Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Parce qu’il n’existe pas ?
M. Gérald Darmanin, ministre. … a une clef.
Cette clef, ce n’est pas la DGFiP. C’est encore moins le ministre des comptes publics : il n’a pas accès aux dossiers fiscaux particuliers, il ne demande pas la transmission des dossiers à la CIF et il n’intervient pas auprès de la CIF pour que ceux-ci soient transmis à la justice !
Définissons les critères – il paraît normal que ce soit le Parlement qui le fasse – et discutons-en ! Sont-ils cumulatifs ? Sont-ils importants ? Garantissent-ils la transmission automatique des dossiers que vous jugeriez les plus importants ?
Je salue le travail considérable réalisé par M. le président de la commission des finances et par M. le rapporteur général qui, plutôt que formuler des slogans, sont venus plusieurs fois contrôler sur place et sur pièces et discuter du sujet avec les « professionnels de la profession », comme dirait Jean-Luc Godard.
Discutons des critères du verrou ! C’est la première fois qu’un gouvernement vous propose d’en juger. La majorité des deux assemblées décidera – c’est le principe même de la démocratie parlementaire – ce qui relève du verrou et quels critères sont cumulatifs.
J’ai moi-même déposé un amendement qui devrait faire écho aux propos des sénatrices et sénateurs, car il vise à compléter l’arsenal prévu par M. le rapporteur de la commission des finances : une personne soumise à l’obligation de faire une déclaration à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, la HATVP, ne doit pas faire l’objet d’une réitération.
Ainsi, au terme de la jurisprudence de la CIF et de la direction générale des finances publiques, au-delà de 100 000 euros – c’était grosso modo le montant qu’elles acceptaient –, et dans le cas de personnalités politiques, par exemple d’anciens membres de gouvernements que vous avez soutenus, nous avons transmis directement les dossiers parce que ceux-ci avaient une valeur d’exemplarité.
Je proposerai, par la voie de cet amendement, de compléter les critères, et l’on verra ce que décidera le Sénat.
Si d’autres critères sont proposés, encore une fois, discutons-en, car c’est la première fois que l’on peut le faire.
À l’occasion de cette grande annonce qui est faite aujourd’hui, il ne faut pas faire un procès au Gouvernement parce qu’il accepte l’amendement du rapporteur et de la commission des finances. Cela ne signifie pas que cet amendement est parfait. Il faut sans doute le perfectionner. Les députés, et notamment Mme Cariou et M. Diard, y travailleront.
Il ne s’agit pas de démagogie. En effet, personne ne peut nier qu’il existe une spécificité française de l’impôt. Ainsi le juge de l’impôt est-il en France le juge administratif, ce qui n’est pas le cas dans nombre d’autres pays. Il est donc normal que soient prévues des sanctions administratives et que le ministre des comptes publics ainsi qu’une grande partie des membres de la commission des finances et des parlementaires souhaitent recouvrer l’impôt.
Il est aussi tout à fait normal qu’à partir d’un certain niveau – c’est ce que dit le Conseil constitutionnel –, nous puissions aller au pénal. Il faut définir quel est ce niveau.
Prenez garde d’ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Conseil constitutionnel ne vienne pas censurer les dispositions que vous allez adopter. Vous l’avez dit, monsieur le rapporteur général, nous devons rester dans le cadre de la jurisprudence constitutionnelle. Nous aurons alors fait œuvre de transparence et d’efficacité, tout en évitant la démagogie. En même temps, nous aurons compris que les temps ont changé et que nous devons être, bien sûr, au rendez-vous de la transparence.
Pour ce qui concerne les plateformes, le sénateur Bascher a évoqué une idée qui lui est chère, tout comme à M. le rapporteur et à M. Woerth à l’Assemblée nationale. C’est l’idée du forfait fiscal.
J’ai fait preuve d’une ouverture d’esprit assez large en présentant l’article 4, en vue d’aller loin dans l’égalité entre l’économie nouvelle et l’économie actuelle – je ne sais comment qualifier celle-ci sans porter de jugement de valeur.
