitanie ; elles ont notamment conduit à l’arrêt des circulations entre Béziers et Sète. (Marques d’ironie sur les travées des groupes CRCE et SOCR.)
M. Pierre-Yves Collombat. Quelle malchance !
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. Oui, c’est une réalité : vous conviendrez que les faits sont têtus !
En tout cas, soyez assuré que l’État est pleinement mobilisé aux côtés des acteurs que j’ai cités. Une réunion doit encore se tenir cette après-midi ; une autre demain. Je devrais être en mesure de vous annoncer très rapidement des mesures concrètes pour le retour à l’exploitation de ce train. (Applaudissements sur des travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour la réplique.
M. Pascal Savoldelli. Tout d’abord, monsieur le secrétaire d’État, répondez à mes collègues des Pyrénées-Orientales qui vous écrivent au sujet du sinistre qui affecte les réseaux de ce département.
Ensuite, un petit problème se pose : vous nous répétez sans cesse qu’il va y avoir une réponse, mais l’État a tout de même la responsabilité ! C’est vous qui décidez des infrastructures ! On est dans une situation de non-assistance écologique. Il est clair que le fret ferroviaire émet neuf fois moins de CO2 et consomme six fois moins d’énergie que le transport routier.
Depuis le mois de mars dernier, vous pourrissez la situation ! Vous avez été député, monsieur le secrétaire d’État, et vous nous avez vendu à ce titre la concurrence dans le transport ferroviaire. Ce dossier est enlisé depuis le mois de mars, et la concurrence n’apporte aucune réponse ! Elle n’est pas au rendez-vous écologique, elle n’est pas au rendez-vous social et elle n’est pas au rendez-vous économique !
M. le président. Il faut conclure !
M. Pascal Savoldelli. Nous vous sommons vraiment, maintenant, de répondre au sujet de la réouverture de cette ligne, seule ligne de fret ferroviaire en France ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SOCR et Les Républicains.)
carte judiciaire (ii)
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Antoine Lefèvre. Ma question s’adresse à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice. À la suite de M. Jean-Pierre Sueur, je veux, madame la garde des sceaux, vous parler de votre boussole…
Voilà une semaine que des révélations concernant un e-mail adressé par votre ministère au cabinet du Premier ministre plongent le monde judiciaire et les élus dans le désarroi et la consternation. Ce document, destiné à élaborer une stratégie à adopter pour la suppression de certains cabinets d’instruction, tend à fixer des cibles et à opérer un tri en fonction des scores obtenus par le parti présidentiel et de la couleur politique des élus des municipalités concernées.
Les villes potentiellement visées par ladite réforme se transforment en effet en véritables cibles électorales. Ce procédé est profondément choquant. Comment voulez-vous justifier, dans l’organisation territoriale de notre justice, une sanction envers les territoires qui ne voteraient pas comme il faut ?
L’intrusion de considérations politiciennes dans l’ordre judiciaire est un manquement grave à la stricte séparation des pouvoirs et aux fondements de la démocratie. Tous les services de l’État doivent naturellement agir dans l’impartialité, mais, s’il y en a bien un qui doit être le plus irréprochable de tous, c’est évidemment la justice.
Aussi, madame la garde des sceaux, je n’ai qu’une question à vous poser, et non pas cinq, et elle est simple ; j’espère donc obtenir de vous une réponse. Pouvez-vous nous assurer de la mise en place d’une procédure parfaitement transparente, avec des critères réellement objectifs, pour le regroupement territorial des pôles de l’instruction ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Lefèvre, la réponse est très claire : c’est oui ! (Exclamations ironiques sur les travées des groupes Les Républicains et SOCR.)
Oui, je puis vous assurer qu’il s’agit d’une procédure parfaitement rigoureuse, reposant sur des critères clairs, objectifs et partagés.
Cette procédure est construite sur le fondement de la loi adoptée par le Parlement. Les critères sont simples. Pour les juges d’instruction, il s’agit du nombre de dossiers traités sur cinq ans, ce qui nous donne une moyenne. Ces critères clairs et objectifs sont pondérés par la prise en compte d’une réalité géographique – les distances entre territoires –, d’une réalité socio-économique et d’une réalité territoriale. (Exclamations amusées sur les travées des groupes Les Républicains et SOCR.)
M. Roland Courteau. Ce n’est pas la question !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Cela aussi est écrit dans la loi : je vous rappelle qu’il y est expressément prévu que les conseils de juridiction, composés de magistrats, d’avocats et d’élus, seront systématiquement consultés. C’est écrit dans le texte de la loi !
Aujourd’hui, nous en sommes à des études préliminaires. Il est évident que ce processus est en cours.
Quant au document auquel vous faites allusion, j’ai déjà eu l’occasion de dire que l’écriture de cet e-mail de cabinet à cabinet était maladroite et inadaptée. (Rires ironiques sur les travées des groupes Les Républicains et SOCR.) En effet, elle ne correspond en aucune manière aux principes éthiques qui doivent guider l’élaboration de la décision publique.
M. Jean-Marc Todeschini. C’est le moins que l’on puisse dire !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. En matière d’organisation des juridictions, il va de soi que seuls comptent l’intérêt général et la réalité des territoires.
M. Michel Savin. Ah, l’intérêt général !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Des principes et une procédure claire : voilà ce qui écrit dans la loi ; voilà ce que nous faisons. Et nous serons comptables devant vous des résultats qui seront obtenus. (Applaudissements sur des travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre, pour la réplique.
M. Antoine Lefèvre. Madame la garde des sceaux, même si vous tentez de minimiser la portée réelle de cette affaire, vos éléments de réponse n’apaisent en rien le profond malaise qui secoue la magistrature et les territoires.
En effet, vos critères, madame la garde des sceaux, sont bien des critères politiciens, notamment quand cette note évoque la couleur politique des élus.
M. Jean-Marc Todeschini. Très bien !
M. Antoine Lefèvre. Il y a un an, sur ma proposition en tant que rapporteur spécial pour la mission « Justice » de la loi de finances, le Sénat avait décidé de valider les crédits de votre ministère.
Vous avez témoigné ce midi, au cours de votre audition par notre commission des lois, de votre reconnaissance envers le Sénat pour l’augmentation de ces crédits. Conscient de l’impératif de modernisation de votre ministère, le Sénat vous a soutenu, car nous vous faisions confiance pour agir dans l’intérêt du justiciable. En agissant de façon partisane, vous avez trahi cette confiance.
M. Simon Sutour. Démission !
M. Antoine Lefèvre. C’est aussi pour cette raison que notre commission des finances, lors de sa réunion d’hier, a décidé de ne pas approuver ces crédits pour 2020.
M. le président. Il faut conclure !
M. Antoine Lefèvre. Aujourd’hui, c’est avec une certaine amertume que nous constatons que ce lien de confiance est rompu par une politisation déplacée et indigne de la justice du XXIe siècle. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et SOCR, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.)
situation du monde agricole
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Jourda, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Gisèle Jourda. Ma question s’adressait à M. le ministre de l’agriculture, qui est absent de notre hémicycle aujourd’hui.
La semaine dernière, il revenait sur des dispositions budgétaires iniques relatives aux chambres d’agriculture. C’était une victoire pour nous tous, car nous nous étions tous fortement mobilisés contre cette coupe budgétaire inopérante et incohérente, qui portait gravement atteinte au monde agricole, mais aussi forestier.
Nous avons été entendus : c’est bien, mais c’est insuffisant. Les inquiétudes demeurent ancrées : nous craignons de voir réapparaître un tel dispositif lors de la conclusion des contrats d’objectifs.
Les chambres d’agriculture travaillent à l’accompagnement des professionnels confrontés à des défis sans précédent. Force est de constater que la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable, dite « loi Égalim », n’a pas eu les effets escomptés pour y répondre.
Non seulement le ruissellement annoncé n’a pas permis de revaloriser le revenu des agriculteurs, mais il a même pénalisé des PME alimentaires. La situation a empiré dans l’hyper-ruralité, notamment dans les zones défavorisées simples, où la réforme de l’indemnité compensatoire de handicaps naturels, ou ICHN, pilier de la politique agricole commune, a laissé sur le carreau de nombreux territoires, comme la Piège, dans l’Aude, ou encore le Gers. Et que dire des inquiétudes grandissantes sur l’avenir de notre PAC ?
Chiffre effarant, un tiers des agriculteurs gagne moins de 350 euros par mois ! Comment peut-on, au XXIe siècle, assurer le renouvellement des générations dans l’agriculture quand la promesse de revenus à venir est insuffisante ? C’est un défi immense pour la France, qui va voir un tiers de ses exploitants partir à la retraite avant 2030 – et quelle retraite !
Aussi, ma question est la suivante : que dites-vous aux paysans qui ont tant espéré du ruissellement promis par la loi Égalim et pour qui le compte n’y est pas ? Concrètement, comment allez-vous contraindre la grande distribution à mieux répartir la valeur ? (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre chargé des relations avec le Parlement.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice Jourda, je sais que ce sujet vous tient particulièrement à cœur.
Nous avons souhaité encourager, au travers de la mesure que vous avez évoquée, la modernisation du réseau des chambres d’agriculture, ce que ces dernières reconnaissent volontiers.
C’est dans ce contexte que nous avons proposé de diminuer de 45 millions d’euros le produit de la taxe affectée. Après un dialogue approfondi avec l’ensemble des parlementaires, y compris les sénateurs, le Gouvernement a décidé de retirer cette mesure du projet de loi de finances, afin d’engager une plus large concertation, qui prenne notamment en compte les questions de péréquation entre chambres d’agriculture et la question de la filière bois.
Par ailleurs, vous l’avez rappelé, l’objectif de la loi Égalim était de mieux répartir la valeur ajoutée. Les agriculteurs souhaitent obtenir une revalorisation de leurs revenus. Pour la première fois, au travers d’une loi, nous avons affirmé que la construction des prix devait se faire sur la base du coût de production.
Un an après le vote de la loi Égalim, il appartient aujourd’hui non seulement au Gouvernement, mais aussi à l’ensemble des acteurs du monde de l’agriculture, de peser pour observer la construction des prix et vérifier que les termes de la loi sont bien respectés.
Un an après, on constate des avancées dans un certain nombre de secteurs ; je pense à la filière lait ou à la filière porc. Reconnaissons cependant – le ministre de l’agriculture l’a dit lui-même – que le compte n’y est pas pour un certain nombre de filières, notamment la filière viande bovine.
Nous sommes dans la deuxième année d’entrée en vigueur de la loi Égalim, c’est-à-dire la première année de plein exercice. Nous verrons donc, au travers des contrôles et de la pression à exercer sur les uns et les autres, si les résultats sont au rendez-vous.
J’en profite pour évoquer la question des accords commerciaux, qui est importante pour les agriculteurs et qui les préoccupe, en particulier ceux de la filière viande bovine. Nous avons décidé de procéder à la ratification de l’accord économique et commercial global, ou CETA, et de soumettre celle-ci aux deux assemblées, et d’abord à l’Assemblée nationale. La vocation exportatrice de la France est importante, et il est vrai que, dans certains secteurs, cela pose des difficultés.
Je rappelle que, en ce qui concerne le CETA, la négociation a été lancée par le président Sarkozy, le terme de la négociation a été acté par le président François Hollande : nous sommes simplement dans la phase de ratification. Il y a donc une forme de continuité que chacun doit assumer. (Protestations sur les travées du groupe SOCR.)
M. Rachid Temal. Ce n’est jamais de votre faute !
M. Marc Fesneau, ministre. Tels sont, madame la sénatrice, les éléments de réponse que je pouvais vous apporter sur un certain nombre de sujets. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
réforme des retraites
M. le président. La parole est à M. Philippe Pemezec, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Pemezec. Ma question s’adresse à M. le haut-commissaire aux retraites, délégué auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
Monsieur le haut-commissaire, vous travaillez depuis deux ans à une réforme des retraites et, la semaine dernière encore, vous avez été désavoué par le Président de la République quant au modèle que vous proposiez.
Vous aviez annoncé un aboutissement de la réforme avant les municipales, puis après les municipales – ce qui est plus sage ! Cela semble maintenant repoussé aux calendes grecques.
Vous nous avez proposé de passer d’un système par répartition à un système par points. Vous avez annoncé la fin des régimes spéciaux, mais on apprend par la presse que cela tangue au sein du Gouvernement. Vous avez vous-même affirmé que l’option d’une réforme des régimes spéciaux pour les nouveaux entrants n’était pas votre tasse de thé ; elle est celle du Président de la République.
En vérité, une seule chose semble sûre : vous avez fait le choix de la baisse du pouvoir d’achat des retraités, puisque les pensions ne seront pas revalorisées en 2020.
Monsieur le haut-commissaire, le temps est venu de tomber les masques, de regarder les Français dans les yeux et de leur dire la vérité, sans « en même temps » permanent, sans en même temps et en permanence ménager la chèvre et le chou. Peut-être craignez-vous de revivre les grèves de 1995…
Je vous poserai deux questions.
Premièrement, êtes-vous prêt à proposer la suppression immédiate des régimes spéciaux et l’alignement des régimes du public sur ceux du privé sans décaler la réforme, quitte à introduire un peu de progressivité ?
Deuxièmement, êtes-vous prêt à reconnaître que notre système par répartition ne peut être maintenu que s’il y a un allongement de la durée de cotisation, du fait de l’espérance de vie qui s’allonge et du ratio entre bénéficiaires et cotisants, qui s’aggrave en permanence ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le haut-commissaire aux retraites.
M. Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire aux retraites, délégué auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, je vous remercie de me demander de préciser.
Il ne vous a pas échappé que, depuis deux ans – le temps de l’élaboration du rapport –, le cap est resté strictement identique, à savoir mettre en place un système universel des retraites, avec des principes extrêmement clairs : mêmes règles pour tous ; à carrières identiques, cotisations identiques et retraites identiques ; mise en place d’un régime universel, dont le but est de supprimer la totalité des régimes spéciaux – c’est écrit –, en acceptant quelques dérogations et spécificités… (Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et SOCR.)
M. Rachid Temal. Universel, dites-vous ?…
M. Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire. Attendez, n’allez pas si vite ! Certaines demandes de spécificités sont celles que vous soutenez. Je pense notamment aux militaires, aux fonctions régaliennes, mais aussi aux indépendants et aux commerçants, pour qui l’application stricte de ces règles créerait un déséquilibre économique. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
Les choses sont donc extrêmement claires. (Marques d’ironie sur les travées du groupe Les Républicains.)
Par ailleurs, le calendrier a été très clairement fixé par le Premier ministre devant le Conseil économique, social et environnemental.
M. François Bonhomme. Ce calendrier, il est mouvant !
M. Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire. Aujourd’hui, dans le cadre des 350 réunions organisées avec l’ensemble des ministres concernés, nous sommes en train d’examiner très concrètement comment garantir ce principe universel que notre société soutient.
En effet, nos concitoyens veulent les mêmes règles pour tous ; ils veulent des règles d’équité ; ils veulent que leur retraite soit calculée comme celle de leurs voisins ; et en même temps ils veulent que l’on examine très concrètement les conséquences, catégorie professionnelle par catégorie professionnelle.
Je le répète, 350 réunions sont programmées. En même temps (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), nous ouvrons un certain nombre de débats.
Permettez-moi de vous corriger, monsieur le sénateur : nous ne supprimons pas la répartition au profit du point, puisque l’élévation à trois plafonds représente le niveau de répartition le plus élevé des pays développés. C’est là le cœur de la solidarité intergénérationnelle à laquelle, je le sais, vous êtes profondément attaché. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Pemezec, pour la réplique.
M. Philippe Pemezec. Tout cela reste tout de même extrêmement flou… C’est un peu l’impression que nous laisse ce nouveau monde : un va-et-vient permanent et anxiogène, monsieur le haut-commissaire. La seule chose qui apparaisse évidente, c’est que les pensions vont baisser en 2020, puisque c’est inscrit dans le projet de loi de finances.
Le véritable courage aurait sans doute été d’admettre que, pour maintenir le niveau des pensions, il faut augmenter le temps de cotisation, comme l’ont fait d’ailleurs tous les pays voisins.
Le Président de la République affirme qu’il veut aller jusqu’au bout de cette réforme… Mais de quelle réforme s’agit-il ?
formation des infirmières de bloc opératoire diplômées d’état
M. le président. La parole est à Mme Sonia de la Provôté, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Sonia de la Provôté. Ma question s’adresse à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Je souhaite alerter sur la situation des infirmiers de bloc opératoire diplômés d’État, les Ibode. Depuis 2015, un décret a habilité ces professionnels pour un certain nombre d’actes en chirurgie. Ainsi, en peropératoire, l’aide à l’exposition, l’hémostase et l’aspiration sont devenues une exclusivité des Ibode. Cela s’applique dès le 1er janvier 2020, à la suite d’un décret du mois de juillet dernier. Dans la vraie vie des blocs, à deux mois de l’échéance, où en est-on ?
Actuellement, ce sont des infirmiers diplômés d’État qui font fonction d’Ibode, et l’on estime qu’ils sont majoritaires dans un grand nombre de blocs. Sans eux, pas de chirurgie.
Depuis 2015, les objectifs de formation sont très loin des besoins, malgré une augmentation légère des inscriptions : de 390 en 2016, celles-ci sont passées à seulement 627 en 2018. La marche reste haute.
Enfin, la validation des acquis de l’expérience, qui est bien sûr la voie à privilégier et sur laquelle la direction générale de l’offre de soins, la DGOS, fonde beaucoup d’espoir, est pour le moment un échec. La démarche est lourde, chère, chronophage. Très peu d’infirmiers ont choisi cette voie, alors qu’ils sont pourtant nombreux à en avoir largement les compétences.
Sur ces sujets se greffent les questions de statut et de valorisation salariale peu attractives et non encore réglées.
Vous le savez, madame la secrétaire d’État, il y a urgence. Si les conditions d’accès au diplôme qualifiant, le calendrier et la faible reconnaissance statutaire sont maintenus en l’état, c’est la paralysie de l’activité chirurgicale qui s’annonce durablement. C’est bien sûr inenvisageable : ni les patients, ni l’hôpital, ni les praticiens ne doivent subir les effets de ce nœud administratif anxiogène.
Aussi, madame la secrétaire d’État, je vous demande quelle solution vous comptez apporter pour pallier en urgence cette situation. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, sachez que nous partageons votre préoccupation d’assurer la pérennité de l’activité opératoire, en France. La question que vous posez est précise, et la réponse le sera tout d’autant.
Le décret du 27 janvier 2015 attribue aux infirmiers de bloc opératoire diplômés d’État, les Ibode, de nouveaux actes qualifiés d’exclusifs, que vous avez rappelés : aide à l’exposition, à l’hémostase et à l’aspiration au cours d’une intervention chirurgicale en présence du chirurgien.
À la suite d’un recours, le Conseil d’État a différé l’entrée en vigueur de ces trois actes exclusifs, et un dispositif transitoire a dû être mis en place. Ce dernier permet de garantir la compétence des professionnels autorisés à réaliser les trois actes concernés sans compromettre la continuité des activités opératoires.
Ce dispositif transitoire, mis en œuvre jusqu’en 2021, consiste à satisfaire à une épreuve de vérification des connaissances devant une commission régionale.
Tout en préservant le principe de l’exclusivité des infirmiers diplômés d’État de bloc opératoire, ce dispositif transitoire maintient la possibilité pour les infirmiers expérimentés, à titre dérogatoire, de continuer à réaliser ces actes au regard de leurs compétences et de préserver la sécurité et la continuité des soins.
Au-delà de ce sujet, les travaux sont d’ores et déjà programmés dès le mois prochain, avec l’ensemble des partenaires – employeurs et représentants des infirmiers de bloc –, concernant la question de la démographie de la profession et au cours desquels sera aussi traitée la question de l’attractivité de ces métiers. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à Mme Sonia de la Provôté, pour la réplique.
Mme Sonia de la Provôté. Vous le savez, il existe un problème d’attractivité et un problème d’accès aux soins pour tous. La question de l’accès à la chirurgie se greffe sur les autres sujets. Il ne se passe pas un mois sans qu’elle se pose.
Il existe aussi une problématique de financement. La santé a un coût, la population vieillit, les moyens thérapeutiques et les diagnostics sont de plus en plus chers. Il faudra que nous l’assumions tous, collectivement. J’espère et j’attends de votre gouvernement qu’il l’assume aussi et qu’il l’affirme. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
politique du gouvernement en matière d’écologie, notamment sur la qualité de l’air
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson. Dure semaine pour les champions autoproclamés de l’écologie !
Jeudi dernier, la Cour de justice de l’Union européenne a condamné la France en manquement pour avoir dépassé ses seuils limites de dioxyde de carbone, de manière systématique et répétée, après dix années de procédure.
M. Julien Bargeton. Dix ans !
M. Jean-François Husson. Le même jour, monsieur le secrétaire d’État, votre ministère publiait un rapport accablant recensant les mauvais résultats de la France en matière d’émissions de CO2, de dégradation de la biodiversité ou de qualité des eaux souterraines.
Ces faiblesses chroniques en matière environnementale sont à rapprocher de l’échec violent de votre politique fiscale, privilégiant une écologie punitive, ayant mis le pays en très grande tension l’an passé, à la suite d’une hausse brutale, non concertée et confiscatoire de la taxe carbone.
Dans le contexte de changement climatique actuel, sur la base de ces mauvais résultats, alors même que, en un peu plus de deux ans, trois ministres ont déjà été en charge de l’écologie, allez-vous mener une politique disruptive ou bien mettre vos pas dans ceux de MM. Hulot et de Rugy ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des transports.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d’abord d’excuser l’absence d’Élisabeth Borne, qui est actuellement en déplacement.
Le Gouvernement a pris acte de l’arrêt du 24 octobre dernier de la Cour de justice de l’Union européenne relatif au non-respect des normes de qualité de l’air pour le dioxyde d’azote.
Vous n’êtes pas sans savoir que ce problème ne date pas d’hier. Je rappelle par ailleurs que, sur la période 2000-2018, les émissions d’oxyde d’azote ont baissé de 54 % et que le nombre d’agglomérations concernées par les déplacements de la valeur limite a été diminué de moitié.
Cela n’est pas suffisant, et je veux vous assurer de la totale mobilisation du Gouvernement sur le sujet. Cela passe par une série de mesures structurantes déjà engagées, telles que l’accompagnement au renouvellement du parc automobile, le développement de bornes électriques, l’aide aux particuliers pour renouveler les appareils de chauffage, ou encore l’accompagnement financier des collectivités, au travers des dispositifs de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’Ademe.
De nouvelles actions sont inscrites, notamment dans la loi d’orientation des mobilités, dont nous avons eu à débattre ces derniers mois.
Ces actions portent sur le déploiement des zones à faible émission dans les métropoles, qui sera obligatoire dès lors que les collectivités dépassent régulièrement les valeurs limites.
Elles passent aussi par la mise en œuvre du plan Vélo qui, comme vous le savez, triplera d’ici à 2024 la part des déplacements du vélo dans les transports du quotidien.
Elles passent encore par la création du forfait mobilité durable visant à inciter les employés à utiliser le vélo ou le covoiturage pour leurs trajets du quotidien, ou encore par la réduction des émissions des navires à quai au travers du plan Escales zéro fumée.
Monsieur le sénateur, c’est bien ce gouvernement qui a proposé la mise en œuvre de ces mesures pour apporter une solution aux conséquences dramatiques de la pollution de l’air. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, pour la réplique.
M. Jean-François Husson. Monsieur le secrétaire d’État, sur la pollution de l’air, Commission européenne, Cour de justice de l’Union européenne, Conseil d’État : trois cartons jaunes. Vous êtes clairement hors-jeu, et nous sommes à la veille d’un carton rouge avec une condamnation financière.
En ce qui concerne les mobilités, au mois de juillet dernier, vous avez décidé, six mois après avoir décidé la prime à la conversion, de changer les règles. Honnêtement, cela ne se fait pas ! En outre, alors que vient d’être adoptée la loi d’orientation sur les mobilités, vous ne permettez pas aux intercommunalités de conduire leur politique en les soutenant.
En ce qui concerne le crédit d’impôt de transition énergétique, vous venez de sortir pratiquement la moitié des Français du dispositif d’aide et de soutien, alors qu’il faut aujourd’hui examiner la réussite de l’étiquette énergétique.
Nos paysans ont aujourd’hui besoin d’être soutenus. L’agriculture est dans la transition écologique, elle travaille pour la réussite et la qualité alimentaire. Alors que plus d’un tiers des agriculteurs ne gagnent pas 450 euros par mois, accompagnez-les et luttez contre l’agri-bashing, afin qu’ils puissent vivre dignement de leur travail.
Enfin, je constate que vous passez votre temps à annoncer que vous voulez verdir votre politique, mais que vous vous contentez en fait de la vernir. C’est trop peu ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
annonces faites par le gouvernement en ce qui concerne les proches aidants
M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier, pour le groupe La République En Marche. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. Martin Lévrier. Ma question s’adresse à Mme la secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées.
Madame la secrétaire d’État, en France, de 8 à 11 millions de personnes soutiennent un proche en perte d’autonomie, soit un Français sur six. Rapporté à cette assemblée, ce pourcentage signifierait qu’une soixantaine d’entre nous seraient des proches aidants. Ce nombre ira croissant, puisque l’on comptera trois fois plus de personnes de plus de 80 ans en 2050.
Qu’est-ce qu’être un aidant ? C’est Claude qui accompagne sa mère dans son quotidien, de la préparation des repas aux tâches administratives, aux sorties, à la toilette. C’est ce père qui a demandé à son employeur de passer à temps partiel pour s’occuper de son fils, Enzo, handicapé à 85 %. L’amour et le dévouement qu’ils portent à leurs proches sont inconditionnels ; il n’en demeure pas moins qu’ils sacrifient souvent une carrière, une retraite, voire une vie sociale.
Madame la secrétaire d’État, vous êtes une mère concernée par le handicap et une militante associative de longue date. Votre investissement sur ce sujet n’est plus à démontrer. Aux côtés de M. le Premier ministre et avec le concours des représentants des proches aidants, vous avez eu à cœur d’élaborer une stratégie de mobilisation et de soutien en leur faveur.
Cette stratégie, qui incarne l’ambition d’une société plus attentive et solidaire, se traduit dans le principe par un financement sur trois ans, à hauteur de 400 millions d’euros, par un déploiement des mesures à partir de 2020 et par un comité de suivi deux fois par an.
Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous détailler les mesures qui permettront, d’une part, d’améliorer la qualité de vie des aidants, et, d’autre part, de reconnaître leur rôle pour une société plus solidaire et adaptée à la perspective d’une forte hausse de la perte d’autonomie ? (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées.
Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées. Monsieur le sénateur, permettez-moi tout d’abord de vous souhaiter un bon anniversaire. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
Une étape très importante a été franchie avec la reconnaissance des proches aidants dans nos politiques publiques, y compris lorsqu’ils sont très jeunes – plus de 500 000 d’entre eux le sont –, dans le prolongement d’un travail parlementaire, auquel le Sénat a beaucoup contribué et qui a ouvert la voie, ainsi que d’un travail associatif très important, que je tiens à saluer.
Agnès Buzyn et moi-même avons construit la stratégie Agir pour les aidants pour nous adresser aux proches aidants des personnes malades, handicapées et vieillissantes. Nous l’avons aussi voulue au plus près des besoins des personnes.
Cette stratégie s’articule autour de six priorités : rompre l’isolement – c’est ce que tous nous disent de faire –, avec la création d’un numéro national unique pour trouver toutes les informations ; ouvrir de nouveaux droits sociaux et simplifier la vie administrative ; permettre, notamment à Claude dont vous parliez tout à l’heure, monsieur le sénateur, de mieux concilier cette situation avec sa vie professionnelle ; élaborer un plan national de développement et de diversification des solutions de répit ; agir pour leur santé ; épauler les jeunes.
Des mesures figurent déjà dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 : un congé proche aidant rémunéré de trois mois beaucoup plus accessible, fractionnable, sans condition d’ancienneté – voilà qui résoudra les problèmes de Claude aujourd’hui –, la défiscalisation du dédommagement versé à l’aidant familial, dans le cadre de la prestation de compensation du handicap, la PCH, le soutien au répit avec des plateformes régionales qui pourront donner des réponses graduées, par exemple le relayage – un accompagnant vient vous remplacer pour vous permettre de prendre des vacances –, de l’accueil temporaire, des solutions de vacances adaptées.
Voilà, monsieur le sénateur, des mesures qui seront applicables dès 2020. Je me réjouis que nous puissions travailler tous ensemble sur ce sujet. Je pense que nous devons être solidaires envers ceux qui le sont déjà. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
vitesse sur les routes départementales
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Boyer, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Marc Boyer. Ma question s’adressait à M. le Premier ministre.
Voilà dix-huit mois que le Premier ministre a décidé seul, sans concertation, d’imposer l’abaissement de la limitation de vitesse à 80 kilomètres par heure sur les routes départementales.
Oui, 50 % des accidents mortels ont lieu sur les belles routes départementales secondaires, mais leur cause n’est pas la vitesse, qu’elle soit limitée à 90 ou à 80 kilomètres par heure. Ces accidents s’expliquent aussi et surtout par les grands excès de vitesse, la consommation d’alcool ou de stupéfiants, les imprudences. Contrairement aux prévisions d’experts, l’abaissement à 80 kilomètres par heure n’a malheureusement pas permis de sauver plus de vies. Cette mesure est un échec.
Vous l’avez tellement bien compris que vous renvoyez désormais aux présidents des départements la responsabilité d’une décision non concertée, qu’ils n’ont jamais souhaitée. Ils vous avaient pourtant mis en garde.
Ceux qui veulent revenir aux 90 kilomètres par heure sont freinés par les conditions drastiques élaborées par des « instruisous », experts du Conseil national de la sécurité routière, qui, à mon sens, ne doivent jamais se rendre au-delà du périphérique parisien. Demander aux élus de trouver dans leurs campagnes une portion de route de dix kilomètres ne comptant ni carrefour, ni habitation, ni arrêt de transport, ni engin agricole, c’est vraiment se moquer d’eux, c’est tout faire pour les culpabiliser !
Quelque 43 départements réfléchissent et souhaitent revenir aux 90 kilomètres par heure ; 5 départements souhaitent en rester à 80 kilomètres par heure. Enfin, 53 départements s’inquiètent et hésitent. Il en résultera des limitations de vitesse différentes d’un département à l’autre. Ce ne sera pas un gage de lisibilité et de sécurité pour les automobilistes.
Aussi, monsieur le Premier ministre, mettez fin à cette hypocrisie, à cette « guéguerre » des experts, chiffres contre chiffres. Faites cesser ces querelles stériles, qui fracturent nos territoires ! Vous seul pouvez le décider. Revenez sur votre décret du 15 juin 2018. Revenez aux 90 kilomètres par heure. Les élus sauront prendre leurs responsabilités. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur Jean-Marc Boyer, 3 248 personnes sont mortes sur les routes l’année dernière. C’est beaucoup trop et, pourtant, ce nombre est historiquement bas et n’avait jusqu’alors jamais été atteint.
Contrairement à ce que vous affirmez, je considère, tout comme l’ensemble des experts qui ont étudié ce dossier, que ce résultat est lié aussi, de façon significative, à l’abaissement de la vitesse autorisée.
M. Jean-Marc Boyer. Non !
M. Christophe Castaner, ministre. On peut ne pas être d’accord sur ce sujet, mais, attention, ce n’est pas parce que vous affirmez quelque chose que c’est une vérité.
M. Jean-Marc Boyer. Vous non plus !
M. Christophe Castaner, ministre. Ce n’est pas parce que j’affirme quelque chose que c’est une vérité.
Il faut, monsieur le sénateur, écouter, et non pas stigmatiser, en particulier le Conseil national de sécurité routière. À cet égard, je vous invite à assister aux travaux de ce Conseil. Je vais d’ailleurs demander que vous soyez informé de la date de leur prochaine réunion.
Ses membres ne sont pas, monsieur le sénateur, des femmes et des hommes qui ne seraient jamais sortis de Paris ; ce sont des femmes et des hommes engagés, exerçant pour beaucoup d’entre eux des responsabilités dans le milieu associatif, qui ont réfléchi et travaillé sur ces thématiques.
J’ai planché devant le Conseil national de sécurité routière, qui est un organisme indépendant du Gouvernement et qui travaille sur ces sujets de la façon la plus proactive. À l’instar de Jacques Chirac, dont l’un des grands chantiers, quand il était Président de la République, avait été la prévention routière, afin de sauver des vies, le Conseil national de sécurité routière travaille chaque jour sur ce sujet.
On peut ne pas être d’accord ; on peut considérer qu’il est essentiel, lors d’un déplacement pendulaire moyen d’une vingtaine de kilomètres, de gagner une minute de temps de trajet en portant la vitesse autorisée de 80 à 90 kilomètres par heure, mais on peut aussi considérer que les 116 vies qui ont été sauvées l’année dernière, notamment du fait de l’abaissement de la vitesse autorisée, justifient cet effort. Oui, monsieur le sénateur, on peut être en désaccord.
