M. François Grosdidier. Je fais là un rappel historique !
M. le président. Je vous le demande parce que ces faits sont incessants !
M. Jérôme Durain. Votre tour viendra, monsieur Grosdidier, soyez patient !
François Mitterrand, disais-je, s’opposa avec force à la loi anti-casseurs de 1970. Il déclara notamment : « En défendant son projet de loi, le gouvernement a voulu dire à l’opinion qu’il entendait frapper les commandos, les bandes organisées, les groupes qui agissent par la violence. S’il s’agissait de cela, on pourrait en discuter. Encore faudrait-il maintenir les garanties du droit ! Mais vous savez, les “formes nouvelles de la délinquance”, il n’y a rien de nouveau sous le soleil ! Et en réalité, nos lois, notre code pénal, permettent de répondre à cette question.
« En vérité, le gouvernement a saisi l’occasion, comme s’il voulait profiter des circonstances, pour élargir incroyablement la délinquance possible. C’est ainsi qu’en fait il interdit désormais le droit de manifester, le droit de se réunir. Et beaucoup de gens, les parents des enfants mineurs, les organisateurs de réunions ayant l’intention d’être pacifiques, les organisateurs, les chefs, responsables, syndicalistes, politiques, les associations professionnelles, toutes tombent sous le coup de la loi.
« Même dans des époques extrêmement rudes, au lendemain de la révolution de 1830, au lendemain des événements de 1934 – les ligues, les ligues factieuses – ou de 1936, au moment où il y avait des conflits dans la rue, on n’est jamais allé si loin. »
Mme Sophie Primas. Tout va bien !
M. Jérôme Durain. Je ne veux pas croire, monsieur le président Retailleau, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs de la majorité sénatoriale, que vous souhaitiez vous inscrire dans l’héritage de cette triste loi de 1970.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Lisez le texte !
M. Jérôme Durain. D’ailleurs, il me semble que M. Séguin et son groupe du RPR ne se sont pas opposés avec beaucoup de force à son abrogation. La raison en est simple : la loi de 1970 avait fait la preuve de sa dangerosité.
Dans un éditorial du Monde du 26 novembre 1981, Bertrand Le Gendre écrit : « Certes, les casseurs – ou prétendus tels – payèrent leur tribut à la loi nouvelle, mais aussi, très vite, des syndicalistes ouvriers, étudiants et paysans. Des procédures expéditives furent engagées contre les manifestants antinucléaires de Creys-Malville et de Plogoff. On vit même les musiciens anglais d’un groupe punk, les Stranglers, condamnés parce qu’un de leurs concerts avait dégénéré à Nice. Les critiques contre la loi anti-casseurs culminèrent après les incidents du 23 mars 1979 à Paris. Trente-cinq manifestants ou passants furent condamnés à la suite des violences commises place de l’Opéra. »
M. Roger Karoutchi. C’est quoi, ça ? Wikipédia ?
M. Jérôme Durain. Certes, j’ai bien noté les amendements de Mme la rapporteur visant à rendre ce texte plus acceptable. Encore une fois, nous ne voulons pas donner l’impression d’esquiver le débat sur les dérives qui se produisent dans certaines manifestations. Mais nous craignons que le remède ne s’avère pire que le mal. Comme l’a rappelé Mme Troendlé en commission, « il serait erroné de dire que nous sommes, face à ces phénomènes de violence, complètement démunis ». Mais, à force de vouloir adapter le processus de maintien de l’ordre aux évolutions des casseurs, ne risque-t-on pas de mettre à mal la liberté de manifester ?
Comme l’a rappelé notre collègue Thani Mohamed Soilihi en commission : « Les groupes qui sont visés font preuve d’ingéniosité : aussitôt repérés, ils inventent d’autres modalités d’intervention. Quand cette loi aura été adoptée, ils s’adapteront. Il vaut mieux faire porter l’effort sur le démantèlement de ces groupes. » (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
Monsieur Grosdidier, je m’adresse plus particulièrement à vous ; je voudrais revenir sur un parallèle que vous avez fait de manière fort opportune avec la lutte contre le hooliganisme. J’aime le sport, comme beaucoup ici ; j’adore le football et j’exècre les hooligans. M. Grosdidier indique que les mesures prises contre les hooligans ont fait leurs preuves. Je ne sais pas si le bilan est aussi tranché qu’il l’indique.