De quel droit, monsieur le sénateur, pourrions-nous prévoir un forfait fiscal, c’est-à-dire une exonération fiscale pour l’économie numérique, qui est la nouvelle économie, alors que pour le même produit ou service issu de l’économie dite « réelle », c’est-à-dire non collaborative, on est fiscalisé. Il faudrait à coup sûr, dans ces cas-là, accepter de prévoir un forfait pour les deux types d’économie.
Dans ces conditions, vous vous asseyez sur une partie des recettes déjà existantes du budget de la Nation. Je suis donc certain que, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances, vous aurez à cœur de rééquilibrer les comptes publics. (M. Jérôme Bascher sourit.)
Je ne pense pas que l’on puisse considérer différemment l’économie réelle et l’économie numérique. Soit l’on considère qu’il faut fiscaliser parce que c’est une question de justice vis-à-vis de ceux qui jouent dans le monde « réel », c’est-à-dire l’économie qui n’est pas celle des plateformes numériques collaboratives, soit on prévoit un forfait. Votre raisonnement peut se comprendre, mais, dans ce cas, il faut l’appliquer à tous. Nous devons être responsables et avoir cette discussion.
Puisque nous ne pouvons pas nous asseoir sur une partie des recettes, l’État devant malheureusement fonctionner avec un déficit très important, l’avis sera défavorable sur cette proposition.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous reviendrons assez longuement sur l’article 1er.
Je ne peux partager les attendus de Mme la rapporteur, même si j’ai écouté avec beaucoup d’intérêt ce qu’elle a dit sur la police fiscale. Peut-être aurons-nous l’occasion d’y revenir en examinant ledit article 1er.
Enfin, je suis très heureux de commencer l’étude de ce texte. (MM. Didier Rambaud, François Patriat, Philippe Bonnecarrère et Marc Laménie, ainsi que Mme Michèle Vullien, applaudissent.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi relatif à la lutte contre la fraude
TITRE Ier
RENFORCER LES MOYENS ALLOUÉS À LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE FISCALE, SOCIALE ET DOUANIÈRE
Article 1er A (nouveau)
À l’article L. 10 B du livre des procédures fiscales, après la référence : « 321-6, » sont insérées les références : « 324-1 à 324-6-1, ».
M. le président. L’amendement n° 102, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Nous aurons un débat très important sur l’article 1er, et notamment sur le rétablissement de la police fiscale.
Je passe donc rapidement sur le présent amendement de suppression de l’article 1er A, afin que nous puissions en venir très vite à ce qui est le véritable objet de notre courroux, c’est-à-dire l’article 1er !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Le Gouvernement souhaite revenir sur la position de la commission des finances, prise sur l’initiative de Nathalie Goulet, après rectification.
Nous considérons, très concrètement, que disposer du concours des agents de l’administration pour lutter contre le blanchiment de fraude fiscale est tout à fait possible.
L’avis est donc défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er A.
(L’article 1er A est adopté.)
Articles additionnels après l’article 1er A
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 6 est présenté par MM. Bocquet, Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 19 est présenté par Mme N. Goulet.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 1er A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article L. 199 C du livre des procédures fiscales, il est inséré un article L. 199 … ainsi rédigé :
« Art. L. 199 … – Lorsqu’une partie au procès devant le juge de l’impôt en fait la demande expresse par mémoire ou conclusions avant la clôture de l’instruction, la juridiction saisie y compris en cassation se prononce sur l’ensemble des moyens soulevés en demande ou en défense pour les accueillir ou les rejeter explicitement.
« Si la Cour de cassation ou le Conseil d’État ne statue pas sur un moyen soulevé ainsi qu’il est dit au premier alinéa, la partie concernée peut présenter un recours en omission de statuer dans les deux mois du rendu de la décision afin de la faire compléter et confirmer ou infirmer. »
La parole est à M. Éric Bocquet, pour présenter l’amendement n° 6.
M. Éric Bocquet. L’état actuel de traitement du contentieux fiscal, et notamment la nécessité de sortir du cadre de la loi de 1977, ainsi que l’activité de la commission des infractions fiscales, nous impose de définir de nouvelles règles, plus équilibrées, en matière de procédure contentieuse.
