M. le président. Madame le rapporteur, vous avez dépassé votre temps de parole d’une minute, ce qui est beaucoup…
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. En précisant et complétant les dispositions de cette proposition de loi, la commission des lois a abouti, je crois, à un équilibre satisfaisant entre les exigences de sécurité publique et la nécessaire protection des droits et libertés. J’espère que ce texte recueillera l’assentiment de notre assemblée ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est avec un profond sentiment de responsabilité que je prends la parole pour la première fois devant la représentation nationale, à l’occasion de l’examen de la proposition de loi visant à prévenir les violences lors des manifestations et à sanctionner leurs auteurs. Je remercie M. le sénateur Retailleau de ses félicitations.
Sentiment de responsabilité, dis-je, car le sujet abordé est particulièrement complexe, sensible. Il touche directement à la liberté de manifestation des opinions, fondée par l’article X de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui a valeur constitutionnelle : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. »
Permettez-moi tout d’abord de remercier M. le sénateur Bruno Retailleau de son initiative, ainsi que Mme le rapporteur, Catherine Troendlé. Cette initiative fait suite aux événements du 1er mai dernier, des événements inacceptables, comme ils l’ont l’un et l’autre souligné : quelques centaines de Black Blocs ultraviolents s’étaient donné rendez-vous dans le seul but d’en découdre.
La commission des lois et son président, que je remercie également, ont accru les garanties du texte initial pour minimiser les atteintes aux droits des personnes. Nous examinerons ces points avec attention dans la discussion des articles.
S’agissant du principe même de ce texte, le Gouvernement estime, comme ses auteurs, que, si nous devons protéger la liberté de manifester, rien ne justifie, à l’occasion de manifestations, les violences graves à l’encontre des forces de l’ordre, non plus que la dégradation des symboles de la République, du mobilier urbain ou des magasins ou enseignes qui seraient les symboles d’une société moderne.
Pour les prévenir, pour garantir l’exercice de la liberté de manifester en permettant à chaque citoyen, s’il le souhaite, de se rendre sans crainte sur les lieux d’une manifestation, les préfets font appel aux membres des compagnies républicaines de sécurité et aux militaires de la gendarmerie mobile, ainsi qu’à l’ensemble des effectifs de sécurité publique, de gendarmerie départementale et, pour les nombreuses manifestations qui se déroulent dans la capitale, de la préfecture de police de Paris.
À ceux qui sont engagés dans ces opérations de maintien de l’ordre au service des Français, au service de nos libertés, je souhaite rendre un hommage appuyé : ils sont mobilisés, à toute heure du jour et de la nuit, pour rétablir l’ordre républicain grâce à leur savoir-faire, leur sang-froid et leur professionnalisme.
Rappelez-vous les opérations de maintien de l’ordre menées cette année dans des conditions difficiles, dont certaines ont été mentionnées par M. Retailleau et Mme le rapporteur. Je pense à l’évacuation de la ZAD de Notre-Dames-des-Landes et à celle de la ZAD du bois Lejuc à Bure, qui a mobilisé plus de 500 gendarmes, aux opérations d’évacuation menées au sein de plusieurs facultés à Paris et dans certaines grandes agglomérations, aux nombreuses journées nationales de mobilisation et, bien sûr, aux manifestations du mois de mai évoquées il y a quelques instants et à ces images choquantes de Black Blocs encagoulés en tête de la manifestation.
Toujours en première ligne, particulièrement exposées, nos forces de sécurité risquent leur intégrité physique dans ces opérations compliquées, où certains cherchent constamment à les pousser à la faute, sous le regard permanent des médias et des réseaux sociaux. Comme vous le savez, mon expérience passée m’a conduit à diriger de nombreux services d’ordre public : je suis donc bien placé pour en témoigner. Le ministre de l’intérieur en est également parfaitement conscient.
