Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre du travail.
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Monsieur le sénateur Laménie, je vous remercie de cette question. Vous m’interrogez sur la santé au travail, un sujet très important pour lequel la France dispose d’atouts, mais a encore des progrès à faire.
Vous l’avez rappelé, les services de santé au travail sont, aux côtés des entreprises, le premier acteur de la prévention des risques professionnels, ce qui mérite que nous travaillions sur le sujet.
Si les réformes de 2011 et de 2016 ont déjà abordé la question, notamment en renforçant la pluridisciplinarité de ces services et en ciblant leurs actions sur les publics prioritaires, nous avons encore besoin de progresser.
D’abord, parce qu’en termes de prévention notre pays n’est pas le mieux placé – c’est en matière de réparation que nous obtenons les meilleurs résultats. Ainsi, on a déploré, en 2017, plus de 600 000 accidents du travail, tandis que, cette même année, plus de 48 000 personnes ont été reconnues atteintes de maladies professionnelles. La complexité de nos systèmes de prévention est établie.
C’est la raison pour laquelle le Premier ministre a demandé à la députée Charlotte Lecocq, au syndicaliste Henri Forest et à la personnalité qualifiée Bruno Dupuis de produire le rapport que vous avez mentionné. Édouard Philippe, Agnès Buzyn et moi-même avons examiné attentivement ce document, qui contient des pistes d’évolution destinées à rendre le système plus performant.
Aujourd’hui, la prévention figure parmi les priorités affirmées, sans pour autant éviter les lacunes. Je note, par exemple, une coordination défaillante entre 300 organismes de prévention. Ce rapport préconise donc une évolution structurelle qui constituera une base pour la discussion à venir avec les partenaires sociaux. L’un des déficits auxquels nous devons remédier concerne la couverture des TPE-PME. Les petites et moyennes entreprises cotisent, comme les autres, pour chacun de leurs salariés, ce qui ne garantit pas pour autant que toutes ont accès aux services de santé.
Le réseau des services de santé au travail est bien identifié par les auteurs du rapport comme l’acteur central et le levier principal de toute réforme.
J’insisterai aussi sur la médecine du travail : chaque année, en France, 30 % des postes médecins du travail ne sont pas pourvus ; notre pays ne compte plus que 4 700 médecins du travail contre 6 000 voilà dix ans. Il y a donc un déficit qui s’aggravera si nous ne traitons pas le sujet. Nous devons d’autant plus y travailler que la profession n’attire pas les jeunes médecins.
Quelle que soit l’architecture retenue, l’objectif que nous nous assignons avec les partenaires sociaux dans les prochains mois est d’améliorer la prévention et de renforcer la capacité du médecin du travail et de ses équipes. Il faut en effet des équipes pluridisciplinaires pour répondre aux besoins des entreprises et des salariés. Nous aurons l’occasion d’y revenir lors de l’examen d’un projet de loi qui viendra en discussion dans le courant de 2019.
rapprochement des missions locales et de pôle emploi
Mme la présidente. La parole est à Mme Agnès Canayer, auteur de la question n° 485, adressée à Mme la ministre du travail.
Mme Agnès Canayer. Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, ma question porte sur le rapprochement entre Pôle emploi et les missions locales.
La stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, dévoilée par le Président de la République le 13 septembre dernier, a conforté le rôle central des missions locales dans l’accompagnement et l’insertion vers l’emploi des jeunes en leur confiant le développement de la garantie jeunes, qui est une modalité forte de l’accompagnement qu’elles mettent en œuvre.
Cependant, les inquiétudes demeurent quant à l’évolution du service public de l’emploi. Les expérimentations de rapprochement des missions locales avec Pôle emploi, envisagées dans le cadre de la réduction de la dépense publique Cap 2022, suscitent de nombreuses réactions au sein des missions locales.
Si ces dernières ne sont pas opposées, par principe, à toute réforme qui améliorerait, cela va de soi, l’accompagnement des jeunes dans leur recherche d’emploi, elles sont très inquiètes quant aux modalités de mise en œuvre concrète de ces expérimentations.
