Mme Nathalie Goulet. Excellent rapport !
M. Jérôme Bascher. … fut publié dans le cadre d’une commission d’enquête sénatoriale présidée par Philippe Dominati.
En octobre 2013, un second rapport d’Éric Bocquet,…
Mme Nathalie Goulet. Tout aussi excellent !
M. Jérôme Bascher. … bis repetita placent,…
M. Jérôme Bascher. … fut publié à l’initiative d’une commission d’enquête sénatoriale sur le rôle des banques, présidée par François Pillet. Il faut croire que le grand appétit de justice fiscale et sociale de M. Bocquet n’est pas rassasié…
La question de la fraude liée à l’économie collaborative a été également un sujet de préoccupation de notre commission des finances à travers son groupe de travail sur la fiscalité du numérique, qui a conduit à la remise d’un rapport en mars 2017.
Actuellement, un groupe de suivi de la commission sur la fraude et l’évasion fiscales travaille également sur le sujet de la fraude.
Le Sénat a adopté à plusieurs reprises, souvent à l’unanimité, des mesures contenues dans le rapport de 2017, mais notre assemblée, hélas ! n’a pas été suivie par l’Assemblée nationale.
Comme le rapporteur Albéric de Montgolfier, dont je tiens à saluer la constance sur ces sujets, je me félicite du fait que la vertu pédagogique de la répétition ait fait évoluer le Gouvernement, d’une part, et, nous l’espérons, l’Assemblée nationale, d’autre part.
M. Roger Karoutchi. Ouh là !
M. Jérôme Bascher. Il s’agit de l’obligation pour les plateformes d’économie collaborative de transmettre au fisc les revenus de leurs utilisateurs. Jusqu’à présent, les plateformes n’avaient l’obligation de ne communiquer le montant annuel des revenus qu’à leurs seuls bénéficiaires et de rappeler à ces derniers les règles fiscales et sociales applicables afin de les inciter à les déclarer.
Si la commission des finances a depuis longtemps prôné des mesures encourageant la fiscalisation des revenus sur les plateformes en ligne, elle a cependant toujours estimé qu’un abattement était nécessaire.
Une franchise de quelques milliers d’euros par an semble préférable à une fiscalisation au premier euro, afin d’exonérer les petits compléments de revenus occasionnels permettant de « boucler des fins de mois », à distinguer d’activités dégageant des recettes plus substantielles et professionnalisées, relevant de la fraude.
C’est pourquoi notre groupe soutient l’adoption d’un abattement forfaitaire de 3 000 euros, qui avait déjà été adopté à l’unanimité par le Sénat dans le projet de loi de finances pour 2018, avant d’être rejeté, encore une fois, par l’Assemblée nationale.
De la même façon, nous soutenons l’interdiction, pour les plateformes en ligne, d’effectuer des versements à leurs utilisateurs sur des cartes prépayées. Ce système de cartes permet en effet de rendre « invisibles » aux yeux du fisc les revenus perçus par les utilisateurs.
Notre commission s’est également intéressée depuis plusieurs années au cas spécifique de la fraude à la TVA. Nous vous demandons, de ce fait, monsieur le ministre, que les dispositions que nous avons adoptées à l’unanimité en commission soient conservées dans le texte final.
Vous le savez bien, des plateformes en ligne, comme Amazon ou Alibaba – celle-ci ne doit pas se transformer en quarante voleurs de TVA (Sourires.) –, vendent directement leurs produits référencés, mais servent également de marketplaces entre des vendeurs particuliers, professionnels ou non, et des acheteurs en ligne.
Or les vendeurs professionnels situés dans des pays étrangers ne transmettent souvent pas de numéro de TVA à ces plateformes et en conséquence ne paient pas de TVA, ce qui leur permet d’afficher des prix inférieurs de 20 % à ceux du marché.
La perte de recettes est estimée au bas mot à 1 milliard d’euros. Monsieur le ministre, alors que vous grappillez euro après euro dans les conférences budgétaires, pourquoi négliger 1 milliard ? Cette recette serait la bienvenue pour lutter contre notre déficit.