Cela étant, je vous invite aussi à convaincre de votre analyse les 53 départements – je reprends le nombre que vous avez cité – qui hésitent. Ils n’hésiteront plus alors à relever la vitesse autorisée à 90 kilomètres par heure.
Je rappelle par ailleurs que les préconisations du Conseil national n’ont pas un caractère obligatoire et que le Gouvernement est désireux de mettre en œuvre l’amendement qui a été débattu dans cette instance et repris à l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Roland Courteau. « La politique économique menée depuis 2017 fait-elle augmenter le nombre de pauvres ? » s’est interrogée la presse. Tel autre journal a titré : « Misère et inégalités s’accentuent », selon l’Insee, l’Institut national de la statistique et des études économiques.
M. François Patriat. Il y a de moins en moins de chômeurs !
M. Roland Courteau. Ainsi, près de 15 % de la population auraient des revenus inférieurs au seuil de pauvreté, ce qui signifie que plus de 9 millions de personnes vivent avec moins de 1 050 euros par mois.
Derrière ces chiffres, il y a une réalité dramatique : c’est la mère qui ne peut donner à manger à ses enfants, le retraité qui ne peut se chauffer ou le jeune adulte en difficulté.
Selon l’Insee, l’augmentation des inégalités s’expliquerait principalement par la très forte hausse de certains revenus, tels les dividendes, laquelle a essentiellement bénéficié aux ménages les plus aisés, détenteurs d’actions. Ces ménages ont aussi bénéficié de la mise en place du prélèvement forfaitaire unique, qui abaisse la fiscalité sur ce type de revenus, moins imposés que les revenus du travail.
Il est à noter que ces données provisoires ne prennent pas en compte la réforme de l’impôt de solidarité sur la fortune, l’ISF, sinon les indicateurs d’inégalités seraient encore plus accentués.
Bref, pour l’heure, les grands gagnants du pouvoir d’achat sont les ménages aisés.
M. Julien Bargeton. Non, c’est faux !
M. Roland Courteau. Certes, plusieurs minima sociaux ont connu de petits coups de pouce, mais ces hausses ne compensent pas les coups de rabot sur les allocations familiales, les aides au logement, les retraites, etc.
M. Julien Bargeton. C’est caricatural !
M. Roland Courteau. À cet égard, le fondateur de l’Observatoire des inégalités déclarait : « La stratégie de lutte contre la pauvreté n’est pas à la hauteur des enjeux sociaux, c’est deux fois moins que les cadeaux fiscaux aux plus riches… ».
Bref, il est plus que temps de changer de dimension. Le défi, reconnaissons-le, est à la portée de la France, madame la secrétaire d’État. Le Gouvernement a-t-il l’intention de le relever ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, le Gouvernement n’a pas accru la pauvreté dans le pays.
L’étude de l’Insee à laquelle vous faites référence porte sur l’année 2018. Comme cet organisme le précise, ces chiffres ne sont pour l’instant que des estimations. Ils ne sont pas fiables dans la mesure où ils ne prennent pas en compte la baisse des loyers, notamment dans le parc HLM. Les seules données consolidées dont nous disposons sont celles des années 2010 à 2017.
Pour autant, qu’a fait ce gouvernement en deux ans et demi ? Nous avons augmenté les minima sociaux ; je pense en particulier au minimum vieillesse, qui a connu une hausse de 100 euros.
M. François Patriat. Cela n’avait jamais été fait !
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. De même, nous avons augmenté l’allocation aux adultes handicapés de 100 euros.
Nous agissons en parallèle sur le pouvoir d’achat. Je pense à la revalorisation de la prime d’activité, au reste à charge zéro, à la nouvelle complémentaire santé solidaire, qui s’adresse aux personnes les plus vulnérables, notamment les personnes âgées, qui vont pouvoir bénéficier d’une couverture santé complémentaire à moins d’un euro ou gratuite. (M. Fabien Gay s’exclame.)
Nous avons supprimé les avances de frais en cas de recours à une assistante maternelle. Nous avons lancé les repas de cantine à moins d’un euro dans les communes rurales fragiles.
M. David Assouline. Cela existait déjà !
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Nous pensons à cette mère de famille que vous avez évoquée et qui ne peut donner à manger à son enfant. Elle pourra bénéficier de la cantine à un euro, elle pourra aussi avoir enfin accès à sa pension alimentaire, dont nous garantissons le versement.
Parallèlement, nous travaillons avec l’ensemble des acteurs sur le périmètre du futur revenu universel d’activité, ou encore du service public de l’insertion, parce que c’est par le travail, quand il est possible, que l’on sort durablement de la pauvreté.
Notre stratégie de lutte contre la pauvreté est le fruit d’une large concertation. Sa mise en œuvre repose sur l’action de toutes les collectivités, car c’est dans les territoires que tout se joue. C’est là que nous menons notre combat.
Enfin, je vous invite à lire les annexes du projet de loi de finances pour 2020. Vous y verrez que nous annonçons une augmentation de 2,3 % du dernier décile, contre 0,9 % pour les deux derniers déciles.
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de Mme Catherine Troendlé.)
PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Troendlé
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
3
Mises au point au sujet de votes
Mme la présidente. La parole est à M. François Patriat, pour une mise au point au sujet de votes.
M. François Patriat. Je souhaite rectifier, pour le compte du sénateur Michel Amiel, son vote sur les scrutins publics nos 11, 12 et 13 lors de l’examen du projet de loi relatif à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique. Michel Amiel souhaitait voter pour dans ces trois cas.
Par ailleurs, nous souhaitons que les sénateurs qui n’ont pas pris part au vote lors du scrutin n° 14 sur le même projet de loi, à savoir Mme Agnès Constant et MM. Michel Dennemont, Abdallah Hassani, Thani Mohamed Soilihi et Dominique Théophile, soient comptabilisés comme ayant voté pour.
Mme la présidente. Acte vous est donné de ces mises au point. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l’analyse politique du scrutin.
La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour une mise au point au sujet d’un vote.
Mme Véronique Guillotin. Lors des scrutins n° 17, 18 et 19 sur la proposition de loi tendant à assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l’éducation, mon collègue Éric Gold souhaitait ne pas prendre part au vote.
Je vous remercie de tenir compte de cette mise au point.
Mme la présidente. Acte vous est donné de cette mise au point. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
4
Donner des armes à l’acier français, accompagner la mutation d’une filière stratégique
Débat organisé à la demande d’une mission d’information
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la mission d’information sur le thème : « Enjeux de la filière sidérurgique dans la France du XXIe siècle : opportunité de croissance et de développement », sur les conclusions du rapport : Donner des armes à l’acier français, accompagner la mutation d’une filière stratégique.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis que le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à Franck Menonville, président de la mission d’information. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Franck Menonville, président de la mission d’information sur les enjeux de la filière sidérurgique dans la France du XXIe siècle : opportunité de croissance et de développement. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la France a un passé industriel et, surtout, un avenir industriel. C’est pour cette raison que le Sénat s’est attaché depuis plusieurs années à travailler sur le sujet de l’industrie. Il y a déjà près d’un an et demi, la mission d’information sur Alstom et la stratégie industrielle du pays rendait ses conclusions.
Alors que les temps sont aujourd’hui aux start-up et au numérique post-industriel, il n’en est pas moins nécessaire de conserver une industrie forte et modernisée, car la production métallurgique, notamment, constitue un enjeu essentiel pour notre économie et son autonomie.
L’acier se trouve au sommet de la chaîne de valeur de nombreuses industries. Sa production nécessite des investissements importants, avec des seuils de rentabilité élevés et des marges faibles.
L’acier est pourtant un enjeu de souveraineté. Il forge nos armes, au sens propre. Les vecteurs de notre force nucléaire – avions et sous-marins principalement – nécessitent des alliages spéciaux en acier de haute technicité.
L’acier est aussi un enjeu pour la transition énergétique. Le recyclage de l’acier représente une contribution importante dans le cadre de notre stratégie de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il ne faut pas oublier les évolutions technologiques qui permettent de limiter les émissions de CO2 dans la filière chaude au sein des hauts-fourneaux.
Or, douze ans après le Grenelle de l’environnement, la politique de l’éco-conception reste trop virtuelle et l’éco-recyclabilité des produits industriels à base d’acier est encore trop peu développée.
La France et l’Europe sont devenues des acteurs marginaux sur le marché mondial de l’acier, aujourd’hui dominé par la Chine, qui représente 50 % de la production mondiale.
Seuls les trois quarts à peine des capacités de production existantes sont utilisées. Nous sommes aujourd’hui en pleine crise de surcapacité, la création de nouvelles capacités se poursuivant dans un contexte de guerre commerciale exacerbée entre la Chine et les États-Unis.
Pourtant, malgré les efforts de structuration de la filière, il nous manque une politique publique claire, un ministre de l’industrie et des moyens humains et financiers dédiés.
Il nous manque également une véritable vision industrielle européenne. En effet, l’Europe est aujourd’hui trop focalisée sur la politique de concurrence, ce qui a pour conséquence première d’entraver notre capacité à construire des géants économiques capables d’affronter la concurrence mondiale. Le dossier Alstom-Siemens en est un exemple.
Enfin, l’Europe est trop lente à réagir face au dumping et elle manque d’ambition industrielle. Nous avons besoin d’une Europe stratège pour notre industrie.
Dans ce contexte, la mission d’information que j’ai eu le plaisir et l’honneur de présider a, pendant cinq mois, entendu 55 personnes et effectué plusieurs déplacements sur le terrain. J’en profite pour remercier mes collègues membres de la mission, en particulier Mme la rapporteure, chère Valérie Létard, ainsi que tous ceux qui ont travaillé à nos côtés.
Notre rapport, adopté à l’unanimité des groupes politiques du Sénat, contient 30 propositions, que la rapporteure va maintenant vous présenter dans leurs grandes lignes. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, LaREM, UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Valérie Létard, rapporteure de la mission d’information sur les enjeux de la filière sidérurgique dans la France du XXIe siècle : opportunité de croissance et de développement. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’heure où la réindustrialisation des territoires est un objectif partagé du Gouvernement et des élus locaux, la consolidation de notre industrie sidérurgique nationale est absolument stratégique.
Notre mission d’information a identifié trois défis majeurs pour le futur de la sidérurgie française.
Tout d’abord, la surcapacité de production persiste à l’échelon mondial, exacerbant la concurrence, au détriment de l’industrie européenne. De plus en plus de pays, en particulier la Chine, ont recours au protectionnisme commercial et à des pratiques déloyales.
Ensuite, les sidérurgistes doivent prendre le virage de la transition énergétique. L’acier doit nécessairement devenir plus vert, mais les objectifs climatiques et énergétiques se renforcent et la hausse du coût du carbone s’accélère sur le marché des quotas, alors que les pays tiers ne sont pas soumis aux mêmes exigences.
Enfin, les moyens nécessaires à l’adaptation de l’industrie sidérurgique sont difficiles à mobiliser, alors que les investissements sont particulièrement lourds et risqués, notamment en matière de recherche et développement, et que la conjoncture ne s’améliore que lentement. L’acier est pourtant le fondement de nombreux secteurs en aval : la construction, l’automobile, et bien d’autres…
Pour donner des armes à l’acier français dans la compétition mondiale, nous avons formulé trente recommandations, qui agissent sur quatre leviers.
Le premier est le soutien de la transition énergétique à la sidérurgie française.
Alors que le prix de la tonne de carbone à l’échelon européen augmente depuis quelques mois, il serait inacceptable que ce renchérissement renforce la compétitivité des entreprises situées en dehors de l’Union européenne et qui ne sont pas soumises aux mêmes contraintes, alors même que leurs émissions de CO2 sont souvent bien plus importantes qu’en Europe.
Il faut mettre en place une taxe carbone aux frontières de l’Union européenne. À cet égard, on peut se réjouir que la nouvelle Commission européenne y soit favorable. Il faut maintenant faire vite et être très offensif, car l’urgence pour le tissu industriel sidérurgique n’est pas le temps de l’Europe.
Ensuite, les investissements des entreprises sidérurgiques pour décarboner la filière ne porteront leurs fruits qu’à la condition d’être soutenus par un coût de l’énergie compétitif. La compétitivité du prix de l’énergie en Europe est un élément déterminant dans les choix d’investissement des groupes sidérurgiques et conditionne l’avenir de la filière.
À l’échelon national, le coût de la compensation carbone, compensant les coûts des quotas carbone qui sont répercutés sur le prix de l’électricité pour des secteurs exposés à un risque de fuite carbone, est appelé à augmenter ces prochaines années.
Notre recommandation de conforter le budget qui lui est dédié a été entendue, madame la ministre, 279,5 millions d’euros de crédits ayant été prévus à ce titre dans le projet de loi de finances pour 2020, que nous allons prochainement examiner.
Cela étant, j’attire votre attention, madame la secrétaire d’État, mais vous le savez mieux que moi, sur le fait que ce sujet se posera de façon tout aussi aiguë lors des prochains budgets, voire davantage, et qu’il sera nécessaire de donner de la visibilité au secteur.
Le second levier est la défense de nos intérêts commerciaux et la protection du marché sidérurgique européen contre des compétiteurs aux pratiques déloyales. L’industrie européenne utilise de plus en plus d’acier importé, au très mauvais bilan carbone et largement financé par des subventions des États.
Pour restaurer des conditions équitables, il faut une politique volontariste de la Commission européenne, qui doit se saisir pleinement de ses nouveaux outils de défense commerciale, lesquels sont aujourd’hui insuffisants et plus adaptés. Il faut absolument les revisiter, à un rythme différent du tempo européen habituel.
Le troisième levier est la stratégie de filière, qui améliore l’articulation entre les besoins des entreprises sidérurgiques et le soutien des pouvoirs publics. Il faut que les industriels s’impliquent fortement dans ces projets structurants, qui bénéficient à tous, et que l’État engage plus de moyens pour améliorer le dialogue.
Le quatrième levier, le plus essentiel, c’est, comme l’a dit mon collègue Franck Menonville, l’accompagnement stratégique à tous les niveaux des politiques publiques.
Pour mobiliser pleinement les trois autres leviers et renforcer le pilotage de la politique industrielle, il faut mettre en place un véritable ministère de l’industrie, non pas symbolique, mais doté de moyens humains et budgétaires appropriés, ce qui n’est plus le cas depuis trop longtemps, madame la secrétaire d’État. Ce n’est pas le fait de ce gouvernement, mais ce gouvernement peut changer les choses et faire de la sidérurgie une véritable priorité nationale.
Seul un tel – ou une telle ! – ministre de l’industrie pourra défendre nos entreprises industrielles à l’échelon européen et s’engager aux côtés des sidérurgistes dans la mutation écologique. Il portera la vision stratégique qui fait aujourd’hui défaut, au lieu de jouer au pompier, faute de moyens et sans anticipation, dans les situations difficiles, comme on l’a vu dans le cas de l’aciérie Ascoval, dont les salariés ont dû en souffrir beaucoup trop longtemps.
Il rassemblera tous les acteurs concernés autour de la table, en lien avec le Conseil national de l’industrie, dans une approche partenariale avec l’échelon territorial et régional, premier maillon de l’accompagnement des bassins sidérurgiques.
Madame la secrétaire d’État, vous avez lu notre rapport et nos recommandations, partagez-vous notre vision stratégique pour l’acier français ? Quels moyens concrets entendez-vous dédier à l’accompagnement de ce secteur industriel, alors que nous nous apprêtons à examiner le projet de loi de finances pour l’année 2020 ?
Nous sommes à la croisée des chemins à l’échelon européen ; beaucoup de décisions vont être prises. Que comptez-vous faire ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, RDSE, LaREM et SOCR.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Madame la présidente, monsieur le président de la mission d’information, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez raison, la sidérurgie est un maillon central de l’industrie française.
L’importance de la sidérurgie est notamment liée à sa place incontournable dans de nombreuses filières industrielles majeures. C’est le cas en particulier de la construction, des transports et des industries mécaniques, qui représentent respectivement 43 %, 26 % et 16 % des débouchés de l’acier.
L’industrie sidérurgique française emploie environ 48 000 personnes. Elle est implantée sur tout le territoire, même si elle est partout connue pour ses grandes implantations historiques, qui emploient plusieurs milliers de salariés dans les bassins des Hauts-de-France, du Grand Est, des régions Auvergne-Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d’Azur. Sa présence est aussi le fait de nombreuses usines de plus petite taille, aciéries électriques ou unités de transformation aval – laminoirs, fonderies.
C’est un secteur mondialisé, qui doit s’adapter à une concurrence féroce. Face à l’agressivité de la concurrence mondiale en termes de prix, de volumes, de capacités, de concentration, les acteurs de la filière ont su se transformer afin de rester dans la course : restructuration des aciers plats français, qui détiennent maintenant une bonne position de marché, transformation et sécurisation des emplois du site de Florange, où 2 200 emplois ont été conservés grâce à l’innovation.
La filière doit aujourd’hui faire face à des défis majeurs.
Vous avez parfaitement souligné dans votre rapport, monsieur le président, madame la rapporteure, les nombreux enjeux de cette filière : la réduction des émissions de carbone, la lutte contre la concurrence déloyale et les surcapacités, le développement de la recherche et développement, la transformation numérique des entreprises, la sécurisation des approvisionnements en matières premières, l’attractivité de ses métiers. Tous sont importants, mais quelques-uns me semblent vitaux pour l’avenir de la filière sidérurgique française et européenne.
Le premier enjeu est de traiter la surcapacité mondiale, ce qui renvoie à la proposition n° 6.
En dix ans, la Chine est devenue le premier producteur mondial d’acier. À elle seule, elle produit 930 millions de tonnes d’acier, soit plus de 50 % de la production mondiale, et elle est responsable de la moitié des surcapacités mondiales qui pénalisent les aciéristes européens, tirent les prix à la baisse et détruisent les marges en Europe.
Or les marges sont la condition des investissements et des emplois. Les aciers plats ont ainsi vu leur prix baisser de 21 % entre janvier 2018 et mai 2019. Sous l’impulsion de l’Union européenne et des États-Unis, le G20 a mis en place en 2016 un forum mondial sur les surcapacités dans le secteur de l’acier, le GFSEC. Celui-ci a permis d’obtenir de la Chine des réductions de capacité. C’est un premier pas, même si ce n’est pas suffisant. Nous souhaitons continuer à agir, comme je l’ai fait encore dernièrement au Japon avec mes homologues.
Le deuxième enjeu est de faire respecter une concurrence loyale, ce qui correspond aux propositions nos 7, 8 et 27 de votre rapport.
Près de la moitié des cas anti-dumping ou anti-subvention traités à l’échelon européen relèvent du seul secteur de la sidérurgie. Les règles de concurrence loyale ne sont en effet pas toujours respectées par nos partenaires. Vous le savez, nous poussons la Commission européenne à renforcer son action en la matière. C’est d’ailleurs ce que je fais au conseil Compétitivité.
Le troisième enjeu est de faire de l’impératif climat une chance ; il est en lien avec la proposition n° 9.
Les enjeux climatiques sont aujourd’hui un impératif reconnu par tous. Le plan Climat du Gouvernement et sa déclinaison dans la stratégie nationale bas-carbone fixent l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050. La sidérurgie est responsable d’environ 7 % des émissions anthropiques de CO2 dans le monde. À ce titre, elle a une responsabilité envers la planète, mais elle fait aussi face à d’exceptionnelles occasions de rupture technologique qui permettront aux industriels les plus offensifs de se différencier – j’y reviendrai.
Le quatrième enjeu, celui de la compétitivité, passe par un engagement fort sur le prix de l’électricité ; cela renvoie aux propositions nos 13 et 15.
La sidérurgie est un grand consommateur d’électricité à la fois pour l’élaboration du métal dans les aciéries électriques et sa première transformation lors du laminage, du forgeage et des réchauffages de la matière. Comme vous le savez, c’est un élément que nous défendons à l’échelon tant européen, puisqu’il y a un certain nombre de négociations en cours, que national.
Je vous remercie de souligner les efforts actifs que nous avons réalisés pour défendre notre budget de compensation CO2. Je pense notamment à la réflexion que nous avons engagée pour faire en sorte que les entreprises intensives et les hyper électro-intensifs bénéficient, dans les années à venir, de tarifs compétitifs en matière d’électricité.
Le cinquième enjeu est l’effort de recherche et développement, ou R&D, qui reste le facteur principal de compétitivité et de différenciation sur les marchés ; cela donne lieu aux propositions nos 12, 22 et 26.
Le crédit d’impôt recherche, que de nombreuses nations ont copié, est un outil souple et massif de soutien à la R&D des entreprises.
En revanche, nous avons des marges de progrès s’agissant de l’industrialisation de la R&D sur le territoire national. Il faut y travailler tous ensemble. Les collectivités locales ont un rôle majeur à jouer en la matière. C’est notamment en offrant aux investisseurs un territoire accueillant et un cadre légal lisible et attractif que l’industrie et les emplois créés par elle se localiseront.
Vous avez évoqué la Banque publique d’investissement, Bpifrance. Je me félicite de son engagement constant pour l’industrie, qui s’est renforcé cette dernière année.
Depuis sa création, elle a été présente sur de nombreux dossiers du secteur des métaux. Elle a été associée à de grands succès, comme Constellium, auquel j’ai personnellement participé en 2009. Et elle est une actrice cruciale dans les dossiers plus sensibles, comme Vallourec.
Bpifrance est un investisseur avisé en économie de marché soumis aux règles de concurrence communautaire en matière d’aides d’État. Elle n’intervient pas directement en retournement, mais elle gère pour le compte de l’État le Fonds de fonds de retournement, ou FFR, doté de 74,7 millions d’euros dans le cadre du programme d’investissements d’avenir, qui souscrit à des fonds gérés par des équipes spécialisées et dont nous avons besoin sur certains dossiers.
Je tiens à le souligner, face à de tels défis, il y a au sein de l’État une stratégie industrielle, des plans d’action et des résultats en matière d’industrie et de sidérurgie. Je me contenterai de rappeler, via trois exemples concrets, que la stratégie industrielle de l’État s’est structurée et renforcée durant ces deux dernières années. La stratégie de filière a été renforcée.
Le 18 janvier dernier, j’ai signé le contrat stratégique de filière Mines et métallurgie avec la présidente du comité stratégique de filière, Mme Christel Bories, en présence des organisations syndicales. C’est une instance unique, où tous les acteurs, entreprises, organisations syndicales et administrations peuvent échanger hors situation de crise pour consolider et préparer ensemble l’avenir de la filière.
Ils travaillent ensemble sur plusieurs sujets importants soulevés dans le rapport : l’avenir des différentes filières acier en France – hauts-fourneaux et aciéries électriques –, la réduction des émissions carbone, la lutte contre la concurrence déloyale, la transformation numérique de la filière, la sécurisation des approvisionnements en matières premières, l’attractivité de ses métiers.
Ce contrat doit permettre une meilleure coordination entre les grands acteurs de la filière et les PME, entre l’amont fournisseur et l’aval consommateur. Pour cette filière, je le répète, la démarche est nouvelle.
Des travaux sont également menés sur les approvisionnements en matières premières stratégiques ; ce point est lié à vos propositions nos 2 et 17.
Vous avez aussi évoqué le risque de dépendance aux matières premières analysé dans le récent rapport du Conseil économique, social et environnemental, le CESE, et mis en avant au cours de l’été par des déclarations de la Chine sur sa maîtrise des ressources mondiales de terres rares. Le Gouvernement est très attentif à ce risque.
À ce titre, et dans le cadre du Conseil national de l’industrie, le CNI, le Conseil général de l’économie a remis au ministère de l’économie un rapport sur la vulnérabilité de l’approvisionnement en matières premières des industries françaises, ce qui a permis d’identifier plusieurs pistes de travail.
Pour les mettre en application, a été confirmé lors du comité exécutif, le Comex, du CNI du 23 septembre dernier le lancement de travaux applicatifs sur la sécurisation des approvisionnements en matières premières associant des industriels de référence de l’amont, producteurs de métaux, et de l’aval, consommateurs, pour trois filières d’excellence et d’avenir fortement consommatrices de métaux critiques : les batteries pour la mobilité, les énergies renouvelables et le secteur de l’aéronautique et défense.
Les conclusions sont attendues pour la fin de l’année 2019, et des premières applications pratiques ont été mises en œuvre.
Des travaux sur l’avenir des aciéries électriques sont menés ; cette question est liée à la proposition n° 16. Je l’ai déjà souligné, la filière des hauts-fourneaux en France s’est restructurée et elle est maintenant au meilleur niveau européen et mondial. En revanche, les aciéries électriques françaises ont subi une succession de difficultés, que votre rapport a relevées et qui ont entraîné des fermetures de sites et des arrêts définitifs de fours.
Pourtant, la filière électrique dispose de caractéristiques qui devraient lui permettre de soutenir un développement concurrentiel : plus faible intensité capitalistique que les hauts-fourneaux, flexibilité, adaptation aux aciers de spécialité et aux petits volumes, réactivité opérationnelle…
Par ailleurs, avec une faible émission de CO2 à la tonne, l’aciérie électrique est un élément de réponse à la réduction des émissions de la filière et à l’objectif de décarbonation de l’économie.
Je me félicite donc que le comité stratégique de filière Mines et métallurgie vienne de lancer un groupe de travail pour dégager des scénarios de développement des différentes technologies de production de l’acier en France associant les industriels, les organisations syndicales et les administrations. C’est un travail fondamental, qui doit éclairer l’avenir.
Ce type de travaux est dans l’ADN des comités stratégiques de filière et fait partie des réflexions stratégiques et de l’anticipation qui sont indispensables pour l’avenir de l’industrie et dont votre rapport souligne l’impérieuse nécessité.
Puisque nous parlons d’intervention en urgence, si l’aciérie Ascoval continue de travailler, je le souligne, c’est grâce à l’action déterminée, tant de l’État tout au long de ces douze derniers mois, que des élus locaux. Je tenais à vous en remercier, madame Létard ; je pense que si vous êtes rapporteure, c’est aussi parce que ce cas emblématique a permis d’apporter un éclairage sur la situation.
Mme la présidente. Madame la secrétaire d’État, je vous invite à conclure.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. J’aimerais mentionner une dernière action en matière de formation. C’est le principal défi de la filière.
La filière est en tension. Elle peine à recruter et doit faire évoluer ses compétences pour s’adapter aux nouvelles donnes introduites notamment par la numérisation de l’économie. Nous devons y travailler ensemble.
C’est l’une des missions que le Gouvernement a données au comité stratégique de filière. J’attends que les travaux du comité, associant les entreprises et les organisations syndicales de salariés, aboutissent à des actions ambitieuses, en lien notamment avec l’Union des industries et métiers de la métallurgie, l’UIMM, celle-ci étant en première ligne sur le sujet.
Bien entendu, toutes ces questions sont bien prises en compte dans le cadre de la réflexion sur le pacte productif.
Débat interactif
Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition absolue que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Bernard Buis.
M. Bernard Buis. Je tiens tout d’abord à saluer le travail qui a été réalisé par Mme la rapporteure et les différents membres de la mission d’information.
La situation périlleuse de notre industrie sidérurgique est principalement la conséquence du développement exponentiel de la concurrence étrangère. En 2017, près de 1 700 millions de tonnes étaient produites à travers le monde, dont près de la moitié en Chine. Les trois principaux pays producteurs d’aciers, tous situés en Asie – il s’agit de la Chine, du Japon et de l’Inde –, totalisent plus de 68,8 % de la production mondiale.
Pourtant, aujourd’hui, malgré plusieurs mesures anti-dumping mises en place pour renforcer la compétitivité de nos entreprises, la question reste en suspens : quid de l’avenir de l’acier français ?
La richesse de notre industrie française se concentre aujourd’hui dans le développement de nouveaux savoir-faire. J’ai donc deux questions.
La technologie peut être une issue pour notre industrie. En 2017, le sidérurgiste américain Nucor, qui représente 30 % de tout l’acier américain, avec dix-huit aciéries électriques, a aligné des performances de premier plan : un recyclage massif, un souci de l’environnement, quatre fois moins de CO2 par tonne produite que ses concurrents et des dividendes redistribués durant 180 trimestres successifs depuis 1972. Comment accompagner nos entreprises dans la restructuration de leur modèle économique ?
Par ailleurs, je pense que les préoccupations environnementales peuvent être une chance. L’acier présente quelques avantages pour le développement durable : filière sèche, faible consommation en eau, peu de déperditions énergétiques, longévité des matériaux et facilité dans la déconstruction, notamment par rapport au béton. L’acier peut même être à 100 % recyclable.
Comment, là encore, accompagner nos entreprises sidérurgiques, pour en faire des acteurs du développement durable et de l’économie circulaire ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur, vous avez raison de souligner l’importance des enjeux pour la sidérurgie, qui doit devenir un acteur du développement durable ; si la France est capable de proposer des solutions en la matière, elle pourra regagner des parts de marché et, en effet, augmenter sa compétitivité.
Je tiens à le rappeler, la sidérurgie française est présente sur les aciers les plus modernes à valeur ajoutée à la fois par sa filière des hauts-fourneaux, avec des aciers techniques pour l’automobile, comme Usibor d’ArcelorMittal, par des aciéries électriques très haut de gamme sur les superalliages et les alliages de titane mis en œuvre par Aubert et Duval, ainsi que par des inox et des produits très spécialisés, comme les aciers à grains orientés par les transformateurs.
Vous mettez l’accent sur les choix de technologie du type aciérie électrique, sur lesquels on doit notamment tenir compte des investissements passés, de la base industrielle installée, des ressources et de l’évolution de la demande. La décarbonation de la production d’acier dans les hauts-fourneaux réduira à terme très fortement leur émission. C’est une première réponse. De nombreux projets de R&D sont déjà engagés pour cela, car la filière fonte restera essentielle dans l’offre d’acier des prochaines années eu égard aux projections de la demande.
La filière électrique est cependant une technologie moderne également majeure. Elle dispose de caractéristiques qui devraient lui permettre de soutenir un développement concurrentiel, une plus faible intensité capitalistique, la flexibilité, l’adaptation à cette spécialité.
À court terme, elle est handicapée, car sa caractéristique essentielle – elle est faiblement émettrice de CO2 – n’est pas « récompensée » par un prix du carbone à la hauteur des diminutions d’émissions de gaz carbonique qu’elle permet.
C’est pour cela que nous travaillons auprès de la Commission européenne, notamment sur un mécanisme d’inclusion carbone aux frontières de l’Union européenne. Dans le cadre du pacte productif, nous regardons également comment redonner sa compétitivité à ce type de filière. C’est également pour cette raison que nous nous sommes battus pour maintenir une telle facilité s’agissant d’une aciérie comme Ascoval, en nous disant que l’histoire nous donnerait raison.
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Mois après mois, c’est le même débat, avec les mêmes questions et, malheureusement, les mêmes réponses. Et pendant ce temps, les sites industriels sont délocalisés, avec les emplois perdus et les ravages économiques et sociaux qui vont avec !
Aucun territoire et aucune filière n’ont été épargnés par les fermetures : deux sites d’Ascométal dans la filière électrique ; chez Eramet, l’aciérie électrique de Firminy ; pour les cylindres, Akers, et Vallourec a fermé ses laminoirs de Saint-Saulve et de Déville-lès-Rouen ; dans la filière fonte, c’est l’arrêt de Florange. Entre 2013 et 2017, la sidérurgie a perdu près de 10 000 emplois directs. Autant de vies et de savoir-faire détruits au nom de la compétitivité. Une véritable hécatombe !
Or le Gouvernement continue à verser les mêmes larmes de crocodile et à dire qu’il faut « approfondir notre réflexion pour encourager la renaissance d’une politique industrielle ».
Nous, nous continuons à formuler des préconisations, dont bon nombre sont contenues dans l’excellent rapport de notre collègue Valérie Létard. Soit les solutions que nous défendons depuis quinze ans sont erronées, soit il y a une volonté non assumée de sacrifier la sidérurgie et, par là même, notre tissu industriel, sur l’autel du profit. Si c’est cela, il faut le dire clairement !
Combien de temps allons-nous encore constater la faiblesse de l’État actionnaire face aux appétits capitalistes et l’absence de stratégie industrielle sur le long terme ?
Est-ce que votre politique industrielle se résume à voir nos outils industriels partir à l’étranger, à être naïfs dans la guerre économique, à subventionner les entreprises à hauteur de 200 milliards d’euros sans demander de contreparties en termes d’emplois et d’investissements en attendant que la « main invisible » du marché vide la France de son industrie ?
Ou alors allez-vous enfin interdire les délocalisations de site dans les filières que nous considérons comme stratégiques et mener une politique industrielle audacieuse, en commençant par nommer un ministre de l’industrie ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur, je ne partage pas du tout votre présentation.