M. Jérôme Durain. Dans une récente tribune au journal Libération, MM. Vikash Dhorasoo, Nicolas Kssis-Martov et Pierre Rondeau…
M. François Grosdidier. Ils n’ont aucune légitimité !
M. Jérôme Durain. … s’interrogent le sort fait aujourd’hui aux supporters ultras.
Sont-ils devenus des citoyens de seconde zone ? Tous les supporters ultras ne sont pas des hooligans, comme tous les militants radicaux ne sont pas des casseurs.
M. François Grosdidier. Je n’ai jamais dit cela !
M. Jérôme Durain. Ce week-end, dans les stades de France, un quart d’heure de silence sans chant d’encouragement a été organisé pour protester contre la répression systématique dont s’estiment victimes les supporters.
M. François Grosdidier. Alors, abrogeons la loi contre le hooliganisme !
M. Jérôme Durain. Dans la tribune de Libération que je viens d’évoquer,…
M. François Grosdidier. De bonnes sources !
M. Jérôme Durain. … les auteurs déclarent : « Pour l’instant, il n’existe aucun dialogue ni aucune concertation, au point de faire des fumigènes un nœud de crispation répressif occultant d’autres problèmes réels dans les tribunes, comme le racisme, l’antisémitisme ou l’homophobie. On accuse et on condamne sans la moindre réflexion. Le recours punitif de plus en plus fréquent jusqu’au huis clos automatique, après des procès réalisés à la va-vite, au sein de commissions de disciplines partiales et sectaires, participe à l’envenimement des choses. » Ce constat m’inquiète. Doit-on manier davantage le bâton que la carotte, alors que l’ambiance des stades en France peut désormais rivaliser avec celles de nos voisins européens ?
Le texte que nous examinons aujourd’hui, M. Grosdidier l’a relevé, s’inscrit dans cette philosophie. Il encourt les mêmes risques : décourager les manifestants comme on décourage les supporters.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Mais non !
Mme Françoise Gatel. Au contraire !
M. Jérôme Durain. On compte près de treize manifestations par jour à Paris. Comment pourrait-on techniquement émettre des interdictions ponctuelles dans cette ville ?
Il existe, enfin, un autre risque démocratique majeur, celui de cibler certains membres d’organisations politiques et syndicales. Cette proposition de loi est à rebours de l’évolution actuelle.
Sur le long terme, comme cela a déjà été dit, les historiens nous apprennent que les manifestations sont en réalité bien moins violentes que ne l’étaient les manifestations des XIXe et XXe siècles (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.), comme on tend à l’oublier. Mais la tolérance à la violence, elle, s’atténue.
Mathilde Larrère et Tangui Perron nous donnaient une piste, dans un texte publié, là encore, dans Libération le 11 octobre dernier,…
Mme Sophie Primas. Changez de lectures !
M. Jérôme Durain. … pour aborder les manifestations avec un autre regard : « Il faudrait scruter les formes manifestantes, être attentif aux acteurs, aux slogans comme à leurs supports, et inscrire les manifestations dans le temps long de l’histoire sociale. On redécouvrirait alors l’inventivité de collectifs de graphistes producteurs de nouvelles images – gros succès, tout récent, du slogan-autocollant “Rêve-toi et Marx” –, la réapparition – encore timide – des chorales et des orchestres et, surtout, le syncrétisme de certaines luttes. »
C’est un angle différent de celui qui a été retenu par les auteurs de cette proposition de loi,…
M. Roger Karoutchi. C’est sûr !
M. Jérôme Durain. … lesquels ont préféré se focaliser sur la violence. Il y a de la violence dans les manifestations. Il y en a toujours eu. Il s’agit de la contrôler et de l’éviter. Il ne s’agit pas d’éviter les manifestations.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Ce n’est pas l’objectif !