En effet, les expérimentations peuvent être de bonnes solutions. Et elles le seront d’autant plus si elles sont décidées par les acteurs locaux. Car les élus locaux, auxquels est confié le pilotage des missions locales, ont une bonne connaissance tant du tissu local, qu’il soit social ou économique, que des jeunes implantés sur leur territoire.
Il est clair que toute expérimentation visant à une fusion entre les missions locales et Pôle emploi, sous le pilotage unique de Pôle emploi, ferait inévitablement perdre la qualité de l’accompagnement aujourd’hui mis en place par les missions locales.
Or il semble, au regard des éléments dont nous disposons, que les expérimentations envisagées conduiraient à une fusion-absorption des missions locales par Pôle emploi, lequel piloterait dorénavant entièrement, entre autres, les dialogues en termes de gestion et l’accompagnement des jeunes dans leur recherche d’emploi.
Il est évident que de telles expérimentations n’emportant pas un partage de compétences, l’élaboration d’un véritable projet conjoint, travaillé à la fois par les missions locales et par Pôle emploi n’aboutiraient pas et décourageraient un maximum de volontaires.
Aujourd’hui, il nous paraît donc essentiel que ce projet laisse une place réelle aux missions locales, leur permettant de travailler conjointement avec les acteurs de Pôle emploi pour mettre en place le rapprochement considéré
Mme la présidente. Il faut conclure, chère collègue !
Mme Agnès Canayer. Par conséquent, nous aimerions connaître la véritable intention du Gouvernement quant à ce rapprochement entre les missions locales et Pôle emploi.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre du travail.
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Madame la sénatrice Agnès Canayer, en tant que présidente des missions locales en région Normandie, vous connaissez bien le sujet. Dès leur création par Bertrand Schwartz, ces missions locales, maillon très important du service public de l’emploi, ont été chargées, en outre, de fournir un accompagnement global en termes d’emploi, de formation, de santé, de logement, de mobilité. C’est dire qu’elles ont une vocation importante.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, dans le cadre du plan d’investissement pour les compétences, nous consacrons 15 milliards d’euros pour former 1 million de jeunes en demande d’emploi. Les missions locales sont en première ligne pour ces jeunes, notamment pour le développement de la garantie jeunes qui a très bien démarré et a vocation à s’élargir.
Il est un aspect que nous pouvons améliorer au profit des jeunes : l’efficacité des relations entre Pôle emploi, les missions locales et Cap emploi, organisme qui s’occupe des jeunes ou des moins jeunes en situation de handicap. Aujourd’hui, ces différents organismes se parlent. Ils participent ensemble à des réunions, mais il reste un certain nombre de points trop peu travaillés pour pouvoir construire des parcours d’inclusion efficaces.
Le premier sujet est celui du patrimoine commun. Certaines missions locales n’ont pas accès aux offres d’emplois de Pôle emploi. Toutefois, le but des uns et des autres, c’est bien d’aider les jeunes à trouver un emploi. Il faut aussi que ces structures partagent des systèmes d’information pour pouvoir être plus efficaces collectivement. Il existe, dans certains cas, des antennes permettant aux missions locales d’assurer un service de proximité. En effet, il ne suffit pas d’attendre que les demandeurs d’emploi ou les jeunes viennent. Il faut aussi aller au-devant d’eux, et c’est un autre aspect que nous pouvons améliorer.
De façon générale, je soutiens toutes les démarches qui visent à coordonner les offres de services, à partager les informations et à rechercher les synergies.
Dans ce cadre-là, la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel a également prévu la possibilité d’expérimenter des rapprochements plus forts entre les missions locales et Pôle emploi dans certains contextes de bassins d’emploi.
Je vous rejoins complètement pour considérer que cela ne peut être fait, dans mon esprit, qu’à la demande des élus. Certains, pour des raisons de couverture géographique ou de complémentarité, expriment une telle demande et souhaiteraient un rapprochement plus important entre les missions locales et Pôle emploi.