M. Fabien Gay. J’espère bien ! (Sourires.)
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. En effet, force est de constater que l’emploi industriel a progressé dans ce pays en 2017, en 2018 et en 2019.
M. Fabien Gay. Tous les jours, des entreprises ferment !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Toutefois, vous avez raison, ce n’était pas le cas auparavant ! (Exclamations sur les travées des groupes CRCE et SOCR.)
Les faits sont têtus, monsieur le sénateur ! De 2000 à 2016, nous avons systématiquement détruit de l’emploi industriel chaque année, allant jusqu’à détruire plus de 100 000 emplois industriels certaines années. Il faut prendre les chiffres tels qu’ils sont.
Oui, il y a une politique industrielle dans ce pays. Oui, elle est mise en œuvre dans le cadre des contrats stratégiques des filières des territoires d’industrie. Si Ascoval fonctionne aujourd’hui, sachez-le, c’est parce qu’il y a eu une action déterminée du Gouvernement.
M. Fabien Gay. Non ! Des élus locaux !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Monsieur Gay, il ne faut pas se payer de mots. Observez les faits !
L’action du Gouvernement permet aujourd’hui de regrouper les acteurs de la filière, pour se consacrer à des projets concrets, qui permettent de financer non seulement l’innovation, mais également la transition écologique et énergétique.
En outre, elle est menée à l’échelon européen, avec le mécanisme d’inclusion carbone, sur lequel nous sommes en train de travailler avec nos amis néerlandais, allemands et espagnols. Pour ma part, je conduis ces négociations ; je ne suis pas sur mon siège à attendre que les choses se passent ! (Protestations sur les travées des groupes CRCE et SOCR, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Fabien Gay. C’est comme cela que vous considérez les parlementaires ?
M. Jean-Marc Todeschini. Quelle arrogance !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Sachez qu’il y a des relocalisations de sites industriels en France ! C’est la réalité.
Je ne vous dis pas que cette bataille sera gagnée en matière industrielle. Nous le savons tous, ce qui nous attend, avec les tensions commerciales, sera difficile.
Néanmoins, ce que je puis vous dire, c’est que, au Gouvernement, nous ne resterons pas les bras croisés. Nous n’allons pas non plus nous contenter de distribuer les bons et les mauvais points. Nous sommes là pour accompagner les entreprises dans leurs transformations ! (Marques de scepticisme sur les travées des groupes CRCE et SOCR.)
M. Fabien Gay. Toujours les mêmes discours !
Mme la présidente. La parole est à M. Dany Wattebled.
M. Dany Wattebled. Nous déplorons tous ici les mésaventures d’Ascoval, qui est allé de difficultés en difficultés, malgré l’implication des pouvoirs publics. Ces mésaventures sont symptomatiques de l’action de l’État, qui souhaite toujours agir en faveur de l’industrie ou de l’emploi. Mais cette action se limite à présent presque exclusivement à la gestion de crise, pour éteindre des feux.
Le dossier Ascoval montre bien à quel point même la gestion de crise est difficile. Le rapport de notre collègue fait ainsi état d’un enchaînement de mauvaises décisions et de déclarations précipitées, qui témoigne de l’absence de stratégie française en la matière. Il nous semble pourtant essentiel de mettre en place le cadre légal favorable au développement de l’industrie.
Que peuvent faire nos industriels face à une taxe carbone qui, en Europe, ne s’applique pas aux importations ? L’émergence d’acteurs solides, capables de soutenir une concurrence mondiale face à d’autres grands acteurs, doit être encouragée.
Nous avons vu, lorsque General Electric a racheté la branche énergie d’Alstom, que d’autres États soutiennent très activement leurs industriels. La France doit protéger son industrie et ses savoir-faire. Elle doit soutenir l’investissement dans les secteurs stratégiques. Mais, comme il n’y a plus ni ministre ni secrétaire d’État à l’industrie, comment pourrait-elle avoir une vision stratégique ?
Une vision stratégique est indispensable. Elle dépasse aujourd’hui le cadre national. Elle doit être européenne. On ne pourra pas faire l’économie de l’adaptation aux règles de la concurrence, mais le sort de notre industrie se joue maintenant.
Madame la secrétaire d’État, ma question est simple : qui sera chargé de redonner à la France une stratégie industrielle, et avec quels moyens ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Je vais rappeler l’ensemble des instruments de notre politique industrielle, afin que nous les ayons tous en tête. Peut-être sont-ils trop nombreux pour que chacun se rende compte de l’ampleur de l’action du Gouvernement en la matière.
Nous avons dix-huit contrats stratégiques de filière, dont un qui porte spécifiquement sur les mines et la métallurgie. Il permet d’anticiper non seulement les transformations de la filière, mais également les innovations, la transition écologique énergétique et l’approvisionnement en métaux rares.
Le dispositif Territoires d’industrie, qui est au plus près des territoires, en lien avec les collectivités locales, permet de défendre des projets, notamment pour les PME et les entreprises de taille intermédiaire.
Le programme de numérisation des entreprises vise à accompagner leur diagnostic numérique et, à la faveur du suramortissement, à leur permettre de se transformer, avec une incitation fiscale.
Le Fonds pour l’innovation dans l’industrie porte le financement des innovations de rupture pour préparer les futurs marchés de notre industrie. Tous ces éléments font une vision et une stratégie industrielles.
Oui, nous prenons aussi le temps d’accompagner les entreprises en difficulté. C’est notre travail ! D’ailleurs, ce ne sont pas les dossiers les plus difficiles. Mais je veux vous rappeler ici le travail qui a été effectué sur Ascoval ou sur General Electric, puisque vous mentionnez cette situation ; vous avez pu constater qu’un accord raisonnable entre les syndicats et les autorités semblait avoir été trouvé, grâce à l’appui du Gouvernement.
Cette stratégie industrielle est portée au plus haut niveau au sein du Conseil national de l’industrie, dont je rappelle qu’il est présidé par le Premier ministre – peut-être n’est-ce pas assez bien pour certains… –, et par les industriels, en la personne de Philippe Varin pour France Industrie.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub.
Mme Nadia Sollogoub. Je souhaite interroger le Gouvernement sur la notion de stratégie.
Comme le montre le rapport, l’État a donné l’impression ces dernières années d’intervenir de façon importante, avec 500 millions d’euros d’aide publique en dix ans, mais au coup par coup, au moment où sont survenues les difficultés, pour en quelque sorte « renflouer la barque », sans formalisation des engagements du groupe, avec une forme de précipitation ressentie comme une absence de cap.
Je reviens sur le dossier emblématique de Vallourec, dont l’État est le principal actionnaire ; cet exemple me permet d’étayer mon propos. Quel est le cap ? Peut-on croire à un discours de vérité ?
Je suis élue de la Nièvre. Sur le site Vallourec de Cosne-Cours-sur-Loire, les élus et les salariés ont fait les frais de ces évolutions spasmodiques. Nous avons tous eu l’impression de courir derrière des décisions dont la stratégie nous échappait.
Hasard des calendriers, je viens de recevoir un fascicule intitulé Vallourec, au cœur d’un monde qui bouge. Oui, les évolutions sont nécessaires et vitales dans ce secteur industriel, pour continuer à exister dans un contexte qui évolue ! Mais, une fois de plus, y a-t-il un cap ? Et surtout, le connaissons-nous ?
Les cessions-reprises à suspense, qui apparaissent parfois comme des liquidations en plusieurs temps parfaitement orchestrées, ne peuvent pas nous faire croire que la transparence est revenue.
Le directoire annonce que l’amélioration des performances du groupe se confirme et que le chiffre d’affaires annuel est en hausse ; je m’en félicite. Mais on peut lire : « Les tubes sans soudure destinés principalement au marché européen des équipements mécaniques sont laminés par un producteur ukrainien à des prix compétitifs. » Quelle est donc la stratégie du groupe pour la production nationale ? Je pense à tous ces salariés qui fabriquaient des tubes sans soudure en France et qui sont dans une incertitude insoutenable sur leur avenir depuis des années.
Dans une entreprise transparente, qui affiche sa confiance en l’avenir et dont l’État est le principal actionnaire, la stratégie est-elle de laisser au bord du chemin ses collaborateurs de la première heure ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Madame la sénatrice, vous avez raison, Vallourec a traversé des difficultés, comme d’ailleurs tous les acteurs du secteur, du fait notamment de l’effondrement de son marché en matière de fourniture d’équipements pétroliers, pour des raisons que tout le monde comprend.
Les différentes entreprises qui ont été confrontées à un tel effondrement de leur marché ont dû prendre des mesures dont vous avez raison de souligner qu’elles ont été difficiles. Elles ont mis en évidence un problème de compétitivité de la plateforme France. C’est un sujet sur lequel nous avons à plusieurs reprises attiré l’attention de la Haute Assemblée et de l’Assemblée nationale.
Il faut reconnaître que, en termes de compétitivité, on examine le coût complet de la production. S’il est supérieur à celui de vos concurrents – j’ai été dans l’industrie –, vous perdez tout simplement vos parts de marché. Nous devons poursuivre le renforcement de la compétitivité.
C’est pour cela que la numérisation des entreprises, c’est-à-dire le fait de transformer leur manière de produire, en augmentant le poids des robots ou des machines à commande additive, est si importante en France. C’est une manière de réinternaliser de la production en France et de gagner en compétitivité.
Bpifrance est présente au sein du capital de Vallourec. Elle y est entrée à un moment où la société était menacée d’une éventuelle offre publique d’achat. Elle a été amenée à prendre ses responsabilités en soutenant l’entreprise. Ce n’est pas le principal actionnaire. Elle est ultra-minoritaire dans une société cotée, où le capital est très largement réparti. Nous devons continuer à assumer nos responsabilités, mais en qualité d’administrateur : nous ne sommes pas les gérants directs de l’entreprise.
Toutefois, soyez assurée que, sur les sites français, nous avons le regard de l’État, au-delà de celui du seul actionnaire Bpifrance.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour la réplique.
Mme Nadia Sollogoub. Je comprends bien toutes ces questions de productivité, qui sont mondiales. Mais il y a tout de même une manière de faire les choses !
Sur le site dont je parle – mais c’est un exemple parmi tant d’autres –, le repreneur a baissé les bras au bout d’un an, en disant que Vallourec ne lui avait pas donné les brevets ; c’est ubuesque ! Au passage, des salariés ont perdu leur premier plan social et le bénéfice de leur ancienneté. Si des décisions humainement douloureuses sont parfois incontournables, il faut les prendre dans de bonnes conditions, et non dans une telle absence de transparence. C’est insupportable pour les salariés comme pour les élus !
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Primas.
Mme Sophie Primas. En 1954, la France comptait 152 hauts-fourneaux. Aujourd’hui, il en reste 8. La perte progressive des capacités de production sidérurgique ou le rachat des entreprises historiques françaises par des conglomérats, voire des concurrents étrangers, le transfert des talents, des technologies à l’étranger, qui sont une tendance alarmante, se retrouvent dans la plupart des pans de notre industrie.
Madame la secrétaire d’État, ne croyez pas que nous soyons fatalistes. L’industrie française possède des atouts considérables. Il faut simplement que vous la défendiez sans naïveté face à notre affaiblissement industriel, pour ne pas dire face aux attaques contre notre souveraineté dans certains domaines particulièrement stratégiques.
Pourquoi une telle apathie lorsque General Electric, après avoir racheté plusieurs branches d’Alstom, ignore totalement les engagements pris auprès de l’État et annonce de surcroît près de 1 000 suppressions d’emploi ?
Je m’interroge lorsque la sucrerie Saint-Louis Sucre, rachetée par des Allemands, s’apprête à cesser la production en Normandie, fragilisant tout l’écosystème local.
Je ne comprends pas le temps qu’il nous a fallu pour sauver une partie de l’activité d’Ascoval. Et je pourrais aussi évoquer les Chantiers de l’Atlantique, Eramet en Nouvelle-Calédonie – vous avez évoqué Mme Bories – ou encore Technip, qui fait face à un nouveau scandale depuis son rachat par l’Américain FMC…
Ce n’est pas faute d’outils : le Parlement avait voté la loi du 29 mars 2014 visant à reconquérir l’économie réelle, dite « loi Florange », qui imposait une obligation de recherche de repreneur. Nous avons voté dans la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « loi Pacte », l’élargissement du contrôle des investissements étrangers par vos services. Chaque année, nous demandons dans le projet de loi de finances des moyens plus importants pour le Fonds de développement économique et social, le FDES.
Quand assumerez-vous de vous saisir de tels outils pour soutenir et protéger nos industries stratégiques, clés de notre souveraineté économiques ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Ce combat pour l’industrie, nous le menons, me semble-t-il, sans naïveté.
Vous avez cité les investissements étrangers en France et le contrôle que nous opérons : je puis vous assurer, pour avoir un droit de regard sur de telles décisions, que nous bloquons certains actionnaires. Je parle évidemment pour ce qui concerne ces deux dernières années ; sauf erreur de ma part, FMC, c’est un peu plus ancien…
Outre notre action nationale, s’il y a aujourd’hui un mécanisme de screening à l’échelon européen, c’est grâce à l’affirmation des positions françaises. Nous avons convaincu la Commission européenne et nos partenaires d’avancer sur ces sujets.
À mon sens, il ne faut pas mettre tous les dossiers que vous évoquez sur le même plan. Dans le cas de General Electric, l’installation à laquelle vous faites référence a été achetée en 1999.
En tout état de cause, les accords qui ont été conclus en 2014 ne concernent ce site que par ricochet. Le rapprochement avec Alstom nous a justement permis d’utiliser ces accords comme levier sur General Electric. Personne n’avait passé d’accord en 1999 !
Nous avons obtenu des résultats sur General Electric : 50 millions d’euros sont prêts à être investis sur cet accord et la création de 600 emplois dans la filière éolienne en mer a été annoncée la semaine prochaine.
Ce n’est pas simple, certes, mais nous ne devons pas être fatalistes.
Cela dit, nous recourons assez largement au FDES. Nous sommes capables de le réinitialiser lorsque les besoins sont importants. De grosses sommes ont été mobilisées en 2018 sur le dossier Presstalis, mais si l’on procède à une analyse à moyen terme, cet outil est utilisé régulièrement et, me semble-t-il, efficacement. Je pense en particulier à une papeterie dans le Sud-Ouest qui va prochainement pouvoir en bénéficier.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot.
M. Jean-Claude Tissot. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ces dernières années, la filière sidérurgique française est devenue le symbole du déclin de l’industrie dans notre pays. Les fermetures successives de sites et les destructions massives d’emplois sont presque une fatalité.
De ce point de vue, les travaux de notre mission d’information ont permis d’apporter un autre éclairage, d’abord en rappelant que l’acier est essentiel à notre économie, en particulier à des filières comme celles du bâtiment, des transports ou même des énergies renouvelables, ensuite en cherchant à analyser les grandes mutations en cours pour mieux préparer l’avenir, plutôt que de revenir sur les erreurs du passé.
Afin de construire un avenir durable pour le secteur sidérurgique, je retiendrai qu’un engagement fort de l’État sera nécessaire pour soutenir ce dernier et pallier les défaillances du marché, à travers une politique industrielle à la hauteur des enjeux.
Cet engagement de l’État doit avant tout permettre à notre filière sidérurgique de s’inscrire résolument dans la transition énergétique.
Avec 19 millions de tonnes de carbone produites chaque année, la sidérurgie représente 4 % des émissions de carbone nationales. Aussi, l’un des grands défis qu’il faudra relever est celui de la décarbonation.
Pour cela, il faudra « mettre le paquet » sur la recherche, mais aussi être vigilant sur les fuites de technologie. Ainsi, nous proposons qu’une recherche financée sur fonds publics soit exploitée sur le territoire européen pendant au moins cinq ans.
Nous formulons également plusieurs propositions, afin de développer le recyclage et l’écoconception. Outre la contribution au nécessaire développement de l’économie circulaire, le recyclage de l’acier répond à plusieurs impératifs.
En l’absence d’une vraie stratégie d’approvisionnement durable et responsable, notre production d’acier reste dépendante de matières premières non disponibles sur notre territoire national. L’exploitation de certaines d’entre elles pose de lourds problèmes environnementaux, voire éthiques : je pense notamment au cobalt.
Enfin, nous nous devons d’anticiper la croissance des besoins dans le secteur des énergies renouvelables.
Lorsque nous avons auditionné le directeur de Siemens Gamesa, je lui ai demandé s’il achetait en France l’acier utilisé pour la fabrication d’éoliennes. Il m’a répondu qu’il faudrait pour cela qu’il y ait sur notre territoire « un fournisseur qui a les capacités industrielles pour continuer à accompagner la croissance de ce marché. »
Aussi, madame la secrétaire d’État, dans quelle mesure entendez-vous suivre les préconisations de notre mission d’information pour relever ces grands défis ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur Tissot, je vous rejoins sur l’importance de la recherche sur fonds publics, mais aussi de celle sur fonds privés.
Le recyclage est important également, car il fournit le matériel de base pour les aciéries électriques. Nous avons besoin d’organiser une vraie filière, avec une matière première recyclée à un coût compétitif – la vérité commande de dire que cet objectif n’est pas évident à atteindre.
S’agissant des approvisionnements stratégiques pour les filières exposées, nous sommes en train de déployer des plans spécifiques, notamment pour le titane, en nous appuyant en particulier sur le groupe Eramet, acteur formidable, dans lequel l’État est actionnaire, et qui travaille actuellement à un élargissement de sa capacité d’approvisionnement pour l’ensemble du pays.
Nos plans d’action devront sans doute aller plus loin, sachant que, pour ce qui concerne les mines, nous avons une approche plus éthique que d’autres pays.
S’agissant des énergies renouvelables, dans le cadre du Pacte productif, nous travaillons à privilégier des fournitures européennes et françaises. L’un des enjeux est de développer des filières bonnes à la fois pour le changement climatique et pour notre empreinte économique, en prévoyant des labels permettant de faciliter l’approvisionnement à partir de zones respectant nos modèles sociaux et environnementaux.
Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Je veux tout d’abord remercier le président de la mission d’information, Franck Menonville, ainsi que la rapporteure, Valérie Létard, de l’excellente qualité de leurs travaux. Moi-même élue d’un département lorrain, le sujet de la sidérurgie ne peut me laisser insensible.
Dans un contexte mondial fortement concurrentiel, la filière sidérurgique doit bien sûr s’adapter. Le verdissement de la stratégie industrielle comme la modernisation des process de production sont de véritables leviers de sa transformation. Je citerai ainsi deux réussites symboliques dans ma région : le projet de transition énergétique de Novacarb, en Meurthe-et-Moselle, et la transformation industrielle du site de Florange.
Mais je souhaite évoquer plus précisément la situation de l’entreprise Saint-Gobain Pont-à-Mousson, spécialisée dans la production de tuyaux en fonte pour l’adduction d’eau potable.
Cette société, ce sont 2 000 salariés, 123 brevets déposés depuis 20 ans et un statut de leader en Europe. Longtemps numéro un mondial de son secteur, elle souffre comme beaucoup de la concurrence asiatique à bas coûts, du protectionnisme américain et de la surproduction mondiale.
Dans ce contexte, elle continue toutefois à se moderniser et à innover. Elle a engagé un plan de redressement et d’investissement de 130 millions d’euros qui commence à porter ses fruits, et elle réfléchit aujourd’hui à un partenariat « au nom de la pérennité de l’entreprise et de l’emploi ».
Cependant, on ne peut pas dissocier la stratégie industrielle de l’entreprise des leviers à disposition des pouvoirs publics permettant de créer un environnement favorable.
Je fais référence ici à l’évolution récente, mais insuffisamment connue, du code des marchés publics, qui permet d’introduire des critères fondés sur l’origine géographique des produits favorisant ainsi le made in France, mais aussi à l’introduction de quotas de CO2 dans les règles européennes, ou encore à la taxation des imports extra-européens, un sujet qui revient régulièrement, comme vous le savez.
Madame la secrétaire d’État, quelle est la position du Gouvernement sur les quotas de CO2 et sur la taxation des imports de produits hors Union européenne ? Que proposez-vous pour informer et, surtout, rassurer les collectivités, afin qu’elles s’approprient les nouvelles dispositions du code des marchés publics que je viens de mentionner ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Madame la sénatrice Véronique Guillotin, pour ce qui concerne le code des marchés publics, des avancées sont intervenues ces derniers mois. Tout d’abord, nous souhaitons appliquer l’article 85 de la directive 2012/84, en dépit des difficultés. Pour l’avoir testé sur certains marchés à l’exportation, la qualification européenne du contenu d’un produit se heurte à un certain nombre de difficultés techniques. En revanche, il est possible d’activer immédiatement une clause environnementale, dans n’importe quel marché public. Elle figure déjà dans 20 % environ des marchés publics des collectivités territoriales aujourd’hui. L’objectif qui leur avait été fixé en 2016 a donc été dépassé et nous devons, me semble-t-il, continuer à actionner ce levier.
Si vous retenez des éléments simples comme les émissions de tonnes de CO2 ou d’autres éléments qualifiant l’incidence environnementale de la marchandise que vous souhaitez acheter, vous réintroduisez dans l’équilibre de l’offre et dans son appréciation un outil qui permet de « réinternaliser » les externalités positives ou négatives de l’impact environnemental des productions en question.
Nous poursuivons notre travail pour éventuellement intégrer ces critères de façon systématique dans les cahiers des clauses administratives générales des marchés publics, ce qui amènera les collectivités locales et l’État à se poser systématiquement la question de savoir s’il faut retirer ou non cette clause du cahier des clauses particulières.
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier.
Mme Anne-Catherine Loisier. Je salue votre discours volontariste de soutien à l’industrie et à la filière sidérurgique, madame la secrétaire d’État. Vous avez cité de nombreux outils, notamment le contrat stratégique de filière Mines et métallurgie, permettant de responsabiliser les acteurs de la filière. Mais que pouvez-vous nous dire sur les moyens qui y sont réellement consacrés et l’accompagnement de l’État ?
Vous citez l’initiative Territoires d’industrie. Quel bilan d’étape en faites-vous ? Il semble qu’il soit un peu décevant aujourd’hui. On note des efforts en termes de formation, mais pas beaucoup de moyens. En termes d’accompagnement des entreprises, on ne voit pas grand-chose non plus.
Vous citez également le numérique. C’est un enjeu essentiel, bien sûr, mais encore faut-il que les entreprises puissent réellement bénéficier d’une connexion très haut débit. Quelle fiabilité ? Dans quel délai ?
Les effets de la mondialisation se font ressentir tout de suite, et les menaces sont quotidiennes dans nos territoires. On peut encore citer dernièrement la société LME à Valenciennes ou l’entreprise Vallourec en Bourgogne-Franche-Comté.
La question que nous vous posons, madame la secrétaire d’État, est vraiment stratégique : quel pilotage, quel dispositif réactif pouvons-nous mettre en place ensemble, le cas échéant dans le cadre d’une action interministérielle qui associerait les territoires et mobiliserait les différents acteurs, pour élaborer un programme clairement identifié par l’Europe ?
Enfin, puisque vous parliez des énergies renouvelables, la délégation sénatoriale a visité une entreprise à Beautor qui développe un projet de reconditionnement des éoliennes. Malheureusement, les éoliennes ne peuvent pas être reconditionnées en France, l’énergie rachetée au tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité, le Turpe, devant être produite dans des installations neuves, donc malheureusement importées.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Madame la sénatrice, vous posez la question des moyens alloués aux outils que j’ai cités.
L’initiative Territoires d’industrie, c’est aujourd’hui 305 millions d’euros qui sont d’ores et déjà mobilisés sur plus de 300 actions concrètes. Ce dispositif associe les collectivités locales, au premier chef les régions, qui en sont les pilotes et qui cofinancent un certain nombre d’actions, mais également les entreprises, à titre individuel, et non en tant que fédérations professionnelles.
Nous avons fortement accéléré le déploiement du très haut débit numérique à 8 mégabits. Il sera effectif à la fin de l’année prochaine sur l’ensemble du territoire français. Toutefois, seuls 37 % des Français ont activé la faculté d’accès au très haut débit. Aujourd’hui, il faut en réalité faire connaître les possibilités d’accès, même s’il reste encore beaucoup à faire.
Sur la mise en musique de l’ensemble de ces actions, le Pacte productif vise non seulement à élaborer un travail collaboratif – une consultation est ouverte à l’ensemble des parties prenantes, et je vous invite collectivement à y contribuer –, mais aussi à développer une vision du futur à l’horizon 2025 ou 2030, en précisant les technologies sur lesquelles nous allons mettre l’accent, la façon dont nous allons travailler et répartir les responsabilités entre les entreprises, les syndicats, les collectivités locales et l’État.
Vous mentionnez enfin la question des compétences. L’objectif est d’avoir une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, ou GPEC, à l’échelon régional, en particulier à l’échelle des bassins de vie. La difficulté à recruter est en effet l’un des grands enjeux.
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour la réplique.
Mme Anne-Catherine Loisier. Sur le dispositif Territoires d’industrie, vous nous livrez les éléments du plan de financement, madame la secrétaire d’État. Je participe pour ma part à un groupe qui prévoit de financer des tiers lieux, et je n’en vois pas l’intérêt. Il faudrait sans doute faire un peu de ménage dans les programmes visés et se concentrer sur les priorités.
Enfin, un débit de 8 mégabits, c’est bien, mais insuffisant pour robotiser et faire tourner une industrie 4.0.
Nous devrons examiner tous ces sujets de façon précise et opérationnelle.
Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Filleul.
Mme Martine Filleul. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je vais à mon tour évoquer Ascoval, emblématique dans l’histoire de notre industrie sidérurgique, et ce à double titre.
Cette entreprise a été l’un de nos fleurons industriels, mais, dans le même temps, elle cristallise les difficultés que connaît ce secteur en France depuis plusieurs années.
Toutefois, depuis cet été, cette aciérie reprend des couleurs. Elle est la preuve qu’il est indispensable que les pouvoirs publics s’impliquent dans la vie économique et fassent preuve de volontarisme pour protéger notre industrie.
En effet, Ascoval a été sauvée grâce à l’importance des investissements réalisés – l’État et les collectivités locales lui ont ensemble apporté près de 35 millions d’euros, un soutien financier sans lequel il n’aurait pas été possible de maintenir l’activité du site.
Sur ce sujet, le rapport préconise, entre autres, la reconstitution d’un véritable ministère de l’industrie capable de mettre en œuvre, à travers Bpifrance, des investissements importants. Lors de la récente présentation de son Pacte productif, M. le ministre Bruno Le Maire a surtout évoqué une baisse d’impôts pour les entreprises, mais très peu la question des investissements.
Madame la secrétaire d’État, quand et comment le Gouvernement compte-t-il investir significativement dans notre sidérurgie ?
D’autre part, Ascoval a survécu grâce à l’implication des collectivités territoriales, incontournables dans l’accompagnement de la transformation de la filière sidérurgique. Dans ce dossier, elles ont joué un rôle essentiel et travaillé d’arrache-pied pour trouver une solution avec l’État et les repreneurs. À cet égard, le rapport souligne la nécessité du partenariat entre l’État et les régions.
Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Martine Filleul. Peut-être est-ce en réponse à cette préconisation que le ministre a récemment évoqué la possibilité de créer un conseil État-régions pour partager les orientations des politiques industrielles nationales et régionales ? Pourriez-vous nous en dire plus, madame la secrétaire d’État ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Madame la sénatrice, vous avez raison de parler de volontarisme. C’est effectivement ce qui a guidé notre action sur un certain nombre de dossiers.
Je rappelle toutefois que les conditions d’intervention de l’État supposent qu’il y ait aussi des financements privés. Ce fut d’ailleurs la grande difficulté du dossier Ascoval. Pour un euro d’argent public, il faut un euro d’argent privé. On ne peut pas, me semble-t-il, se battre contre la concurrence déloyale d’un certain nombre de pays qui subventionnent leur industrie et vouloir nous-mêmes les imiter. C’est une règle du jeu de base à l’échelon européen, et elle me paraît opportune. Si les Allemands se mettaient à subventionner leur industrie, compte tenu de leurs marges budgétaires, un problème pourrait survenir – cette idée pourrait ainsi traverser la tête de mon homologue allemand pour améliorer la compétitivité de son électricité…
Bpifrance investit aujourd’hui environ le tiers de son argent dans le secteur industriel. La représentation de l’industrie dans son portefeuille est donc largement supérieure à celle qui existe dans l’économie française – sa part est en effet comprise entre 10 % et 12 % selon que vous considérez la valeur ajoutée, la part du PIB ou l’emploi.
Vous avez mentionné la question du conseil État-régions et de l’approche stratégique conduite avec les collectivités. Des conseils de ce type existent pour l’instant à un niveau informel.
Nous avons réuni à plusieurs reprises les patrons de région, en janvier, en mars et en juin. Nous leur avons également proposé un séminaire pour pouvoir engager ce travail collectif stratégique. Nous voulons pratiquer le même exercice dans chaque région, regroupant les entreprises autour de la table. C’est une demande que formulent ces collectivités au travers de France Industrie et c’est l’un des enjeux du Pacte productif.
Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat.
M. Cyril Pellevat. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la France est confrontée à un double enjeu en matière de sidérurgie : la lutte conte le décrochage industriel et la préservation de la souveraineté nationale.
D’une part, les emplois de la filière sidérurgique sont menacés ; d’autre part, la souveraineté industrielle est remise en question de manière générale en France.
Se pose aujourd’hui la question du choix stratégique de notre pays dans ce domaine.
Comme le rappelle le rapport de la mission d’information sur les enjeux de la filière sidérurgique dans la France du XXIe siècle, cette filière emploie encore 38 000 personnes sur le territoire français.
En 1954, les quatre plus grandes sociétés sidérurgiques françaises représentaient environ 50 % de la production nationale. En 2019, près des deux tiers de l’acier produit sur le sol français est issu des usines du seul groupe ArcelorMittal.
De fait, plus qu’un marché français, il apparaît évident que la filière sidérurgique en France fait partie d’un marché plus extensif et que, comme le souligne le président de l’UIMM, l’Union des industries métallurgiques et minières, président d’ArcelorMittal France, nous sommes dans un marché européen, l’Europe jouant elle-même dans un marché mondial.
En termes d’emplois et de production, deux tendances sont à relever. Premièrement, ArcelorMittal représente près d’un tiers des 38 000 emplois sidérurgiques. Deuxièmement, la production sidérurgique française est en déclin. La France se classe désormais au quinzième rang mondial pour la production globale, et la chute se poursuit.
Il reste actuellement 8 hauts-fourneaux actifs en France, alors que l’on en comptait 152 en 1954.
Comme le rappelle le rapport, les conséquences sociales et économiques de ce déclin ont été pesantes pour les principaux bassins sidérurgiques français, à savoir le Grand Est et les Hauts-de-France.
Ainsi, le nombre d’emplois dans la filière sidérurgique, qui s’est réduit de 20 % au cours des dix dernières années, continue à baisser, tandis que la reconversion des bassins pose de nombreux défis aux acteurs locaux.
On remarque effectivement le besoin français et européen d’avoir une filière sidérurgique, notamment en termes d’emplois et de souveraineté.
La France pourrait prendre des initiatives à l’échelle de l’Europe pour mettre en place les conditions du maintien d’une filière sidérurgique, en commençant par mener une réflexion nationale.
Madame la secrétaire d’État, faut-il spécialiser nos hauts-fourneaux pour qu’ils soient rentables dans le futur ? Est-il nécessaire de maintenir une filière active et croissante sur le modèle d’autres pays européens ? Au contraire, est-ce un effort que la France ne peut ni ne doit supporter seule ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Votre question comporte deux éléments, monsieur le sénateur.
La stratégie propre aux entreprises va dépendre des conditions de compétitivité dans lesquelles celles-ci évoluent. Eu égard à la surcapacité actuelle, elles ont un intérêt à viser les segments à plus haute valeur ajoutée, où elles peuvent retrouver de la compétitivité. C’est le mouvement naturel qu’elles essayent d’opérer et nous devons les aider à aller dans cette direction, tout d’abord en leur offrant des conditions de compétitivité aussi favorables que possible – c’est la question du coût de l’énergie et, de manière plus générale, du coût du foncier, de la simplification administrative et du coût du travail.
Nous devons nous interroger aussi sur la manière de les accompagner dans leurs investissements, notamment dans leurs investissements numériques.
Je rappelle que 80 millions d’euros ont été mis sur la table pour accompagner les diagnostics numériques et près de 200 millions d’euros pour le suramortissement numérique. Nous examinons également, dans le cadre du Pacte productif, la question des investissements dans la transition écologique et énergétique.
Sur le plan européen, nous pouvons aussi mettre en place des mécanismes pour faire respecter un minimum de concurrence loyale. Il s’agit en particulier du mécanisme d’inclusion carbone, qui fait l’objet d’une négociation et qui a été intégré à la plateforme des Amis de l’industrie. Le futur commissaire chargé de la question devra s’en préoccuper. Nous abordons aussi ce sujet dans les discussions bilatérales que nous avons avec nos homologues.
