Mme Marie-Pierre de la Gontrie. On a l’habitude !
M. Gérald Darmanin, ministre. … car les réunions budgétaires se terminent – nous ne sommes plus que deux ministres à ne pas être encore passés sous les fourches caudines de M. le Premier ministre.
M. Roger Karoutchi. Quel ministre ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Veuillez excuser mon absence durant une heure pour le bien de la Nation et des dépenses publiques… Olivier Dussopt me remplacera, mais, comme je vous manquerai beaucoup, je reviendrai vite ! (Sourires. – Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, madame la rapporteur pour avis, mes chers collègues, après avoir remercié M. le ministre d’avoir présenté le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude, je tiens à me féliciter que ce texte ait été déposé en premier lieu sur le bureau du Sénat.
Vous le savez, ce sujet, bien connu de la Haute Assemblée, a pris une ampleur nouvelle après la crise financière de 2008, qui a entraîné une rupture dans la prise de conscience des enjeux liés à la fraude et l’évasion fiscales, avec une mise en tension des finances publiques. Il en a sans doute résulté une volonté de lutter contre les phénomènes d’évitement de l’impôt ; cela s’est imposé comme un impératif économique et social, qui mobilise bien sûr à la fois les pouvoirs publics et les citoyens.
Vous le savez également, de nombreuses initiatives internationales ont été prises – la commission des finances les connaît bien. Je pense, sans être exhaustif, au projet de lutte contre l’érosion de la base fiscale et le transfert de bénéfices, plus communément appelé BEPS, aux mesures de nature à lutter contre l’optimisation fiscale, au projet d’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés, le projet ACCIS, ou encore, tout récemment, à la proposition de directive tendant à contraindre les intermédiaires fiscaux à déclarer les dispositifs de planification fiscale adoptée en mai dernier par le conseil Écofin.
À l’échelon national, c’est la lutte contre la fraude fiscale qui a ces dernières années concentré toutes les attentions, avec le renforcement des procédures et des sanctions ; je pense à la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, par le biais de laquelle a été créé le parquet national financier et à la loi du 9 décembre 2016, dite « Sapin II », qui comporte un important volet relatif à la fraude. Bref, ces différentes lois ont renforcé l’arsenal de la lutte contre la fraude.
Pour autant, cet arsenal largement renouvelé n’a pas empêché la poursuite de conduites et de pratiques tendant à contourner l’impôt ; la révélation récente des affaires des « Panama papers » et des « Paradise papers » a montré l’ampleur de la fraude.
Le présent projet de loi complète donc les dispositifs existants, tout en s’attachant à traiter la fraude à la fois fiscale, douanière et, peut-être dans une moindre mesure, sociale. En effet, les onze articles qu’il contient renforcent les moyens dont dispose l’administration, ainsi que les sanctions applicables. Il doit s’entendre, selon l’exposé des motifs lui-même, comme le « pendant » du « droit à l’erreur », que le projet de loi pour un État au service d’une société de confiance tend par ailleurs à reconnaître.
Pour en revenir au texte que nous examinons, je ne puis, monsieur le ministre, qu’en partager l’esprit et en accueillir très favorablement les dispositions relevant de la commission des finances, dans la mesure où les articles 1er, 8 et 9 ont été délégués au fond à la commission des lois – notre collègue Nathalie Delattre nous en parlera dans un instant.
Je me félicite tout particulièrement de l’article 4, qui permet de sécuriser la déclaration automatique par les plateformes en ligne des revenus perçus par les utilisateurs, comme vous l’avez mentionné, monsieur le ministre. Cette mesure est directement issue des propositions du groupe de travail de la commission des finances pour adapter la fiscalité et le recouvrement de l’impôt à l’heure du numérique, des amendements adoptés, me semble-t-il, à l’unanimité par le Sénat.
J’émets en revanche des réserves sur la réalité de l’élargissement opéré par l’intégration dans le droit français de la liste européenne des États et territoires non coopératifs, les ETNC, proposé à l’article 11. En effet, un seul État figurant sur la liste européenne se verra appliquer l’ensemble des sanctions : les Palaos. Je ne sais si l’un d’entre vous s’est déjà rendu dans cet État ; peut-être l’un de vos conseillers, monsieur le ministre, y a-t-il rencontré des problèmes de plongée sous-marine ? (Sourires.) Qui plus est, il me semble qu’aucune demande n’a été adressée à cet État. Mais peut-être pourrez-vous nous donner, monsieur le ministre, des explications sur ce point.