Madame la sénatrice, nous partageons le même but. Il faut que les missions locales continuent et amplifient leur rôle auprès des jeunes, qu’elles soient bien connectées avec les problématiques d’apprentissage d’emploi pour permettre à ces jeunes d’accéder à un avenir. Si vous souhaitez faire des expérimentations en région Normandie, je suis à votre disposition pour en discuter.
relations entre les entreprises et les services de l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, auteur de la question n° 430, adressée à Mme la ministre du travail.
M. Jean-Luc Fichet. Madame la ministre, vous le savez, certaines incompréhensions existent entre les interprétations des services de l’URSSAF et celles des entrepreneurs.
Je veux appeler singulièrement votre attention sur la doctrine retenue en matière de contrôle des déjeuners dans les restaurants ouvriers et évoquer le cas particulier de la Bretagne.
Si un décret de 2003 existe bien, l’interprétation qui en est faite semble varier d’un département à l’autre.
Dans mon département, elle a donné lieu à des sanctions lourdes pour les très petites entreprises, les TPE, une TPE de plomberie ayant subi un redressement de 21 000 euros et une TPE du bâtiment ayant été condamnée à une amende 6 000 euros. Il faut savoir que dans le département voisin, à situation identique, les conséquences n’ont pas été les mêmes.
Vous l’avez compris, compte tenu du flou entourant l’application de cette disposition, la peur s’est installée chez les chefs d’entreprise. Afin d’être en conformité avec la règle, les distances à parcourir pour le déjeuner du midi deviennent importantes et le temps de la coupure méridienne est compté. De ce fait, le repas de midi est le plus souvent pris « sur le pouce ». Il ne permet pas la consommation d’un plat chaud quotidien et dégrade les conditions de travail des ouvriers de ces mêmes TPE.
Cette situation contribue à détériorer sensiblement le développement économique des territoires ruraux par la baisse d’activité des restaurants ouvriers, dont la perte de chiffre d’affaires peut excéder 30 % dans certains cas. Madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer la règle précise qui s’applique en matière d’exonération de cotisation des repas pris dans les restaurants ouvriers et quelles sont vos intentions pour la rendre lisible auprès des TPE, des contrôleurs de l’URSSAF et des propriétaires de restaurants ouvriers ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre du travail.
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Monsieur le sénateur Fichet, oui, les employeurs bénéficient de plusieurs possibilités de prise en charge des frais de repas de leurs salariés assorties d’un régime social favorable, qui relève de la réglementation applicable aux frais professionnels et aux avantages en nature.
Mon propos sera un peu technique, car votre question s’y prête, et il me paraît important d’être très précise sur ce sujet.
Lorsque le salarié se déplace hors des locaux de l’entreprise et ne peut regagner son domicile ou son lieu de travail habituel pour prendre son repas, la réglementation est très claire et ne supporte pas d’interprétation : l’indemnisation par son employeur au titre des frais professionnels est exclue de l’assiette des cotisations et contributions sociales dans les limites fixées par la réglementation sociale pour une indemnisation forfaitaire – 9,10 euros par repas ou 18,60 euros par repas lorsque le salarié est contraint de prendre son repas au restaurant – ou sur justificatifs lorsqu’il s’agit d’une indemnisation des dépenses réellement engagées.
Ce régime social favorable permet à l’employeur de compenser la dépense supplémentaire de nourriture occasionnée par le déplacement du salarié. De même, dans cette situation, lorsque l’employeur paie le repas directement au restaurateur, l’avantage en nature résultant de cette prise en charge n’est pas réintégré dans l’assiette des cotisations et contributions sociales. Je pense que c’est clair.
La situation de déplacement ainsi que la contrainte empêchant le salarié de regagner son lieu de travail habituel ou son domicile doivent être avérées – il faut fournir des preuves –, mais aucune condition de distance n’est exigée. Le cas que vous mentionnez trouve donc une solution simple et ne donne normalement pas lieu à contestation.
