M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le Parlement a déjà eu, par le passé, plusieurs occasions de débattre de cette notion controversée de « secret des affaires ». Je ne rappellerai pas les multiples tentatives du député Bernard Carayon ni même l’amendement défendu, dans le même sens, par son collègue Richard Ferrand, à l’occasion de la discussion de la loi dite Macron.

À la faveur d’une directive européenne votée en 2016, ce projet renaît par le biais d’une proposition de loi : curieux véhicule pour une transposition ! L’autre curiosité de ce texte réside dans les libertés que prennent ses rédacteurs avec le principe de subsidiarité. Le mécanisme de la transposition repose sur la volonté de remédier aux lacunes supposées du droit national par des dispositions qui l’enrichissent, le complètent ou le corrigent. En l’occurrence, plusieurs dispositions introduites par le texte de l’Assemblée nationale ont pour conséquence, nolens volens, d’amoindrir, voire d’abolir des avancées considérables du droit positif français ; je pense notamment au statut juridique du lanceur d’alerte.

La Haute Assemblée veille, parfois avec un zèle excessif, à ce que les directives européennes ne fassent pas l’objet de transpositions excessives. En l’occurrence, il s’agit plutôt d’une sous-transposition et, pour certaines dispositions, d’une transposition régressive. On peut même se demander si l’absence d’étude d’impact et les imperfections juridiques nombreuses de ce texte ne sont pas destinées à cacher ce détournement manifeste de procédure.

Il faut donc saluer favorablement l’initiative de la commission des lois, qui a restauré les droits des lanceurs d’alerte, tels qu’ils ont été définis par la loi du 9 décembre 2016. Protéger les lanceurs d’alerte, ce n’est pas, comme on le lit encore trop souvent, encourager la délation. C’est au contraire permettre aux individus d’exercer pleinement leur métier de citoyen, tel qu’il est défini dans le préambule de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Les représentants du peuple français, constitués en Assemblée nationale, avaient alors considéré qu’il était du devoir des membres du corps social d’exercer leur « droit de réclamation », pour assurer « le maintien de la Constitution et le bonheur de tous ».

Ce « droit de réclamation » est pour chaque membre de notre République une obligation aussi indispensable que celle qui impose, aux termes de l’article 40 du code de procédure pénale, à toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire, de donner avis au procureur de la République des crimes ou des délits dont il a connaissance. C’est l’instrument d’une démocratie rénovée pour laquelle chacun de ses membres agit en conscience pour la défense des intérêts collectifs.

Il ne nous semble donc pas juste de confondre ces citoyens qui œuvrent bénévolement et, parfois, malheureusement, au péril de leur situation familiale ou professionnelle et les pirates qui tentent de dérober des informations par fraude. C’est pourtant le risque que leur fait subir l’extension absolue du champ d’application de cette proposition de loi.

La commission des lois du Sénat propose de créer, par un nouvel article du code pénal, un délit de détournement d’une information économique protégée. Il serait constitué à la condition que son auteur en retire un avantage de nature exclusivement économique. Il serait donc cohérent d’exclure du champ d’application de cette proposition de loi toutes les personnes qui agissent pour d’autres motifs que ceux qui sont visés par ce nouvel article du code pénal. En effet, considérer que toute divulgation d’information économique serait a priori frauduleuse et qu’il reviendrait au donneur d’alerte d’apporter la preuve qu’elle ne l’est pas pourrait constituer une atteinte à l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui sanctifie « la libre communication des pensées et des opinions ».

Il nous semble donc indispensable de restreindre l’objet de cette proposition de loi aux seuls acteurs économiques et à ceux qui agissent pour eux. Cette redéfinition du champ d’application nous semble plus juste et plus efficace que le dispositif de la présente proposition de loi, qui mêle dans une même suspicion de principe tous les individus qui divulguent des informations à caractère économique, avant de consentir des dérogations que l’on sait, en droit, toujours incomplètes.

Il eût été plus satisfaisant, au regard du devoir constitutionnel de réclamation, que le chercheur ou le journaliste, dans l’exercice de leurs missions, ne fussent pas contraints, pour agir, de prouver leur bonne foi devant les tribunaux et de subir parfois des procédures contentieuses dissuasives et des chicanes juridiques, dont l’unique objet est souvent de décourager tout débat contradictoire.