Au reste, c’est dans ce cadre que, le 8 juin dernier, le ministre de l’intérieur s’était déplacé à Saint-Astier, où est formée notre gendarmerie mobile, pour proposer de revisiter et d’adapter notre doctrine d’emploi en matière de maintien de l’ordre, afin que force reste toujours à la loi. Il avait alors présenté plusieurs axes de travail, que nous sommes en train de décliner sur le terrain de manière opérationnelle, pour mieux prévoir, mieux préparer, mieux anticiper et mieux contrôler ces manœuvres d’ordre public – je parle évidemment de doctrine d’emploi opérationnelle.
Un autre axe de travail rejoint tout à fait la proposition de loi en discussion : renforcer les pouvoirs de l’autorité administrative et mieux articuler l’action de celle-ci avec celle de l’autorité judiciaire, pour parvenir à une réponse pénale de qualité et dissuader les fauteurs de troubles de prendre part à des cortèges pour commettre des violences.
Il est en effet de notre responsabilité de mieux anticiper les trois temps d’une manifestation – l’avant, le pendant et l’après –, pour mettre un terme au sentiment d’impuissance que certains ont pu ressentir lorsque les pouvoirs publics n’ont pas été en mesure de faire cesser les agissements de personnes venues spécialement pour en découdre, commettre des violences et casser.
L’absence de dispositif administratif spécifique d’interdiction individuelle de manifester et l’absence de poursuites pénales ou de condamnation des fauteurs de troubles suscitent légitimement une forme d’incompréhension chez nos concitoyens.
C’est pourquoi un groupe de travail spécifique, composé de juristes et d’opérationnels, a été installé par le ministère de l’intérieur et le ministère de la justice, pour convenir des moyens les plus simples et les plus efficaces de mieux détecter, interpeller, puis sanctionner les fauteurs de troubles. Ce groupe de travail, qui comprend notamment des responsables des directions générales de la police et de la gendarmerie, rendra ses conclusions le 15 janvier prochain. Ses propositions auront vocation à nourrir la présente proposition de loi lors de son cheminement ultérieur, si elle est adoptée cet après-midi par votre assemblée.
En effet, si certains dispositifs inclus dans la proposition de loi nous paraissent ne pas manquer de pertinence, nous considérons qu’un travail d’examen complémentaire et de réécriture est nécessaire pour qu’ils soient pleinement opérationnels.
Il en est ainsi de la création d’un périmètre de protection permettant le contrôle des personnes pendant les six heures précédant une manifestation, de la possibilité pour l’autorité administrative d’interdire à toute personne susceptible de se livrer à des violences de participer à une manifestation et de la création d’un fichier des interdictions de manifester. Je pense également à la transformation de la contravention de la cinquième classe de dissimulation illicite du visage à l’occasion d’une manifestation en un délit, permettant une signalisation de la personne, un placement en garde à vue et l’engagement d’une procédure rapide, ainsi qu’à l’action récursoire de l’État contre les fauteurs de troubles. Le Gouvernement considère que ces dispositifs doivent encore être affinés et précisés…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Déposez des amendements !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. La discussion des articles, dans quelques instants, nous donnera l’occasion d’en débattre.
D’autres dispositifs, en revanche, n’atteignent pas, à mes yeux, l’objectif assigné à cette proposition de loi. C’est notamment le cas des articles 5 et 6 du texte.
L’article 5 procède à une simple réécriture du délit de participation à une manifestation ou à une réunion publique en étant porteur d’une arme. Cette modification ne nous semble pas nécessaire, dans la mesure où le port ou l’introduction d’armes par destination lors d’une manifestation peut déjà être réprimé par l’infraction prévue à l’article 431-10 du code pénal, qui sanctionne le fait de participer à une manifestation en étant porteur d’une arme. Pour ces raisons, introduire des exemples d’armes dans la loi n’est pas souhaitable : cela risquerait d’entraîner un affaiblissement du droit et de soulever des difficultés d’interprétation de celui-ci.