M. Jérôme Bascher. Pour remédier à cette situation, la commission des finances, sur l’initiative de notre rapporteur général, a souhaité que le numéro soit obligatoirement collecté par les plateformes. À défaut, ces dernières doivent être solidaires fiscalement si des vendeurs coupables de fraude à la TVA sont détectés par l’administration et qu’il s’avère qu’aucune mesure n’a été prise par la plateforme.
Ce dispositif est inspiré du système britannique qui a fait ses preuves et qui a permis d’augmenter les recettes de TVA outre-Manche.
L’article 4 quater adopté par la commission des finances reprend également une mesure envisagée par le Royaume-Uni et déjà adoptée au Sénat à plusieurs reprises.
Enfin, notre commission a prévu une solidarité fiscale des filiales françaises des plateformes pour les amendes en cas de non-respect du devoir d’information des utilisateurs quant à leurs obligations fiscales et sociales et en cas de non-transmission au fisc des revenus des utilisateurs, ainsi qu’une solidarité fiscale des filiales françaises des entreprises auxquelles est appliquée l’amende pour manquement au droit de communication non nominatif.
La première mesure a pour objet d’éviter que les grandes plateformes, qui sont pour la plupart situées à l’étranger, ne s’affranchissent des obligations prévues à l’article 4, alors même qu’elles disposent de plusieurs filiales en France.
La seconde mesure vise, de la même façon, à obliger les filiales françaises des plateformes en ligne à transmettre des informations non nominatives à l’administration fiscale en les rendant solidairement responsables du paiement des amendes. Cette obligation d’information incombe, en effet, aux sites en ligne depuis 2015, mais elle est peu appliquée quand ceux-ci ont leur siège dans un pays tiers.
Venons-en maintenant au sujet légendaire du « verrou de Bercy ».
Notre commission des finances a fait des propositions qui, assurément, permettent d’atteindre un équilibre entre la nécessité de l’efficacité et la nécessité de la transparence, reprenant les pistes que j’avais tracées voilà deux mois à cette tribune.
En effet, lorsqu’il y a quelques semaines j’ai rapporté la proposition de loi de notre collègue socialiste Marie-Pierre de la Gontrie renforçant l’efficacité des poursuites contre les auteurs d’infractions financières et supprimant le « verrou de Bercy », j’avais mis en garde contre les conséquences d’un transfert brutal de tous les dossiers de fraude fiscale à l’autorité judiciaire.
Les risques d’engorgement des tribunaux, de perte d’expertise et de perte de confidentialité sont réels. Le temps de l’impôt est le temps de l’économie, qui n’est pas le temps de la justice. Il y a là un risque majeur.
Toutefois, j’avais insisté également sur la nécessité d’encadrer davantage le système afin de le rendre parfaitement transparent et contrôlable. J’avais invité les fonctionnaires de Bercy à ne pas avoir peur de la transparence eu égard à leur probité. Ainsi j’avais prôné, avant le rapport Cariou, que les critères de sélection des dossiers par Bercy et la commission des infractions fiscales, aujourd’hui définis par une circulaire, soient redéfinis par la loi. Tel est l’objet du nouvel article 13, introduit dans ce projet de loi par notre commission des finances.
Ce système de critères transparents, car définis par la loi, entraînerait donc obligatoirement le dépôt par l’administration fiscale d’une plainte pour fraude fiscale auprès du parquet.
Ces critères sont cumulatifs : la fraude devrait porter sur un montant suffisamment élevé qui serait défini par décret en Conseil d’État et entraîner une pénalité possible d’au moins 80 %, avec un comportement du fraudeur d’une gravité particulière – y compris, pourquoi pas, pour les parlementaires –, par exemple la réitération qui serait considérée comme une circonstance aggravante. Sauf exception particulière, l’administration devra aller devant le parquet, qui, comme l’a souligné à juste titre mon collègue Capus, pourra toujours demander à se saisir d’un dossier, même si les deux critères cumulatifs ne sont pas remplis. Ainsi, le parquet reste maître des poursuites.
Cette réforme du « verrou de Bercy » n’est peut-être pas la suppression que vous attendiez, le verrou étant trop souvent fantasmé. En tout état de cause, nous garantissons l’efficacité en matière de recouvrement, ce qui est le plus important.
