M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Oui !
M. Hervé Marseille. Mais, au total, qu’en est-il du travail parlementaire ?
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Voilà !
M. Hervé Marseille. Persuadé de détenir la bonne solution, le Gouvernement est resté sourd à presque toutes les propositions de notre assemblée. Espérons, madame la ministre, que les députés de votre majorité auront un peu plus d’égards pour le travail du Sénat…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. On peut l’espérer !
M. Hervé Marseille. J’en viens au fond de cette réforme, que j’évoquerai en quelques mots.
L’une des orientations du projet de loi, qui ne fait d’ailleurs qu’accentuer un phénomène semblant inéluctable depuis plusieurs années, c’est l’augmentation des pouvoirs des magistrats du parquet. Nous n’y sommes pas opposés par principe, mais il faut être prudent à ce sujet.
On ne peut occulter le fait que les parquetiers ne constituent pas une autorité judiciaire au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. La France a déjà subi plusieurs condamnations à ce titre.
M. Simon Sutour. Absolument !
M. Hervé Marseille. Or cette situation ne pourra pas s’améliorer tant que nous n’aurons pas apporté des garanties supplémentaires d’indépendance statutaire en révisant notre Constitution…
M. Jean-Pierre Sueur. Exactement ! C’est une priorité !
M. Simon Sutour. C’est urgent !
M. Hervé Marseille. Ces mesures ont été adoptées par le Sénat dès 2013.
Notre commission a fait, sur ce volet du texte, un important travail, fidèle à la tradition de défense des libertés individuelles à laquelle la Haute Assemblée est attachée.
Les modifications votées sur l’initiative de nos collègues Buffet et Détraigne ont permis de préserver un équilibre entre l’efficacité dans la recherche des auteurs d’infractions, les libertés et les droits de la défense.
Les travaux en séance ont permis d’ajouter au projet de loi ordinaire de nombreuses autres dispositions que nous avions adoptées en 2017, comme la peine complémentaire d’interdiction du territoire français pour les étrangers coupables de délits et crimes punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement, ou encore la suppression du principe de l’attribution automatique de crédits de réduction de peines aux condamnés détenus.
Nous nous félicitons de ces modifications et espérons qu’elles seront adoptées par l’Assemblée nationale.
La réforme de l’organisation juridictionnelle de première instance est un autre aspect important de ce projet de loi.
Sans surprise, puisqu’il l’avait approuvé dès octobre 2017, le Sénat a adopté le regroupement du tribunal de grande instance et des tribunaux d’instance. Pour autant, les élus de notre groupe veilleront à ce que cette réforme ne conduise, ni aujourd’hui ni demain, à la fermeture d’implantations judiciaires. Mes collègues et moi-même sommes en effet extrêmement attachés au maintien de tous ces lieux de justice, au nom de l’exigence de proximité pour le justiciable.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, une majorité de notre groupe est convaincue que le travail du Sénat a permis de redonner à cette réforme le souffle et la vision qui lui faisaient défaut. Cette transformation a été rendue possible par le travail de nos deux corapporteurs, François-Noël Buffet et Yves Détraigne, que je salue une fois encore. Ils n’ont pas ménagé leurs efforts depuis le mois de juillet dernier, et leur travail a porté ses fruits.
Les textes qui nous sont soumis cet après-midi sont plus équilibrés et plus cohérents que dans la rédaction initiale du Gouvernement : c’est la raison pour laquelle nous voterons ces projets de loi ainsi amendés ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Alain Marc, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. Alain Marc. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, messieurs les corapporteurs, mes chers collègues, nous allons aujourd’hui procéder au vote, d’une part, du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, de l’autre, du projet de loi organique relatif au renforcement de l’organisation des juridictions.
Ces textes visent, selon le Gouvernement, à « rendre plus effectives les décisions des magistrats, donner plus de sens à leurs missions et rétablir la confiance de nos concitoyens dans notre justice ». Ils ont également pour but de « lancer des réformes structurelles ».
Je souhaite à nouveau mettre l’accent sur la situation de notre justice, qui ne s’améliore pas, et pour cause : le problème de fond est évidemment celui des moyens.
Oui, la justice de notre pays est dans un état critique aujourd’hui, car elle souffre d’un manque d’investissement prolongé.