Par ailleurs, les employeurs du secteur du bâtiment – avec la notion de travail de chantier – peuvent opter pour la déduction forfaitaire spécifique de 10 % pour frais professionnels applicable à certaines professions et cumuler cet avantage avec la prise en charge directe des frais de repas payés au restaurateur, sans que celle-ci soit intégrée dans l’assiette des cotisations et contributions sociales. Il s’agit donc très clairement d’un régime tout à fait avantageux.
Enfin, les entreprises qui souhaitent prendre en charge financièrement les frais de repas de leurs salariés peuvent participer à l’acquisition de titres-restaurant et voir leur contribution exonérée de cotisations et d’impôt sur le revenu dans la limite de 5,43 euros en 2018.
Votre question concerne peut-être moins la réglementation sociale en vigueur, en principe claire, comme je viens de l’exposer, que la nécessité de refaire une communication sur le sujet auprès des employeurs et des URSSAF. L’objet est de diffuser auprès de tous les publics cette réglementation qui concerne plusieurs cas de figure. Nous allons examiner comment faire en sorte qu’elle soit bien comprise de tous et qu’elle soit interprétée partout de la même façon.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour répondre à Mme la ministre du travail. Vous disposez de quarante-cinq secondes, mon cher collègue.
M. Jean-Luc Fichet. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse. Cependant, vous ne répondez pas totalement à ma question.
En effet, certaines URSSAF, dont celle du Finistère, évoquent des questions de distance : si le siège de l’entreprise est situé sur la commune du restaurant, voire à moins de cinq kilomètres, on ne peut bénéficier d’aucun avantage.
C’est sur la base d’une telle interprétation qu’une entreprise de plomberie implantée dans mon département a vu un contrôle se solder par 21 000 euros d’amende ! J’avais pourtant pris l’initiative d’organiser une réunion avec l’URSSAF locale, au cours de laquelle nous étions convenus que ce genre de chose ne se passerait pas !
L’incompréhension est d’autant plus grande que les faits se sont déroulés à la limite d’un autre département où l’on a – cela se joue à cinq ou six kilomètres près ! – une interprétation très différente. Je souhaite donc vivement que le décret comporte des indications beaucoup plus précises en direction des URSSAF. En effet, le flou actuel provoque de vraies difficultés pour les entreprises. Quant aux restaurateurs, ils sont réellement très pénalisés dans cette affaire.
Mme la présidente. Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante, est reprise à quatorze heures trente-cinq, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Éric Bocquet,
Mme Jacky Deromedi,
M. Daniel Dubois.
M. le président. La séance est reprise.
3
Programmation 2018-2022 et réforme pour la justice – Renforcement de l’organisation des juridictions
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi et d’un projet de loi organique dans les textes de la commission modifiés
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes sur le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (projet n° 463 [2017-2018], texte de la commission n° 13, rapport n° 11, tomes I et II) et sur le projet de loi organique relatif au renforcement de l’organisation des juridictions (projet n° 462 [2017-2018], texte de la commission n° 12, rapport n° 11, tomes I et II).
Explications de vote communes
M. le président. Madame la ministre, mes chers collègues, avant de passer aux scrutins, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.
Je rappelle que chacun des groupes dispose de sept minutes pour ces explications de vote communes, à raison d’un orateur par groupe, l’orateur de la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant quant à lui de trois minutes.
La parole est à M. François-Noël Buffet, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Ladislas Poniatowski. Il a été excellent tout le temps !
M. François-Noël Buffet. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, en ouverture de mon propos, je voudrais, au nom du groupe auquel j’appartiens, adresser mes remerciements au Gouvernement. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Mais pas trop !
M. François-Noël Buffet. Je veux le remercier d’avoir choisi d’adresser ces textes importants au Sénat en premier. C’était reconnaître – du moins, c’est ainsi que nous l’interprétons – la qualité du travail accompli ici depuis plusieurs années dans tous les domaines, mais singulièrement dans celui qui nous occupe, la justice. (Très bien ! sur plusieurs travées.)