Les dossiers les plus substantiels seront confiés à l’autorité judiciaire et les dossiers les moins importants pourront faire l’objet d’un traitement plus rapide, la répartition des dossiers étant fondée sur des critères clairs et contrôlés par la représentation nationale.
Pour conclure, le groupe Les Républicains votera ce projet de loi tel qu’il a été amélioré et enrichi par les travaux de notre Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions. – M. Emmanuel Capus applaudit également.)
M. Ladislas Poniatowski. Excellent !
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, madame la rapporteur pour avis, chère Nathalie, mes chers collègues, ce projet de loi relatif à la lutte contre la fraude a été déposé devant notre assemblée le 28 mars dernier.
Après le projet de loi pour un État au service d’une société de confiance examiné en début d’année en première lecture, et que nous allons bientôt réexaminer en nouvelle lecture, ce texte se présente comme son pendant répressif, comme cela est clairement expliqué dans l’exposé des motifs : « Si, face à la complexité de notre système de prélèvements fiscaux et sociaux, il peut arriver au contribuable de bonne foi de commettre erreur ou oubli, appelant de l’administration un traitement bienveillant, le fait de se soustraire sciemment à ses obligations contributives doit être poursuivi avec la plus grande efficacité, et sévèrement sanctionné ».
La fraude fiscale coûterait entre 60 et 80 milliards d’euros par an à l’État, soit environ 20 % des recettes fiscales brutes. Ce n’est pas rien ! La fraude la plus importante concerne la TVA. Viennent ensuite l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur le revenu. Le taux de fraude à la TVA est élevé dans la plupart des États européens, autour de 50 %, la France se situant dans la moyenne.
Il faudrait ajouter entre 40 et 60 milliards d’euros par an du fait de l’optimisation fiscale agressive, je serais même tenté de dire très agressive. Ces chiffres sont obtenus par extrapolation à partir des cas de fraude identifiés par l’administration fiscale, que cette fraude soit intentionnelle ou non. Ils ne correspondent pas au montant effectivement redressé.
Enfin, la fraude sociale au sens strict – fraude aux prestations et minima sociaux – ou au sens large – fraude au droit du travail, à l’assurance maladie du fait du salarié ou de l’employeur – existe, mais représente des montants nettement inférieurs à ceux de la fraude fiscale, contrairement à ce que l’on imagine généralement. Elle s’élève de quelques centaines de millions à quelques milliards d’euros par an.
Les dispositions du texte concourent à trois objectifs : mieux détecter, mieux appréhender et mieux sanctionner la fraude.
En matière de détection, le projet vise à faciliter l’échange de données entre administrations concourant à la lutte contre les fraudes fiscales, sociales et douanières, et la transmission d’informations par les plateformes d’économie collaborative.
En matière d’appréhension de la fraude, elles renforcent les moyens d’investigation.
Enfin, en matière de sanction, les dispositions complètent et alourdissent l’arsenal existant, notamment dans une logique plus large de publicité – c’est important –, mais aussi par des méthodes inspirées du monde anglo-saxon, comme le name and shame.
Je reviendrai plus précisément sur l’article 1er du projet de loi. La commission des lois, par la voix de sa rapporteur, a décidé de le supprimer, estimant qu’il conduisait à créer un doublon avec les services d’officiers fiscaux judiciaires déjà présents au sein du ministère de l’intérieur. En cela, la commission a suivi l’avis du Conseil d’État qui s’était montré plutôt défavorable à cette mesure.
L’article 2 vise à renforcer les moyens dont disposent les agents des douanes pour lutter contre les logiciels dits « permissifs », conçus pour permettre la fraude et la dissimuler, à l’instar de ceux dont bénéficient déjà les agents de la direction générale des finances publiques.
L’article 3 renforce l’accès à l’information utile à l’accomplissement des missions de contrôle et de recouvrement des agents chargés de la lutte contre la fraude, notamment en ouvrant aux assistants spécialisés de l’autorité judiciaire l’accès aux fichiers de la direction générale des finances publiques.