Rappelons tout de même que le juge de l’impôt statue selon la technique dite « de l’économie des moyens » : si le contribuable, dans sa contestation, soulève à la fois des moyens de fond et des moyens de forme, et que l’un des moyens de forme permet au juge d’annuler le redressement fiscal, ce dernier rendra sa décision sur ce seul moyen de forme sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens. Cela pose le problème de la prise en compte des éléments de fond dans le traitement de l’affaire, chacun en conviendra.
Le simple respect de la jurisprudence constitutionnelle et de la jurisprudence de la Cour de cassation, ou l’analyse des nouvelles sanctions proposées dans le présent texte à l’endroit des conseils nous conduisent à vous inviter à adopter cet amendement qui vise à sécuriser et à garantir la qualité des procédures.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour présenter l’amendement n° 19.
Mme Nathalie Goulet. Éric Bocquet et moi-même allons proposer un certain nombre d’amendements qui nous sont communs. C’est l’habitude dans cette maison, puisque cela fait très longtemps que nous travaillons ensemble sur ces sujets.
Je n’ajouterai pas grand-chose à ce qui vient d’être dit, sinon que l’obligation prévue dans notre amendement existe d’ores et déjà pour le contentieux de l’urbanisme, à l’article L. 600–4–1 du code de l’urbanisme. Il s’agit de l’extension d’une pratique connue dans un but de protection du justiciable. L’objectif est d’éviter que ne soient condamnés pour fraude fiscale des contribuables qui ne doivent en réalité pas d’impôt. C’est donc une mesure de bon sens et de protection du justiciable.
Je pense que vous aurez à cœur, mes chers collègues, d’adopter ces amendements.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Ce sujet étant difficile, nous souhaiterions savoir s’il concerne beaucoup de personnes. L’amendement vise le cas d’un contribuable qui serait condamné, alors même qu’une décision du juge de l’impôt serait différente.
Le Conseil constitutionnel, dans une décision relative à une question prioritaire de constitutionnalité célèbre, a distingué entre les motifs de fond et les motifs de forme, et considéré qu’un contribuable qui avait été déchargé de l’impôt pour un motif de fond ne pouvait être condamné pour fraude fiscale. Il y a eu une résistance de la Cour de cassation.
Vous comprendrez que c’est assez choquant : imaginez qu’il y ait, parallèlement à une poursuite pour fraude fiscale, un recours auprès du juge de l’impôt. Si celui-ci juge que l’impôt n’est pas dû, l’élément matériel de l’infraction disparaît et il faut trouver une solution. En revanche, lorsqu’il s’agit d’une annulation pour motif de forme, cela pose une difficulté.
La solution proposée au travers de ces amendements consiste à obliger, dans un certain délai, le juge de l’impôt à statuer, en se prononçant sur l’ensemble des moyens soulevés en demande et en défense, et pas simplement sur les moyens de fond.
Cela remet quelque peu en cause le principe de l’économie des moyens que vient de rappeler Éric Bocquet. Il suffit par exemple que l’un des moyens d’annulation soit un moyen de forme pour que le juge administratif annule une imposition.
Faut-il pour autant obliger ce juge à statuer sur l’ensemble des moyens ? Cela me paraît un peu lourd. Peut-être y a-t-il d’autres solutions, comme le sursis à statuer ou une question préjudicielle systématique ?
Il faudrait que le Gouvernement nous dise, avant que nous nous prononcions, s’il existe beaucoup de cas de ce type, c’est-à-dire dans lesquels une personne pourrait être condamnée pour fraude fiscale alors même que le juge de l’impôt aurait rendu une décision d’annulation de l’imposition.
Dans ce cas, mais c’est une mesure extrêmement lourde, on pourrait toujours demander la révision du procès pénal.
Il serait ainsi possible à une personne condamnée pour fraude fiscale, et dont le juge de l’impôt annulerait l’imposition, de demander, en distinguant le fond de la forme, la révision du procès pénal. Mais les conséquences pourraient être lourdes. Par exemple, si une société cotée est condamnée pour fraude fiscale, son cours de bourse baisse, même si, au final, elle gagne devant le juge de l’impôt.
Sur cette question difficile, nous ne disposons pas de suffisamment d’éléments statistiques. Nous souhaitons donc entendre Gouvernement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur le rapporteur, il y a moins d’une dizaine de cas par an, c’est infinitésimal.