Les autres États ne subiront que six des vingt-quatre mesures, et les moins contraignantes. Il convient aussi de rappeler qu’aucun des États figurant sur les listes, française comme européenne, ne constitue en réalité un centre de la finance mondiale, ce qui conduit à relativiser leur portée.
Tout en soutenant les dispositions prévues dans ce projet de loi, la commission des finances a adopté plusieurs amendements visant à renforcer l’efficacité et à garantir la sécurité juridique.
Je pense, par exemple, aux amendements tendant à étendre à la Direction générale des douanes et droits indirects, la DGDDI, le volet « utilisateurs », et non seulement le volet « éditeurs », du dispositif de lutte contre les logiciels permissifs prévu à l’article 2. Je pense aussi aux mesures prévues à l’article 4 par la commission concernant les plateformes en ligne, c’est-à-dire à la déclaration des revenus de leurs utilisateurs. Je pense également à réservation de la publicité des sanctions fiscales des personnes morales aux sanctions devenues définitives, proposée par la commission, mais vous avez indiqué, monsieur le ministre, que vous aviez un petit désaccord sur l’article 6. Voilà quelques-uns des apports.
Nous n’avons pas supprimé la création d’une sanction des intermédiaires prévue à l’article 7, mais ce dispositif nous apparaît pour le moins complexe, compte tenu, notamment, des relations entre les conseils et leurs clients. On devrait prévoir a minima que le tiers ne puisse être sanctionné qu’une fois que la décision prise à l’encontre du contribuable est devenue définitive. Mais nous aurons l’occasion d’y revenir.
Au-delà de ces apports aux dispositions proposées par le Gouvernement, la commission des finances a complété le projet de loi, en adoptant dix articles additionnels, qui prévoient, pour certains d’entre eux, des mesures ambitieuses, tel que le rétablissement de la faculté transactionnelle de l’administration fiscale. Mais, comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, nous avons souhaité y intégrer deux volets absents de votre projet de loi, qui sont le fruit d’initiatives parlementaires, l’un portant sur ce que l’on appelle communément le verrou de Bercy et l’autre sur la lutte contre la fraude à la TVA sur internet.
La lutte contre la fraude à la TVA sur internet est massive, notamment dans le cadre du commerce en ligne. Nous ne pouvons rester sans rien faire, alors que les pratiques illicites sont connues. J’ai rencontré il y a quelques jours des membres de la direction nationale d’enquêtes fiscales, la DNEF, et ceux-ci m’ont indiqué à quel point cette fraude était massive, y compris sur des plateformes reconnues, où il y a malheureusement un phénomène massif d’évitement de la TVA.
La commission des finances a, vous le savez, institué un régime de responsabilité solidaire des plateformes pour le paiement de la TVA due par les vendeurs qui y exercent leur activité. Monsieur le ministre, je crois profondément à l’utilité de ce dispositif, que nous serons d’ailleurs nombreux à défendre au sein de cet hémicycle.
Permettez-moi de citer à nos collègues qui ont besoin d’être convaincus l’exemple du Royaume-Uni, où un régime similaire a été mis en place et qui porte d’ores et déjà ses fruits : 28 000 vendeurs en ligne hors Union européenne sont aujourd’hui enregistrés, contre seulement 1 600 en 2016. Ce dispositif a apporté 220 millions de livres sterling de recettes supplémentaires. Dans le même temps, en France, seules 3 000 sociétés sont enregistrées, qui ont fait l’objet de dix-huit contrôles, avec 2 millions d’euros de droits et pénalités notifiés et moins de 500 000 euros effectivement recouvrés !
On ne peut effectivement pas demander à un contrôleur d’être derrière chaque plateforme ni derrière chaque acheteur en ligne, mais le meilleur moyen est d’instaurer un régime de responsabilité solidaire des plateformes. L’exemple du Royaume-Uni témoigne de l’utilité de ce dispositif, que je demande à mes collègues de soutenir.