Ainsi, dans sa rédaction actuelle, cette proposition de loi porte des dispositions qui ont pour conséquence d’amoindrir considérablement ou de neutraliser les avancées bénéfiques de la récente loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre. En cela, il s’agit de nouveau d’une transposition régressive, et il eût été de meilleure politique que le Gouvernement assumât sa volonté politique de corriger ce texte et qu’il expliquât pourquoi cette loi, votée il y a tout juste un an, n’était pas satisfaisante.

Cette proposition de loi, bricolée dans l’urgence et la précipitation, porte des objectifs bien éloignés de ceux de la directive dont elle prend prétexte, pour engager une refonte complète du droit positif récent sur le devoir de vigilance et le droit de réclamation.

Enfin, nous restons dans l’attente d’une démonstration juridique solide de l’inadaptation de notre droit à protéger ce que vous appelez sans le définir de façon satisfaisante le secret des affaires. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. Henri Cabanel applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour le groupe socialiste et républicain.

M. Jacques Bigot. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, dans le cadre de cette discussion générale, je tiens à souligner que cette directive peut apparaître bienvenue. Il est en effet utile que la protection du secret des affaires soit organisée et harmonisée dans toute l’Union européenne. Bien qu’elle soit jugée « très ficelée » par certains, cette directive laisse néanmoins aux droits nationaux des souplesses nécessaires.

Le texte, qui a été débattu pendant trois ans, de 2013 à 2016, date de son adoption par le Parlement européen, a fait l’objet d’énormément de controverses, qui renaissent évidemment dans le cadre de notre débat d’aujourd’hui, pour essayer d’aboutir à un juste équilibre entre protection du secret des affaires et respect de la liberté d’informer. Il est à noter que la protection du secret des affaires n’intéresse pas uniquement les multinationales et les grandes entreprises. Elle peut également concerner de très petites entreprises. Je pense notamment à nos start-up, qui sont moins bien armées que les multinationales en la matière.

Parallèlement, l’histoire récente le montre, les Français sont attachés au fait que les fraudes, scandales financiers, sanitaires – songeons à l’affaire du Mediator – ou environnementaux puissent être révélés.

Nous devons nous faire l’écho des craintes légitimes qui s’expriment – au demeurant, madame la garde des sceaux, vous avez souhaité que le débat parlementaire porte également sur ces questions – concernant la protection des lanceurs d’alerte. À cet égard, la position de notre commission est plus restrictive que la proposition de loi qui nous vient de l’Assemblée nationale. Finalement, monsieur le rapporteur, la protection des lanceurs d’alerte est renvoyée à la loi existante et au Défenseur des droits, qui souligne d’ailleurs, comme le Conseil d’État, la nécessité d’une harmonisation des régimes, mais cela n’est pas fait, faute d’une étude d’impact. Nous serons ainsi confrontés à des situations extrêmement complexes et pénalisantes.

Le texte de la commission se conclut par l’hypothèse du renvoi à un délit pénal, lequel pourra se retourner contre les journalistes ou les organes de presse, qui pourront se retrouver, ne serait-ce que par une caution de partie civile, devant un juge d’instruction. La crainte de l’utilisation des procédures pour menacer les organes de presse et les informateurs est réelle, et le texte ne la supprime pas.

La définition du secret d’affaires mérite d’être affinée. Cependant, vous proposez de passer de la « valeur commerciale » visée par la directive et la proposition de loi initiale à la « valeur économique ». Avec cette notion, n’étendra-t-on pas encore davantage la protection, monsieur le rapporteur ? Comment faire en sorte qu’elle se réduise au champ concurrentiel, c’est-à-dire comment faire pour que celui qui invoquera la protection du secret d’affaires et engagera une action en responsabilité civile, voire une action en cessation, puisse justifier qu’il subit un préjudice ?

Selon moi, toutes ces questions méritent d’être débattues, de préférence en commission. Si la motion tendant au renvoi à la commission n’était pas adoptée, nous nous verrions contraints, madame la garde des sceaux, d’évoquer l’ensemble de ces questions dans l’hémicycle. Mais peut-être souhaitez-vous que les débats aient lieu en public. Nous verrons bien, dans quelques instants, ce que le Sénat décidera. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de la motion tendant au renvoi à la commission.