Des délais de jugement qui s’allongent, une situation chronique de sous-effectif liée aux vacances de postes, un système illisible d’exécution des peines, en vertu duquel la peine exécutée n’est, souvent, pas la peine prononcée, une surpopulation carcérale chronique : cette situation très dégradée de la justice est sans cesse dénoncée par les acteurs du droit. En témoignent la colère des magistrats et des avocats, ou encore l’esprit de révolte des agents de l’administration pénitentiaire qui s’est fait jour l’année dernière.
Nous pouvons certes regretter que le Gouvernement ait attendu le 20 avril 2018 pour nous présenter ces textes. En revanche, le projet de loi ordinaire est le premier texte de programmation présenté, en la matière, depuis 2002, et je tiens à vous en remercier, madame la garde des sceaux.
Je souhaite également relever à cette tribune la qualité des travaux menés par nos collègues François-Noël Buffet et Yves Détraigne. Sur leur initiative, la commission a inséré dans ces projets de loi plusieurs dispositions issues de la proposition de loi d’orientation et de programmation et de la proposition de loi organique pour le redressement de la justice, déposées au Sénat par Philippe Bas, président de la commission des lois, à l’issue des travaux de la mission d’information sur le redressement de la justice.
Les textes qui sont soumis au vote aujourd’hui couvrent un champ très vaste. Ils balayent notamment le droit civil, le droit pénal, la procédure pénale et l’organisation judiciaire, et les nombreuses modifications introduites par les deux corapporteurs ont permis de les améliorer.
Ainsi, en matière budgétaire, la commission a demandé un effort plus important, à la hauteur des enjeux du redressement de la justice.
En matière de justice civile, elle a amélioré l’efficacité et la rapidité des procédures tout en veillant à la protection des personnes vulnérables par la suppression ou l’encadrement de certaines mesures.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Exactement !
M. Alain Marc. Pour ce qui concerne la procédure pénale, la commission a été soucieuse de l’équilibre entre l’efficacité des enquêtes et la garantie des libertés, lesquelles étaient mises en danger par un renforcement excessif des prérogatives du parquet.
En matière d’organisation judiciaire, elle a clarifié la réforme, avec la création du tribunal de première instance, tout en veillant au maillage territorial et à la proximité de l’institution judiciaire.
Je me réjouis également que la commission ait restauré la crédibilité du prononcé et de l’exécution des peines en supprimant tout examen obligatoire des peines d’emprisonnement aux fins d’aménagement, et qu’elle ait fait de la probation une peine autonome, que le juge peut prononcer, le cas échéant, en complément d’une peine d’emprisonnement.
Je me félicite enfin que la commission ait supprimé le caractère automatique de la libération sous contrainte aux deux tiers de la peine.
Les débats en séance ont permis de nombreux apports intéressants. Parmi ceux-ci, je tiens à citer la possibilité donnée aux victimes d’agression d’être informées du statut carcéral de leur agresseur et des conditions de sa sortie d’incarcération ; la création d’une peine complémentaire générale d’interdiction du territoire français pour les étrangers coupables de délits et crimes punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement ; la suppression du principe de l’attribution automatique de crédits de réduction de peines aux condamnés détenus ; l’expérimentation d’un vote par correspondance pour les personnes détenues ; l’organisation d’un « isolement électronique » des détenus dans leur cellule ; ou encore la possibilité de procéder en prison, sur les visiteurs, à toute mesure de contrôle jugée nécessaire à la sécurité et au bon ordre de l’établissement.
Madame la ministre, mes chers collègues, l’état dans lequel se trouve la justice de notre pays nécessite des mesures fortes, urgentes et efficaces.
Ces deux textes modifiés par le Sénat apportent de réelles réponses aux difficultés que subissent à la fois les professionnels de la justice et les justiciables. Aussi, les élus du groupe Les Indépendants – République et Territoires, dans leur grande majorité, les voteront ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires. – M. le président de la commission des lois applaudit également.)
Ouverture du scrutin public solennel sur le projet de loi
M. le président. Madame la ministre, mes chers collègues, il va être procédé, dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement, au scrutin public solennel sur l’ensemble du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, dans le texte de la commission modifié.
Ce scrutin de droit, en application de l’article 59 du règlement, sera ouvert dans quelques instants. Il aura lieu en salle des conférences.