La commission des finances a également complété ce dispositif par la possibilité de prélever la TVA au moment de la transaction. Elle a également proposé la mise en place d’un abattement forfaitaire de 3 000 euros sur les revenus perçus. Ce sont des sujets que vous connaissez bien, puisque nous en parlons systématiquement lors de l’examen de tous les projets de loi de finances, où ces amendements sont très largement adoptés par le Sénat.
Enfin, dans la minute qui me reste, je dirai un mot sur le fameux verrou de Bercy, c’est-à-dire la procédure applicable aux poursuites pénales pour fraude fiscale.
Pour en avoir le cœur net, j’ai demandé à rencontrer, avec le président de la commission des finances, les services du contrôle fiscal – je suis allé voir trois grandes directions d’enquêtes fiscales. Nous avons constaté que l’administration fait efficacement son travail pour recouvrer le mieux possible les sommes dues à l’État et pour appliquer des pénalités lorsque celles-ci sont de droit. Cela, on ne peut le remettre en cause. Pour autant, nous constatons collectivement que la procédure actuellement applicable est, à juste titre, critiquée, notamment parce qu’elle repose sur des critères prévus dans de simples circulaires parfois peu explicites.
Sur mon initiative, la commission des finances a donc supprimé la procédure dite « du verrou de Bercy » et adopté un nouveau dispositif, en nous inspirant de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui, dans le cadre de questions prioritaires de constitutionnalité importantes, a posé le principe suivant : le cumul entre une sanction administrative et une sanction pénale doit être réservé aux cas les plus graves. Et le Conseil constitutionnel a énuméré un certain nombre d’éléments prouvant la gravité des faits.
C’est pourquoi nous proposons l’instauration d’une transmission obligatoire au parquet des cas les plus graves, selon trois critères : des pénalités d’au moins 80 % ; un montant significatif des droits éludés – le Conseil constitutionnel le demande également – ; et soit une réitération des faits, ce que l’on pourrait appeler une récidive, soit des comportements aggravants.
L’administration conservera la possibilité – ce point est important –, dans des cas exceptionnels, de ne pas poursuivre le fraudeur, mais elle devra en informer le parquet, qui pourra toujours décider de l’opportunité ou non d’engager des poursuites. Bien sûr, même si les critères ne sont pas remplis, l’administration pourra toujours déposer plainte, pour donner l’exemple, la sanction pénale pouvant avoir une vertu pédagogique.
Le dispositif que nous proposons est, me semble-t-il, équilibré et réaliste, et il permet de faire reposer la décision de poursuite pénale non pas sur une procédure interne, mais sur des critères légaux et objectifs. Cela mettra fin aux fantasmes qui peuvent exister.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, je vous invite, mes chers collègues, à adopter le présent projet de loi, tel qu’il est issu des travaux de la commission des finances, amélioré par les travaux de la commission des lois. Nous examinerons au cours des débats un certain nombre d’amendements et de propositions du Gouvernement pour améliorer encore ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Mme Nathalie Delattre, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux tout d’abord vous remercier de m’avoir confié la tâche de rapporter, au nom de la commission des lois, une partie de ce projet de loi, une première expérience d’autant plus enrichissante qu’elle répond à une attente citoyenne forte.
En effet, s’il y a encore quelques années les fraudeurs fiscaux n’étaient considérés que comme faisant défaut aux intérêts financiers d’un État, aujourd’hui ces manœuvres frauduleuses sont perçues comme portant une atteinte directe à l’effort de probité et de solidarité que tout Français, personne privée ou morale, doit avoir envers ses concitoyens. Il est donc nécessaire que le système actuel évolue.
S’il convient de renforcer la sanction d’un contribuable qui se soustrait sciemment à ses obligations contributives, il y a consensus à ne porter devant la justice que les affaires les plus emblématiques et pour lesquelles l’exemplarité de la sanction pénale, avec la publicité qui s’y attache, présente un intérêt majeur. Pour ce faire, ces règles doivent être transparentes et légalisées, et c’est tout le sens du travail qui a été mené au Sénat.