M. Jérôme Durain. Monsieur Retailleau, pour conclure mon propos, je souhaitais vous poser une question sincère : que pensent les organisations syndicales, les partis politiques, les autorités judiciaires, les policiers et les militants associatifs de votre proposition de loi ?
Mme Sophie Primas. Et Libération ?
M. François Grosdidier. Et les voyous ?
M. Jérôme Durain. Vous n’avez sans doute pas réalisé d’étude d’impact, et je le comprends parfaitement. Mais avez-vous consulté dans un esprit de rassemblement ? Je vous pose cette question, non pas pour vous taquiner, mais pour vous aider à mener la réflexion (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.) sur la violence dans les manifestations que vous évoquez, je veux le croire, avec sincérité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe La République En Marche.)
M. François Grosdidier. On retrouve le bon vieux PS !
M. le président. Je demande une nouvelle fois à M. Grosdidier de cesser d’interrompre en criant les orateurs qui s’expriment à la tribune ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.) Je le dis parce que ses propos, je le vois bien, font sourire. Interrompre de manière systématique n’est pas à l’honneur du Sénat. Tout le monde a le droit de parler sans être interrompu toutes les dix secondes ! (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe La République En Marche.)
M. Didier Mandelli. Vous ne l’avez jamais fait, vous ?
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère.
Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, les événements du 6 février 1934 (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), provoqués par des ligues nationalistes en face de la Chambre des députés, s’étaient soldés par 18 morts et plus de 3 000 blessés, dans un contexte économique, politique et organisationnel instable.
Le décret-loi du 23 octobre 1935 portant réglementation des mesures relatives au renforcement du maintien de l’ordre public est venu organiser le régime juridique des manifestations en instaurant un système de déclaration préalable à l’autorité administrative. D’autres mesures préventives telles que le renforcement du pouvoir de dissolution de groupes de combat et de milices privées ont rapidement été prises.
En réponse aux événements de mai 1968, avec des affrontements d’une autre ampleur que ceux que nous connaissons aujourd’hui, la loi du 8 juin 1970 tendant à réprimer certaines formes nouvelles de délinquance, dite « loi anti-casseurs », a instauré une responsabilité pénale et collective des auteurs de violences. Jugée arbitraire, puisqu’elle permettait de condamner de simples participants à une manifestation qui n’avaient pas pris part aux actions, elle fut abrogée en 1981.
Mes chers collègues, nous partageons la volonté des auteurs de la proposition de loi de lutter contre les violences lors des manifestations et de freiner le phénomène des Blacks Blocs, tant que nos libertés fondamentales demeurent préservées, parmi lesquelles la liberté d’aller et venir et le droit de manifester.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Tout à fait !
Mme Maryse Carrère. Il est étonnant que la proposition de loi ne vienne pas illustrer par des chiffres la nécessité de légiférer pour renforcer un arsenal répressif en vigueur très complet, comme cela a été décrit par le rapport de la commission des lois. Alors que les formes de délinquance ne sont pas plus nouvelles ni plus violentes que celles que l’on a connues par le passé, il est proposé de restreindre davantage l’exercice de nos libertés individuelles.
Cette proposition de loi, si elle part d’une intention louable, ne pouvait être adoptée en l’état, et je souhaite saluer le travail réalisé en commission par Mme la rapporteur, qui a tenté autant que possible de faire en sorte que ce texte ne sorte pas des bornes de la constitutionnalité.
Je m’interroge sur l’inflation législative que nous connaissons, pour une efficacité contestable : nombreuses sont les mesures intégrées à cette proposition de loi qui sont satisfaites par notre droit en vigueur.
Concernant le volet préventif de la proposition de loi, le contrôle des effets personnels des passants aux abords des manifestations est déjà existant. Une généralisation des contrôles, en élargissant le dispositif des périmètres de protection et de sécurité prévu pour l’état d’urgence, nous semble à la fois risquée sur le plan constitutionnel et impossible à mettre en œuvre dans la pratique, au regard du nombre de personnes qui devraient être soumises à un contrôle.