Demande de renvoi à la commission.

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi relative à la protection du secret des affaires
Article 1er (début)

M. le président. Je suis saisi, par MM. Jacques Bigot, Leconte et Kanner, Mme de la Gontrie, MM. Durain, Sueur, Assouline et Courteau, Mmes Taillé-Polian, Lienemann, S. Robert et les membres du groupe socialiste et républicain, d’une motion n° 37 rectifié.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission des lois la proposition de loi portant transposition de la directive (UE) 2016/943 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites (n° 420, 2017-2018).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

Aucune explication de vote n’est admise.

La parole est à M. Jacques Bigot, pour la motion.

M. Jacques Bigot. Cette motion de renvoi à la commission, qui a été déposée par le groupe socialiste et républicain, ne vise pas du tout à éluder le débat. Elle tend bien au contraire à l’approfondir, ce dont nous avons bien besoin, comme je vais tenter de le démontrer. Permettez-moi au préalable, madame la garde des sceaux, de critiquer la procédure choisie par le gouvernement auquel vous appartenez.

Monsieur le président de la commission des lois, vous devriez demander aux services de faire l’inventaire de toutes les directives européennes qui n’ont pas encore été transposées, afin que, rapidement, une masse de propositions de loi émanant du Sénat puissent être déposées… En effet, on vient nous dire qu’il est urgent de transposer cette directive avant le 9 juin, alors que bien d’autres ne sont pas encore transposées !

L’artifice, en l’occurrence, consiste à faire déposer une proposition de loi par un « marcheur », pour accélérer le processus. Sans doute le journaliste qui interrogeait le Président de la République voilà quelques jours a-t-il eu raison de parler d’une politique non pas « en marche », mais « en force ». À telle enseigne que nous n’avons pas d’étude d’impact, alors que cela aurait été particulièrement nécessaire. Nous n’aurons pas non plus le temps d’approfondir les dispositions qui nous sont soumises.

Ce qui s’est passé pour un autre texte, le projet de loi relatif à la protection des données personnelles, qui sera examiné demain par notre assemblée, nous prouve que le Gouvernement a fortement tendance à mépriser le rôle du Parlement, et encore davantage celui du Sénat.

M. Éric Bocquet. C’est vrai !

M. Jacques Bigot. Même si je ne partage pas complètement votre vision, monsieur le rapporteur, je veux vous féliciter d’avoir réussi à procéder, dans des délais extrêmement contraints, à des auditions, pour essayer de mettre au point un texte. Il est vrai que vous aviez déjà travaillé sur ces questions voilà quelque temps.

J’en viens à l’objet de la motion tendant au renvoi à la commission.

La définition du secret des affaires mérite d’être pleinement étudiée. Aux termes de la directive, on entend par « secret d’affaires » des informations qui répondent à trois conditions – pour vous, monsieur le rapporteur, ce sont trois critères, mais je ne suis pas sûr que ce soit un « plus ».

Première condition : des informations sont « secrètes en ce sens que, dans leur globalité ou dans la configuration de l’assemblage exacts de leurs éléments, elles ne sont pas généralement connues des personnes appartenant aux milieux qui s’occupent normalement du genre d’informations en question, ou ne leur sont pas aisément accessibles ». Or le texte de la commission renvoie aux « personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité ». Une telle imprécision peut se révéler extrêmement dangereuse dans les procédures dont les tribunaux risquent d’être saisis.

Deuxième condition : des informations « ont une valeur commerciale parce qu’elles sont secrètes ». La proposition de loi va plus loin en mentionnant une valeur économique, effective ou potentielle. Monsieur le rapporteur, les termes « valeur économique », comme je l’ai dit précédemment, ont une portée plus large. Cela mérite donc un débat. Pourquoi écrire « valeur économique, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret » et pas « valeur commerciale », comme dans la directive ? Ce n’est pas tout à fait la même chose !

Le deuxième point de l’article 2 de la directive définit qui est protégé et dans quel cadre. La protection a pour but de protéger contre la concurrence : elle ne doit pas nuire à la nécessaire transparence, notamment lorsque l’intérêt général est en jeu. C’est cet équilibre extrêmement difficile qui mérite d’être recherché.