La commission des finances a délégué au fond à la commission des lois l’examen des articles 1er, 8 et 9, et la commission des lois s’est saisie concomitamment pour avis de l’article 5. Aussi, je vous ferai part des conclusions de l’étude approfondie que la commission des lois a menée sur ces quatre articles.
En ce qui concerne l’article 5 relatif à la publicité des condamnations pour fraude fiscale, plus communément appelée le name and shame, la commission des lois estime le dispositif proposé est satisfaisant, en ce qu’il permet de rétablir une règle de condamnation dissuasive, qui se concilie avec le principe d’individualisation des peines. Elle entérine également en l’état l’article 8, qui traite de l’alourdissement des amendes prévues en cas de fraude fiscale, en les portant au double du produit tiré de l’infraction.
La commission des lois juge pertinent l’article 9, qui vise à étendre à la fraude fiscale la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, plus communément appelée le « plaider-coupable ».
La CRPC, la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, déclenchée sur l’initiative du procureur, permet d’éviter un long procès, sans effacer pour autant la culpabilité de l’auteur, puisque la peine est homologuée par le président du tribunal de grande instance en audience publique. La commission des lois veut même aller plus loin, puisqu’elle propose d’introduire deux outils complémentaires à la disposition des juges.
Nous proposons, en premier lieu, d’inscrire la jurisprudence Talmon dans la loi. Depuis 2008, la Cour de cassation considère que le parquet peut engager des poursuites sur le fondement du blanchiment de fraude fiscale, le blanchiment étant considéré comme un délit distinct de la fraude. L’objet de notre amendement est donc de sécuriser les procédures engagées depuis une dizaine d’années sur la base de cette jurisprudence.
En second lieu, dans le même esprit et en lien avec une proposition pertinente de nos collègues députés, Émilie Cariou et Éric Diard, formulée dans leur rapport d’information sur le verrou de Bercy, nous vous proposons d’étendre à la fraude fiscale la possibilité de conclure une convention judiciaire d’intérêt public, la CJIP.
La conclusion d’une telle convention par une personne morale est possible sur la seule proposition du procureur. Elle implique de verser au Trésor public une amende d’intérêt public et de mettre en œuvre un programme de mise en conformité. La convention est obligatoirement homologuée par un juge, qui doit également en faire publicité via un communiqué de presse.
Déjà autorisée pour le blanchiment de fraude fiscale, la CJIP a été utilisée avec succès par le parquet national financier pour traiter certains dossiers. Il est donc cohérent de l’autoriser aussi pour la fraude fiscale.
Enfin, la commission des lois a procédé à la suppression de l’article 1er, qui vise la création, au sein du ministère du budget, d’un nouveau service à compétence nationale chargé de mener des enquêtes judiciaires en matière de fraude fiscale.
Sur ce point, monsieur le ministre, nous avons une divergence forte : si le Sénat a montré sa volonté de « déverrouiller Bercy » dans ses travaux menés au cours des dernières semaines – sa position est d’ailleurs constante depuis des années –, ce n’est certainement pas pour entrer dans une logique de création d’une police de Bercy !
Depuis 2010, procureurs et juges d’instruction peuvent s’appuyer sur une brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, la BNRDF. Dépendant du ministère de l’intérieur, et coadministrée par Bercy, cette brigade associe des officiers de police judiciaire et des officiers fiscaux judiciaires. Elle peut ainsi mettre en œuvre les techniques d’investigation de la police judiciaire et bénéficier d’une expertise pointue en matière fiscale. Cette brigade, originale par sa mixité de fonctions, comprend environ quarante personnes, qui peuvent s’appuyer sur l’ensemble du maillage territorial de la police judiciaire, soit environ 5 700 personnes.
Le Conseil d’État précise dans son avis qu’un second service d’enquête judiciaire fiscale hors du ministère de l’intérieur serait concurrent du premier. Il dit même ne pas comprendre pourquoi, dans un souci de bonne administration, n’est pas retenue l’option consistant à renforcer le service existant.