En ce qui concerne la possibilité pour le préfet de prononcer des interdictions administratives de manifester à l’encontre des individus susceptibles de représenter une menace pour l’ordre public, nous considérons que de telles interdictions doivent continuer d’intervenir dans un cadre judiciaire, plus protecteur des droits fondamentaux. En effet, il n’est pas souhaitable d’interdire de manifester des personnes qui n’ont jamais été condamnées pour des violences lors des manifestations, jugées sur leur simple comportement.
À l’instar de l’article 3, qui prévoit la création d’un fichier national des personnes interdites de manifester, nous estimons que ces articles sont difficilement applicables. S’il est aisé de filtrer les entrées dans un lieu clos comme un stade, il s’avère très compliqué de bloquer l’accès à une manifestation en plein air. Il est donc préférable de maintenir le droit en vigueur, qui permet au juge de prononcer une peine complémentaire d’interdiction de manifester.
Sur le volet répressif, l’article 4 vient ériger en délit la dissimulation volontaire du visage. Autant dire que cette disposition me paraît disproportionnée et d’une utilité limitée. Comme cela est clairement indiqué dans le rapport, la dissimulation du visage, actuellement sanctionnée par le code pénal, ne fait l’objet que d’un faible nombre de contraventions en temps normal. Lors d’une manifestation, les forces de l’ordre ont effectivement d’autres préoccupations. Encore une fois, le droit en vigueur reste plus judicieux en retenant la dissimulation du visage comme une circonstance aggravante.
Enfin, le dispositif de responsabilité civile collective prévu initialement nous paraissait dangereux, parce qu’il laissait planer le risque qu’un individu puisse être accusé arbitrairement de dommages qu’il n’a pas causés. Cette mesure était disproportionnée et allait plus loin que la loi anti-casseurs – c’est dire ! –, puisque le juge avait la possibilité de limiter la réparation à une partie des dommages et fixer la part imputable à chaque condamné en le dispensant de la solidarité.
Plus qu’un nouveau texte, il nous faut amplifier les moyens, d’une part, de la direction générale de la sécurité intérieure, la DGSI, pour lutter de manière plus concrète contre les Black Blocks et démanteler ces derniers et, d’autre part, de nos forces de l’ordre pour que celles-ci puissent, sur le terrain, exercer pleinement et efficacement leur mission de maintien de l’ordre public.
Sur ces sujets, prenons le temps de la réflexion ! Le renforcement de l’arsenal juridique au cours de ces vingt dernières années n’a pas, pour le moment, fait ses preuves. Intégrons les conclusions de la commission d’enquête pour encadrer la présence d’intervenants extérieurs au sein des manifestations, ainsi que la réflexion conjointe menée par les ministères de la justice et de l’intérieur sur l’amélioration du traitement des infractions commises lors des manifestations.
L’ensemble de ces éléments pourrait, je le pense, nous permettre d’avoir une vision plus complète du sujet afin, le cas échéant, de légiférer.
Pour conclure, je pense qu’en matière de manifestations la liberté doit rester la règle et la restriction l’exception. Vous l’aurez donc compris, la majorité des membres du groupe du RDSE ne pourra pas apporter son soutien à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, les frasques de M. Benalla ne doivent pas nous faire oublier que les manifestations autorisées et pourtant officiellement encadrées, tant par les organisateurs que par les services de police, sont devenues, depuis quelques années, l’occasion, pour essentiellement deux catégories d’individus, de se livrer à la plus extrême des violences : destruction de biens privés comme d’équipements publics allant même jusqu’à s’attaquer à un hôpital pour enfants ; agressions ultraviolentes envers les forces de l’ordre jusqu’à attenter à la vie de policiers en incendiant le véhicule dans lequel ils se trouvent !