L’article 4, qui a fait l’objet d’amendements nombreux en commission des finances, précise les obligations fiscales et sociales imposées aux plateformes d’économie collaborative.
Le titre II du projet de loi prévoit un renforcement des sanctions contre la fraude fiscale, sociale et douanière, ce qui en fait le volet le plus répressif de ce texte.
L’article 5 prévoit par défaut l’application de la peine complémentaire de publication et de diffusion des décisions de condamnation pour fraude fiscale, aujourd’hui prononcée de manière facultative par le juge répressif.
L’article 6 prévoit la création d’une sanction administrative complémentaire des sanctions financières existantes, consistant à rendre publics les rappels d’impôts et les sanctions administratives pécuniaires dont ils ont été assortis, une fois devenus définitifs.
L’article 7 crée une sanction administrative de 10 000 euros ou, si le montant est supérieur, de 50 % des revenus tirés de la prestation fournie au contribuable, exclusive des sanctions pénales, applicable aux personnes qui concourent, par leurs prestations de services, à l’élaboration de montages frauduleux ou abusifs.
L’article 8 aggrave la répression pénale des délits de fraude fiscale en prévoyant que le montant des amendes puisse être porté au double du produit tiré de l’infraction.
L’article 9 vise à ouvrir la faculté au procureur de la République de recourir à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, le fameux « plaider-coupable », en matière de fraude fiscale.
L’article 10 renforce les sanctions douanières applicables en cas d’injures, de maltraitance ou encore de troubles à l’exercice des fonctions des agents des douanes, ainsi qu’en cas de refus de communication des documents demandés.
Enfin, l’article 11 complète la liste française des États et territoires non coopératifs en matière fiscale afin qu’elle intègre celle qui a été adoptée par l’Union européenne en décembre 2017.
Le texte a été enrichi lors de l’examen en commission de plusieurs dispositions, en particulier l’autorisation de la convention judiciaire d’intérêt public – ou encore transaction pénale – en matière de fraude fiscale, à l’article 9 bis.
À l’article 11 concernant la liste des paradis fiscaux, les membres de la commission des finances ont ajouté avec sagesse la prise en compte de l’échange d’informations et la mention de critère de la liste européenne des paradis fiscaux.
Surtout, le nouvel article 13, au sein d’un nouveau titre nommé « réforme de la procédure de poursuite pénale de la fraude fiscale », tend à desserrer le « verrou de Bercy » puisque des dossiers qui rempliront certains critères cumulatifs devront automatiquement être transmis au parquet, qui pourra alors engager des poursuites pénales.
Ces différents sujets, qui sont présents dans le débat public depuis des affaires ayant émaillé le précédent quinquennat, ont déjà été abordés lors de l’examen de la loi de 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière et de la loi Sapin II.
Ils résonnent aussi avec l’actualité et les mesures prises à l’échelle internationale, notamment sous l’égide de l’OCDE, avec l’accord multilatéral de 2016 sur l’échange de déclarations pays par pays et, dernièrement, la convention multilatérale de lutte contre l’érosion des bases d’imposition et le transfert de bénéfices, ratifiée par la Haute Assemblée le 19 avril dernier.
Pour l’heure, mon groupe, après une grande discussion, partage évidemment les objectifs de ce projet de loi.
M. le président. Merci de conclure, cher collègue !
M. Yvon Collin. Il déterminera sa position définitive en fonction des débats. (MM. Jean-Claude Requier, François Patriat et François Bonhomme applaudissent.)
Merci de votre indulgence, monsieur le président, car j’ai largement dépassé le temps qui m’était imparti.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, un débat sur la fraude fiscale de plus n’est jamais un débat sur la fraude fiscale de trop !
Nous sortons, on l’a déjà dit, du cycle « un scandale, une annonce, un texte ». Néanmoins, ce n’est pas le grand soir de la lutte contre la fraude fiscale, comme vous l’avez vous-même reconnu à la tribune, monsieur le ministre. J’ai déposé avec mon groupe une batterie d’amendements, notamment pour mieux lutter contre la fraude sociale, puisque notre pays compte 1,8 million de faux numéros d’INSEE, qui sont 1,8 million de fois « Sésame, paie-moi » ! Nous avons également déposé des amendements sur la suppression du « verrou de Bercy » et prévu un certain nombre de propositions pour mieux coordonner les procédures judiciaires et administratives.