M. Roger Karoutchi. Il devrait le faire aussi pour la révision constitutionnelle !
M. François-Noël Buffet. Un travail important et approfondi a été effectué au cours de l’année 2017, en particulier sous la direction de M. le président de la commission des lois. Il s’agissait d’élaborer une réforme nécessaire pour notre justice, dont on peut considérer qu’elle a été, sous toutes les majorités, le parent pauvre en matière de politiques publiques et de priorités budgétaires. On pouvait en tout cas relever une absence de cohérence générale dans les missions qui étaient les siennes.
Ce travail a conduit à la présentation d’un rapport d’information, puis à l’adoption en première lecture par notre assemblée, en octobre 2017, d’une proposition de loi et d’une proposition de loi organique qui contenaient des propositions importantes et exprimaient deux grandes ambitions.
Notre première ambition était de donner à notre justice les moyens budgétaires nécessaires pour qu’elle puisse rattraper le retard accumulé durant un quinquennat entier.
La seconde était de lui offrir la numérisation qu’elle attend et dont elle a tant besoin pour être, enfin, au niveau de ses missions. Nous ne voulions plus voir, dans les juridictions, des logiciels datant de 2008 ou de 2009 !
Une telle démarche était importante pour rappeler qu’en matière civile nous pouvions évoluer, parfois simplifier les choses et, en tout cas, rendre le système plus efficace.
Elle était importante, parce qu’en matière pénale, nous avions également relevé la nécessité absolue d’une corrélation essentielle entre le prononcé de la peine et son exécution.
Elle était importante, enfin, parce que, en matière pénitentiaire, nous avions bien sûr cherché à résoudre les difficultés rencontrées dans des maisons d’arrêt « surbookées », si vous me permettez cette expression. On pouvait relever des conditions d’incarcération tout à fait inadmissibles, un temps d’exécution de la peine totalement inadapté et, au bout du bout, un système complètement inefficace.
Tout cela figurait dans notre rapport de 2017.
Madame le ministre, vous avez souhaité élaborer votre texte et engager un débat dans le cadre d’ateliers. Nous pouvons pour partie saluer ce débat, car il a largement repris le constat qui avait déjà été fait par le Sénat, dans le cadre de notre commission des lois, en avril 2017. Ce débat nous a toutefois quelque peu déçus. En effet, nous avons estimé que les moyens budgétaires que vous aviez prévus étaient bien inférieurs à ceux que nous préconisions : vous prévoyiez, sur cinq ans, une augmentation de 23,5 %, alors que nous entendions la fixer à 33,8 %. Le Sénat, dans le cadre des débats qui s’achèvent aujourd’hui, est revenu aux critères d’augmentation que nous avions fixés dans notre rapport de 2017.
Nous avons également voulu, dans le cadre de ce texte, nous montrer plus protecteurs en matière civile. Nous n’avons pas voulu, à l’évidence, sortir le justiciable du tribunal : il faut qu’il puisse conserver l’accès à son juge. C’était naturel et essentiel. Nous avons souhaité maintenir cette possibilité réelle, sans pour autant renoncer aux innovations, mais bien au contraire en les accompagnant.
Je pense en particulier au renforcement de l’encadrement des services en ligne de résolution amiable des litiges, ou encore à la suppression de la représentation obligatoire devant le tribunal paritaire des baux ruraux, mais surtout à la suppression de certaines déjudiciarisations envisagées par le Gouvernement et aux restrictions apportées à d’autres.
Nous avons notamment, dans cette dernière veine, supprimé l’attribution exclusive aux notaires de la compétence de recueil du consentement du couple qui recourt à une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur. Outre ce détail important, nous avons limité l’expérimentation permettant aux caisses d’allocations familiales de réviser les pensions alimentaires sans passage devant le juge aux seules hypothèses dans lesquelles les parties sont d’accord sur le nouveau montant de la pension.
Nous avons également conservé la phase de conciliation dans la procédure de divorce contentieux, limité les procédures sans audience ainsi que la dématérialisation des procédures, sans négliger l’accès au juge pour tous les justiciables. Enfin, nous avons bien sûr permis le contrôle effectif des comptes de gestion des personnes sous tutelle par le juge des tutelles.