Le poète a beau chanter que le rouge et le noir peuvent s’épouser, dans la rue, ils ne le font jamais pour le meilleur, mais ils le font uniquement pour commettre le pire ! Car les auteurs de ces actes insupportables, que professionnels, policiers, ou simples badauds subissent depuis des années sont principalement le fait des mouvances d’extrême gauche et d’anarchistes.
Camouflées dans le treillis de l’antifascisme, qui, on le sait, permet au premier casseur ou clandestin venu d’extérioriser sa haine de tout ce qui peut représenter l’État, de tout ce qui peut représenter la France, ces milices utilisent les manifestations de masse pour les transformer en vastes opérations de casse. Ces derniers mois, ces groupes se sont servis de la loi Travail et des revendications légitimes des travailleurs pour tout détruire. Les uns sont issus du « ghetto » d’Auteuil-Neuilly-Passy, ces révolutionnaires de foire passant du cocktail au champagne au cocktail Molotov ; les autres, qui prétendent renverser la société, passent l’essentiel de leur temps à vivre à ses crochets. Les deux n’ont pas la notion du coût de ce qu’ils détruisent et ont en commun la haine de ceux qui nous protègent.
Il y a quelques jours, ces fanatiques de la destruction, y compris de la démocratie, ont cassé une librairie en plein cœur de Paris, à quelques mètres du Sénat, sans que personne s’en soit indigné !
Le 28 avril, ce sont 24 policiers et gendarmes qui ont été blessés, dont 3 très grièvement à Paris. Le 14 juin, 29 policiers blessés. Le 15 septembre : 15 policiers blessés… Comment ont-ils pu répéter leurs actes sans qu’aucune mesure ne soit prise ? Pourquoi a-t-on tant de complaisance pour cette racaille ? Pourquoi ne pointe-t-on pas leurs accointances avec les syndicats et les partis de gauche et d’extrême gauche ?
Doit-on rappeler les débordements sans précédent, le 1er mai, de la part de plusieurs centaines de Black Blocks en plein cœur de la capitale ? Le prétendu antifascisme doit, lui aussi, avoir ses limites.
Mme Cécile Cukierman. Les violences homophobes de petites frappes, on en parle aussi ou pas ?
M. Stéphane Ravier. Le climat d’impunité et l’absence totale d’État ne sont pas près d’être remis en cause par la nomination de Christophe Castaner au ministère de l’intérieur. En décembre 2015, celui qui battait encore pavillon socialiste en appelait à demi-mot à l’insurrection des quartiers en cas de victoire du Front national à l’occasion des élections régionales en Provence-Alpes-Côte d’Azur !
Deux mesures suffiraient, si on les appliquait, à éradiquer cette violence. La première : dissoudre les milices d’extrême gauche et anarchistes ;…
Mme Cécile Cukierman. Et celles d’extrême droite ?
Mme Esther Benbassa. Oui, il faut les dissoudre !
Mme Cécile Cukierman. En matière de milices, vous savez faire !
M. Stéphane Ravier. … la seconde : rétablir et réactualiser, en y incluant l’expulsion du territoire national des casseurs étrangers, la loi dite « anti-casseurs » de 1970. Tout le reste ne serait que littérature et autant d’encouragements lancés aux casseurs pour perpétuer leur entreprise de saccage et d’agression de nos forces de l’ordre. (Mme Claudine Kauffmann applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame le rapporteur, mes chers collègues, les violences dans les manifestations deviennent récurrentes : CRS pris au milieu des flammes ; policiers blessés ou brûlés ; dégradations de bâtiments institutionnels, de mobilier urbain, de bâtiments commerciaux ; destructions d’équipements publicitaires ; voitures incendiées ; jets de projectiles contre les forces de l’ordre… Ces faits font malheureusement trop souvent la « une » de l’actualité à l’occasion des manifestations.
Les pouvoirs publics sont ainsi confrontés à l’émergence d’un phénomène nouveau, désigné par l’expression Black Blocs, qui fait obstacle à l’exercice de la liberté de manifester et remet en question la conception traditionnelle de l’ordre public.