De même, l’article 6 ne pourra recueillir l’avis favorable du Gouvernement. Il vise à étendre des peines complémentaires d’interdiction de séjour, la privation des droits civiques, civils et de famille, l’interdiction de détenir une arme pendant cinq ans et la confiscation de l’arme au nouveau délit de dissimulation du visage aux abords d’une manifestation, ainsi qu’au délit d’organisation d’une manifestation sans déclaration préalable. Or la possibilité de prononcer de telles peines pour ces délits faiblement réprimés semble disproportionnée au regard de la peine encourue.
Cette proposition de loi sera donc pour le Gouvernement l’occasion d’avoir avec vous un échange technique sur les propositions que vous avez formulées, des propositions qui, je le crois, pourront être améliorées à la faveur des conclusions du groupe de travail intérieur-justice.
Il ne s’agit pas pour le Gouvernement de rejeter en bloc cette proposition de loi, uniquement parce qu’elle serait défendue par l’opposition, mais d’avoir, pendant ces débats parlementaires, la possibilité d’un premier échange permettant de parvenir, dans quelques mois, à la rédaction d’un texte répondant au mieux aux attentes des praticiens : policiers, gendarmes, agents de police judiciaire et magistrats.
Notre objectif est que, grâce à ce cadre rénové, nos concitoyens puissent exercer la liberté essentielle qu’est le droit de manifester en toute sécurité, en sachant que l’ordre public est préservé et que les forces de sécurité intérieure disposent des outils juridiques nécessaires pour les protéger, se protéger et mettre à la disposition de la justice les fauteurs de troubles ! (MM. Thani Mohamed Soilihi et Pierre Louault applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi soumise à notre examen a pour objectif de prévenir les violences lors des manifestations et de sanctionner leurs auteurs. Elle fait écho à celle de M. Courtial, déposée le 3 mai dernier, qui vise à interdire la dissimulation du visage lors d’une manifestation sur la voie publique.
Nous sommes tous d’accord : les violences qui accompagnent régulièrement les manifestations discréditent le mouvement social et rendent inaudible le message porté par ceux qui y participent. Elles sont à condamner fermement et le professionnalisme dont font preuve les forces de l’ordre en pareil cas doit être salué.
Ces violences intolérables, nous en sommes témoins depuis toujours. Elles se sont produites, évidemment, en Mai 68, mais également en 1986, lors des manifestations contre le projet Devaquet de réforme des universités : un étudiant, Malik Oussekine, avait même trouvé la mort. On pourrait mentionner aussi les violences en marge des mouvements contre le contrat d’insertion professionnelle en 1994, le contrat première embauche en 2006 – à l’époque, 187 personnes avaient été interpellées – et la loi Travail en 2016.
Faire remonter cette violence aux manifestations du mois de mai ou, généreusement, à celles qui ont eu lieu sous le précédent quinquennat – mais personne ne s’aventurerait à faire cette confusion au sein de notre assemblée… – serait donc parfaitement injuste. Parler de défaillance de l’actuel gouvernement le serait tout autant, convenons-en tous.
Il serait donc inutile de chercher à politiser nos débats, d’autant que, fort heureusement, de nombreux rassemblements se déroulent encore dans le calme, comme en témoigne la Marche pour le climat de septembre dernier.
La proposition de loi, dans sa rédaction initiale, présentait des risques importants pour les libertés individuelles. S’il est vrai que la commission des lois a cherché à sécuriser le texte afin de prévenir efficacement les atteintes à l’ordre public dans le respect des droits et libertés constitutionnellement garantis, il me semble que l’équilibre n’a pas été tout à fait trouvé.
La mesure qui consiste à donner la possibilité aux préfets d’interdire, par arrêté, à toute personne susceptible de représenter une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public de participer à une manifestation mérite d’être réétudiée. Au demeurant, comme M. le secrétaire d’État vient de le confirmer, un groupe de travail réunissant les services de la Chancellerie et du ministère de l’intérieur travaille sur ces sujets et rendra ses conclusions très prochainement, en janvier.