Je souhaite revenir sur les conditions d’examen de ce texte. Il devait être examiné à la fin du mois de juillet, il est discuté au début du mois. Nous avons certes travaillé en commission, mais à un rythme tout à fait déraisonnable par rapport à l’enjeu.
De plus, le Gouvernement a décidé d’engager la procédure accélérée alors que, une fois encore, rien ne le justifie. Nous allons donc être privés de la navette pour améliorer des dispositifs qui, reconnaissez-le, monsieur le ministre, sont quand même importants. Je pense notamment à l’article 4 sur la fiscalité du numérique, pour lequel il aurait été utile de consulter la commission de la culture et notre collègue Catherine Morin-Desailly. Certes, la commission des finances est la première concernée, mais vous abordez dans ce texte un certain nombre de sujets qui sont loin d’être inintéressants. Ils sont pourtant examinés en commission à la vitesse du TGV, et non à 80 kilomètres par heure (Sourires.), en ne prévoyant de surcroît qu’une seule lecture.
C’est un procédé indigne du sujet que nous traitons, d’autant qu’il n’y a aucune urgence, comme nous l’avons souligné à plusieurs reprises, à prendre les dispositions que vous proposez.
Monsieur le ministre, avec tout le respect que je vous dois, ainsi qu’au rapporteur général qui est parti, je voudrais, pour avoir travaillé depuis très longtemps sur le sujet, vous dire que ce projet de loi, notamment son article 13, s’apparente à un texte Canada Dry : ça ressemble à la suppression du verrou de Bercy, ça porte le nom du verrou de Bercy, mais ça ne supprime pas le verrou de Bercy !
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Exactement !
Mme Nathalie Goulet. Pour tout dire, sur l’article 11 en particulier, concernant la liste des paradis et des territoires non coopératifs, comme je l’ai déjà dit à cette tribune et puisque c’est la saison, je vous annonce que je déposerai un amendement sur la réforme constitutionnelle de façon que la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales soit inscrite à l’article 34 et qu’enfin le Parlement puisse être associé à l’élaboration de cette liste des territoires non coopératifs, alors qu’on est régulièrement sanctionné.
En résumé, monsieur le ministre, mon modeste sentiment est le suivant : entre la police de Bercy, heureusement supprimée par la commission des lois, et le renforcement des sanctions fiscales, administratives, ce texte apparaît comme un renforcement d’un traitement administratif de la fraude fiscale, au détriment des poursuites pénales. L’alibi de l’encombrement présumé des tribunaux ne constitue pas un motif sérieux pour justifier un texte modeste dont le contenu ne correspond pas aux attentes d’une société de confiance. C’est un signal. L’impression qui se dégage, parodiant Cyrano, est que vous vous servez une réforme fiscale de peur que d’autres ne vous la servent !
En conséquence, nous avons beaucoup à débattre sur ce texte. Je vous demande, monsieur le ministre, de lever l’urgence qui le frappe afin que nous puissions travailler dans de bonnes conditions, car le sujet le mérite ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Thierry Carcenac. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Thierry Carcenac. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur général, madame la rapporteur, mes chers collègues, comme rapporteur spécial de la mission « Gestion des finances publiques », j’ai eu à évoquer à plusieurs reprises les objectifs de la direction générale des finances publiques : asseoir, recouvrer, contrôler les impôts.
Le projet de loi que vous nous soumettez, monsieur le ministre, entre dans ce dernier objectif : contrôler, contrepartie du consentement à l’impôt et d’un système déclaratif. Il fait suite à de nombreuses dispositions fiscales entrées dans notre droit positif sous le précédent gouvernement. Depuis, les révélations de multiples affaires ont jeté un regard insupportable sur l’évasion fiscale agressive et la fraude fiscale organisée. La réprobation des opinions publiques est à la hauteur des montants éludés.