Se pose par ailleurs la question de la réciprocité sur les marchés publics et de la réciprocité de manière générale dans le cadre des accords commerciaux que nous avons conclus, mais aussi de la transparence sur les aides d’État dont bénéficient certaines entreprises, notamment chinoises. La Chine pèse aujourd’hui 50 % de la production mondiale, contre seulement 4 % en 1978.
Nous devons également avoir une approche de la commande publique plus stratégique ; c’est un autre levier d’action.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini.
M. Jean-Marc Todeschini. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux tout d’abord saluer l’excellent rapport de Valérie Létard et la nécessité de notre débat de ce jour. Ce serait encore mieux de l’aborder sans arrogance, même si les difficultés de la sidérurgie ne datent pas d’aujourd’hui.
Nous ne le répéterons jamais assez : malgré l’actualité et le traitement médiatique réservé à l’industrie de manière générale et à celle de l’acier en particulier, il y a une industrie de l’acier en France !
Plus de 40 000 personnes travaillent dans ces entreprises, qui produisent notamment des aciers de qualité à haute valeur ajoutée. Ces salariés sont des spécialistes qui font appel à des technologies de pointe.
Vous avez évoqué Florange, madame la secrétaire d’État. Tout n’a pas démarré en 2017, et c’est notamment grâce à l’action du président François Hollande que l’industrie de l’acier n’a pas disparu du département de la Moselle, ni même de Florange, où près de 3 000 personnes n’ont jamais « rien lâché », pour reprendre les mots de mon ami Édouard Martin, et ont continué à être fières des métiers qu’elles exercent.
Cela étant dit, je souhaite revenir sur l’un des défis majeurs relevés par le présent rapport : l’adaptation nécessaire des producteurs d’acier aux exigences de la transition environnementale.
La part de la sidérurgie dans les émissions de CO2 s’élève à 6 % aujourd’hui. À ce stade, les nouveaux procédés de production sur lesquels travaillent les chercheurs mettront, à la condition sine qua non que les niveaux d’investissement restent élevés, quinze à vingt-cinq ans avant d’être opérationnels.
Néanmoins, d’autres projets se déroulent parallèlement comme les projets de capture et de stockage du carbone ou les projets de capture et d’utilisation du carbone.
Madame la secrétaire d’État, quelles sont les mesures que le Gouvernement entend prendre pour accompagner et soutenir encore plus fortement la plateforme MetaFensch à Uckange, le projet Valorco, ou encore les projets 3D et Icare à Dunkerque ? L’aboutissement de ces projets est intrinsèquement lié à la sauvegarde et au développement du secteur dans notre pays.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur, vous avez raison, le défi de la transition écologique et énergétique est absolument clé pour cette industrie, et c’est pourquoi, dans le cadre du Conseil national de l’industrie et du groupe de travail que nous avons lancé sur la maîtrise énergétique, Emmanuelle Wargon et moi-même avons sélectionné cette filière pour travailler sur la trajectoire de diminution des émissions de carbone, en collaboration avec Philippe Darmayan, président d’ArcelorMittal, mais aussi patron de l’UIMM.
Nous avançons avec l’objectif de formuler des propositions et d’obtenir des engagements individuels des entreprises.
Pour aller plus loin, vous avez raison, il faut investir dans l’innovation. Le centre de recherche MetaFensch à Uckange bénéficie d’un soutien de 20 millions d’euros pour le développement de produits très techniques, y compris les poudres. C’est notre façon d’accompagner l’innovation dans ce secteur. Plus largement, le Pacte productif vise à travailler sur la transition écologique et énergétique de l’industrie et à inventer une nouvelle façon de produire pour atteindre l’objectif d’une empreinte carbone neutre à l’horizon 2050, en intégrant aussi la possibilité d’utiliser du captage de CO2.
Dans cette optique, outre les trajectoires individuelles filière par filière, nous menons également un travail sur la manière d’accompagner et de favoriser les investissements dans la transition énergétique, lesquels peuvent réduire l’empreinte carbone sans nécessairement améliorer la productivité. C’est l’une des interrogations des chefs d’entreprise, qui, à un moment de tension commerciale générale, s’inquiètent de devoir mettre de l’argent supplémentaire sur la table avec des perspectives de retours sur investissement très lointaines.
La puissance publique peut inventer une façon d’accompagner ces trajectoires, mais cela pose la question des impôts de production, qui pèsent sur l’emploi et sur l’investissement, et qui pèsent finalement sur l’activité de l’entreprise avant que celle-ci ne soit capable de générer un bénéfice. Nous estimons que ces impôts sont nuisibles pour les entreprises et c’est pourquoi nous suggérons de les diminuer, afin de retrouver une compétitivité par rapport à d’autres pays – je rappelle que les impôts de production en Allemagne sont sept fois inférieurs à ceux qui s’appliquent en France.
Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde.
Mme Christine Lavarde. La filière sidérurgique est aujourd’hui à la croisée des chemins, et il appartient au Gouvernement de lui donner une boussole. Elle est très émettrice de CO2. En effet, suivant les technologies utilisées, on se situe entre 1 100 kilogrammes équivalents CO2 et 3 200 kilogrammes équivalents CO2 par tonne d’acier produite. Avec l’évolution du système européen d’émission des quotas pour la période 2021-2030, une augmentation mécanique de la tonne de CO2 est à prévoir. La décarbonation de la filière sidérurgique, et donc sa compétitivité, passe par le recours à une énergie propre, qui soit en même temps peu émettrice de CO2 et peu onéreuse. Il ne vous a en effet pas échappé que cette filière est électro-intensive et qu’elle est très sensible à la variation des prix de l’électricité.
Aujourd’hui, ce prix est celui de la dernière centrale sur la zone ouest du marché européen, c’est-à-dire une centrale soit au charbon, soit au gaz, si bien qu’une augmentation de 10 euros par tonne de CO2 entraîne une hausse de l’ordre de 7,6 euros du mégawattheure.
Madame la secrétaire d’État, ma question est simple : quelle politique de l’énergie la France veut-elle promouvoir en Europe pour concilier maîtrise des coûts de l’énergie et faibles émissions ? Je connais une énergie qui répond à l’ensemble de ces caractéristiques : c’est l’énergie nucléaire. Quelle est donc la réponse du Gouvernement au rapport remis cette semaine par M. Folz, qui a notamment préconisé que l’État mette en place des programmes stables à long terme de construction de nouveaux réacteurs et d’entretien du parc existant ? Il me semble que la réponse n’est pas la même selon les membres du Gouvernement interrogés… (Mme la rapporteure applaudit.)
M. Jean-Marie Bockel. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Madame la sénatrice, vous posez en fait plusieurs questions. Il faut bien séparer les différents enjeux liés à l’énergie.
Il y a d’abord la question de la compétitivité du prix de l’énergie pour les industries sidérurgiques. Je le répète, comme elles sont électro-intensives, ces dernières ne sont pas soumises aux mêmes règles du jeu que les autres entreprises. Vous le savez, elles peuvent bénéficier de l’Arenh, l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique ; elles profitent également du Turpe, le tarif d’utilisation du réseau public d’électricité ; l’interruptibilité leur permet enfin de jouir d’un tarif plus favorable. Nous négocions aujourd’hui tous ces éléments-là auprès de la Commission européenne, puisqu’un certain nombre de contrats vont arriver à échéance cette fin d’année et l’an prochain. L’enjeu, c’est de maintenir un prix de l’électricité compétitif à l’échelon européen, notre benchmark étant l’Allemagne.
Ensuite, la décarbonation des processus industriels est une des chaînes de valeur stratégique que nous avons relevée à l’échelle européenne, et qui a été validée comme telle. Elle pourra faire l’objet – excusez ce sigle barbare – d’un IPCEI, ou projet important d’intérêt européen commun, de même type que celui dont pourraient bénéficier les batteries électriques si la Commission européenne donne son feu vert, et dont ont bénéficié les nanoélectroniques en début d’année. C’est une façon d’accompagner des entreprises, quelle que soit leur taille, avec un support public. Il s’agit d’aides d’État autorisées pour l’ensemble de l’Union européenne.
Enfin, vous m’interrogez sur l’avenir du nucléaire. Vous l’avez très bien dit, l’électricité dont bénéficie la France est décarbonée à 90 %, ce qui constitue un avantage compétitif majeur, d’autant plus si l’on arrive à faire reconnaître une valeur de la tonne de CO2 correspondant à son incidence réelle sur notre environnement.
Vous l’avez rappelé, nous venons de recevoir le rapport de Jean-Martin Folz qui porte essentiellement sur la situation de l’EPR de Flamanville. Il relève un certain nombre de dérives que nous allons étudier de manière plus approfondie. Le Premier ministre a été assez clair sur le sujet : la question du futur programme nucléaire, s’il y en a un, sera tranchée dans les prochains mois. À ce stade, le Gouvernement n’a pas de position établie.
Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde, pour la réplique.
Mme Christine Lavarde. Vous avez répondu à ma question à la fin de votre intervention, mais, finalement, vous avez ouvert d’autres sujets, madame la secrétaire d’État, en évoquant les différents dispositifs de soutien, dont l’Arenh. Je pourrais donc vous poser une nouvelle question : quid de l’après-2025 ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Berthet.
Mme Martine Berthet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, mon intervention portera sur la nécessaire visibilité à moyen terme des dépenses incontournables ou imposées aux entreprises de l’acier.
En effet, comme dans tout secteur économique, pour rester compétitives, voire développer leurs activités, les entreprises de la filière sidérurgique ont besoin de lisibilité quant à leurs dépenses.
En premier lieu, il y a la dépense imposée, notamment la compensation qui leur est demandée pour leurs émissions de CO2, compensation qui est à présent inéluctable pour une évolution rapide vers les adaptations technologiques permettant de réduire ces émissions à leur minimum. Il est nécessaire et urgent que ces entreprises puissent avoir une visibilité suffisante à cet égard. Pour cela, une feuille de route claire doit leur être donnée concernant les quotas et le prix à la tonne avec un horizon à cinq ans, afin de leur permettre d’anticiper ces importants surcoûts de production. Qu’est-il prévu par le Gouvernement à ce sujet ?
Par ailleurs, pouvez-vous nous faire un point précis sur la mise en place aux frontières de l’Europe d’un possible test sur la filière acier du mécanisme d’inclusion carbone en remplacement du système actuel des quotas ETS ?
En second lieu, la visibilité sur le coût de l’énergie, et plus particulièrement de l’énergie électrique, est primordiale sur un marché qui fluctue beaucoup et sur lequel les mécanismes d’économies existent, mais sont complexes pour les entreprises sidérurgiques, qu’elles soient ou non électro-intensives. Ces dernières disposent à ce jour de trop peu de visibilité pour être en mesure d’élaborer des choix stratégiques.
Pour terminer, je me permettrai une remarque : diminuer l’empreinte carbone de la sidérurgie suppose aussi de s’attaquer aux transports des matières premières et des produits finis. Or, vous le savez, le multimodal est très difficile à mettre en œuvre, la SNCF restant très frileuse sur ce sujet. Aussi, la filière est prête à s’organiser en ce sens, mais elle attend des dispositifs d’aide lui permettant de développer cette intermodalité et de diminuer ainsi les émissions carbonées des camions. Madame la secrétaire d’État, quelle est votre vision à ce sujet ?
Pour conclure, je dirai que nos aciéries savoyardes et nationales ont besoin que l’on mette toutes ces armes à leur disposition.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Madame la sénatrice, vous abordez la question des quotas ETS. Comme vous le savez sans doute, une renégociation des secteurs et des modalités de calcul est en cours à l’échelon européen. L’État français ne dispose donc pas de tous les leviers, mais nous nous efforçons de faire valoir notre position. Cette négociation portant sur la prochaine période de cinq ans, les entreprises auront une visibilité équivalente.
Ensuite, nous nous situons sur des marchés qui connaissent des fluctuations, comme le change ou les matières premières. C’est l’ordinaire d’une entreprise et elle doit savoir s’y adapter et l’intégrer dans ses stratégies.
S’agissant du mécanisme d’inclusion carbone, nous avons lancé un travail avec nos partenaires. Il a été notamment évoqué pendant le Conseil franco-allemand. J’en ai également parlé lors du conseil Compétitivité à plusieurs reprises. Ce point est enfin abordé dans la déclaration des Amis de l’industrie.
À ce stade, des travaux un peu techniques sont en cours. Trois filières sont concernées, à savoir celles de l’acier, de l’aluminium et du ciment, car ce sont des filières assez simples en matière de transformation. Sur des filières plus compliquées, l’incidence serait plus difficile à valoriser, ce qui pourrait bloquer l’appropriation du mécanisme par les différents acteurs économiques. Par ailleurs, il faut s’assurer de la compétitivité de l’ensemble des filières. On parlait tout à l’heure des débouchés de l’acier. L’objectif n’est pas de grever d’un pourcentage important le prix de la construction automobile qui utiliserait de l’acier soumis au mécanisme de l’inclusion carbone.
Nous sommes en train de discuter de tous ces enjeux avec nos partenaires. Nous en parlerons avec la future Commission européenne lorsqu’elle sera en place, mais vous imaginez bien que nous avons d’ores et déjà eu des contacts sur ce sujet.
Conclusion du débat
Mme la présidente. Pour clore le débat, la parole est à Mme la rapporteure.
Mme Valérie Létard, rapporteure. Madame la présidente, mes chers collègues, le moment est venu pour moi de remercier, en mon nom et en celui de Franck Menonville, Mme la secrétaire d’État d’avoir bien voulu se prêter à cet échange. Nous remercions bien évidemment tous ceux qui ont participé à cette mission d’information, mais aussi les nombreux élus qui se sont exprimés dans ce débat, montrant que, pour le Sénat, la sidérurgie est une industrie non pas du passé, mais bien du futur, de l’avenir.
C’est bien le haut de la chaîne de valeur de l’industrie française. Nous devons toujours avoir à l’esprit de conserver l’indépendance de la France en matière d’acier et de développer le recyclage, l’économie circulaire. Vous avez parlé de tous ces sujets, les uns après les autres, précisant que de nombreux outils avaient été créés par différents ministères et que le Premier ministre lui-même s’y était attelé, au côté du Conseil national de l’industrie et de France Industrie, avec Philippe Varin.
Vous avez cité les contrats stratégiques de filière, les fonds d’innovation pour l’industrie, les enjeux de recherche et d’innovation, de GPEC.
Madame la secrétaire d’État, l’acier constitue un des neuf contrats stratégiques de filière. Nous savons combien vous êtes déterminée à pousser ces questions, comme tout le Gouvernement ; nous savons qu’il en est de même pour les gens qui travaillent à vos côtés. Ils sont très efficaces, mais bien trop peu nombreux.
Vous avez neuf contrats stratégiques de filière à accompagner dans une stratégie industrielle d’ensemble, avec vos collègues ministres, mais vous devez avoir les moyens de vos ambitions.
M. Jean-Marc Todeschini. Eh oui !
Mme Valérie Létard, rapporteure. Des moyens financiers, des moyens humains autrement plus importants pour en faire une priorité nationale. Si demain, dans l’Europe, la France veut rester compétitive, avec une industrie forte, condition sine qua non pour rester un grand pays, il faut marcher sur deux jambes. Le numérique, la nouvelle économie, l’intelligence artificielle, la robotisation, oui ! Mais notre industrie doit leur emboîter le pas. Vous en êtes convaincue, donc que l’on vous en donne les moyens, que l’on dise enfin que l’industrie est une priorité nationale.
Combien de territoires s’interrogent sur le devenir de leurs entreprises industrielles ? On a parlé d’Ascoval, mais on a aussi peur pour Alstom ou, aujourd’hui, pour PSA. Que va-t-il se passer ? C’est au cœur de nos préoccupations, car cela représente des centaines de milliers d’emplois que l’on doit garder. Transformés, mais conservés ! Madame la secrétaire d’État, il faut demain un ministre de l’industrie de plein exercice qui soit identifié et qui puisse peser sur tous les autres ministères.
Enfin, quand on rencontre les acteurs industriels, que ce soit les patrons d’Eramet ou d’autres entreprises, ils se félicitent des contrats stratégiques de filière, mais ils réclament de l’aide au quotidien, en cas de difficultés, pour prendre contact soit avec le ministère de la transition écologique quand il s’agit du coût de l’énergie ou de la taxe carbone, soit avec le ministère du travail pour les problèmes de GPEC, soit avec le ministère de la recherche pour bénéficier des fonds dédiés, car il n’y a pas toujours de coordination sur ces questions. Ce que je veux dire, madame la secrétaire d’État, c’est qu’un ministre de l’industrie doit avoir les moyens d’être l’interlocuteur privilégié, identifié, pour faciliter la tâche des acteurs industriels et transformer le contenu des contrats stratégiques de filière. En effet, aujourd’hui, il y a un trou dans la raquette. Les moyens doivent être décuplés pour ce qui est de votre responsabilité.
Donnez-vous, donnons-nous les moyens d’être à la hauteur des ambitions que nous affichons ! On peut tenir de beaux discours, mais il faut que les actes soient au rendez-vous. Je vous souhaite, ainsi qu’à Bruno Le Maire, que le Président de la République et le Premier ministre fassent demain le choix, ce qui n’est pas arrivé depuis longtemps, de mettre en place un véritable ministère de l’industrie pilote, stratège, sans juxtaposition d’outils. Cette ambition, nous espérons que le Gouvernement va la porter demain. (Applaudissements sauf sur les travées du groupe CRCE.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions du rapport d’information : Donner des armes à l’acier français, accompagner la mutation d’une filière stratégique.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures dix.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
5
quel avenir pour l’enseignement agricole ?
Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe CRCE, sur le thème : « Quel avenir pour l’enseignement agricole ? »
Dans le débat, la parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour le groupe auteur de la demande.
M. Pierre Ouzoulias, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 18 octobre 2006, Françoise Férat présentait à notre commission de la culture, dont elle était alors membre, un rapport sur la place de l’enseignement agricole dans le système éducatif français. Il plaît au Sénat de prendre appui sur ces travaux de fond pour évaluer régulièrement l’état et les évolutions des politiques publiques. Le présent débat n’a d’autre ambition que de poser les termes généraux d’un bilan, qui devra nécessairement être prolongé. La question posée est très générale pour permettre aux sénatrices et aux sénateurs qui nous font l’honneur de leur participation de s’exprimer librement sur des sujets d’ampleur ou des situations locales.
Depuis 2006, le système éducatif français n’a cessé d’évoluer et de se transformer. Les révisions ont succédé aux réorganisations administratives, et les plans d’économies aux mesures d’optimisation ou de rationalisation, qui ont souvent affaibli un réseau d’établissements toujours aussi fragiles. Les deux années qui viennent de s’écouler n’ont pas été épargnées par le maelström de la réforme permanente.
Les nouvelles dispositions relatives à l’accès à l’enseignement supérieur contenues dans la loi Orientation et réussite des étudiants, les changements majeurs imposés à l’ordonnancement du baccalauréat, des études dans le cadre du lycée et de l’apprentissage ont eu des conséquences très importantes sur l’enseignement agricole. À tout le moins, nous ne pensons pas que ses spécificités aient été pleinement considérées et préservées. Le sentiment qui prédomine est, au contraire, celui d’un nouvel affaiblissement de ses capacités, de ses moyens et de sa notoriété. Dans le très vaste ensemble du service public de l’éducation, il nous semble que l’enseignement agricole demeure la cinquième roue du tracteur. (Sourires.) En 2006, notre collègue Françoise Férat considérait qu’il était à la croisée des chemins ; après toutes ces réformes, on peut se demander s’il n’est pas dans l’ornière !
L’ambition de ce débat est d’apporter une première contribution à un inventaire nécessaire.
Avant d’aborder nos divergences, soulignons nos consensus.
En préambule, vous me permettrez d’affirmer, en tant qu’historien de l’agriculture, que la ruralité n’est pas ce monde immobile, bloqué par la routine et incapable de participer activement aux évolutions de la société parfois décrit par ceux qui le regardent avec dédain et condescendance. Ce mépris participe d’une incompréhension croissante entre les villes et les campagnes et, au sein de ces dernières, entre ceux qui y vivent et ceux qui les cultivent. Notre pays, par ses traditions et par l’importance de sa ruralité, ne peut accepter que ce dissentiment persiste et s’aggrave. L’enseignement agricole est un des moyens de réparer ce lien qui menace de se rompre.
Depuis la révolution néolithique, les agriculteurs – les paysans, comme j’aime à les appeler – ont su adapter en permanence leurs productions, leurs pratiques et leurs organisations sociales aux évolutions de la consommation, des goûts et des habitudes alimentaires, de même qu’aux changements climatiques et aux bouleversements géopolitiques.
Reste que jamais dans cette longue histoire les mutations de l’agriculture n’ont été aussi profondes, continues et déstabilisantes qu’aujourd’hui. Une civilisation agricole, qui plonge ses racines dans le long passé de nos terroirs, disparaît, inspirant une nostalgie légitime ; mais une autre la remplace, qui devra trouver les ressources nécessaires pour affronter des enjeux majeurs.
Le premier de ces enjeux est climatique. Le deuxième, social, car il faut trouver les moyens de faire vivre ensemble, dans l’espace rural, des populations qui n’ont pas la même utilisation des sols et des ressources naturelles. Les enjeux sont aussi évidemment environnementaux et économiques.
Dans cet hémicycle, nous partageons une même conviction : l’enseignement, la formation et la recherche seront déterminants pour accompagner, guider et éclairer ces mutations majeures. Le renforcement et le développement de l’enseignement agricole à tous ses degrés doivent donc devenir une cause commune et une obligation de l’État !
Au reste, l’affirmation de cette nécessité n’est pas nouvelle. L’Observatoire national de l’enseignement agricole l’avait soulignée, propositions à l’appui, dans son rapport annuel pour 2013, intitulé L’enseignement agricole face aux défis de l’agriculture à l’horizon 2025. La plupart des propositions avancées ont été oubliées, et l’Observatoire national de l’enseignement agricole a été remplacé par l’Observatoire de l’enseignement technique agricole, aux compétences réduites et qui ne rend plus de rapport…
Parmi ses recommandations, l’Observatoire national de l’enseignement agricole avait insisté sur l’importance des dynamiques de déconcentration et de décentralisation pour favoriser les relations entre les services déconcentrés du ministère de l’agriculture, les rectorats, les conseils régionaux et tous les professionnels.
Depuis lors, avec la réforme de l’apprentissage voulue par le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre, le pouvoir de régulation des offres de formation a été retiré aux régions. Les centres de formation d’apprentis, qui pouvaient être aidés par les collectivités territoriales afin d’assurer un maillage territorial, doivent maintenant se financer par le biais des contrats qui leur sont proposés. La capacité des collectivités territoriales à aider, par la formation, des filières agricoles à subsister ou à se construire en a été considérablement réduite. Il nous faut évaluer les conséquences de cette dépossession.
Un autre motif d’inquiétude concerne les exploitations agricoles gérées par les établissements publics locaux d’enseignement et de formation professionnelle agricoles. Leur situation économique s’est dramatiquement dégradée, et la moitié d’entre elles seraient aujourd’hui en quasi-faillite. Je rappelle que la loi donne à ces établissements trois missions essentielles et indissociables : assurer la formation par la pratique, participer à l’animation et au développement des territoires et contribuer aux activités d’expérimentation et de recherche appliquée.
L’enseignement agricole a la difficile mission d’éveiller l’intelligence de la main et de l’outil et de donner les bases d’une compréhension globale et souvent empirique de systèmes rendus complexes par les interactions fortes entre le végétal, l’animal, la nature et l’humain en société. Ces savoirs ne sont malheureusement pas les plus valorisés par notre système éducatif. Permettre aux établissements d’enseignement agricole d’en assurer la promotion et la transmission dans les meilleures conditions est donc un enjeu majeur pour lequel l’engagement de l’État doit être sans faille, afin de restaurer la pluralité des modes d’accès aux connaissances et de diffusion de celles-ci.
Depuis leur fondation, les établissements d’enseignement agricole – les fermes écoles ou les écoles pratiques d’agriculture de jadis – ont joué un rôle essentiel comme structures de soutien aux agriculteurs, aux filières professionnelles et, in fine, aux territoires ruraux.
J’évoquerai l’histoire de l’école d’agriculture et des industries rurales de Neuvic, en Corrèze, qui permettait aux élèves, après leur scolarité, de mener une partie de leur activité au sein d’une structure associée à l’école et gérée comme une coopérative. Un lien fort était ainsi tissé entre l’école, les professionnels et les terroirs. Il faut aujourd’hui préserver et développer cette interaction fondamentale, car c’est un levier efficace d’aide à l’agriculture dans sa nécessaire mutation.
Pour que cette politique soit active, il faut que l’enseignement agricole reste attractif. Or, je le répète, il n’est pas du tout assuré que les réformes du baccalauréat et de l’accès à l’enseignement supérieur aient renforcé son attractivité.
M. Stéphane Piednoir. Certes non !
M. Pierre Ouzoulias. Les rares statistiques disponibles semblent montrer au contraire qu’il a eu à pâtir d’une concurrence accrue avec les filières générales.
Avec la nouvelle organisation des études de la classe de terminale, l’enseignement de l’agronomie est assuré dans le cadre d’une option, non d’une spécialité. Les heures de cours consacrées à cette matière vont donc globalement diminuer, et il est à craindre que les élèves qui souhaitent prolonger leur cursus dans le supérieur ne se détournent de l’enseignement agricole au profit d’autres lycées, d’autant que très peu de lycées agricoles ont retenu cette option.
Mon inquiétude majeure concerne les bacheliers des filières technologiques et professionnelles. Comme l’a dénoncé le Défenseur des droits, ces élèves ont été massivement écartés de l’enseignement supérieur par la procédure Parcoursup. Nous avons absolument besoin de savoir ce que sont devenus ces bacheliers issus de l’enseignement agricole. Pour demeurer attractif, il faut que cet enseignement offre la possibilité d’une poursuite d’études au-delà du baccalauréat.
Enfin, j’évoquerai, trop rapidement, le sort des personnels de l’enseignement agricole. Plusieurs de leurs représentants assistent à notre débat depuis les tribunes ; je les remercie solennellement de leur investissement.
Monsieur le ministre, ces personnels ont aujourd’hui besoin d’une reconnaissance à la mesure de leur engagement exceptionnel. Ils sont trop nombreux à travailler dans la précarité et à être bloqués dans leur carrière par des statuts d’emploi qui leur interdisent toute mutation. Je pense notamment aux directeurs d’établissement, auxquels il faut offrir enfin la possibilité d’intégrer un corps de la fonction publique. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SOCR, RDSE et UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans la continuité de l’intervention de mon collègue Pierre Ouzoulias, j’évoquerai de manière concrète la réalité de l’enseignement agricole dans ma région, la Normandie.
Je commencerai par le budget pour 2020 : après la suppression de vingt postes d’enseignants dans le secteur public l’an dernier, il prévoit trente-cinq nouvelles suppressions. Nous y reviendrons lors de l’examen du projet de loi de finances.
Alors même que, après plusieurs années de recul des effectifs, le nombre d’élèves va augmenter, cette hausse, souhaitable pour le monde agricole et, plus largement, pour l’ensemble de notre société, va donc être accueillie par une dégradation de la qualité de l’accueil, avec d’inévitables conséquences sur celle de l’enseignement.
Le relèvement des seuils de dédoublement est particulièrement néfaste à nos yeux. Ainsi, comment imaginer réaliser des travaux pratiques dans de bonnes conditions avec des effectifs augmentés d’au moins trois élèves, quand il s’agit, par exemple, de manier des outils dangereux, comme c’est le cas en baccalauréat professionnel Travaux paysagers au lycée horticole de Fauville ou en zootechnie dans le pays de Bray ? Je dis : trois élèves au moins, car ces seuils deviennent indicatifs ; on peut facilement imaginer ce qu’il en adviendra sous la pression de restrictions budgétaires malheureusement constantes… Avec, à la clé, des problèmes extrêmement concrets, comme celui des salles informatiques du lycée agricole d’Évreux, conçues et équipées pour accueillir seize élèves au maximum.
On pourrait évoquer aussi les conséquences de la réforme du lycée dans la voie générale agricole. Cette réforme conduit à faire choisir aux élèves deux enseignements de spécialité et deux enseignements optionnels spécifiques à l’agriculture, certaines disciplines fondamentales étant d’ailleurs dispensées sous forme optionnelle. Dans les faits, les diminutions de moyens, en termes tant de dotation horaire globale que de postes, conduisent à choisir entre enseignements de spécialités et options facultatives. Celles-ci permettent pourtant aux jeunes de se spécialiser dans une discipline, puis de s’orienter vers un BTS correspondant ; elles rendent également tel ou tel établissement plus attractif, ce qui est aussi important dans un certain nombre de nos territoires.
En la matière comme pour ce qui est des dédoublements, l’autonomie des établissements renvoie à la salle des profs des arbitrages qui devraient être rendus ailleurs, notamment à la direction générale de l’enseignement et de la recherche, contraignant les enseignants, dans un contexte austéritaire, à choisir la « moins pire » des solutions – passez-moi l’expression.
Par ailleurs, de nombreux questionnements entourent la place accordée au stage professionnel dans le cadre du baccalauréat technologique STAV, ou sciences et technologies de l’agronomie et du vivant, proposé notamment par le lycée agricole d’Yvetot, dans mon département. Sans qu’on en comprenne les motivations pédagogiques, ce stage est détricoté, les cinq semaines prévues pouvant être « saucissonnées » en différentes périodes. Surtout, il ne donne plus lieu à évaluation, alors même que ce baccalauréat professionnel donne la capacité d’installation. Monsieur le ministre, une large intersyndicale a eu beau interroger vos services à de nombreuses reprises sur cette question, rien n’y a fait !
J’aimerais évoquer maintenant, trop brièvement, les lycées professionnels maritimes, qui témoignent de la situation critique dans laquelle nous nous trouvons.
Critique, car le métier de marin-pêcheur connaît lui aussi une crise de recrutement, en partie liée à un manque de considération pour ces formations. Ainsi, depuis 2007, les effectifs de marins-pêcheurs ont chuté de 14 %. Même dans les familles de ces professionnels, on observe un assèchement des recrutements. En cause, comme le fait apparaître le récent rapport de notre collègue député Sébastien Jumel, la mauvaise image de la voie professionnelle, mais aussi un maillage territorial insuffisant, avec seulement douze lycées professionnels maritimes, et surtout des moyens qui ne permettent pas d’accueillir les lycéens en pension complète. Cela conduit ces établissements à recruter quasi exclusivement des jeunes présents sur leur territoire, quand beaucoup d’autres, en recherche de formation, mais éloignés, pourraient s’y épanouir.
Il en va de même pour le contenu des formations dans le cas de la voie professionnelle. Par exemple, les exigences de la pêche durable ne sont enseignées que sous la forme de réglementations à respecter ou d’une courte sensibilisation en classe de seconde, alors que cette dimension devrait faire partie intégrante de la formation, avec des sorties sur le terrain et des rencontres avec l’Observatoire de la biodiversité marine, comme dans le cadre du BTS Pêche et gestion de l’environnement marin.
Telle est, hélas, l’ambition du Gouvernement pour l’enseignement agricole, à plus forte raison lorsqu’il est professionnel, pour les territoires ruraux où il se situe bien souvent et pour des métiers pour la plupart en souffrance. L’exemple de la pêche, sur lequel je me suis attardée, car il est trop rarement évoqué, permet de prendre conscience de ce qui se joue.
Pour être juste, monsieur le ministre, si j’ai mis le doigt sur des décisions récentes, il est évident que le manque de considération de ces enseignements est très ancien. Si nous voulons entendre le message du monde agricole, qui proteste contre ce que d’aucuns appellent l’agri-bashing, nous devons redonner toute son ambition à l’enseignement agricole. Nous y sommes pour notre part déterminés ; nous avons de nombreuses propositions à faire, que je n’ai pas le temps d’énumérer à cet instant.
Puisse notre débat de cet après-midi contribuer à redonner à l’enseignement agricole toutes ses couleurs ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SOCR, RDSE et UC. – M. Antoine Karam applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 1850, à Nancy, une statue fut érigée à la mémoire de Mathieu de Dombasle, et la place sur laquelle elle se trouve porte désormais le nom de ce Lorrain considéré comme le père de l’enseignement agricole.
Animé par l’envie de transmettre sa passion, cet agronome avait bien compris que l’enseignement agricole ne visait pas seulement à améliorer les techniques et à augmenter la productivité ; il avait compris que le travail de la terre donne à l’homme une activité noble, par laquelle tout un chacun peut s’élever.
C’est dans cet esprit que l’enseignement agricole s’est développé en France pendant plus de deux siècles.
Cet enseignement connaît aujourd’hui des formes diverses, du secteur public au secteur privé en passant par les maisons familiales rurales et l’apprentissage en alternance. Ces formes constituent un ensemble riche et complémentaire, dont la diversité fonde l’excellence de la filière.