Je remercie nos collègues Éric Bocquet, Jacky Deromedi et Daniel Dubois, secrétaires du Sénat, qui vont superviser ce scrutin.
Je rappelle qu’une seule délégation de vote est admise par sénateur.
Je déclare le scrutin ouvert pour une demi-heure et vais suspendre la séance jusqu’à seize heures, heure à laquelle je proclamerai le résultat. Nous procéderons alors, dans l’hémicycle, au scrutin public ordinaire de droit sur le projet de loi organique relatif au renforcement de l’organisation des juridictions.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures trente, est reprise à quinze heures cinquante-cinq.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 3 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 247 |
Pour l’adoption | 228 |
Contre | 19 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Scrutin public ordinaire sur le projet de loi organique
M. le président. Je mets aux voix, dans le texte de la commission modifié, l’ensemble du projet de loi organique relatif au renforcement de l’organisation des juridictions.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 4 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 320 |
Pour l’adoption | 303 |
Contre | 17 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne prononcerai que quelques mots après ce vote pour remercier le Sénat de la qualité des débats qui se sont tenus durant ces deux dernières semaines.
J’adresse ces remerciements tout d’abord au président de la commission des lois, M. Philippe Bas ainsi qu’aux deux corapporteurs, MM. François-Noël Buffet et Yves Détraigne, qui ont accompli un travail important pour lire, comprendre et expliquer ce projet de loi, tout en défendant les options qu’ils avaient choisies.
Je voudrais également remercier les sénatrices et des sénateurs des différents groupes politiques qui se sont exprimés. Leurs interventions ont permis d’enrichir la réflexion que j’ai souhaité mener à l’occasion de ce projet de loi en apportant des éléments très précieux pour le Gouvernement.
Ce projet de loi nous a conduits à constater un certain nombre de points d’accord sur des sujets importants, vous les avez relevés.
Des points de désaccord sont également apparus, j’en prends acte. Certains d’entre eux portent sur des sujets importants, d’autres sur des points plus mineurs. C’est la richesse du débat parlementaire et je suis certaine que nous saurons en tirer les meilleurs enseignements.
Nous partageons une ambition : que la justice de notre pays prenne réellement sa place et qu’elle soit dotée de moyens importants pour fonctionner. Cette ambition nous réunit, c’est là l’essentiel. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour dix minutes.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. David Assouline.)
PRÉSIDENCE DE M. David Assouline
vice-président
Secrétaires :
M. Éric Bocquet,
Mme Jacky Deromedi.
M. le président. La séance est reprise.
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Prévention des violences lors des manifestations et sanction de leurs auteurs
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de loi visant à prévenir les violences lors des manifestations et à sanctionner leurs auteurs, présentée par M. Bruno Retailleau et plusieurs de ses collègues (proposition n° 575 [2017-2018], rapport n° 51, texte de la commission n° 52).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de loi. Monsieur le secrétaire d’État, je vous félicite de votre récente nomination et vous souhaite la bienvenue au Sénat. Vous avez l’occasion de vous saisir des outils indispensables que cette proposition de loi vise à offrir aux forces de sécurité.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, vous le savez bien, lors de chaque manifestation, nous assistons désormais à un déferlement de violence de plus en plus préoccupant, de la part de groupes d’individus de plus en plus déterminés et organisés.
Ces groupes font preuve d’une violence aveugle, mais ils ont une cible : nos forces de l’ordre, nos institutions, en somme, la République !
Ces Black Blocs, comme on les appelle, ne s’en prennent pas seulement aux biens, mais d’abord aux personnes dépositaires de l’autorité publique, à coup de fusées, de barres de fer, de battes de base-ball et d’armes en tout genre.
Lorsqu’ils cherchent à blesser, voire pire, nos policiers ou nos gendarmes, c’est notre démocratie qu’ils cherchent à abattre. Ils ne s’en cachent pas ! Je peux d’ailleurs en témoigner : ces groupes sont les mêmes que ceux qui, dans ma région, à Notre-Dame-des-Landes, en scandant le même mot d’ordre : « À mort l’État ! », ont incendié des véhicules de gendarmerie, ont attaqué des brigades de gendarmerie et ont saccagé à plusieurs reprises le centre-ville de Nantes ou de Rennes en terrorisant les riverains.