Le texte issu de nos travaux est innovant, parce que nous avons voulu réformer l’aide juridictionnelle et son financement, qui est en souffrance. Il fallait bien trouver des solutions ; c’est pourquoi nous avons réinstauré le droit de timbre.
Nous avons évidemment voulu mieux garantir dans ce texte les libertés individuelles : c’est l’ADN du Sénat !
Si l’on donne toujours plus de pouvoir au procureur de la République, celui qui subit des poursuites doit inévitablement pouvoir exercer ses droits de défense. La balance n’est pas simplement le symbole de la justice ; il faut qu’elle soit équilibrée. Nous avons donc limité l’extension à de nouvelles infractions des techniques d’enquête intrusives pour la vie privée. Nous avons également prévu la présence de l’avocat lors des perquisitions, notamment en cas de flagrance.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. François-Noël Buffet. Nous avons maintenu le droit, pour le justiciable, de refuser le recours à la visioconférence, nous avons préservé la collégialité des travaux devant la chambre de l’instruction et nous avons supprimé la procédure de comparution à effet différé, qui nous a semblé tout à fait extravagante : renvoyer quelqu’un devant le tribunal alors que le dossier n’est pas complet est à nos yeux totalement inacceptable !
Nous nous sommes aussi montrés plus fermes dans beaucoup de domaines, et ce contre l’avis du Gouvernement.
Je voudrais en citer quatre exemples : la création d’une peine générale d’interdiction du territoire français ; le relevé automatique de l’état de récidive ; la révocation automatique du sursis par une décision motivée de la juridiction ; enfin, le maintien des peines d’emprisonnement inférieures à un mois, afin d’éviter les effets de seuil. Cela montre à quel point le Sénat est attaché à la fermeté et à la clarté de la sanction.
Enfin, madame le ministre, nous avons donné notre accord pour la création d’un juge national de l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme, ou JIVAT ; nous vous accompagnons sur ce sujet, car cette expérience est sans nul doute utile et nécessaire pour les victimes.
En revanche, nous avons émis les plus grandes réserves et exprimé notre désaccord quant au parquet national antiterroriste, non que nous souhaitions affaiblir son pouvoir, bien au contraire, mais parce que nous avons constaté que le dispositif actuel fonctionnait bien et qu’il n’y avait pas lieu, pour le renforcer, de créer d’élément nouveau.
Je voudrais terminer mon propos en relevant que ce texte me semble sortir de son examen au Sénat avec des ajouts importants.
Nous regrettons, comme toujours dans de telles circonstances, l’emploi de la procédure accélérée, qui empêche l’aller-retour entre les deux chambres.
M. Jean-Pierre Sueur. Très vrai ! Ne l’acceptez pas, madame la ministre !
M. François-Noël Buffet. De ce fait, nous ne pourrons pas continuer d’affiner un certain nombre de points importants que nous avons relevés pendant nos débats.
Nous nous retrouverons sans doute pour la commission mixte paritaire. D’ici là, laissons à l’Assemblée nationale le soin d’apprécier les avancées que le Sénat a produites ; j’espère du moins qu’elle le fera, et je tiens à les rappeler : une fermeté accrue et une plus grande efficacité dans l’exécution de la peine prononcée ; la protection des libertés individuelles – c’est notre ADN ! – ; enfin, pour les juridictions civiles, sans opposition, bien au contraire, aux évolutions technologiques et à de nouvelles procédures, la préservation de la possibilité, pour le justiciable, d’avoir accès au juge. Voilà les points essentiels.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. François-Noël Buffet. C’est pourquoi notre groupe votera, bien évidemment, en faveur du texte issu des travaux de la commission des lois et de notre débat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour le groupe La République En Marche. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les corapporteurs, mes chers collègues, le groupe La République En Marche était, pour sa part, d’accord avec les objectifs que le Gouvernement avait exprimés en présentant ces projets de loi : faire de la justice une priorité et mettre en œuvre un vaste mouvement de réorganisation et de numérisation de celle-ci, en la dotant de moyens importants.