La commission des lois et la commission des finances sont également peu convaincues du bien-fondé de la création d’une nouvelle police, alors que la BNRDF a déjà pour mission de mener des enquêtes fiscales, et uniquement cela. Il nous semble plus sain et plus efficace de doter cette brigade de moyens supplémentaires, plutôt que de créer un nouveau service, qui risque d’alimenter une guerre des polices (M. le ministre fait un signe de dénégation), préjudiciable à l’efficacité de l’action publique, et de faire fi de la nécessaire coordination que nécessite ce type de dossiers complexes. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Demande de réserve
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour la bonne organisation de nos débats, je demande, au nom de la commission des finances, la réserve de l’article 9 ter du présent projet de loi, et des amendements qui s’y rattachent, jusqu’après l’article 13.
En effet, l’article 9 ter modifie l’article L. 228 du livre des procédures fiscales. Or plusieurs amendements déposés à l’article 13 tendent à proposer une nouvelle rédaction de ce même article, voire à l’abroger.
Aussi convient-il d’examiner l’article 13 avant l’article 9 ter.
M. le président. Je suis donc saisi d’une demande de la commission tendant à réserver l’examen de l’article 9 ter jusqu’après l’examen de l’article 13.
Je rappelle que, aux termes de l’article 44, alinéa 6, du règlement, lorsqu’elle est demandée par la commission saisie au fond, la réserve est de droit, sauf opposition du Gouvernement.
Quel est l’avis du Gouvernement sur cette demande de réserve formulée par la commission ?
M. Didier Rambaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, je salue, au nom du groupe La République En Marche, un texte qui s’inscrit dans la continuité du projet de loi pour un État au service d’une société de confiance et dans un ensemble de mesures qui donnent un sens à l’action du Gouvernement. Ce sens, c’est celui de la responsabilité et de l’émancipation, pour permettre à chacun d’avoir une chance de lutter contre les rentes et de punir ceux qui trichent.
Le projet de loi dont nous discutons aujourd’hui n’intervient pas en réponse à une affaire ou à un scandale, comme cela a pu se produire sous les majorités précédentes, mais comme une réponse pragmatique à un combat qui prend encore plus de sens dans un pays qui arrête de surréglementer, qui cesse d’imposer à ses entreprises et à ses citoyens des obstacles qui n’existent pas à l’étranger.
Mais ce permis de faire ne signifie pas laisser-faire ! C’est tout l’enjeu du projet de loi que vous présentez, monsieur le ministre.
Mes chers collègues, nous avons ici un texte qui apporte une réponse pragmatique à un ensemble de comportements de fraude, ainsi que de nouvelles dispositions qui aideront les services de l’administration à lutter contre ces comportements.
C’est le cas de l’article 2, qui renforce les moyens des agents des douanes pour lutter contre les logiciels conçus pour permettre ou organiser la fraude. Les agents auront accès au code source et à la documentation des logiciels en cause. Il s’agit d’une mesure de bon sens, qui répond à un besoin identifié des agents des douanes. Je crois d’ailleurs que le travail de ces derniers est reconnu à travers ce projet de loi, un travail difficile mais ô combien majeur !
Le texte rend plus effectif le droit de communication dont les agents des douanes bénéficient pour la recherche de la fraude douanière et l’établissement de l’assiette des impositions douanières.
Certes, comme pour les avancées de l’article 3 sur l’échange et l’ouverture de fichiers à différents métiers, notamment aux assistants spécialisés mis à disposition des juridictions, personne ne félicitera le Gouvernement pour ces mesures, mais elles seront aussi efficaces qu’elles sont attendues par ceux qui travaillent au quotidien contre ce qui mine notre pacte républicain.
Gardienne d’un temps long au seul bénéfice de l’intérêt général et de la Nation, notre assemblée doit se réjouir de mesures qui ne sont prises ni dans l’émotion ni dans la réaction.
Ce texte est un texte pragmatique, mais pas seulement. En réalité, la philosophie sur laquelle il repose a deux jambes : pris comme un tout, les mesures proposées allient pragmatisme et exemplarité.
Citons, à l’article 6, l’introduction du name and shame en droit français ou encore l’automaticité de la peine complémentaire de publication en cas de fraude fiscale. Voilà deux mesures nécessaires et complémentaires à la confiance qui est accordée aux entreprises et aux particuliers. Ceux qui travaillent en respectant les règles ne peuvent supporter l’impunité face aux comportements déloyaux.