Bien davantage que de casseurs de vitrines, il s’agit en fait de briseurs de République ! Eh bien, la République doit briser ces groupes, mes chers collègues ; elle doit casser leur logique de haine, en particulier de haine anti-flics, qui est inacceptable et insupportable.
Notre rôle de législateur est d’opposer à cette loi du plus fort la force de la loi.
Or, aujourd’hui, la loi présente trop de faiblesses que ces groupes utilisent très opportunément. J’avancerai un seul exemple : si ces individus dissimulent leurs visages, allant parfois même jusqu’à se changer derrière de grands draps pour ne pas être identifiés, c’est parce qu’ils savent parfaitement que la dissimulation du visage n’est passible que d’une contravention et que le fait d’agresser anonymement puis de se fondre dans la foule leur offre une quasi-impunité.
Sur les 1 200 individus qui ont saccagé Paris le 1er mai de cette année, moins d’une centaine ont été déférés devant la justice et le taux de relaxe a été sans aucune commune mesure avec ce qu’il est d’habitude, faute d’outils juridiques adéquats.
L’objectif de cette proposition de loi est donc de renforcer notre législation afin de l’adapter aux modes d’action de ces groupes.
À cette fin, je vous propose que la loi confère aux responsables de la sécurité publique ainsi qu’aux forces de l’ordre les moyens d’agir en créant de nouveaux dispositifs à la fois préventifs et répressifs.
Concernant le volet préventif, tout d’abord, des fouilles ciblées doivent pouvoir être organisées avant et pendant ces rassemblements et le préfet doit pouvoir interdire à des individus violents de participer à ces manifestations. Ces dispositions existent déjà pour prévenir le hooliganisme. Pourquoi ne pas les étendre à des manifestations dont on sait à l’avance, par les réseaux sociaux, qu’elles risquent de dégénérer ?
S’agissant du volet répressif, je propose de punir sévèrement d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende le fait de dissimuler son visage pendant une manifestation et de cinq ans de prison et de 4 500 euros d’amende le fait de porter une arme lors d’une manifestation sur la voie publique.
Mes chers collègues, à qui fera-t-on croire que cacher son visage dans ces manifestations hyperviolentes n’est qu’une manière de se protéger contre les coups de soleil ? (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Enfin, les dégâts matériels causés par ces individus sont parfois considérables et c’est le contribuable qui paye. Il faut mettre fin à ce régime d’irresponsabilité et permettre enfin à l’État de faire payer à ces délinquants le coût de leurs violences. Le principe doit être simple et efficace : celui qui casse paye.
Mes chers collègues, nous sommes tous attachés au droit de manifester. Il s’agit d’une liberté absolument fondamentale que nous devons renforcer. Charles Péguy écrivait : « L’ordre, et l’ordre seul, fait en définitive la liberté. Le désordre fait la servitude. »
Notre rôle, comme parlementaires, est de protéger cette liberté en mettant fin au désordre créé par ces violences ; notre devoir est de refuser que la République soit asservie par ceux qui se servent des manifestations pour casser, pour agresser, pour créer le chaos dans nos rues.
Nous ne devons pas rester désarmés, mes chers collègues, il faut agir, nous en avons les moyens ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, depuis quelques années, un grand nombre de manifestations sur la voie publique sont émaillées de violences et de dégradations d’une particulière gravité, qui nuisent au libre exercice du droit de manifester.
Ces violences et ces dégradations sont le fait de groupuscules ultra-violents, notamment désignés sous le terme de Black Blocs, qui se créent et disparaissent à l’occasion de chaque manifestation. Ils ont en effet pour unique objectif de se fondre dans les cortèges pacifiques pour commettre des dégradations et des violences.
Ainsi, 1 200 Black Blocs se sont infiltrés dans les cortèges de la manifestation du 1er mai dernier à Paris et ont provoqué, par des actes d’une violence inouïe, des dégâts et dégradations d’une ampleur considérable. Je puis en témoigner, car je me trouvais alors en face de l’hôpital Necker-Enfants malades qui a été vandalisé.
Il serait erroné de dire que nous sommes complètement démunis face à ces phénomènes de violence.
Au cours des vingt dernières années, le législateur a en effet renforcé le cadre juridique du maintien de l’ordre en créant de nouveaux outils destinés à prévenir le plus en amont possible les débordements dans les manifestations publiques.