En revanche, d’autres dispositifs posent, de notre point de vue, de sérieuses difficultés. Je pense à l’extension, aux abords immédiats d’une manifestation, de l’infraction de participation à une manifestation ou à une réunion publique en étant porteur d’une arme au fait d’introduire, de détenir ou de faire usage de tout objet susceptible d’en constituer une et, plus encore, à la sanction de la tentative même de ces délits, introduite par la commission des lois. Je pense également à l’extension du champ de la peine complémentaire d’interdiction de manifester.
Aussi avons-nous déposé des amendements tendant à supprimer les articles 5 et 6 de la proposition de loi, qui nous semblent outrepasser l’objectif visé et porter une atteinte démesurée aux droits et libertés constitutionnels. Nous présenterons également un amendement de repli à l’article 6, qui a reçu un avis favorable de la commission ; mais, vous l’aurez compris, son adoption ne modifierait pas notre vote final.
Enfin, si, dans sa rédaction initiale, la proposition de loi instaurait une présomption de responsabilité civile collective en matière de dommages causés à l’occasion d’une manifestation sur la voie publique, la commission des lois a fait le choix de maintenir le régime de responsabilité sans faute de l’État, tout en donnant à celui-ci la possibilité d’exercer une action récursoire contre les personnes condamnées pour les violences ou dégradations à l’origine des dommages. La question de l’effectivité de l’exercice de l’action récursoire reste posée, eu égard à l’état de solvabilité des personnes concernées.
Au total, malgré le travail de qualité accompli par Mme la rapporteur, cette proposition de loi présente encore des risques élevés pour les libertés individuelles. C’est pourquoi le groupe La République En Marche s’y opposera. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit. – Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Grosdidier. Il faut s’affirmer quand on est parlementaire !
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, l’arsenal législatif déployé ces dernières années pour lutter contre la violence dans les manifestations est colossal. Mme Troendlé l’a rappelé en présentant son rapport : les prorogations successives de l’état d’urgence entre 2015 et 2017 et les lois antiterroristes qui ont suivi ont largement contribué à alimenter cet arsenal. À tel point qu’Amnesty International a publié, le 31 mai 2017, un rapport intitulé Un droit pas une menace – Restrictions disproportionnées à la liberté de réunion pacifique sous couvert de l’état d’urgence en France.
Selon les auteurs de cette proposition de loi et notre rapporteur, la force des violences, de plus en plus importante aujourd’hui, notamment avec le phénomène des Black Blocs et leur mode opératoire, met en question l’efficacité de ces mesures, pourtant nombreuses. C’est pourquoi ils proposent de les compléter.
Au préalable, je rappelle, s’il en était besoin, que tous les membres de mon groupe condamnent l’action des Black Blocs et de tout groupe troublant les manifestations pacifiques. Nous condamnons toutes les violences et dégradations dans l’espace public !
Ces individus portent atteinte d’abord aux manifestants eux-mêmes – nous savons de quoi nous parlons – et au droit de ceux-ci à manifester.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Eh oui !
Mme Éliane Assassi. Leurs agissements nuisent surtout aux messages véhiculés et aux revendications légitimes des manifestants, bien souvent relégués au second plan par les médias, qui se focalisent généralement plus volontiers sur les débordements que sur le fond de la colère des manifestants.
À cet égard, je m’interroge sur le fait qu’aucune des forces organisatrices de manifestations n’ait été auditionnée par Mme la rapporteur.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Je les ai reçues ce matin, ma chère collègue.
Mme Éliane Assassi. Peut-être nous en parlerez-vous donc… Il serait en effet intéressant de connaître leur point de vue, à elles qui sont concernées par les dispositifs de sécurité en amont des manifestations, pendant celles-ci, puis en aval et qui subissent également les violences de groupes comme les Black Blocs.
Nous nous interrogeons en outre sur l’unique justification de cette proposition de loi visant clairement à restreindre le droit de manifester : la violence qui s’accroîtrait.
Dans une interview donnée au Figaro à la suite des manifestations contre la loi Travail, Olivier Cahn, chercheur au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales, expliquait que le niveau de violence des manifestations en France avait baissé, malgré quelques débordements individuels. « Le niveau de violence a même eu tendance à baisser depuis les années 1970-1980 », constatait-il, en faisant parallèlement observer que, « structurellement, le maintien de l’ordre s’est durci ces dernières années en France, alors qu’à l’étranger la tendance est à la désescalade ».