Le Conseil d’État et le Défenseur des droits l’ont rappelé, des dispositifs de protection des lanceurs d’alerte existent dans notre droit positif, mais il faut les harmoniser. Vous-même, madame la garde des sceaux, avez dit que vous n’étiez pas favorable, sur ce point, à la proposition de M. le rapporteur, ce qui montre bien la nécessité d’un débat sur ce sujet aussi.

Par ailleurs, aux termes de l’article 1er de la directive, « rien dans la présente directive ne peut être interprété comme permettant de restreindre la mobilité des travailleurs. En particulier, en ce qui concerne l’exercice de cette mobilité, la présente directive ne permet aucunement […] ». Or rien n’est prévu dans le texte qui nous est soumis pour protéger les travailleurs.

De la même manière, le texte n’apporte aucune précision concernant les travailleurs ayant des missions de représentation dans l’entreprise, qui doivent échanger avec leur syndicat. Or leur protection est possible en vertu de l’article 1er de la directive par nos droits nationaux.

Quant à la question de la liberté d’expression, elle reste tout aussi importante. Je l’ai dit précédemment, nous craignons fortement que les journalistes et les lanceurs d’alerte ne puissent plus divulguer d’informations. Songeons à ce médecin qui a fort heureusement alerté les Français sur le scandale du Mediator. Aurait-elle pu le faire si cette directive avait été applicable ? Ne pensez-vous pas que l’entreprise concernée, dont je ne prononcerai pas le nom, ne se serait pas précipitée pour saisir un juge d’instruction, un tribunal de commerce ou le tribunal de grande instance ?

À cet égard, vous avez évoqué, madame la garde des sceaux, la juridiction compétente pour défendre les libertés. Or, à ma connaissance, les tribunaux de commerce ont vocation à régler des conflits entre commerçants et non pas à défendre les libertés. Dans la mesure où les organes de presse sont en général organisés en société commerciale, les débats auront donc lieu devant les tribunaux de commerce. C’est aussi une crainte des journalistes : leur juge naturel, le juge d’instance, celui qui garantit les libertés, comme vous le disiez, risque de ne pas être saisi.

Au demeurant, la protection est utile et le débat nécessaire, y compris pour les commerçants. Lorsqu’une entreprise attaquera une entreprise concurrente, considérant que cette dernière a violé son secret d’affaires, elle devra, dans le cadre du procès, fournir des documents susceptibles de dévoiler encore plus d’informations que le secret protégé. Comment donc s’assurer que le juge dispose bien des informations nécessaires, tout en préservant une nécessaire confidentialité ?

Madame la garde des sceaux, vous êtes en train de travailler à des réformes importantes de la justice. Ces questions de procédure civile pourraient y être intégrées.

J’évoquerai enfin le recours à la voie pénale. Le Conseil d’État lui-même dit : faites très attention à la voie pénale. La notion de secret des affaires est tellement floue que l’on ne sait pas comment elle peut être interprétée par des juges. Or on se précipite, monsieur le rapporteur, pour ajouter dans le texte de la commission une infraction pénale.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. On ne s’est pas précipité !

M. Jacques Bigot. On dit que cette infraction pénale ne concernera pas la presse, parce qu’il faut qu’il y ait un avantage économique. Mais, lorsqu’un organe de presse, qui est une société commerciale, détenue parfois par des gens qui possèdent d’immenses capitaux, sera attaqué devant le juge d’instruction, la notion d’« avantage commercial » ne sera-t-elle pas mise en avant ?

Comme vous pouvez le constater, mes chers collègues, ce texte soulève toute une série de débats nécessaires. C’est la raison pour laquelle nous vous demandons d’adopter la motion tendant à son renvoi à la commission, ce qui permettra d’approfondir notre travail. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. Y a-t-il un orateur contre la motion ?…

Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Monsieur Jacques Bigot, nous aurons un débat au fond, au fil de l’examen des amendements déposés, puisque les différents points que vous avez mentionnés font l’objet d’amendements, qu’ils aient été déposés par votre groupe ou par d’autres.