L’autorité administrative a été ainsi dotée de nouvelles prérogatives, parmi lesquelles la possibilité, lors des manifestations, de recourir à la vidéoprotection ou d’interdire le port et le transport d’objets pouvant constituer une arme ; le législateur a, de plus, renforcé l’arsenal répressif, en créant une série d’incriminations spécifiques destinées à sanctionner les faits troublant ou susceptibles de troubler l’ordre public commis à l’occasion d’une manifestation, notamment le délit de participation à un groupement violent, créé par la loi du 2 mars 2010 renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d’une mission de service public.
La systématisation et la radicalisation des violences nous conduisent pourtant aujourd’hui à questionner l’efficacité de cet arsenal juridique.
La judiciarisation du maintien de l’ordre et la sanction des actes délictuels commis à l’occasion des manifestations se heurtent en effet, dans la pratique, à des difficultés opérationnelles majeures. Les contraintes liées au maintien de l’ordre nuisent très souvent à la qualité des procédures diligentées ou à la collecte des preuves qui permettraient d’imputer les infractions constatées aux personnes interpellées.
De plus, la présentation en masse de personnes interpellées aux autorités de police judiciaire n’est généralement pas compatible avec le cadre juridique inhérent au placement en garde à vue. Or, faute d’éléments de preuve ou de procédures solides, les parquets sont trop souvent contraints de prononcer des classements sans suite.
Les difficultés à engager des procédures judiciaires sont exacerbées lorsqu’il s’agit de Black Blocs, car ceux-ci recourent à des modes d’action spécifiques, conçus pour entraver l’intervention des pouvoirs publics.
Il est ainsi particulièrement difficile d’interpeller les Black Blocs au cours d’une manifestation, en raison de leur capacité à se mêler rapidement aux manifestants pacifiques, après avoir abandonné, voire brûlé, leurs équipements. Il n’est pas plus aisé de les identifier a posteriori, au moyen des images de vidéoprotection, car ils agissent masqués et vêtus de noir.
Sans avoir pour ambition de résoudre l’ensemble des difficultés soulevées, qui relèvent pour partie de l’organisationnel, la proposition de loi sur laquelle nous sommes appelés à nous prononcer aujourd’hui tend à apporter une première série de réponses.
Elle prévoit des mesures fortes, destinées à faciliter l’action des pouvoirs publics à l’égard de ces groupuscules ultra-violents.
Elle s’inscrit dans un mouvement déjà engagé par le législateur au cours des dernières années, qui privilégie une logique chirurgicale, afin d’écarter de la foule les individus perturbateurs ou les casseurs, tout en permettant aux cortèges pacifiques de continuer à manifester.
Je regrette d’ailleurs, monsieur le secrétaire d’État, que la commission des lois n’ait pas été en mesure de recevoir l’avis de la préfecture de police de Paris – pourtant essentiel en ce qui concerne le maintien de l’ordre –, car les réponses écrites que nous attendions n’avaient pu être validées au plus haut niveau, faute de ministre !
La proposition de loi comporte trois volets, que la commission des lois a approuvés et sécurisés, afin de prévenir efficacement les atteintes à l’ordre public, dans le respect des droits et des libertés constitutionnellement garantis.
Son premier volet est préventif. Il vise à doter l’autorité administrative de nouveaux instruments destinés à prévenir, le plus en amont possible, l’infiltration des manifestations pacifiques par des individus violents.
En premier lieu, il confère au préfet la possibilité de diligenter, par arrêté, un contrôle des effets personnels des passants dans le périmètre ou aux abords immédiats d’une manifestation, lorsqu’il existe des risques de troubles graves à l’ordre public. Ces contrôles comprendraient des palpations de sécurité et des fouilles de sacs et ne pourraient s’effectuer qu’avec le consentement des personnes contrôlées. Il n’est en revanche pas prévu que des contrôles d’identité et des fouilles de véhicules puissent être réalisés.
Il s’agit, à quelques différences près, d’une extension des périmètres de protection que nous avions créés dans la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.
En deuxième lieu, la proposition de loi vise à autoriser les préfets à prononcer, à l’encontre de toute personne susceptible de représenter une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public, une interdiction de participer à une manifestation, assortie, le cas échéant, d’une obligation de pointage auprès d’un représentant de l’autorité publique.