Et M. Cahn de préciser : « La tradition française, qui était de maintenir à distance les manifestants pour faire le moins de blessés, a évolué. Elle a progressivement laissé la place à une vision plus légaliste où les autorités vont moins rechercher le dialogue avec les syndicats au cours de la manifestation. »
Pour nous, les réponses apportées n’assurent pas l’équilibre fragile entre sécurité publique et libertés publiques. En effet, cette proposition de loi rogne clairement les libertés publiques, quoi qu’en disent ses défenseurs. (M. François Bonhomme s’exclame.) Elle rogne notamment la liberté de manifester, nous laissant craindre la mise en place progressive des conditions permettant, à terme, de mettre fin à toute manifestation. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme le rapporteur proteste.)
M. Alain Dufaut. Ridicule !
Mme Éliane Assassi. Comme l’a demandé mon collègue Pierre-Yves Collombat en commission, ne peut-on pas neutraliser quelques individus ultraviolents autrement qu’en violentant une fois encore les libertés publiques et en s’en prenant au code pénal ?
Il est très inquiétant de constater que les articles 1er et 2 de la proposition de loi sont directement issus de la législation antiterroriste telle qu’elle a été aggravée l’année dernière, à la suite des nombreux renouvellements de l’état d’urgence et à l’instauration dans notre droit commun d’un certain nombre de dispositifs déployés dans ce cadre précis de menace terroriste. Le droit d’exception continue donc de polluer notre droit commun, au détriment des libertés individuelles et publiques !
Permettez-moi de rappeler que, en droit international, le droit à la liberté de réunion pacifique est inscrit dans les traités relatifs aux droits de l’homme auxquels la France est partie, comme les droits à la liberté d’association et à la liberté d’expression, auxquels il est étroitement lié.
En ce sens, les propos du Défenseur des droits ne sont guère rassurants, puisqu’il estime, madame la rapporteur, dans la contribution qu’il vous a remise, que, « eu égard à son économie générale, cette proposition de loi apparaît tout à la fois inutile et dangereuse et semble s’affranchir des exigences constitutionnelles et conventionnelles ».
En droit français, l’article X de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui a valeur constitutionnelle, énonce clairement la liberté de manifestation des opinions : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi ». Ce ne sont pas les manifestants eux-mêmes qui troublent l’ordre public.
En matière de sécurité publique, les forces de l’ordre n’ont sûrement pas besoin de ce genre de dispositif. En revanche, la rénovation de leurs moyens matériels et humains est urgente. L’explication de ces violences réside sans doute moins dans leur accroissement ou leur intensité hypothétiques que dans l’incapacité de nos forces de l’ordre à les démanteler et à remonter le fil de ces formations violentes, qui pourtant expriment bien souvent leurs intentions avant de frapper, faute de moyens suffisants.
Mes chers collègues, il est grand temps de changer de paradigme, de cesser de s’inscrire dans le diptyque caricatural : tout-sécuritaire et répression ou tout-libertaire et laxisme !
Enfin, il faudra bien un jour que nous nous intéressions à une question – même si elle n’est pas le sujet de cet après-midi. En février 2017, six experts mandatés par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme ont interpellé le gouvernement français sur « l’usage excessif de la force par la police ». (M. François Grosdidier s’exclame.) En 2016, c’est le Défenseur des droits qui avait dénoncé dans un rapport l’usage excessif de la force par la puissance publique. Dans le cadre de la commission d’enquête sur l’affaire Benalla, Jacques Toubon a de nouveau signalé ce problème devant le Sénat.
M. le président. Il vous faut conclure, ma chère collègue.
Mme Éliane Assassi. Les violences policières également portent atteinte au droit de manifester, ainsi qu’aux conditions de travail des policiers eux-mêmes, qui, bien sûr, dans leur grande majorité, exercent leurs missions dans un cadre tout à fait légal et respectable.