Je traiterai plus spécifiquement de l’enseignement professionnel public, plus directement dépendant de votre action, monsieur le ministre.
La loi attribue à cet enseignement différentes missions, qui vont bien au-delà de la seule formation scolaire et professionnelle. Il doit également contribuer à l’animation du territoire, à la coopération internationale, à l’expérimentation et à l’insertion. C’est dire l’importance que la puissance publique lui confère et surtout la responsabilité qui incombe aux acteurs de terrain qui le font vivre au quotidien dans nos territoires.
La France, en tant que première agriculture européenne, doit savoir évoluer pour conserver sa place sur les marchés internationaux, alors que d’autres modes de consommation et d’autres types de besoins émergent.
L’évolution de l’agriculture face à celle du climat, aux impasses techniques et technologiques et aux limites de l’efficacité de la chimie, et avec le développement du bio, de l’agroécologie et des marchés de proximité, oblige tous les acteurs agricoles à adapter leurs savoirs et leurs pratiques pour se préparer au monde de demain. Ces évolutions, déterminantes pour le secteur, imposent de nouvelles exigences en matière d’innovations techniques et d’adaptation technologique, donc aussi en matière pédagogique.
Nouveaux besoins, nouveaux publics, nouveaux savoirs : l’enseignement professionnel agricole, à l’image du secteur, devra nécessairement évoluer pour perdurer et maintenir son attractivité et son excellence.
Si une grande partie du travail échoit directement aux professionnels, les pouvoirs publics ont évidemment un rôle important à jouer. À mes yeux, ils doivent prioritairement travailler dans deux directions.
D’abord, il convient de développer de nouvelles formations en faisant preuve d’une souplesse et d’une réactivité plus grandes pour s’adapter plus rapidement aux évolutions du marché et aux besoins des acteurs économiques. Ainsi, pour prendre un exemple sur mon territoire, l’établissement public local d’enseignement et de formation professionnelle agricoles de la Meuse a développé une formation en méthanisation en partenariat avec l’École nationale supérieure d’agronomie et des industries alimentaires de Nancy. Cette belle construction partenariale était attendue, car elle est nécessaire pour les territoires comme pour les professionnels. Cette agilité est une spécificité importante de l’enseignement agricole.
Ensuite, il importe de renforcer les moyens consacrés à l’enseignement agricole. Cet accompagnement est une contrepartie indispensable aux mutations de notre agriculture, à sa diversification et à sa quête de valeur ajoutée ; surtout, il est nécessaire pour assurer le renouvellement des générations, enjeu essentiel, car un agriculteur sur deux a plus de 55 ans. L’accueil du public hors cadre familial est donc indispensable pour assurer l’avenir de notre agriculture.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, investir dans l’enseignement professionnel agricole, c’est investir tout à la fois dans notre souveraineté alimentaire, dans la transition écologique et dans la cohésion de nos territoires.
Au début du XXIe siècle, alors que l’humanité fait face à de nouveaux défis, il est essentiel de nous souvenir du message de Mathieu de Dombasle : l’enseignement agricole est avant tout un enjeu de transmission, dans lequel l’humain joue un rôle central. Dans cette perspective, l’enseignement professionnel agricole doit contribuer à ce que notre société renoue un lien apaisé avec son agriculture, qui en a bien besoin !
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien.
Mme Dominique Vérien. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie le groupe CRCE d’avoir demandé un débat sur un sujet aussi important que l’avenir de l’enseignement agricole.
L’enseignement agricole présente plusieurs particularités, dont celle de former nos futurs agriculteurs. Plus largement, il propose de très nombreuses spécialités permettant d’acquérir des diplômes allant du CAP au diplôme d’ingénieur en passant par le baccalauréat professionnel, le baccalauréat général et le BTS.
Reste que, lorsqu’on considère l’enseignement agricole, ce ne sont pas les formations dispensées qui paraissent faire la plus grande différence avec l’éducation nationale ; c’est plutôt le modèle d’organisation de cet enseignement. L’internat, par exemple, y est fortement développé. Facteur de brassage social, il est propice à l’étude, mais aussi à la camaraderie : des liens s’y tissent qui créent une complicité au long cours pour les élèves. Je pense aussi aux professeurs qui passent leurs semaines à l’école, à la disposition des élèves.
Les maisons familiales rurales sont une autre forme de cet enseignement, permettant à des élèves qui ne se sentent pas à leur place dans l’enseignement général ou dans l’éducation nationale de se retrouver pour ainsi dire en famille, encadrés, guidés, accompagnés vers la réussite. Malheureusement, le critère d’âge des stages dans l’enseignement professionnel limite aux enfants de plus de 14 ans l’accès à ces maisons, alors que celles-ci disposent de classes de quatrième où des enfants pourraient entrer dès 13 ans ; ceux qui n’y ont pas accès à quelques mois près sont renvoyés à leur échec scolaire, en attendant d’avoir l’âge de s’en sortir…
Autant de raisons qui rendent cet enseignement indispensable pour la diversité des modes d’enseignement et la réussite du plus grand nombre de nos jeunes.
Seulement voilà : la réussite de cet enseignement, si elle n’est pas limitée aux secteurs ruraux, y est tout de même concentrée. Or c’est là que le bât risque de blesser dans la filière de l’apprentissage.
En effet, les régions contribuaient souvent, dans le cadre de l’aménagement du territoire, à faire vivre de petits centres de formation d’apprentis, loin des centres urbains. Elles vont continuer à aider, certes, mais rarement au même niveau qu’avant. C’est ainsi que le centre de formation d’apprentis de Champignelles, dans l’Yonne, que Noëlle Rauscent, ici présente, connaît bien, devrait fermer ses portes prochainement. D’autant que ce centre doit affronter une autre difficulté : il ne trouvera bientôt plus d’apprentis dans nos communes, celles-ci devant financer 50 % du coût de la formation depuis le retrait de la compétence aux régions.
La réussite de cet enseignement tient aussi à la qualité des enseignants. Or, notamment dans le secteur privé de l’enseignement agricole, vous vous étiez engagé, monsieur le ministre, à revaloriser la grille indiciaire des enseignants agents de catégorie 3 et à ouvrir plus largement le concours. Pourtant, rien n’est prévu dans le projet de loi de finances pour 2020 pour une telle revalorisation, et seuls cinquante nouveaux postes sont ouverts au concours.
Oui, l’enseignement agricole est inventif, cultive l’esprit d’équipe et représente une force de renouvellement. Je ne doute pas que, avec ces atouts, ses acteurs sauront faire face aux bouleversements en cours. Mais cela ne se fera pas sans votre aide, monsieur le ministre. Votre soutien est indispensable, car l’avenir de l’enseignement agricole, c’est la réussite et l’avenir de nos enfants ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, SOCR et CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Boyer.
M. Jean-Marc Boyer. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’enseignement agricole a une véritable histoire, avec des missions qui lui sont propres. Enseignement général et technique, il comprend à la fois des stages en exploitation et une ouverture socioculturelle. L’enseignement agricole privé occupe une place importante dans le dispositif et l’offre éducative. Quant aux maisons familiales rurales, elles sont une vraie spécificité, avec des formations par alternance.
L’enseignement agricole a su montrer ses facultés d’adaptation à l’évolution de l’agriculture, à la modernisation de celle-ci au long du XXe siècle. Il a évolué avec la révolution technique et le passage du travail avec cheval et attelage à une mécanisation poussée, parfois exagérée.
Or, depuis une vingtaine d’années, un décalage, une fracture sépare l’évolution de la société et l’adaptation de l’enseignement agricole. La société est téléguidée vers une image de l’agriculteur pollueur, voire criminel, notamment via l’utilisation des réseaux sociaux comme canal de communication au service d’une définition outrancière du bien-être animal et d’une alimentation bio et durable.
Si certains médias mettent l’accent sur les dérives et dénoncent les abus, l’agriculteur aime son travail et ses animaux ; il est passionné par son métier. L’agri-bashing développé par notre société porte aujourd’hui un vrai préjudice à la profession agricole, ainsi stigmatisée.
L’enseignement agricole s’en trouve modifié et dogmatisé vers des filières environnementalistes en décalage avec une grande partie de la profession. Or, pour rester attractif, il doit rester ouvert à tous les types d’agriculture.
Voilà une trentaine d’années, 90 % des élèves étaient d’origine agricole et rurale et avaient un véritable projet d’installation ; aujourd’hui, ils ne sont plus que 30 % environ dans ce cas. Bien sûr, les autres 70 % sont sensibilisés aux notions agricoles, mais pas au milieu agricole et à son environnement naturel. L’enseignement agricole a formé ces dernières années des jardiniers de la nature qui viennent malheureusement gonfler les chiffres des demandeurs d’emploi…
L’agriculture dite conventionnelle doit reprendre sa place dans le dispositif éducatif, tout en intégrant, bien sûr, les éléments du développement durable. C’est ainsi que l’enseignement agricole retrouvera ses lettres de noblesse en conduisant à l’installation de jeunes agriculteurs pour toutes les agricultures, en formant de jeunes agriculteurs qui soient de véritables chefs d’exploitation, des chefs d’entreprise compétents en gestion et en technologie.
Par ailleurs, les établissements agricoles, lycées professionnels publics ou privés et maisons familiales rurales, sont de véritables outils d’aménagement du territoire. Leurs objectifs pédagogiques sont centrés sur les productions et spécificités régionales. Je pense aux filières viticoles dans le Bordelais et en Alsace et aux filières laitières, fromagères et productions animales dans le Massif central et les Alpes. Ce potentiel de richesse pédagogique régionale et locale doit être renforcé, valorisé et ainsi offrir une véritable plus-value à l’enseignement agricole.
Il est devenu indispensable de revoir les fondamentaux de l’enseignement agricole, afin de lui donner un avenir adapté aux réalités. Notre agriculture a vocation à nourrir la planète : il faut donc valoriser les filières essentielles – laitière, fromagère, bovine, ovine – et les circuits courts, sans oublier la filière viticole.
Notre agriculture est une des meilleures au monde, voire la meilleure.
M. Jean-Marc Boyer. Cessons donc cet agri-bashing destructeur, qui a de fortes conséquences sur l’avenir de l’enseignement agricole et la formation des jeunes !
L’enseignement agricole a toujours été à la pointe en matière d’évaluation des jeunes : le contrôle continu au baccalauréat existe depuis quinze ans dans ce secteur, et la réforme du baccalauréat a largement consisté pour l’éducation nationale à copier les innovations pédagogiques de l’enseignement agricole.
Cet enseignement, comme ses enseignants, a donc la capacité d’opérer une mutation profonde pour conserver sa capacité d’innovation, rester attractif pour les jeunes, ne pas s’imposer une image écolo radicale et renouer avec la mission fondamentale d’éducation à l’agriculture sans se perdre dans des dogmes. C’est ainsi que le système éducatif agricole conservera ses spécificités et son indépendance : s’il perd son cœur de métier, il finira en annexe de l’éducation nationale !
Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Joly.
M. Patrice Joly. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, quel avenir pour l’enseignement agricole ? Il s’agit là d’un sujet important, comme les précédents orateurs l’ont souligné, pour les territoires ruraux, mais aussi pour l’ensemble du pays, au regard des enjeux auxquels nous sommes confrontés comme des perspectives que nous offre l’’agriculture urbaine.
Nous parlons de 200 000 élèves à la rentrée scolaire dernière, accueillis au sein de 800 établissements publics et privés dispensant des formations initiales, des formations permanentes et des formations par alternance. Il s’agit du second secteur éducatif français accueillant collégiens, lycéens, étudiants et apprentis.
Important, ce sujet est pourtant rarement dans le débat public. Je remercie donc ceux de nos collègues qui l’ont inscrit à notre ordre du jour.
Il s’agit d’un secteur éducatif en forte évolution, sous différents rapports. Je pense aux fortes transformations actuelles et futures des métiers agricoles et, plus généralement, des métiers des territoires. Je pense aussi à la mixité, voire à la parité désormais atteinte : près de 50 % des élèves accueillis sont de sexe féminin. Quant au recrutement au sein des familles agricoles, qui représentait quatre élèves sur dix dans les années quatre-vingt, il n’en représente plus aujourd’hui qu’un sur dix.
Quels sont les enjeux de cet enseignement ?
S’agissant des métiers liés à l’activité agricole, les formations doivent permettre de favoriser la reprise des exploitations, qui constitue un des enjeux majeurs, en accueillant notamment des néo-agriculteurs.
Elles doivent permettre de faire face à l’adaptation nécessaire des systèmes de production du fait de l’évolution des attentes de la société. Celle-ci demande aux professionnels d’améliorer la qualité des produits plutôt que d’accroître leur quantité pour garantir une alimentation saine et de qualité, de s’appuyer sur l’agronomie plus que sur la chimie et de participer à l’invention d’un nouveau modèle alimentaire.
Les formations doivent permettre d’accompagner les nouvelles formes de commercialisation des productions favorisant l’économie circulaire, d’intégrer les attentes de nos concitoyens en matière de prise en compte du bien-être animal, de prendre en considération la multifonctionnalité de l’agriculture en intégrant les enjeux environnementaux dans les pratiques agricoles, notamment la biodiversité, l’eau, les paysages, et de mettre ainsi en œuvre le nouveau paradigme de l’agroécologie.
Il s’agit également de s’adapter aux évolutions climatiques et de saisir les opportunités en matière d’énergies renouvelables à partir de la biomasse.
À cela s’ajoute le développement de la numérisation, de l’automatisation, mais également de l’utilisation de l’intelligence artificielle.
Pour ce qui concerne les métiers des territoires ruraux, de manière plus large, les établissements d’enseignement constituent très clairement des outils de développement local au travers non seulement des compétences qu’ils dispensent, mais aussi de leur capacité à participer à la conception et à la mise en œuvre des projets territoriaux.
Au-delà de l’agriculture, il est donc nécessaire que ces établissements adaptent les formations aux caractéristiques de leur territoire, afin de favoriser la mise en œuvre de leur potentiel.
Ces établissements offrent par ailleurs des formations nécessaires pour répondre aux besoins croissants des territoires en matière de services à la personne, d’aménagement de l’espace ou de développement économique, notamment touristique.
Sur un autre plan, il faut noter que dans les territoires éloignés des centres universitaires, les établissements d’enseignement agricole favorisent l’accessibilité des formations universitaires à certaines catégories sociales. Ils participent ainsi à la réduction des fractures sociale et territoriale.
Au-delà, on peut même considérer que l’enseignement agricole offre des voies de promotion sociale et d’insertion professionnelle. Il faut rappeler que plus de huit élèves sur dix trouvent rapidement un travail à l’issue des formations qu’il dispense.
Quels challenges doit relever l’enseignement agricole pour qu’il tienne les promesses faites ?
Il doit continuer à s’adapter aux évolutions des savoirs nécessaires et renforcer ses capacités à expérimenter. Il faut promouvoir les formations proposées et faire connaître les gisements d’emplois importants qui existent dans le domaine agricole et dans les métiers des campagnes.
Pour ce faire, l’enseignement agricole doit disposer de moyens budgétaires suffisants. Or à cet égard, il faut bien reconnaître que les crédits qui lui ont été accordés au cours de ces dernières années sont en réduction – c’est encore le cas des crédits figurant dans le projet de budget pour 2020.
De ce fait, aujourd’hui, les établissements sont confrontés à de réelles difficultés financières, alors même que de nombreuses exploitations tenues par ces établissements ont besoin de réorganisation et de recapitalisation. Les dotations globales horaires qui ont diminué ont été compensées par le relèvement des effets de seuil, ce qui ne peut qu’avoir des effets négatifs sur la qualité de l’enseignement dispensé.
Les perspectives ne sont pas encourageantes, puisqu’il semblerait qu’une poursuite de ces réductions soit envisagée, à raison de 2 % par an jusqu’en 2022.
De plus, la réforme de l’apprentissage, avec une large ouverture au privé, est de nature à renforcer les difficultés financières des établissements publics qui accueillent 75 % des apprentis ; à cet égard, les centres de formation d’apprentis, ou CFA, situés dans les zones rurales se trouvent particulièrement fragilisés. Il y a un risque d’abandon des territoires.
Mme la présidente. Il faut conclure, cher collègue.
M. Patrice Joly. S’agissant des moyens humains, les chefs d’établissement attendent toujours un statut en rapport avec leurs responsabilités, la situation actuelle étant très préjudiciable en matière de turn-over.
Par ailleurs, le statut autonome des établissements doit être maintenu, et les missions polyvalentes qui leur sont confiées doivent être renforcées – il s’agit bien là de l’originalité de l’enseignement agricole.
En conséquence, il apparaît évident que l’enseignement agricole peut participer fortement au renouveau des campagnes françaises que l’on constate, et dont témoigne la croissance démographique des territoires ruraux, qui est plus importante que la moyenne nationale…
Mme la présidente. Il faut vraiment conclure, cher collègue !
M. Patrice Joly. … même si dans un certain nombre de territoires, la désertification n’est pas encore jugulée. Ce renouveau des campagnes correspond aux attentes de nos concitoyens, comme le montrent différents sondages. (Applaudissements sur des travées des groupes SOCR et CRCE. – M. Antoine Karam applaudit également.)
Mme la présidente. Cher collègue, vous avez dépassé votre temps de parole d’une minute !
La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, notre agriculture manque de bras. La situation est tendue : 70 000 offres d’emploi ne sont pas pourvues, et les agriculteurs font de plus en plus appel à des sociétés qui font travailler de la main-d’œuvre étrangère.
Pourtant, le ministère de l’agriculture arbore des chiffres toujours satisfaisants concernant les établissements d’enseignement agricole : 800 établissements privés et publics, 195 000 élèves, étudiants et apprentis. Cherchez l’erreur…
La réalité est, en fait, tronquée. Depuis plus d’une décennie, la filière des services à la personne a supplanté les filières de production : parfois, certains lycées agricoles n’ont d’agricole que le nom.
En plus des formations relatives aux services à la personne suivies à 90 % par des filles, on y trouve des formations paysagères, certes plus chics, des formations de soigneurs d’animaux ou en matière d’hippologie, certes plus gentleman-farmer. Derrière ces changements de formation – vous l’aurez compris –, se cachent des enjeux d’image.
Ils reflètent également la mutation de notre ruralité, qui est de moins en moins agricole : les filles et les fils de paysans, ne voulant plus reprendre les exploitations, désertent ces filières – comme cela a été dit, seulement un élève sur dix est un enfant d’agriculteurs.
Se poser la question de l’avenir de l’enseignement agricole, c’est donc inévitablement se poser celle de l’avenir de notre agriculture et de son attractivité pour les jeunes.
J’évoquerai d’abord le contexte.
Les lycées agricoles, qui se distinguent des autres lycées professionnels sous tutelle du ministère de l’éducation nationale, ont notamment pour mission de participer à l’animation et au développement des territoires. En 1984, date de la loi Rocard, cet enjeu avait toute sa portée, car les lycées agricoles formaient majoritairement des enfants d’agriculteurs ou des jeunes qui voulaient le devenir.
Aujourd’hui, la donne a changé puisqu’ils forment à d’autres métiers que la production agricole. Cela entraîne des conséquences, relevées notamment par le Conseil national de l’enseignement agricole privé. Ses responsables indiquent : « L’avenir de l’enseignement agricole sera pleinement pris en compte par les acteurs locaux quand sera mieux reconnue sa capacité de satisfaire certaines des politiques publiques territoriales. Il s’agit de changer de regard et de considérer désormais les lycées agricoles comme des partenaires des politiques publiques territoriales en leur donnant les moyens de réaliser cette interface entre monde économique, population et éducation des jeunes ou des adultes en formation continue. Ces lycées sont des centres de ressources pour les territoires. »
Ceci me semble essentiel : il est primordial de coller aux besoins des territoires, car leurs mutations démographiques, sociologiques, économiques, paysagères et environnementales affectent directement l’avenir de l’enseignement agricole.
Sous la houlette du ministère de l’agriculture, des experts ont planché sur ce thème au mois de juillet dernier. Ils ont élaboré quatre scenarii à l’horizon 2030 : premier scénario, une dualité entre le rural et urbain ; deuxième scénario, une économie verte ; troisième scénario, la politique du moins cher ; quatrième scénario, le lien social.
Tous présentent des caractéristiques communes : la capacité à l’encadrement d’équipe, car le salariat va se développer, les circuits courts, les métiers de la médiation, le conseil en agroécologie, les compétences en analyse de données, la e-maintenance et la compétence prédictive, les métiers de la qualité… Autant d’horizons pour demain.
Mais à quoi serviront nos techniciens agricoles, nos ingénieurs agronomes, nos experts en organisation si notre agriculture se meurt ? Quel avenir pour ces diplômés ?
On en revient à la question préalable de l’avenir de notre agriculture, car on ne maintiendra pas une agriculture sans agriculteurs.
Or nous les perdons, c’est une réalité. En attestent la baisse du nombre d’exploitations et d’exploitants, l’artificialisation des sols ou le fait qu’un agriculteur se suicide chaque jour…
En cause, les normes toujours plus contraignantes, la lourdeur administrative, la pression de la concurrence sur un marché mondialisé, les aléas climatiques et sanitaires, et des prix d’achat non rémunérateurs.
La véritable question est la suivante : comment redonner une image attractive à ce métier ? Que dire aux jeunes pour leur donner l’envie de s’installer ? Comment inciter l’éducation nationale à valoriser cette filière dans ces conditions ?
Je rappelle que le taux de réussite au bac dans les lycées agricoles est supérieur aux taux nationaux : 93,2 %, alors qu’il n’est que de 81,8 %, par exemple, pour le bac scientifique.
J’ai interrogé des jeunes et des responsables de lycées professionnels de mon département. Tous pointent du doigt l’image déplorable du secteur, complètement décrédibilisé. Aujourd’hui, lorsqu’un jeune dit qu’il va suivre une formation agricole, on en déduit qu’il n’est pas bon à l’école. Le proviseur d’un établissement me l’a confirmé, en indiquant que les filières paysagères ou concernant les soins de chevaux plaisent plus, car le métier visé paraît moins dur et l’image bien meilleure. Quel désastre ! Comment en sommes-nous arrivés à ce point de dénigrement de notre agriculture ?
En 2006, notre collègue Françoise Férat introduisait son rapport d’information par ces mots : « votre rapporteur a pu voir se creuser, au fil des années, le décalage entre les discours et la situation sur le terrain. En effet, au-delà des préoccupations budgétaires, devenues centrales ces dernières années, un climat de malaise s’installe peu à peu chez l’ensemble des acteurs et partenaires de l’enseignement agricole. »
Elle y préconisait notamment de ne plus tenir l’enseignement agricole à l’écart des procédures d’orientation des élèves et de promouvoir une image plus moderne et attractive des filières et des métiers.
Treize ans plus tard, les préconisations pourraient être les mêmes, car si l’enseignement agricole a su adapter le contenu des formations aux mutations des territoires en dédiant un tiers de ce contenu aux aménagements paysagers, un tiers aux services à la personne et un tiers à la production, il s’est malheureusement surtout adapté à la baisse de l’activité agricole pour pallier le déficit d’élèves dans ces filières.
Nous sommes tous coresponsables de cette baisse d’attractivité : agriculteurs, organisations professionnelles, syndicats, éducation nationale. Nous avons tous lâché prise. Et nous nous sommes arrangés pour que l’enseignement agricole survive.
L’Occitanie a su renverser cette tendance en menant une politique de cohérence sur l’analyse des formations et de leur implantation, en concertation notamment avec les chambres d’agriculture.
Les vraies réponses à la question de l’avenir d’un enseignement redevenu agricole passeront forcément par un travail sur la juste rémunération des agriculteurs, car notre agriculture répond à des enjeux transversaux et fondamentaux pour coller à l’attente sociétale : santé publique, environnement, économie, aménagement du territoire, évolution des goûts des consommateurs.
Il faut absolument penser notre politique agricole de son enseignement à la production en adoptant une stratégie à la hauteur de ces enjeux, et s’en donner les moyens budgétaires. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE, SOCR et CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Antoine Karam.
M. Antoine Karam. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à quoi ressemblera le lycée agricole de 2040 ?
En tant que rapporteur sur les crédits de l’enseignement technique agricole, je remercie mes collègues du CRCE de nous inviter à nous pencher sur cette question.
Permettez-moi tout d’abord de porter un regard positif. Fruit d’une longue tradition, l’enseignement agricole n’a plus et ne pourrait plus avoir la même vocation qu’hier : il est devenu un enseignement en prise avec les défis émergents. De l’information donnée au consommateur à la question du glyphosate en passant par celles du bien-être animal, du bio, ou encore de l’épandage des pesticides à proximité des habitations, nous le voyons, l’agriculture et, par extension, l’enseignement agricole se trouvent à la croisée de profondes préoccupations sanitaires et environnementales.
Pour autant, cet enseignement ne regarde pas le train passer. Aujourd’hui, quatre élèves sur dix étudient les services à la personne. Ce fait marquant résume les profonds changements de l’enseignement agricole au cours de ces dernières décennies.
Une telle évolution reflète aussi celle du monde rural, où le poids des agriculteurs recule. Seuls 12 % des élèves sont enfants d’agriculteurs, alors qu’ils constituaient plus de 40 % des effectifs trente ans plus tôt.
De même, les élèves sont de plus en plus jeunes, et la parité est désormais engagée. À cet égard, le budget pour 2020 intègre pour la première année un indicateur d’égalité femmes-hommes qu’il convient de saluer. Il s’engage également dans l’école inclusive. Enfin – c’est là une évolution essentielle –, la passerelle vers l’enseignement supérieur est de plus en plus empruntée : plus de 30 % des diplômés d’un bac pro poursuivent désormais leurs études en BTSA, le brevet de technicien supérieur agricole.
L’enseignement agricole jouit aussi d’un taux d’insertion professionnelle nettement plus élevé que la moyenne nationale. Si l’on y ajoute le taux de réussite aux examens passant la barre des 85 %, cette filière apparaît comme un choix séduisant pour les élèves.
Mes remarques porteront sur des pistes pour améliorer la situation.
Nous le savons, les effectifs ne sont pas à la hauteur des espérances, et l’enseignement agricole reste miné par un réel manque d’attractivité.
À chaque examen budgétaire, je rappelle dans cet hémicycle l’impérieuse nécessité de rompre avec l’idée répandue selon laquelle l’enseignement agricole serait une voie de garage réservée aux jeunes en situation d’échec.
M. Antoine Karam. Il est sans nul doute une école de la deuxième chance incroyable, mais il est aussi et surtout une filière d’excellence.
Les raisons de ce manque d’attractivité sont connues : l’implantation traditionnelle de l’enseignement agricole dans des régions enregistrant une baisse démographique, et a contrario, la sous-représentation où la demande existe ; et surtout, le défaut de notoriété auprès de nos jeunes.
Combien de collégiens savent que l’on peut devenir ingénieur en intégrant une classe de première technologique agricole ?
M. Antoine Karam. Combien savent qu’un élève de terminale professionnelle agricole a 59 % de chances de trouver un emploi, contre 42 % pour son homologue de l’enseignement général ? Je parle en connaissance de cause, pour avoir observé ce fait dans mon territoire, la Guyane.
Pour répondre à cette problématique, vous avez lancé, monsieur le ministre, la campagne de promotion L’Aventure du vivant à l’occasion du dernier salon de l’agriculture. Peut-être pourrez-vous nous dire quelques mots sur les résultats attendus de cette campagne, ainsi que sur la manière de mieux communiquer sur la diversité des métiers auxquels prépare l’enseignement agricole.
On ne le dit pas suffisamment : l’enseignement agricole permet d’accéder à plus de 200 métiers dans le domaine de l’agriculture et de la nature, et à 280 exploitations et ateliers sur tout le territoire. Il offre aussi la possibilité de poursuivre des études de la classe de quatrième au doctorat, et d’embrasser des carrières de vétérinaire, de paysagiste, mais aussi d’exercer des métiers dans les filières allant de l’agriculture au numérique, comme c’est le cas dans le secteur de l’agroéquipement.
Par ailleurs, l’enseignement agricole est pleinement engagé dans la mise en œuvre des réformes des baccalauréats général et technologique, de la voie professionnelle et de l’apprentissage. Les établissements pourront désormais élaborer l’offre de formation la plus adaptée aux spécificités locales. C’est le point essentiel sur lequel je vais insister.
Cet enseignement doit jouer un rôle prépondérant dans la valorisation de nos territoires en s’articulant autour de projets locaux – je pense bien évidemment aux zones rurales, mais pas seulement.
Il constitue aussi un levier incontournable pour tendre vers l’autosuffisance alimentaire des territoires d’outre-mer, tournés depuis trop longtemps vers l’importation. À cet égard, l’accord conclu en 2018 avec les familles de l’enseignement privé en termes de financement est fondamental. Accueillant environ 60 % des élèves, les établissements privés sont une composante majeure de l’enseignement agricole, au rayonnement et au dynamisme duquel ils contribuent. Il s’agit également de leur donner les moyens de leur développement, alors qu’il existe dans de nombreux territoires d’importants besoins.
Signe que l’enseignement agricole tend à s’adapter aux enjeux de notre société, l’année 2020 sera marquée par la mise en œuvre du plan Enseigner à produire autrement, axé pour l’essentiel sur les transitions et l’agroécologie.
Cependant, être en prise avec des défis d’aujourd’hui, c’est également mieux armer les futurs agriculteurs. Par-delà les attentes des consommateurs, l’acte de production devient lui aussi de plus en plus complexe en raison des réglementations changeantes, des pratiques techniques pointues et des incertitudes économiques.
C’est pourquoi l’enseignement agricole doit mieux préparer ceux qui se destinent à la gestion d’une exploitation. La volatilité des prix, la gestion des risques, ou encore l’agriculture numérique sont autant de sujets auxquels nous devons sensibiliser les étudiants.
Je m’interroge, monsieur le ministre, sur l’installation des jeunes agriculteurs : les établissements ne doivent-ils pas prendre toute leur part dans ce processus ? Je pense en particulier aux territoires ultramarins où, nous le savons, la question foncière est un nœud gordien.
Monsieur le ministre, l’enseignement agricole doit sortir d’une logique de conservation et de repli pour entrer dans une logique d’expansion. Alors que nous nous interrogeons sur son avenir, je crois qu’il nous faut prendre conscience que la manière dont nous nous investirons dans ce domaine déterminera en partie l’avenir de notre société. Comme toujours, je veux être optimiste. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur des travées du groupe SOCR. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Annick Billon. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, traiter de l’enseignement agricole, c’est avant tout s’enquérir de l’agriculture de demain.
Avec près de 75 % des apprentis dans 806 établissements scolaires, l’enseignement agricole public et privé, filière d’excellence, tient une place essentielle dans le développement de l’apprentissage.
Or les récentes réformes de l’apprentissage et du baccalauréat sont porteuses de profondes mutations pour ce secteur.
La réforme de l’apprentissage, visée par la loi de 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, prévoit ainsi un véritable choc de simplification. Si celui-ci est bienvenu, il pose de nouvelles difficultés, mais c’est le propre de toute réforme.
En effet, alors que les contrats d’apprentissage conclus à compter du 1er janvier 2019 au sein des entreprises de moins de 250 salariés préparant à un diplôme de niveau inférieur ou égal au bac verront leurs aides rassemblées et revalorisées, l’aide pour les diplômes supérieurs a pour sa part été supprimée.
Or aujourd’hui le diplôme le plus recherché de la filière agricole est le BTS Analyse, conduite et stratégie de l’entreprise agricole, dans la mesure où il permet l’embauche de salariés hautement qualifiés et offre des perspectives de reprise d’installation à terme. Dès lors, la suppression des aides fléchées pour les TPE vers les diplômes post-bac risque de pénaliser une profession qui cherche pourtant à monter en compétence.
Un autre questionnement voit également le jour à la faveur de cette réforme : le développement, certes souhaité, de l’apprentissage conduira les lycées à développer des classes mixtes mêlant apprentis et élèves en voie scolaire.
Si aujourd’hui les enseignants sont ouverts à cette éventualité en dépit de contraintes pédagogiques supplémentaires, de nouvelles difficultés pourraient apparaître dans la mesure où les enseignants ne sont pas habilités statutairement à intervenir auprès d’apprentis.
Il est donc à craindre que dans un avenir proche cette situation ne soulève de nouveaux obstacles qui n’ont pour l’heure pas été pris en compte.
Enfin, je souhaite évoquer la question de la réforme du baccalauréat général. Cette réforme a permis, je le rappelle, de regrouper les filières S, ES et L. Ainsi, les élèves issus de filières générales pourront désormais choisir parmi douze enseignements proposés, trois spécialités en première, puis deux en terminale. Cependant, les lycées agricoles ne peuvent quant à eux proposer que trois de ces douze enseignements : les mathématiques, la physique-chimie, ainsi que la biologie-écologie.