Ces individus veulent, par leur action violente, faire passer des messages politiques et exprimer leur haine de l’État et de toute forme d’autorité, ainsi que leur rejet de la mondialisation, du capitalisme et de la société de consommation.
La radicalisation de l’action de ces groupes et mouvances contestataires lors des manifestations conduit à s’interroger aujourd’hui sur l’efficacité de l’arsenal juridique de maintien de l’ordre dont s’est doté notre pays au cours des dernières années.
Le droit de manifester paisiblement, garanti par l’article X de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, semble aujourd’hui menacé en raison de ces actes violents de grande ampleur.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui prévoit notamment de rendre possible le contrôle des effets personnels des passants – contrôle visuel, ouverture des sacs et palpations de sécurité – lors des manifestations, lorsqu’il existe un risque de troubles à l’ordre public.
Elle permet également de constituer, dans le respect des libertés publiques, un fichier de personnes interdites de manifestations et de créer un nouveau délit consistant à dissimuler son visage lors d’une manifestation sur la voie publique, puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
Elle prévoit aussi de considérer comme un délit, puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, lorsqu’il est commis lors d’une manifestation, le fait de détenir ou de faire usage, sans motif légitime, de fusées d’artifice ou de détenir toute arme par destination.
Enfin, la proposition de loi rend l’ensemble des peines complémentaires prévues pour le délit de port d’arme lors d’une manifestation applicable à l’ensemble des infractions existantes ou nouvelles, en lien avec le fait de participer ou d’organiser une manifestation et ajoute pour ces infractions la peine complémentaire d’interdiction de manifester.
Le double volet, préventif et répressif, de cette proposition de loi a été approuvé et sécurisé par la commission des lois, grâce à l’adoption de dix amendements de son rapporteur, notre collègue Catherine Troendlé, afin de prévenir efficacement les atteintes à l’ordre public, dans le respect des droits et libertés constitutionnellement garantis.
Dans le cadre du volet préventif, les préfets pourraient faire contrôler les effets personnels des passants dans le périmètre et aux abords immédiats d’une manifestation. Ils pourraient aussi prononcer, à l’encontre des individus susceptibles de représenter une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public, des interdictions personnelles de manifester, assorties le cas échéant d’une obligation de pointage dans un commissariat ou une gendarmerie. La création d’un fichier national des personnes interdites de prendre part à des manifestations serait également prévue.
Dans le cadre du volet répressif, l’infraction de dissimulation volontaire du visage dans une manifestation, dans des circonstances faisant craindre des troubles à l’ordre public, actuellement punie d’une contravention de la cinquième classe, serait transformée en un délit puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
L’infraction de participation à une manifestation ou à une réunion publique en étant porteur d’une arme serait étendue afin de viser aussi les abords immédiats de la manifestation et de sanctionner la tentative de ces délits. Le champ de la peine complémentaire d’interdiction de manifester serait par ailleurs élargi.
Par ailleurs, la proposition de loi, dans sa rédaction initiale, prévoyait d’instaurer une présomption de responsabilité civile collective en matière de dommages causés à l’occasion d’une manifestation sur la voie publique.
La commission des lois a préféré maintenir le régime de responsabilité sans faute de l’État, tout en offrant à celui-ci la possibilité d’exercer une action récursoire contre les personnes condamnées pour les violences ou dégradations à l’origine de ces dommages.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe Les Indépendants votera ce texte ainsi modifié et enrichi par notre commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Charon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pierre Charon. Monsieur le secrétaire d’État, permettez-moi, à mon tour, de vous souhaiter la bienvenue, pour cette première séance publique.
Monsieur le président, madame la rapporteur, mes chers collègues, il y a quelques mois, des violences d’une gravité inadmissible ont eu lieu en plein Paris. Des commerces ont été détruits. Des personnes auraient pu mourir, si elles n’étaient pas parties à temps.
La préfecture de police était confrontée non pas à des manifestants qui exercent leur droit de manifester, mais bien à des casseurs, à des gens sans foi ni loi, qui veulent détruire et même tuer. Ils n’ont que de la haine pour les forces de l’ordre et de la haine pour la société.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Exactement !