Au cours de l’examen de ces textes, il est vrai que des dissensions sont apparues entre nous, notamment sur le divorce ou sur l’échelle des peines.
Sur le divorce, nous étions pourtant parvenus à un équilibre dans les textes initiaux déposés par le Gouvernement. Certes, la tentative de conciliation était vouée à disparaître de la procédure de divorce, mais ce n’était pas une suppression sèche.
En effet, le texte initial prévoyait la possibilité, pour chacune des parties, de demander des mesures provisoires. Cette audience pouvait s’apparenter à l’audience de tentative de conciliation. Autre élément d’équilibre, pour compenser la disparition de la tentative de conciliation, le Gouvernement avait consenti à revenir sur la cause du divorce, en acceptant qu’il n’en soit pas fait état dès l’introduction du divorce. Pour ma part, j’avais estimé que, par ces deux mesures, on était parvenu à un certain point d’équilibre ; malheureusement, la commission des lois les a remises en cause.
Ces divergences mises à part, les textes qui nous réunissent de nouveau aujourd’hui ont donné lieu à beaucoup de points d’accord sur des mesures essentielles.
Je pense à la mise en place d’un mode de saisine unique en matière civile, à la fusion des tribunaux d’instance et des tribunaux de grande instance, ou encore à l’expérimentation du tribunal criminel départemental.
Je pense également à la réforme des ordonnances d’injonction de payer, qui vise à centraliser le traitement des injonctions de payer.
En définitive, comme à son habitude, notre assemblée a bien travaillé. Je souhaite moi aussi remercier le Gouvernement d’avoir fait commencer l’examen de ces deux projets de loi en première lecture devant notre assemblée. Je l’avais dit lors de la discussion générale ; je le réitère aujourd’hui, tout en formant le vœu que cela se reproduise à d’autres occasions. En effet, il y va de l’équilibre de nos discussions au sein du Parlement. Par ailleurs, en permettant au Sénat d’être davantage saisi en premier de textes d’initiative gouvernementale, on pourra à nouveau bénéficier de discussions aussi riches que celle que nous venons d’avoir, et ces textes seront examinés avec le sérieux et la rigueur qui siéent à notre assemblée.
Je souhaite également remercier toutes celles et tous ceux de nos collègues qui ont participé à ces riches discussions, tant en commission qu’en séance publique. Nous avons fait évoluer ce texte et chacun d’entre vous a contribué à cet enrichissement.
Je veux aussi remercier M. le président de la commission des lois et MM. les corapporteurs, qui ont effectué – je tiens à le dire ici solennellement – un travail rigoureux et de qualité tout au long de cette discussion.
Enfin, j’adresse mes remerciements à Mme la garde des sceaux. Comme à votre habitude, madame la ministre, vous avez pratiqué le dialogue, au cours de l’examen de ces textes, mais aussi en amont. Votre porte est toujours restée ouverte et vous avez écouté les suggestions que notre commission et nos collègues vous ont soumises depuis le début de l’examen de ces textes.
Certes, certains sujets importants auraient selon nous mérité une maturation supplémentaire. Je pense aux tribunaux de commerce, ou encore à l’aide juridictionnelle.
Sur ce dernier point, il est clair que les discussions doivent être encore plus poussées. L’aide juridictionnelle mérite une réforme d’ensemble : il nous faut examiner tous les paramètres de cette institution très importante pour notre justice, et non pas procéder, comme cela a été tenté à l’occasion de ces projets de loi, à des retouches partielles. L’aide juridictionnelle mérite qu’on y consacre du temps et un projet global de réforme.
Sur le parquet national antiterroriste, je regrette, au vu de l’importance du sujet, qu’aucun accord n’ait été trouvé.
Cela dit, le groupe La République En Marche ne s’opposera pas à ce que le débat se poursuive sur ces sujets à l’Assemblée nationale, dans le respect du bicamérisme.
C’est la raison pour laquelle, malgré les divergences dont j’ai fait état, nous voterons en faveur de ces textes ainsi modifiés. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Roger Karoutchi applaudit également.)