Vous l’aurez compris : nous nous opposerons fermement à cette proposition de loi, à l’instar du Défenseur des droits, qui, dans la note précitée par Mme la rapporteur, l’a jugée « déséquilibrée, attentatoire aux libertés et susceptible d’exposer les forces de l’ordre à davantage de risques et de dégrader leur relation avec la population » ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. Mes chers collègues, Mme le rapporteur ayant dépassé son temps de parole d’une minute, je me suis montré complaisant pendant une minute à l’égard de la dernière oratrice.
M. François Bonhomme. Laxiste ?... (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Je demande maintenant aux orateurs de respecter les règles relatives aux temps de parole.
La parole est à M. Jérôme Durain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jérôme Durain. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous examinons cet après-midi une proposition de loi que j’estime être ni originale ni anodine : elle n’est pas originale, parce qu’elle rappelle des discussions qui ont eu lieu à de multiples reprises dans cet hémicycle ; elle n’est pas non plus anodine, parce qu’elle concerne les libertés fondamentales.
En 1970, dans une société encore marquée par les événements de 1968, le gouvernement avait décidé de mettre à mal la liberté de manifester, au moyen d’une loi anti-casseurs qui provoqua de vifs débats.
Comme la présente proposition de loi rappelle cette loi de 1970 et que M. Retailleau, qui la soutient, est un homme d’histoire, j’espère qu’il me pardonnera de citer nos illustres, ou moins illustres, prédécesseurs.
Ainsi Édouard Le Bellegou, sénateur socialiste, fixait-il le 21 mai 1970, lors de la discussion de la loi de funeste mémoire que je viens d’évoquer, le préalable suivant : « Nous voudrions bien que l’on éloigne de nous cette accusation […], selon laquelle, parce que nous critiquions votre projet de loi, nous étions les complices ou les défenseurs des casseurs. Cet argument est vil, cet argument est faux, cet argument est contraire à la tradition de notre parti et je tiens à vous dire que nous condamnons – je le proclame hautement – tous les actes de violence dirigés contre les libertés publiques, contre la loi républicaine. »
M. François Grosdidier. Il faut s’en donner les moyens !
M. Jérôme Durain. De la même manière, le parti socialiste et notre groupe condamnent tout débordement dans les manifestations, qu’elles soient organisées par des syndicats de travailleurs ou par La Manif pour tous. (Mme Françoise Gatel s’exclame.)
Je regrette en effet que l’exposé des motifs de la proposition de loi ne condamne que les manifestations issues des rangs de la gauche, sans critiquer les violences qui ont pu être observées dans les cortèges opposés au mariage pour tous lors du précédent quinquennat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas. Ce n’est pas correct !
M. Jérôme Durain. Le 26 mai 2013, par exemple, on aperçoit sur des vidéos publiées par Le Nouvel Obs sur son site internet « des manifestants, certains cagoulés, s’en prendre aux forces de l’ordre, lancer des bouteilles, des barrières métalliques, des pavés ». Je rappelle également les pancartes et cris racistes parfois utilisés par certains manifestants des mêmes cortèges pour s’opposer à la garde des sceaux de l’époque, la courageuse Christiane Taubira. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) J’espère que mes collègues de toutes les travées me rejoindront pour condamner ces débordements.
M. François Grosdidier. La loi est la même pour tous !
M. Jérôme Durain. Ce préalable étant posé, je continuerai mon retour vers le futur en citant un autre illustre sénateur, redevenu ensuite député de la Nièvre. Vous aurez compris que je fais référence au Président de la République le plus populaire de la Ve République, si j’en crois une récente étude d’opinion,…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Jacques Chirac ? (Sourires.)
M. Jérôme Durain. … François Mitterrand.
M. François Grosdidier. Et l’état d’urgence en Algérie ?
M. le président. Monsieur Grosdidier, arrêtez de donner de la voix et de crier ! Vos interruptions vous permettent de beaucoup figurer dans les comptes rendus, mais je vous demande de respecter la parole des orateurs lorsqu’ils sont à la tribune !