L’interdiction de manifester n’est pas inconnue dans notre droit, mais elle n’existe, actuellement, qu’à titre de peine complémentaire, pour une durée de trois ans. Il s’agirait, ici, d’en faire une mesure administrative préventive, en limitant sa durée de validité à une seule manifestation. Une proposition similaire avait été faite, en 2015, par notre ancien collègue député Pascal Popelin, dans son rapport rédigé au nom de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale relative au maintien de l’ordre.
Enfin, de manière conséquente, la proposition de loi prévoit la création d’un fichier national recensant l’ensemble des mesures d’interdiction de manifester, qu’elles soient prononcées dans un cadre judiciaire ou dans un cadre administratif, afin d’en faciliter le suivi, notamment à l’occasion des contrôles de police.
Ces mesures confèrent à l’autorité préfectorale de larges prérogatives, mais elles ont le mérite de permettre d’écarter, dès avant la manifestation, les individus animés par la seule volonté de commettre des dégradations. Il ne s’agit en aucun cas de porter atteinte à la liberté de manifester, mais au contraire d’en garantir le libre exercice par les manifestants pacifiques, en évitant qu’ils ne soient pris en otage par une poignée d’individus désireux de se livrer à une action violente.
L’adaptation de ces mesures présenterait également l’avantage de compléter l’arsenal juridique à la disposition de l’autorité préfectorale et, ainsi, de permettre une réponse graduée en cas de menaces à l’ordre public.
Il est préférable, j’en suis convaincue, d’empêcher quelques individus de manifester plutôt que d’interdire la tenue d’une manifestation. Dans cette perspective, la commission a complété et précisé les dispositifs pour garantir qu’aucune atteinte disproportionnée ne soit portée aux droits et libertés constitutionnellement garantis.
Le deuxième volet de la proposition de loi est répressif et vise à sanctionner plus sévèrement les auteurs de violences et de dégradations dans les manifestations. Il comprend plusieurs dispositions pénales, auxquelles la commission des lois a apporté quelques modifications pour en assurer l’intelligibilité et la clarté.
Tout d’abord, il s’agit d’ériger la dissimulation volontaire du visage dans une manifestation, actuellement constitutive d’une contravention de la cinquième classe, en un délit puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
Ensuite, la proposition de loi élargit l’infraction de participation à une manifestation ou à une réunion publique en étant porteur d’une arme, afin de viser le port non seulement d’une arme, mais aussi d’une arme par destination, de fusées et d’artifices.
Enfin, plusieurs dispositions renforcent et élargissent la peine complémentaire d’interdiction de manifester.
Le troisième volet de la proposition de loi consiste en une réforme, prévue à l’article 7, du régime de la responsabilité civile applicable en cas de dommages causés dans le cadre d’une manifestation. Cet article a été entièrement réécrit par la commission des lois, qui a souhaité répondre à l’objectif visé par les auteurs de la proposition de loi – mieux responsabiliser les auteurs de dégâts –, tout en garantissant un régime juridique viable et applicable sur le plan opérationnel.
Le dispositif initial instaurait une présomption de responsabilité civile collective des personnes condamnées pénalement pour des infractions commises à l’occasion d’une manifestation, y compris pour des dommages sans lien avec la faute commise par chacune de ces personnes.
Cette disposition appelait, tout d’abord, d’importantes réserves constitutionnelles, dans la mesure où elle aurait permis de reconnaître la responsabilité d’un individu pour des dommages qu’il n’a pas causés.
Elle risquait ensuite d’affaiblir la protection des victimes. En effet, le régime actuel de responsabilité sans faute de l’État pour tous les dommages commis lors des manifestations garantit le remboursement des victimes. Créer un régime de responsabilité concurrent, qui plus est à l’encontre de personnes dont il y a tout lieu de penser qu’elles seraient insolvables, produirait des effets dont nous n’étions pas certains, d’autant que les victimes se portent rarement parties civiles.
La commission des lois s’est attachée à conserver le principe d’une responsabilité sans faute de l’État, tout en prévoyant la possibilité pour celui-ci de se retourner contre les auteurs des dommages. Ainsi, nous serons sûrs que les responsables de ces dommages sur le plan pénal participeront effectivement à l’indemnisation des victimes.