Cette restriction risque encore une fois d’accroître la déperdition d’élèves s’orientant vers les filières agricoles et, à terme, de mettre en danger l’existence même de celles-ci. En effet, de nombreux jeunes, incertains quant à leur orientation – ils représentent 50 % des élèves détenteurs d’un baccalauréat –, préféreront s’orienter vers des filières proposant un plus large choix d’enseignement.
Sans pour autant réclamer le même nombre de choix de disciplines, les lycées agricoles souhaiteraient a minima donner la possibilité à leurs étudiants de suivre des enseignements tels que les sciences économiques et sociales, ou encore le numérique et les sciences informatiques, qui s’inscrivent en totale cohérence avec la révolution technologique du monde agricole et des métiers de l’agriculture de demain.
Rappelons que, contrairement aux idées reçues, l’enseignement agricole n’a pas uniquement pour vocation de former des agriculteurs et des éleveurs.
Au vu de toutes ces interrogations, pouvez-vous m’indiquer, monsieur le ministre, si votre gouvernement a pris en considération ces problématiques, et, le cas échéant, si des ajustements sont prévus ?
Je souhaite également remercier Pierre Ouzoulias d’être à l’origine de ce débat, qui est tout à fait d’actualité. Alors que l’on parle souvent d’agri-bashing, on devrait davantage parler de l’avenir de l’agriculture. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, LaREM et CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Marie Bertrand.
Mme Anne-Marie Bertrand. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’agriculture d’hier n’est pas celle d’aujourd’hui, et celle d’aujourd’hui ne sera sans doute pas celle de demain. Quelle agriculture voulons-nous ? Quel rapport à l’environnement, à la consommation voulons-nous ? Pour répondre à ces questions, l’enseignement agricole jouera un rôle décisif.
Les défis sont nombreux : comment mieux appréhender les aléas climatiques, les crises sanitaires ? Il est important que l’ensemble de nos exploitations puisse tirer bénéfice de nouvelles technologies, notamment avec l’utilisation des datas, des drones, ou encore de la méthanisation.
Pour produire différemment, il faudra être capable d’enseigner différemment. Il est vrai, monsieur le ministre, que cela a un coût qu’il faut être capable d’assumer dès maintenant.
L’enseignement agricole a longtemps fait preuve d’une forte capacité d’adaptation, avec des offres de formation de plus en plus variées. Néanmoins, aujourd’hui, il est important de mieux structurer et de mieux articuler ces offres, notamment en renforçant les passerelles avec l’enseignement dit général. Cela est d’autant plus important que les reconversions professionnelles sont de plus en plus nombreuses.
Cette multitude d’offres nous oblige à une plus grande visibilité sur les différents parcours et leurs débouchés. L’enseignement agricole va du CAP à la licence. Il concerne bien sûr les céréaliers et les éleveurs, mais pas seulement. Mais il conduit aussi au BTS Gestion et maîtrise de l’eau, et vise le paysagisme, ou encore l’agroalimentaire. Il suffit, pour se rendre compte de cette diversité, de consulter le site L’Aventure du vivant. Cependant, encore faut-il connaître ce site…
Une meilleure communication est par conséquent nécessaire, afin que ces formations soient connues non pas seulement par une poignée d’initiés, souvent d’ailleurs eux-mêmes issus du milieu agricole, mais bien par l’ensemble de nos étudiants.
Près de 80 % des élèves diplômés ne seront pas eux-mêmes agriculteurs à proprement parler. C’est dire à quel point le monde agricole est vaste. Les conseillers d’orientation doivent être mieux informés, tant il existe des formations spécifiques dans chaque région. Il est important de mener cette démarche, car, avec le temps, la question du manque d’enseignants se posera.
Il faut savoir que nous utilisons déjà la télétransmission de cours – je pense notamment aux étudiants en licence professionnelle à Rodilhan, près de Nîmes, qui suivent en direct des cours dispensés depuis l’université Clermont Auvergne.
Monsieur le ministre, il serait inconscient de penser que notre situation géographique suffit à elle seule à faire de la France une grande nation agricole. Cet héritage n’existerait pas sans ceux qui ont su apprivoiser nos terres. Nous devons être à la hauteur de cet héritage, et donner aux jeunes agriculteurs toutes les clés nécessaires à la compréhension des enjeux économiques, climatiques et même démographiques du XXIe siècle.
Enfin, je tiens à profiter de cette prise de parole pour souligner le formidable travail des maisons familiales rurales,…
Mme Anne-Marie Bertrand. … notamment celle d’Eyragues, qui doit beaucoup à l’aide que lui accorde le département – je sais que tel n’est pas le cas sur l’ensemble du territoire national.
En somme, monsieur le ministre, l’agriculture de demain se prépare aujourd’hui. Il s’agit de se montrer à la hauteur. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et CRCE. – Mme Noëlle Rauscent applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier. (M. Jean-Michel Houllegatte applaudit.)
Mme Marie-Pierre Monier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’enseignement agricole dans notre pays est exemplaire, et pourtant nous n’en parlons presque jamais. Celles et ceux qui le font ont du mal à être audibles, et cet enseignement est trop souvent le grand oublié des réflexions sur l’éducation.
Je me réjouis donc que nous ayons ce débat – j’en remercie le groupe CRCE –, et j’espère que nos échanges auront un écho important en dehors de cet hémicycle, car les enjeux sont immenses.
L’enseignement agricole permet une rencontre comme il n’en existe nulle part ailleurs entre enseignements général, technologique et professionnel, apprentissage, formation continue et même enseignement supérieur.
Ses effectifs réduits permettent un apprentissage dans les meilleures conditions. Il est un lieu de prédilection pour le développement de pédagogies innovantes qui font la fierté de ce modèle français. Enfin, il offre un excellent taux d’insertion professionnelle.
Aujourd’hui, l’enseignement agricole est à la croisée des chemins. Il est en première ligne face aux grands défis que notre agriculture doit relever : réussir la transition agroécologique et assurer la relève de toute une génération.
Je crois que nous en sommes désormais toutes et tous convaincus : la transition agroécologique doit avoir lieu. Nous devons réussir à réinventer notre modèle agricole pour répondre aux besoins de la nécessaire transition écologique et envisager un modèle économique et alimentaire viable en accompagnant et en soutenant pleinement nos agricultrices et nos agriculteurs.
Dire cela, c’est bien ; mais dire cela sans se pencher en profondeur sur l’enseignement agricole dans notre pays, sur la formation et sur les innovations qui naissent dans ces filières n’aurait aucun sens. Nous savons que les actrices et les acteurs qui le font vivre sont préparés à relever ce défi. Donnons-leur les moyens de le faire.
Comme dans de nombreux autres secteurs, c’est grâce à l’école que les grandes batailles se gagnent. Alors, ne ratons pas le coche !
Et ce n’est pas le seul défi important à relever. Au cours de la décennie à venir, le monde agricole connaîtra un grand nombre de départs à la retraite, puisqu’un tiers des exploitants partira avant 2030. Nous sommes à un moment charnière. Il faut mettre en œuvre les moyens nécessaires pour assurer la relève, susciter l’envie, former les paysannes et paysans de demain, et garantir à celles et ceux qui s’en vont la possibilité de transmettre sereinement leurs exploitations.
Nous ne pourrons pas relever ces défis sans un enseignement agricole de qualité. Aujourd’hui, cette qualité existe. Mais pour combien de temps ?
Monsieur le ministre, vous avez affiché de grandes ambitions pour l’enseignement agricole, ce que je salue, mais elles ne se réaliseront pas sans des moyens significatifs.
De nombreuses voix s’élèvent, car l’avenir de l’enseignement agricole suscite des inquiétudes.
La baisse du budget en euros constants, la suppression de postes – les quelques créations de postes en 2020 ne compensent pas les 50 suppressions en 2019 –, la baisse de la dotation globale horaire, ou encore la hausse du seuil de dédoublement des classes ne sont pas des signes encourageants et augurent de conditions de travail dégradées pour les enseignants comme pour les élèves.
Mais, surtout, l’enseignement agricole, parce qu’il est pluriel, est frappé de plein fouet par toutes les dernières réformes de l’éducation : celles du baccalauréat, du lycée professionnel, de l’apprentissage, de la formation continue. Ces réformes, prises individuellement, ont suscité de vives inquiétudes. Certes, elles ne proviennent pas du ministère de l’agriculture, mais elles ne prennent pas en compte la spécificité de l’enseignement agricole. De plus, appliquées simultanément, elles sont en train de le déstabiliser en profondeur.
Prenons, par exemple, la réforme de l’apprentissage. Celle-ci transfère le rôle de régulation de l’apprentissage aux branches professionnelles qui n’ont pourtant pas la connaissance des besoins locaux qu’ont les régions : la mise en adéquation des effectifs avec les emplois effectivement disponibles sur le terrain n’en est que plus compliquée. En outre, la réforme s’accompagne d’une évolution du mode de financement des formations, qui repose désormais avant tout sur le nombre de contrats signés, et plus sur le financement des « heures groupes » ni sur les subventions d’équilibre accordées par les régions.
Ce changement encourage une concurrence entre le public et le privé, qui n’est pourtant pas souhaitable. Le modèle économique des petits CFA s’en trouve ébranlé : beaucoup sont menacés de fermeture, alors qu’ils sont souvent ancrés au cœur de la vie de nos territoires ruraux. Même les finances des établissements publics locaux d’enseignement et de formation professionnelle agricoles, les EPLEFPA, plus importants, sont fragilisées, voire déséquilibrées.
L’enseignement agricole est à un moment clé de son histoire. Sur le terrain, il est défendu avec passion par des personnes qui y croient et qui veulent voir ce modèle perdurer, mais elles n’y parviendront pas sans nous !
Reconnaissons la spécificité de l’enseignement agricole, rendons-le plus visible, donnons-nous les moyens de le préserver et de l’aider à relever les défis qui se profilent à l’horizon. En tant que parlementaires, nous devons porter la réflexion sur cette question cruciale.
Ce soir, nous ne pourrons qu’effleurer le sujet, mais nous devons aller plus loin. C’est pourquoi je propose la mise en place d’un groupe de travail qui aura pour mission de produire un rapport parlementaire sur l’enseignement agricole dans notre pays.
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
Mme Marie-Pierre Monier. Prenons le temps de mener un travail collectif de qualité, qui ira au fond des choses, en nous appuyant sur les actrices et les acteurs de terrain qui ont beaucoup à nous apprendre. C’est ainsi que nous pourrons proposer une vision politique forte pour l’avenir de l’enseignement agricole en France ! (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR, CRCE, LaREM, RDSE et Les Indépendants.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Chauvin.
Mme Marie-Christine Chauvin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, créé à l’origine pour former les agriculteurs, l’enseignement agricole a su évoluer et s’adapter aux besoins de la société. Les missions qui lui sont confiées en font un enseignement actif, réactif, innovant et ouvert. Il s’agit d’un précieux partenaire des acteurs des territoires.
Pour relever les défis d’aujourd’hui et de demain, il conviendra de porter un regard particulier sur l’innovation tant pédagogique que technologique et sur l’expérimentation.
Les outils pédagogiques grandeur nature que sont les fermes et les ateliers technologiques des établissements publics locaux d’enseignement et de formation professionnelle agricoles devront bénéficier des dernières technologies dans leur domaine d’activité et ainsi constituer une référence pour les apprenants et les professionnels.
Des moyens humains supplémentaires doivent permettre aux exploitations et aux ateliers de mener leur mission d’expérimentation sans risquer de compromettre leurs résultats et, donc, l’équilibre financier auquel ils sont soumis.
L’enseignement agricole constitue un réseau cohérent d’établissements, qui est structurant pour les territoires. Le département du Jura est un bon reflet de ce maillage territorial, avec notamment le réseau des maisons familiales rurales et les établissements de Doucier, de Salins-les-Bains et d’Amange.
L’établissement d’Amange conduit des formations agricoles par alternance et par apprentissage. Il a vu ses effectifs légèrement augmenter grâce au regain d’intérêt de jeunes qui ne sont pas issus du milieu agricole : ces derniers constituent environ 60 % du total des élèves, soit une proportion importante.
Il faudrait réfléchir à la possibilité de confier aux maisons familiales rurales, les MFR, la mission de prendre en charge, au sein de leurs structures, les jeunes de moins de quatorze ans qui s’écartent du milieu scolaire traditionnel. Je vous ai d’ailleurs écrit à ce sujet, monsieur le ministre.
L’enseignement public agricole rayonne également grâce au lycée de Montmorot, axé sur la production agricole, celui de Mancy, centré sur la filière équine, et l’École nationale d’industrie laitière et des biotechnologies – l’Enilbio – à Poligny, qui développe l’apprentissage pour tous les niveaux de formation, de recherche, de production, et la vente directe de produits transformés. Il n’y a que cinq Enilbio en France, dont deux se situent en Franche-Comté.
Beaucoup de ces formations, qui vont du CAP au bac pro, au BTSA et aux diplômes d’ingénieur, se font en apprentissage. C’est pour l’avenir une voie en plein essor. Celle-ci permet aux jeunes d’avoir une connaissance de l’univers professionnel qui débouche sur un diplôme reconnu. Les jeunes issus de ces formations trouvent ensuite facilement un emploi, car ils sont immédiatement opérationnels.
Plusieurs défis sont devant nous : l’évolution des activités traditionnelles, l’apparition de nouveaux usages dans la gestion de l’espace et des ressources, ou l’adaptation au changement climatique.
Une évidence saute ici yeux, l’enseignement agricole devra prendre en compte le développement des métiers verts et intégrer le thème de l’environnement dans ses formations initiales.
Nos agriculteurs sont et devront plus que jamais être compétitifs, efficaces, savoir anticiper et gérer les risques, inventer de nouveaux services, répondre aux défis environnementaux, tout en alliant performance économique, environnementale et sociale, et garder les territoires ruraux attractifs. Autant d’enjeux qui devront être pris en compte dans l’enseignement agricole de demain.
Cet enseignement agricole mène à de nombreux autres métiers très diversifiés qui sont à la croisée de l’agriculture, du numérique et de l’industrie, et qui répondent à la révolution du monde agricole qui est en train de s’accomplir.
Monsieur le ministre, compte tenu de ces éléments, quels mécanismes de soutien et de diffusion de l’information pourriez-vous mettre en œuvre, afin de favoriser une meilleure communication autour de la modernité et de la technicité des métiers auxquels l’enseignement agricole prépare ces étudiants ?
Le public intéressé par ces formations – nous l’avons vu avec les MFR – est en train de changer. De plus en plus de jeunes qui ne sont pas issus du milieu agricole intègrent cet enseignement. Il s’agit plutôt d’une bonne nouvelle.
Toutefois, une exploitation agricole est une entreprise. Pour la diriger, il faut être à la fois un bon technicien et un parfait gestionnaire. Je pense que l’enseignement agricole doit également développer un volet « gestion et conduite d’une entreprise ».
Monsieur le ministre, vous avez fait de l’enseignement agricole une priorité et affirmé vouloir recruter 200 000 élèves et apprentis contre environ 160 000 aujourd’hui. Comment parviendrez-vous à concilier cet objectif avec la politique gouvernementale de suppression d’un certain nombre d’emplois dans l’enseignement public ?
Pour que l’enseignement agricole se projette sereinement, il lui faut des moyens humains et financiers. J’en suis persuadée, comme bon nombre d’entre nous, la formation agricole reste un bon moyen d’intégrer la vie active : on y apprend le goût de l’effort et la persévérance. Gageons que les moyens nécessaires à ces objectifs soient pérennisés pour l’avenir ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, Les Indépendants, LaREM et CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Ouzoulias, je suis vraiment ravi d’intervenir devant la Haute Assemblée ce soir. Je tiens à vous remercier de votre initiative et à remercier votre groupe, le groupe CRCE, d’avoir suscité un débat qui me tient à cœur.
Je veux saluer la hauteur de vue dont vous avez fait preuve dans votre excellente intervention et saluer l’ensemble des sénateurs et des sénatrices qui se sont exprimés, parce qu’ils ont contribué à faire avancer et à enrichir la discussion en s’interrogeant sur l’avenir de l’enseignement agricole.
Comme vous l’avez toutes et tous souligné, mesdames, messieurs les sénateurs, l’avenir de l’enseignement agricole, c’est tout simplement l’avenir de l’agriculture. L’enseignement agricole est une chance pour tous les jeunes, un atout pour le monde rural et un moteur de la transition agroécologique.
Permettez-moi d’abord de rappeler que cet enseignement, dans l’Hexagone comme dans les outre-mer – j’en profite pour saluer la présence sur ces travées de MM. Guillaume Arnell et Antoine Karam –, est le second dispositif d’enseignement du pays avec plus de 800 établissements qui accueilleront dans les années qui viennent plus de 200 000 apprenants. L’objectif est en effet de dépasser cette barre fatidique des 200 000 étudiants et apprentis de la quatrième au BTS, partout sur notre territoire.
Cet enseignement regroupe aussi dix-neuf écoles qui forment les cadres du secteur : ingénieurs agronomes, vétérinaires, paysagistes, enseignants et chercheurs. Lorsque nous parlons de l’enseignement agricole, parlons de ces 800 établissements, mais aussi de nos écoles d’excellence, grâce auxquelles nous formerons les cadres de demain !
L’enseignement agricole, c’est plus de 120 formations dans l’agriculture, bien sûr, mais aussi dans l’agroalimentaire, la filière forêt-bois, l’environnement, les services à la personne, sans oublier les formations générales. Je vous le dis sincèrement, madame Brulin, je regrette que les lycées professionnels maritimes ne relèvent pas du ressort de mon ministère. Si vous pouviez faire quelque chose pour changer cela (Sourires.), je vous en serais reconnaissant.
Mme Céline Brulin. Mais ce n’est pas vous le ministre chargé de la pêche ? (Nouveaux sourires.)
M. Didier Guillaume, ministre. Cela permettrait de compléter la panoplie et de regrouper l’ensemble des acteurs de l’agriculture, de la pêche et de la mer !
L’enseignement agricole est un tout très riche de sa diversité. Établissements publics, établissements privés du Conseil national de l’enseignement agricole privé – le CNEAP –, de l’Union nationale rurale d’éducation et de promotion – l’UNREP – et MFR sont évidemment complémentaires. Je me suis d’ailleurs rendu cette année dans le deuxième plus grand établissement agricole de France à Yvetot, chez vous, madame Brulin, à l’occasion de la rentrée scolaire. J’ai également visité un établissement privé et une MFR de Magnanville, car je n’oublie pas combien ces MFR jouent un rôle essentiel dans la formation.
L’enseignement agricole, c’est 60 % des fonctionnaires du ministère de l’agriculture, 40 % de son budget, et ces deux chiffres sont en hausse depuis plusieurs années. L’enseignement agricole, cher ami Pierre Ouzoulias, n’est pas la cinquième roue du tracteur, comme vous l’avez dit. C’est bien le moteur du tracteur, ce qui le fait avancer, le pousse et le tire vers le haut, et j’en suis très fier !
M. Pierre Ouzoulias. Alors, mettez le turbo ! (Sourires.)
M. Didier Guillaume, ministre. J’ai entendu les propositions et préoccupations des uns et des autres. Je vais essayer d’y répondre, dans le temps qui m’est imparti.
Pour parler de l’avenir, partageons d’abord des constats factuels et transpartisans. Vos interventions étaient d’ailleurs quasiment toutes transpartisanes, et c’est tant mieux.
Premier constat, grâce à l’enseignement agricole, nous disposons d’un maillage territorial au service des jeunes et de l’emploi dont vous mesurez bien, en tant que sénateurs, l’importance.
L’avenir, c’est de préserver ce formidable et indispensable maillage territorial.
Celui-ci nous permet de répondre aux attentes des employeurs, qui, dans tous les secteurs, recherchent des compétences par dizaines de milliers, et offrent des emplois majoritairement non délocalisables. C’est aussi cela la force de nos établissements : former des jeunes qui seront ensuite employés sur place. Ce maillage nous permet aussi de répondre aux besoins de jeunes qui ne sont malheureusement pas toujours mobiles, on le sait très bien.
Deuxième constat, et non des moindres, l’enseignement agricole, ça marche ! Il permet aux jeunes de s’épanouir, d’obtenir un diplôme et, surtout, de s’insérer dans la société. Le taux de réussite aux examens est très élevé, vous le savez. L’avenir, c’est de continuer à offrir ces formidables résultats à nos concitoyens.
Troisième constat, l’enseignement agricole est une école du succès pour les jeunes des milieux modestes, pour les jeunes du monde rural qui sont parfois un peu délaissés. On ne peut pas les laisser de côté : ils doivent être au cœur des dispositifs et des formations, et c’est notre enseignement agricole qui les tire vers le haut !
Comme je le rappelle très souvent, on compte 35 % de boursiers dans l’enseignement agricole, ce qui n’est pas rien, grâce à l’importance de l’enseignement socioculturel.
Quatrième constat important, l’enseignement agricole représente une école inclusive. Le nombre d’élèves en situation de handicap a fortement augmenté et leur proportion y est désormais largement supérieure à celle qui est enregistrée dans l’éducation nationale. Soyons fiers de cette école inclusive dans une société inclusive !
Plus de 6 % des élèves bénéficient d’un aménagement d’épreuves ; le nombre de jeunes bénéficiant d’un projet personnalisé de scolarisation a triplé entre les rentrées 2010 et 2018. Dans le même temps, le nombre d’auxiliaires de vie scolaire a été multiplié par six, et les crédits dédiés au handicap multipliés par sept : oui, l’enseignement agricole a les moyens de son ambition !
Les crédits augmenteront encore de 26 % en 2020 pour tenir compte de la transformation des contrats aidés en postes d’accompagnants d’élèves en situation de handicap, les AESH.
L’avenir, c’est de continuer à accueillir plus de jeunes en situation de handicap pour faire face à ces besoins.
Cinquième constat, l’enseignement agricole, ce sont 15 000 fonctionnaires de mon ministère, mais aussi 5 000 agents sur budget, 3 000 agents des régions qui jouent un rôle primordial dans le fonctionnement des établissements. Je veux les saluer toutes et tous : les enseignants, les formateurs, les personnels administratifs et techniques, et les directeurs sont pleinement investis dans leur mission. Ils méritent d’être reconnus, encouragés et soutenus.
Les succès de l’enseignement agricole, nous les leur devons, et je remercie une nouvelle fois le groupe CRCE et le sénateur Ouzoulias de l’avoir souligné. Sans ces personnels et ces fonctionnaires, l’enseignement agricole ne serait rien, tout comme l’enseignement en général, ou encore la fonction publique, parfois tant décriée. La fonction publique, sans les fonctionnaires, marcherait beaucoup moins bien !
L’avenir, c’est de valoriser nos agents via des chantiers statutaires et de revalorisation pour rendre leurs métiers plus attractifs. Nous l’avons fait cette année pour les directeurs, alors qu’ils attendaient depuis très longtemps un nouveau statut. Je m’y étais engagé et je pense que cette démarche a été appréciée.
Sixième constat, l’enseignement agricole est un dispositif qui sait s’adapter et mener des réformes. Oui, les réformes du bac et de l’apprentissage ont été source d’inquiétudes. Vous avez été nombreux à en parler, notamment Mme Monier.
Je connais ces inquiétudes, mais n’ayons pas peur et essayons d’avancer. L’immobilisme n’est pas une bonne chose : nous devons accompagner les mutations de la société, parce que la société change. Il faut donc que l’enseignement et la fonction publique changent aussi.
Je veux vraiment saluer la mobilisation des équipes.
Prenons la réforme de l’apprentissage. Certaines personnes me disaient qu’elles avaient peur du changement. Or cette réforme a permis de conforter les effectifs : on observe une hausse de 1 400 apprentis cette année, soit une progression de 4 %. L’enseignement agricole forme presque 10 % des apprentis de notre pays.
Alors, certes, l’avenir des CFA suscite des craintes, mais je constate aujourd’hui qu’il s’agit d’un succès, grâce à la communication un peu plus efficace et la mobilisation des professionnels, qui a été sans borne. En effet, le facteur limitant est souvent le nombre de maîtres d’apprentissage.
Nos CFA sont performants – soyons-en fiers – et sont accompagnés dans cette réforme. Le sénateur Joly exprimait son inquiétude. Je lui réponds qu’il faut se battre pour les maintenir. Cette année, les professionnels ont investi 25 millions d’euros de subventions exceptionnelles directement dans les CFA : c’est bien que la profession y croie, et nous pouvons y croire.
Cela dit, je suis heureux que, sur de nombreux aspects, la réforme du baccalauréat reprenne des points forts de l’enseignement agricole : les contrôles en cours de formation, le rôle des oraux, par exemple.
Concernant la question des spécialités, je ne partage pas totalement l’inquiétude manifestée par plusieurs d’entre vous. Ne nous racontons pas d’histoire, les lycées agricoles ne peuvent pas rivaliser sur le terrain avec les grands lycées des centres-villes et les grandes écoles. Nous n’avons que cent classes.
Nos atouts, Mme Vérien l’a évoqué tout à l’heure, ce sont le cadre de vie, les internats, l’ouverture internationale, la capacité à concilier la pratique d’un sport et des études de haut niveau. Nous avons des champions de France, des champions d’Europe, des champions du monde dans nos lycées agricoles.
Et, surtout, les résultats aux examens sont excellents : 93,5 % en 2019 contre 91,2 % dans l’éducation nationale. Ce n’est pas une compétition, mais les résultats dans l’enseignement agricole sont d’un très haut niveau.
L’avenir, c’est de poursuivre ces réformes et de faire valoir ces atouts.
Malheureusement, un dernier constat assombrit la situation, comme certains l’ont noté.
Malgré la hausse des moyens publics – plus de 850 postes ont été créés en six ans –, malgré l’ouverture de nouvelles classes – plus de 210 ont été ouvertes dans la même période –, l’enseignement technique agricole perd des élèves depuis dix ans.
Chaque année, on regardait les effectifs baisser sans rien faire. Lors de la rentrée 2018, on a comptabilisé 4 000 élèves en moins. J’ai alors considéré que l’on ne pouvait pas continuer ainsi : j’ai dit « stop » !
Soit on décide de maintenir un enseignement agricole partout sur le territoire, soit on ferme 7, 8 ou même 10 lycées agricoles pour s’adapter. Ce n’est finalement pas cette dernière option que j’ai choisie : en effet, je pense que l’avenir de l’enseignement agricole n’est pas menacé, et qu’il s’agit d’une pépite qui brillera encore longtemps !
Pour ne pas me résoudre à assister à la lente érosion du nombre d’élèves, j’ai souhaité m’engager dans la mère des batailles : la reconquête des effectifs. Or, en cette rentrée scolaire, nous avons regagné plus de 750 élèves !
Pour y parvenir, nous avons agi avec une ambition simple : convaincre les jeunes que l’enseignement agricole est un primo-choix. Henri Cabanel a raison : étudier dans un établissement agricole n’est pas un deuxième choix ; ces études ne concernent pas des élèves de seconde zone.
Comme l’a dit Anne-Marie Bertrand, j’ai lancé une grande campagne de communication, L’Aventure du vivant. Nous avons recueilli 10 millions de vues sur le compte Snapchat consacré à cette campagne et dénombré 18 600 visites sur le site internet que nous venons de mettre en ligne.
Oui, nous allons gagner le pari de la reconquête des effectifs ! Je vous le dis, plus d’apprenants demain, ce sera forcément plus d’enseignants dans les classes. C’est dans cette direction qu’il faut poursuivre. Franchement, cette remontée des effectifs est un formidable signal adressé au monde agricole.
Plusieurs d’entre vous l’ont dit : malgré l’agri-bashing et les difficultés agricoles, les jeunes s’inscrivent dans les lycées. C’est une vraie réussite, dont on peut être fier.
Je fais confiance aux établissements et à leur gouvernance inclusive pour optimiser l’offre de formation et leurs moyens. Ils le font sous l’autorité des directions régionales de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt, les Draaf, qui sont les véritables responsables et que j’ai mobilisées pour assurer qu’autonomie ne rime pas avec dérégulation.
Oui, je crois aux décisions prises au plus près du terrain, parce que c’est là que les choses bougent, mais cela ne veut pas dire pour autant que tout le système doit être éclaté. Il faut une régulation, un cadre national, seulement corrigé par un peu de flexibilité à l’échelon local.
Cette année, nous avons augmenté les seuils de dédoublement de certaines classes pour optimiser nos moyens là où il est possible d’accueillir plus d’élèves. C’est très bien ! J’ai veillé à ce que la sécurité des jeunes ne soit pas compromise : dès qu’un sujet relatif à la sécurité apparaît, nos services agissent.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la principale difficulté de l’enseignement agricole, ce sont non pas des classes trop chargées, mais des classes avec des effectifs trop faibles. Voilà l’enjeu ! Nous nous sommes battus pour engager la reconquête.
Notre ambition est claire : atteindre 200 000 apprenants l’année prochaine. Y arriverons-nous ? Nous verrons bien, mais il faut se fixer un cap, une date, un objectif chiffré. C’est absolument indispensable, comme Mme Chauvin l’a clairement exprimé.
Cet objectif peut être atteint partout grâce à notre campagne L’Aventure du vivant, dans l’Hexagone, mais aussi en outre-mer. À Mayotte et en Guyane, notamment, les effectifs sont en très forte hausse. Permettez-moi de citer le lycée agricole de Matiti, fondé par mon ami Antoine Karam, établissement qui affiche l’une des plus fortes augmentations en termes d’effectifs grâce à l’ouverture de deux nouvelles classes.
L’enseignement agricole est le moteur de la transition agroécologique. Franck Menonville le soulignait tout à l’heure, il faut de nouvelles formations, mieux adaptées. Je vais lancer très prochainement le nouveau plan Enseigner à produire autrement, qui remplira cette mission.
Ce plan répondra à quatre engagements.
Le premier est d’être à l’écoute des jeunes, de ce qu’ils souhaitent aujourd’hui. Dans tous nos établissements, nous désignerons des jeunes éco-responsables. Nous allons généraliser ce dispositif parce que, qu’on le veuille ou non, les jeunes sont sensibles à l’écologie.
Le deuxième engagement consiste à rénover toutes les formations pour bien intégrer l’agroécologie et le bien-être animal.
Le troisième engagement est d’atteindre des objectifs ambitieux pour les exploitations agricoles de nos lycées : 100 % des 19 000 hectares d’exploitation de nos lycées devront être cultivés en agriculture biologique ou certifiés « haute valeur environnementale de niveau 3 ».
Enfin, le quatrième engagement est d’être exemplaire pour ce qui concerne l’alimentation et la qualité des repas servis dans les cantines scolaires : nous visons 50 % de produits bio dans les lycées agricoles.
Les établissements vont former et démontrer que cette transition est possible, avec le soutien de nos grandes écoles agronomiques et de l’Inrae, l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, produit de la fusion entre l’INRA et l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture, l’Irstea.
L’Inrae sera le plus grand centre de recherche publique du monde sur ces sujets. C’est pourquoi je ne partage pas du tout le pessimisme ambiant à propos des exploitations de nos établissements, qui ne seraient pas au niveau. Il est vrai que certaines d’entre elles connaissent quelques difficultés, mais nous avons pris le problème à bras-le-corps.
Cette semaine, j’ai réuni dans mon ministère les 200 directeurs d’exploitation agricole. Je vous assure qu’ils n’avaient pas le moral dans les chaussettes ! Ils faisaient preuve d’un très bel enthousiasme pour réussir cette transition agroécologique. Il s’agit vraiment de personnes très fortes. Ces directeurs travaillent beaucoup avec les régions – c’est aussi cela la coconstruction –, lesquelles investissent beaucoup d’argent dans les établissements.
Mme Vérien a demandé que l’on n’oublie pas les formations de base. C’est vrai, mais il faut aussi que les formations soient les plus générales possible.
Pour répondre aux besoins des professionnels, les formations doivent intégrer plus d’agroécologie et de bien-être animal, mais aussi du numérique, de la communication, du management, des nouvelles technologies et – je vous le dis tranquillement – de la gestion. En effet, un jeune qui sort d’un lycée agricole doit savoir gérer son exploitation agricole : il sera certes paysan, mais aussi chef d’exploitation et chef d’entreprise. Si on ne remet pas un peu le tracteur au milieu du village, on ne s’en sortira pas ! (Sourires.) Aussi faut-il que la gestion soit à la base de l’enseignement.
Enfin, nous devons penser aux métiers de demain et encourager les jeunes à poursuivre leurs études dans le supérieur, en particulier ceux qui sont issus des milieux populaires. Quand je me rends dans les établissements et que je vois des jeunes, venant plutôt de ces milieux, des zones rurales ou périurbaines, je suis très heureux, car je sais qu’ils parviendront à poursuivre dans l’enseignement technique et dans le supérieur. À mes yeux, il s’agit d’un chantier essentiel, sur lequel nous devons vraiment travailler.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très fier de notre enseignement agricole, de ses agents et des jeunes que je rencontre dans les établissements.