En cas d’adoption de la motion, je vous renvoie à un point technique, que j’ai déjà évoqué ce matin en commission des lois, à savoir l’article 44 du règlement du Sénat, alinéa 5, deuxième phrase : « Lorsqu’il s’agit d’un texte inscrit par priorité à l’ordre du jour sur décision du Gouvernement, » – ce qui est le cas – « la commission doit présenter ses conclusions au cours de la même séance, sauf accord du Gouvernement. »

Je ne vois donc pas ce que l’adoption de cette motion de renvoi à la commission changerait fondamentalement à la nature de nos travaux. Pour schématiser, nous suspendrions la séance pendant deux heures, au cours desquelles la commission des lois se réunirait ; qu’aurais-je à ajouter au travail déjà accompli ? Je ne pense pas qu’ainsi nous ferions grandement avancer le débat. En tout cas, nous n’avancerions pas davantage qu’en discutant les amendements en séance.

Par conséquent, la commission a émis un avis défavorable sur cette motion.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Monsieur le sénateur Jacques Bigot, vous avez eu la gentillesse de dire que j’étais non seulement « en marche », mais peut-être même également « en force ». Je dirais que je suis surtout « en cohérence » et « en continuité ». En effet, sauf erreur de ma part, les textes qui furent présentés, dans le passé, sur le même sujet – je pense notamment à ceux proposés par M. Carayon et par M. Urvoas – étaient eux aussi des propositions de loi. Il ne me semble donc pas qu’il y ait là matière à distinguer le présent texte des précédents.

Vous évoquez ensuite, pour émettre des réserves, la question de la définition de la notion. Nous aurons l’occasion d’en discuter de nouveau pendant l’examen des articles. Je me contente ici de vous rappeler que la proposition de loi qui vous est soumise consiste en une transposition de la directive, reprenant la terminologie exacte employée par celle-ci.

Quant à l’ajout que vous avez évoqué des mots « potentielle » et « effective », lisez la directive dans son ensemble, monsieur le sénateur ; vous y verrez, au considérant 14, que les savoir-faire ou informations doivent avoir « une valeur commerciale, effective ou potentielle ».

Nous avons donc repris l’ensemble des dispositions qui figuraient dans la directive pour les transposer.

Vous avez en outre évoqué la question – nous nous la posons, bien entendu – de savoir si un certain nombre de scandales révélés récemment, notamment celui du Mediator, pourraient toujours l’être au bénéfice de ces dispositions. J’aurai l’occasion de le démontrer, mais je pense que la réponse est positive. Il n’est d’ailleurs pas question qu’il en soit autrement. Les dispositions qui sont prises dans ce texte permettent d’apporter une telle réponse.

Vous dites à juste titre qu’un certain nombre d’organes de presse sont des sociétés commerciales et que, dès lors, le tribunal de commerce serait compétent. Et alors ? On ne peut pas a priori soupçonner les tribunaux de commerce en partant du principe qu’ils n’appliqueraient pas les dispositions législatives figurant dans le texte qui vous est proposé – mais nous aurons l’occasion d’en reparler.

Par ailleurs, un lanceur d’alerte ou un journaliste comparaîtrait, de manière normale, devant le tribunal de grande instance.

Enfin, s’agissant du recours à la voie pénale – là encore, nous aurons l’occasion d’en reparler –, vous savez qu’en la matière nous avons avec la commission des lois une divergence de vues, qui sera explicitée en séance.

Le débat devrait permettre à chacun d’entre nous de trouver des réponses aux questions qu’il se pose.

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 37 rectifié, tendant au renvoi à la commission.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 94 :

Nombre de votants 330
Nombre de suffrages exprimés 329
Pour l’adoption 95
Contre 234

Le Sénat n’a pas adopté.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quarante, est reprise à seize heures cinquante.)

M. le président. La séance est reprise.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi relative à la protection du secret des affaires

Demande de renvoi à la commission
Dossier législatif : proposition de loi relative à la protection du secret des affaires
Article 1er (interruption de la discussion)

Article 1er

Le livre Ier du code de commerce est complété par un titre V ainsi rédigé :

« TITRE V

« DE LA PROTECTION DU SECRET DES AFFAIRES

« CHAPITRE IER

« De lobjet et des conditions de la protection

« Section 1

« De linformation protégée

« Art. L. 151-1. – Est protégée au titre du secret des affaires toute information répondant aux trois critères suivants :

« 1° Elle n’est pas, en elle-même ou dans la configuration et l’assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité ;

« 2° Elle revêt une valeur économique, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ;

« 3° Elle fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret.