J’entends votre argument, madame Goulet, monsieur Bocquet. Vous plaidez la sécurité juridique, alors qu’en réalité les amendements que vous proposez auraient pour conséquence d’allonger le délai de traitement.
Or l’une des difficultés que nous rencontrons – nous en reparlerons à l’occasion de l’article 1er et des articles suivants, notamment à propos du verrou de Bercy –, c’est que les délais de procédure sont très longs. Il y a d’abord le temps du contrôle fiscal, puis celui de l’enquête, s’il y en a une et si une plainte a été déposée. Pour aboutir au jugement, il faut plusieurs années.
Je ne suis pas certain qu’allonger cette durée plaide beaucoup en faveur de la lutte contre la fraude fiscale.
Enfin, vous avez évoqué le code de l’urbanisme.
Lorsque le juge de l’urbanisme, juge administratif, annule une décision, il demande à l’administration de reprendre. Ce n’est pas tout à fait la même chose en matière fiscale puisque, dans ce cas, le juge décharge le contribuable de l’impôt et l’administration ne reprend pas, car, souvent, il y a prescription.
Les cas visés étant très particuliers, il ne nous appartient pas de retenir ces amendements. M. le rapporteur a évoqué des pistes. Peut-être l’Assemblée nationale pourrait-elle chercher une solution correspondant à la philosophie de cette proposition.
L’avis est défavorable, car les amendements auraient pour conséquence d’allonger les délais de jugement, qui sont déjà très longs. La faute n’en revient d’ailleurs pas seulement aux magistrats. Les retards sont aussi liés à la complexité du contrôle, puis à l’enquête elle-même.
M. Didier Rambaud. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. J’ai bien compris votre exposé, monsieur le ministre. Vous dites que l’on verra si les députés pourront trouver une solution.
Mme Nathalie Goulet. Certes, mais comment faire pour améliorer un dispositif à l’Assemblée nationale si celui-ci n’est pas adopté ici, au Sénat ? Il faut bien qu’il figure quelque part !
La question revient dans plusieurs amendements qui se succèdent. Nous verrons donc comment se déroule le débat…
Je retire mon amendement au profit de l’amendement n° 6 d’Éric Bocquet.
M. le président. L’amendement n° 19 est retiré.
Monsieur Bocquet, l’amendement n° 6 est-il maintenu ?...
M. Éric Bocquet. Oui, je le maintiens, monsieur le président.
M. le président. Je suis de nouveau saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 11 est présenté par MM. Bocquet, Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 20 est présenté par Mme N. Goulet.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 1er A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article L. 228 du livre des procédures fiscales, il est inséré un article L. 228-… ainsi rédigé :
« Art. L. 228-… – Avant toute décision sur l’action publique hors ouverture d’une information judiciaire ou comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité pour des faits de fraude fiscale, de recel de fraude fiscale ou de blanchiment de fraude fiscale, la personne visée peut saisir en urgence le juge de l’impôt afin que celui-ci détermine si les impositions visées dans l’enquête sont dues et le montant de celles-ci.
« La décision sur l’action publique mentionnée au premier alinéa ne peut alors intervenir avant que le juge de l’impôt n’ait statué définitivement.
« Le procureur de la République lui transmet une copie de la procédure pénale.
« L’administration fiscale est appelée en la procédure.
« En cas d’ouverture d’une information judiciaire, le contribuable mis en examen ou ayant le statut de témoin assisté peut également saisir en urgence le juge de l’impôt.
« Le juge d’instruction lui transmet une copie de la procédure pénale.
« Une ordonnance de renvoi ne peut alors intervenir avant que le juge de l’impôt n’ait statué définitivement.
« Le juge de l’impôt de première instance statue dans les deux mois de sa saisine si une personne est en détention provisoire dans le cadre de l’enquête pénale et dans les six mois en cas contraire. Les mêmes délais s’imposent au juge d’appel et au juge de cassation.
« Si le juge de l’impôt est déjà saisi au moment de l’engagement des poursuites pénales, la personne poursuivie l’informe par voie de mémoire ou conclusions pour bénéficier des dispositions des deuxième ou sixième alinéas. Les délais mentionnés au huitième alinéa s’imposent alors au juge de l’impôt.