Je suis parfaitement conscient de l’ampleur du travail qu’il nous reste à accomplir : la reconquête des effectifs, la transition agroécologique, la rénovation de nos formations – nous avons lancé un grand chantier dans ce domaine – et, évidemment, la promotion sociale. Surtout, je le répète, s’inscrire dans un lycée d’enseignement agricole doit être un primo-choix et non un choix par défaut.
J’ai entendu beaucoup d’intervenants exprimer leur confiance, leur optimisme, mais j’ai aussi parfois entendu des propos pessimistes. Pour ma part, je suis confiant dans l’avenir, car l’enseignement agricole et ses agents démontrent leur capacité à évoluer pour être le ferment de la transformation de nos territoires et de la réussite de nos jeunes.
Oui, les lycées d’enseignement agricole sont sur tous les territoires, et ils doivent y rester. Je souscris complètement à l’invitation lancée par Antoine Karam à sortir d’une logique de conservation pour entrer dans une logique d’expansion. C’est dans cette voie qu’il faut s’engager !
Je vous assure de nouveau de mon ambition pour l’enseignement agricole, mesdames, messieurs les sénateurs. Il doit former davantage, mieux et partout : c’est l’enjeu à relever et l’engagement que j’ai pris. J’espère que vous aiderez les jeunes à rejoindre ces établissements.
Je conclurai mes propos avec trois chiffres : aujourd’hui, sur les quelque 450 000 agriculteurs que compte la France, un tiers – 150 000 – prendra sa retraite dans les dix ans à venir ; l’an dernier, 12 000 jeunes se sont installés comme agriculteurs, malgré les difficultés, malgré l’agri-bashing, malgré la faiblesse des revenus, malgré toutes les crises. C’est pratiquement un renouvellement complet de génération !
Si nous parvenons à passer la barre des 200 000 apprenants, si nous progressons encore pour encourager les jeunes à rejoindre nos établissements d’enseignement agricole, nous aurons gagné une bataille, la plus belle des batailles, celle du renouvellement des générations. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur des travées des groupes SOCR, UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Quel avenir pour l’enseignement agricole ? »
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Violations des droits humains au Venezuela
Adoption d’une proposition de résolution
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Union Centriste, l’examen de la proposition de résolution pour le renforcement des sanctions adoptées par le Conseil européen contre des responsables des violations des droits humains au Venezuela et pour soutenir les États signataires de l’enquête auprès de la Cour pénale internationale présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Olivier Cadic et plusieurs de ses collègues (proposition n° 639 [2018-2019]).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Olivier Cadic, auteur de la proposition de résolution.
M. Olivier Cadic, auteur de la proposition de résolution. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de résolution que je vous présente aujourd’hui est destiné à renforcer les sanctions à l’encontre des responsables des violations des droits humains au Venezuela. Elle vise aussi à soutenir le dossier à la Cour pénale internationale, déjà cosigné par six pays, pour que les responsables de ces crimes soient effectivement condamnés.
Je souhaite exprimer toute ma gratitude au président Hervé Marseille pour le groupe Union Centriste, au président Claude Malhuret pour le groupe Les Indépendants, ainsi qu’à tous ceux qui ont soutenu ce projet et permis qu’il soit débattu ce soir.
Cette résolution trouve sa source dans l’audition de M. Lorent Saleh, le 29 mai dernier, au Sénat, par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sur l’initiative de son président Christian Cambon.
Défenseur des droits humains, prix Sakharov 2017, M. Saleh nous a décrit les traitements inhumains auxquels il a été soumis lors de son emprisonnement dans une cellule de torture appelée « la tombe ». Mais son cas est loin d’être un cas isolé : depuis 2014, on recense 14 471 personnes arrêtées pour des motifs politiques, dont plus de 400 sont encore en prison en ce moment.
Au Venezuela, être un opposant politique implique un prix très lourd à payer : en 2019, plus de 50 manifestants ont été abattus par les forces de l’ordre ou par les colectivos, des groupes paramilitaires terrorisant et contrôlant la population et qui, bien sûr, sont aux ordres du régime Maduro.
Dans ce pays, la violence est une politique d’État. Ainsi, 18 000 personnes ont été tuées depuis 2016 selon l’ONU, pour qui il s’agit d’un « modèle de conduite systématique ».
Vous avez tous reçu hier, mes chers collègues, une lettre du représentant de Nicolás Maduro en France, lequel assure que son pays est accusé d’assassinats sans preuve. C’est le propre des régimes criminels de ne pas se confronter à leurs actes et de nourrir le négationnisme !
Le rapport très documenté de la haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, publié le 4 juillet dernier, dénonce un « nombre extrêmement élevé » d’exécutions extrajudiciaires. Entre le moment où nous commençons ce débat et celui où nous le conclurons, il y aura 2 morts assassinés pour « résistance à l’autorité ». Il s’agit de femmes et d’hommes comme ce conseiller municipal, Fernando Albán, jeté d’un dixième étage par le service d’intelligence militaire du régime.
Voilà quelques jours, c’était un leader politique proche du président Juan Guaidó, Edmundo Rada : kidnappé, torturé, assassiné, son corps calciné abandonné.
M. Alain Fouché. Quelle horreur !
M. Olivier Cadic. Et cela au moment même où le Venezuela obtenait un siège au Conseil des droits de l’homme des Nations unies.
M. Bruno Sido. Incroyable !
M. Alain Fouché. Scandaleux !
M. Olivier Cadic. Le crime de M. Rada ? Être un leader politique apprécié à Petare, le barrio – bidonville – le plus important du pays.
Personne ne doit ignorer que Nicolás Maduro et ses appuis militaires persécutent, font disparaître et massacrent la population vénézuélienne.
Le Venezuela est le premier pays d’Amérique latine où je me suis rendu, voilà quatre ans.
Il est connu comme le pays disposant des réserves pétrolières les plus importantes au monde. Selon les derniers chiffres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole, l’OPEP, les réserves prouvées de ce pays atteindraient les 297 milliards de barils, le plaçant à la première place mondiale devant l’Arabie saoudite.
Mais ce pays est aussi celui des records pour l’inflation, le Fonds monétaire international, le FMI, parle plutôt d’hyperinflation, le taux d’inflation ayant atteint 1 000 000 % pour 2018 ! Les pronostics pour 2019 sont tout aussi noirs. La pauvreté frappe 94 % des Vénézuéliens.
Cette crise a déclenché une situation d’urgence humanitaire complexe, à laquelle personne n’échappe. Les Vénézuéliens subissent de graves pénuries d’eau et de médicaments. Au moins 80 % de la population est en situation d’insécurité alimentaire.
Pourquoi le Venezuela, ce pays si riche, est-il devenu aussi pauvre ? La raison principale est que le système du chavisme est fondé sur une corruption endémique ayant rongé tous les corps de l’État.
Le régime de Nicolás Maduro pourrait nous paraître à bout de souffle. Mais ne nous trompons pas ! Si le chavisme tient encore, c’est notamment grâce à l’exploitation illégale des ressources présentes dans l’Amazonie, dans une zone connue comme l’Arco minero.
Cette zone est un atout sans égal pour le régime. Elle comporte des réserves exceptionnelles en or, diamant, cuivre, fer et coltan. Elle couvre une superficie de 112 000 kilomètres carrés et représente l’oxygène nécessaire pour le régime.
L’exploitation des minéraux dans l’Arco n’est pas sans conséquence pour l’environnement, avec le déversement colossal de produits toxiques comme le cyanure et le mercure, et pour les populations indigènes, qui sont spoliées de leurs terres, exploitées et font l’objet de toutes formes de violences.
Vous l’avez bien compris, mes chers collègues, le Venezuela est un État failli. C’est un État où des groupes criminels font partie des forces de l’ordre. C’est un territoire où les groupes terroristes opèrent librement. C’est un État qui entretient des liens étroits avec la Turquie, la Russie, la Chine, l’Iran et Cuba… autant d’États dont le soutien est animé par des raisons géopolitiques et, disons-le franchement, peu regardants en matière de droits humains.
Le pouvoir chaviste a détruit le cadre institutionnel, mis à bas le secteur privé et soumis la population pour piller librement les ressources du pays.
En vingt ans de chavisme, 393 milliards d’euros d’actifs issus de faits de corruption sont sortis du Venezuela selon la commission des finances du parlement vénézuélien.
Dans le même temps, le pays vit la pire crise humanitaire de son histoire et les Vénézuéliens partent massivement à cause de cette situation. Chaque jour, 5 000 personnes traversent la frontière à la recherche d’une vie digne. Plus de 4,5 millions de personnes sont déjà réfugiées dans les pays environnants. D’ici à 2020, environ 8 millions de Vénézuéliens auront quitté leur pays. Ce chiffre est supérieur au nombre de personnes ayant quitté la Syrie en guerre !
C’est une crise de portée régionale qui affecte désormais tous les pays du continent. Nous ne pouvons pas rester indifférents face à cette situation.
La France, aussi, doit montrer aux Vénézuéliens qu’ils ne sont pas seuls. Nous avons un devoir à l’égard de ces populations. Nous souhaitons entretenir l’espoir de jours meilleurs.
La France est une puissance de paix. Elle soutient toutes les médiations pour sortir de ce drame par une voie politique. Je veux remercier le Gouvernement, madame la secrétaire d’État, d’avoir fait ce choix.
Je souhaite aussi saluer l’action exemplaire de Romain Nadal, notre ambassadeur au Venezuela, et de toute l’équipe du poste diplomatique à Caracas, qui œuvre au quotidien aux côtés des artisans d’une solution politique pour le Venezuela.
Mais la France, c’est aussi le berceau des droits de l’homme. Ceux qui tirent avantage du régime dictatorial de Maduro ne doivent pas pouvoir en vivre impunément sur notre sol. La France ne saurait être un sanctuaire pour eux !
C’est pourquoi nous proposons cette résolution pour le renforcement des sanctions contre les responsables des violations des droits humains au Venezuela et pour soutenir les pays signataires de l’enquête auprès de la Cour pénale internationale.
À travers ce document, nous appelons les autorités françaises à être vigilantes quant aux fonds provenant du Venezuela et, plus particulièrement, ceux des responsables sanctionnés par l’Union européenne, rappelant que les sanctions prises par cette dernière devront être appliquées dans tout l’espace Schengen, et donc en France.
De même, nous appelons les autorités à être vigilantes quant aux possibles liens avec le trafic de drogue ou le terrorisme.
En dernier lieu, nous appelons la France à rejoindre les pays signataires du dossier en cours devant la Cour pénale internationale et à soutenir son procureur, Mme Fatou Bensouda, afin que les responsables des violations des droits de l’homme soient condamnés.
Pour finir, en saluant la présence dans la tribune de Mme Isadora Zubillaga, représentante en France du président par intérim Juan Guaidó, je tiens répéter combien il est important de soutenir le peuple vénézuélien par cette démarche.
Je compte donc sur vous, mes chers collègues, pour voter cette résolution, qui constituera un pas en avant dans la défense des droits de l’homme en faveur des Vénézuéliens. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Indépendants, Les Républicains et LaREM.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise sociale, économique et politique au Venezuela est grave. Elle laissera des traces dans le pays pendant de longues années. Personne n’est insensible à cette situation, surtout pas nous.
Mais la proposition de résolution qui nous est soumise est-elle la contribution attendue de la France face à une telle situation ? Nous ne le pensons pas !
Cette proposition, et le propos que nous venons d’entendre de la part de mon collègue Olivier Cadic l’illustre, est caricaturale. (Exclamations.)
Les mesures qu’elle propose de soutenir sont totalement inappropriées pour qui veut nourrir des solutions de paix pour ce pays et son peuple.
M. Bruno Sido. Que ne faut-il pas entendre ?
M. Pierre Laurent. Les attendus de la proposition de résolution invitent en effet le Sénat à emboîter le pas, sans nuance, à ceux qui reconnaissent Juan Guaidó comme président autoproclamé, alors même que son soutien à l’intérieur du pays recule fortement au rythme des révélations sur ses liens directs avec les entreprises de déstabilisation engagées sur l’initiative des États-Unis.
Ces mêmes attendus mettent en cause la Russie, avec une rhétorique de guerre froide qui conduira, une fois de plus, la France à se marginaliser dans la région si nous en suivions le fil. Je crois qu’il y a bien mieux à faire !
La situation de crise est grave, je l’ai dit. La crise politique est devenue une crise violente. Les Vénézuéliens en paient un prix élevé. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le HCR, parle aujourd’hui de 3,7 millions de Vénézuéliens ayant quitté le pays et 80 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté.
Les causes de la crise sont multiples. Après des années de lutte contre les inégalités et la pauvreté financées par la manne pétrolière, l’affaissement des cours du pétrole a replongé le pays dans d’importantes difficultés, faisant reculer le PIB de 50 % depuis 2015.
Ce recul brutal a d’autant plus déstabilisé l’économie nationale que les réponses apportées en termes de stratégie économique n’ont pas toujours été appropriées. Ces erreurs sont d’ailleurs débattues au sein même des forces qui soutiennent Nicolás Maduro et refusent la prise de pouvoir de Juan Guaidó.
Mais il est clair, et les attendus de la proposition de résolution n’en disent rien, bien au contraire, que cette déstabilisation a été souhaitée et clairement alimentée par les États-Unis, qui ont saisi là l’occasion, après la mort d’Hugo Chávez, d’en finir avec une expérience politique dont ils n’ont jamais voulu.
Les sanctions américaines, souvent extraterritoriales – mais, cette fois-ci, cela ne pose visiblement de problème à personne –, ont nourri le désordre économique du pays. Pourquoi le nier quand Donald Trump, lui-même, s’en vante ? Et pourquoi s’en tenir à emboîter le pas à la rhétorique américaine sans prendre aucun recul ?
Pour les États-Unis, le Venezuela est une clé de voûte en Amérique latine, où, en même temps, ils renforcent les sanctions illégales contre Cuba, soutiennent de toutes leurs forces le régime de Jair Bolsonaro, appuient les gouvernements du Chili et de l’Équateur réprimant les révoltes populaires.
Est-ce l’intérêt de la France de suivre cette doctrine qui fleure bon le retour de la « doctrine Monroe » en Amérique latine ? Le Venezuela a surtout besoin d’un retour à la stabilité politique, à la paix, à la réconciliation pour retrouver le chemin du développement. Et il a besoin pour cela d’un plein respect de sa souveraineté et d’un processus politique négocié de sortie de crise.
Où mène la reconnaissance unilatérale et extérieure de Juan Guaidó, sinon à la confrontation ?
La vérité est que les élections récentes dans ce pays ont donné des résultats opposés : les unes, dont l’élection présidentielle, ont été gagnées par Maduro et les forces qui le soutiennent ; les autres par l’opposition.
Sortir de cette situation par la violence, voire, pire, par la guerre civile dont le spectre plane, serait un calcul effroyable.
La droite vénézuélienne a sa responsabilité dans l’engrenage des violences. Les trois gouverneurs qu’elle a fait élire dans le bassin du lac de Maracaibo, le long de la frontière colombienne, l’ont été dans une région où le pouvoir du crime organisé est évident, tout comme l’implantation de longue date des narcotrafiquants et des paramilitaires.
Plutôt que de soutenir cette logique de confrontation, nous devons appuyer le retour à un processus politique reconnu de tous.
La tentative, en toute inconstitutionnalité, de destitution de Nicolás Maduro par la majorité parlementaire en 2016 avait enflammé la situation. Inversement, le retour des députés de la majorité présidentielle au sein de l’Assemblée nationale vénézuélienne, à la suite d’un accord avec une partie importante de l’opposition, est un premier pas à saluer.
La France devrait appuyer le Mexique et l’Uruguay, qui ont proposé leur médiation, et les efforts de la Norvège pour ouvrir à Oslo un dialogue entre le président Maduro et les forces d’opposition de l’assemblée vénézuélienne.
La France devrait entendre l’appel de l’ONU mettant en garde contre les conséquences des mesures coercitives unilatérales en ces termes : « Ce n’est pas la réponse à la situation politique du Venezuela. » Cet appel souligne « l’urgente nécessité pour tous les acteurs concernés de participer à un dialogue politique inclusif et crédible pour aborder la longue crise que traverse le pays, dans le plein respect de l’État de droit et des droits humains ».
Évidemment, la situation des droits humains est au cœur des enjeux de la sortie de crise. Le rapport de Michelle Bachelet pour l’ONU chiffre à 5 000 le nombre de personnes tuées par les forces de sécurité en 2018, dans la spirale de violences alors provoquée. Près de 400 fonctionnaires des Forces d’action spéciales sont actuellement jugés pour ces délits.
Il faut se féliciter que le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme ait signé un accord avec le Venezuela pour renforcer leur coopération, avec l’objectif d’ouvrir un bureau permanent sur place. Deux représentants de l’ONU sont autorisés à rester et à accéder à tous les centres de détention.
À l’opposé des sanctions décidées par Washington et soutenues par la présente proposition de résolution, nous devrions donc soutenir les efforts de dialogue, d’où qu’ils viennent, et associer la France à ces efforts.
Cette proposition est à contre-courant de cette ambition. Elle se contente d’alimenter un portrait caricatural d’une situation particulièrement complexe. C’est pourquoi nous voterons contre ce texte.
Mme Annick Billon. C’est dommage !
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nombreux sont les rêves d’inspiration marxiste ou communiste qui ont tourné et tournent encore au cauchemar. L’un d’entre eux s’annonce particulièrement long et douloureux.
Près de 15 % de la population a fui le pays… Au sein de ceux qui restent, cela a été dit, 94 % vivent sous le seuil de pauvreté… Bienvenue à Caracas !
Le pays ne parvient pas à sortir de la crise qui a dégénéré lorsque Nicolás Maduro a proclamé sa réélection, à l’issue d’un scrutin truqué. À la suite de cette fraude électorale, dénoncée dans le monde entier, le président de l’Assemblée nationale, Juan Guaidó, a été reconnu président par intérim par 55 pays, et ce jusqu’à l’organisation de nouvelles élections présidentielles.
Personne ne devait s’attendre à ce que Maduro quitte le pouvoir de son plein gré. Il a néanmoins surpris par le degré de violence employé pour se maintenir en place.
L’ONU dénonce l’usage systématique d’une « force excessive » à l’encontre des manifestants. Cet euphémisme est bien pudique quand, depuis 2018, plusieurs milliers de personnes ont été arrêtées, torturées, assassinées. Et cela continue !
Il est insensé, comme l’indiquait notre collègue Olivier Cadic, que, jeudi dernier, un siège au Conseil des droits de l’homme des Nations unies ait été attribué au Venezuela de Maduro. Insensé !
Pour tenter de sortir de la crise, la communauté internationale avait deux choix : ne rien faire ou intervenir.
Plusieurs pays soutiennent le régime en place, dont la Corée du Nord – pays de grande liberté –, la Turquie, la Russie, la Chine, la Bolivie d’Evo Morales, qui a effectivement une certaine expertise en matière électorale. Dormez tranquilles, braves gens, l’équipe de choc de la démocratie est au chevet du Venezuela !
M. Jean-Luc Mélenchon, de son côté, s’en était donné à cœur joie et n’avait pas raté l’occasion de soutenir ces régimes autoritaires, oubliant, dans un délire de révolutionnaire de salon, que, si lui-même avait été un opposant politique au Venezuela, il aurait peut-être été défenestré du dixième étage par les forces de sécurité, comme le fut Fernando Albán.
En janvier, puis en août, les États-Unis ont imposé de lourdes sanctions au régime. Ils imaginent, comme dans le dossier iranien, que cela poussera la population ou l’armée à renverser le pouvoir en place. Mais pour l’heure : beaucoup de tweets, pas de résultat !
Le Conseil européen a lui aussi infligé des sanctions au régime.
Certains dénoncent l’emploi de telles sanctions, au motif qu’elles aggravent la crise humanitaire. Mais quelle est l’alternative ? Ne rien faire et laisser ce peuple sombrer chaque jour un peu plus dans la misère et dans la torture ?
Nous sommes convaincus que les Vénézuéliens doivent pouvoir choisir librement leurs dirigeants. Il nous semble que l’emploi de la force n’est pas ce dont le pays a besoin. La sortie de la crise ne pourra être que politique et nous croyons que les sanctions économiques contre le régime vont l’inciter à négocier.
En parallèle, il nous faut agir pour protéger la population, pour protéger le règne de la loi. Les atteintes aux droits de l’homme doivent cesser.
Le procureur de la Cour pénale internationale a ouvert une enquête préliminaire en 2018 pour violations des droits humains et crimes contre l’humanité. Sans justice, la paix ne pourra pas revenir au Venezuela. L’action de la Cour pénale internationale prendra, hélas, du temps – c’est toujours long –, mais on ne peut que la soutenir.
Nous avons été nombreux à signer cette proposition de résolution, qui se justifie pleinement tant ce peuple est maltraité et vit dans des conditions scandaleuses. Je ne comprends pas que l’on puisse y être opposé.
Nous ne pouvons rien faire de mieux que d’imposer des sanctions économiques. Les Européens doivent s’interroger sur la stratégie à mettre en œuvre, d’une manière générale et quelles que soient leurs tendances, face aux régimes autoritaires.
Le groupe auquel j’appartiens, Les Indépendants – République et Territoires, votera naturellement cette excellente résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et LaREM.)
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cigolotti.
M. Olivier Cigolotti. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, Syrie, Sahel, détroit d’Ormuz, Corée du Nord, Algérie, Liban, Chili : les foyers de crise et d’inquiétude sont, ces derniers temps, si nombreux et si complexes sur la scène internationale qu’on en aurait presque tendance à oublier un peu rapidement ceux qui ne font pas quotidiennement les gros titres des journaux.
Cette proposition de résolution, présentée par notre excellent collègue Olivier Cadic, a donc pour mérite de remettre sur le devant de la scène le Venezuela, et l’état catastrophique dans lequel ce pays se trouve depuis maintenant plusieurs mois.
Si le monde s’en était légitimement ému et alerté au plus fort des tensions politiques, l’enlisement de la situation nous a malheureusement presque fait « passer à autre chose ». Or c’est pour cette raison même qu’il n’a jamais été aussi urgent de venir en aide à ce pays et à sa population.
Alors que le Venezuela fut longtemps la nation la plus prospère et la plus développée d’Amérique latine, et Caracas la perle du continent, il est aujourd’hui le théâtre d’une crise humanitaire sans précédent dans un pays ayant atteint un tel niveau de développement.
C’est une triste démonstration de la « malédiction des ressources naturelles » que nous offre ce pays, qui a détruit son économie en la soumettant entièrement aux lois du cours du baril de pétrole.
Alors que crise politique et crise économique se nourrissent l’une l’autre depuis maintenant des années, des vents contradictoires soufflés par la communauté internationale viennent attiser les braises.
Quelle ironie de voir que la crise traversée par le Venezuela a réactivé de vieux clivages stratégiques que l’on croyait disparus depuis les années 1990 !
En effet, alors que Juan Guaidó est reconnu par le Groupe de Lima, les États-Unis et la quasi-totalité des pays de l’Union européenne, les principaux piliers extérieurs du régime de Maduro ne sont autres que la Chine, la Russie, la Turquie, l’Iran, le Nicaragua et Cuba. Du beau monde en vérité !
Pendant ce temps, dépassé par ces jeux de puissance, le peuple vénézuélien souffre et fuit en masse. Près de 10 % de la population vénézuélienne a en effet émigré vers les pays voisins, ne supportant plus le manque de médicaments, les coupures d’eau et d’électricité, l’inflation à 1 000 000 % et l’insécurité croissante.
Ces migrants se sont majoritairement déplacés vers les pays voisins, au premier rang desquels la Colombie, ce qui fait peser un poids dramatique sur leurs épaules.
La France n’est pas restée inactive, encore moins indifférente, depuis le début des difficultés du régime de Maduro. En effet, alors que la relation franco-vénézuélienne s’était dégradée depuis 2017, dans le contexte d’attaques verbales de Nicolás Maduro, nous avons durci notre position à son égard.
En 2018, la France a apporté son soutien à la demande adressée à la Cour pénale internationale par cinq États latino-américains et le Canada, afin d’ouvrir une enquête sur les accusations de crimes contre l’humanité visant le régime de Nicolás Maduro, demande à laquelle la Cour pénale a répondu favorablement le 8 février 2018. Un examen préliminaire de la situation est en cours, et nous serons bien entendu très attentifs aux conclusions qui en seront tirées.
Enfin, notre pays a reconnu Juan Guaidó comme « président en charge » pour mettre en œuvre un processus électoral dès le 4 février 2019. Par ailleurs, la France a apporté une aide humanitaire importante au Venezuela et aux pays voisins touchés par la crise migratoire.
L’Europe n’a pas non plus gardé les bras croisés, et ce malgré l’absence d’un consensus absolu de ses membres pour la reconnaissance de la légitimité présidentielle de Juan Guaidó. J’en veux pour preuve la conférence internationale qui s’est achevée hier à Bruxelles, sous l’égide du Service européen pour l’action extérieure, le SEAE, et qui a tenté d’apporter des réponses à la crise des réfugiés qui fait rage.
Cette proposition de résolution va résolument dans le bon sens : il apparaît effectivement important d’être vigilant quant aux fonds provenant du Venezuela et de veiller à appliquer les sanctions et les limitations décidées.
Je m’attarderai plus particulièrement sur la dernière de ces recommandations : faire en sorte que l’État français rejoigne les pays signataires du dossier en cours auprès de la Cour pénale internationale et soutienne le procureur, Mme Fatou Bensouda, pour que les responsables des violations des droits humains soient condamnés.
Signe, s’il en fallait un, de la gravité de la situation, ce sont pour la première fois des États, et non des individus, qui formulent contre un autre État une plainte auprès de la Cour pénale internationale de La Haye. Si la France a déclaré soutenir cette initiative, elle n’a pas pour autant rejoint les six pays signataires de la plainte. Pourquoi donc, madame la secrétaire d’État ?
Bien sûr, nous soutiendrons cette proposition de résolution, que nous avons cosignée, en espérant que l’ensemble des sénateurs feront de même. Surtout, nous espérons que le Gouvernement saura nous entendre et répondre à cet appel ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Indépendants. – Mme Isabelle Raimond-Pavero applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Sido.
M. Bruno Sido. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la situation dans laquelle est plongé le Venezuela s’apparente à une descente aux enfers, et cette dernière semble sans fin. Ce débat nous donne l’occasion d’évoquer la situation dramatique de millions de Vénézuéliens ; l’impasse semble aujourd’hui totale.
La crise humanitaire est aiguë. La quasi-totalité de la population de ce pays, autrefois si riche, vit aujourd’hui dans la pauvreté, voire dans l’extrême pauvreté. Les pénuries de nourriture, les difficultés d’accès aux soins et aux médicaments, les coupures d’électricité, le délabrement des infrastructures publiques rendent la vie insupportable. Il ne s’agit d’ailleurs plus de vivre, mais de survivre.
Au total, 7 millions de Vénézuéliens ont besoin d’aide humanitaire et, dans le pays, près d’un quart des enfants souffrent de malnutrition.
On le sait : cette situation est d’abord le résultat d’une gestion catastrophique du pays, d’un manque d’investissements et d’une corruption aggravée qui durent depuis des années.
Dans ce contexte épouvantable, les habitants – c’est bien compréhensible – fuient massivement le pays : 10 % de la population a déjà pris le chemin de l’exil, et les départs continuent malgré la fermeture de la frontière par le Gouvernement. Ainsi, 4 millions de Vénézuéliens, peut-être bientôt 5 millions selon les prévisions du HCR, vivent en dehors de leur pays.
Cet exode sans précédent fait courir de nombreux dangers aux personnes qui prennent la route – parfois des mineurs isolés –, livrées aux passeurs, victimes des réseaux de traite, condamnées à vivre dans la rue, dans les villes où elles atterrissent.
En outre, cet afflux massif de réfugiés vers les pays voisins fait courir un risque de déstabilisation régionale. Ainsi, près de 1,5 million de Vénézuéliens ont trouvé refuge en Colombie, premier pays d’accueil. Mais, dans le même temps, cet État est confronté à des difficultés économiques et doit mener à bien son fragile processus de paix.
Face à ce drame, l’Union européenne et, singulièrement, la France ne restent pas inactives : via le HCR, nous apportons des soutiens aux réfugiés ; à travers des associations humanitaires comme la Croix-Rouge ou Médecins du monde, nous aidons la population vénézuélienne. Mais le régime fait tout pour entraver les secours.
En effet, cette grave crise a évidemment un volet politique. Depuis 2018, le Parlement démocratiquement élu est privé de ses pouvoirs, les médias sont entravés et les contre-pouvoirs démantelés.
En plus des privations qu’ils supportent au quotidien, les Vénézuéliens subissent une féroce répression de la part du régime, qui veut étouffer tout mouvement de protestation : les arrestations arbitraires, les exécutions extrajudiciaires, la torture sont couramment pratiquées, y compris sur des représentants du peuple démocratiquement élus. Selon le gouvernement chaviste lui-même, plus de 1 500 personnes auraient été tuées lors d’opérations de sécurité durant les six premiers mois de l’année 2019.
Près de 800 personnes seraient détenues arbitrairement ; on ne compte plus les rapports qui témoignent des graves violations des droits de l’homme et des atteintes à l’État de droit commises dans ce pays. Ainsi, la commission des affaires étrangères a recueilli le bouleversant témoignage de Lorent Saleh, opposant, prix Sakharov, emprisonné et torturé.
Dans un tel contexte, comment admettre l’entrée du Venezuela au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, il y a deux semaines ?
La solution à la crise ne peut qu’être politique. Malheureusement, nous ne voyons aucun signe d’espoir. Les tentatives de médiation entre le régime et l’opposition, que ce soit celle d’Oslo ou celle menée dans le cadre du groupe international de contact, le GIC, sont au point mort. Le régime Maduro se borne à un simulacre de dialogue avec l’opposition minoritaire. La « feuille de route » prévoit la tenue d’élections législatives, mais le calendrier reste plus qu’incertain.
Pour sortir de l’impasse politique actuelle, c’est une élection présidentielle libre et transparente, dans le cadre d’une transition négociée, qui serait nécessaire. Il s’agit là d’une condition au rétablissement de la démocratie et de l’État de droit au Venezuela.
Cet objectif est soutenu par la France et par l’Union européenne, dont vingt-quatre États membres reconnaissent le président de l’Assemblée nationale, Juan Guaidó, président par intérim, mais il est refusé par le régime chaviste. L’impasse politique ne peut que pousser la population désespérée à reprendre le chemin de la rue.
Dans ce contexte, il faut soutenir les initiatives récentes prises à l’échelle européenne pour renforcer les mesures restrictives à l’encontre du régime chaviste. Ainsi, le 25 septembre dernier, des sanctions individuelles ont été imposées contre 7 membres des forces de sécurité accusés de torture. Cette décision porte à 25 le nombre de responsables vénézuéliens visés par des interdictions de visas et des gels d’avoirs dans l’Union européenne.
Les auteurs de cette proposition de résolution appellent nos autorités à une application stricte de ces sanctions ainsi qu’à une vigilance particulière à l’égard des fonds provenant du Venezuela : leur origine peut être douteuse compte tenu des organisations criminelles qui prospèrent dans le pays. En outre, ils invitent la France à rejoindre les pays ayant engagé une procédure auprès de la Cour pénale internationale sur les accusations de crime contre l’humanité prononcées contre le régime de Nicolás Maduro Moros.
Pour l’heure, notre pays ne fait que soutenir la demande formulée par d’autres États, à savoir cinq pays latino-américains et le Canada. Certes, une procédure devant la CPI est nécessairement longue. Mais, plus que le résultat, c’est ici le message qui compte : cette procédure signifie d’abord la reconnaissance, par la communauté internationale, du drame vécu par des millions de Vénézuéliens, et elle marque la fin de l’impunité pour les crimes commis. Le fait que la France, pays de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, s’y associe serait donc un acte particulièrement fort.
Le président vénézuélien continue d’opprimer son peuple. Il ne manifeste aucun signe de faiblesse : au contraire, il se mêle d’apporter son soutien aux mouvements de contestation qui secouent actuellement l’Équateur et le Chili. Il est donc opportun d’appeler le Gouvernement à davantage de fermeté et d’implication dans le règlement de cette crise. Bien entendu, les élus du groupe Les Républicains voteront cette proposition de résolution ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, Les Indépendants et LaREM.)
Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal.
M. Rachid Temal. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, afin d’appréhender comme il se doit la proposition de résolution qui nous est soumise, il me semble essentiel d’évoquer le contexte dans lequel elle s’inscrit.
La crise que connaît le Venezuela a éclaté il y a maintenant six ans, avec la mort d’Hugo Chávez et la désignation de son successeur Nicolás Maduro. La contestation de la légitimité de cet héritier a pris une dimension supplémentaire en 2015, lorsque l’opposition a remporté les élections législatives. Elle a conduit à un démantèlement des contre-pouvoirs et à une remise en cause de l’État de droit.
Le 23 janvier 2019, Juan Guaidó, président d’une Assemblée nationale vidée de ses pouvoirs et prérogatives, s’est autoproclamé président par intérim. Il a été reconnu par de nombreux États – les précédents orateurs l’ont rappelé.