« Section 2

« De la détention légitime et de lobtention licite du secret des affaires

« Art. L. 151-2 A (nouveau). – Est détenteur légitime du secret des affaires celui qui en a le contrôle de façon licite.

« Art. L. 151-2. – Constituent des modes d’obtention licite du secret des affaires :

« 1° Une découverte ou une création indépendante ;

« 2° L’observation, l’étude, le démontage ou le test d’un produit ou d’un objet qui a été mis à la disposition du public ou qui est de façon licite en possession de la personne qui obtient l’information, sauf stipulation contractuelle interdisant ou limitant l’obtention du secret ;

« 3° (Supprimé)

« Section 3

« De lobtention, de lutilisation et de la divulgation illicites

« Art. L. 151-3. – L’obtention du secret des affaires est illicite lorsqu’elle est réalisée sans le consentement de son détenteur légitime et qu’elle résulte :

« 1° D’un accès non autorisé à tout document, objet, matériau, substance ou fichier numérique qui contient le secret ou dont il peut être déduit, ou bien d’une appropriation ou d’une copie non autorisée de ces éléments ;

« 2° De tout autre comportement considéré, compte tenu des circonstances, comme déloyal et contraire aux usages en matière commerciale.

« Art. L. 151-4. – L’utilisation ou la divulgation du secret des affaires est illicite lorsqu’elle est réalisée sans le consentement de son détenteur légitime par une personne qui a obtenu le secret dans les conditions mentionnées à l’article L. 151-3 ou qui agit en violation d’une obligation de ne pas divulguer le secret ou de limiter son utilisation.

« La production, l’offre ou la mise sur le marché, de même que l’importation, l’exportation ou le stockage à ces fins de tout produit résultant d’une atteinte au secret des affaires sont également considérés comme une utilisation illicite lorsque la personne qui exerce ces activités savait, ou aurait dû savoir au regard des circonstances, que ce secret était utilisé de façon illicite au sens du premier alinéa du présent article.

« Art. L. 151-5. – L’obtention, l’utilisation ou la divulgation d’un secret des affaires est aussi considérée comme illicite lorsque, au moment de l’obtention, de l’utilisation ou de la divulgation du secret des affaires, une personne savait, ou aurait dû savoir au regard des circonstances, que ce secret des affaires avait été obtenu, directement ou indirectement, d’une autre personne qui l’utilisait ou le divulguait de façon illicite au sens du premier alinéa de l’article L. 151-4.

« Section 4

« Des exceptions à la protection du secret des affaires

« Art. L. 151-6. – Le secret des affaires n’est pas opposable lorsque l’obtention, l’utilisation ou la divulgation du secret est requise ou autorisée par le droit de l’Union européenne ou le droit national, notamment dans l’exercice des pouvoirs d’enquête, de contrôle, d’autorisation ou de sanction des autorités juridictionnelles ou administratives, pour l’usage exclusif de ces autorités dans l’accomplissement de leurs missions.

« Art. L. 151-7 (nouveau). – À l’occasion d’une instance relative à une atteinte au secret des affaires, le secret n’est pas opposable lorsque son obtention, son utilisation ou sa divulgation est intervenue :

« 1° Pour exercer le droit à la liberté d’expression et de communication, y compris le respect de la liberté de la presse, et à la liberté d’information telle qu’établie dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;

« 2° Pour la révélation de bonne foi d’une activité illégale, d’une faute ou d’un comportement répréhensible, dans le but de protéger l’intérêt général ;

« 2° bis (nouveau) Pour l’exercice du droit d’alerte tel que défini par le chapitre II du titre Ier de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ;

« 3° Pour la protection d’un intérêt légitime reconnu par le droit de l’Union européenne ou le droit national.

« Art. L. 151-8 (nouveau). – À l’occasion d’une instance relative à une atteinte au secret des affaires, le secret n’est pas opposable lorsque :

« 1° L’obtention du secret des affaires est intervenue dans le cadre de l’exercice du droit à l’information et à la consultation des salariés ou de leurs représentants ;

« 2° La divulgation du secret des affaires par des salariés à leurs représentants est intervenue dans le cadre de l’exercice légitime par ces derniers de leurs fonctions, pour autant que cette divulgation ait été nécessaire à cet exercice.