« Le contribuable est recevable à soulever l’ensemble des moyens de légalité externe et interne qu’il considère pertinents.
« Les décisions du juge de l’impôt rendues en application du présent article ont l’autorité de la chose jugée vis-à-vis du juge pénal.
« Si le contribuable a fait le choix de la procédure d’urgence prévue au présent article, il ne peut contester les mêmes impositions selon la procédure classique. »
La parole est à M. Éric Bocquet, pour présenter l’amendement n° 11.
M. Éric Bocquet. Que faut-il préférer : une meilleure articulation des procédures entre contentieux fiscal et traitement juridique de la question, ou le recours prévisible à la reconnaissance préalable de culpabilité qui, par principe, ne risque d’intéresser que les justiciables potentiels ayant quelques moyens de transiger ?
Telle est un peu notre démarche dans cet amendement, dont la rédaction pourrait sans doute être améliorée – on en conviendra –, mais qui présente au moins l’avantage de se positionner sur la voie d’une sécurisation grandissante des procédures, et donc de l’évitement des processus formels et formalistes qui ne règlent pas grand-chose aux dossiers.
Le travail inhérent à la poursuite de la fraude fiscale est suffisamment complexe pour être respecté. Il n’y a sans doute rien de pire, à notre avis, pour un service fiscal ayant instruit un dossier contentieux avec tout le souci requis, et notamment le souci de l’intérêt général, que de voir ce travail et ses conclusions mis en question au travers d’une transaction discrète aux conséquences assumées.
A contrario, il importe aussi que le bon droit du contribuable poursuivi puisse être respecté. C’est en ce sens que nous vous proposons cet amendement.
Dans le cadre de la réforme des amendes fiscales prévue dans le projet de loi, qui deviennent proportionnelles, fixer précisément le montant des impositions fraudées devient indispensable afin d’assurer l’effectivité de la sanction. C’est le travail du juge de l’impôt, et non celui du juge pénal.
Organiser la saisine préjudicielle du juge de l’impôt est donc une priorité à laquelle tend à répondre le présent amendement.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour présenter l’amendement n° 20.
Mme Nathalie Goulet. Cet amendement, identique à celui de M. Éric Bocquet, vise à organiser la saisine préjudicielle du juge de l’impôt, priorité à laquelle il s’agit de répondre.
L’idée est de coordonner : afin d’éviter des cas préjudiciables de divergences de jurisprudence entre le juge de l’impôt et le juge pénal, il est absolument indispensable de prévoir une articulation. Pour l’instant, ce sujet n’est absolument pas traité.
On peut constater, lors d’enquêtes pénales pour fraude fiscale, que la procédure est extrêmement déséquilibrée, le ministère public et la juridiction ayant tendance à intégrer la position de l’administration fiscale comme celle d’un expert indépendant, alors qu’il s’agit d’une partie poursuivante. Les principes fondamentaux de l’équilibre de la procédure ne sont donc pas respectés.
Afin de rétablir cet équilibre, le présent amendement tend à permettre aux seuls acteurs indépendants de la fixation de l’impôt dû d’intervenir. Il prévoit un mécanisme de saisine en urgence du juge de l’impôt – en pratique, bien souvent, le juge administratif – par le contribuable poursuivi pour fraude fiscale, afin qu’il puisse faire juger rapidement si les impositions contestées sont réellement dues. Cela évitera des divergences et des difficultés d’appréciation entre les deux juridictions saisies.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Les amendements concernent l’articulation entre le juge de l’impôt et le juge pénal.
Le juge pénal n’est pas juge de l’impôt, ce qui peut poser des difficultés réelles, notamment par rapport à une sanction qui pourrait être fixée en fonction du montant des droits.
Il y a, certes, une possibilité de question préjudicielle, prévue à l’article 386 du code de procédure pénale. La difficulté, c’est que les juridictions pénales refusent très souvent la question préjudicielle, qui serait pourtant la solution.
Les amendements prévoient le renvoi systématique de la question préjudicielle vers le juge de l’impôt afin de déterminer l’existence et le montant des impositions dues, avec le risque que j’évoquais, si la question préjudicielle n’était pas admise, de divergence. Ainsi, un contribuable pourrait être condamné pour fraude fiscale, alors que le juge de l’impôt aurait une position divergente, allant même jusqu’à considérer que l’imposition n’est pas due. C’est une véritable difficulté.