M. Pierre Charon. Ces casseurs profitent des faiblesses de notre législation. Leur envie est d’autant plus aiguisée qu’ils savent qu’ils ne risquent rien. Ils testent notre réactivité en jouant sur nos propres limites. Cette situation est anormale. Il est choquant que des individus profitent des faiblesses de l’État de droit pour commettre leurs délits. C’est à cette lacune que cette proposition de loi, due à l’initiative de Bruno Retailleau, entend remédier.
Il n’y a pas de violation des libertés publiques quand on cherche à sévir contre ceux qui veulent casser, tuer ou mettre en danger la vie d’autrui. Ceux qui détruisent les commerces de cette France qui travaille, de cette France qui se lève tôt ne méritent pas la protection de la Nation. Ils doivent être mis hors d’état de nuire. Ils doivent être pris pour ce qu’ils sont : des délinquants, voire des criminels.
Manifester est un droit, c’est le droit d’exprimer une opinion ; il est parfaitement légitime. La République ne prétend pas régir les consciences. Chaque citoyen a droit au désaccord et au dissentiment. Il a le droit de le faire savoir. C’est la règle du jeu dans tout État démocratique. Mais dans tout État de droit, il y a une contrepartie, une responsabilité à respecter.
Ainsi, la République se doit d’exiger que l’on manifeste à visage découvert. Je comprends mal cette envie d’anonymat de la part de ceux qui se masquent intégralement… ou plutôt je comprends trop bien qu’il s’agit là d’une lâcheté qui s’ajoute à leur violence.
Après tout, une manifestation est un acte public, où l’on assume son opinion ouvertement et sans détour. Il est incompréhensible que certains profitent de cette occasion pour dissimuler leurs sombres desseins.
Pour cette raison, je soutiens fortement la création d’un nouveau délit visant à punir la dissimulation du visage lors de manifestations et de rassemblements. Cette non-dissimulation est une exigence de bon sens. Il ne s’agit plus de porter atteinte à la vie privée, puisqu’une manifestation est un acte qui se déroule dans l’espace public.
Rappelons que, en 2010, la majorité d’alors avait interdit le port du voile intégral, comme je l’ai rappelé il y a deux semaines à Mme Belloubet, à l’occasion de la séance consacrée aux questions d’actualité au Gouvernement. Le Conseil constitutionnel n’avait alors relevé aucune atteinte à la Constitution. Depuis lors, personne ne songe à y revenir.
Oui, la République ne se vit pas cachée. Évidemment, le dispositif envisagé dans cette proposition de loi n’est « pas applicable aux manifestations conformes aux usages locaux ». C’est en effet ce que prévoit le projet d’article du code pénal. Nous voulons sévir contre les Black Blocs, pas contre Belphégor ! (Rires sur les travées du groupe Union Centriste.) On peut parfaitement distinguer le respect d’une tradition des débordements d’une meute violente !
À l’occasion de sa prochaine évasion, Rédoine Faïd n’aura plus besoin d’une burqa, mais il se mêlera aux Black Blocs pour se dissimuler à nouveau… N’attendons donc pas !
De même, il faut améliorer nos dispositifs concernant la responsabilité des dégradations commises collectivement. Entendons-nous bien : il s’agit non pas de sanctionner des personnes qui n’ont rien fait, mais de sévir contre celles qui sont responsables d’actes violents et qui ont été condamnées en conséquence. Il s’agit de permettre à l’État de se retourner, par une action récursoire, contre ceux qui ont été condamnés pénalement pour violence contre les personnes ou atteintes aux biens. Il est normal que ces personnes aient à répondre des dommages résultant de la manifestation : elles ont profité de cette manifestation pour casser et mettre en danger la vie d’autrui ; elles doivent donc en assumer les conséquences et réparer les dommages commis.
Mes chers collègues, il y a urgence en la matière, notamment à Paris, mais aussi en province. Je pense en particulier aux événements qui se sont déroulés à Nantes dont a parlé Bruno Retailleau.