« L’information ainsi obtenue ou divulguée demeure protégée au titre du secret des affaires à l’égard des personnes autres que les salariés ou leurs représentants qui en ont eu connaissance.

« CHAPITRE II

« Des actions en prévention, en cessation ou en réparation dune atteinte au secret des affaires

« Art. L. 152-1. – (Non modifié) Toute atteinte au secret des affaires telle que prévue aux articles L. 151-3 à L. 151-5 engage la responsabilité civile de son auteur.

« Art. L. 152-1-1 (nouveau). – Les actions relatives à une atteinte au secret des affaires sont prescrites par cinq ans à compter des faits qui en sont la cause.

« Section 1

« Des mesures pour prévenir et faire cesser une atteinte au secret des affaires

« Art. L. 152-2. – I. – Dans le cadre d’une action relative à la prévention ou la cessation d’une atteinte à un secret des affaires, la juridiction peut, sans préjudice de l’octroi de dommages et intérêts, prescrire, y compris sous astreinte, toute mesure proportionnée de nature à empêcher ou à faire cesser une telle atteinte. Elle peut notamment :

« 1° Interdire la réalisation ou la poursuite des actes d’utilisation ou de divulgation d’un secret des affaires ;

« 2° Interdire les actes de production, d’offre, de mise sur le marché ou d’utilisation des produits résultant de l’atteinte au secret des affaires ou l’importation, l’exportation ou le stockage de tels produits à ces fins ;

« 3° Ordonner la destruction totale ou partielle de tout document, objet, matériau, substance ou fichier numérique contenant le secret des affaires concerné ou dont il peut être déduit ou, selon le cas, ordonner leur remise totale ou partielle au demandeur.

« II. – La juridiction peut également ordonner que les produits résultant de l’atteinte au secret des affaires soient rappelés des circuits commerciaux, écartés définitivement de ces circuits, modifiés afin de supprimer l’atteinte au secret des affaires, détruits ou, selon le cas, confisqués au profit de la partie lésée.

« III. – Lorsque la juridiction limite la durée des mesures mentionnées aux 1° et 2° du I, la durée fixée doit être suffisante pour éliminer tout avantage commercial ou économique que l’auteur de l’atteinte au secret des affaires aurait pu tirer de l’obtention, de l’utilisation ou de la divulgation illicite du secret des affaires.

« IV. – Sauf circonstances particulières et sans préjudice des dommages et intérêts qui pourraient être réclamés, l’ensemble des mesures mentionnées aux I à III sont ordonnées aux frais de l’auteur de l’atteinte.

« Il peut y être mis fin à la demande de l’auteur de l’atteinte lorsque les informations concernées ne peuvent plus être qualifiées de secret des affaires au sens de l’article L. 151-1 pour des raisons qui ne dépendent pas, directement ou indirectement, de lui.

« Art. L. 152-2-1 A (nouveau). – Pour prévenir une atteinte imminente ou faire cesser une atteinte illicite à un secret des affaires, la juridiction peut, sur requête ou en référé, ordonner des mesures provisoires et conservatoires dont les modalités sont déterminées par décret en Conseil d’État.

« Art. L. 152-2-1. – Sans préjudice de l’article L. 152-3, la juridiction peut ordonner, à la demande de l’auteur de l’atteinte, le versement d’une indemnité à la partie lésée au lieu des mesures mentionnées aux I à III de l’article L. 152-2 lorsque sont réunies les conditions suivantes :

« 1° Au moment de l’utilisation ou de la divulgation du secret des affaires, l’auteur de l’atteinte ne savait pas ni ne pouvait savoir au regard des circonstances que le secret des affaires avait été obtenu d’une autre personne qui l’utilisait ou le divulguait de façon illicite ;

« 2° L’exécution des mesures mentionnées aux I à III de l’article L. 152-2 causerait à cet auteur un dommage disproportionné ;

« 3° Le versement d’une indemnité à la partie lésée paraît raisonnablement satisfaisant.