Je n’avais pas proposé à la commission un avis favorable en l’état, les amendements qui prévoient des délais très compliqués méritant sans doute d’être retravaillés. C’est la raison pour laquelle je souhaitais entendre le Gouvernement. Se pose, notamment, une difficulté par rapport à l’article 8 du projet de loi.
L’article 8 modifie la situation juridique en ce qu’il prévoit des amendes pénales, décidées par le juge pénal, lesquelles, aux termes dudit article, peuvent être portées au double du produit tiré de l’infraction, en l’occurrence du montant fraudé.
Comment le juge pénal pourra-t-il fixer l’amende alors même que le juge de l’impôt ne s’est pas prononcé sur le montant des droits fraudés ? Cette question nous semble prendre une tournure nouvelle, du fait de sa combinaison avec l’article 8. Encore une fois, pour pouvoir fixer une amende en fonction du montant fraudé, encore faudrait-il que ce montant soit définitivement établi, ce que seul le juge de l’impôt peut faire. Quelle est la position du Gouvernement sur ce point ?
Je donnerai ensuite la position définitive de la commission, qui tendrait à faire vivre cette question dans le débat parlementaire, afin de la trancher définitivement.
J’entends bien qu’il n’y a qu’une dizaine de cas par an.
Quant à la demande de révision du procès pénal, c’est tout de même assez lourd : un contribuable a été condamné pour fraude fiscale, mais le juge de l’impôt considère que l’imposition n’est pas due ; l’élément matériel de l’infraction disparaît alors.
Peut-être y a-t-il une solution plus simple ?
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Cette question est importante, même si elle ne concerne que très peu de cas.
Dans les faits, et c’est la contrepartie de notre débat sur le verrou de Bercy, les dossiers qui arrivent sur le bureau du juge sont en général extrêmement sérieux, ils ont passé plusieurs étapes de sélection, contrairement à ce qui se passe dans d’autres cas de dualité de juridictions. Il y a d’abord eu un contrôle fiscal, qui a été transmis à la CIF, puis le dossier a été déposé sur le bureau d’un magistrat. La sélectivité est donc très forte.
Nous pouvons tous en convenir, le moment auquel le juge prendra une décision sur le dossier ne sera pas remis en cause par ce que fera l’autre juge, celui de l’impôt.
Dans les faits, le juge pénal suspend et demande au tribunal administratif de juger. Cela se passe actuellement pour de grands dossiers, sur lesquels le Gouvernement, par exemple, fait appel : cela commence par une poursuite pénale ; le juge lui-même demande l’arrêt de la procédure ; le tribunal administratif se prononce, un appel est formé, puis le juge pénal reprend le dossier.
Il y a une pleine juridiction du juge pénal. Cela paraît compliqué, par rapport à la dualité de nos tribunaux, de retirer la compétence au juge pénal !
Encore une fois, seuls quelques cas sont concernés. Dans les faits, le juge pénal suspend lorsqu’il veut que le juge de l’impôt prenne sa décision. À la fin des fins, les dossiers, très sérieux, arrivent sur le bureau d’un juge tout aussi sérieux. Il n’y a pas de remise en cause du jugement des enquêteurs et du contrôle de l’administration.
Je ne pense donc pas que ce sursis à statuer ait un intérêt ; il aurait surtout pour conséquence de retarder la procédure. Vous allez permettre aux contribuables de suspendre les poursuites, alors même que vous nous encouragez à aller plus vite et à ce que la justice se saisisse plus rapidement des dossiers.
Ce travail est déjà fait, en grande partie, dans la pratique. Vos amendements auront surtout pour conséquence de retarder les condamnations pénales et de rendre moins efficace l’arsenal que nous proposons pour lutter contre la fraude fiscale.
Je vous invite donc à rejeter ces amendements.
Je vous rappelle, madame Goulet, que l’Assemblée nationale pourra toujours prévoir des dispositions. Nous devons considérer en premier lieu l’efficacité de notre système de lutte contre la fraude et condamner au plus vite les cas de fraude.