Des dispositions du projet de loi, ainsi que les améliorations apportées par la commission des finances, notamment sur la taxation des plateformes de commerce en ligne, sont de nature à favoriser la lutte contre la fraude. Même si elles mériteraient d’être évaluées par la suite, elles ne peuvent qu’être approuvées par le groupe socialiste et républicain.
Elles viennent rééquilibrer les mesures déjà adoptées concernant la redéfinition du contrôle fiscal par l’examen à distance des comptabilités, la limitation de durée des interventions sur place et les mesures d’allégement des contrôles par la reconnaissance du « droit à l’erreur ».
Ce projet de loi n’exonère cependant pas d’une redéfinition des missions de l’administration fiscale encouragée par la Cour des comptes dans son dernier rapport thématique La DGFiP, dix ans après la fusion, qui évoque une transformation en profondeur des structures et aborde seulement une administration de services et non l’administration de respect des obligations.
Dans un précédent rapport, j’ai évoqué les limites d’une administration de services qui demande beaucoup de moyens humains et matériels alors que la dématérialisation se poursuit.
Monsieur le ministre, quelle place dès lors réserver au contrôle fiscal, qui concerne environ 10 000 agents sur les 105 000 que compte la direction générale des finances publiques ? Dans le passé, c’est-à-dire dans l’ancien monde, était revendiquée la sanctuarisation des effectifs du contrôle fiscal. Nous constatons qu’il n’en a rien été puisque 3 000 agents entre 2010 et 2017 ont été supprimés dans ce secteur alors que le nombre d’entreprises soumises à la TVA augmentait ; il est passé de 4 millions en 2008 à 5,5 millions en 2016.
L’organisation territoriale en brigades n’a que peu évolué et n’a pas suivi la restructuration des secteurs économiques sur nos territoires. Ainsi, une entreprise a plus de risques d’être contrôlée dans certains secteurs industriels en déclin que dans d’autres qui sont en expansion du fait de la métropolisation de nos territoires.
La numérisation et l’informatique, qui conduisent à examiner du bureau les comptabilités, pourraient permettre de transférer le contrôle de secteurs en expansion tout en maintenant une présence territoriale, gage d’un bon aménagement du territoire que le Sénat ne peut qu’encourager.
Vous le constatez, au-delà du simple problème des moyens humains, la sélection des dossiers souhaitée par l’administration – 20 % par algorithmes – nécessite la présence, aux côtés d’inspecteurs et de contrôleurs très bien formés, d’informaticiens pour déceler les faiblesses d’une organisation d’un contrôle par trop traditionnel.
En ce qui concerne les grandes entreprises, en dépit d’une redéfinition incertaine de l’établissement stable, l’échange de données entre administrations fiscales, douanières, sociales et au niveau international ne peut qu’être positif.
Un mot sur la « police fiscale ». Le fonctionnement de la police judiciaire douanière sous le contrôle d’un magistrat est une bonne chose. Nous ne pouvons que regretter la position de la majorité sénatoriale de la commission des lois, qui veut supprimer cette possibilité.
Nous avons pu apprécier la complémentarité entre la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, la BNRDF, et la police douanière. Dès lors, un complément d’agents, certes modeste, ne peut qu’être le bienvenu. Leur nombre initial limité devrait évoluer et il conviendrait d’éviter de les prélever sur les effectifs du contrôle fiscal.
Vous le comprendrez, la position brillamment exprimée par Sophie Taillé-Polian concernant, notamment, « le verrou de Bercy » doit être complétée par une redéfinition des missions du contrôle fiscal que nous appelons de nos vœux. Car nous sommes conscients de l’ingéniosité fiscale et des moyens toujours renouvelés pour éluder l’impôt, et nous ne souhaitons pas que les mesures proposées ne soient que des effets de communication limités par la suppression annoncée de l’exit tax, et par le plaider-coupable qui permet d’éviter la sanction judiciaire sous couvert d’efficacité et de rapidité.