« L’indemnité prévue au présent article ne peut être fixée à un montant supérieur au montant des droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le secret des affaires pendant la période au cours de laquelle son utilisation aurait pu être interdite.

« Section 2

« De la réparation dune atteinte au secret des affaires

« Art. L. 152-3. – Pour fixer les dommages et intérêts dus en réparation du préjudice effectivement subi, la juridiction prend en considération distinctement :

« 1° Les conséquences économiques négatives de l’atteinte au secret des affaires, dont le manque à gagner et la perte subie par la partie lésée, y compris la perte de chance ;

« 2° Le préjudice moral causé à la partie lésée ;

« 3° Les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte au secret des affaires, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l’atteinte.

« La juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire qui tient notamment compte des droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le secret des affaires en question. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.

« Art. L. 152-4. – (Supprimé)

« Section 3

« Des mesures de publicité

« Art. L. 152-5. – (Non modifié) La juridiction peut ordonner toute mesure de publicité de la décision relative à l’obtention, l’utilisation ou la divulgation illicite d’un secret des affaires, notamment son affichage ou sa publication intégrale ou par extraits dans les journaux ou sur les services de communication au public en ligne qu’elle désigne, selon les modalités qu’elle précise.

« Lorsqu’elle ordonne une telle mesure, la juridiction veille à protéger le secret des affaires dans les conditions prévues à l’article L. 153-1.

« Les mesures sont ordonnées aux frais de l’auteur de l’atteinte.

« Section 4

« Des sanctions en cas de procédure dilatoire ou abusive

(Division et intitulé supprimés)

« Art. L. 152-6. – (Supprimé)

« CHAPITRE III

« Des mesures générales de protection du secret des affaires devant les juridictions civiles ou commerciales

« Art. L. 153-1. – Lorsque, à l’occasion d’une instance civile ou commerciale ayant pour objet une mesure d’instruction sollicitée avant tout procès au fond ou à l’occasion d’une instance au fond, il est fait état ou est demandée la communication ou la production d’une pièce dont il est allégué par une partie ou un tiers ou dont il a été jugé qu’elle est de nature à porter atteinte à un secret des affaires, le juge peut, d’office ou à la demande d’une partie ou d’un tiers, si la protection de ce secret ne peut être assurée autrement et sans préjudice de l’exercice des droits de la défense :

« 1° Prendre connaissance seul de cette pièce avant de décider, s’il y a lieu, de limiter sa communication ou sa production à certains de ses éléments, d’en ordonner la communication ou la production sous une forme de résumé ou d’en restreindre l’accès, pour chacune des parties, au plus à une personne physique et une personne habilitée à l’assister ou la représenter ;

« 2° Décider que les débats auront lieu et que la décision sera prononcée en chambre du conseil ;

« 3° Adapter la motivation de sa décision et les modalités de la publication de celle-ci aux nécessités de la protection du secret des affaires.

« Art. L. 153-2. – Toute personne ayant accès à une pièce ou au contenu d’une pièce considérée par le juge comme étant couverte ou susceptible d’être couverte par le secret des affaires est tenue à une obligation de confidentialité lui interdisant toute utilisation ou divulgation des informations qu’elle contient.

« Dans le cas d’une personne morale, l’obligation prévue au premier alinéa du présent article s’applique à ceux qui la représentent devant la juridiction.

« Les personnes ayant accès à la pièce ou à son contenu ne sont pas liées par cette obligation dans leurs rapports entre elles.

« Les personnes habilitées à assister ou représenter les parties ne sont pas liées par cette obligation de confidentialité à l’égard de celles-ci, sauf en cas de mesures prises par le juge au titre du 1° de l’article L. 153-1 pour restreindre l’accès d’une ou de plusieurs pièces à certaines personnes.

« L’obligation de confidentialité perdure à l’issue de la procédure. Toutefois, elle prend fin si une juridiction décide, par une décision non susceptible de recours, qu’il n’existe pas de secret des affaires ou si les informations en cause ont entre-temps cessé de constituer un secret des affaires ou sont devenues aisément accessibles.

« CHAPITRE IV

« Conditions dapplication

« Art. L. 154-1. – Les conditions d’application du présent titre sont fixées par décret en Conseil d’État. »