Enfin, ce texte prévoit de nouvelles voies juridictionnelles utiles, comme l’extension de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité à la fraude fiscale, qui permettra une réponse pénale plus rapide et plus efficace. Le plaider-coupable en matière de fraude fiscale, c’est un gain de temps dans le traitement des procédures de fraude fiscale, une réparation plus rapide pour les parties civiles et une répression plus effective, mieux acceptée et exécutoire de plein droit.
Mes chers collègues, face à ce texte, nous devons faire le choix de l’efficacité.
Tout d’abord, j’appelle le Sénat à la raison pour qu’il réintroduise l’article 1er, supprimé par la commission des lois.
Mme Nathalie Goulet. Ah non !
M. Didier Rambaud. Au regard de l’importance du sujet pour nos concitoyens, comment peut-on s’opposer à la création d’un nouveau service de lutte contre la fraude ? Comment peut-on croire que les postes qui allaient être créés seront créés ailleurs ? Soyons-en sûrs, l’article 1er prévoit la création d’un nouveau service spécialisé pour les cas de fraude complexe, tandis que le champ des dossiers transmis à la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, la BNRDF, est beaucoup plus large et que le volet fiscal n’est qu’une partie du dossier.
Acceptons de créer un nouveau service et évaluons plus tard son action et son efficacité. Ne nous privons pas de moyens supplémentaires pour lutter contre la fraude !
Par ailleurs, ne cédons pas au corporatisme facile : je pense au souhait de certains de supprimer l’article 7, suppression qui, non seulement nuirait à la logique d’ensemble du texte, mais supprimerait également une mesure jugée efficace et dissuasive par les experts du droit.
En outre, mes chers collègues, j’entends souvent un Sénat critique à l’égard des textes longs et complexes. Or nous avons là un texte initial court, composé de onze articles, dont l’architecture est claire. Respectons ce paquet de mesures. Le Parlement aura le temps de les évaluer plus tard, de les améliorer et de les compléter au besoin.
La fraude fiscale bafoue nos principes républicains les plus essentiels ; elle mine les finances publiques – cela représente 29 milliards à 40 milliards d’euros selon les estimations du Conseil des prélèvements obligatoires. C’est autant d’argent qui n’est pas investi au service des Françaises et des Français. Soyons efficaces, pragmatiques et réalistes dans nos débats !
Le groupe La République En Marche suivra donc l’évolution du texte à travers les discussions que nous aurons ensemble. Notre groupe soutiendra les mesures qui complètent le texte, comme ont pu le faire nos collègues rapporteurs de la commission des lois et de la commission des finances, et s’opposera aux mesures d’affichage, inapplicables ou qui réduiraient de fait l’efficacité de la réponse face à la fraude, que cette réponse soit administrative ou pénale.
Notre groupe souhaite également rappeler l’excellent travail de nos collègues députés membres de la mission d’information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales. C’est parce que nous respectons le droit d’amendement de nos collègues parlementaires de l’Assemblée nationale que nous ne soutiendrons pas les mesures qui se réfèrent aux conclusions de cette mission, conclusions qui ne contiennent aucune proposition légistique, je tiens à le rappeler.
Il en va de même pour l’article 13, qui nous donnera néanmoins l’occasion d’une discussion dans l’hémicycle, plus propice au débat démocratique que dans la presse ! (M. Arnaud de Belenet et Mme Michèle Vullien applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Monsieur le ministre, lorsque le Gouvernement auquel vous appartenez a annoncé en début d’année son plan de lutte contre la fraude, certains se sont pris à rêver du grand soir fiscal. Enfin ! Voilà un gouvernement proactif qui s’attaque au dossier de l’évasion fiscale, sans y être poussé par un nouveau scandale révélé par la presse ou les lanceurs d’alerte. C’est dire si nous attendions avec une certaine impatience vos propositions. (M. François Bonhomme s’exclame.)
À la lecture de votre projet de loi, nous voulons vous dire d’emblée que nous restons sur notre faim !