La situation que vit le Venezuela depuis de nombreuses années a entraîné une crise humanitaire sans précédent pour le pays et une violation massive des droits de l’homme. La population vénézuélienne est la première victime de cette crise, dont elle constitue l’otage.
Au sein du pays, la situation sanitaire est alarmante. Selon un rapport du HCR, entre novembre 2018 et février 2019, on a compté 1 557 personnes décédées en raison de l’approvisionnement défectueux des hôpitaux. Plusieurs d’entre nous ont également rappelé ce chiffre : au total, 95 % de la population du Venezuela vit sous le seuil de pauvreté. Et pourtant, le pays était si riche !
Je le répète, à la question humanitaire s’est ajoutée la violation des droits de l’homme. Des députés de l’opposition sont poursuivis malgré leur immunité parlementaire, contraints de fuir ou de se réfugier dans des ambassades étrangères. Les manifestations sont réprimées brutalement : chacun a pu le constater.
Selon le rapport du Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme du 4 juillet 2019, 793 personnes sont arbitrairement privées de leur liberté, et 66 autres seraient décédées lors des manifestations qui se tiennent depuis janvier 2019. Le gouvernement vénézuélien lui-même – j’y insiste – avance le chiffre de 1 500 personnes tuées au cours « d’opérations de sécurité ».
Mes chers collègues, comment réagir à cette crise ?
Il y a, d’un côté, l’option américaine : celle des sanctions, sans cesse durcies, qui – il faut le dire – ont encore aggravé la situation humanitaire et sanitaire du peuple vénézuélien. Elles ont notamment été amplifiées par Donald Trump, qui, il y a quelque temps encore, n’excluait pas une intervention militaire au Venezuela. Ce choix reposait sur un pari simple : miser sur le renversement du président Maduro par une population le considérant comme responsable de sa situation économique et sociale. Mais le pari semble perdu : le régime Maduro reste en place. Il dispose encore du soutien de l’armée et – d’autres l’ont dit avant moi – de certaines puissances internationales.
Il y a, de l’autre côté, le choix des Européens : celui de l’aide humanitaire, nécessaire au Venezuela comme en dehors de ses frontières, et de la tenue d’élections démocratiques, conformément à l’État de droit.
À mon sens, il s’agit là des premiers objectifs à atteindre. À cette fin, l’Union européenne a constitué un groupe international de contact qui, en mai dernier, a mené plusieurs rencontres avec des représentants du Gouvernement et de l’opposition. À la fin de ce même mois, d’autres discussions ont eu lieu en Norvège ; la médiation a été organisée par le pays hôte.
Au moment où j’évoque les différentes réactions de la communauté internationale, je me permets une incise. Nous devons éviter toute vision en noir et blanc. Certes, nous sommes face à un régime qui fait aujourd’hui l’objet d’une enquête internationale pour violation des droits humains et fait fi des règles élémentaires de tout État de droit, de toute démocratie : il doit être condamné, et nous le condamnons.
M. Bruno Sido. Bravo !
M. Rachid Temal. Pour autant, les exactions auxquelles se livre ce régime ne doivent pas nous conduire à considérer, en miroir, le président Guaidó comme l’incarnation du bien contre le mal. À mon sens, cette vision ne serait pas de nature à guider notre réflexion, notre démarche de soutien au peuple du Venezuela et à la démocratie de ce pays.
Nous avons également un devoir de lucidité et de vérité : aussi, nous devons noter les difficultés auxquelles se heurte actuellement M. Guaidó pour maintenir l’unité de l’opposition. D’ailleurs, une partie de ses soutiens ont signé un accord avec le président Maduro. (M. Bruno Sido met en doute les propos de l’orateur.) On ne peut pas non plus oublier les interrogations qui demeurent, aujourd’hui, quant aux relations entre M. Guaidó et tel ou tel groupe paramilitaire.
À mon sens, il convient de clarifier l’ensemble de ces questions : il y va de la démocratie et du sort du peuple vénézuélien.
Cela étant, au sein de notre groupe, nous refusons fermement de tout confondre, en mettant sur le même plan M. Maduro et M. Guaidó : je tiens également à le préciser.
Tel est donc le contexte dans lequel s’inscrit cette proposition de résolution. Ce texte a été déposé par M. Cadic au mois de juillet dernier et, depuis lors, la situation a continué à évoluer ; les uns et les autres l’ont indiqué. L’Union européenne a adopté, à l’encontre de membres des forces de sécurité et de renseignement vénézuéliennes, de nouvelles sanctions comprenant l’interdiction de pénétrer sur le territoire de l’Union européenne et un gel des avoirs.
Plusieurs tentatives de dialogue politique ont été engagées entre les différentes parties : l’Union européenne doit faire son devoir pour que nous aboutissions à une solution politique, à une sortie de crise pacifique.
En parallèle, au sein de l’ONU, la haut-commissaire aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, dont chacun connaît le parcours personnel et politique – on ne peut pas, à mon sens, la soupçonner de parti pris –, a remis un rapport sans concession sur l’état des droits humains au Venezuela. Ce document vient conforter les autres rapports qui décrivent un État défaillant, le pouvoir vénézuélien poursuivant une stratégie « visant à neutraliser, réprimer et incriminer les opposants politiques et les personnes critiquant le gouvernement ».
Sur cette base, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a décidé, le 27 septembre dernier, l’ouverture d’une enquête par une mission internationale indépendante sur les violations des droits humains au Venezuela depuis 2014. Cette demande avait été formulée, dès 2018, par cinq États d’Amérique latine et par le Canada.
Enfin, en totale contradiction avec cette décision, le Venezuela a obtenu suffisamment de voix pour siéger au sein du Conseil des droits de l’homme des Nations unies pour la période 2020-2022 : une telle décision est totalement surréaliste !
Mes chers collègues, les membres de notre groupe voteront cette proposition de résolution ; mais, à nos yeux, elle présente certaines lacunes. Il faudrait réaffirmer quelle est notre boussole : dans chaque situation comparable, nous devons exprimer un soutien indéfectible au droit de chaque peuple à choisir librement et démocratiquement son destin ; nous devons également rappeler la nécessité d’apporter une aide aux populations concernées.
Ainsi, nous aurions voulu ajouter trois éléments qui nous semblent fondamentaux.
Tout d’abord, il aurait fallu affirmer le soutien de la France à tout processus visant à ce que des élections libres et transparentes soient organisées dans les plus brefs délais au Venezuela, dans le cadre d’un État de droit. Cette proposition de résolution n’en aurait été que plus étoffée.
Ensuite, il aurait fallu souligner notre soutien à tout processus de médiation : il importe également de proposer une méthode pour sortir de la crise politique que connaît le Venezuela et, ainsi, de donner de l’espoir.
Enfin, il aurait fallu rappeler l’engagement de la France pour un soutien humanitaire aux populations, que ce soit au Venezuela ou en dehors de ses frontières. Plusieurs millions de personnes sont concernées, et la quasi-totalité des habitants du pays vivent sous le seuil de pauvreté. Or la situation peut encore empirer, et la population vénézuélienne perdrait alors toute espérance.
Malgré ces trois lacunes, nous espérons que cette proposition de résolution rassemblera tous les membres de la Haute Assemblée ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, LaREM, UC et Les Indépendants.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Arnell.
M. Guillaume Arnell. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la situation politique au Venezuela suscite de vives inquiétudes, tant elle réveille le souvenir d’une époque tragique, celle des « années de plomb » qu’avaient subies de nombreux pays d’Amérique latine au cours des décennies 1960 et 1970.
Alors que Caracas s’était démarquée en entamant dès 1958 une longue tradition démocratique, le régime actuel est accusé d’abuser de pratiques totalitaires que l’on espérait révolues sur le continent sud-américain.
Nous connaissons les conditions troubles dans lesquelles Nicolás Maduro a été réélu en 2018. Certains orateurs les ont rappelées. La France les a déplorées et c’est une bonne chose : le dirigeant vénézuélien a choisi non seulement de tourner le dos à la démocratie, mais aussi d’entrer en conflit ouvert avec une partie significative de sa population.
Amnesty International et le Conseil des droits de l’homme des Nations unies ont respectivement dressé un bilan sans appel des violences commises depuis 2014 au Venezuela : plus de 14 000 personnes auraient été arrêtées de façon arbitraire sous le motif officiel de « résistance à l’autorité » ; des centaines d’exécutions extrajudiciaires auraient été perpétrées en pleine rue ; les manifestations seraient réprimées et les opposants torturés par les forces armées spéciales, les FAES, créées en 2017.
Le climat intérieur est d’une telle violence que de nombreux Vénézuéliens choisissent l’exil. En cinq ans, plus de 4 millions de personnes ont officiellement quitté le pays.
En accueillant 1,5 million de réfugiés, la Colombie a largement ouvert ses frontières, mais la coopération entre pays voisins commence à se dégrader. Depuis l’été dernier, de peur d’être déstabilisés dans un contexte économique régional difficile, le Pérou, le Chili et l’Équateur ont entrepris de durcir leurs conditions d’entrées. Si les flux depuis le Venezuela se poursuivent, l’on ne pourra pas écarter le risque d’une crise globale.
Les auteurs de cette proposition de résolution le soulignent : dans ce cas de figure, nos territoires d’outre-mer présents dans cette aire géographique pourraient être affectés. C’est d’ailleurs déjà le cas de mon territoire, Saint-Martin, par ailleurs fragilisé par l’ouragan Irma. (M. Rachid Temal opine.)
En outre, soyons attentifs à ce qui se passe en Bolivie, avec la victoire contestée d’Evo Morales dimanche dernier. Madame la secrétaire d’État, je sais que le Gouvernement est parfaitement mobilisé sur ce dossier sensible, à l’instar de l’Union européenne.
Cela étant, revenons-en au Venezuela. Bien entendu, les élus du RDSE soutiennent toutes vos initiatives destinées à encourager la reprise du dialogue entre le gouvernement vénézuélien et l’opposition, ainsi que celles visant au rétablissement des libertés fondamentales. Toutefois, nous nous inquiétons des moyens de pression limités dont dispose la communauté internationale, surtout quand la Chine et la Russie, une fois de plus, refusent de suivre…
Tout d’abord – vous le savez, mes chers collègues –, la souveraineté des États étant protégée en droit international, toute ingérence directe doit être évitée.
En outre, nous constatons, hélas ! que l’indécence s’est invitée au sein de l’ONU, le 17 octobre dernier. En effet, le Venezuela est entré au Conseil des droits de l’homme de l’organisation, pour la période 2020-2022, alors que ce même conseil a diligenté, en septembre 2019, une mission d’enquête sur la violation des droits de l’homme au Venezuela.
Cette incongruité doit nous amener à nous interroger sur le fonctionnement des institutions multilatérales. Ces dernières ont besoin d’un minimum de crédibilité pour être efficaces, de surcroît dans un contexte où elles sont de plus en plus contestées.
Pour autant, il est utile de rappeler que le Venezuela a des engagements internationaux à honorer, en particulier la convention contre la torture, ainsi que le pacte international relatif aux droits civils et politiques.
L’intervention militaire est inenvisageable ; la pression onusienne demeure limitée : reste la politique de sanctions, que cette proposition de résolution vise à renforcer.
Le RDSE soutient cette demande, tout en gardant à l’esprit que les sanctions internationales n’ont pas toujours non plus la portée que l’on souhaiterait, n’en déplaise au président Wilson, qui déclarait en son temps qu’« une nation boycottée est une nation en voie de capitulation » et que ce remède « pacifique et silencieux » évitait le « recours à la force ».
Le cas de l’Irak démontre qu’un pays peut être atteint par le plus dur régime de sanctions sans être pour autant épargné par une intervention militaire. Plus généralement, les sanctions font rarement plier un régime. L’Iran, la Corée du Nord et la Russie, laquelle a été visée après l’annexion de la Crimée, se sont à peine émus de leur situation !
Madame la secrétaire d’État, sans relâcher les efforts diplomatiques pour tenter d’isoler le régime de Nicolás Maduro, nous avons donc la responsabilité d’apporter une aide humanitaire à tous les Vénézuéliens qui sont en danger.
Nos collègues appellent à une action vigoureuse de la part de la Cour pénale internationale. Les Vénézuéliens ne trouveront pas justice dans leur pays, c’est certain : au sommet de l’État figure le Tribunal suprême de justice, une institution dominée par des proches de l’exécutif. Justice doit donc leur être apportée à l’extérieur.
Aussi, les membres du RDSE voteront cette proposition de résolution, car le respect des droits de l’homme a toujours été au cœur des actions de la France sur la scène internationale.
Nos amis vénézuéliens appellent au secours. Malgré les difficultés que j’ai évoquées, le renoncement n’est pas dans les gènes de notre République. Vous pouvez donc être assurés du soutien de mes collègues du RDSE et de moi-même, pour les nouvelles initiatives que la France engagerait et qui donneraient un peu d’espoir au peuple vénézuélien, n’en déplaise à l’ambassadeur de la République bolivarienne du Venezuela en France ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Olivier Cadic. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Cazeau.
M. Bernard Cazeau. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Venezuela est, depuis six ans, le théâtre d’une crise économique effroyable, d’un désastre humanitaire et de troubles politiques assortis de violations massives des droits humains, responsables d’une migration sans précédent.
Tout d’abord, le pays subit une crise économique effroyable. Avec une diminution de la production de pétrole de l’ordre de 40 % en 2018, l’effondrement de la rente pétrolière a entraîné une hyperinflation parmi les plus fortes des dernières décennies : elle devrait dépasser les 8 000 000 % en 2019 !
Ensuite, le Venezuela est placé dans l’urgence humanitaire et sociale : pénurie de nourriture et de médicaments ; coupures d’électricité répétées ; perturbations dans l’approvisionnement de l’eau ; effondrement du système de santé. En tout, 3,7 millions de Vénézuéliens souffrent de malnutrition et 300 000 d’entre eux sont en danger par manque de médicaments. D’ailleurs, cette situation a entraîné le décès de plusieurs milliers de malades, notamment parmi les plus fragiles – enfants, personnes âgées et femmes enceintes.
Enfin, le pays affronte l’une des pires crises politiques et migratoires que l’on connaisse à l’échelle mondiale. Depuis 2016, on décompte 18 000 personnes décédées lors d’affrontements avec la force publique. Plus de 4 millions de Vénézuéliens ont fui leur pays et, à l’intérieur, l’exode provoqué par l’insécurité et les déplacements forcés de population est encore plus massif.
De nombreux témoignages ont permis d’établir qu’une grande majorité de ces violences est le fait des forces de sécurité fidèles au président déchu. Les opposants politiques sont, eux aussi, la cible d’attaques en règle, menées au mépris des immunités parlementaires. Les auteurs de ces violences et attaques jouissent d’une impunité totale : à ce jour, aucune enquête judiciaire sérieuse n’a été diligentée.
Aussi, la démocratie et l’État de droit ne seront possibles au Venezuela que si l’on arrive à une solution politique du conflit. Celle-ci passe par un dialogue, selon des règles clairement établies, intégrant tous les courants politiques, notamment ceux qui rejettent la violence. Or Nicolás Maduro est décidé à gouverner seul. Différents subterfuges ont été employés, dont le plus significatif est la mise en œuvre inconstitutionnelle d’une assemblée constituante de citoyens. Cette dernière tactique avait pour seul but de déposséder de son pouvoir législatif le Parlement, alors dominé par l’opposition.
C’est dans ce contexte, en dehors du cadre constitutionnel, que s’est déroulée l’élection présidentielle de 2018, boycottée par l’opposition et dont Nicolás Maduro se prévaut. Dès lors, en l’absence de président légalement élu et conformément à la Constitution vénézuélienne, il est revenu au président de l’Assemblée nationale, Juan Guaidó, d’assurer les fonctions de président par intérim à titre provisoire, le temps que des élections libres et démocratiques soient organisées dans un délai de trente jours.
La France, les États-Unis et une partie de la communauté internationale n’ont fait que reconnaître une situation qui a découlé de l’application même de la Constitution du Venezuela. Nous n’avons fait que reconnaître la volonté du peuple vénézuélien telle qu’elle est exprimée dans sa loi fondamentale.
Jouant, depuis lors, sur les divisions partisanes, les héritiers de Chávez ont ajouté à la confusion la terreur, créé la pénurie alimentaire et la précarité énergétique, finissant de dilapider la manne pétrolière. Ils ont même poussé le cynisme jusqu’à revendiquer un poste au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, fragilisant encore un peu plus la crédibilité de ce conseil.
Sans préjuger d’autres initiatives, la France a d’ores et déjà plaidé pour la mise en œuvre d’un processus électoral démocratique et pacifique, sous la conduite du seul dirigeant légitime du Venezuela, Juan Guaidó. Elle a soutenu la Cour pénale internationale dans l’interpellation et le jugement des partisans de Maduro, soupçonnés d’être responsables ou complices de graves violations des droits de l’homme. Elle a apporté au Venezuela et aux pays voisins touchés par la crise migratoire une aide humanitaire à hauteur de 1,3 million d’euros en deux ans. Il n’est plus possible de faire l’apologie du « modèle chaviste ». Celui-ci ressemble de plus en plus à une expérience transformant les Vénézuéliens en cobayes d’une dictature populiste où les adversaires politiques sont considérés comme des ennemis du peuple.
Regardons les choses en face ! Le régime de Maduro s’est changé en un pouvoir autoritaire et agressif, incompétent et corrompu. Si nous sommes démocrates, il n’existe qu’une issue à cette crise : rendre la parole au peuple.
Le groupe des sénateurs de La République En Marche soutient cette proposition de résolution déposée par notre collègue Olivier Cadic. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes, comme vous, très préoccupés par la situation du Venezuela. Je vous remercie d’avoir salué le travail persévérant de notre ambassadeur sur place, Romain Nadal, et de son équipe. Ils font, dans ce contexte difficile, un travail qui me semble être à notre honneur.
Depuis le premier semestre de l’année 2019, le nombre de personnes en besoin d’assistance alimentaire a quasiment doublé et représente désormais 10 millions à 14 millions de personnes, selon les chiffres du groupe de contact international auquel la France participe. Ces chiffres n’incluent pas les 4,3 millions de Vénézuéliens qui ont déjà quitté leur pays.
L’exode en cours pourrait concerner 7 millions de personnes d’ici à la fin de l’année 2020, ce qui constitue la seconde crise migratoire à l’échelle mondiale, derrière la Syrie, mettant sous pression les infrastructures d’accueil de tous les États de la région. Face à ce constat, il est essentiel de permettre l’accès des acteurs humanitaires au territoire vénézuélien.
Sur le plan politique, nous sommes confrontés à un blocage des discussions qui devaient aboutir à la mise en place d’un processus électoral libre et crédible. Le processus de médiation dit d’Oslo entre le régime et l’opposition a été ajourné sine die le 15 septembre par l’opposition, après que M. Maduro a lui-même suspendu, au mois d’août, sa participation à cet espace de dialogue.
Alors, face à l’impasse, la France et l’Union européenne portent le même message. L’issue à cette crise ne peut être que pacifique et négociée. Elle passe par l’organisation d’élections présidentielles crédibles qui permettront au peuple vénézuélien de choisir de nouveau son destin.
Le groupe de contact international, auquel participe la France, a pour mandat de créer les conditions d’une telle solution négociée, tout en améliorant l’accès de l’aide humanitaire aux Vénézuéliens. Ce groupe de contact, qui s’est encore réuni cette semaine, a permis des progrès significatifs en matière d’acheminement de l’aide humanitaire. Sur le plan politique, ce groupe appelle à la tenue, dès que possible, d’élections présidentielles libres, transparentes et crédibles. Il incite à travailler, pour y parvenir, à l’élaboration d’une feuille de route recensant les garanties nécessaires à mettre en œuvre pour y arriver. Le groupe de contact international constitue aujourd’hui le seul groupe capable de parler aux deux parties. Ces efforts coordonnés doivent être poursuivis et encouragés, et vous pouvez compter sur nous pour ce faire.
Par ailleurs, nous rejetons fermement tout recours à la force, qu’il soit le fait des Vénézuéliens eux-mêmes ou de puissances étrangères.
Pendant que les discussions sont suspendues, les droits de l’homme sont toujours bafoués par le régime de Nicolás Maduro, comme l’a tristement documenté le rapport publié le 5 juillet dernier par la haut-commissaire aux droits de l’homme des Nations unies, Mme Michelle Bachelet. La répression touche avant tout les populations les plus défavorisées et de fortes présomptions d’exécutions extrajudiciaires dans les quartiers populaires ont été mises en lumière par la haut-commissaire.
Je tiens à le dire ici très solennellement, la France appuie sans réserve l’action de la haut-commissaire et condamne fermement la répression violente des manifestations, ainsi que les menaces et les violations des droits de l’homme survenues dans les derniers mois à l’encontre d’élus et de représentants de l’opposition. Vous avez mentionné Edmundo Rada, conseiller municipal de Caracas, membre du parti d’opposition Voluntad popular. Nous appelons à faire la lumière sur les circonstances de sa mort, le 17 octobre dernier.
Nous appelons également à la libération immédiate, complète et irréversible des prisonniers politiques.
Ces violations des droits de l’homme nous conduisent à regretter que le Venezuela ait été élu, il y a deux semaines, par l’Assemblée générale des Nations unies pour siéger pendant trois ans au Conseil des droits de l’homme. La France, en lien avec ses partenaires européens, veillera avec rigueur à la manière dont le Conseil conduira sa mission l’an prochain dans ce contexte, comme l’a indiqué, dès le 22 octobre dernier, la porte-parole de Federica Mogherini, la Haute Représentante de l’Union européenne. Cette élection, qui illustre les clivages internationaux sur le sujet du Venezuela, me semble devoir nous conduire à rechercher encore davantage une solution endossée par tous les acteurs.
J’en viens aux différentes questions et remarques au cœur de cette résolution sur les initiatives actuellement prises par la France pour faire cesser les atteintes aux droits de l’homme au Venezuela.
Tout d’abord, votre résolution nous interroge sur notre position à l’égard de l’enquête préliminaire de la Cour pénale internationale concernant le Venezuela. La position de la France ne varie pas : nous soutenons, sans réserve, sans préjugé, sans arrière-pensée, la lutte contre l’impunité des auteurs des crimes les plus graves, considérant qu’elle contribue directement à la paix, à la stabilité et à la sécurité internationales tout en répondant à une demande de justice légitime de la part des victimes.
En septembre 2018, le Canada et cinq États latino-américains – Argentine, Chili, Colombie, Paraguay et Pérou – ont adressé à la Cour pénale internationale un renvoi concernant la situation au Venezuela depuis février 2014 et demandant au procureur d’ouvrir une enquête sur d’éventuels crimes contre l’humanité.
Le Président de la République s’est exprimé clairement sur ce sujet : le processus en cours concernant le Venezuela est bien de nature à établir les faits qui ont conduit à la crise et à contribuer ainsi à y trouver une issue.
Nous devons ici nous en souvenir, c’est la première fois depuis l’entrée en vigueur du statut de Rome en 2002 qu’un groupe d’États défère une situation concernant le territoire d’un autre État partie, également lié par ce statut devant la Cour pénale internationale. Au-delà du cas précis du Venezuela, cette appropriation nouvelle du statut de Rome montre l’importance du rôle de cette Cour pénale internationale et la promotion, par de nombreux États, de la lutte contre l’impunité.
Nous suivons donc avec attention la procédure actuellement menée par le bureau du procureur de la CPI, Mme Fatou Bensouda, qui étudie l’ouverture d’une enquête. Notre position consiste à soutenir les travaux de la CPI et à faire une confiance totale, sans réserve et sans arrière-pensée, à cet organe.
Dans le même sens, j’ai évoqué le rapport de la haut-commissaire aux droits de l’homme paru en juillet dernier. Il a conduit le Conseil des droits de l’homme des Nations unies à instaurer une mission de vérification des faits sur place. Ces initiatives nous semblent de nature à démêler l’écheveau des responsabilités aboutissant à la situation de crise que connaît le Venezuela et que vous avez tous très bien décrite.
Votre résolution souligne ensuite les liens entre les fonds et le narcotrafic ou le terrorisme. Il s’agit également pour nous d’éviter, de manière concrète, que le régime n’ait les moyens de poursuivre sa répression et les atteintes aux droits de l’homme. En novembre 2017, à la suite des répressions de manifestations observées sur place en 2014 et 2017, l’Union européenne a mis en place un embargo sur les matériels de guerre et les équipements sensibles pouvant être utilisés pour la surveillance et la répression de la population vénézuélienne par le régime de Nicolás Maduro. Ces dispositions, vous l’imaginez – il n’est pas besoin de vous le rappeler, mais je le fais quand même –, sont bien sûr strictement appliquées par la France.
La France a noté que le régime de Nicolás Maduro recourait à d’autres acteurs extérieurs pour maintenir son contrôle sur la population. Nous exhortons – je le fais très solennellement ici devant vous – l’ensemble des États à favoriser des négociations qui sont d’abord politiques.
J’en viens maintenant à la pression que nous mettons en œuvre dans un cadre européen. J’ai pris connaissance de la proposition de résolution du Sénat relative aux sanctions et au contrôle des fonds : je tiens à le dire ici, nous maintenons un effort continu en ce sens.
L’Union européenne a annoncé, le 27 septembre, de nouvelles sanctions individuelles à l’encontre de 7 membres du régime vénézuélien directement impliqués dans des atteintes aux droits de l’homme, ce qui porte à 25 les personnalités vénézuéliennes sanctionnées par l’Union. Les sanctions sont envisagées comme un mécanisme d’incitation aux négociations, elles peuvent donc être modulées selon l’évolution de la situation sur place. Ces sanctions individuelles prévoient un gel des avoirs des personnalités vénézuéliennes concernées, ainsi qu’une interdiction d’admission sur le territoire de l’Union européenne, et donc en France métropolitaine, comme dans les départements, régions et collectivités d’outre-mer. Au vu des atteintes renouvelées aux droits de l’homme et de l’impasse politique, nous étudions de nouvelles possibilités de désignations individuelles avec nos partenaires européens.
L’action de la France, saluée par nos interlocuteurs et vous-mêmes, conjugue donc l’appui aux négociations et la pression sur les autorités vénézuéliennes, au moyen de sanctions individuelles décidées avec nos partenaires européens.
Je voulais, pour conclure, vous dire que, au fond, nous soutenons cette résolution sur son analyse de la situation et sur la nécessaire pression à exercer sur les autorités vénézuéliennes actuelles.
Sur le point spécifique de la saisine de la Cour pénale internationale – et donc sur votre demande implicite que la France rejoigne les pays signataires du dossier en cours devant la CPI – nous avons une approche quelque peu différente.
Nous apportons un soutien général et entier aux travaux de la CPI. Nous faisons confiance à cet organe, y compris pour examiner la situation au Venezuela. Il est, selon nous, nécessaire d’établir les faits qui ont conduit à la crise et que la CPI contribue à y trouver une issue. Cela implique que son travail puisse être accepté par toutes les parties – gouvernement et opposition –, qu’il favorise une solution politique négociée, alors qu’il risque d’être instrumentalisé et politisé, et qu’il constitue ainsi bien un préalable. Sans préjuger de ses conclusions, nous suivrons très attentivement son évolution. Cela ne nous empêche pas d’être attentifs aux travaux menés et de tirer, ensuite, toutes les conséquences quand les faits auront été établis et caractérisés par la CPI.
J’espère ainsi, madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, avoir pu répondre à vos interrogations.
Je vous remercie à nouveau pour votre travail de vigilance sur ce sujet ô combien important en Amérique latine, mais aussi pour la réaffirmation des principes que nous défendons ensemble au nom de notre liberté, de l’égalité et de la fraternité. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.
proposition de résolution pour le renforcement des sanctions adoptées par le conseil européen contre des responsables des violations des droits humains au venezuela et pour soutenir les états signataires de l’enquête auprès de la cour pénale internationale
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu le statut de Rome du 17 juillet 1998 de la Cour pénale internationale (CPI),
Vu l’ouverture d’un examen préliminaire d’une enquête pour des crimes contre l’humanité au devant la Cour pénale internationale, annoncé par le procureur Mme Fatou Bensouda le 8 février 2018,
Vu le « Rapport du Secrétariat général de l’Organisation des États américains et du Groupe d’experts internationaux indépendants sur la possibilité que des crimes contre l’humanité aient été commis au Venezuela » (Informe de la Secretaría General de la Organización de los Estados Americanos y del Panel de Expertos internacionales independientes sobre la posible comisión de crímenes de lesa humanidad en Venezuela) du 29 mai 2018, qui a été envoyé par l’Organisation des États américains à la Cour pénale internationale (référés par l’Argentine, le Chili, la Colombie, le Paraguay, le Pérou et le Canada) qui ont demandé à ce que la Cour pénale internationale ouvre une enquête sur des crimes contre l’humanité au Venezuela,
Vu le soutien que la France a exprimé à l’initiative de cinq pays d’Amérique latine et du Canada qui ont demandé à la Cour pénale internationale d’enquêter sur des responsables du régime de Maduro pour crimes contre l’humanité, le 29 septembre 2018,
Vu la loi n° 2010-930 du 9 août 2010 portant adaptation du droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale,
Vu le chapitre VIII bis du Règlement du Sénat,
Vu le rapport du Haut-Commissariat des droits de l’homme des Nations unies publié en juin 2018 « Violations des droits de l’homme dans la République bolivarienne du Venezuela : une spirale de violence sans fin » (Violaciones de los derechos humanos en la República Bolivariana de Venezuela : una espiral descendente que no parece tener fin),
Vu le « Rapport de synthèse oral sur la situation des droits de l’homme en République bolivarienne du Venezuela » (Informe oral de actualización sobre la situación de derechos humanos en la República Bolivariana de Venezuela) et de la Déclaration de la Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, à la 40ème session du Conseil des droits de l’homme le 20 mars 2019, où elle s’est dite « extrêmement préoccupée par l’ampleur et le sérieux des répercussions de la crise actuelle sur les droits de l’homme » au Venezuela,
Vu les objectifs du développement durable adoptés par les Nations unies en 2015,
Vu la Convention internationale des droits de l’enfant des Nations unies adoptée le 20 novembre 1989,
Vu le rapport de 2017 « Institutionnalité démocratique, état de droit et droits de l’homme au Venezuela » (Institucionalidad democrática, estado de derecho y derechos humanos en Venezuela) de la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) et ses déclarations récentes dans lesquelles les experts de la CIDH affirment « la persistance à porter atteinte aux droits de l’homme au Venezuela »,
Vu le rapport 2017/2018 d’Amnesty International intitulé « La situation des droits humains dans le monde », et le rapport d’Amnesty International publié en 2018 « Ce n’est pas une vie. Sécurité citoyenne et le droit à la vie au Venezuela » (Esto no es vida. Seguridad ciudadana y derecho a la vida en Venezuela), le rapport « Soif de justice. Crimes contre l’humanité » d’Amnesty International publié en 2019 (Hambre de justicia, crímenes de lesa humanidad en Venezuela) et le rapport de Human Rights Watch sur le Venezuela « Evènements 2018 »,
Vu le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, auquel le Venezuela est partie,
Considérant la violation des droits humains, l’urgence humanitaire et la répression à l’encontre des populations ;
Considérant les crimes commis à l’encontre de la population ;
Appelle les autorités françaises à être vigilantes quant aux fonds provenant du Venezuela et plus particulièrement ceux des responsables et de leurs proches sanctionnés par l’Union européenne. Les sanctions et ses limitations doivent être appliquées sur tout l’espace Schengen et notamment la France ;
Appelle les autorités françaises à être vigilantes quant aux possibles liens de ces fonds provenant du Venezuela avec des entreprises du trafic de drogue et/ou terroristes ;
Appelle l’État français à rejoindre les pays signataires du dossier en cours auprès de la CPI et à soutenir le Procureur, Mme Fatou Bensouda, pour que les responsables des violations des droits humains soient condamnés.
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.
Je mets aux voix la proposition de résolution.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Union Centriste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Je vous invite, mes chers collègues, à vérifier que votre carte de vote est bien insérée dans votre terminal.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater les résultats du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent les résultats du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 20 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Pour l’adoption | 324 |
Contre | 15 |
(La proposition de résolution est adoptée.) – (Applaudissements.)
7
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 5 novembre 2019, à quatorze heures et le soir :
Nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture après engagement de la procédure accélérée, d’orientation des mobilités (texte n° 730, 2018-2019) ;
Projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2019-235 du 27 mars 2019 relative aux dispositions pénales et de procédure pénale du code de l’urbanisme de Saint-Martin (procédure accélérée ; texte n° 594, 2018-2019) ;
Proposition de loi visant à améliorer l’accès à la prestation de compensation du handicap, présentée par Alain Milon (procédure accélérée ; texte de la commission n° 92, 2019-2020).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt et une heures cinq.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
ÉTIENNE BOULENGER
Chef de publication