Monsieur le ministre, vous trouverez notre groupe toujours vigilant sur cette question et favorable à des mesures qui permettent de sanctionner tout autant les « cols blancs » que la petite fraude des particuliers. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Mmes Nathalie Goulet et Michèle Vullien, ainsi que M. Philippe Bonnecarrère applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Je souhaite remercier Mmes et MM. les sénateurs, M. le rapporteur général, Mme la rapporteur pour avis et M. le président de la commission des finances pour leurs propos. Je constate qu’il y a un consensus sur l’objectif et sur la plupart des mesures contenues dans ce texte.
Sur la forme, madame la sénatrice Goulet – je le dis avec le sourire –, je ne comprends pas pourquoi vous faites ce procès d’intention.
Cela fait désormais un an, depuis je fréquente cet hémicycle, qu’à l’occasion de divers textes, notamment financiers, le Sénat étudie des questions liées à la lutte contre la fraude. M. le rapporteur général lui-même, ainsi que plusieurs de vos collègues, m’ont encouragé à aller en ce sens. Ils me disaient que les sénateurs avaient beaucoup travaillé, écrit de nombreux rapports et fait nombre de propositions. Le Gouvernement a aussi refusé beaucoup d’amendements avant que n’arrive ce texte.
On ne peut donc pas dire que le Sénat a travaillé dans la précipitation sur la lutte contre la fraude fiscale. Le texte que j’ai présenté a d’ailleurs été très largement annoncé auparavant et copartagé avec la représentation nationale. Je suis venu en premier lieu devant le Sénat et sa commission des finances, laquelle a été saisie voilà plusieurs semaines déjà et a pu travailler longuement, sur la base de rapports de qualité que j’ai lus – je pense notamment au rapport pour avis de la commission des lois, fait en complément de celui de la commission des finances.
Je ne suis pas certain, madame la sénatrice, qu’il faille retarder encore nos travaux, d’autant que le consensus est manifestement la norme si j’en crois le travail que vous avez fait et celui de l’Assemblée nationale, avec le rapport de M. Éric Diard et de Mme Émilie Cariou. J’espère donc que nous allons trouver un chemin commun, comme c’est la volonté du Gouvernement.
Je ne pense pas non plus qu’il faille, sur la forme, faire une navette qui n’aurait pas beaucoup d’intérêt. Sauf à constater sans doute, au final, que nous sommes en total désaccord sur les principaux articles de ce projet de loi. Cela ne m’est pourtant pas apparu évident à l’écoute des prises de parole des divers groupes…
Je veux aussi réagir sur la question du verrou de Bercy.
Je ne comprends pas très bien la critique faite à l’encontre du texte présenté par le rapporteur.
Tout d’abord, il faut rappeler que le dispositif visé, que je soutiens mais qu’une partie d’entre vous critique, est une initiative du rapporteur et du Sénat.
C’est la première fois, depuis la création de la commission des infractions fiscales, la CIF, qu’un tel changement est à l’ordre du jour des deux assemblées. Permettez-moi de faire remarquer que le précédent gouvernement, que vous souteniez, n’a manifestement pas eu le courage de supprimer ce verrou. Il est un peu dommage de demander désormais que l’on y consacre trois fois plus d’énergie, alors que vous n’aviez pas, à l’époque, changé une demi-virgule au dispositif. Peut-être n’a-t-on pas le même sens des responsabilités quand on en est aux affaires et quand on est dans l’opposition.
Alors que la CIF avait été créée avant l’élection de François Mitterrand, durant les quatorze ans où celui-ci a été Président de la République, jamais le principe du verrou n’a été remis en cause, pas plus qu’au cours des cinq ans du gouvernement de Lionel Jospin, ou que sous la présidence de François Hollande. Or je ne suis pas certain que François Mitterrand, Lionel Jospin ou François Hollande avaient envie de laisser les fraudeurs s’évader…
Cela signifie qu’une fois aux affaires, les responsables de la Nation prennent des dispositions bien éloignées des discours politiciens que j’entends ici ou là. Dont acte : c’est le jeu.
Vous évoquez, madame la sénatrice, les mêmes préoccupations que nous. Vous dites que les critères choisis par M. le rapporteur et la commission des finances ne sont pas les bons. Discutons-en ! C’est justement ce que je propose : je suis le premier ministre des comptes publics à dire que le verrou – s’il existe ; l’expression n’est pas tout à fait juste –…